REFLETS ESSEC N°85

Page 1

magazine N° 85

AVRIL 2010 - 11 

GUILLAUME JACQUEAU DG BARCLAYS PRIVATE EQUITY FRANCE

“Dans notre métier d'investisseur, il n'y a pas de succès sans écoute” IDÉES

Création de valeur… dix ans après TRIBUNE

Milton Friedman ressuscité CRÉATION D’ENTREPRISE

L’aide à domicile revisitée EXPERTISES

AVOCATS QUESTIONS D’ACTUALITÉ R85_001_COUV.indd 1

DIVERSITÉ UNE CHANCE POUR LA FRANCE

DISTRIBUTION LES ENJEUX DU E-COMMERCE 20/04/10 19:56:37



éditorial

Mahamadou Sako >E85 président d’ESSEC Alumni

Les Alumni du XXIe siècle …

L e

rapport moral et le rapport financier de notre association des alumni évoquent la mise en place de « l’association du XXIème siècle ». De quoi peut-il s’agir ? Après tout, cela fait déjà dix ans que nous sommes entrés dans ce siècle, et nous y faisons plutôt bonne figure.

Alors, quels sont les nouveaux défis ? D’abord, peut-être, se libérer de ce vocable d’ « association », très franco-français et peu compris à l’international. Les « anciens » ont déjà fait place aux « alumni », ce qui est un progrès. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est notre faculté à devenir un véritable club qui apporte à l’Ecole la force conjuguée de ses membres. Dans beaucoup d’universités étrangères de premier plan, les diplômés rendent un hommage permanent à l’institution qui les a formés : ils s’y retrouvent avec plaisir pour tous les grands évènements (colloques, matchs sportifs, inaugurations de toutes sortes…). De plus, ils ont à cœur de considérer leur « alma mater » comme artisan principal de leur réussite quand réussite il y a, tout comme cette « alma mater » doit son renom à la réussite de ses « rejetons ». Ils le prouvent d’ailleurs financièrement, et moins timidement qu’en France où cela n’est pas encore vraiment entré dans les mœurs : d’où la richesse des fondations et autres « endowments » qui assurent la pérennité desdites universités. Ne nous y trompons pas : la santé financière des grandes écoles françaises dépendra de plus en plus de leur aptitude à « aller au charbon » pour récolter des fonds. En effet, la partie de la taxe d’apprentissage consacrée aux écoles va devenir une peau de

chagrin, et les subventions publiques seront de plus en plus « mesurées ». Les alumni – pas seuls certes – devront donc prendre le relais : il faut se faire à cette idée et s’y préparer. Autre défi, parmi tant d’autres : la solidarité. Elle existe évidemment aujourd’hui, et de manière ô combien efficace. Mais là encore, il s’agit d’un véritable état d’esprit : tout alumnus devrait avoir pour principe de répondre systématiquement – même si c’est par la négative – à un alumnus qui s’adresse à lui. C’est là le véritable « effet réseau ». Bien sûr, cela ne marchera que si personne n’en abuse : toute publicité doit être bannie de ce genre de communication, sauf à être signalée comme telle. Enfin, preuve que nous aurons relevé nos défis : se sentir fortement membres d’un club. L’idéal, ce serait qu’un alumnus qui doit donner un rendez-vous d’affaires ou d’amitié à quelqu’un le fasse dans les locaux de l’association (que certaines universités d’outre atlantique appellent « memorial union »), à condition bien évidemment que ces locaux s’y prêtent ! Si je devais définir l’association des alumni du XXIème siècle, je dirais qu’il s’agit d’un club à forte cohésion, solidaire, mettant tous les moyens de ses membres au service de l’Ecole et de la marque ESSEC, un club auquel on serait fier d’appartenir. Plaise à vous tous que ce ne soit pas un rêve !

page 3

R85_003_edtorial.indd 3

mars-Avril 2010

20/04/10 20:11:53



SOMMAIRE magazine N° 85

AVRIL 2010 - 11 

N° 85

GUILLAUME JACQUEAU DG BARCLAYS PRIVATE EQUITY FRANCE

“Dans notre métier d'investisseur, il n'y a pas de succès sans écoute” IDÉES

Création de valeur… dix ans après

6 ACTUALITÉ

TRIBUNE

Milton Friedman ressuscité CRÉATION D’ENTREPRISE

L’aide à domicile revisitée EXPERTISES

AVOCATS QUESTIONS D’ACTUALITÉ

DIVERSITÉ UNE CHANCE POUR LA FRANCE

DISTRIBUTION LES ENJEUX DU E-COMMERCE

REFLETS MAGAZINE

Revue d’information et de réflexion économique 70, rue Cortambert 75116 Paris TÉL. : 01 56 91 20 20 FAX : 01 56 91 20 21 E-MAIL : essec.publications @essecnet.com TARIFS 2009

Prix du numéro : 11  Prix de l’abonnement annuel (5 numéros) France : 40  COMMISSION PARITAIRE :

1113 T 88 549 ISSN :

1955-7779 GÉRANT DIRECTEUR DE LA PUBLICATION

Philippe Desmoulins>E78 PRÉSIDENT DU COMITÉ EDITORIAL :

Guy Stievenart

RÉDACTEUR EN CHEF

Marie-Jo Gennaoui mj.gennaoui@ wanadoo.fr RÉVISION-CORRECTIONS

Sylvia Massias

Global Sports Forum Barcelona : zoom sur la 2e édition .......... 6 Women on boards : present perfect ? : table ronde de l’European PWN ........................................................................................................................ 7 Lancement de l’IDC/Institut diplomatique et consulaire ...... 7 Remise du prix du Cercle Montesquieu ............................................................ 7

8 IDÉES

La création de valeur : dix ans après ................................................................. 8

10 TRIBUNE LIBRE

Milton Friedman ressuscité............................................................................................. 10

12 CRÉATION D’ENTREPRISE

Senior Compagnie : l’aide à domicile revisitée .................................... 12

14 L’INVITÉ

Guillaume Jacqueau, directeur général France Barclays Private Equity : clés pour comprendre le métier de private equity .............................................................................................................................. 14

EXPERTISES 24 AVOCATS

Questions d’actualité ................................................................................................................ 24

PHOTOGRAVURE IMPRESSION

EDIR Immeuble Le France 9, rue Montgolfier 33700 Mérignac DÉPÔT LÉGAL :

Avril 2010

REFLETS MAGAZINE

est édité par ESSEC PUBLICATIONS SARL de presse au capital de 61 000 euros PHOTOGRAPHIES :

Steve Murez PUBLICITÉ :

F.F.E. 18, avenue Parmentier, 75011 Paris Serge Schando TÉL. : 01 43 57 91 62 FAX : 01 43 57 97 92 CONCEPTION RÉALISATION MAQUETTE :

63, rue Marius-Aufan, 92300 Levallois-Perret TÉL. : 01 80 88 53 10 notabene@nbpresse.com

35 DIVERSITÉ

La diversité, une chance pour la France ........................................................ 35

41 DISTRIBUTION

Les enjeux du E-Commerce ............................................................................................ 41

54 MOUVEMENTS

Nominations, On en parle dans la presse .................................................... 54

63 CAMPUS

Semaine de l’entrepreneuriat ....................................................................................... 63 Quand les diplômés soutiennent la philanthropie ........................ 64 Mastères spécialisés : cérémonie de remise des diplômes...... 65 Sociologie des femmes entrepreneurs : une étude riche d’enseignements ............................................................................................................................. 66

69 ALUMNI

Valeurs, services, réseaux, échanges, vie de l’Association et des Clubs .................................................................................................................................................... 69

89 À LIRE PAGE 90 : ILS ONT PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE NUMÉRO.

PAGE 5

R85_005_sommaire.indd 5

MARS-AVRIL 2010

20/04/10 20:10:07


actualité Global Sports Forum Barcelona

Débat autour de la place du sport dans nos sociétés La deuxième édition a rassemblé plus de 1 000 personnes venues des cinq continents. 70 intervenants ont animé les débats. L’édition 2010 a confirmé la vocation du Global Sports Forum, de véritable plateforme d’interactions entre le monde du sport, la société civile et le monde économique.

P

Jorge Andreu

L’allocution de bienvenue de Jordi Hereu – maire de Barcelone, partenaire principal de l’événement – a été suivie par une intervention émouvante de Evans Lescouflair, ministre de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique de Haïti : « La jeunesse Haïtienne veut rester debout a-t-il déclaré… le sport, parce qu’il plaît aux jeunes, parce qu’il est source de joie et parce qu’il est un formidable vecteur de socialisation, peut contribuer à nourrir une nouvelle espéLucien Boyer >E85, PDG Havas Sports, rance en l’avenir… et favoriCommissaire du Global Sports Forum ser un meilleur équilibre Majestueux et psycho-social de ces enfants en déshérence ». émouvant Lucien Boyer, PDG de Havas Sports, Commissaire du Global Sport Forum, a donné le coup d’envoi de Remise des « Global Sports l’événement. Il a notamment mis l’accent sur la Forum Trophies » place qu’occupe le sport dans notre société : le C’était l’une des grandes innovations de cette sport est partout, dans la rue, à la télévision, dans deuxième édition du Global Sports Forum Barceles cours d’école… c’est un moyen puissant et lona. L’idée à l’origine de la création de ces troefficace de transmettre un message à un grand phées, est de présenter au monde entier des initianombre d’acteurs - particuliers, entreprises ou tives de qualité liées au sport, dans différentes institutions – de les inciter à agir en lançant des catégories, correspondant aux thématiques de projets audacieux et novateurs, destinés à amélio- cette deuxième édition du Global Sport Forum. 49 rer la vie au quotidien…le sport véhicule des valeurs projets avaient été adressés au jury de présélection. fortes, incite à l’action, au dépassement de La sélection finale s’est faite sur la base des critères soi… Lucien Boyer a également rappelé l’objectif suivants : innovation, répercussions sociales, duraprincipal du forum : permettre une meilleure com- bilité et capacité à relever les défis. préhension du rôle essentiel que joue le sport dans Les gagnants ont reçu les Trophies créés par la la société d’aujourd’hui. Le sport, a-t-il dit, fait sculptrice espagnole Pepa Galindo. partie intégrante de notre vie quotidienne ; il faut A l’issue de ces journées, Lucien Boyer, Commisen faire un véhicule de progrès social. Le Global saire de l’événement, s’est félicité du succès de Sports Forum représente une excellente occasion cette édition qui s’inscrit dans la continuité de la de faire de cet objectif une réalité. précédente.

endant deux jours et demi, conférences et débats se sont succédés, portant sur quatre grands enjeux d’actualité : le développement durable, la nouvelle géographie du sport, le digital et la jeunesse. Ces grands axes ont été traités à travers huit thématiques : sport et éducation ; sport business ; sport, culture et créativité ; sport et santé ; sport dans la cité ; grands événements sportifs ; sport, coopération et philanthropie ; sports et géopolitique.

Mars-Avril 2010

R85_006_007_actualite.indd 6

page 6

20/04/10 19:47:07


actualité EuropeanPWN

Women on board : present perfect ? Les femmes doivent-elles aller jusqu’au conseil d’administration pour réussir ? Tel était le thème du cocktail-débat organisé, à l’occasion de la « Journée de la Femme », par le réseau European Professional Women’s Network .

T

rois personnalités ont participé à la table ronde animée par Emmanuelle Gagliardi – rédactrice en chef de L’On TOP – sur ce sujet : Junko Takaki, professeur enseignant, associé département management, co-titulaire de la Chaire Diversité et Performance de l’ESSEC ; Evelyne Sevin, partner, head of diversity council, Egon Zhender International ; Viviane Neiter, consultante, administrateur de sociétés cotées. L’organisation de cette table ronde – qui fait suite au projet de loi voté par l’Assemblée Nationale au mois de janvier dernier – s’inscrit dans le cadre des actions menées par EuropeanPWN pour promouvoir les femmes cadres à chaque stade de leur carrière.

Les intervenantes à la table ronde

Une étude qui dresse un état des lieux A l’automne dernier, EuropeanPWN avait co-publié une étude intitulée « L’accès et la représentation des femmes dans les organes de gouvernance d’entreprise » réalisée en partenariat avec l’IFA/ Institut Français des Administrateurs et l’ORSE/Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Ce travail avait permis d’établir un état des lieux impartial sur un large champ d’investigation international et de décrire les situations et les initiatives entreprises dans différents cadres réglementaires destinés à améliorer la représentation des femmes dans l’entreprise, ainsi que dans les conseils d’administration.

Brèves Le ministère des Affaires étrangères et européennes se dote d’un Institut diplomatique et consulaire (IDC). Inauguré par Bernard Kouchner, l’IDC délivrera une formation de quatre mois aux 44 nouveaux diplomates ayant rejoint le ministère en 2010. Dans ce cadre, et au terme d’un appel d’offres, le ministère a sélectionné l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation – ESSEC Iréné – pour concevoir et animer un séminaire consacré à « la négociation diplomatique : méthodes et pratiques ». Cette formation est coordonnée par Aurélien Colson, professeur de science politique et de négociation, directeur d’ESSEC Iréné. Le prix du Cercle Montesquieu 2010 a été attribué à l’ouvrage « Stratégies juridiques des entreprises » (éd. Larcier), dirigé par Antoine Masson, chercheur associé au Centre Européen de Droit et d’Economie de l’ESSEC. Les professeurs Viviane de Beaufort et Hugues Bouthinon-Dumas – du département Droit et environnement de l’entreprise – font également partie des contributeurs à cet ouvrage collectif. Le Cercle Montesquieu est une association de directeurs juridiques d’entreprises qui récompense chaque année le meilleur ouvrage de droit des affaires soulignant l’importance du droit des affaires dans la vie de l’entreprise.

page 7

R85_006_007_actualite.indd 7

Mars-Avril 2010

20/04/10 19:47:24


idées Nicolas Mottis Jean-Pierre Ponsard*

Création de valeur, dix ans après…** Comme dans les numéros précédents, nous consacrons cette rubrique aux travaux de recherche des professeurs de l’ESSEC. Il existe en effet un déficit de communication sur ce sujet entre l’Institution et les alumni, surtout pour les plus anciens d’entre eux. Nous revenons ici sur un important article publié en 2009 par Nicolas Mottis et Jean-Pierre Ponssard (professeur à l’Ecole Polytechnique). Il traite d’un sujet fondamental : quelle a été et quelle est aujourd’hui la stratégie de « création de valeur » des entreprises, et quel est le niveau de « sincérité » des acteurs à ce sujet, allant du simple effet d’annonce et de mode à la véritable mise en œuvre d’une stratégie cohérente ? Il souligne surtout la différence entre le discours des années 70, époque où la chose constituait un véritable élément de communication financière, et aujourd’hui : c’est devenu « tellement évident qu’on n’en parle même plus ! ». On n’en parle plus, mais la pratique-t-on encore ? L’article fait avec sincérité le point sur la question. Petit glossaire pour les nuls : EVA signifie Economic Value Added, et MVA Market Value Added.

S

ouvent présentée comme une innovation managériale majeure, la « création de valeur » a modifié les pratiques de pilotage des entreprises depuis la fin des années 1980. Ce concept a d’abord touché les entreprises américaines, avant d’atteindre l’Europe au cours des années 1990 et d’influencer assez profondément aussi bien les discours des dirigeants que la réalité opérationnelle de quelques groupes emblématiques. Cet article revient sur une étude menée par les auteurs au début des années 2000 relative à la mise en œuvre de cette approche dans les entreprises qui s’étaient à l’époque le plus engagées dans cette voie. Cette recherche, basée sur des interviews de nombreux dirigeants français et étrangers, avait conduit à proposer une typologie de situations mettant notamment en avant l’écart entre discours externes et pratiques internes d’une part et, d’autre part, l’impact sur quelques outils-clés, comme les indicateurs de performance ou les systèmes d’incitation.

La grille initiale La première section de l’article analyse la situation actuelle à la lumière de cette typologie. L’une des conclusions fut qu’au delà de discours généralement très volontaristes sur la création de valeur, les réalités étudiées pouvaient être classées en trois types. La

Mars-Avril 2010

R85_012_013_idees.indd 8

situation 1 s’expliquait essentiellement par des considérations de relations publiques externes (répondre à la pression des marchés financiers en matière de gouvernance d’entreprises). La vraie question était alors de savoir si les entreprises en question allaient se contenter de satisfaire à un effet de mode (adoption de la référence à la création de valeur comme discours idéologique incontournable) ou bien s’il s’agissait d’une étape pour modifier les pratiques internes. La situation 2 – la plus courante – correspondait à une étape au cours de laquelle l’entreprise reconnaissait que, si son but fut de tout temps de créer de la valeur, les développements récents fournissaient une aide pour rendre cette idée plus opérationnelle. La situation 3 renvoyait à quelques cas emblématiques : l’entreprise déployait systématiquement des démarches promues d’acteurs tels que Stern&Stewart sur l’EVA.

Les évolutions Par rapport à cette grille initiale, la première chose frappante aujourd’hui est la réaction de ces mêmes dirigeants relativement à la question « Où en êtes-vous en termes de pilotage de la création de valeur ? » : « C’est devenu tellement évident que l’on n’en parle même plus ! » Tous expliquent invariablement : « Oui,

page 8

20/04/10 19:54:15


Nicolas Mottis

Professeur à l’ESSEC Docteur en économie de l’École polytechnique, Nicolas Mottis est professeur à l’ESSEC, dont il a été directeur de 2002 à 2005. Ses recherches portent notamment sur l’articulation entre stratégie et contrôle de gestion (modèles de gouvernance, relations investisseurs, systèmes d’incitations et de mesure de la performance).

c’est incontournable, nous avons fait de gros efforts pour optimiser notre coût du capital et pour mieux contrôler le niveau de nos capitaux engagés au cours des dernières années » ; « nous avons d’ailleurs développé nos propres critères pour cela ». Accessoirement, il devient très difficile de trouver des entreprises qui citent explicitement l’EVA ou la MVA, critères qui avaient pourtant fait l’objet d’un dépôt de marque par leur promoteur (!) et de classements dans la presse il y a quelques années. Ce changement s’explique en partie par quelques éléments macroéconomiques s’inscrivant dans la longue durée.

Le poids des aspects macroéconomiques C’est l’objet de la deuxième section du papier qui tente, à partir d’une perspective historique sur la rentabilité du capital au niveau international, d’expliquer pourquoi ce concept a perdu de son importance, d’autant plus depuis la crise financière de 2008 qui a remis au premier plan d’autres critères comme la liquidité. En particulier, dans le cas de la France et plus généralement de l’Europe continentale, un facteur explique la pression exercée il y a dix ans par les actionnaires sur les dirigeants des firmes concernées : la sous-rémunération structurelle du capital par rapport aux entreprises américaines, sous-rémunération qui était maximale au début des années 1990. Cet écart s’est progressivement effacé à partir du milieu des années 2000 et a donc rendu la variable moins « urgente » pour de nombreuses firmes françaises. Une analyse des statistiques sur des groupes cotés permet aussi d’illustrer l’impact des équipes dirigeantes sur la création de valeur de leur entreprise et conduit donc à justifier l’intérêt porté, dans les débats sur la gouvernance, à la question de l’alignement des incitations dirigeants/actionnaires.

Création de valeur et incitations La troisième section revient sur cette question des incitations, point sur lequel les pratiques ont le plus fortement évolué. Dans les années 1980, les rémunérations des dirigeants d’entreprises restaient marquées par des références comptables et par leur faible corrélation avec la performance boursière. L’accent mis sur la création de valeur ne pouvait pas ne pas susciter une réaction sur les

Il a notamment publié récemment Contrôle de gestion et pilotage de l’entreprise avec deux collègues de l’ESSEC, René Demeestère et Philippe Lorino (4e édition, Dunod, 2009) et édité l’ouvrage collectif L’Art de l’innovation (L’Harmattan, 2007). Il participe aux activités de l’AACSB (responsable du comité d’élaboration des standards, des premières accréditations en Chine, du European Affinity Group) ; il est également membre du Cercle de l’entreprise.

modes de compensation. Quelques cas exemplaires de changement de système sont donc étudiés. Une interprétation mobilisant les concepts de « contrôlabilité » (capacité à maîtriser effectivement un phénomène en disposant des leviers d’action correspondants) et de congruence (alignement des intérêts dirigeant/actionnaire) est proposée : si la prise en compte de la contrôlabilité a perdu beaucoup de terrain, conséquence naturelle de la critique des approches comptables et budgétaires traditionnelles, la congruence a pris une grande place et a justifié des évolutions comme l’explosion des parts variables, en particulier assises sur des vecteurs comme les actions ou stock-options supposées sensibiliser à la valeur actionnariale. Or, ce qui a été gagné en congruence a de facto entraîné une forte perte de contrôlabilité : en pratique, on a ouvert une boîte de Pandore sans vraiment savoir comment la refermer – un exemple caricatural ayant été les manipulations autour d’outils comme les stockoptions. Cette grille de lecture permet de reboucler avec des débats plus généraux sur la théorie des incitations.

Conclusions L’article conclut sur trois points : Premièrement, passée la phase d’optimisation générale des capitaux engagés dans la grande majorité des entreprises, les dernières années ont été marquées par le retour à des critères plus classiques, tel que le ROCE, ou plus conjoncturels, tel que le suivi de la trésorerie, notamment depuis la crise financière de 2008. Deuxièmement, sur un plan macroéconomique, la pression relative sur l’optimisation du coût du capital et des capitaux engagés a beaucoup baissé dans le cas des entreprises françaises, simplement du fait du rattrapage effectué au cours de la décennie écoulée vis-à-vis des groupes américains en particulier. Troisièmement, la remise en cause générale, notamment sur la scène politique et syndicale, de mécanismes d’incitation jugés abusifs et la montée d’autres thèmes (RSE, sécurité, environnement…) déplacent le problème sur des approches mettant davantage l’accent sur les dimensions non financières du pilotage et marquent probablement le retour vers l’opérationnel et la contrôlabilité des systèmes de gestion de la performance. l * Jean-Pierre Ponsard est professeur à l’École polytechnique. ** Extrait d’un article publié dans le numéro spécial de la Revue française de gestion, « Concilier finance et management », décembre 2009 (n° 198-199).

page 9

R85_012_013_idees.indd 9

Mars-Avril 2010

20/04/10 19:54:30


tribune libre mars-avril 2010

R85_010_Tribune.indd 10

Milton Friedmn ressuscité

L

es étudiants d’aujourd’hui connaissentils Milton Friedman ? De nom, certainement. Mais son œuvre principale ? Un livre publié en 1962, en plein keynésianisme ! Pourtant, tous vous diront que sa pensée est à l’origine du libéralisme économique le plus débridé. Les plus radicaux se rappelleront que ses « Chicago boys » sillonnaient l’Amérique Latine dans les fourgons des pires dictateurs. Michel Rocard a même affirmé que Milton Friedman aurait dû être jugé pour crimes contre l’humanité : rien que ça. Quelle trahison pour l’ouvrage en question, «Capitalisme et Liberté », qui s’est contenté d’affirmer haut et fort que la liberté économique était nécessaire à la liberté politique ( mais probablement pas suffisante, comme le montrent les expériences asiatiques actuelles). Et quelle injustice vis-à-vis de celui qui affirmait en 1975 qu’il « s’opposait à toute ingérence du gouvernement dans l’économie ». Injustice encore que de lui attribuer les grandes dérèglementations des années 80 et 90, œuvre principale de l’administration Reagan, alors que sa proposition de mettre fin aux professions réglementées n’avait rencontré que peu de succès. Injustice enfin que de lui attribuer la constitution des grosses bulles financières de la fin du siècle, lui qui recommandait – sans en faire un dogme absolu – de laisser croître la masse monétaire à un rythme de l’ordre de 3 à 5%, un rythme en somme parallèle à celui de la croissance de l’économie « réelle ». Il faut saluer l’initiative des éditions Leduc d’avoir réédité en français cet ouvrage, jugé par de nombreux critiques comme l’un des plus importants du vingtième siècle. Il faut aussi remercier André Fourçans, professeur bien connu d’Economie à l’ESSEC pour sa préface qui, derrière un esprit critique louable ne cache pas son admiration pour la philosophie fondatrice de Friedman. Car – il le souligne – cet ouvrage est plus un traité de philosophique qu’un manuel d’économie. Cette préface nous rappelle que l’ESSEC fut, dans les années 70, l’un des hauts lieux en France où s’exprimait la pensée libérale, avec des esprits aussi exceptionnels que Florin Aftalion, Frédéric Jenny, et bien sûr André Fourçans.

Que nous dit Friedman de si important ? D’abord qu’il se méfie de l’« intérêt général » : en digne continuateur d’Adam Smith, il estime qu’une société n’est jamais mieux gérée que comme une somme d’intérêts particuliers. Or l’idée même d’un chef d’orchestre de l’intérêt général est suspecte à ses yeux : existe-t-il chez les fourmis ou les chenilles un chef suprême qui les pousse à se mettre en ligne ? Certes non : chacune ne voit que l’« intérêt » qui la pousse à se mettre derrière sa congénère la plus proche. Donnez un coup de pied dans la ligne, et elle se reformera spontanément. Aucun organisateur n’y arriverait plus efficacement. Autre concept central de notre économiste : la « flat tax », c'est-à-dire un impôt sur le revenu non progressif, et qui serait de l’ordre de 20%. Seuls les individus (revenus du travail et dividendes distribués) seraient imposés : on comprend les hurlements de la classe politique, toutes tendances confondues. Et pourtant … les calculs montrent que les prélèvements seraient au total peu différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. D’ailleurs Milton Friedman défend en contrepartie l’impôt négatif, proche de notre RSA. Serait-il à l’origine du « welfare state » ? Ce n’est pas là qu’on l’attendait ! Enfin, Friedman est surtout connu comme le chef de file des « monétaristes ». Il critique vertement ceux qui « jouent » avec la masse monétaire. Pour lui, celle-ci doit obéir à des règles claires, simples et connues de tous : une croissance de l’ordre de 5% par an afin de lutter contre l’inflation (qui prévalait à cette époque). Alors, un monstre, Milton Friedman ? On en est loin. IL n’a cessé au cours des années 70 et 80 de dénoncer les excès et dérèglements de la financiarisation du monde économique. Le rééditer constituait donc, dans le climat actuel, une œuvre de salut public.

Michel Gaurier >E68

page 10

20/04/10 16:26:32



création d'entreprise Senior Compagnie

L’aide à domicile revisitée

Nicolas Hurtiger a lancé son entreprise durant sa dernière année de scolarité. De la genèse de son projet à sa mise en œuvre, il raconte son parcours d’entrepreneur. Reflets magazine. Pourquoi vous êtes-vous

lancé dans l’aventure entrepreneuriale ? Quelles étaient vos motivations ? Nicolas Hurtiger. Ma culture et mon environnement familial m’avaient, dès l’enfance, sensibilisé à l’entrepreneuriat : ma mère est d’origine américaine, et ma tante a créé et développé son entreprise en Floride. Mon intérêt et mon goût pour l’entrepreneuriat se sont affirmés durant ma scolarité à l’ESSEC : mon expérience au sein de la Junior Entreprise a été en quelque sorte l’élément déclencheur. Parallèlement à la poursuite de mes études, je me suis mis en quête d’un concept porteur d’avenir ; c’est ainsi que je me suis intéressé à l’activité de l’aide à domicile : ce secteur, émergent et très atomisé, était encore peu structuré et présentait des opportunités de développement intéressantes. Senior Compagnie a été créée en décembre 2006, durant ma dernière année d’études. Je me souviens encore de la réaction de mon père lorsque je lui ai annoncé que j’avais refusé une offre d’emploi dans un cabinet de conseil, pour me lancer dans cette activité de l’aide à domicile : il en était estomaqué !… Il est aujourd’hui actionnaire de l’entreprise. RM. Comment vous êtes-vous préparé à la

création d’entreprise ? N. Hurtiger. Je m’étais fixé pour objectif de mettre à profit ma dernière année à l’ESSEC pour lancer mon projet. L’intérêt de ce timing est qu’il permet de limiter la prise de risque. Pour mettre toutes les chances de mon côté, j’avais orienté mon parcours en conséquence, en choisissant la filière « entrepreneuriat ». J’ai ainsi pu élaborer mon business plan en bénéficiant de l’encadrement des professeurs et de spécialistes du monde de l’entrepreneuriat. Le

Mars-Avril 2010

R85_012_013_Creation.indd 12

soutien et l’accompagnement de l’incubateur ESSEC Ventures et du réseau Paris Entreprendre m’ont été très utiles. L’incubateur de l’ESSEC m’a aussi fourni une aide matérielle au départ, avec notamment la mise à disposition d’un bureau équipé et l’accès gratuit au service de reprographie.

RM. En quoi consiste votre concept ? Quel est le contenu de votre offre ? N. Hurtiger. L’idée force est de rompre l’isolement social des personnes âgées, en développant une approche plus humaine, plus personnalisée, de l’aide à domicile. Senior Compagnie offre des prestations à vraie dimension sociale et conviviale. Notre offre s’articule autour de trois axes : l’accompagnement – compagnie et conversation, promenades, accompagnement aux loisirs… ; l’aide pratique – tâches ménagères, courses, préparation des repas, tâches administratives… ; l’aide à la personne – aide à la mobilité, soins et hygiène, toilette... RM. De l’idée à la mise en œuvre, quelle a

été votre démarche ? N. Hurtiger. Au départ, j’ai eu recours à un prêt étudiant et à un emprunt bancaire doublé d’un prêt d’honneur pour financer l’ouverture d’une agence en avril 2007 à Paris. Pour la première implantation, l’objectif était d’avoir un local commercial visible et bien situé, qui nous permette d’attirer une clientèle de passage et de rassurer quant à notre sérieux et notre professionnalisme. Il a ensuite fallu constituer l’équipe Senior Compagnie. Nous avons d’abord recruté une responsable du personnel bénéficiant d’une expérience de plusieurs années dans ce métier

page 12

20/04/10 19:58:38


de l’aide à domicile ; elle est aujourd’hui directrice d’agence. L’étape suivante a consisté à sélectionner les intervenants. Le deuxième challenge était d’obtenir l’agrément qualité indispensable à la vente de prestations dans notre secteur d’activité. Une fois celui-ci obtenu, nous avons pu démarrer l’activité. Le décollage a été un peu difficile : en dépit de nos efforts commerciaux, l’acquisition client se faisait à un rythme plus lent que prévu. Mais nous avons rapidement réussi à rattraper nos objectifs de vente, avec 150 clients desservis la première année, et 400 la deuxième année. RM. Vous évoluez dans un univers très

concurrentiel. Quels sont vos atouts ? N. Hurtiger. Notre principal atout réside dans la nature et la qualité de nos prestations. C’est la raison pour laquelle nous sommes particulièrement attentifs au recrutement de nos intervenants : la sélection est très rigoureuse, des tests permettent de mesurer les qualités professionnelles autant que relationnelles des candidats. Nous investissons aussi beaucoup en formation continue pour développer le « savoir-être » de nos intervenants. Notre culture d’entreprise, basée sur la valorisation du métier d’aide aux personnes âgées, crée une réelle identité de marque, originale, facilement repérable sur un marché fortement concurrentiel. En instaurant ce cercle vertueux, Senior Compagnie fidélise un personnel qualifié qui garantit la satisfaction de ses clients grâce à un service d’une qualité irréprochable et pérenne.

RM. Quel bilan tirez-vous de vos

Nicolas Hurtiger >E07

premières années d’activité ? N. Hurtiger. Aujourd’hui, notre agence pilote de Paris est rentable ; le point mort a été atteint comme prévu après dix-huit mois d’activité. Nous comptons quarante intervenants, ce qui est également conforme aux prévisions de recrutement. Par ailleurs, et pour mieux répondre aux attentes de nos clients, nous avons repensé et enrichi notre offre : celle de départ comportait des prestations d’aide à domicile et de sorties de loisirs accompagnées. Nous proposons désormais aussi des services de loisirs à domicile. Au final, le bilan global est très positif. Nous avons bénéficié d’une couverture presse significative. De plus, Senior Compagnie a été élue lauréat de Paris Entreprendre en 2007, a remporté le prix « Art de Vie » du Petit Poucet en 2008, et a été nominée aux Trophées du Grand Âge en 2009.

L’idée force est de rompre l’isolement social des personnes âgées en développant une approche plus humaine de l’aide à domicile RM. Quels sont vos projets à court et à

plus long terme ? RM. Comment avez-vous assuré le

financement de votre développement ? N. Hurtiger. L’ouverture du capital a été nécessaire à l’obtention de fonds suffisants pour envisager une stratégie de développement à l’échelle nationale. Ainsi, en avril 2008, une première levée de fonds de 60 000 euros a été réalisée auprès de business angels. Une seconde levée de fonds, plus importante cette fois-ci, est intervenue en juin 2009, auprès de fonds d’investissement. Le montant total, qui s’élève à 450 000 euros, offre à Senior Compagnie les moyens d’accélérer sa croissance. Ces fonds sont destinés à financer une campagne marketing significative et à mettre en place l’ingénierie réseau pour le développement en franchises.

N. Hurtiger. Fort du succès de notre agence pilote à Paris, nous avons choisi de développer des franchises au niveau national : notre objectif, ambitieux, est d’avoir 100 implantations dans les toutes prochaines années. Nous proposons la franchise clé en main, avec une aide à la création et une transmission du savoir-faire qui garantissent le succès des franchisés. Un accompagnement complet est ainsi fourni, avec la présentation d’un état du marché national et local, une formation de trois semaines, une assistance juridique et fiscale, une aide au recrutement des intervenants, un logiciel de gestion intégré, des campagnes de communication nationales et locales. Senior Compagnie est sur les rails. Nous sommes confiants dans l’avenir de notre concept.

page 13

R85_012_013_Creation.indd 13

Mars-Avril 2010

20/04/10 19:58:46


l’invité

steve murez

Guillaume Jacqueau Directeur général Barclays Private Equity France

« Dans notre métier d’investisseur, il n’y a pas de succès sans écoute » Trop souvent perçue comme une activité à dominante financière, le private equiy est en fait un métier généraliste qui associe aux techniques financières un ensemble de compétences, en matière de psychologie, de diplomatie, de communication… Guillaume Jacqueau propose un éclairage intéressant, et accessible, sur un métier qu’il pratique avec bonheur depuis 20 ans, et qui attire aujourd’hui de plus en plus de jeunes diplômés. Reflets Magazine : le private equity est au cœur de votre parcours. Pourquoi et comment avez-vous choisi ce métier ? Guillaume Jacqueau : Ce choix résulte d’une synthèse entre ma formation financière – un cursus orienté vers la finance à l’ESSEC, suivi d’un DESS de finance d’entreprise à Paris Dauphine – et mon intérêt pour des disciplines variées telles que le marketing, la stratégie ou les sciences humaines. Le private equity est en fait un métier assez généraliste, qui associe aux techniques financières un ensemble de compétences, qui relèvent à la fois du sens com-

mars-avril 2010

R85_014_017_Invite.indd 14

mercial, de la psychologie, de la diplomatie et de la communication avec les différents partenaires… J’avais découvert ce métier à l’occasion d’une étude de cas. J’avais d’emblée été séduit par cette démarche d’investisseur qui analyse un dossier, investit dans une PME qu’il va suivre, en tant qu’administrateur, pendant plusieurs années. A l’issue de mes études, j’ai effectué mon service militaire dans la marine ; j’occupais la fonction d’aide de camp de l’amiral qui commandait l’escadre de Méditerranée. J’ai navigué sur le

Colbert, les porte-avions Clémenceau et Foch… j’ai vécu une expérience très enrichissante ; j’y ai appris la rigueur, la gestion de crises et de risques, l’anticipation… j’ai acquis des réflexes et intégré des comportements qui me sont toujours très utiles dans l’exercice de mon métier d’investisseur. Cette parenthèse de 16 mois m’a permis de prendre du recul, et surtout d’avoir une vision claire de l’orientation professionnelle que j’avais envie de prendre. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me diriger vers le private equity.

page 14

20/04/10 20:35:07


RM : Quelles ont été les principales étapes de votre parcours ? G. Jacqueau : j’ai commencé mon parcours à la Banexi/groupe BNP. J’ai eu la chance de participer au démarrage du fonds Euromezzanine, premier fonds français créé par BNP et le Crédit National de l’époque. Ce fut une expérience très formatrice et très enrichissante. Je garde un excellent souvenir de ces cinq années d’apprentissage. En 1995, j’ai rejoint Barclays Private Equity. C’était encore, à l’époque, une petite structure, déjà très dynamique, qui occupait une position de challenger face à des acteurs – filiales de banques puissantes – bien installés sur ce marché. J’ai tout de suite été séduit par la culture de cette entité encore jeune sur le marché du private equity : le pragmatisme, une très grande liberté de manœuvre, l’absence de dogme sur les investissements – qu’il s’agisse de taille d’entreprises ou de secteur d’activité – et une grande ouverture sur tous les types de situation offrant des perspectives intéressantes. J’ai intégré Barclays Private Equity en qualité de chargé d’affaires. J’ai été nommé directeur en 1998, puis directeur général France en 2001. Je suis aussi, depuis 2007, managing director européen et membre du comité d’investissement européen ; je participe, à ce titre, aux réflexions concernant certains investissements européens à l’étranger.

RM : Comment appréciez-vous l’évolution du métier de private equity durant les deux dernières décennies ? G. Jacqueau : Ce métier s’est effectivement beaucoup développé depuis 20 ans : on peut mentionner tout d’abord la très forte augmentation du nombre d’acteurs, passant d’une dizaine il y a 20 ans, à plus de 200 aujourd’hui ; on a observé en parallèle un accroissement très significatif du volume de fonds disponibles et d’opportunités d’investissements. Le private equity s’est enfin beaucoup intermédié. Barclays Private Equity s’inscrit pleinement dans cette évolution : au fil des ans, la structure s’est étoffée : nous sommes passés d’une équipe de 5 personnes à près de 20 aujourd’hui ; la progression, en termes d’investissements, a aussi été très significative : en 1995, le ticket moyen d’investissement était de l’ordre de 3 à 10 millions de francs ; il est aujourd’hui de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le développement des activités de private equity a aussi parfois donné lieu à des excès – par exemple en surpayant ou en surendettant certaines opérations – qui ont eu un effet négatif sur l’image de la profession. Il est important, dans notre domaine, de ne pas se laisser griser par le succès. Il faut savoir rester vigilant, pour éviter l’investissement de trop, et garder le sens des responsabilités.

RM : Quel a été l’impact des différentes crises intervenues depuis le début des années 2000 sur le marché du private equity ? G. Jacqueau : Les crises – et celle des subprimes de 2007 en est un exemple provoquent généralement, et naturellement, un ralentissement de notre activité : il faut notamment faire face à des problématiques telles que la raréfaction des financements d’opérations - particulièrement de MBO – , des difficultés accrues à obtenir des conditions favorables, un rallongement des délais d’investissement, de gestion et de sortie… Dans le même temps, le marché devient aussi plus sélectif, ce qui est en soi une conséquence positive. En 20 ans, le private equity a vécu des crises économiques de différentes nature : L’Asie, la Russie, l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000, la crise des subprimes…Les difficultés conjoncturelles n’ont, à aucun moment, remis en cause l’utilité du métier. Les fondamentaux ont été, et sont toujours présents. Les entreprises familiales ayant un problème de transmission et les grands groupes qui cèdent certaines de leurs divisions ou de leurs filiales pour se recentrer sur leur «coeur de métier», représentent l’essentiel de nos dossiers. Or ces problématiques demeurent d’actualité ; il n’y aucune raison de voir les

3

page 15

R85_014_017_Invite.indd 15

mars-avril 2010

20/04/10 20:35:36


L’invité Guillaume Jacqueau 3

« moteurs » du marché de la transmission d’entreprise disparaître du jour au lendemain… RM : Dans quels secteurs se déploient vos activités ? Quel est concrètement votre métier ? G. Jacqueau : Il n’y a pas de dogme, tant en ce qui concerne le choix des secteurs – activité, taille des entreprises – qu’en termes d’investissements. Nous sommes ouverts à toutes les opportunités intéressantes qui peuvent se présenter. Notre métier est clairement orienté vers la transmission d’entreprises, principalement le MBO, et le capital développement . Nous avons à un moment donné, tout juste effleuré le capital risque, sans nous y attarder, parce que nous nous sommes rendus compte que c’était un métier à part. Nous nous intéressons à des sociétés mûres, qui ont des problématiques de transmission à résoudre, pour lesquelles nous prenons le plus souvent un ticket majoritaire – qui concerne plus de la moitié de nos opérations - . Il s’agit le plus souvent d’entreprises familiales mises en vente dans le cadre d’une succession, ou de PME ayant besoin de renforcer leurs fonds propres pour assurer leur développement. Depuis 1995, nous avons pro-

Notre métier consiste à traduire les risques en scenarii cédé à l’examen de 1500 à 2000 situations d’investissement. Nous en avons réalisé près de 100 ; C’est un chiffre important. RM : Sur quels critères fondez-vous votre décision d’investissement ? G. Jacqueau : L’appréciation de la qualité d’un dossier se fonde sur un ensemble diversifié de critères : économiques, industriels et financiers, bien sûr, stratégiques – marketing, positionnement commercial… - enfin, et je dirais surtout, des critères humains ; c’est ce que nous appelons le « fit », c’est-à-dire la proximité, d’entrée de jeu, avec le dirigeant d’entreprise. Notre évaluation porte sur la stratégie présentée par l’entreprise, le potentiel de développement de son activité sur son marché, la qualité du partenariat avec le dirigeant. Celle-ci va bien au delà de l’aspect financier .Ce dernier critère est essentiel : notre métier s’inscrit dans la durée ; nous sommes appelés à accompagner l’entreprise

Repères

Barclays Private Equity Un des principaux investisseurs en capital sur le segment du "mid-market" en Europe et en particulier en France. Trois décennies d'investissement dans des PME européennes: Barclays Private Equity a été créé en Grande-Bretagne en 1980 et a ouvert un bureau parisien dès 1990, ce qui en fait un des pionniers du capitalinvestissement dans les principaux marchés européens. Un réseau pan-européen, une culture locale: Barclays Private Equity investit en Europe via 7 bureaux répartis dans 5 pays (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie, Suisse). Ainsi les dirigeants des sociétés dans lesquelles nous investissons ont affaire à des interlocuteurs parlant leur langue et partageant leur culture. Près d'une centaine d'entreprises accompagnées en France: Barclays Private Equity France a connu un développement soutenu et régulier sur les vingt dernières années et a, à ce jour, investi dans près de

mars-avril 2010

R85_014_017_Invite.indd 16

100 entreprises en France. Ces entreprises, dynamisées par les équipes et les ressources financières de Barclays Private Equity, ont réalisé près de 80 opérations de croissance externe dans le monde entier. Une philosophie ouverte à tous les secteurs et à toutes les situations: Depuis 30 ans, Barclays Private Equity a investi dans tous types de secteurs, industrie, services financiers, services aux entreprises, distribution, agro-alimentaire, biens d'équipement, … Barclays Private Equity a pour philosophie de s’adapter au mieux aux situations rencontrées et de proposer des montages financiers compatibles avec le secteur, les ressources et la culture des entreprises. Fonds levés par Barclays Private Equity : 2002 : 1,25 milliard d’Euros 2005 : 1,65 milliard d’Euros 2007 : 2,45 milliard d’Euros

pendant plusieurs années ; il est indispensable de pouvoir établir et développer une relation construite sur la confiance. C’est la condition déterminante du succès d’une opération. RM : Quelle est concrètement votre démarche ? G. Jacqueau : Le partenariat est au cœur de l’exercice de notre métier : le travail de l’équipe est complété par les études confiées à des consultants extérieurs – auditeurs financiers, consultants en stratégie, avocats, experts… L’investisseur est en quelque sorte un chef d’orchestre, qui se forge des convictions, sur la base des conclusions qui lui sont transmises. C’est à lui qu’il revient d’apprécier les risques – d’ailleurs difficiles à quantifier – d’une opération. Notre métier consiste à traduire les risques en scénarii. La décision finale est fonction de la réponse à la question : l’investissement présente-t-il un couple risque/ rendement intéressant ? RM : Barclays Private Equity est reconnue sur son marché pour les compétences de ses équipes et son taux de réussite. Quelle est votre recette ? G. Jacqueau : Dans notre métier, il n’y a pas de recette toute faite, mais un ensemble de facteurs qui permettent d’en améliorer la performance : La capacité à trouver et à s’entendre avec les bons dirigeants de sociétés. C’est un facteur primordial de réussite d’une opération. Notre métier est d’abord et surtout un métier de détection et d’amplification des talents. Outre l’alignement d’intérêts, l’une des vertus du MBO est de trouver l’«énergie cachée» et de la faire ressortir ; dans certains groupes, c’est par exemple le cas de filiales dans lesquelles les énergies ne sont pas exploitées à leur juste valeur, parce que les activités de ces structures ne sont

page 16

20/04/10 20:35:54


pas considérées comme stratégiques. Notre rôle est justement de faire émerger ces énergies et de les amplifier. Une des clés essentielles est de savoir identifier les bonnes équipes de dirigeants et de les motiver. L’expérience de l’équipe d’investissement et la capacité des hommes et des femmes qui la constituent, à travailler ensemble, dans la démarche de réflexion, puis de prise de décision. La capacité à payer le bon et le juste prix, avec une structure de financement adaptée. Cela signifie notamment un effet de levier bien dosé, qui procure un rendement satisfaisant aux capitaux investis sans obérer le potentiel de croissance de l’entreprise. Enfin la capacité à s’entourer de bons conseils extérieurs : banques d’affaires, auditeurs, consultants en stratégie, avocats… Leur rôle est d’aider les investisseurs à identifier les risques et les opportunités du projet. RM : Quelles sont les valeurs qui fondent votre culture ? G. Jacqueau : Notre culture est fondée sur trois valeurs fortes, déclinées dès l’origine, et dont nous ne sommes jamais éloignés : investir, valoriser, partager. Nos atouts – qui nous ont permis d’assurer notre réputation sur un marché devenu très concurrentiel – découlent de ces valeurs fondatrices : la fiabilité, le professionnalisme, la permanence et la stabilité de l’équipe, le partage – en interne et en externe – de la performance le tout, bien évidemment, dans un climat de confiance et de transparence. RM : Quel est concrètement votre rôle ? Comment se déclinent vos missions d’investisseur ? G. Jacqueau : Notre démarche est fondée sur un principe clair de complémentarité : Le chef d’entreprise dirige ; l’investisseur accompagne. Notre rôle est d’aider les dirigeants à racheter leur entreprise ou à trouver des sociétés cibles. Nous n’intervenons pas dans le management opérationnel au quotidien, ce n’est pas notre vocation ; en revanche, nous posons des questions et pouvons donner notre avis sur les sujets

sur lesquels nous sommes légitimes. Nous accompagnons le dirigeant dans sa stratégie de croissance interne et externe, dans sa relation avec les banques, nous l’aidons à gérer l’effet de levier… Et finalement nous l’aidons à prendre du recul et à être moins seul. RM : Vous êtes directeur général de Barclays Private Equity France. Comment assumez-vous cette responsabilité ? Quel est votre style de management ? G. Jacqueau : J’exerce un métier où l’anticipation et le doute – constructif - sont permanents : interrogation et questionnement sont la règle. Il faut, de ce fait, savoir déléguer, échanger et partager. Notre rythme de travail est semblable à celui d’un coureur de fond. Dans ce cadre, la communication est le meilleur remède contre le stress. Je me déplace souvent, pour rencontrer nos partenaires européens ; je me rends aussi fréquemment sur les sites de nos participations. Le private equity est aussi un métier qui ne peut pas se faire « en chambre ». La proximité culturelle est un élément important de notre démarche métier, et un facteur de succès. Mon rôle de directeur général est de coordonner les efforts de l’équipe ; motiver chacun ; stimuler la réflexion ; enfin susciter l’enthousiasme et, en même temps le canaliser ; trouver le bon équilibre entre le rationnel et l’intuitif… RM : Les jeunes diplômés sont de plus en plus nombreux à s’intéresser au private equity. Quels sont les profils les mieux adaptés à l’exercice de ce métier ? G. Jacqueau : L’ouverture d’esprit, la curiosité, la soif de découverte, le sens du contact et le bon sens sont ici des qualités essentielles. Pour avoir une chance de réussir son parcours dans ce métier, il faut aussi avoir une formation généraliste, pour disposer de cette faculté d’adaptation à des situations et à des contextes différents. Il faut enfin être prêt à accepter les contraintes d’un métier exigeant, en termes de temps, et de disponibilité intellectuelle. J’ajouterais qu’il est difficile de se lancer

Guillaume Jacqueau >E87

dans cette activité sans une expérience professionnelle préalable – de 5 à 10 ans – par exemple dans des fonctions financières, stratégiques, juridiques …

RM : Au regard de votre expérience professionnelle, quel bilan tirezvous aujourd’hui de votre choix de carrière ? G. Jacqueau : Le private equity est un métier passionnant, par son ouverture sur le monde très vaste des entreprises. C’est aussi une activité riche d’enseignements, par la diversité de vues, d’analyses de problématiques. Chaque dossier à ses spécificités propres ; les angles d’analyse – humain, financier, industriel – sont à chaque fois différents ; l’investisseur est appelé à s’adapter en permanence à des situations différentes et à faire preuve de souplesse et de pragmatisme. Enfin, et c’est l’une des particularités de ce métier, et sans doute l’un de ses attraits, notre démarche s’inscrit dans la durée : nous construisons, sur plusieurs années, une relation avec les dirigeants d’une entreprise, nous participons à une histoire… cela aussi est, et reste extrêmement séduisant. J’ai choisi un métier qui correspondait à mes attentes, personnelles et professionnelles. La richesse des problématiques et des rencontres qu’offre ce métier, la qualité des relations nouées avec de nombreux dirigeants entrepreneurs, font que je m’y sens bien. Propos recueillis par Michel Gaurier >E68 et MJ. Gennaoui

page 17

R85_014_017_Invite.indd 17

mars-avril 2010

20/04/10 20:36:11



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.