Addictions et périnatalité : de la prévention à l'accompagnement

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Jeudi 3 juin 2010 Forum des Sciences Villeneuve d’Ascq

ACTES Journée d’études Addictions et périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – Regards croisés

Journée organisée par :


2 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


Contexte Pourquoi cette journée ? La consommation de substances psychoactives (alcool, tabac, cannabis et les autres drogues illicites) pendant la grossesse, expose l’enfant à naître et sa mère à de nombreux risques : risques obstétricaux, malformations, troubles du comportement ou encore syndrome de sevrage à la naissance. Ces risques sont spécifiques à chaque produit, mais les fréquentes pratiques de polyconsommation rendent souvent délicate une évaluation précise de la situation. Très souvent, il est subtil pour la femme ou pour le professionnel d’ouvrir le dialogue sur la question de la consommation des substances psychoactives pendant la grossesse. Le vécu des femmes et des couples est marqué par un sentiment de culpabilité, la crainte d’un retrait des enfants, de la stigmatisation ou encore de la banalisation des consommations… tandis que du côté des professionnels sont évoqués le manque de temps, la peur de blesser, de rompre une relation de confiance ou encore le sentiment d’impuissance. Quand la situation relève d’une problématique de dépendance, il est inutile de penser qu’une simple information sur la nécessité d’une abstinence suffit. Un accompagnement personnalisé, coordonné et pluridisciplinaire sont les conditions indispensables d’un meilleur suivi et accueil de la femme enceinte et ensuite de son enfant. Au-delà des risques liés au développement des enfants, se pose également la question de la qualité de la relation parent-enfant : comment préserver et soutenir la mère et le père dans leur fonction parentale. Le regard que pose souvent la société ou les professionnels sur les mères toxicomanes ne facilite pas les choses : elles sont perçues comme trop fusionnelles avec leur enfant ou à l’inverse comme délaissant leur enfant et les mettant en danger dans leur vie quotidienne Depuis plusieurs années, l’A.N.P.A.A. 59 et l’association ECLAT-GRAA ont répondu à ces éléments par l’organisation de programmes de formation-action, respectivement sur les thèmes de la consommation d’alcool et tabac/cannabis. Depuis 2009, et plus largement, à la demande du GRSP (Groupement Régional de Santé Publique), le programme « Alcool, grossesse et santé des femmes » a été élargi à la prise en compte de l’ensemble des substances psychoactives. Cette journée a donc été proposée par l’A.N.P.A.A. 59 et l’association ECLAT-GRAA dans l’objectif d’introduire le programme « addictions et périnatalité » par une réflexion globale sur les problèmes liés à cette thématique tant dans le champ de la prévention, du repérage, de l’accompagnement et des soins. Cette journée s’adressait à l’ensemble des professionnels médicaux, médico-sociaux, socio-éducatifs travaillant auprès des femmes, en particulier enceintes et/ou de jeunes enfants issus du département du Nord. Nous avons attaché de l’importance à dépasser le champ de la connaissance sur les risques liés à la consommation des substances psychoactives pendant la grossesse pour des approches plus inhabituelles comme : -

Les questions éthiques posées par la prévention et la prise en charge

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Les représentations sociales liées aux conduites addictives

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La présentation d’expériences concrètes notamment le travail de réseau entre les services de maternité/pédiatrie/PMI/addictologie/réseau périnatalité

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Mot d’introduction de Monsieur Marsal : Bonjour à tous. Je suis Franck Marsal, Directeur du Forum Départemental des Sciences et au nom du Conseil Général du Nord et de l’ensemble de l’équipe du forum je suis très heureux de vous accueillir ici dans nos murs pour ce congrès.

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Programme 9h00-9h15

L’usage des substances psychoactives pendant la grossesse. De la prévention à la prise en charge : état des lieux et enjeux d’une stratégie régionale Dr Francine Vanhée, médecin inspecteur de Santé Publique, chargée de mission ARS Nord Pas-de-Calais

9h15-9h30

Ce que les femmes enceintes et leur entourage disent de leur consommation d’alcool, de tabac, de cannabis ou autres produits… Elisabeth Dooghe, coordinatrice d’Addictions Drogue Alcool Info Service (ADALIS), Lille

9h30-10h00

D’une injonction morale à une éthique d’accompagnement Philippe Lecorps, psychologue, consultant en Santé Publique, Rennes

10h00-10h30 Mère négligente, mère abusive, les représentations de la femme usagère de drogues Laurence Simmat-Durand, sociologue et démographe, Université Paris Descartes

10h30-11h00 Paradoxes et enjeux psychiques de la grossesse et de la période périnatale Dr Michel Maron, praticien hospitalier, service de psychiatrie adulte, CHRU de Lille

11h00-11h15 PAUSE 11h15-11h40 L’utilisation d’auto-questionnaires de dépistage des situations à risque médicopsychosocial en maternité Dr Laurent Urso, chef de service d’addictologie, centre hospitalier La Fraternité, Roubaix

11h40-12h10 En périnatalité, la synergie entre la gynécologie obstétrique/la pédiatrie/ l’addictologie et la PMI Dr Laurent Urso, chef de service d’addictologie, centre hospitalier La Fraternité, Roubaix

12h10-12h30 La place de la PMI dans la prévention et la prise en charge de la femme enceinte présentant des conduites addictives Mireille Durut, sage-femme PMI, UTPAS Roubaix centre et Roubaix-Croix-Wasquehal, Conseil Général du Nord Dr Aimé Djebara, gynécologue, UTPAS Villeneuve d’Ascq, Conseil Général du Nord

12h30-14h00 PAUSE DEJEUNER (repas libre) 14h00-14h45 Le tabac pendant la grossesse, des actions professionnelles efficaces Dr Conchita Gomez, présidente de l’ANSFTF, sage-femme tabacologue, centre hospitalier d’Arras Dominique Legroux, sage-femme libérale, Lens Valérie Desmarchelier, sage-femme cadre, centre hospitalier d’Hazebrouck Edwige Dautzenberg, sage-femme, échographiste tabacologue, Versailles

14h45-16h30 Présentation d’une expérience pilote d’accompagnement des femmes enceintes toxicomanes Comment préserver la place des parents ? S’ajuster aux besoins des femmes et des familles Pratiques de réseau de proximité et stratégie régionale : de la formation des professionnels à la création de référentiels interdisciplinaires Corinne Chanal, sage-femme, coordinatrice du groupe régional « Grossesse et addictions », CHU, Montpellier

16h30

CONCLUSION

La présentation de ces actes est juste la compilation des textes des différents intervenants entendus tout au long de cette journée. 5 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


L’usage des substances psychoactives pendant la grossesse. De la prévention à la prise en charge : état des lieux et enjeux d’une stratégie régionale Dr Francine Vanhee – Médecin Inspecteur de Santé Publique – Chargée de mission ARS Nord-Pas-de-Calais Dr Elisabeth Vérité – Médecin Inspecteur de Santé Publique – Chargée de mission ARS Nord-Pas-de-Calais - Excusée Dr Francine Vanhée « Bonjour Mesdames et Messieurs, C’est une grande joie pour moi que d’ouvrir aujourd’hui cette journée d’études sur les addictions et la périnatalité – au carrefour de deux sujets abordés dans ma vie professionnelle. Pouvoir enfin mettre des mots sur des maux, vous comprenez les souffrances intimes dont il s’agit – après des décennies de silence convenu. Faut-il le rappeler, c’est en France en 1968 que le Dr Lemoine a décrit pour la première fois ce qui s’appelle aujourd’hui le syndrome d’alcoolisation fœtale, alors que la sagesse ? populaire, nous retrouvons ici la notion de savoir profane, en avait déjà la notion (confuse ?) si nous nous référons aux précédents écrits de la littérature, notamment ceux de Zola ou Van Der Meersch plus récemment dans son livre corps et Ames, qui nous rappellent qu’il ne s’agit pas de problématiques touchant surtout les classes sociales défavorisées… ce que nous pourrions avoir tendance à croire. Ma collègue Madame le Dr Elisabeth Vérité, qui vous demande de bien vouloir l’excuser de ne pouvoir être parmi vous, me rappelle quelques études (Baromètre santé nutrition) qui démontrent le contraire : ainsi, le niveau d’étude va de pair avec une surconsommation d’alcool chez les femmes diplômées (+ 40% pour le niveau bac, + 70% pour un niveau d’études supérieures) à l’inverse de la population masculine. De même les enquêtes ESCAPAD (effectuées en 2008 chez les jeunes de 17 ans lors de la journée de préparation de l’appel à la défense) notent une surconsommation d’alcool conduisant aux ivresses pour les enfants de cadres et d’agriculteurs, artisans et commerçants. De façon globale, et selon l’expertise collective INSERM réalisée en 2001, 5% des femmes sont en difficulté avec l’alcool, ce qui se traduit sur le plan de la périnatalité par une estimation annuelle du syndrome d’alcoolisation fœtale de 0,5 à 3%0 en fonction des différentes régions, et pour les effets de l’alcool sur le fœtus de 0,5 à 2%. Les observations montrent une incidence supérieure à l’Ile de la Réunion, dans le Nord Pas-de-Calais et la Bretagne. Cependant, les addictions ne se résument pas à la consommation d’alcool. C’est aussi en région Nord Pas-de-Calais qu’à l’initiative du Pr Delcroix en 2004, s’est tenue la conférence de consensus Grossesse et tabac. 22% des femmes fument durant leur grossesse, ce qui entre autres amène le risque de retard de croissance intra-utérin par hypoxie chronique. Depuis les maternités sans tabac organisent la possibilité d’aide au sevrage tabagique en lien avec les professionnels spécialisés, sages-femmes tabacologues ou des équipes d’addictologie. D’autres types de consommations de substances psychoactives ont cours, et même si l’expérimentation de cannabis chez les jeunes de 17 ans (Enquêtes ESCAPAD) en région Nord Pas-de-Calais est moindre qu’en France métropolitaine et a reculé entre 2000 et 2008, le boom des consommateurs de 2002 2003 est bien en âge d’être parents. Ainsi à 17 ans en 2008 pour la région, les consommations régulières (à savoir au moins 10 fois dans le mois) intéressent 2% des filles, et les consommations au moins une fois dans le mois précédent l’enquête concernent 15% d’entre elles. En 2005, il s’agissait de 5% de consommatrices régulières et de 18% pour au moins une fois dans le mois précédent. Que dire des effets des autres produits, bien nombreux sur le marché, de composition souvent incertaine ou avec des effets de vasoconstriction comme la cocaïne ou le crack, parfois associés (polyconsommation) comportant des incidences sur le déroulement de la grossesse. Chez les jeunes filles de 17 ans toujours dans notre région, on note un recul de ces expérimentations : 1% en 2008 contre 2% en 2005. L’utilisation régulière d’héroïne concernerait 1 femme sur 1000. Celle de la cocaïne ou du crack serait en augmentation. 6 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


Cependant, ce ne sont pas les connaissances médicales qui sont au cœur de la relation entre les femmes et les professionnels de santé. Et le savoir, s’il reste indispensable, n’évite pas la possibilité de consommation, qui est liée à bien d’autres facteurs. Il faut d’ailleurs noter que lors de l’enquête de 2004 préparatoire à la sortie de la loi de politique de santé publique, 19% des personnes interrogées seulement avaient reçu de leur médecin le message de la nocivité de l’alcool sur la grossesse. Dire ou ne pas dire. Les discours normatifs ou moralisateurs ont une portée limitée et ne sont pas aidants, ne permettent pas la recherche de solutions face à la répétition des consommations. Les pratiques addictives par définition, peuvent s’installer et se développer pour leur propre compte, se répétant en dépit des conséquences négatives pour l’usager et son entourage, et échappent au self-contrôle. Seules une écoute, une attitude d’empathie laissant entendre à la personne qui est en face que l’on est suffisamment solide et prêt à accepter la confidence peuvent lui permettre d’évoquer ses difficultés. Revoir ses représentations, ses formulations, ses modalités de communication et de questionnement sont indispensables pour tout professionnel qui n’a jamais fait l’objet de telles confidences de la part d’une femme. Et bien d’une femme, pas d’une mère, la situation de grossesse étant certes délicate, mais ne pouvant résumer la vie d’une femme. Ainsi à titre indicatif, 35% des conduites de consommation sont sous-tendues par des violences accompagnées de stress post-traumatique. Les situations de consommation durant la grossesse induisent fréquemment de prendre le parti de l’enfant ou du fœtus. On entend ainsi parler des « innocents », la mère consommatrice est-elle coupable ? Un autre écueil serait de considérer que tout va bien dans le meilleur des mondes, façon candide, la grossesse et la naissance sont des événements heureux, des moments merveilleux, on attend un « beau bébé » et voilà que façon autruche, la tête est dans le sable… avec l’incapacité à distinguer le mal-être intense de la personne qui est en face et n’est pas en miroir. Il faut dire qu’une réponse positive à un questionnement sur les consommations met en difficulté tout professionnel qui n’a pas été spécifiquement formé ou n’a pas prévu la possibilité de soutien par des professionnels spécialisés. De là à dire que les attitudes implicites de professionnels découragent toute possibilité de réponse positive … Pourtant, un document, un regard, un mot, une attitude, sont des facilitateurs de communication qu’il convient d’utiliser, d’expérimenter. A l’appréhension de départ font suite le naturel et l’aisance, et ce jour est comme une naissance heureuse. L’appui d’équipes spécialisées permet des relais sur le terrain, les accompagnements nécessitant un appui pluridisciplinaire. Votre programme du jour va vous permettre d’évoquer toutes ces questions, aussi permettez-moi de vous souhaiter une excellente journée d’études. »

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Ce que les femmes enceintes et leur entourage disent de leur consommation d’alcool, de tabac, de cannabis ou autres produits… Elisabeth Dooghe – Coordinatrice d’Addictions Drogues Alcool Info Services - Lille « Bonjour, Je suis Elisabeth Dooghe, coordinatrice du pôle Lillois d’ADALIS. Avant, on s’appelait Drogues Alcool Tabac Info Service et encore avant on s’appelait Drogues Info Service. J’évoquais tout à l’heure avec l’un de nos conférenciers les différents noms et effectivement Drogues Info Service reste celui qui a marqué un peu plus l’histoire de 20 ans de pratiques. On s’appelle ADALIS à partir de maintenant puisqu’on va inclure d’ici quelques jours l’addiction aux jeux d’argent, aux jeux en réseau et notre appellation a changé de manière à englober l’ensemble des addictions et pouvoir être plus lisible pour le public. Nous sommes un service national d’écoute téléphonique et de réponse à distance par Internet. C’est un service public qui existe depuis 1990 et qui offre à toute personne qui le souhaite, qui en a besoin, qui est en difficulté… une écoute, un soutien, une information et une orientation. On est à la fois un service téléphonique mais aussi une base de données, où on va engranger le maximum de structures qui puisse exister. Ces données vont nous permettre d’orienter les appelants, quand cela est nécessaire et j’ai envie de dire quand cela est possible parce que la personne au bout du fil n’accepte pas systématiquement une orientation. On va essayer d’être le relais entre la personne qui nous contacte, entre 8h et 2h du matin, dans des situations parfois d’urgence et parfois de douleur intense vers un lieu où pourra se continuer cet accompagnement. Nous ne sommes pas un service d’accompagnement, les appels sont uniques, les professionnels qui répondent sont d’abord et avant tout formés sur le champ de l’écoute et de la relation d’aide. Puis, ils sont formés à l’Addictologie, et actuellement nous sommes en pleine phase de formation autour de la question des addictions sans produit à savoir les jeux d’argent et les jeux en réseau. Ceux qui nous appellent : - Soit les usagers, on va les appeler les « joueurs », mais on ne les a pas encore beaucoup sur nos lignes, donc on ne leur a pas encore trouvé une appellation spécifique. - Soit leur entourage, concernés par l’usage d’un tiers, (un frère, une mère, beaucoup les mères, un père, un oncle, un grand-père) qui va nous joindre et qui va venir nous dire combien il se sent démuni dans cette situation. - Soit les professionnels, qui peuvent avoir besoin d’une adresse, mais qui peuvent avoir besoin d’une info pointue sur un produit. Egalement sur Internet, des professionnels viennent nous solliciter en disant, on entend parler d’un produit qui circule dans le collège, je pense à la méphédrone qui est apparu dans notre service par le biais d’une question sur le site questions/réponses. - Soit le grand public, qui vient alors là plus pour avoir de la documentation, parce qu’ils sont en train de faire une étude sur le champ de l’addictologie, etc.… Notre travail va se faire dans un cadre tout à fait spécifique, évidemment dans le non jugement avec une approche d’anonymat complet, du côté des appelants évidemment, mais aussi du côté des écoutants. Notre idée est qu’il n’est pas intéressant que la personne qui nous appelle sache si elle a à faire à un médecin, un sociologue, un psychologue ou à un artiste appartenant à nos équipes. On propose actuellement un cadre d’appel unique, même si à la fin de chaque appel on invite la personne à rappeler notre service, c’est-à-dire rappeler l’entité service ADALIS. Chaque appel est traduit informatiquement par une fiche d’appel dans laquelle on rentre un maximum d’informations et qui permet à chaque écoutant de faire un commentaire sur ce qui s’est passé pendant l’appel. Pour vous donner une moyenne, les appels tournent autour de 20-25 minutes, en sachant qu’il y a des appels qui sont très courts qui sont les appels d’enfants qui vont nous blaguer, parfois nous insulter 8 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


aussi, durée d’une demi seconde, jusqu’à des appels qui vont être très longs et qui vont durer 1 heure voir parfois un peu plus d’une heure, notamment la nuit dans les périodes les plus angoissantes. Donc 3 types de public qui nous contactent : -

Les femmes qui viennent de découvrir leur grossesse, souvent autour de 4 à 6 semaines et qui ont pris conscience que pendant cette période, alors qu’elles ne savaient pas qu’elles étaient enceintes, elles ont consommé des produits, souvent de l’alcool, du tabac ou du cannabis, plus rarement d’autres produits illicites.

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Les personnes de l’entourage, soit les parents, plus facilement les mères, les conjoints ou la fratrie, qui appellent inquiets des consommations pendant une grossesse en cours.

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Les femmes enceintes depuis plusieurs mois, qui savent qu’elles sont enceintes et s’interrogent sur leur consommation épisodique ou plus régulière de produits licites ou non. On retrouve dans ces appels les produits habituels, alcool, tabac, cannabis mais aussi des questions autour des solvants ou de la cocaïne plus particulièrement.

La première catégorie d’appelantes qui viennent d’apprendre qu’elles sont enceintes appellent majoritairement pour une consommation d’alcool dans les jours ou les semaines précédentes. L’angoisse et la culpabilité récurrentes qui transparaissent fortement dans ces appels nous interpellent dans le service. La teneur des appels est souvent la même mais avec des degrés divers. Parfois, il s’agit d’une consommation exceptionnelle : j’ai bu une gorgée d’alcool et absorbé un plat fait avec de l’alcool. Ou plus importante comme un autre appel, elle est enceinte et durant les trois premières semaines ne le sachant pas, elle a eu 4 dîners très arrosés, ou encore elle est enceinte de 3 semaines, la semaine dernière elle a bu 2 coupes de champagne et hier du punch et un verre de vin. Elle a lu plein de choses alarmantes sur Internet et elle est très inquiète. La question est toujours pour le risque du fœtus ou la mise en danger de la grossesse. La formulation de cette question peut-être très vague ou une expression plus directe de la peur d’un syndrome d’alcoolisation fœtale directement nommé. Parfois, la question sur la nécessité d’un avortement nous est posée. Question délicate qui évidemment n’a pas à être traitée par nos écoutants. La situation de l’appel téléphonique est une situation subtile durant laquelle le professionnel ne peut s’appuyer que sur les dires de la personne qui nous contacte et à l’inverse nous savons combien ce que nous dirons au téléphone risque d’être filtré par les appelants au regard de ce qu’ils ont besoin d’entendre. Nous nous devons de tenir compte des éléments aléatoires qui nous sont transmis au téléphone quand une femme nous dit qu’elle est enceinte de 3 semaines, cette durée n’est pour nous qu’approximative et nous tenons compte de cela dans la prudence de nos réponses. De même, sur les quantités de substances psychoactives consommées. Comme nos connaissances scientifiques actuelles ne nous permettent pas d’évaluer la dose minimale d’alcool capable de provoquer un effet toxique sur l’embryon, nous ne pouvons nous permettre de rassurer complètement ces femmes, mais il ne nous semble pas souhaitable non plus d’abonder dans l’inquiétude voire l’angoisse perçue au téléphone. Evidemment tout est relatif, une personne qui fait état d’une consommation d’une gorgée, nous allons pouvoir la rassurer sans problème, mais dès que nous sommes sur une consommation conséquente, même sur une seule fois, au-delà des 2 premières semaines, il nous est difficile d’affirmer haut et fort la non prise de risque pour le fœtus. Pour autant, il est indispensable de permettre à ces femmes de dédramatiser leur perception de ce risque car l’impact du stress pendant la grossesse ne sera pas négligeable. Nous allons bien sur chercher si nécessaire à l’orienter vers quelqu’un en qui cette personne ait confiance, si possible, médecin ou gynécologue et nous allons l’encourager à se confier sur cette inquiétude, même si nous savons combien il est plus difficile pour elle de dire cela à quelqu’un qu’elle voit en face à face, qu’elles seront peut-être amenées à revoir jusqu’à la naissance, que de se confier à un inconnu au téléphone qu’elles ne rencontreront jamais de leur vie. Toute la difficulté pour les professionnels du service est de gérer l’écart entre les informations diffusées dans des campagnes publiques sous forme de slogan bref et marquant « 0 alcool 9 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


pendant la grossesse » qui est reçue du grand public comme une interdiction plus que comme un principe de précaution et les situations individuelles qui nous sont relatées au téléphone. Il est nécessaire d’adapter ce discours de manière à ce qu’il puisse être audible et recevable par les appelants. Leur permettre de s’approprier la question du risque et de dissocier cette notion de risque et celle de dommage qui sont souvent confuses dans la perception commune. La subtilité de notre posture au téléphone est que notre discours ne soit pas compris comme une banalisation du risque mais qui ne vienne pas non plus renforcer la culpabilité chez ces femmes qui nous appellent dans la panique d’avoir mis en danger leur futur bébé. Un appel pour vous illustrer ce premier type de public, c’est une femme qui ne nous dira ni son âge, ni d’où elle appelle, ce qui est typique de ce type d’appels contrairement à d’autres, cette jeune femme enceinte à consommé de l’alcool en grande quantité à 5 semaines et à 9 semaines de grossesse. Elle souhaite savoir quels sont les risques pour le bébé. Elle a bu à 5 semaines de grossesse car elle venait d’apprendre que le père de l’enfant la trompait, elle avait décidé de ne pas garder le bébé, puis son petit ami l’a convaincue de garder le bébé. D’autres événements sont arrivés, à nouveau elle a ne pas souhaité garder l’enfant et a passé une soirée à boire de la bière à 9 semaines de grossesse. Elle dit qu’elle boit pour faire du mal au bébé comme ça elle n’aura plus le choix, elle sera obligée d’avorter. Elle nous appelle, elle souhaite entendre que l’alcoolisation amène de telles séquelles au bébé, qu’elle n’ait plus le choix. Un autre appel, elle est enceinte de 2 mois, elle l’a appris il y a une semaine, c’est une jeune femme de 21 ans, elle est en pleurs car voudrait arrêter de fumer le cannabis pour son bébé, et vient de prendre conscience que c’est difficile pour elle, elle semble avoir une forte dépendance psychologique. Elle dramatise la situation, l’écoutant essaie de la rassurer, lui conseille d’en parler à l’équipe médicale qui va la suivre pour sa grossesse et de ne pas rester seule face à son angoisse. Voilà pour ce premier type de public. La seconde catégorie concerne les personnes de l’entourage, ces appels ne concernent pas que le temps de la grossesse, notamment en ce qui concerne l’alcool ou le cannabis. Certaines personnes de l’entourage, la fratrie, la belle-mère etc. viennent nous questionner sur des comportements actuels d’enfants d’âges divers qui leur semble anormaux : difficulté d’endormissement, agitation etc. Et leur question est de savoir si ces comportements pourraient être la conséquence de la consommation pendant la grossesse. D’autres peuvent appeler pour vérifier si la consommation d’alcool et de drogue précédent la conception va avoir des conséquences psychologiques ou physiques sur le bébé à venir. Par exemple, ce monsieur nous appelle, il a eu une poly-consommation festive pendant une semaine et sa femme est tombée enceinte la semaine suivante. Il souhaite savoir si cela pourrait avoir des conséquences psychologiques sur l’enfant à naître. Un autre appel, cette dame a 32 ans, elle appelle pour sa sœur qui est enceinte de 9 semaines et a arrêté l’alcool depuis ce dernier week-end. C’est l’appelante qui l’a poussée à arrêter en la culpabilisant. Pourtant, elle se rend compte qu’elle boit encore un apéritif chaque soir quand son mari rentre. La troisième catégorie, ce sont des femmes qui nous appellent pour faire état de consommation régulière, voire quotidienne et importante. Elles attendent de nous un diagnostic ou une évaluation précise des risques pris. Nous sommes là dans la complexité de l’utilisation de l’information au téléphone. Toutes les informations que nous avons sur les conséquences de la consommation de produit licite ou non durant la grossesse ne peuvent être dites au téléphone. Notre difficulté est de savoir quelles sont celles que nous allons utiliser pour soutenir l’appelante à faire cette démarche si difficile d’aller en parler ailleurs qu’au téléphone. Il s’agit cette fois de grossesse à risque. Si le délai des 12 premières semaines n’est pas dépassé, elles nous appellent pour questionner l’idée d’interrompre cette grossesse. Comme cette femme de 28 ans de Loire-Atlantique qui consomme régulièrement depuis 5 mois amphétamine, LSD, cocaïne et alcool dont ¾ de bouteille de vodka tous les week-end, qui se croit 10 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


enceinte de 1 à 3 mois, elle ne sait pas précisément, et veut que nous lui disions quels sont les risques qu’elle fait prendre au fœtus. Encore une fois la question de l’avortement ne sera pas traitée par nos soins et nous tenterons dans ce type d’appel de soutenir l’appelante à trouver vers qui elle peut s’orienter pour être aidée sur cette décision. Ou un autre exemple, cette autre femme qui sollicitait l’écoutant pour qu’il lui fasse peur en lui donnant des informations pointues sur les risques concernant le syndrome d’alcoolisation fœtale car elle consommait depuis le début de sa grossesse et pas avant, tous les jours, une quantité importante de whisky et ne parvenait pas à réguler cette consommation. Ce couple avait déjà d’autres enfants, cette grossesse n’était pas attendue, son mari était absorbé loin de chez eux en plus de son travail pour finir la maison qu’ils étaient en train de se construire. Et cette femme ne parvenait pas à faire face seule à l’angoisse de cette énième grossesse, à la prise en charge de ses autres jeunes enfants mais ne supportait pas non plus son alcoolisation. Voilà un peu ce que les femmes nous disent au téléphone. »

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D’une injonction morale à une éthique d’accompagnement Philippe Lecorps – Psychologue – Consultant en Santé Publique - Rennes « Merci. Bonjour, Je remercie les organisateurs de me donner la parole sur une question qui a déjà été bien introduite, c’est-à-dire qu’on voit bien que nous sommes dans une situation qui, pour une part, est dramatique mais dont on n’a pas du tout les clés. C’est-à-dire que les clés nous apparaissent extrêmement complexes, nous apparaissent tenues par des sujets qui sont dans des difficultés de saisir les questions qu’elles se posent et nous sommes donc dans une nécessité non pas de leur tomber dessus avec encore plus d’injonctions et de mandements moraux, mais plutôt de construire avec elles un accompagnement qui leur soit utile. » La grossesse, un temps d’incertitude Vous conviendrez volontiers qu’en tant qu’homme, je n’ai pas l’expérience de la maternité, de cette relation étroite de la femme entre son corps, ses désirs, ses émotions, et encore moins de ce corps à corps intense de neuf mois avec un amas cellulaire qui va devenir un enfant. Je ne peux en parler que par oui dire. Une femme, philosophe, Michela Marzano nous guide vers la complexité chez la femme des enjeux du désir : « Le désir d’avoir un enfant, en effet, peut ne pas être seulement le désir d’engendrer, mais il peut aussi être le désir d’une femme de vivre dans son corps, l’expérience de la grossesse. En même temps, le désir de vivre une grossesse et de devenir mère peut aussi être le désir de faire naître une personne incarnée avec laquelle construire une relation d’amour » 1. La grossesse serait ainsi porteuse de richesse et d’interrogations. L’homme, époux, père, ami vit ce temps, de l’extérieur, comme compagnon de route. Son expérience reste donc indirecte. Pour autant, s’il écoute la femme, en ce moment où elle porte ce quelque chose qui va devenir quelqu’un, il entend à la fois les mots de l’espérance et ceux de l’angoisse. Qu’est-ce qui va, de mon ventre, venir au monde ? Le temps de la grossesse n’est pas toujours une sinécure c’est un temps d’incertitude à l’issue indécise. La maladie de l’enfant qui naît s’accompagne d’un sentiment de faute L’enfant désiré est toujours un enfant parfait, mais il arrive qu’il ne le soit pas. S’il est porteur d’une pathologie ou d’une déficience, la pente naturelle alors est de chercher le coupable. Dans son ouvrage, « Le sexe et l’Occident », Jean-Louis Flandrin2 écrivait qu’au Moyen-âge, l’arrivée d’un enfant malade ou handicapé était considéré comme la conséquence d’une faute de la mère. Déficience directement liée à la faute originelle dont tout humain est marqué dès la naissance, soit plus prosaïquement causée par une transgression des lois religieuses et de ses commandements, par exemple du fait d’une copulation réalisée à des moments interdits par les canons de l’Église. Aujourd’hui, en ces temps de « désenchantement du monde » 3, c’est-à-dire de « la fin de l’emprise organisatrice du religieux dans l’histoire des sociétés humaines », nous pouvons peut-être échapper au système de causalité imposé par la religion. En revanche, lorsqu’une pathologie survient chez l’enfant à la naissance, pouvons-nous nous affranchir de ce questionnement premier : qu’ai-je fait ? Le « qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour que ça m’arrive ? » se remplace par la question tout aussi forte : le mal dont l’enfant souffre ne serait-il pas la conséquence de mon insuffisante soumission à la science médicale et à ses ordonnances ? Curieusement, d’ailleurs, lors de la survenue d’un problème de santé à la naissance de l’enfant, la responsabilité de l’homme est rarement mise en avant par l’opinion, comme si seule la femme pouvait répondre du désastre .

1

Maria Michela MARZANO PARISOLI Penser le corps PUF, Questions d’éthique, 2002, p.49 Jean-Louis FlANDRIN, Le sexe et l’Occident, POINTS, Points histoire, 1986 3 Marcel GAUCHET, L’avènement de la démocratie. I. La révolution moderne. Gallimard 2007 2

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Les facteurs de risque ne sont pas des causes Pour que l’enfant naisse en bonne santé, la santé publique nous propose des conduites fondées sur l’évaluation des risques. Le risque, c’est l’application du calcul des probabilités aux affaires de vie, de mort et de santé pour guider les individus dans la gestion de leurs corps. Cette « sémantique macabre »4 selon l'expression de Jean de Kervasdoué, puise sa légitimité sur des études épidémiologiques reliant des faits, des conduites à la pathologie et à la mort. Dans le sujet qui nous occupe aujourd’hui, on n’oublie pas que la consommation d’alcool pendant la grossesse peut entraîner des risques pour le bébé, que la toxicité du produit se manifeste tout particulièrement au niveau du système nerveux central. Selon une étude de l’INSERM de 2001, entre 700 et 3000 nouveaux-nés seraient concernés par un syndrome d’alcoolisation fœtale grave. Ceci ne nous laisse pas indifférent. Pour autant, ajoute encore Jean de Kervasdoué, on n'insiste jamais assez sur le fait que d’une manière générale, « les facteurs de risque » (fumer, boire, conduire une automobile, trop manger...) ne sont pas des « causes de décès »; entre les uns et les autres il y a le temps, la maladie et la (mal)chance » 5. On ne peut pas faire comme si le risque n’existait pas, mais on ne peut pas faire comme si ces données statistiques probabilistes, calculées sur des grands nombres, s'appliquaient automatiquement et à tout coup au sujet singulier. On ne peut pas davantage fonder sur ces études probabilistes les normes comportementales qui vont s'imposer à chacun comme des absolus moraux exigeant compliance et soumission. Devant l’impossibilité de définir un niveau de consommation qui serait sans risque pour l’enfant6, on impose l’abstinence totale au nom du principe de précaution. Pour autant, est-il préférable d’imposer un absolu pour beaucoup inatteignable plutôt qu’un comportement même imparfait, mais humainement possible. C’est ce que propose Esther Duflo, professeur au Collège de France à propos de la prévention du SIDA : « Favoriser le contrôle du risque, c’est […] encourager à adopter un comportement moins risqué, mais pas forcément le moins risqué […]. Le choix consiste soit à recommander un comportement plus sûr, mais plus difficile (voire impossible) à mettre en pratique, soit un comportement peut-être moins sûr, mais davantage à la portée des individus ciblés. »7 C’est ce possible qui reste à déterminer au cas par cas dans l’accompagnement des femmes enceintes. La santé est souvent présentée comme le but ultime à réaliser, le bien le plus précieux, « mais ce bien là est étroitement lié au discours médical et le médecin n’est pas plus fondé que quiconque à imposer aux autres sa propre conception du bien » 8. Le projet de la médecine n’a d’efficacité que relayé par le choix du sujet lui-même. Pour éviter d'être malade, nous acceptons une somme étonnante d'interdits. La défense de la dimension biologique de la vie fonde la réorganisation nécessaire des façons de vivre. C'est la défense de la dimension biologique de la vie qui prend le pas sur la qualité de la vie. On peut se demander ce qui justifie tant de discipline.

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Jean de KERVASDOUÉ, Les prêcheurs de l'apocalypse. Pour en finir avec les délires écologiques et sanitaires. Plon, 2007, p.67 Jean de KERVASDOUÉ, ibid.p.68 6 Evolutions, N°15 juin 2008, INPES 7 Esther DUFLO, Le développement humain, lutter contre la pauvreté (I) La République des idées, Seuil, 2010, p. 91 8 Maria Michela MARZANO PARISOLI, ibid. p.109 5

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La science comme dogme Les avancées de la compréhension des mécanismes de la génétique, de la biologie, etc. nous imposent une compréhension de plus en plus précise du fonctionnement des corps et en l’occurrence des divers risques qu’une femme lors de sa grossesse peut faire courir au foetus. Il y aura toujours un hiatus entre nos désirs de production d’un enfant parfait et la difficulté d’assumer la complexité de l’héritage génétique, des échanges biochimiques et pour finir du développement cellulaire qui au bout du compte s’affirmera dans l’enfant réel. En revanche, nous partageons le rêve de créer un être sain et sans défaut et pour y réussir, la condition nécessaire et croit-on, suffisante, serait que la femme se soumette aux règles du corpus médical. Voilà le dogme nouveau qui s’impose à chacun et gare à qui n’y souscrirait pas ! Comme s’en plaint Miguel Benasayag : « Notre vie ressemble à une histoire clinique, à une histoire d'évitement de la maladie et de guérison à tout prix [...] Nous devons éviter un maximum de dangers, à tel point qu'on peut se demander si, dans la poursuite de ce fantasme […] il y aura une place pour une vie... »9 Le fantasme d’un réceptacle de fœtus sous contrôle On se préoccupe peu de ce que vit la femme en situation de grossesse. Il suffit qu’elle ne boive pas d’alcool pour protéger la vie de son enfant. Mais à trop insister ne risque-t-on pas de réduire la femme à ne se vivre que comme corps-réceptacle, dont elle doit pour le bien de l’enfant contrôler le fonctionnement ? Dans ce cas, poussons plus loin la réflexion. Peut-on sans risque confier la fabrication de nos enfants au ventre des femmes ? Certains chercheurs spécialisés dans le domaine de la reproduction estiment que le développement du foetus dans une matrice totalement artificielle garantirait à celui-ci un environnement beaucoup plus fiable et permettrait d’effectuer plus facilement, si nécessaire, les corrections et les modifications génétiques. Comme l’écrivait, par exemple dès les années soixante-dix, Joseph Fletcher, professeur d’éthique médicale à l’école de médecine de l’Université de Virginie : « L’utérus est un endroit obscur et dangereux, un environnement précaire. Il serait souhaitable que nos futurs enfants puissent se développer dans un milieu surveillé et protecteur » 10. En attendant patiemment ce moment de la technologie triomphante, il nous faut progresser avec ce qu’on a sous la main : un contrôle accru de la femme comme corps-instrument, corps-récipient pour la production des enfants. Et désigner la femme comme responsable et peut-être coupable de la qualité de l’enfant à venir. Au risque de scandaliser, à voir le pictogramme censé figurer sur les bouteilles de boissons alcoolisées, — [je vous invite d’ailleurs à le débusquer sur les étiquettes et à questionner vos hôtes sur le sens de cette micro figurine dont la dimension reflète la soumission narquoise des publicitaires] — on peut s’interroger sur son interprétation. Ce rond rouge barré incrusté sur la silhouette de la femme enceinte signifie-t-il qu’il ne faut pas boire ou suggère-t-il que le fait d’être enceinte est un risque trop important pour être couru ? Qu’est-ce qui est barré, le verre ou la femme enceinte ? On nous dit que selon le principe de précaution il ne faut plus boire, d’accord, mais est-ce que ce même principe ne devrait-il pas être convoqué pour recommander de ne pas être enceinte ? Donner la vie est un risque majeur. Si la femme boit durant sa grossesse de possibles troubles sur l’enfant peuvent survenir, mais au final, quoiqu’on fasse tout enfant à qui l’on donne la vie est voué à la mort. C’est ça la cruauté et la grandeur de la vie humaine. Les difficultés d’une biopolitique Dans ce projet légitime de protection des enfants à naître, l’Etat se trouve soumis à des exigences contradictoires : garantir la santé des populations et respecter le libre arbitre des individus. L’effort de propagande prendra deux directions améliorer la

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Miguel BENASAYAG, La santé à tout prix, médecine et biopouvoir, Bayard, 2008 p.10 Flechter J., The Ethics of Genetic Control, New York, Anchor Books,1974. cité par Maria Michela MARZANO PARISOLI, ibid. p.110

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compréhension du risque et promouvoir la culpabilisation comme moteur au changement de comportements. Le risque comme moteur du changement ? Peut-on communiquer efficacement à partir du risque ? À cet égard, Jean-Baptiste Fressoz11 analyse l’échec de la campagne de vaccination contre le virus H1N1. Il fait ressortir les limites du risque comme « technologie de conviction » 12 et de gestion des corps. « L’utopie d’une sphère publique centrée sur le risque et s’imposant à la conscience de tous les lecteurs raisonnables se dissout en une multitude de bulles qui jugent chacune selon ses critères et son environnement 13. » Ce sont moins les données statistiques apportées par les experts que les récits, les expériences des pairs qui contribuent à la fabrication de l’opinion individuelle. On voit alors la nécessité de sortir d’une communication verticale où la population docile recevrait passivement l’information probabiliste, au profit d’espaces d’échanges où se construirait une opinion acceptable. Les recommandations de J-B Fressoz ne pourraient-elles pas s’appliquer à notre question ? Il n’y a pas de « machine à convaincre » produisant en série des opinions univoques, la production d’opinions est artisanale, l’individu bricole avec des statistiques, des témoignages, des conseils d’amis et des avis d’experts. Mais alors, il convient d’aider le public à la compréhension des données statistiques, de ses conditions de production, des limites de leur fiabilité et pour finir prendre en compte les récits d’expériences. L’auteur nous invite à équiper le public, à inventer les technologies intellectuelles et démocratiques qui permettront la fabrication d’opinions éclairées. Je ne peux résister à présenter à l’appui de cette réflexion une partie du discours de notre président lors d’une conférence internationale dénonçant une « religion du chiffre » : « [Les statistiques] sont indissociables, d’une vision du monde, de l’économie, de la société, d’une idée de l’homme, de son rapport aux autres. Les prendre comme des données objectives extérieures à nous-mêmes, incontestables et indiscutables, c’est sans doute rassurant, confortable, mais c’est dangereux. C’est dangereux parce qu’on en vient à ne plus se poser de questions, ni sur la finalité de ce qu’on fait, ni sur ce que l’on mesure réellement, ni sur les leçons qu’il faut en tirer14 ». Il s’agit donc de reposer la question de l’alcool dans l’ensemble de la vie de la femme enceinte, et mettre en oeuvre des modalités d’accompagnement pour qu’elle puisse vivre ce moment crucial de vie. Le risque ne s’impose pas de soi. En revanche il s’agit d’accompagner les personnes concernées à construire une réponse singulière adaptée. Culpabilité et peur, moteurs du changement ? Si le risque ne fonctionne pas, peut-être la peur aurait son efficacité ? La femme s’engage dans la grossesse dans l’angoisse des effets d’externalité négatifs de sa conduite sur le devenir de son enfant. C’est sur la culpabilisation et la peur que les campagnes de prévention s’appuient dans un discours martial d’injonction, de prohibition totale de toute substance possiblement dangereuse. La peur comme socle de motivation. Lorsque l’Etat communique, il retrouve les accents pastoraux de l’Eglise d’autrefois. Au Moyen-âge, pour frapper les esprits de populations largement analphabètes et peu éduquées et les appeler à la conversion des mœurs, l’Eglise s’adressait à des peintres et leur commandait de somptueux tableaux représentant le jugement dernier où étaient proposés l’image de la félicité des élus et en contraste, défigurés par la souffrance et la haine, les visages repoussants et les corps tordus des condamnés brûlant dans les feux de l’enfer, du fait de leur mauvaise conduite. Le triptyque de Jérôme Boch au musée municipal de Bruges est à cet effet remarquable. Le tableau fonctionne comme une bande dessinée parfaitement lisible à tous et la conclusion va de soi, il faut préférer la bonne conduite ici-bas pour bénéficier là-haut d’une juste récompense. Au fronton de la cathédrale de Bourges d’affreux diablotins enfourchent les pécheurs et les 11

Jean-Baptiste FRESSOZ, Le risque et la multitude, réflexion historique sur l’échec vaccinal de 2009, www.laviedesidées.fr, 16 mars 2010 Jean-Baptiste FRESSOZ, Le risque et la multitude, Réflexion historique sur l’échec vaccinal de 2009, La vie des idées. Fr. Le risque comme « technologie de conviction » échoue 13 Jean-Baptiste FRESSOZ, ibid. 14 Nicolas SARKOZY extrait d’un discours prononcé lors de la conférence internationale de présentation des conclusions du rapport de la Commission de mesure de la performance économique et du progrès social. Paris, Grand amphithéâtre de la Sorbonne, 14 septembre 2009. cité dans la Lettre d’information de Pénombre, avril 2010—N°52 12

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plongent dans la marmite bouillante de l’enfer. C’est ainsi que la proposition nous est adressée, le salut par la bonne conduite. Toutes proportions gardées, c’est sur ce modèle que sont bâties les campagnes publiques de communication basées sur la présentation quasiment en direct de l’horreur des effets de l’inconduite, horreurs pour soutenir l’attention, les poumons atrophiés, les corps déchiquetés sur la route, etc Au final, a-t-on observé un changement, une évolution, une amélioration ? Peu ou pas du tout. Ceci tient à une dimension rarement abordée par la difficulté de sa prise en compte, dans les politiques publiques, la question du sujet, la question de celui qui mène l’action, ici, la femme enceinte. Vouloir maîtriser les conduites humaines par la peur, c’est vraisemblablement sous-estimer la capacité des humains à échapper à l’information qui les dérange. En effet, lorsque les dangers paraissent d’une insupportable gravité, on voit surgir des mécanismes de défense, voire de refoulement. Le concept de « réduction psychologique d’une complexité ingérable »15 de Niklas Luhmann rend compte de ces manœuvres psychiques plus ou moins conscientes qui amènent le sujet à sélectionner dans les discours proposés, les éléments lui permettant de continuer à vivre sa vie sans trop de bouleversements. Mobiliser la peur, ça ne marche pas. La liberté de la femme C’est la question de la liberté et de l’autonomie de la femme enceinte qui est en jeu. Est-elle libre de toute contrainte ? La question de la liberté est bordée à deux extrémités, celle de la femme comme sujet singulier, et celle de la femme comme membre du monde commun. La femme, sujet singulier La naissance nous force à vivre, à agir, à créer, à croire, mais aussi nous condamne à l’angoisse tout en nous donnant la possibilité de la supporter, mais certains parmi nous ressentent la nécessité de disposer de moyens (alcool, tabac, drogues) qui leur apportent une paix provisoire. La femme enceinte n’échappe pas à cette difficulté. Elle n’est pas réductible à un réceptacle apte à la production d’enfant. C’est une femme vivant la vie possible pour elle. Il nous faut en tant que professionnel reconnaître la femme enceinte comme un sujet qui ne se réduit pas à un corps, c’est un « corps-sujet » vivant une vie, dont le bon état du corps biologique n’est qu’un élément et pas toujours prioritaire16. Le projet du sujet singulier est celui de l'affirmation de son être : « Je suis ce que je suis. La seule question à laquelle je dois répondre est : quelle puissance puis-je déployer, étant donné ce que je suis, ce qui me traverse ou me convoque dans les situations où j'habite ?17 » Si la femme boit, fume, use de drogues, ça n’est pas pour rien. Sa conduite est une réponse provisoire à une question dont le sens n’est pas immédiatement accessible, ni à elle-même, encore moins à son entourage. Malgré les meilleures intentions du monde et les bonnes raisons invoquées, l’imposition du sevrage peut tuer si la question du sens de l’aliment – qu’on peut appeler alcool, tabac, drogue, produit, substance et que sais-je encore – et des bénéfices par lui procurés n’est pas travaillée. C’est une nécessité pour que les promesses de la substitution aient des chances d’être tenues ! Le sevrage est une coupure qui exige de poser la question du monde d’avant, celui où la consommation de produit nourrissait le sujet, le maintenait en vie, le dynamisait suffisamment pour lui permettre de supporter, au moins partiellement, le monde commun dans lequel il a été jeté et s’efforce de vivre. On ne peut sans risque, inviter quelqu’un à abandonner les conduites qui structuraient ses jours, sans construire avec lui une contrepartie. La question qui nous est posée est celle de la mise en place d’espaces d’accompagnement où cette question du sujet puisse être parlée et travaillée à la mesure des possibilités de la personne concernée.

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Cité par Michael POLLAK, Les homosexuels et le sida, Sociologie d’une épidémie, A.-M. Métaillé, 1988, p.98 Ph. LECORPS, J-B. PATURET, ibid, Presses de l’EHESP éd. 1999, p34 17 Miguel BENASSAYAG, ibid. p.39 16

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La femme partenaire d’un monde commun La femme, sujet autonome, ne peut se construire sans une référence permanente à l’autre : « le je naît toujours du tu »18. Son autonomie s’oppose à l’hétéronomie, c’est-à-dire à une loi imposée par les dieux, les autorités, les parents, les institutions. Pour autant, l’autonomie n’est pas la négation de l’autre, n’est pas une liberté pure, mais dans le dialogue et la confrontation, la co-construction de soi et de l’autre. Ainsi, toute liberté est limitée par le souci de protéger la liberté de l’autre. Nous le savons, « notre liberté ne peut justifier aucun acte dommageable pour autrui. Le principe d’autonomie, dans le cas où une décision a des conséquences pour les autres, cède la place au principe de bienfaisance et à celui de non-malfaisance (primum non nocere, c’est-à-dire d’abord ne pas nuire)19. » L’autre, l’enfant à naître n’a bien sûr pas encore voix au chapitre, mais il est là et réclame qu’on se soucie de lui. La liberté de la femme ne peut se concevoir sans tenir compte des « capabilités » essentielles à son développement. Cette expression d’Amartya Sen20 souligne que les libertés représentent des choix dont l’individu dispose dans la réalité. Or quelle est la réalité dans laquelle baignent les personnes soumises à la nécessité de boire ? La prévention ne gagnerait-elle pas à élargir avec les personnes les espaces de liberté face à la contrainte du boire, plutôt que de s’épuiser dans des messages injonctifs mortifères ? À la différence du médecin ou de l’épidémiologiste, nous ne savons pas à l’avance ce qui est bien pour la personne. En revanche, nous pouvons créer les conditions de rencontre intersubjective, organiser en confiance l’espace et préserver le temps nécessaire au sujet pour intégrer les informations et assumer les choix possibles pour lui. Passer ainsi de l’injonction morale exigeant la soumission à un accompagnement du sujet reconnu dans sa capacité éthique de développer à son rythme, en lien avec les autres qui l'entourent, sa capacité de vivre et de protéger la vie qui vient.

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« Je m’accomplis au contact du Tu ; c’est en devenant Je que je dis Tu. Toute vie véritable est rencontre » ; « Au commencement est la relation » M.BUBER, La vie en dialogue,Paris, Aubier-Montaigne, 1959, p.13 et 18 19 Maria Michela MARZANO PARISOLI, ibid. p.136 20 « La capabilité est par conséquent, un ensemble de vecteurs de fonctionnement qui indique qu’un individu est libre de mener tel ou tel type de vie » Amartya Sen. Cité par Esther DUFLO ibid. p.11 17 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


Mère négligente, mère abusive, les représentations de la femme usagère de drogues Laurence Simmat-Durand – Sociologue et démographe – Université Paris Descartes « Bonjour, Je vais vous présenter un extrait d’un travail collectif issu d’un ouvrage intitulé « Mère négligente, mère abusive », c’est un travail sur des femmes usagères de substances, plus particulièrement d’héroïnomanes ou de femmes placées sous traitement de substitution aux opiacés, donc je vais dire des femmes toxicomanes parce que c’était aussi le vocabulaire qui était utilisé sur le terrain. Que sait-on des femmes qui consomment des substances du type héroïne pendant la grossesse ? Dans la littérature, on considère que ces femmes ont tous les stéréotypes d’une « mauvaise mère » : elles ne seraient pas en capacité d’être une bonne mère, elles ne se seraient pas occupées du bien-être futur de leur enfant, de l’enfant tout court, elles sont à la recherche du plaisir, à la recherche de leur produit, donc l’enfant n’a pas de place dans leur vie. Ces femmes font souvent l’objet d’une stigmatisation, et en général les consommations pendant la grossesse font l’objet de stigmatisation, mais comme toutes les consommations chez les femmes. Il est bien plus difficile de concevoir, par exemple, l’alcoolodépendance chez une femme que chez un homme. Ces femmes font l’objet de stigmatisations et plus encore lorsqu’elles sont enceintes, puisqu’elles mettent en danger leur fœtus. Le contexte est souvent punitif même si, en France, on ne peut pas dire qu’il y ait des textes qui, spécifiquement, permettraient d’incriminer une femme pour usage de stupéfiants pendant la grossesse. Ce n’est pas le cas au niveau international. Il existe des endroits punitifs, notamment aux Etats-Unis, où la consommation pendant la grossesse est directement incriminée comme le fait de fournir des stupéfiants à autrui, c’est quasiment du trafic de stupéfiants, c’est de la fourniture, cela peut amener des obligations de soins vis-à-vis des femmes enceintes (comme au Canada), mais aussi des mesures d’emprisonnement. Exemple, il y a dans la littérature des procès où des femmes ont été mises en prison pour qu’elles cessent la consommation de stupéfiants pendant la grossesse et donc des pratiques de signalement aux services de l’aide sociale à l’enfance, du moins aux services semblables aux Etats-Unis. Signalement avant la naissance, ce que nous ne pouvons pas faire en France, car il faut attendre la naissance de l’enfant pour faire un signalement. La séparation des mères et de leurs enfants est malheureusement une des conséquences les plus attendues dans ce type de consommation. Aux Etats-Unis, pour les enfants pris en charge dans les services d’aide à l’enfance, 2/3 des femmes avaient été convaincues d’usage d’alcool ou de stupéfiants par des tests après la naissance, dans les services hospitaliers. Ces pratiques de tests amènent un signalement de la femme comme consommant des substances illicites pendant la grossesse. La littérature comporte toutes sortes de traces de ces préjugés négatifs, ou de la difficulté de la prise en charge. Je démarre avec les propos d’une infirmière dans une recherche sur « Femme toxicomane et sida ». Le contexte était quand même celui d’une femme qui avait contaminé son enfant car elle était elle-même contaminée et usagère de stupéfiants. C’était un contexte très difficile, mais on retrouve quand même cette idée, actuellement dans les propos de gens de terrain ou de personnes qui sont un peu extérieures à la périnatalité. Alors, ce que je vous présente c’est une enquête de terrain sur le sujet du signalement et du placement d’enfants de mère toxicomane. C’est une enquête locale sur un département de la région parisienne qui avait été faite en collaboration avec le Groupe d’étude grossesse et addictions présidé par le Pr Claude Lejeune. L’enquête de terrain portait sur le placement des enfants de mères toxicomanes, limitée à un seul département afin d’entendre tous les intervenants et ne pas se contenter d’une seule entrée, par l’hôpital, 18 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


par la justice, par l’aide sociale à l’enfance, par les centres de soins aux toxicomanes mais de parler avec tous les acteurs de terrain, tous ceux qui avaient à un moment donné à faire avec une femme qui était repérée pendant sa grossesse comme consommant ou qui avait des enfants jeunes et où une décision de placement pouvait être faite à un moment donné. Le point de départ est un centre hospitalier, j’ai donc rencontré toutes les personnes concernées. Une méthodologie assez classique en sociologie, c'est-à-dire que les personnes parlaient et je leur demandais « Que faîtes-vous quand une femme vous déclare qu’elle consomme une substance illicite pendant sa grossesse ? ». Chaque intervenant la sage-femme, l’assistante sociale, le médecin, le gynécologue… me répondaient « Moi je travaille avec untel… » et tous les noms et toutes les structures qui étaient cités, ont été enquêtés. J’ai également fait une observation dans un centre de soins pour toxicomanes auprès de femmes toxicomanes, à qui on avait pris les enfants. J’ai réussi à les mettre de manière raisonnable devant un magnétophone. J’ai énormément d’observations, de situations, de prises de notes sur des propos tenus par d’autres femmes. Mais au niveau de la recherche, il n’est pas très facile de trouver des femmes qui acceptent de parler de ces situations, de dire « Oui, je vais vous raconter ma vie, oui on m’a pris déjà deux enfants ». J’ai pu rencontrer y compris les juges, car certaines femmes que j’ai rencontrées m’ont dit « Oui, mon enfant est placé mais cela se passe très bien avec le juge ». J’ai donc rencontré ce juge. Donc, tout à fait sur le même principe et non pas de manière aléatoire. Alors quelques résultats, souvent contradictoires, qui sont sans doute le reflet de ces préjugés. Ce n’est pas une façon caricaturale de présenter des résultats mais je suis un peu obligée de vous présenter des extrêmes pour refléter la variété des propos qui m’ont été tenus. Première chose, la grossesse est tout d’abord présentée soit comme peu investie, et cela rejoint les données sur les suivis de grossesses inexistants ou insuffisants. Dans la littérature médicale à propos des femmes toxicomanes (un peu moins sur les femmes substituées), vous trouverez toujours la variable suivante : elles font très peu suivre leur grossesse. Soit la grossesse est décrite comme surinvestie, soit elle est décrite comme idéalisée, sur un mode magique devant résoudre le problème d’addiction de la mère. La grossesse peu investie, est une grossesse, qui est souvent découverte tardivement. Avec la prise d’opiacés, la femme n’a pas forcément de cycle, elle découvre tardivement sa grossesse, c’est le cas également avec l’alcool. Des grossesses découvertes tardivement, c’est parfois le premier clignotant pour le service de maternité avec la femme qui arrive et qui dit « je ne savais pas que j’étais enceinte ». Voici des propos de trois femmes avec des situations très différentes. Ce que j’ai retenu dans les propos de la 1ère femme, qui était enceinte et toxicomane : « J’étais enceinte de 5 mois et toxicomane et je ne m’étais même pas aperçue que j’étais enceinte ». Ce sont des femmes avec des suivis de grossesse inexistants ou insuffisants. Ce qui est important, c’est que ce mauvais suivi de grossesse, va être le 1er clignotant, voire un signe précurseur d’un danger pour l’enfant, d’un danger de maltraitance. On rejoint les circulaires sur la protection de l’enfance, disant que « dans les services de maternité, on doit prendre garde aux grossesses non suivies comme éventuellement un signe précurseur ». La grossesse est également décrite comme idéalisée, elle sert à remplir un vide. On trouve dans les discours des puéricultrices, des sages-femmes, dans les services de maternité, l’idée que l’enfant peut être un substitut pour la mère, que la mère aime bien être enceinte, que ça remplit le vide, que le vide rempli par le produit va être rempli par l’enfant. L’enfant devient le médicament de la mère, l’enfant devient peut-être une occasion de sauver la mère, un enfant salvateur qui va être un déclic, qui va tout réparer. Souvent dans ces cas-là, l’enfant va être présenté comme un déclic essentiel à l’arrêt de la prise du produit. Dans les centres de soins pour toxicomanes les propos tenus considéraient plutôt la femme que le point de vue de l’enfant et celui de la protection de l’enfance. Les professionnels pensaient que tout ce qui fait du bien à la mère peut-être bénéfique à l’arrêt de la prise de produit. 19 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


En conséquence de cette dualité sur la grossesse, l’enfant est décrit soit comme collé, soit comme lâché : d’un côté le danger de fusion, de l’autre côté le danger d’abandon. L’enfant « lâché » : la 1ère peur est que l’enfant ne reçoive pas les soins adaptés et cette peur est d’autant plus forte que l’enfant est très jeune, c’est un nouveau-né, avec par exemple des questions au niveau de l’alimentation : est-ce qu’elle va lui donner assez à manger et à boire, ne va-t-elle pas l’oublier ? L’idée d’un enfant oublié, par exemple une mère qui serait tellement prise dans la drogue, dans la recherche du produit qui pourrait oublier totalement le fait qu’il y ait un bébé. Des représentations assez courantes, elles ont été alimentées très récemment avec des jeunes parents et les jeux sur Internet où il fallait s’occuper d’un bébé, ils en ont oublié le vrai. C’est typiquement ce qui frappe l’imaginaire et qui nous est rapporté après. Dans la littérature, une façon d’exprimer cela c’est d’utiliser la notion de discontinuité. Il y aurait une discontinuité du fonctionnement parental sous l’effet du produit dans la recherche de celui-ci avec des périodes de très fortes proximité et d’autres périodes de très fortes indisponibilités. Mais en même temps, j’ai souvent eu l’impression qu’on voulait en demander plus à ces femmes qu’on en demandait aux femmes ordinaires, car l’expression qui est revenue le plus souvent dans les entretiens était « Elle n’est pas disponible 24h/24h », mais on ne peut pas être disponible 24h/24h », mais c’est ce qui était projeté « Elles ne sont pas disponible 24h/24 donc ce ne sont pas des mères suffisantes ». A contrario, l’enfant peut-être décrit comme surinvesti. On change de professionnels, on est plus dans des centres de soins, enfant qui va être collé, qui va présenter des retards d’acquisition, qui ne peut pas grandir normalement parce qu’il y a une fusion avec la mère qui ne lui laisse pas d’espace d’autonomie. Beaucoup de professionnels m’ont décrit au moment des 8 mois de l’enfant, les problèmes de fusion qui empêchent l’enfant de devenir autonome, de commencer son autonomie de manière raisonnable. L’autonomie est rendue impossible à cause de la pathologie de la dépendance. Le problème, c’est que la période de la séparation de l’enfant va être une période très difficile à vivre. Dans beaucoup de récits, on voit que la mère prend le produit ou se réalcoolise au 8ème mois de l’enfant. Donc deux discours juxtaposés qui ne se superposent pas, ce ne sont pas les mêmes professionnels qui me disent qu’il va être « collé » ou qu’il va être « lâché » selon l’endroit où on se trouve, on voit que les représentations vont d’un bout à l’autre sur une sorte de continuum mais elles sont plutôt très tranchées. On se positionne soit d’un côté, une mère négligente, soit de l’autre côté, une mère abusive. Ces positions, ces discours dépendent du milieu professionnel. On aurait d’un côté les professionnels de la maternité et de l’enfance et de l’autre côté, ceux du soin aux toxicomanes, mais c’est plus compliqué que cela. Ce que j’ai relevé aussi c’est que le type de discours va être très dépendant de la proximité de l’intervenant à la mère dans son travail. Ces deux discours qui se juxtaposent aboutissent finalement à une double impasse : la maternité serait un risque pour l’enfant et un moyen de réadaptation de la femme. Si la femme est trop distante, on la considèrera comme nuisible, si elle est trop proche on la considèrera comme trop engagée nuisant à l’autonomie de l’enfant. Il n’y a donc pas de solution. La difficulté de la prise en charge est réelle pour les soignants. Ils ont le sentiment d’un investissement à perte ou celui d’impuissance. Ils se sentent isolés, disqualifiés, et n’arrivent pas à remplir leurs missions.

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Exemple : Une puéricultrice à domicile est tellement happée par les problèmes de la mère qu’elle ressort du domicile et s’aperçoit qu’elle en a oublié de regarder l’enfant. En conséquence, elle se disqualifie, elle dit qu’elle est incapable de faire son travail, qu’elle ne sait pas faire avec ces femmes. D’autant plus que ces professionnels ont peur des conséquences, des conséquences de leurs décisions. Ils ont peur du danger pour l’enfant, aussi du danger de signaler, parce qu’ils ont peur que cela enclenche quelque chose. Ils sont piégés par ces situations. J’ai observé que la réponse en réseau semble la plus adéquate pour éviter l’isolement et pallier le manque de formation mais ce travail en réseau nécessite une collaboration et non une juxtaposition. Sur le département étudié, il y avait trois réseaux qui fonctionnaient côte à côte avec un peu de juxtaposition mais pas forcément. J’ai trouvé des femmes qui n’étaient suivies par aucun réseau et puis il y avait des femmes qui étaient tellement prises en charge par le réseau qu’on me décrit une femme qui a beaucoup de mal avec les rendez-vous, elle ne s’organise pas… Et l’assistante conclut ; on a décidé de faire une réunion et de se mettre tous autour d’une table et là il y avait 8 assistantes sociales. Le maillage est efficace mais ce n’est pas non plus une façon de travailler, le réseau ce n’est pas un empilement de professionnels qui vont donner chacun des rendez-vous… Et ce ne sont pas totalement des cas isolés car j’ai lu dans des dossiers judiciaires, notamment pour des femmes qui ont eu des enfants dans plusieurs départements et qu’elles se retrouvent avec un éducateur et l’aide sociale à l’enfance dans chaque département pour chacun de leurs enfants, et avec une assistante sociale de la maternité parce qu’elles sont enceintes, un CSST parce qu’elles consomment… donc on ne s’en sort pas. » Référence ouvrage « Grossesses avec L’Harmattan, 2009

drogues.

Entre

médecine

et

sciences

sociales »

-

Dr

Simmat-Durand,

21 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


Paradoxes et enjeux psychiques de la grossesse et de la période périnatale Dr Michel Maron – Praticien Hospitalier service psychiatrie Adulte – CHRU de Lille « Bonjour, Je vais évoquer les paradoxes et les enjeux psychiques pendant la grossesse et la période périnatale. Il y a des choses que je vais reprendre, c’est inévitable, car on parle en réseau, d’une voix commune, et je remercie le travail qui vient d’être présenté qui montre déjà beaucoup de choses. Pour vous rassurer, autant il y a des gens qui trouvent bizarre que les femmes dépendantes accouchent dans les hôpitaux normaux, autant il y a des gens qui trouvent anormal même que des malades mentales accouchent quelque soit l’hôpital. En réfléchissant à ce que j’allais dire aujourd’hui, j’ai ouvert un peu mes écoutilles. Récemment j’étais dans le métro et j’écoutais deux femmes dont l’une avait le ventre arrondi et l’autre, sa voisine, lui disait « C’est bien ! C’est un garçon ou une fille ? ». La première femme lui répondait « Non, c’est la bière ». En réfléchissant sur cet aspect paradoxal qui peut exister, je vais soulever des paradoxes qui sont présents pendant la grossesse, pendant l’attente d’un enfant. Le 1er paradoxe : la vision qu’on a d’une femme qui attend un enfant ou qui a un enfant, et la vision qu’elle peut avoir d’elle-même. Et cela me semble fondamental car derrière cette idée « bébé, fille, garçon ou bière », il y a quelque chose d’important. En regardant cette amie qu’elle connaissait certainement depuis longtemps, mais pas suffisamment, on pouvait soupçonner que dans cette femme, qui buvait apparemment pas mal de bière, pour la personne qui était avec, il y avait un bébé. Cette confusion entre les deux, je la trouve très intéressante. Pour développer ces enjeux psychiques, je voudrais insister sur un point important : Je n’ai pas beaucoup de connaissances gynécologiques et obstétricales, donc voilà comment je vois, et peut-être vous aussi, un bébé : un bébé c’est rose, ça naît tranquillement. C’est formidable, lorsque l’enfant parait, il y a quelque chose de magique qui est en train de se faire. Lorsque l’enfant est là, il y a quelque chose de magique qui est en train de se dérouler. En allant en maternité et en écoutant les consultations psychiatriques prénatales des femmes, des couples, des femmes enceintes en souffrance, en les écoutant, on va retrouver partout ce décalage, entre d’une part, ce qu’on voit d’une femme enceinte avec ce bébé qui est derrière, même si on a une notion de ce qu’est la naissance, de ce qu’est la vie, et puis à côté, d’autre part, ce que la mère elle-même voit de l’enfant. Etant psychiatre, je vois forcément des personnes qui ne vont pas à priori bien puisque sinon on ne me les adresserait pas. Il y a de la souffrance, c’est ce que je vois le plus souvent, et si moi je vois ce bébé, j’essaie de me dire comment se représenter ce que voit la mère. Cela a été signalé tout à l’heure : la 1ère chose dont on est sûr pour une grossesse, dont on est sûr pour un enfant, comme la 1ère chose dont on est sûr pour soi-même : « Je suis sûr que un jour dans la vie je vais mourir » - « Je suis sûr que le bébé qui vient de naître un jour, il va mourir ». Après bien sûr, il y a un tas de mécanismes psychiques qui vont se mettre en place et on va construire l’existence pour retarder au maximum ce moment, pour essayer de faire en sorte qu’il y ait une vie entre la naissance et la mort et que cette vie soit la plus agréable possible et c’est plutôt bon signe quand on essaie de la défendre dans ce cas là. Ce n’est pas forcément toutes les personnes que je vois, un suicidaire va vouloir en général abréger cela. Qu’est-ce que voit la femme enceinte ? Voilà ce qu’elle voit : c’est son enfant, c’est sa vie, c’est en fait tout ce qui est convoqué au moment où elle est enceinte. Elle voit des tas de choses qui sont finalement cette espèce de constellation autour du bébé et qui vont être au moment de cette naissance au travers du bébé un lieu de projection, comme un écran, où va se projeter toutes les préoccupations qui existent, qui sont logiques. Ces préoccupations appartiennent à la vie psychique, logique, de n’importe quel individu. On n’est pas tout le temps en train d’y penser ; même une femme qui n’est pas enceinte, n’est pas forcément entrain d’y penser. Même si la femme est 22 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


multitâche (penser à plusieurs choses en même temps), l’homme lui est monotâche (pense à une seule tâche à la fois), ce qui n’est pas simple dans les couples, encore moins dans les couples où il y a des conduites de dépendances qui sont rarement des conduites de dépendance unique. La femme n’est pas l’homme, la mère n’est pas le père. Les préoccupations de l’une ne sont pas nécessairement les préoccupations que l’autre va avoir car il voit les choses différemment. Je vais soulever un certain nombre de paradoxes qui entourent cette naissance, mon but est de poser un tableau, je vais parler de ce qu’on pourrait appeler une « grossesse normale ». Lorsque je dis grossesse normale, je vois le spectre de mon professeur d’obstétrique lorsque je faisais mes études, qui me disait « Est-ce que cela existe une grossesse normale ? ». Qu’est-ce que c’est une grossesse normale ? Ce serait une grossesse singulière, une grossesse propre, une grossesse qui permet aux femmes de vivre quelque chose du domaine de l’expérience, et pas une grossesse qui obéirait à une norme. De la même façon, une femme enceinte n’est pas malade, et toutes les grossesses, naissances, accouchements et le post–partum ne se déroulent pas forcément mal. De la même manière, on sait aussi qu’il y a des consommations de produits toxiques qui ne vont pas nécessairement conduire à une dépendance. Quand je vois un patient et que je le questionne sur sa consommation alcoolique par exemple, il boit un verre de vin par jour, deux verres de vin par jour, je vous signale que le Pr David Khayat a rappelé dans un ouvrage « le vrai régime anti-cancer » que deux verres pour les femmes, trois verres pour les hommes de vin par jour, est un régime tout à fait intéressant, sans doute en raison des propriétés anti-oxydantes de l’alcool. Et nos patients à côté vont nous dire, « Je bois comme tout le monde ». Donc, un certain nombre de paradoxes : Le 1er est que la naissance est quelque chose de banal. Si nous sommes ici, sauf exception, nous sommes tous nés. On a peut-être aussi tous une expérience de la naissance. Mais en même temps, la naissance, c’est bouleversant dans le sens où cela met les choses dans un autre ordre, et cet autre ordre, c’est quoi, c’est que finalement il y a quelque chose qui est entrain de se jouer, c’est banal, mais c’est bouleversant. 2ème élément, c’est que la naissance est quelque chose de normal. C’est un passage obligé pour venir, cela obéit à certaines règles, cela obéit à certaines lois. Tout le monde s’attend à ce que cela se déroule à un moment ou à un autre, mais en même temps il faut qu’on le surveille. Cela renvoie à ce que vous disiez tout à l’heure, à l’aire de la toute puissance médicale, il faut pouvoir tenter de garantir que quelque chose se passera bien du point de vue obstétrical, gynécologique, de la maladie. De gros progrès ont été réalisés au niveau de la mortalité infantile des femmes enceintes et des femmes en couche. Cette normalité surveillée va maintenant être surveillée d’un point de vue psychique. On peut décrire un certain nombre de mythes : - 1er mythe : la femme enceinte est radieuse. C’est toujours beau, c’est formidable ! Mais non ! Une femme enceinte n’est pas obligatoirement radieuse, elle a le droit aussi d’être ce qu’elle est. - 2ème mythe : l’instinct maternel. Lorsque l’enfant naît, la mère saurait d’emblée ce dont son enfant a besoin et alors elle sait tout faire. - Autre mythe : le parent parfait. C’est le pire parent qui puisse exister pour un enfant, cela met la barre très haut pour l’enfant. Pourquoi j’inclus ces mythes dans la surveillance, parce qu’on va nous-mêmes projeter un certain nombre de choses de notre vécu, de notre subjectivité sur les attentes que nous avons sur telle ou telle femme qui est enceinte ou telle ou telle maman. Oui, peut-être que ce qui est bon pour la mère est bon pour le bébé, que ce qui n’est pas bon pour la mère n’est pas bon pour le bébé, ou que ce qui n’est pas bon pour la mère est peut-être bon pour le bébé et inversement, et tout cela est possible. Le maître mot est l’ambivalence. L’ambivalence fait que lorsqu’un évènement heureux arrive, une femme peut dire « Super d’être enceinte… mais quelles responsabilités ! » Et de la même manière « Qu’est-ce que c’est dur d’être enceinte, d’avoir à envisager la responsabilité d’un petit être, mais quel instant merveilleux ! » Dans cette ambivalence, il y a de la responsabilité, mais il y a aussi de la place

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pour quelque chose. Ce n’est pas par hasard si la femme est enceinte. Est-ce que c’est par hasard qu’une femme a des conduites de dépendances ? Ce n’est pas non plus par hasard. Cela commence à nous renvoyer vers l’histoire intérieure de cette femme, histoire personnelle, une histoire qui est intime qui la relie à son passé, dont sa consommation, mais qui la relie aussi dans la relation qu’elle va avoir avec son enfant. C’est personnel, mais alors dès qu’il se passe quelque chose qui n’est pas conforme à ce qu’on aurait l’habitude d’attendre, la collectivité s’en empare, la collectivité peut soutenir, la collectivité est convoquée. En maternité, on estime qu’entre les soignants de tous types, il y a 14 intervenants différents qui viennent se croiser dans cette chambre, chacun avec ce qu’il est, avec son histoire, ils n’ont pas affaire à une malade, mais les intervenants viennent avec leur façon de faire, leur opinion… Et après la naissance, au retour à la maison, il y a la famille notamment la mère, la belle-mère, les cousins, qui interviennent et qui disent « Tu devrais faire comme cela moi, moi j’ai fait comme-ci, ou comme ça », et après il faut faire plaisir à tout le monde. La naissance d’un enfant, cela concerne une collectivité, la famille, et puis ensuite cela va concerner l’ensemble de la société. La société est responsable. La naissance est un évènement banal, mais qui finalement est un risque, parce qu’une grossesse c’est quelque chose dont on ne contrôle rien. Qu’est-ce qu’une femme peut faire pour contrôler sa grossesse ? Qu’est-ce qu’une femme peut ne pas faire pour améliorer sa grossesse ? C’est peut-être un peu différent quand une femme a des conduites dépendantes, des prises de risques. Qu’est-ce qu’elle peut faire pour que l’enfant se développe d’une manière ou d’une autre ? Cette grossesse est une période de transition qui va de son côté mettre en jeu les instances psychiques intérieures. Heureusement, 9 mois c’est court, mais 9 mois c’est long pour faire tous ces changements, des changements qui vont nous conduire de cet état d’être enfant de sa mère, à mère de son enfant, avec tout ce que cela va modifier, ces changements intérieurs, qui pour certains ont été assimilés aux changements qui ont été vécus à l’adolescence. Je fais aussi un parallèle entre ces comportements d’adolescent, cette dépendance à l’autre, à un objet, et ces comportements addictifs qui se rapprochent donc par certains côtés à des comportements qui sont ceux des adolescents. Voilà que cette femme enceinte se retrouve dans des comportements qui vont être ces comportements d’ajustements, d’essais, d’erreurs. Une période de changements, de bouleversements, de transformations, car les transformations que va vivre cette femme enceinte vont re-convoquer à l’intérieur d’elle-même ce qu’était sa mère, elle quand elle était enfant, son père, le père du bébé, toutes ces choses là pour essayer d’ajuster au maximum la manière dont cela va se passer : pour elle d’abord, en début de grossesse, pour son enfant ensuite, lorsque les mouvements actifs commencent à révéler que l’enfant est présent. Là encore, cela vient tardivement. Au départ, lorsqu’il y a un désir d’enfant, il vaut mieux que ce désir d’enfant soit pour soi. Je suis des femmes en aide médicale à la procréation et quand on évoque le désir d’enfant, elles me disent souvent « Avoir un enfant c’est pour lui. Non, c’est pas pour moi », comme si c’était une faute de vouloir faire un enfant pour soi. Alors, je leur dis « Si vous voulez un enfant et que vous ne voulez pas que cet enfant soi pour vous, faites-le et donnez le à quelqu’un d’autre, vous savez il y en a plein qui en veulent ». Il faut ce narcissisme, il y a quelque chose qui vient de soi, et c’est quelque chose qu’on ne peut pas négliger. Surtout lorsqu’on parle de pathologie narcissique de la personnalité qui peut souvent se retrouver chez des personnes qui sont dépendantes, ce narcissisme est important. C’est parfois aussi une période d’invention où le manque de sécurité conduit à avoir des conduites particulières pour établir un équilibre. Il faudra inventer ce nouvel équilibre de vie avec un enfant, si possible seul, mais avec des gens qui s’en mêlent. Ce nouvel équilibre de vie, c’est d’être une mère, processus pour être mère, plusieurs choses, plusieurs points : il faut être une femme. C’est la concrétisation que la femme « est capable de », elle est née avec un outillage et ça marche. C’est négocier avec soi, négocier avec son histoire, avec ses parents, renégocier sa position avec sa famille. Le temps de grossesse, c’est le temps de préparation pour la rencontre avec le bébé, découvrir son enfant, pouvoir progressivement être une mère, heureusement cela prend 9 mois, sauf quand la révélation est tardive. Tout cela pour réussir à sécuriser le bébé car il en a besoin, il faut lui donner cette force. Et tout cela dans la disponibilité, pas 24h/24, mais en ajustant et pouvoir reconnaître ses besoins, en étant psychiquement disponible, et c’est important de pouvoir être présent pour ces femmes qui ont d’autres 24 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


préoccupations, pour pouvoir se débarrasser de ces préoccupations, et de pouvoir les aider à être plus centrées sur le bébé. Ce qu’on veut avant tout, c’est les aider à être une mère. Je vous remercie. »

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L’utilisation d’auto-questionnaires de dépistage des situations à risque médico-psychosocial en maternité Justine Gaugue – Psychologue clinicienne – Service pédiatrie – Centre Hospitalier Armentières - Excusée Le Dr Laurent Urso remplace Justine Gaugue, ne pouvant être présente. « Bonjour, Je vais reprendre le travail de Justine Gaugue et du Dr Fline, gynécologue obstétricien au CHRU de Lille, qui a été réalisé sur les maternités Jeanne de Flandres et Paul Gellé pendant deux ans, sur l’élaboration et l’évaluation d’un auto-questionnaire chez environ 2000 femmes sur les deux maternités. Comme l’a dit le Dr Vanhee, environ 5% des femmes ont des conduites de consommation à risques visà-vis de l’alcool, notamment pendant la grossesse et 1% d’enfants sont atteints de troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Pourtant en consultation en addictologie et à la maternité, on ne voit pratiquement pas ces patientes. Avec Justine Gaugue et le Dr Fline, notre ambition était de réfléchir à un outil pour qu’on puisse plus facilement les repérer, d’où l’idée d’un hétéro-questionnaire puis ensuite d’un auto-questionnaire. Cela fait suite à toutes une série de recommandations, notamment en 2003 de la Société Française d’Alcoologie sur la nécessité de repérer les femmes pendant la grossesse. L’idée est d’obtenir un outil standardisé acceptable par un maximum des patientes, rapide, pratique et surtout fiable. Malgré tout, lorsqu’on rencontre les professionnels des maternités, la 1ère remarque que l’on nous fait: « On n’a pas le temps, les consultations sont courtes, et prendre en charge ces patientes prend beaucoup de temps ». Allier le systématique et la prise de temps, c’est assez incompatible, d’où l’idée de l’auto-questionnaire. Je vais aborder plusieurs points : ‐

L’élaboration de l’auto-questionnaire : comment sommes-nous arrivés à l’élaboration de cet auto-questionnaire ?

Comment le faire passer : comment sommes-nous arrivés à ce type de passation ?

Quelle a été l’évaluation à grande échelle, les conclusions de cette évaluation ?

L’idée d’un auto-questionnaire est de pouvoir évaluer les situations à risque comme la consommation à risques, notamment vis-à-vis du tabac, alcool et drogues, les victimes de violences, l’isolement social, l’entourage…

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AUTO-QUESTIONNAIRE

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L’idée était que toutes ces questions puissent tenir sur une page avec une cotation assez visible. Ceci pour que ce soit visible pour le praticien, la sage-femme qui rencontre la patiente en consultation. Le professionnel peut alors ranger la feuille dans le dossier et en cas de décrochage, le professionnel voit les items qui peuvent poser problème. Le second travail avec l’élaboration du questionnaire a été de savoir comment faire remplir le questionnaire. Est-ce qu’on donne directement le questionnaire à la patiente et elle le remplit en salle d’attente et le donne au professionnel ? Ou elle le remplit et le renvoie de chez elle ? Est-ce qu’elle le passe avec le professionnel ? Alors cela devenait un hétéro-questionnaire. Nous avons réalisé une étude de faisabilité sur 100 patientes. Il y a une très nette différence de retour des dossiers : ‐ 8/10 questionnaires remplis seules dans la salle d’attente sont rendus au praticien, ‐ 30% des questionnaires remplis à domicile sont renvoyés, ‐ La ½ des questionnaires remplis avec le praticien. Dans ce cas, la réponse est toujours la même, « Cela prend beaucoup de temps de poser les questions les unes derrière les autres. » Donc, le choix est une systématisation, lorsque la patiente arrive à sa 1ère consultation à la maternité, l’agent administratif donne le questionnaire à la patiente. La patiente qui attend toujours quelques minutes remplit assez vite le questionnaire. De plus maintenant, la maternité qui est maternité « Amis des bébés » a réalisé un autre questionnaire sur l’allaitement. Le questionnaire permet de mettre en avant des situations à risques médicaux-psycho-sociales. A plus grande échelle, une étude a été réalisée avec la maternité Jeanne de Flandres soutenue par le Dr Fline. Dans cette 1ère étude de faisabilité, on s’est aperçu que les patientes répondaient bien au questionnaire, notamment 2 ou 3 qui avaient répondu de façon positive sur les questions de l’alcool. Le questionnaire était anonyme et on trouvait dommage de perdre cette information et de ne pas pouvoir retrouver ces patientes. Donc à plus grande échelle, il a été décidé de le proposer de façon nominative. On se rend compte que le faire de façon nominative n’a absolument pas changé les réponses des patientes. On a même eu un peu plus de retours de questionnaires. Ensuite, on a évalué le « taux de satisfaction » des professionnels de santé sur ce questionnaire. La validation de cet auto-questionnaire s’est faite par l’acceptabilité par les patientes, par les praticiens et il y a eu un score CAPA qui n’est pas parfait mais qui permet de corréler le dossier obstétrical avec ce que la patiente répond notamment dans cet autoquestionnaire. Il y a assez peu de perte de questionnaires, un taux de réponses de 88%, ce qui est exploitable. ‐

Pour le tabac, il n’y a pas de différence entre le dossier et l’auto-questionnaire. On retrouve 20% de patientes qui répondent positivement à l’auto-questionnaire. Le score de concordance est excellent et on se rend compte que seulement 12% des patientes sont adressées en consultation de tabacologie.

Pour l’alcool, on se retrouve avec les réponses sur le dossier de 0,1%. La difficulté du dossier obstétrical est que les questions ne sont pas très addictologiques « Est-ce-que vous consommez de l’alcool oui, un peu, moyen, beaucoup » et comme le disait un intervenant auparavant notre représentation du beaucoup, moyen est très variable d’une personne à l’autre. Alors que l’usage à problème est très marginal dans le dossier. Dans l’auto-questionnaire, on trouve un taux de réponse de 4,1%. Le taux de concordance est mauvais en défaveur du dossier obstétrical et meilleur en faveur de l’auto-questionnaire. Pourtant si 71 % des patientes ont répondu « Oui, je consomme de l’alcool pendant ma grossesse » aucune n’est arrivée en consultation d’addictologie.

Même chose pour les toxiques, on a une bonne corrélation du fait de la souffrance liée au sevrage. Les patientes n’ont pas envie que leurs enfants souffrent et subissent les mêmes symptômes qu’elles donc, quand elles ont des consommations à risque même occasionnelles pendant la grossesse, elles le signalent à la maternité. 28 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


Pour la dépression, on retrouve un score élevé, ce score n’est pas validé puisque que c’est une partie du score EPDS mais malgré tout, avec ces 4 questions, on a 3 à 4 réponses positives pour 12% patientes, pour les violences conjugales 10%.

L’évaluation des praticiens a été excellente, tous souhaitent prolonger l’essai. A la maternité de Roubaix et je pense aussi à celle de Lille, cet auto-questionnaire est devenu pérenne et on le réalise. Cela permet de repérer les patientes et éventuellement de les prendre en charge. L’idée c’est que derrière tout cela, derrière ce repérage des femmes enceintes, il y a assez peu de consultations avec des psychologues, avec addictologues, spécialiste tabac… et que donc une équipe spécialisée en addictologie qui aurait un 2ème regard, et puisse récupérer ces questionnaires, relire et être plus fin dans le repérage. Merci».

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En périnatalité, la synergie entre la gynécologie obstétrique/la pédiatrie/l’Addictologie et la PMI. L’expérience roubaisienne Christine Lemasson – Cadre supérieure sage-femme – Maternité Paul Gellé – Roubaix Dr Laurent Urso – Chef de service d’Addictologie – Centre Hospitalier La Fraternité Roubaix « Ce diaporama a été réalisé en coordination avec Christine Lemasson qui est sage-femme cadre à la maternité Paul Gellé de Roubaix. La maternité de Roubaix est souvent mise en avant et beaucoup disent « Oui vous avez de l’expérience, oui vous avez des gens qui fonctionnent bien, etc. ». C’est vrai, on a beaucoup de chance, je suis le premier à le reconnaître, mais c’est aussi un travail de longue haleine qui dure depuis 30 ans, et je pense que le travail que font Sylvie Gadeyne et Marie-Ange Testelin, à travers les formations, permet aussi au fur et à mesure des années d’essaimer une culture commune. Il y a également des travaux qui se font dans les maternités de Boulogne-sur-Mer, de Tourcoing. Cela prend beaucoup de temps, mais c’est la succession de professionnels qui permet que cela devienne possible. Ce contexte roubaisien en 2010 devient possible parce qu’il y a eu depuis 30 ans une série de professionnels très compétents qui ont pu travailler sur ce thème et faire bouger les représentations. C’est une prise en charge en réseau mais surtout qui ne se limite pas au 9 mois de la maternité. Lorsque l’on rencontre la patiente pour la première fois au 5, 6, parfois 7ème mois et bien elle sait qu’elle va être prise en charge de la même façon après la grossesse, et c’est extrêmement déculpabilisant pour elle d’être prise en charge en tant que femme, en tant que patiente ayant des difficultés avec des substances et pas uniquement en tant que mère pour protéger l’enfant. Donc, il y a cette patiente qu’on a repéré et on va lui proposer une prise en charge spécifique, mais aussi pluridisciplinaire et coordonnée avec un réseau, une mutualisation. L’objectif est de lutter contre les professionnels qui se sur-ajustent comme un millefeuille et deviennent inefficaces avec des doubles discours auprès des patientes. Il faut que la patiente se sente entourée avec un discours unique. Rapidement, des réunions pluridisciplinaires ont vu le jour à partir de 1985, et à partir de 1995 pour ce qui est du fonctionnement. L’équipe est pluridisciplinaire : des pédiatres, gynécologues, addictologues, infirmières, sage-femme, PMI… L’objectif est d’utiliser les différents outils que l’on a en notre possession, notamment l’autoquestionnaire, un secrétariat coordonnateur et une prise en charge sur mesure avant et après la naissance, avec un suivi au plus proche de la patiente. On a l’avantage d’être très proche les uns les autres, de bien se connaître, d’avoir une réelle confiance entre les professionnels. Néanmoins, l’idée est de mettre un peu d’huile dans le système pour que le fonctionnement se passe mieux. L’idée est d’avoir plusieurs relectures. La prise en charge est toujours en urgence (la patiente peut être reçue dans les 24h), les sevrages peuvent se faire à la maternité, en addictologie, en hôpital de jour, en ambulatoire… C’est la patiente totalement libre qui est au centre du soin, et non pas le soin qui est au centre et la patiente qui subit ce soin. Concrètement, environ 30% des patientes sont elles-mêmes victimes d’exposition prénatale, avec des cursus perturbés, des pertes d’emploi, des consommations de substances… Ce qui rajoute des difficultés dans la prise en charge. Suivre ces femmes après la maternité est nécessaire, notamment par une prise en charge au CAMSP. Il y avait une étude qui avait été faite il y a quelques années au CAMSP sur 22 mères, 8 maris et 59 enfants et sur leur devenir à 7 ans. C’est parce qu’on prenait en charge ces mères à l’intérieur des CAMSP, avec une structure très transversale, que l’on pouvait diminuer les comorbidités associées. Les mères devenaient abstinentes, pouvaient accéder à l’abstinence dans le CAMSP. On a constaté un arrêt de la violence et les enfants qui naissaient à la suite n’étaient plus placés. Il y a une reproduction transgénérationnelle de ces mères : l’arrière-grand-mère, la grand-mère et l’enfant et cette intervention

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coordonnée au fil des années permettait de rompre la transgénération pour 1 cas sur 2. Ces enfants deviennent adultes, eux-mêmes ont subi une exposition prénatale. Nous sommes en train de réaliser une étude de cohorte d’enfants nés entre 85 et 86 sur 155 enfants. Sur une étude de 16 enfants, on en a retrouvé 13/16 et on s’est intéressé à ce que les mères étaient devenues 25 ans plus tard : 1 mère est décédée, 2 sont très handicapées, 2 sont gravement malades… On voit que c’est extrêmement important de repérer ces mères pour l’enfant mais aussi pour elles-mêmes car ce sont des mères qui risquent de mourir jeunes, qui vont avoir des difficultés à prendre leur place de mère… Et donc, va se créer un cercle vicieux qui va s’entretenir. Il y a vraiment un intérêt à repérer ces mères pour elles-mêmes d’abord. »

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La place de la PMI dans la prévention et la prise en charge de la femme enceinte présentant des conduites addictives Dr Aimée Djebara – Gynécologue - UTPAS Villeneuve d’Ascq 1- HISTORIQUE ET RAPPEL DES MISSIONS DE LA PMI Face à une situation sanitaire fortement dégradée, la France se dote à l’issue de la seconde guerre mondiale, grâce à l’ordonnance de 1945, d’un véritable programme de santé publique en faveur des femmes enceintes et des enfants de moins de 6 ans. La Protection Maternelle et Infantile est officiellement créée. Dans chaque circonscription d’action sociale et médicosociale est prévu un centre PMI pour l’organisation de consultations prénatales et infantiles. Le principal objectif est la lutte contre la mortalité périnatale et infantile. Son application est efficace puisque la mortalité infantile passe de 50°/oo à 18,2°/oo en 1970. Cependant en 1960, un autre enjeu de santé publique persiste, celui des handicaps liés à la grossesse et aux circonstances de l’accouchement. La lutte contre la mortalité cède le pas à la lutte contre la morbidité. Les examens obligatoires de l’enfant, gratuits dans les centres PMI, ont pour objectif une prise en charge précoce des enfants porteurs de handicaps. Des infirmières puéricultrices sont recrutées pour participer aux consultations infantiles et assurer des suivis à domicile. La loi du 4 décembre 1974, qui crée des postes de sages-femmes de PMI, vient renforcer le dispositif pour lutter plus précocement contre la prématurité et développer l’aide pré et post-natale à domicile. Parallèlement sont créés les centres de planification et d’éducation familiale pour assurer à toutes les femmes l’accessibilité des mesures modernes de maîtrise de la fécondité. La loi du 18 décembre 1989 précise le rôle du Département en matière de prévention médicale, sociale et psychologique auprès des familles. Elle décline les missions de la PMI : ‐ Accompagner les jeunes et futurs parents dans leur fonction parentale ‐ Veiller au développement harmonieux des enfants de 0 à 6 ans ‐ Participer à la prévention et prise en charge de tout mineur suspecté de maltraitance La loi du 5 mars 2007 réformant la loi de protection de l’enfance, conforte le rôle de prévention précoce du service de PMI. 2- ROLE DU MEDECIN EN CONSULTATION PRENATALE DE PMI Avant la grossesse L’activité des consultations PMI concerne la femme en période d’activité génitale. Nous pouvons être sollicités en dehors de la grossesse pour : ‐ Une demande de contraception ‐ Un dépistage d’infections sexuellement transmissibles ‐ Un problème de stérilité ‐ Une consultation préconceptionnelle Ces consultations sont un moment privilégié pour faire une enquête sur le mode de vie des consultantes et leurs consommations. Elles sont l’occasion d’une information sur les conséquences materno-fœtales des intoxications par le tabac, l’alcool et les autres drogues. Le tabac peut provoquer des dysménorrhées, des cycles courts et irréguliers, on sait qu’il est responsable d’hypofertilité féminine et masculine De même l’alcool et les opiacés sont responsables d’aménorrhée et troubles de l’ovulation. On essaye de motiver les patientes en rappelant la réversibilité à l’arrêt de l’intoxication. Enfin, on sollicite la participation du partenaire (quand cela est possible), le futur père est invité à la consultation, il a un grand rôle à jouer.

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Prise en charge des femmes enceintes La consultation prénatale PMI est un service public ouvert à tous, particulièrement destiné aux femmes enceintes en situation de précarité et de vulnérabilité. Le suivi est assuré jusqu’au 7ème mois de grossesse en l’absence de pathologie. Les femmes enceintes peuvent contacter directement la consultation ou bien sont adressées par d’autres professionnels : ‐ Les autres professionnels PMI : par exemple la sage-femme de PMI conseille la consultation à une femme qu’elle a rencontrée dans le cadre d’une déclaration de grossesse tardive ‐ Les professionnels du service social départemental : une assistante sociale lors d’un entretien pour une aide, a constaté l’absence de suivi prénatal ‐ Les maternités (le service des urgences notamment) ‐ Les médecins généralistes ‐ Diverses associations 1) L’addiction n’est pas connue ou parfois suspectée : Le premier examen prénatal est très important. Il y a d’abord une mise en confiance, on utilise des phrases simples qui ne soient pas négatives ou qui ne jugent pas, en expliquant que le but du suivi prénatal est qu’à l’accouchement maman et bébé soient en bonne santé ! ‐ Si les questions concernant le tabac, le cannabis ou les autres drogues se posent en général sans difficulté, les réponses sont à peu près claires, les patientes savent souvent qu’il y a des traitements de substitution, ‐ Il n’en est pas de même pour l’alcool ! Longtemps sujet tabou, le médecin avait des difficultés à l’aborder. Les patientes elles-mêmes sont moins franches, sont souvent dans le déni, elles manquent de motivation ou ont peur du jugement. ‐ Il n’est pas rare d’avoir à prendre en charge des poly-consommatrices. ‐ Le dossier obstétrical utilisé dans la région et distribué avec le carnet de santé maternité est un bon support pour aborder ces problématiques. L’entretien psychosocial du 4ème mois, proposé systématiquement à toutes les femmes enceintes, est un temps supplémentaire accordé pour aborder les consommations de substances toxiques pour la mère et l’enfant à naître. 2) L’addiction est connue : quelle prise en charge ? La qualité de l’accueil est déterminante pour le reste de la grossesse. Le premier temps de la consultation est consacré au suivi prénatal proprement dit : ‐ Examen clinique, réalisation du frottis cervical de dépistage du cancer du col ‐ Prescription des examens biologiques et cytologiques et réalisation des prélèvements au centre ‐ Prescriptions échographiques ‐ Prescriptions médicamenteuses pour correction des carences vitaminiques (acide folique, calcium, vitamine D….) Dans un deuxième temps, la question de la prise en charge d’une addiction est abordée. ‐ Parfois certaines patientes sont conscientes des risques et nous informent de la diminution voire de l’arrêt total de la consommation de tabac ou d’alcool depuis quelles savent qu’elles sont enceintes ! ‐ Pour les autres une information est donnée sur les risques et les conséquences de l’addiction sur la grossesse et le nouveau-né en rappelant toujours notre objectif : l’abstinence et le bien être psychologique. Le tabac est connu pour augmenter le risque de fausse-couche, de grossesse extra-utérine, de prématurité. Le risque malformatif fœtal (fente labio-palatine) est augmenté, il y a plus de retard de croissance intra-utérin, de mort fœtale in utero. De même pour le cannabis et les opiacés. L’alcool est la première cause de handicap mental non génétique à la naissance. Il y a un risque augmenté de fausse-couche, de prématurité, d’hématome rétro-placentaire, de retard de croissance intra-utérin. 33 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


Drogues et alcool nécessitent une prise en charge des syndromes de sevrage chez le nouveau-né. Le suivi médical ultérieur dépend du produit consommé, de l’importance de la consommation et du degré de la dépendance. Un relais immédiat par l’équipe de la maternité s’avère nécessaire s’il s’agit de drogue dure ou d’alcoolisation sévère. On explique à la patiente que sa grossesse est à haut risque médical et que cela nécessite une prise en charge pluridisciplinaire. Elle est informée que l’équipe de la consultation prénatale PMI ne l’abandonne pas pour autant, et reste disponible pour toute problématique. Dans certains cas, on propose un suivi parallèle. Pour les patientes dont le suivi médical peut se poursuivre en PMI, on constate qu’elles sont souvent seules, le partenaire n’est pas investi, ou absent, un entretien est proposé avec la conseillère conjugale et familiale. Une orientation vers le service de prévention santé départemental pour une aide au sevrage est proposée, les professionnels de ce service ayant une formation spécifique à l’aide au sevrage. Le relais avec l’équipe médico-sociale de l’unité territoriale est mis en place sous la responsabilité du médecin chef de service PMI : ‐ Suivi à domicile par la sage-femme de PMI ‐ Contact avec la puéricultrice pour prévoir le suivi du nouveau-né à domicile et en consultation infantile PMI En fonction de l’évaluation de la situation, le médecin chef de service PMI peut solliciter l’intervention du service social départemental, voire du service de l’aide sociale à l’enfance. L’équipe périnatale du CMP enfant du secteur peut être sollicité également. Le travail de l’équipe de la consultation prénatale PMI se poursuit après la naissance. On insiste auprès de la patiente sur l’importance d’une consultation post-natale, en effet le post-partum est une période fragile, notre rôle est de s’assurer de la bonne prise d’une contraception, adaptée au mode d’allaitement et au souhait de la patiente. Parfois, malheureusement nous n’arrivons pas à convaincre ces femmes de réduire ou d’arrêter leur consommation : manque de motivation ou inconscience par rapport aux prises de risque ? 3- CONCLUSION La grossesse est un moment privilégié pour oser évoquer certains sujets délicats, Grâce à l’ensemble des professionnels présents (sage-femme, infirmière, conseillère conjugale, secrétaire), la consultation prénatale PMI permet au médecin: ‐ D’être disponible et d’offrir une consultation médicale humaine et chaleureuse ‐ D’assurer une orientation spécialisée précoce, avec un encadrement médico-psycho-social Dans l’avenir, nous souhaitons continuer à progresser dans la prise en charge des femmes enceintes présentant des conduites addictives par l’approfondissement de nos connaissances et par le développement d’un réseau de proximité pour une facilitation des relais nécessaires.

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La place de la PMI dans la prévention et la prise en charge de la femme enceinte présentant des conduites addictives Mireille Durut – Sage-femme de PMI – UTPAS « Bonjour, Je me présente, je suis sage-femme en PMI depuis 4 ans après un parcours hospitalier de 20 ans à la maternité Paul Gellé à Roubaix. Je vais vous parler de la place de la sage-femme PMI dans la prise en charge de la femme enceinte présentant des conduites addictives. Je vais faire un petit rappel des missions de la sage-femme PMI, le contexte de la première rencontre et ce que je peux proposer comme prise en charge et relais. Les missions de la sage-femme PMI : Elle participe à la promotion de la santé maternelle et infantile sur le territoire d’une UTPAS (Unité Territoriale de Prévention et d’Action Sociale), c’est ce qu’on appelait anciennement les circonscriptions. Elle est habilitée à assurer la surveillance médicale prénatale et elle participe aux consultations de proximité, elle assure des visites à domicile pour les grossesses à risque médical et/ou psychosocial, mais pas d’intervention au titre d’hospitalisation à domicile. Elle analyse les vulnérabilités psychosociales et elle introduit si nécessaire d’autres professionnels de l’UTPAS pour l’accompagnement de la femme et la préparation à l’arrivée de l’enfant. Exemple : évaluation des risques de maltraitance, de dépression, les grossesses peu ou pas investies, les grossesses peu ou non suivies. Elle développe des actions individuelles et collectives auprès des femmes enceintes et des futurs parents, dont la préparation à la naissance, l’allaitement, la contraception… Dans ce cadre, la sage-femme PMI est amenée à prendre en charge des femmes enceintes présentant des conduites addictives. Le pavillon Paul Gellé est la seule maternité hospitalière sur mon secteur, puisque je suis sur les UTPAS de Roubaix-Centre et de Roubaix-Croix-Wasquehal ce qui m’amène à travailler fréquemment en collaboration avec celle-ci… La première rencontre peut se faire lors d’un entretien du 4ème mois que je propose sur les lieux de consultations de PMI, ou à domicile. Je les propose toujours en couple, mais il s’avère que les futurs papas y sont peu présents. J’ai constaté que les questions concernant le tabac, le cannabis ou les autres addictions se posent assez facilement, mais l’alcool reste un sujet tabou, c’est assez difficile à aborder. J’arrive à en parler systématiquement en posant une question ouverte « Est-ce que quelqu’un vous a déjà dit que l’alcool était dangereux pour le bébé ? ». Quelquefois, elles ont besoin d’être rassurées par rapport à leur consommation avant d’avoir connaissance de la grossesse. Je prends le temps d’expliquer un peu les risques des différentes addictions sur la grossesse et le bébé. Je leur dis qu’elles peuvent profiter de la grossesse pour essayer de commencer un sevrage. Quelquefois l’attente d’un enfant provoque un déclic et un arrêt spontané, il arrive parfois aussi qu’elles se présentent en consultation pour une demande de prise en charge. Il m’est déjà arrivé aussi d’orienter un papa qui s’alcoolise, après un entretien en couple. La première rencontre peut aussi avoir lieu lors des consultations de PMI. Aller à domicile, c’est s’imposer dans l’intimité de la femme et de sa famille, la démarche n’est pas toujours acceptée, j’essaie d’insister, c’est important pour moi, pour avoir un aperçu des conditions de logement, des conditions de vie, de l’environnement familial, du soutien éventuel que la femme peut y trouver. Ca permet aussi d’avoir un regard sur le bien-être, la bien-traitance des enfants. Tous les avis de grossesse sont adressés par la CAF aux UTPAS. Nous proposons des visites à domicile systématiques en cas de déclarations tardives, si l’âge de la maman nous interpelle, (les moins de 20 ans par exemple), ou aux familles connues du service social ou de la PMI. Je les rencontre aussi à la maison suite aux auto-questionnaires de maternité ou suite aux réunions grossesse et addictions auxquelles je participe à la maternité Paul Gellé.

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Il m’est déjà arrivé d’avoir une liaison directe par le service d’Addictologie de l’hôpital de Roubaix, par exemple lorsqu’une femme enceinte se présente dans le service de méthadone et que la grossesse n’est toujours pas prise en charge, à ce moment-là j’essaie d’être présente pour le rendez-vous suivant. Pour la prise en charge et le relais : Pour le tabac, je propose un accompagnement lorsque la dépendance n’est pas trop importante (formation à l’Institut Pasteur), et je les accompagne à domicile. Sinon, j’oriente sur une consultation d’aide au sevrage tabagique au SPS de Roubaix. Pour l’alcool et les autres addictions, je mets en place un relais ou plutôt un travail en collaboration avec la maternité et les autres partenaires. Je tiens à souligner l’importance du travail en réseau. Je propose un suivi de grossesse dans une consultation obstétricale de grossesse à risque, je prends un premier rendez-vous dans le service d’Addictologie de l’hôpital de Roubaix, je propose un accompagnement à domicile ou par défaut sur les lieux de consultations ou d’hospitalisation. Dans l’idéal, il faut essayer d’aller à domicile, pour avoir un aperçu des conditions de vie, mais ce n’est pas toujours accepté. Si nécessaire, je participe aux synthèses organisées avec les différents professionnels concernés pour évaluer les conditions du retour à la maison de la mère et de l’enfant. Il arrive malheureusement qu’une information préoccupante soit transmise au pôle enfance/famille et qu’il y ait intervention du service d’aide sociale à l’enfance. Dans tous les cas, j’essaie de maintenir le contact, même si le sevrage semble impossible à mettre en place car il est très important de réussir à passer le relais après la naissance. En fin de grossesse, je leur présente la puéricultrice du secteur lors d’une visite à domicile commune, celle-ci leur rend visite en maternité en suites de naissance et le relais à domicile est plus facilement accepté. Mon rôle s’arrête souvent après l’accouchement, je les revois en général une fois en maternité ou chez elles, je fais alors le point sur le relais mis en place, la contraception, je vérifie ultérieurement que la visite post-natale est bien effectuée. En conclusion, certaines femmes refusent l’intervention de la sage-femme PMI, je n’ai pas de clé pour m’imposer, j’essaie de les rencontrer par hasard, sur un lieu de consultation afin de me présenter. Elles sont toujours touchées qu’on puisse leur manifester de l’intérêt, de l’inquiétude, elles s’en souviennent parfois plus tard et acceptent un suivi lors d’une grossesse ultérieure, par exemple. Il est important d’établir une relation d’écoute, de confiance et sans jugement, pour créer ou maintenir le lien. Lorsque le lien est tissé, le relais avec l’équipe PMI et le service social de l’UTPAS peut enfin se mettre en place pour un accompagnement global à long terme de la famille. C’est une grande satisfaction pour tous et c’est là que le travail prend tout son sens. »

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Le tabac pendant la grossesse, des actions professionnelles efficaces Conchita Gomez – Présidente de l’ANSFTF – Sage-femme tabacologue – Centre Hospitalier d’Arras Dominique Legroux – Sage-femme libérale – Lens Valérie Desmarchelier – Sage-femme cadre – Centre Hospitalier d’Hazebrouck Edwige Dautzenberg – Sage-femme – échographiste tabacologue – Versailles Conchita Gomez « Je vais vous présenter les actions de communication que l’on mène au sein de 2 associations : Association Nationale des Sages-Femmes Tabacologues de France (ANSFTF) et l’APPRI Maternité Sans Tabac. APPRI Maternité Sans Tabac existe depuis 1984, au départ l’association était destinée aux étudiantes sages-femmes à des fins pédagogiques (mise à disposition d’une bibliothèque et carte à photocopies) puis les missions se sont élargies aux professionnels de santé et au grand public, notamment à la femme enceinte. Les Sages-Femmes Tabacologues, association créée en 2005 suite à la conférence de consensus grossesse et tabac. Quelques chiffres très rapides en termes de prévalence : Des années 70 aux années 2000, en 30 ans, la prévalence du tabagisme pendant la grossesse a été multipliée par 3. L’alcool, 1000 SAF par an, déclarés en France. Concernant le cannabis, la France est en tête des 27 pays Européens, si la dépendance existe avant la grossesse, il y a de fortes chances que cette dépendance continue pendant la grossesse. L’addiction pergravidique est un risque important qui nous confère la légitimité de nos actions. L’évolution des petits poids de naissance en France depuis 1990, les nouveau-nés ayant un poids de naissance inférieur à 2500g représentaient 5,6% en 1990 contre 6,6% en 2003. Malgré les progrès de prise en charge de la grande prématurité la médecine obstétrico-pédiatrique n’a pas suffisamment avancée dans le domaine de la prévention du dépistage et de la prise en charge concernant les addictions féminines. Ces 2 associations ont mutualisé leurs moyens. Les missions communes sont : - Diffuser auprès des femmes enceintes une information la plus éclairée possible sur les bénéfices et les effets délétères de l’alcool, tabac et cannabis - Soutenir et accompagner les professionnels de la périnatalité (besoin d’être formé à différentes techniques de communication, besoin d’avoir des outils pour faire une information, un repérage, un dépistage ainsi qu’une prise en charge lorsque cela est nécessaire) - Organiser la formation initiale et continue - Etre partie prenante dans le débat public Depuis 2005, nous essayons d’avoir une communication qui soit éthique et responsable auprès des jeunes parents. Cet engagement se décompose en 5 axes : - Prévention - Formation - Pédagogie - Communication - Partenariat Ce matin le débat tourne surtout sur l’importance du travail en réseau. En effet, il n’est pas possible de travailler seul. Au sein de l’hôpital, l’accent est mis sur le en collaboration inter-service. En effet, la préparation de toute certification ou par exemple la création d’un pôle mère-enfant nécessite la collaboration de plusieurs services. Le programme APPRI Maternité Sans Tabac trouve sa légitimité avec 37 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


le Plan Cancers 2003, dont les deux mesures 8 et 10 (lutter contre le tabagisme des femmes enceintes) puis en 2004 avec les recommandations de l’ANAES (aujourd’hui la Haute Autorité de Santé). En 2005, APPRI-Maternité sans tabac crée la première charte Maternité Sans Tabac comportant 10 points essentiels. Cette charte existait déjà au niveau Européen. Les 10 points sont : - Sensibiliser - Informer - Populariser la mesure - Evaluer - Définir les plans stratégiques - Prendre en charge - Etablir un plan d’aménagement - Promouvoir l’allaitement maternel - Former - Encourager Nous avons également réalisé des campagnes de sensibilisation destinées aux étudiants sages-femmes (affiche et dépliant : « Se positionner face au tabac en tant qu’étudiant sage-femme », distribués à 4000 exemplaires dans les 34 écoles de sage-femme en 2008). Une autre campagne de sensibilisation destinée aux sages-femmes (« Devenir sage-femme et décider d’être non-fumeuse »). On souhaite que ces affiches ne soient pas consensuelles mais impactantes et fassent réfléchir sur les modèles pré professionnels et professionnels. Le 18 janvier 2010, deux actions de communication ont été primées par le « Quotidien du médecin » : l’affiche « Choisir d’être sage-femme – Décider d’être non fumeuse » et l’affiche « Pour connaître votre taux d’intoxication et augmenter vos chances d’arrêter : inspirez, soufflez ! ». A Montpellier, nous avons réalisé les 10ème rencontres nationales de l’APRRI et l’ANSFTF et avons donné la parole à 6 écoles de sages-femmes qui ont présenté leur programme de formation et de pédagogie. En partenariat, l’ANSFTF et APPRI Maternité Sans Tabac diffuse auprès des 22 000 sages-femmes et ceci depuis 3 ans un programme de sensibilisation sur les effets délétères des addictions pendant la grossesse. En effet, nous participons à la création du coffret sage-femme du Collège Nationale des Sages-Femmes. La thématique du premier coffret sage-femme était le « Sevrage tabagique pratique », le deuxième sur « l’allaitement maternel » en abordant les addictions et le troisième thème sur « la contraception ». L’élargissement du droit de prescription des sages-femmes à la contraception implique de connaître des contres indications relative et absolue liées au tabagisme. En terme de communication destinées aux sages-femmes et étudiants sages-femmes articles ou supports ont été réalisé : « Profession sage-femme : le guide de la prescription sage-femme » sur les traitements nicotiniques auprès des 22 000 sages-femmes ; chaque année dans l’agenda de la périnatalité de Family Service diffusé à 30 000 exemplaires plusieurs communications sont réalisées soit sous forme de communiqué, de messages impactants, d’information sur les formations et annonces des rencontres de l’APPRI-Maternité sans tabac et l’ANSFTF. La plaquette « Vous êtes ici dans une maternité sans tabac » diffusée dans les salles d’attente des maternités. Mise au point, par des sages-femmes tabacologues, cette plaquette permet à la femme enceinte de faire un bref test de Fagerström pour évaluer sa dépendance au tabac. La femme enceinte peut noter ce qui la motive et ce qui la démotive pour arrêter de fumer et permet à la sage-femme de démarrer sa consultation à partir d’éléments centrés sur la femme enceinte et donc de lui proposer une prise en charge adaptée. Les 18 et 19 Mai 2010 se sont déroulées les 11ème Rencontres Nationales de l’APPRI-ANSFTF et la Fédération Hospitalière de France sur le thème « Dépendance et parentalité : du désir d’enfant à l’allaitement maternel (tabac, alcool, cannabis) ». 38 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


Le partenariat avec le Collège National des Sages-femmes se concrétise par la participation des sagesfemmes tabacologues aux 9ème journées les 8 et 9 février 2011. Il est prévu une session complète pour communiquer sur les addictions. Un partenariat avec l’OFT (Office Français de prévention du Tabagisme) en réalisant plusieurs enquêtes, notamment celle réalisée auprès des 3 463 étudiants en 2008-2009 et l’audit auprès des 500 maternités sur la mesure du monoxyde de carbone pendant la grossesse. Nous avons développé plusieurs sites Internet: - Un site destiné aux professionnels et au grand public : www.appri.asso.fr - Un site sages-femmes tabacologues http://sages-femmes-tabacologues.org - Un site grand public : www.enceintesanstabac.com Comment arrive-t-on à toucher autant de femmes enceintes ? Nous avons réalisé un partenariat avec Familyservice. Nous avons créé le dossier labellisé Maternité Sans Tabac : programme prénatal dans lequel tous les messages, dépliants, plaquettes délivrent des messages sanitaires, distribués à 740 000 exemplaires. Et dans ce programme, il y a également des dépliants destinés aux jeunes mamans. Dans le Département du Nord, cela a touché 14 200 personnes et 14 850 dans le Département du Pasde-Calais. Au total, sur le nombre de naissances et de femmes suivies, 52% de femmes ont été sensibilisées aux effets délétères du tabac, de l’alcool et du cannabis. Nous avons réalisé 2 affiches sur le tabagisme passif. En 2008 et 2009 Au niveau national nous n’avons reçu aucune subvention de la part de la Direction Générale de la Santé pour les deux associations : En 2009 Sur le plan régional l’APPRI-Maternité sans tabac a reçu : - - MILDT 62 : 10 000 euros et MILDT 59 : 15 000 euros - - LNCC comité du Nord : 10 000 euros En 2009 Sur le plan régional l’ANSFTF a reçu de la MILDT 62 via ECLAT-GRAA ; 9 500 euros pour son action de formation auprès de 71 personnels (notamment des sagesfemmes). Et pour finir, nous travaillons l’axe de communication grand public au-delà de l’aspect médical. En effet, en mars 2009, nous avons lancé un grand programme de Promotion Allaitement Maternel et le DVD « Une nouvelle vie sans tabac » et « Sevrage tabagique pendant la grossesse » à travers une conférence grand public au Centre Hospitalier d’Arras et la tenue d’un stand au salon du Bébé et des jeunes parents en Mai 2010 à Arras. Je vous remercie de votre attention. » Valérie Desmarchelier « La maternité d’Hazebrouck est une maternité de niveau 1 qui se situe dans le réseau Ombrel, Lille Métropole, c’est la maternité la plus éloignée du centre de référence qui est Jeanne de Flandres, qui est de niveau 3. Aujourd’hui, je suis venue seule présenter ce que l’on fait à la maternité concernant l’aide à l’arrêt du tabac, mais c’est le travail de toute mon équipe. Dans un premier temps, quelques données chiffrées sur le service de gynécologie obstétrique afin de vous puissiez avoir une idée de notre service. C’est une maternité de niveau 1, en 2009, 935 naissances, avec une durée moyenne de séjour de 4,4 jours. Un service de gynécologie est rattaché à la maternité représentant environ 440 séjours en 2009 avec une durée moyenne de séjour de 2,4 jours. Il y a un secteur consultation et les consultations d’obstétrique représentent au total environ 15 700 39 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


consultations. Les sages-femmes réalisent environ 5 000 consultations par an incluant la préparation à la naissance et à la parentalité (PNP), les consultations prénatales et les entretiens de début de grossesse. Car la préparation à la naissance a évolué depuis quelques années et la première séance de préparation à la naissance est maintenant une séance individuelle proposée aux femmes ou aux couples, qui n’est pas obligatoire. Environ ! des patientes qui accouchent à la maternité bénéficient de cet entretien : cela permet dès le début de la grossesse d’aborder de nombreuses thématiques, dont l’hygiène de vie et la problématique d’alcool et du tabac. Petite équipe : 3 médecins gynécologues obstétriciens, 17 sages-femmes, 17 aides-soignantes, 3 puéricultrices, 1 infirmière et moi-même. Organisation : le personnel, quelque soit sa fonction, tourne dans les différents secteurs, donc ce sont des sages-femmes qui effectuent aussi bien des gardes en salle de naissance, qui font aussi bien des consultations prénatales, des entretiens en début de grossesse. Elles ont donc toujours, quelque soit leur secteur d’activité, le moyen d’aborder la thématique du tabac. Je vais vous expliquer comment nous en sommes arrivés là. C’est quelque chose qu’on ne met pas en place du jour au lendemain. Au début de la démarche, tous les professionnels ne sont pas partants, mais petit à petit ça vient. En 1995, je n’étais pas encore arrivée sur Hazebrouck, il y avait une sage-femme qui avait fait une formation en tabacologie et souhaitait mettre en place des consultations d’aide à l’arrêt du tabac. Elle a mis en place les consultations mais cela n’a pas très bien fonctionné. Les patientes allaient en consultations prénatales, puis si besoin le médecin donnait un rendez-vous à la patiente pour l’aide à l’arrêt du tabac. Elle était la seule professionnelle formée. Résultat : beaucoup d’absentéisme aux consultations, des personnes qui ne venaient pas, des perdues de vue… De 2002 à 2004, à mon arrivée cette sage-femme m’a demandé de remettre en place les consultations d’aide à l’arrêt du tabac, car cela s’était arrêté naturellement. Nous avons décidé de mettre des rendezvous ponctuels à l’intérieur des plages de consultations de fin de grossesse. Les résultats n’ont pas été satisfaisants, les patientes ne venaient pas forcément au rendez-vous… et il y avait une dissociation entre l’aide à l’arrêt du tabac et le suivi de la grossesse, puisque la personne qui suivait la grossesse envoyait à un professionnel formé à l’aide à l’arrêt du tabac. En 2005, Monsieur Delcroix a pris contact avec la maternité pour nous présenter le projet Maternité Sans Tabac et nous avons saisi l’occasion. A l’époque, je faisais des consultations prénatales, avant il n’y avait pas de consultation prénatale de sage-femme à Hazebrouck et j’ai demandé à prendre une demijournée de consultations prénatales pendant 5 ans jusqu’à ce que j’ai un poste de consultations de sagefemme en consultation prénatale. Je suis partie en formation à l’APPRI, et j’ai demandé à une sagefemme volontaire de venir avec moi. Nous avons été formées en 2006. Nous avons intégré la démarche au projet de service et début 2006, nous avons signé la charte maternité sans tabac, signé par le chef de service, la cadre de la maternité, le directeur de l’établissement. Grâce aux documents de l’APPRI, nous avons pu afficher, diffuser des documents aux patientes, au personnel de l’hôpital et des articles dans le journal interne. L’APPRI nous a équipés de CO testeur, 2 en consultations, 1 en hospitalisation, et 1 en salle de naissance. Et nous avons intégré les mesures en consultations prénatales. En 2006, nous avons continué à former l’équipe de sages-femmes et de médecins. Nous avons fait une formation en homéopathie et nous avons abordé le thème du sevrage tabagique (ce qui nous sert dans les cas où la patiente ne souhaite pas mettre de patch). Depuis 2007, la mesure du CO est intégrée à la consultation prénatale des médecins et des sagesfemmes, des entretiens, des informations sur les méfaits du tabac et la prescription de substituts nicotiniques sont également proposés. Depuis 2007, nous avons également intégré le projet alcool et grossesse en collaboration avec CPAM d’Armentières et l’A.N.P.A.A. avec une diffusion transversale d’informations au Centre Hospitalier d’Hazebrouck. En janvier 2008, un article dans la presse a valorisé notre action. En 2009, création d’un poste de sagefemme en consultation prénatale avec l’intervention de 4 sages-femmes régulières. C’est-à-dire qu’il y a 40 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


un poste de sage-femme mais on ne voulait pas que ce soit une sage-femme à temps complet sur ce poste mais plusieurs et qu’il y ait des suivis personnalisés. Formation APPRI sur 4 ans donc pour le moment on a 8 sages-femmes, dont moi-même qui avons été formées, les médecins n’ont pas le temps et l’objectif est que tous les médecins et sages-femmes du service soient capables d’accompagner des femmes dans l’aide à l’arrêt du tabac car je suis persuadée qu’il faut intégrer l’aide à l’arrêt du tabac dans la consultation prénatale. Pour moi, c’est vraiment le moyen pour être efficace à l’échelle d’un service complet. A ce jour, en consultation prénatale, en consultation gynécologique aussi, on préconise la mesure du CO lors de l’ouverture de chaque dossier et ensuite des mesures pour les femmes qui fument, également dans l’entretien du début de grossesse, mesure du CO et informations en complément. On a mis des patchs à disposition en hospitalisation. En fin de séjour de maternité, la sage-femme fait des informations de contraception aux accouchées et là aussi c’est encore le moment de parler du tabac et de proposer à nouveau des mesures de CO. L’objectif est également d’étendre à l’ensemble de l’établissement. Et il y a une semaine nous avons reçu le prix APPRI Maternité Sans Tabac, c’est encourageant. La thématique tabac est incluse dans le projet de soin de l’établissement 2008/2012, je suis responsable de l’axe projet sur l’aide à l’arrêt du tabagisme au sein de l’établissement en collaboration avec les autres services et la médecine du travail. On a créé un groupe pluridisciplinaire et des actions sont en cours de réalisation ou déjà réalisées. Une enquête est en cours auprès du personnel et une journée d’animation et d’information sera proposée au niveau de l’établissement dans les mois prochains. Les autres intérêts de la mesure du CO, c’est le dépistage de tabagisme passif, les mesures sur l’accompagnant volontaire (conjoint, sœur…). Et ensuite, il faut savoir qu’on dépiste comme ça de temps en temps des intoxications au monoxyde de carbone. En conclusion, l’intégration à la consultation prénatale grâce au climat de confiance et au suivi de plusieurs mois dans un moment privilégié est à saisir. Le problème de la non-valorisation reste, car dans les établissements ce qui intéresse les directeurs c’est les valoriser, donc c’est dommage que ça ne le soit pas. Il faut que ce soit dans un projet de service sur du long terme et la mesure du CO devrait faire partie intégrante de tout examen médical à l’identique de la prise de tension, à l’hôpital comme en ville. » Dominique Legroux « J’accompagne les mamans enceintes pour leur préparation à la naissance, m’occupe aussi parfois des retours à domicile et je vais aussi les accompagner lorsque le bébé aura 6 à 8 semaines en rééducation du périnée. Je ne fais pas du tout de consultation médicale de grossesse, c’est vrai que je travaille en cabinet donc à l’extérieur de l’endroit où elles vont rencontrer leur médecin. Sur mon secteur, il y a 2 grosses maternités, l’hôpital de Lens et la maternité de Liévin, le tout représentant environ 4 500 naissances par an. Comme je ne fais pas de consultations médicales, le contexte dans lequel elles viennent me voir est différent. Je vais les accompagner parfois pour la première fois en entretien précoce du 4ème mois et ça sera le moment clé pour parler de tout ce qui est hygiène de vie et c’est vrai que le tabac, l’alcool, les médicaments, le sommeil et éventuellement les produits toxiques, on va peut être les aborder à ce moment là. D’autres ne vont venir que plus tard 41 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


pendant la grossesse. Le fait de se voir régulièrement permet d’avoir des temps d’échanges, de paroles et notamment tout ce que j’utilise moi comme temps de relaxation, détente, car je pratique la sophrologie, va leur permettre parfois de parler pour la première fois de leur position par rapport au tabac ou à l’alcool, cannabis très souvent et parfois par rapport à d’autres toxiques. Parfois c’est la toute première fois qu’elles en parlent « J’ai rien dit avant, je n’ai pas osé, j’avais honte, j’avais peur… » Et qu’est-ce que je vais faire de ça ? Sans jugement, sans qu’elles craignent mon jugement je vais essayer de leur mettre en avant le fait qu’elles ont eu le courage d’en parler, et cette première prise de conscience va certainement être pour elles le moment de faire le point sur leur consommation, telle qu’elle soit. Je vais prendre du temps pour essayer de chiffrer la quantité de produit, leurs habitudes de vie, à quels moments elles prennent leur produit… l’environnement autour d’elles, est-ce que le mari fume, est-ce qu’ils fument ensemble, ou est-ce qu’elle se cache pour fumer et aussi la durée, combien de temps elles fument. Parfois, cette façon d’en parler va leur permettre seule de réduire, on va mettre au point une stratégie et en reparler la fois suivante. Le fait d’avoir entamé quelque chose, le plus souvent ces femmes vont réduire d’elles-mêmes énormément leur consommation. Pour d’autres, ça sera plus difficile, donc là je vais arriver au soutien, tout ce que je peux leur proposer comme produit substitutif en essayant de trouver la meilleure dose, la meilleure façon pour elles d’utiliser ces produits pour réduire voire totalement arrêter. Beaucoup de femmes arrêtent d’elles-mêmes, mais tout n’est pas gagné. Souvent elles arrêtent totalement, premier trimestre tout se passe bien, deuxième trimestre tout se passe bien au départ et puis en arrivant doucement vers le troisième trimestre quelques fois, peut-être la peur, peut-être les angoisses… quelquefois la consommation va reprendre. Je reste vigilante et leur pose à chaque fois la question et cela permet lors des entretiens de pointer du doigt qu’attention elle s’est remis à fumer un peu plus. Pour d’autres femmes, la discussion va démarrer autrement, c’est ce que j’appelle les « femmes un peu plus rebelles », celles qui ont entendu des infos, qui ont lu plein de choses et qui les remettent en question. Alors pour ces femmes là ça sera plus difficile. Mais chaque femme arrive avec son histoire de vie, parfois bien lourde, bien difficile. Pour certaines ce moment de la grossesse, ce moment de transition va être un moment où elles vont avoir envie de s’échapper, de se sauver, d’oublier et pour certaines ça sera l’occasion soit de démarrer une consommation, soit d’accentuer une consommation qu’elles avaient tout juste entamé avant. A ce moment-là, mon rôle est de réexpliquer, redire quels dangers, quelles conséquences pour leur bébé va se passer si elles continuent à fumer ou à prendre d’autres produits. On va prendre le temps de reparler du passage placentaire, des dangers pour le bébé, des conséquences sur la courbe de croissance. C’est vrai que ce n’est pas forcément toujours gagné, je sais bien que j’ai mes limites mais j’ai aussi la possibilité de travailler en réseau, donc je renvoie aussi parfois la balle aux tabacologues qui, eux vont aller un peu plus loin, vont utiliser leurs arguments qui seront peut-être plus décisifs pour cette femme. Je vais travailler également avec toute l’équipe des sages-femmes de PMI, qui elles aussi ont un regard qui est un peu différent qui connaissent la façon de vivre de la maman à la maison et qui vont aussi parfois être le relais pour essayer de réduire voire arrêter cette consommation. La seule chose que j’essaie de toujours éviter, c’est la culpabilité, elles font ce qu’elles peuvent, elles ont parfois des histoires de vie très difficiles et je suis là vraiment pour les encourager, pour leur montrer que ce qu’elles ont déjà fait de réduire, c’est déjà très bien. Que ce qu’elles vont peut-être mettre en place pour réduire encore, voire arrêter, c’est encore mieux. Dans mon cas, l’IVG ne se pose pas car les mamans sont bien plus tard dans leur grossesse, mais souvent les mamans traînent leur culpabilité avec elles, et elles vont longtemps se poser des questions « Il est petit, c’est parce que j’ai fumé… et vous croyez que le fait de fumer avant que je sache que j’étais enceinte peut avoir des conséquences ? » et ça elles vont le traîner tout au long de leur grossesse. Quand je vais les revoir plus tard, après la naissance de leur bébé, je vais prendre du temps par rapport à la prescription qu’elles auront peut-être eu de contraception, de refaire le point. Que ce soit des mamans que je connaissais d’avant parce que je les avais suivies pendant leur grossesse ou des mamans que je vais découvrir parce qu’on me les aura envoyées un peu plus tard. Beaucoup en fait ignore, elles ont entendu que ce n’était pas bon, mais c’est vraiment interdit de fumer 42 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


et de prendre la pilule ? Et en fait il y a énormément de questions, et je prends le temps à chaque fois de redire, d’expliquer et à elles après de redire, d’appliquer. Je vous remercie. » Edwige Dautzenberg « C’est une situation très particulière que je vais vous décrire, avec des possibilités de reproductibilité dans le cadre d’un réseau de périnatalité. Il s’agit d’un bassin de vie avec un centre hospitalier, (Centre hospitalier de Versailles, maternité de niveau 2, 2 200 accouchements par an), 3 maternités privées, dont une qui fait de la PMA. J’ai mis en place des ateliers de sevrage tabagique avec un réseau de périnatalité de 2005 à 2009, et je vais vous en parler un petit peu plus. En ce qui concerne la prévention du tabagisme, les politiques publiques ont été actives, que ce soit le programme addictions, plan cancers et le plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool. Toutes les études menées ont démontré les effets nocifs du tabac sur le fœtus, la grossesse, le développement de l’enfant. Les différentes mesures institutionnelles sur lesquelles on a pu s’appuyer sont: ! Le rapport sur la sécurité, la qualité de la naissance ! Le développement des réseaux de soin ! La conférence de consensus à Lille en 2004 ! Le Plan périnatalité 2005-2007, dont une des mesures est de favoriser la création de réseau de santé de proximité et les communautés périnatales, qui sont des réseaux de santé de proximité, donc des ensembles de professionnels de la naissance qui travaillent à améliorer la communication et le partage d’informations. A Versailles, cette communauté périnatale s’appelle CPAV Communauté Périnatale de l’Agglomération Versaillaise. C’est un réseau de santé créé en 2003, financé par l’ARH et l’URCAM Ile de France, Son territoire de santé est une partie des Yvelines Sud, 500 000 habitants, 8 000 naissances par an, qui a pour objet d’améliorer la qualité du suivi des femmes enceintes, harmoniser les pratiques médicales et la prise en charge des besoins et des attentes des femmes enceintes et des professionnels de la périnatalité en respectant une démarche qualité. Dans cette communauté, il y a des obstétriciens, des sages-femmes, des kinés, des psychologues, des médecins généralistes, des pédiatres, donc des professionnels qui tournent autour de la périnatalité. Avant de démarrer ce projet tabac et grossesse, il y avait eu un premier sondage sur 354 femmes avec 125 questions, dont des questions sur les habitudes de vie, tabac, alcool, etc. Dans un deuxième temps, j’ai mis en place un sondage autoadministré et déclaratif, dans les maternités, dans les cabinets d’échographie, dans les centres de PMI, chez les sages-femmes libérales et les médecins libéraux. J’ai recueilli 1006 sondages, 30% des grossesses d’un semestre dans le bassin de vie. Ce sondage intégrait l’âge des patientes, le conjoint fumeur, l’environnement fumeur, le terme de la grossesse le statut tabagique ou non, et les connaissances sur les méfaits du tabac sur la grossesse et le fœtus. Faire un sondage, c’était pour nous étudier une population de femmes enceintes, et avoir des indicateurs locaux. On a tous dans la tête le chiffre 28% de femmes qui fument pendant leur grossesse, (chiffres INSEE 2004), et là, on a voulu avoir des indicateurs locaux dans la région Versaillaise. En résumé on avait 14% de femmes enceintes qui fumaient pendant la grossesse. Ce qui est intéressant c’est de voir que, sur 42% des femmes disant être anciennes fumeuses, 8% avaient arrêté en vue de leur grossesse, 15% s’étaient arrêtées en début de grossesse et 21% s’étaient arrêtées sans rapport avec leur grossesse. 25% d’entre-elles ont connu des rechutes et 19% des femmes enceintes non fumeuses sont victimes de tabagisme passif, essentiellement au domicile, (ce sondage ait été réalisé pendant le premier semestre 2006 et qu’il n’y avait pas encore l’interdiction de fumer sur le lieu de travail.) La deuxième étape : sensibiliser, former, impliquer les professionnels de santé. On savait que les ateliers de sevrage tabagique n’allaient pas suffire. Il fallait également que les professionnels s’impliquent pour prendre en charge les patientes qui fumaient. Donc des formations 43 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


médicales continues, ont été proposées aux gynécologues obstétriciens, aux médecins généralistes et aux sages-femmes, ainsi qu’un relais sur le site web, des rencontres et des formations avec les sagesfemmes des 4 maternités et un CD-Rom diffusé à l’occasion de ces formations. Je reprends une mesure importante de la conférence de consensus et des recommandations de l’HAS : « Il convient d’apporter une réponse de proximité aux femmes enceintes fumeuses et à leur compagnon en créant des lieux de consultations multidisciplinaires, si possible dans les maternités et ceci pour y rencontrer minimum un tabacologue, une diététicienne, un psychologue. L’accès en sera gratuit. » Pourquoi les ateliers ? Ce sont des espaces d’incitation, d’information et de sensibilisation proposés à des petits groupes de femmes fumeuses et à leur compagnon, pour initier un sevrage. On est là dans l’accompagnement de la décision de sevrage . Les partenaires sont l’hôpital, les cliniques, le Conseil Général des Yvelines, la CPAM l’association des sages-femmes tabacologues de France, Hôpital Sans Tabac. Concernant les modalités de fonctionnement, nous insistons sur une prise de rendez-vous rapide, hebdomadaire, de proximité dans les 4 maternités, indépendamment du lieu de suivi. Chaque maternité met à disposition gratuitement un local et un affichage. Les ateliers sont gratuits, et proposés à toutes femmes désireuses d’initier un sevrage en vue d’une grossesse ou pendant une grossesse. Les modalités organisationnelles : Information aux équipes de sages-femmes dans les maternités, aux sages-femmes libérales ainsi qu’un courrier d’information sur le déploiement envoyé à tous les médecins du bassin Versaillais, un calendrier de fonctionnement et un affichage dans les maternités, dans les cabinets de ville qui l’ont souhaité et un dialogue initié lors de la consultation pour préconiser un atelier, une mise à disposition de CO testeurs, une documentation spécialisée. Le fonctionnement : ce dialogue dont je parle lors d’une consultation peut se faire en anténatal, en centre de PMA, par les praticiens informés d’un désir de grossesse, en début de grossesse lors de la déclaration de grossesse ou lors de l’entretien prénatal précoce. Le déroulement : une prise en charge avec une mesure de CO, un test de Fagerström pour la dépendance, une évaluation de la motivation, une diffusion d’une vidéo explicative sur les mécanismes de dépendance (psychologique, environnementale et pharmacologique) et un échange avec la tabacologue et les participants. Une fiche de transmission est envoyée à chaque consultant, à chaque médecin, sage-femme qui suit la patiente. La patiente a un double de son dossier que l’on a constitué pendant les ateliers. Les ateliers durent environ 2 heures dans les maternités. Une évaluation est faite à la fin de chaque atelier, et une évaluation téléphonique a été faite à 3 mois et à 6 mois. Origine de l’inscription : - Initiative personnelle - Patient adressé par un médecin généraliste, gynécologue obstétricien, sage-femme Terme de grossesse : 90% des patientes ont été vues avant 30 semaines, 60% avant 20 semaines et un petit pourcentage après 30 semaines. Quand ces femmes viennent assez tard, elles ont souvent des objectifs qui sont plus ceux liés à la réduction du tabac. Il est intéressant de voir des patientes qui ne sont pas du tout au même terme. Le taux de CO peut souvent être explosif alors que le test de Fagerström est bas. Une femme enceinte change ses habitudes alimentaires, prend un petit-déjeuner, décale volontairement ou involontairement sa première cigarette, Le test de Fagerström est faussé. Elles diminuent leur consommation bien qu’elles tirent plus sur leur cigarette .Tout ceci pour se calquer à l’image de « femme idéale ». Le mythe de la femme enceinte radieuse et toutes ces représentations sociales font qu’on aboutit à quelque chose qui est un peu discordant. Ces objectifs exprimés sont l’arrêt total et quelques fois la réduction. Il va falloir convaincre ces patientes que la réduction n’est pas suffisante. Evolution du concept, les choses positives : animation sous forme collective avec une dynamique de groupe. Les femmes ont témoigné un réel intérêt pour ce type d’atelier, certaines d’entre-elles se sont sevrées avec uniquement un atelier, une information. Certaines sont revenues une deuxième fois, ce 44 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


n’était pas le but, mais elles ont désiré revenir. Ce concept est reproductible en présence d’un réseau, d’un programme de formation, d’un colloque et d’un lieu d’accueil. La structuration d’une action en réseau autour des femmes enceintes fumeuses, a également permis de mettre en place des formations. Les praticiens se sont impliqués dans l’information, la préconisation, l’orientation des patientes dans les ateliers, 23/36 mais s’impliquent beaucoup moins dans le suivi. Or l’idée c’était qu’il y ait une prise en charge individuelle, un relais pour le suivi, or c’est chronophage, on est venu aux formations mais on ne sait pas bien faire. En conclusion, la phase 1 était les ateliers avec sensibilisation et information. La phase 2 aurait dû être l’accompagnement individuel mais les structures privées sont frileuses. Elles ne veulent pas qu’un réseau introduise des consultations individuelles dans la structure et donc les choses sont un peu bloquées. Je vous remercie. »

Questions « Y- a-t-il une évaluation statistiques des résultats ? » CH d’Hazebrouck - Mme Demarchelier « Non, il n’y a pas eu d’évaluation mais des retours d’expérience de chaque consultant, ce n’est pas encore le « grand miracle », mais comme je le disais ce qu’on souhaite c’est que l’ensemble des sagesfemmes et des médecins formés le fasse à chaque consultation, tous les consultants ne pratiquent pas encore la mesure de CO ». « Je voulais savoir par rapport à vos expériences les unes et les autres, quel conseil prioritaire vous donneriez à une sage-femme ou à un praticien qui voudrait aider une patiente à arrêter ou diminuer sa consommation de tabac ou lancer un projet dans son service ? » « Des techniques de communication pour avoir de l’écoute, de l’empathie pour être à l’écoute des besoins de la personne. Il faut être humble, accepter l’échec de la patiente, et de la ténacité. »

45 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


Présentation d’une expérience pilote d’accompagnement des femmes enceintes toxicomanes Comment préserver la place des parents ? S’ajuster aux besoins des femmes et familles Pratiques de réseau de proximité et stratégie régionale : de la formation des professionnels à la création de référentiels interdisciplinaires Corinne Chanal – Sage-femme au CHU de Montpellier - déléguée au réseau périnatal régional « Naître en LanguedocRoussillon »

« Bonjour, Je vous remercie de m’avoir invitée et d’être aussi nombreux. J’ai une double casquette, je suis sagefemme au CHU à Montpellier et dans ce cadre je m’occupe de la coordination du suivi des femmes enceintes qui ont des problèmes de pratiques addictives qui prennent des psychotropes pendant la grossesse et je suis également détachée depuis un an " au réseau périnatalité régional « Naître en Languedoc-Roussillon ». J’ai repris le titre « Prise en charge les femmes enceintes toxicomanes, comment préserver la place des parents ? Comment s’ajuster aux besoins des femmes et des familles ? » Je fais une petite rétrospective. Quand on a commencé à s’intéresser à cette problématique des femmes enceintes toxicomanes c’est parce qu’il n’y en avait pas, il y en avait 2 ou 3 par an mais c’était juste occasionnel. Elles arrivaient en catastrophe, les enfants partaient en pédiatrie, les mères en suite de couches et au bout de quelques jours les mères partaient contre avis médical et on avait un fort taux de placement à ce moment là et dans les lieux de soins en Addictologie. On voyait fort peu de femmes enceintes dans les centres de soins toxicomanies, et les addictologues disaient à ce moment que les femmes arrêtaient pendant la grossesse, qu’elles ne venaient pas dans leurs centres de soins. C’est un peu ce qui se passe avec l’alcool, elles arrivent plus tard que la grossesse dans la plupart des centres de soins. On avait quand même des choses très cloisonnées avec beaucoup de peurs réciproques et des incompréhensions entre les rôles de chacun. Je suis sage-femme dans le service des grossesses à risques et comme j’avais un pied dans le secteur associatif, je participais notamment à un programme d’échanges de seringues dans un quartier où il y avait beaucoup de prostituées. Cela m’a permis de rencontrer beaucoup de femmes toxicomanes qui parlaient de leur grossesse, de leur enfant, de leur façon de s’organiser pour le cacher dans les différentes maternités où elles étaient passées. Rapidement, on a eu le soutien des gynécologues, pédiatres, pédopsychiatres, parce qu’on travaille avec l’équipe du Dr Molénat à Montpellier, et puis étant dans le milieu associatif c’était le début de la réduction des risques on avait pris l’habitude d’une collaboration avec les médecins généralistes. Dans ces moments où ces femmes ne venaient pas à la maternité, je leur ai demandé ce qui se passait et ce qu’elles voulaient pour venir à la maternité. C’est le canevas à partir duquel on a construit notre prise en charge : - Etre suivi comme une femme enceinte - Pouvoir se confier sans avoir peur - Trouver des réponses sans être jugée - Garder une certaine maîtrise des choses une fois qu’elles ont évoqué leurs difficultés, dit que tout ne leur échappe pas tout de suite - Avoir un enfant en bonne santé, c’est très important - Ne pas être séparée de lui, la peur du placement est présente en permanence 46 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


A la maternité, on a essayé de répondre aux besoins des patientes, prendre chacune de leur proposition et essayer de voir ce qu’on pouvait mettre en place de notre côté : - Organiser l’accueil des femmes toxicomanes à la maternité de l’hôpital - Les prendre en charge avec un protocole de grossesse à risques, comme pour les diabétiques insulinées par exemple, sans faire de systématique lié à la toxicomanie, c’est-à-dire pas d’orientation, pas de psy systématique pas de consultation en addictologie systématique - Garder leur réseau personnel de professionnels, même si ce sont des personnes avec qui on n’a pas l’habitude de travailler - Hospitalisation mère-enfant en maternité, pour que la mère puisse rester avec son enfant en maternité pendant un temps assez long notamment pendant la période du syndrome de sevrage de l’enfant. (Il faut en moyenne 15 jours) - Former et soutenir les équipes sinon les mères ne restent pas On bénéficiait d’appuis certains à Montpellier, un service de grossesse à hauts risques du Pr Boulot avec des habitudes de protocoles qui sont rassurants pour les professionnels parce que c’était leurs modes de fonctionnement. On avait la création d’une unité du nouveau-né dans la maternité et la collaboration de l’équipe du Dr Molénat avec qui on travaille depuis 20 ans, avec un engagement des soignants, le soutien en indirect par les psys. Les professionnels de première ligne sont là pour entourer, écouter les patientes. Les pédopsychiatres sont là pour entourer d’abord les professionnels, et dans un second temps les patientes mais sans que ce soit systématique. Comme les pédopsy ne fonctionnaient pas dans le systématique, c’était plus facile de proposer cela avec des patientes ayant des problèmes de conduites addictives. D’autre part, on avait à Montpellier une grande diversité du réseau addictologie. On a commencé à proposer des consultations en maternité avec une sage-femme, (c’est moi qui assure ces consultations), avec une prise de rendez-vous à la consultation générale de la maternité. Les pédopsychiatres ont décidé tout de suite de travailler principalement en indirect. C’est-à-dire que je travaille deux heures par semaine avec un pédopsy en reprenant toutes les situations. A partir de ce travail de collaboration, on a dégagé des principes de prises en charge qu’on a essayé ensuite de transmettre à d’autres professionnels à d’autres situations. Le 1er accueil, c’est d’abord une rencontre mutuelle. Je dois me présenter ainsi à la patiente, ce n’est pas à sens unique. Je présente le projet « Je suis là pour vous aider pour que vous ayez un enfant en bonne santé, qui naisse à terme, et qui soit pris en charge à la naissance de façon adaptée sans qu’il ne soit séparé de vous » et les mots sont importants et la patiente adhère ou pas au projet et à partir de là, on peut construire quelque chose ensemble. La parole vient tout de suite aux parents avec beaucoup de questions sur les risques de malformations. Je constate que ce sont souvent les femmes qui prennent les produits les moins inquiétants qui sont les plus soucieuses. Les femmes qui prennent des médicaments psychotropes ont peur du risque de malformations, celles qui prennent de l’alcool ont peur du risque de malformations lorsqu’elles ont pris deux coupes de champagne à Noël. Quand elles se sont alcoolisées de façon plus importante, elles sont un peu moins à l’aise pour en parler. Ensuite, on fait le point ensemble de la situation en restant centré sur la grossesse : cela veut dire que je ne pose aucune question qui n’a pas de lien avec la grossesse ou l’histoire de la femme, je ne pose pas 47 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


de questions sur l’enfance, par exemple, juste sur le fil de l’adolescence à partir de « comment se sont passées vos premières règles ? » Je reprends le déroulement des grossesses précédentes, parce qu’on apprend beaucoup de choses et c’est dans notre champ professionnel de sage-femme. Je recherche avec chaque patiente leurs ressources personnelles et dans leur entourage, on recherche ce qui tient. Le père, par exemple, et s’il n’est pas là au 1er rendez-vous, il va être invité la 2ème fois. Ensuite, je réponds aux besoins exprimés par les parents, même s’ils ne sont pas forcément dans mon champ. Si la patiente n’a pas de logement, l’urgence est d’appeler l’assistante sociale. Je travaille beaucoup avec « qui est autour de la patiente comme professionnels, en qui elle a confiance ? », parce que dans le fil de la 1ère consultation, je vais chercher à faire alliance avec un des professionnels de la patiente. A la fin de la 1ère consultation, il faut qu’elle arrive à me laisser appeler un des professionnels qui la suit et je vais rarement faire de la réorientation, je vais faire le lien avec quelqu’un de l’avant et non de l’après, les orientations viendront après. Le suivi va être construit avec les parents. Je pars sur l’explication de l’effet des produits, « Comment réduire les risques ensemble pour arriver au projet commun qui est que l’enfant aille bien, naisse à terme, qui ne soit pas séparé de vous ? » Chaque fois que j’explique quelque chose, j’en explique l’intérêt pour la patiente. On travaille sur la réduction des risques, pas sur la suppression des risques, sur ce qui est possible pour elle. Au niveau de la grossesse toutes les orientations vont être faites avec les parents : « Ont-ils déjà un gynécologue à l’hôpital, un gynécologue en ville, un pédiatre ? » On ne remplace pas un de leurs professionnels par les nôtres. J’établis un planning de suivi ; elle va en avoir un, je vais en avoir un. Nous allons le suivre ensemble et si elle rate des rendez-vous, je la rappelle. Le médecin traitant a une place cruciale. C’est lui qui était là avant, surtout si c’est un médecin prescripteur de substitution, c’est lui qui restera après la grossesse. Dans notre expérience, l’étude sur le devenir des familles a montré que c’est lui qui reste encore en contact plusieurs années après même si elle a déménagé. On part sur un suivi de grossesse toujours en alternance gynécologue / sage-femme, ce qui permet de ne pas trop alourdir la charge de travail des gynécologues qui restent dans le 12 à 15 min de consultation, qui restent centrés sur l’obstétrique, les examens à faire. Ainsi, ça peut rester un gynécologue de l’hôpital ou de ville qui n’a pas besoin de formation spécifique et c’est ainsi que petit à petit, les gynécologues libéraux et les internes, chefs de clinique prennent l’habitude de prendre ces patientes et continuent quand ils quittent l’hôpital. On a une surveillance échographique une fois par mois. On hospitalise à la maternité les femmes enceintes pour un sevrage d’alcool ou mise en place de traitement de substitution et on travaille avec les professionnels de chaque service qui vont suivre les patientes par la suite. On met en place un monitoring à domicile à partir du 7ème mois par une sage-femme de PMI de préférence ou une sage-femme libérale. La préparation à l’accouchement est capitale car elle va avoir une action rassurante, apaisante pour la mère. C’est intéressant si elle peut se faire en petit groupe et pas forcément en individuel. Cela est vu au cas par cas avec la maman et la sage-femme de PMI, libérale ou de l’hôpital qui l’organise. On organise une consultation pédiatrique anténatale qui fait partie du suivi de grossesse. C’est un suivi qu’on a calqué sur celui d’une mère diabétique. Au niveau de la consultation anténatale pédiatrique, on travaille avec un pédiatre libéral et un pédiatre hospitalier qui ont l’habitude de prendre en charge des enfants de mères avec prise de produit pendant la grossesse. Cela nous permet de proposer un choix aux parents. Ils vont pouvoir poser au pédiatre toutes leurs questions dès la grossesse. Il va détailler la prise en charge néonatale en fonction des produits consommés par la mère pendant la grossesse. Il va également, quand il y a un risque de sevrage du nouveau-né, parler de l’hospitalisation mère/enfant et de la façon dont vont être faits les scores de surveillance du syndrome de sevrage avec les mères. C’est 48 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


un partenariat entre les parents et l’équipe car le score est un support de communication entre les mamans et l’équipe de pédiatrie. La confidentialité revient toujours dans les mots des parents « Si je vais être hospitalisée pour cette raison, la famille ou les personnes qui viennent, vont-ils être au courant ? » Le pédiatre renvoie alors le problème vers moi en leur disant « Si cet aspect vous pose problème, vous voyez avec Corinne et cela va être précisé dans le dossier de faire attention à votre famille ». Le pédiatre va aussi parler des frères et des sœurs. Le 1er élément est le temps d’hospitalisation mère/enfant, il faut préparer les enfants à ce temps, il est proposé de voir les enfants pour discuter de cela avec eux. Toutes les orientations doivent avoir du sens pour les parents et pas forcément pour nous. Si j’ai une patiente qui part dans tous les sens, j’ai envie qu’elle voit un psychiatre mais c’est elle qui doit en avoir envie. Mon travail c’est de l’aider à avoir envie, cela peut mettre du temps, voire jamais. C’est toute la difficulté, et c’est tout le travail avec l’équipe de pédopsy qui nous a élevé là dedans. C’est repérer le fil qu’il y a dans la tête des parents, c’est ce fil là et pas le nôtre. C’est se saisir de l’expression d’une difficulté, d’un besoin pour ouvrir la relation et travailler toujours d’abord avec les professionnels qui entourent les parents. Toutes les transmissions, ce que je vais pouvoir dire ou ne pas dire aux professionnels, vont être discutées avec les parents. Il n’y a pas d’orientation sans l’avis du gynécologue référent, le gynécologue est souvent très important dans la tête de la mère. On constitue petit à petit un réseau de soutien. La consultation avec le pédopsychiatre, c’est au cas par cas également. En pratique on a ! des patientes addictives qui voient un pédopsychiatre pendant la grossesse ou lors d’une hospitalisation mère-enfant. C’est sur des indications de relation mère-enfant, lorsque les patientes sont d’accord pour voir quelqu’un, l’intervention en urgence est importante. Le sens de l’urgence pour les psys n’est pas toujours le même qu’en obstétrique. Il y a de plus en plus de psychologues en maternité et cela permet d’avancer pas mal sur ce besoin d’urgence. Après toutes ces orientations, le travail est de ne pas disparaître et revoir les couples après ou téléphoner et s’emparer du vécu de l’orientation. J’ai reçu il y a 2 jours, une patiente, une femme enceinte de 36 semaines. Depuis le tout début de sa grossesse elle avait dans sa poche une lettre de son médecin généraliste, l’une pour le gynéco et l’autre pour moi. Elle avait gardé ces lettres toute la grossesse. Elle n’a pas pu dire au gynéco qu’elle était sous traitement de substitution. Le médecin généraliste ne lui a pas demandé comment s’était passée la rencontre avec le gynéco ou avec moi ainsi que la discussion sur le subutex. Le médecin généraliste était certain que l’orientation avait été faite mais la femme n’avait pas pu. Dans toutes les orientations, il faut repartir de la grossesse. Je travaille beaucoup avec la sage-femme tabacologue de l’hôpital (Catherine). En tabacologie, je fais souvent de la première consultation et ensuite j’oriente vers Catherine qui va faire un suivi un peu plus soutenant et plus centré sur la diminution ou l’arrêt des consommations alors que moi, j’ai un poste de coordination. Si Catherine oriente vers le pédiatre alors ça repasse par moi ou par le gynécologue pour que ça reste toujours sur l’axe de la grossesse et pas sur le côté addictif. Les transmissions doivent avoir du sens pour les parents et aider les professionnels à travailler. Souvent, on se transmet pas assez ou trop. La limite entre les deux est très difficile à trouver au cas par cas. Les parents ont besoin qu’on leur explique les besoins des professionnels : comprendre pourquoi on transmet ceci ou cela et au contraire pourquoi on garderait cette information ou on la présenterait de façon différente. C’est-à-dire quand on présente les peurs, les désirs, les craintes, la dynamique, le vécu des choses, le vécu des antécédents et pas l’antécédent en lui-même. C’est plus concret pour les parents et plus sécurisant, et c’est plus facile pour le professionnel qui reçoit la transmission de le reprendre ; « Mme X a dit que vous étiez très inquiète et très culpabilisée parce que vous aviez pris plusieurs fois de la cocaïne au début de la grossesse. On va s’en occuper ; vous allez voir un pédiatre qui prescrira un 49 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


examen cardiaque chez l’enfant ». Ce n’est pas pareil que « prise de cocaïne en début de grossesse ». Le fait de transmettre par téléphone devant les parents, ça aide à présenter de façon positive et dynamique les transmissions. Je fais toujours une lettre de transmission avec les parents vers 35 semaines pour l’équipe d’accueil, et on choisit avec les parents ce que l’on va transmettre. La préparation de l’hospitalisation, c’est l’aboutissement de la prise en charge en anténatal. L’hospitalisation mère/enfant, c’est la plaque tournante, c’est là que beaucoup de choses vont se passer. On va avoir l’illustration du travail en anténatal et en même temps le démarrage vers l’après. Vers 34 semaines, j’accompagne les parents pour visiter la salle d’accouchements parce que beaucoup de personnes qui ont une problématique addictive n’expriment pas forcément les émotions et leurs difficultés verbalement. Par contre, il y a beaucoup de non-verbal et la visite de la salle d’accouchement est souvent parlante. Dans tous les cas, cela permet d’apaiser les tensions et le jour de l’accouchement, la patiente se trouve en confiance en salle d’accouchement dès qu’elle arrive. Les transmissions écrites à la sage-femme qui va l’accueillir en salle d’accouchement permettent également que la patiente puisse être prise en compte dans sa globalité de femme enceinte. En arrivant et en disant « Corinne Chanal m’a donné une lettre pour vous », la sage-femme sait que dans la lettre il y a toutes les informations sensibles dont elle aura besoin, et elle n’a pas besoin de les poser à nouveau à la mère. La mère sait que ça a été transmis. La sage-femme peut s’occuper des contractions, de la douleur de la patiente. Elle va regarder dans la lettre si elle va faire rentrer la femme toute seule, si elle peut faire entrer le conjoint ou pas, s’il est au courant ou pas… Pour les patientes ayant des toxicomanies actives, il faut prévoir la gestion des consommations pendant le séjour à l’hôpital : drogues, alcool, tabac. Permettre une hospitalisation sereine est un moteur pour une prise en charge de l’addiction ; pour accepter une mise sous traitement de substitution, pour accepter un sevrage partiel des benzo. En effet, pendant le temps de séjour, elle ne pourra pas faire comme elle fait chez elle. La sage-femme tabacologue a beaucoup travaillé à la maternité sur la gestion des hospitalisations. C’est à partir d’une amélioration du confort de l’hospitalisation que les soignants de première ligne dans les secteurs se sont mobilisé pour l’aide à l’arrêt du tabac. Le médecin traitant, le médecin prescripteur, je l’appelle à ce moment là pour qu’il me faxe l’intégralité du traitement de la mère. C’est au minimum le deuxième contact que j’aurai avec lui s’il n’y a pas eu de nécessité d’en avoir d’autres pendant la grossesse. Pour l’accouchement, je conseille d’« accueillir rapidement les couples ou d’expliquer les raisons de l’attente, reprendre les transmissions, faire attention à la pudeur, soutenir le père, (son rôle est de soutenir sa femme) et prévenir les autres professionnels. » Quand les parents arrivent en suite de couche, (la maman en brancard avec le bébé sur le ventre et le papa qui marche à côté), la sage-femme ou la puéricultrice qui va accueillir, va reprendre les transmissions. Elle va reprendre ce qu’il y a d’écrit sur la feuille de liaison ; « ma collègue m’a transmis que vous étiez inquiète parce que… », de façon à ce que les mères sentent l’accompagnement avec un respect d’elle-même. On va reprendre le vécu de l’accouchement car pour ces femmes, il est parfois difficile de dire que cela a été dur. Nous allons y être vigilant car les émotions peuvent être refoulées. D’une part, elles peuvent ne pas être bien en suites de couches et d’autre part un mauvais vécu de l’accouchement peut être responsable de dépression du post-partum. Donc, on est surtout là pour éviter que la grossesse et l’accouchement aggravent la situation globale d’une famille. Quand il y a un problème, le cadre de l’hospitalisation est repris par le cadre de la maternité. Les traitements sont donnés pendant le temps de séjour par la sage-femme tous les jours. La patiente doit le prendre devant elle. Cela est préparé avant avec la maman. Les choses peuvent se dire car elles se font ; si quelqu’un de l’extérieur donne le traitement ou si c’est la mère qui gère son traitement, la communication entre la mère et la sage-femme est plus difficile à ce sujet là. Au sujet du syndrome de sevrage du bébé, le point entre les parents, le pédiatre, la sage-femme ou la puéricultrice est fait tous les jours. Le traitement n’est jamais donné aux enfants sans prévenir les parents même si c’est à 4h00 du matin. Le fonctionnement en suites de couches est celui des poupées gigognes ; l’équipe, la puéricultrice ou la sage-femme sont là pour entourer les parents pour qu’ils puissent aider leurs enfants et en soutien 50 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


derrière il y a moi et les pédopsychiatres. On ne peut materner que si on est materné, on ne peut pas aider quelqu’un si on n’est pas soi-même en sécurité. Tout ce qui va se passer pendant le séjour, va servir à préparer l’après. Toute l’expression des besoins, des difficultés est essentielle « Mon bébé pleure trop, je n’arrive plus à le garder dans les bras et ce que vous pouvez prendre le relais ». Si la patiente arrive à dire cela, c’est déjà beaucoup, c’est un point de sécurité. A partir de ce point de sécurité, on peut voir qui prendra le relais quand le bébé va pleurer après la sortie à la maison et on peut proposer des aides petit à petit en fonction de ce qui se passe. Il faut être attentif à la culpabilité de la mère, à son angoisse pendant la montée du syndrome de sevrage. Elle retombe rapidement lorsque l’enfant est traité. Mais dans cet intervalle là, les puéricultrices sont très soutenantes vis-à-vis des mères, et les aident beaucoup à parler. Penser contraception efficace parce que la prévention des grossesses pour les femmes addictives ou la prévention des addictions chez les femmes enceintes passe aussi par la contraception donc : prescription d’une contraception ou discussions des consommations au moment d’une prescription de contraception. L’organisation de la sortie, c’est parler des difficultés possibles, au retour à la maison. Non, à la maison tout ne va pas être rose tout de suite ! Ce n’est pas parce qu’on sort de la maternité où il y a le syndrome de sevrage, il y a eu des choses compliquées, des examens culpabilisants, inquiétants pour l’enfant, et donc si besoin, collaboration avec les travailleurs sociaux. Par contre, le courrier de sortie et l’appel aux médecins généralistes sont systématiques. Discuter avec les parents de l’intérêt pratique pour eux d’être accompagné par une puéricultrice de PMI, ce n’est pas simple et c’est souvent ce qui coince le plus pour l’après. Les puéricultrices sont généralement présentées par la sage-femme de PMI pendant la grossesse, mais ce n’est pas forcément pour cela que ça va bien marcher après car cela n’a pas toujours de sens pour les mères. Cela a du sens pour les sages-femmes de PMI car elles présentent la personne qui va prendre le relais, sauf que ce n’est pas la même chose dans la tête de la mère, et avant la naissance l’enfant n’est pas né, et la mère est dans l’immédiat et pas dans la projection. Si elle est dans la projection, c’est gagné, par contre si elle est dans l’immédiat cela ne sert à rien, c’est au moment où cela vient à sa pensée ou on l’a aidé pour que cela vienne à sa pensée qu’elle va pouvoir s’en saisir. Par contre l’idéal à ce moment, c’est que la puéricultrice puisse venir à la maternité ou au moins qu’il y ait un contact téléphonique entre la puéricultrice et la mère et organiser la 1ère visite rapidement après la sortie. Si ce n’est pas possible matériellement, au moins donner un coup de fil, parce que des coups de fil répétés, c’est ce qu’on retrouve le plus. Mais également, prendre des rendez-vous avant la sortie, parce que c’est compliqué de prendre des rendez-vous quand on est pris par plein de choses, et d’autre part, un rendez-vous pris est un rendez-vous qui, s‘il est raté, est quand même repéré : la personne va pouvoir être rappelée. Je fais une reprise hebdomadaire avec le pédopsychiatre pour « S’arrêter d’agir pour réfléchir sur sa pratique». On est pris dans le travail quotidien et quand on travaille avec des patientes compliquées qui ont des modes de fonctionnement particuliers, on est happé et on a tendance à agir en miroir. Ces temps permettent de se décaler, d’avoir un éclairage extérieur sur sa propre pratique. Cela me permet de rester en sécurité, de ne pas me laisser envahir par les problématiques des parents et puis rester dans ma place professionnelle : ne pas me transformer en psychiatre, en addictologue ou assistante sociale et pouvoir faire intervenir la bonne personne au bon moment. Garder l’axe du suivi médical de la grossesse, rester centré sur les préoccupations des parents et rediscuter des modalités de transmission. On travaille avec des psychiatres, des psychologues de maternité et des pédopsychiatres. Chacun des professionnels a un champ particulier et on a également une équipe de liaison qui s’est montée depuis un an et une psychologue dans l’équipe : on discute pour savoir qui est le mieux placé en fonction de la problématique des parents et de ce qu’on pense pouvoir mettre en place pour l’après.

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Concernant l’analyse des facteurs de changements des pratiques professionnelles : - On a repéré que le regard qui est porté sur ces familles, sur ces femmes est différent, c’est une grossesse à risque médical, - Des protocoles de suivi proposent un cadre rassurant, - Les rencontres entre les parents et les équipes pédiatriques avant la naissance permettant de partager leurs préoccupations, de voir que les inquiétudes de la mère sont quasi les mêmes que des professionnels « Est-ce que mon enfant va aller bien ? », « Est-ce qu’il ne va pas souffrir ? », « Est-ce qu’il ne va pas devenir toxicomane un jour ? »… - Le temps d’accompagnement mère-enfant prolongé - Le soutien des soignants pendant les hospitalisations. Par exemple, si pendant 2 voire 3 semaines une maman est hospitalisée avec son enfant en maternité, il faut que tout le monde tienne notamment les équipes. C’est un moment où il faut être présent, plus auprès des équipes qu’auprès des mères (parce que c’est toujours l’histoire de la poupée gigogne). - Le retour d’informations est très motivant pour les équipes, c’est toujours important et gratifiant de savoir ce qui s’est passé après la sortie. Et tout cela permet une sécurité pour les professionnels. Le facteur de changement des mamans, c’est : - L’accueil en consultation par une sage-femme, par un professionnel de la grossesse - Le respect de leurs choix, de leur rythme - La transparence dans l’information, la séparation mère-enfant, le suivi des patientes, la présence du père… On travaille beaucoup sur les sensations corporelles, mais surtout à partir du médical, avec notamment la préparation à la naissance qui a un rôle particulièrement crucial. Sur une thématique comme la grossesse, on a la possibilité d’avoir accès à des postures, toucher la mère, qui est dans une période de changement de son image et perturbations de son schéma corporel. Au départ, je me disais qu’il ne fallait pas faire de sophrologie, mais si on ne part pas trop dans la visualisation ça va. La sage-femme doit rester vraiment sur le corps et les patientes répondent très bien à la relaxation. La participation active aux soins de l’enfant permet de rassurer et de renforcer l’image que ces femmes ont d’elles-mêmes. Dès qu’on renforce leur image, on agit de façon indirecte sur leurs consommations de produit. Pendant l’hospitalisation, le soutien par l’équipe, le temps de séjour cela va être dur mais elles vont pouvoir s’appuyer sur des personnes et pas sur des produits et toute l’équipe est attentive à cela, et quand la mère verbalise, elle ne consomme pas. Ce protocole a été étendu aux autres addictions, alcool et médicaments. Au départ via la poly toxicomanie et très rapidement aux autres vulnérabilités notamment la psychiatrie et la précarité des femmes qui ont du mal à se faire suivre. On a transposé cela dans d’autres lieux et notamment dans les cliniques à Montpellier. Désormais, il y a un temps de coordination de 12h pour chaque clinique qui fait 3000 accouchements chacune, ce qui permet aux gynécologues de ville lorsqu’ils ont une patiente un peu compliquée (même s’ils ne veulent pas creuser eux-même). Ils orientent vers la sage-femme et c’est elle qui creuse et qui se met en lien avec tous les professionnels, et qui prépare l’hospitalisation. Merci. » Intervention de Philippe Lecorps « J’ai beaucoup apprécié votre intervention car je trouve qu’un des problèmes que l’on a en général en médecine, c’est que les professionnels du soin ou de la prévention sont fixés sur leur objet, connaissance, savoir et ils ont bienveillance absolue vis-à-vis du patient mais ils ont du mal à voir où se trouve le patient lui-même. Aujourd’hui, on a eu des témoignages extraordinaires d’activités, d’actions diverses, d’organisations diverses toutes plus utiles les unes que les autres mais on n’a peu vu les patients eux-mêmes : quels sont leurs rêves, leurs attentes. Je dis souvent que les gens qui fument, 52 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


boivent, mangent… ont de bonnes raisons de le faire. Le problème est que ces raisons là peuvent les rendre malades ou les tuer, et qu’ils n’en n’ont pas une idée très précise de ces raisons. La question du professionnel qui veut vraiment les aider, c’est « Est-ce qu’il peut vraiment prendre le temps d’essayer de comprendre où se trouve l’autre et qu’est-ce que l’autre attend de lui ». Je pense que c’est cette question qui illustre un peu votre travail, je trouve que c’est un exemple pour nous du tissage entre les désirs des gens et la réalité médicale. » Question du public « Bonjour, je suis médecin gynécologue-obstétricien à la maternité Jeanne de Flandre et je m’occupe des addictions chez la femme enceinte. Je voulais poser une question vous dites « Il n’y a pas de consultation systématique pour ces femmes et que tous les gynécologues, sages-femmes voient ces femmes ». Est-ce que ces médecins ont eu une formation sur les addictions, sur les produits ou bien ils n’en parlent pas du tout ou simplement après il y aura des consultations alternées avec vous ? » Corinne Chanal « Toutes les sages-femmes qui font les entretiens à la maternité ont eu une formation pour aborder le sujet, les gynécologues pas forcément, certains ont plus l’habitude que d’autres mais justement l’idée c’est de grouper un professionnel qui connaît le problème et un professionnel qui ne le connaît pas afin qu’ils s’auto-forment. Car quand on travaille toujours avec le même gynécologue, on a un gynéco plus performé et dès qu’il n’est plus là c’est fini, il n’y a plus rien. Quand je suis une patiente, je l’envoie à un gynécologue qui correspond, soit le celui de la patiente et c’est souvent un libéral, je l’appelle pour qu’on se mette d’accord sur le lieu d’hospitalisation, ou alors un des gynéco de la maternité. Donc si c’est quelqu’un qui n’a pas beaucoup de formation ou qui ne s’y connaît pas bien, il peut renvoyer sur moi toutes les questions qui sont un peu plus spécialisées et lui fait son travail de gynéco obstétricien. Si c’est un gynécologue-obstétricien qui a plus l’habitude, dans ces cas-là, c’est moi qui me décale et je le laisse prendre la place. Et on fait des montages avec les gynécologues qui sont maintenant très au fait, avec une autre sage-femme de consultation qui va faire ce rôle de coordination pour que progressivement toutes les sages-femmes de consultation soient suffisamment à l’aise pour travailler en duo, et du coup c’est moi qui coache la sage-femme. L’idée, c’est de former les professionnels et former les professionnels, on ne met pas les médecins assis dans une salle de formation pendant 3 jours. » « Vous m’avez demandé de parler également de la stratégie auprès des professionnels, donc je change de casquette. La cellule « parentalité, usages de drogues », c’était le nom du projet financé qu’on a eu jusqu’en 97 sur la base d’un mi-temps de sage-femme, d’une vacation de pédiatre, de deux vacations de pédopsychiatre. On a eu 2 challenges imposés : - Ne pas augmenter le recrutement de la maternité de Montpellier, c’est-à-dire qu’il ne fallait pas qu’on attire les patientes de toute la région - Via la poly toxicomanie, on a été rapidement obligé d’étendre la prise en charge aux autres problématiques addictives On a donc tout de suite organisé des journées de formations pluridisciplinaires dans les différentes maternités du Languedoc-Roussillon, pour tout de suite essayer de former, soutenir les autres maternités pour qu’elles prennent en charge au moins les toxicomanies aux opiacés, ces femmes avec les enfants, avec un minimum de sécurité. Et par contre, on répondait en soutien téléphonique aux professionnels régionaux. Et ça a permis de ne pas créer un appel et que tout le monde ne vienne pas à Montpellier. On a eu des avancées conséquentes au niveau de la région avec une forte sensibilisation mais un peu inégale en fonction des villes parce que forcément les professionnels sont différents, les personnalités sont différentes et il y a une implication variable des réseaux de proximité ou d’Addictologie ou de périnatalité. Les pédiatres du Languedoc-Roussillon se sont mobilisés très rapidement et ont écrit un 53 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


protocole sur le sevrage du nouveau né et son traitement qui a beaucoup facilité la prise en charge dans tous les services des cliniques et hôpitaux de la région y compris les cliniques privées de niveau 1. Et on a créé un groupe de travail pluridisciplinaire « périnatalité et alcool » à Montpellier, l’alcool était plus compliqué pour nous car « on ne boit pas en Languedoc-Roussillon », il n’y a que dans le Nord, c’est bien connu !! Donc, on butait là-dessus et il fallait qu’on avance. Et on s’est rendu compte avec ce groupe de travail, qu’on avait besoin pour avancer d’une stratégie régionale et pas que d’une stratégie locale pour avancer sur grossesse et alcool. On a travaillé avec la Commission Régionale de la Naissance du Languedoc-Roussillon, qui existe dans toutes les régions, et qui a décidé de créer un groupe de travail « périnatalité et addictions », en 2006, pour avoir un état des lieux régional et qu’on puisse proposer des actions de terrain. On a donc créé un groupe régional de travail à partir de notre réseau régional et en alliance avec le groupe tabac « Vivre sans fumer ». Mais également l’aide du réseau périnatal régional « Naître en Languedoc-Roussillon », qui a soutenu le groupe de la CNR, sousgroupe bénévole, avec mise à disposition de secrétariat, méthodologie, salle de réunion, il a financé des actions régionales de formations de sensibilisations régionales. Puis, j’ai monté un projet avec le réseau périnatal en 2008. Notre état d’esprit était de partir de la demande des patientes et de celles des professionnels de périnatalité. Si on travaille à partir des besoins réels des professionnels, on peut avoir le même résultat qu’avec les besoins des patientes. Ce que demandent les professionnels de périnatalité, c’est d’avoir des conduites à tenir claires pour le suivi des patientes qui prennent des toxiques. Mais également savoir à qui les adresser, c’est-à-dire avoir des référents pluridisciplinaires dans chaque bassin de naissance. Et enfin, avoir des images d’avenir positives pour les enfants touchés par les produits in-utéro, notamment pour les enfants touchés par les alcoolisations fœtales. Au niveau des axes de travail, on est parti sur la sensibilisation des professionnels de la région au dépistage, créer des référentiels et protocoles et soutenir des professionnels de proximité, et aider à la communication, ça c’est le travail du réseau, on l’a également appliqué au champ Addictologie, entre les différents champs professionnels anténatal, post-natal, ville et hôpital. On a une dynamique de formation du réseau périnatal, il y a eu une grande formation sur l’entretien prénatal précoce, notamment la formation sur l’entretien et le travail en réseau. A partir de cette formation, il y a eu une demande des sages-femmes et notamment les sages-femmes libérales pour travailler l’abord de la question, l’abord des conduites addictives en entretien. J’ai mis un mot un peu fort « infiltrer les réseaux de formation », lorsque l’on prépare des journées spécifiques sur la thématique « périnatalité et addictions », on attire que les gens intéressés par cette problématique. Quand on introduit la problématique « périnatalité et addictions » dans un congrès non spécifique mais dans un congrès de gynécologie-obstétrique, de pédiatrie, dans une journée de formation sur le suivi des grossesses à bas risque, à ce moment là, on fait passer des messages qui sont plus efficaces auprès d’un plus grand nombre de personnes. Donc, il faut utiliser les réseaux de chaque champ professionnel. Et le réseau a organisé 2 journées pluridisciplinaires régionales, « grossesse et alcool » en 2007, « périnatalité et addictions » en 2008 et même en 2009 une journée « maternité sans tabac » avec Michel Delcroix. La journée de 2008 était centrée sur les expériences de chaque ville. Comment impliquer les acteurs de terrain ? Tout le monde ne peut pas venir à une réunion, ceux qui viennent sont ceux qui sont salariés, pour les libéraux et les privés, c’est plus difficile. On a donc déterminé une liste de correspondants dans chaque bassin de naissance et 2 possibilités de collaboration : les réunions et le travail en collaboration par mail (corrections, avis et validations de textes…), ce qui nous a permis d’avoir un groupe de 20 professionnels pour les réunions et un groupe de 130 professionnels pour le travail par mail, travail rédactionnel sur 2 thématiques : référentiels et fiches techniques. Les référentiels servent à avoir un socle commun de connaissances, et les fiches techniques, commande essentiellement des gynécologues-obstétriciens, conduites à tenir pratiques, sur 2 pages. Tous ces textes sont disponibles sur le site www.perinat-france.org. Le rôle du réseau « Naître dans le Roussillon », le rôle de tous les réseaux c’est de créer des protocoles, donc le champ Addictologie aussi. On a réalisé une première réunion et on s’est aperçu qu’il fallait traiter par produit, parce que ce sont les effets des 54 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »


produits qui intéressent à la fois la patiente et le gynécologue ou la sage-femme, après s’il y a des cumuls de produits, on fait avec. Ce n’est pas la dépendance que l’on cible, c’est là où on avait déjà la différence avec les addictologues, on ne traite pas la dépendance, nous sommes là parce qu’il y a une implication, une action des produits sur la grossesse. On a déterminé un plan, des groupes de travail délocalisés puis on a coordonné à partir du réseau périnatal. On a donc réalisé 6 fiches. Dans toutes les fiches, il y a « Adressez tôt aux sagesfemmes pour entretien du premier trimestre pour évaluation de la situation globale », car c’est surtout l’évaluation de la situation globale qui va nous permettre d’accompagner la patiente et pas que l’abord d’un produit. On l’a diffusé par mail, à tous les cadres de maternité pour mettre sur les bureaux des ordinateurs de consultations. Ils sont téléchargeables sur le site www.perinat-france.org. On travaille actuellement les protocoles d’obstétriques et ils seront inclus dedans. On a organisé des réunions par bassin de naissances pour réfléchir collectivement au projet d’organisation locale, pour améliorer l’organisation de la prise en charge. Les 3 axes sont toujours : - Réduire les risques sur la grossesse - Mieux suivre les enfants - Agir sur les comportements addictifs des femmes de façon directe ou indirecte L’important était de se rencontrer et de se connaître afin de mieux travailler ensemble. Pour organiser ces réunions, j’ai fait une liste d’invités pour qu’il y ait 1 ou 2 représentants de chaque champ professionnel et de chaque structure autour d’une même table. Les maternités ont été impliquées, elles ont choisi la date ainsi que tous les réseaux locaux spécifiques. Le plus important, c’est le tour de table, tout ce qui va être dit en pluridisciplinarité car les ressources et besoins de chacun vont trouver échos chez l’autre champ professionnel. Et à la fin d’un tour de table, on a en faisant le bilan, la moitié des réponses possibles dans le groupe lui-même, et du coup les gens se sentent renforcés parce qu’ils ont beaucoup plus de ressources que de manques. Environ 30 professionnels par ville avec à chaque fois un bilan des ressources et un repérage des référents locaux. Et actuellement, on fait un deuxième tour, pour voir le suivi des propositions qu’on a fait l’année dernière ou il y a 2 ans. Le suivi des enfants, c’est encore l’autre étape. La logique c’est qu’on a eu besoin de suivi au long cours, notamment à partir du risque d’exposition prénatale à l’alcool et ça c’est la suite du groupe de travail avec une incertitude du devenir des enfants exposés aux toxiques. Donc cela ne pouvait être que régional, et non au niveau du groupe de travail local, de plus on ne voulait pas stigmatiser les enfants. Alors, on a de la chance, c’est qu’il y a le réseau d’aval avec le suivi des enfants vulnérables et qu’il y a des passerelles entre les groupes de travail avec des médecins du CAMSP. Le suivi des enfants vulnérables a été associé aux enfants touchés d’alcoolisation fœtale, et également quand il y a une double problématique addictive. L’action à part est « tabac et grossesse », avec une grosse collaboration entre le réseau « Naître dans le Languedoc-Roussillon » et La Ligue contre le cancer : distribution de plaquettes à toutes les femmes enceintes avec déclaration de grossesse et don d’un analyseur de CO aux sages-femmes libérales formées et aux maternités. « Grossesse et tabac » a un financement également à part. Donc, ce sont les actions du réseau en résumé. Et actuellement, en plus, on travaille sur des requêtes auprès des CPAM ce qui nous permet d’avoir des indicateurs, des nombres de femmes sous traitement de substitution et sous médicaments psychotropes. On travaille sur des estimations et des objectifs à atteindre en termes de repérage et de prise en charge dans les maternités pour avoir des indicateurs d’évolution. Les protocoles d’obstétriques sont en réécriture et je vais aux réunions sur les protocoles d’obstétriques pour qu’il y ait la mention « Interroger la patiente sur les consommations de substances psychoactives». Merci. »

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Petits plus de la journée d’étude… Des caricatures Tout au long de la journée un dessinateur, Eric Appéré, était présent. Des caricatures des différents intervenants ainsi que de la salle ont été réalisées, quelques-unes vous ont été proposées dans ces exposés.

Des stands

ANPAA 59 ADALIS

Assurance Maladie CPAM Roubaix-Tourcoing

Conseil Général du Nord SPS Villeneuve d’Ascq

ECLAT-GRAA Réseau Périnatalité du Hainaut APPRI - ANSFT 56 ACTES Journée d’études du 3 juin 2010 « Addictions et Périnatalité : de la prévention à l’accompagnement – regards croisés »




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