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Ardavan Safaee : « Il faut repenser le modèle français dans son ensemble »

HÀ l’occasion du Congrès des Exploitants, le Président de Pathé Films revient sur la stratégie de "premiumisation" du groupe, tout en dévoilant son analyse sur les outils et actions à mettre en place pour renouveler le modèle de production et d’exploitation français.

Ce Congrès de Deauville sera sûrement celui de la reconstruction. Selon vous, quels sont les enjeux de cette manifestation ?

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La priorité est que l’ensemble des acteurs de la filière, producteurs, distributeurs, exploitants, puissent repenser leur métier. C’est là que ce congrès doit faire la différence. Si 2022 a été une année de reprise, 2023 sera la première année sans aucune restriction sanitaire pour les salles de cinéma. Nous-mêmes serons porteurs d’un line-up particulièrement fort avec entre autres le nouvel Astérix, Les Trois Mousquetaires, et les prochains films de Dany Boon et Albert Dupontel. Au cours de ce congrès, la profession devra s’interroger sur l’avenir de l’exploitation en salles mais aussi de la fabrication des films et comment les différents acteurs de la filière, producteurs, distributeurs, chaines de télévision et plateformes vont désormais collaborer. Notre rapport avec les opérateurs de streaming internationaux est aussi un enjeu crucial. Un changement majeur s’opère chez ces derniers car ils ont compris à quel point la salle peut être créatrice de valeur. À titre d’exemple, les équipes des cinémas Pathé Gaumont basées à Amsterdam diffuseront le nouveau film d’Alejandro Gonzalez Inarritu, Bardo, dans les salles hollandaises durant six semaines avant sa mise en ligne sur Netflix. Ce genre d’initiative devrait être renouvelée tant elle démontre à quel point les plateformes ont compris la valeur de la salle. À l’inverse, en France, les exploitants n’ont pas encore assimilé la valeur des plateformes de streaming.

Vous estimez donc que la chronologie des médias devra être renégociée ?

Cette chronologie a été signée à une période où les cinémas étaient fermés. Il était alors très complexe de la revoir intégralement, notamment sur la fenêtre des salles. Mais maintenant que nous nous dirigeons vers une année pleine, il est temps de repenser cette chronologie et notamment la fenêtre dédiée à l’exploitation tant les financements des films et leurs recettes sont désormais incertains. Il y a quelques années, nous bénéficions d’une certaine stabilité mais qui a volé en éclat : les entrées ne sont plus au même niveau qu’auparavant et le financement des films a évolué, avec des acteurs français mis en concurrence par des plateformes qui cherchent encore leur modèle économique. Jusqu’à maintenant, elles pensaient sortir des films sur leur service de streaming en faisant fi des salles. Elles n’imaginaient pas non plus diffuser de la publicité. Tout a changé. Warner vient de détruire un film de 90 M$ qui ne sortira ni en salles ni en streaming et Netflix ainsi que Disney+ s’initient à la publicité. Leur modèle économique change et la concurrence entre elles pourrait s’accroître dans les années à venir. Cela crée une instabilité économique pour les acteurs traditionnels dans le financement et l’exploitation des œuvres. Tant que cette stabilité n’existera pas, nous naviguerons en eaux troubles. Cela signifie qu’il faut nous adapter et retrouver une flexibilité dans un monde qui change. Cela commence par une renégociation de la chronologie des médias afin qu’elle soit adaptée aux nouveaux usages et à l’instabilité du financement comme de l’exploitation.

Ardavan Safaee

« Il faut repenser le modèle français dans son ensemble »

Vous sentez des réticences de la part de l’industrie sur cette épineuse question ?

Je ne suis pas d’un optimisme extrême. De nombreux acteurs comprennent la nécessité de changer notre modèle mais beaucoup d’autres sont encore très réticents. Cette année, les plateformes ont fait leur révolution. Le marché ne les oblige plus seulement à gagner des abonnés mais surtout à générer des bénéfices. Or, ces bénéfices proviennent en partie des sorties en salles, aussi bien en termes financiers qu’en terme de notoriété apportée aux films. Je n’ai pas l’impression que les acteurs traditionnels aient eux-mêmes entamé leur propre révolution sur la manière dont ils doivent aborder cette chronologie.

Toute la filière est confrontée à une grande complexité : il y a moins d’entrées, donc moins de recettes, mais la production des films coûte toujours aussi cher et leur frais de sortie aussi. Dès lors, comment repenser le modèle économique du cinéma français ?

Il faut d’abord repenser le modèle français dans son ensemble. Un modèle vertueux, respecté et envié du monde entier. Ce modèle repose sur notre capacité à renouveler nos talents et à produire des œuvres très diversifiées, aussi bien en terme de genre que de budget. C’est ce qui fait que le cinéma français est si reconnu dans le cinéma mondial et qui contribue à son succès commercial car si nous sommes capables de produire des films ambitieux, c’est parce que nos talents ont bénéficié d’un système qui leur a permis d’exister puis de grandir. Cela n’existe nulle part ailleurs. Ce modèle de renouvellement des talents et d’une production à la fois diverse et vertueuse doit continuer d’exister, tout en s’adaptant à un monde qui a changé. Il est donc nécessaire de repenser ce modèle de diversité pour qu’il soit adapté à un marché où les plateformes prennent plus de place, où les financements ont changé et où le public se rend moins en salles. Dans ce contexte, faut-il repenser la manière

dont nous produisons et distribuons nos films ? Certainement ! Après tout, de semaine en semaine, nous constatons une forte polarisation, en France comme ailleurs, avec une demande très forte sur les films porteurs alors que ceux plus à la marge du marché peinent à se distinguer. Et les films dits du milieu, qui ont fait la force du cinéma français, existent difficilement. Alors que faire ? À l’évidence, il nous faut déjà réfléchir à cette chronologie ainsi qu’à ce modèle de financement et d’exploitation qui, s’ils ne changent pas, risqueront de continuer à sur-polariser le marché. Nous ne retrouverons probablement pas un niveau de fréquentation tel qu’il était en 2019 mais c’était une année hors norme. Si on procède à une comparaison par rapport à 2018, la chute de fréquentation n’est pas aussi importante. Le plus inquiétant, c’est la perte de fréquentation que subit le cinéma d’auteur. Même s’il y a des contre-exemples comme La Nuit du 12 ou As Bestas. Mais, dans sa globalité, le marché du troisième trimestre a été très décevant car nous avons besoin d’une plus grande diversité de films. Or ces seuls films art et essai de qualité et une œuvre spectaculaire comme Top Gun: Maverick ne permettent pas au marché d’exister suffisamment.

C’est donc l’offre de films qui demeure la clé d’une exploitation optimale ?

La priorité, c’est d’événementialiser la sortie cinéma. Chaque film programmé doit être un événement en soi afin qu’il trouve son public. En sortant quinze longs métrages par semaine, cela devient impossible de créer un événement sur chaque film. Un tel volume de sorties ne fonctionne que si la population est habitée par une volonté forte de se déplacer en salles. Or les habitudes ont changé et on ne retrouvera pas celles préalables à la crise sanitaire. Il n’y a plus de jours interdits à la télévision, on trouve des films en catch-up, et les plateformes se sont renforcées. L’offre est forte et disponible partout. Dès lors, pour inciter le public à se déplacer au cinéma, il faut rendre chaque film plus évènementiel et plus original. En France, il nous manque des franchises fortes comme on peut en trouver aux États-Unis. C’est une piste de réflexion. Nous avons les talents pour concevoir des films d’envergure qui attirent le public. D’ailleurs, depuis la crise, bon nombre d’entre eux sont sollicités pour des tournages de séries ou films destinés aux plateformes. Ils ne sont donc plus disponibles comme auparavant pour se consacrer au cinéma. Il nous faut retrouver nos habitudes de production de films événementiels.

Le groupe Pathé a considérablement investi dans la qualité de son parc de salles. Une autre nécessité pour reconquérir le public ?

C’est Aurélien Bosc, Président des Ci-

"Les Trois Mousquetaires"

némas Pathé Gaumont, qui serait le plus à même de vous répondre. Je constate que les équipes des salles Pathé Gaumont fournissent un travail incroyable pour rénover et maintenir les salles dans une qualité à la fois d’image, de son, mais aussi d’accueil et de confort. Tout cela s’inscrit dans une politique portée par Jérôme Seydoux qui mise sur la premiumisation de nos activités, de nos salles et de nos films. Ces deux éléments sont liés. Il faut de belles salles avec une technologie optimale qui apporte aux spectateurs ce qu’ils n’auront pas chez eux et des films qu’ils ne verront nulle part ailleurs qu’au cinéma. Nous souhaitons monter en gamme sur l’ensemble de nos activités. Sur la production de films, nous allons investir sur moins de films qu’auparavant mais beaucoup mieux, en privilégiant des films événementiels tout en restant attentifs aux grands auteurs qui ont une résonnance sur les marchés français et internationaux, ceux que nous accompagnons depuis longtemps, et ceux qui émergent. À ce titre nous sortirons les prochains films de Kirill Serebrennikov et Matteo Garrone l’année prochaine. Tout cela témoigne de notre amour du cinéma et rejoint notre politique de restauration visant à préserver le patrimoine cinématographique français. Cela nous tient à cœur car beaucoup de films risquent de disparaître. Nous voulons leur donner une seconde vie en leur offrant une restauration de très grande qualité afin de les diffuser aussi bien en salles qu’à la télévision ou en vidéo.

Et le prix des places de cinéma estil aussi un axe de réflexion ?

Des opérations comme le Printemps et la Fête du Cinéma sont des événements qui ont fait leur preuve pour attirer massivement le public mais il faut se rendre à l’évidence, aucune enseigne commerciale ne peut survivre avec des produits soldés toute l’année. Ce n’est pas une bonne approche. Cela dévalorise aussi bien la valeur du film que celle de la salle. D’ailleurs, nous constatons que les parts de marché de nos salles premiums sont très performantes alors que les places y sont plus onéreuses. Quand l’offre est attrayante et suscite du désir auprès du public, le prix n’est pas un problème. J’en tire la conclusion que la priorité est de travailler davantage l’offre de films plutôt que ce levier là.

Comme vous l’avez évoqué, vous sortirez en 2023 une nouvelle adaptation épique et moderne des Trois Mousquetaires. Ce qui est audacieux dans votre démarche, c’est de proposer cette nouvelle version en langue française alors qu’elle vise un public international …

Si nous nous permettons de nous positionner sur un tel niveau de budget, c’est parce que nous savons que Les Trois Mousquetaires reste une propriété intellectuelle reconnue dans le monde entier et a généré de nombreuses adaptations, y compris en langue anglaise, sur un grand nombre de territoires. Le film a été pré-vendu sur tant de territoires qu’il s’est vite affirmé comme économiquement rationnel. C’est la même logique pour Astérix, Notre-Dame brûle ou pour Eiffel qui ont tous été très bien vendus. Cela permet d’amortir le choc de la sortie en salles. Quand nous produisons desfilms avec de tels budgets, nous nous attachons toujours à ce qu’ils soient dotés d’une valeur internationale très forte qui valide leur viabilité et leur rationalité économique.

Récemment, Notre-Dame brûle, de Jean-Jacques Annaud, a fait l’objet d’une expérience en réalité augmentée que vous avez menée en collaboration avec Ubisoft. À cette occasion, vous avez déclaré que le fait de fédérer les industries créatives était un moyen de renforcer le cinéma français à l’international…

C’est effectivement une piste intéressante car l’ensemble des industries créatives françaises est incroyablement riche, que ce soit la mode, la musique ou les jeux vidéos qui sont souvent porteurs d’évolutions technologiques importantes. Il est nécessaire d’utiliser les forces vives créatives françaises tant elles ont de choses à apprendre les unes des autres. Après tout, le cinéma fédère l’image, le son, les costumes, les décors… Pour Notre Dame brûle, nous avons eu recours à de nombreux métiers et savoirs faire d’artisans qui font la fierté du patrimoine français.

Jérôme Seydoux a récemment indiqué aux Échos que le groupe Pathé avait formulé une proposition de fusion avec UGC. Cette démarche s’inscrit-elle dans une stratégie d’acquisition pour faire grandir votre groupe ?

Notre première stratégie, c’est la premiumisation de nos œuvres et de nos salles pour mieux permettre le retour du public. Ensuite, nous avons besoin d’acteurs locaux solides pour maintenir une concurrence avec des acteurs étrangers puissants qui s’installent en France et prennent des parts de marché. Nous avons donc intérêt à nous renforcer pour rester des leaders. A ce titre, on ne peut que regretter l’échec de la fusion entre TF1 et M6, qui aurait pu donner le départ d’une consolidation plus large en Europe, et participer au renforcement de notre indépendance vis-à-vis des mastodontes américains.

Enfin, selon vous, à quoi ressembleront les salles de cinéma dans dix ans ?

Les cinémas vont évoluer vers des lieux de vie. Le public ne s’y rendra plus seulement pour découvrir un film mais pour y vivre d’autres expériences. Chaque cinéma devra créer son propre univers, avec des espaces de réception pour partager des moments conviviaux, ou encore des salles de jeux vidéo. Ces évolutions ont déjà commencé et sont amenées à s’étendre. La salle doit rester le temple du cinéma mais aussi devenir un lieu d’accueil généreux et attirant pour le public.

Propos recueillis par Nicolas Colle et Michel Abouchahla

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