Préface
Que l’on vienne des Pyrénées après une cure thermale ou une excursion en montagne, que l’on visite l’Aquitaine, que l’on se dirige vers l’Espagne ou que l’on se rende en Provence ou même en Corse, Toulouse nous ouvre ses portes et dévoile devant nos yeux ses maisons de bois et de briques d’un rouge ocre, ses ponts inégaux, sa Garonne, ses rues étroites et sombres, son architecture désordonnée, son histoire, sa beauté et ses contradictions. Le vent d’autan accueille le voyageur intrigué par cette ville à nulle autre pareille. En effet, Toulouse n’ennuie pas ses promeneurs : les écrivains du XIXe siècle qui l’on visitée l’ont parfois aimée ou parfois détestée, ont été déçus ou surpris, l’ont bien souvent comparé à Bordeaux, y ont recherché l’Italie mais aucun n’a jamais conçu d’indifférence à son égard. Si au XIXe siècle la violette et son parfum participent à la renommée de Toulouse, les écrivains-voyageurs sont davantage attirés par l’architecture, les monuments et les œuvres d’art. C’est l’époque de la prise de conscience d’un patrimoine national important à préserver et à restaurer. Des écrivains comme Chateaubriand puis Nodier ou encore Mérimée et l’architecte Violletle-Duc portent cette idée à travers leurs écrits mais aussi à travers leurs voyages dans toute la France pour recenser ces monuments afin de les classer et enfin les restaurer. À Toulouse, l’église Saint-Sernin retient l’attention de ces hommes de lettres qui s’emploient à la décrire sous tous ses angles, même dans ses plus plus infimes détails. Pour tous, même pour Stendhal très critique à l’égard 9
Voya g e à To u lo u s e
des monuments de Toulouse, Saint-Sernin est « magnifique » : « Dès que j’ai repris courage, je retourne à Saint-Sernin qui m’a profondément intéressé. C’est le premier édifice roman qui m’ait donné une profonde sensation de beauté.» L’église est pourtant très mal entretenue, quasiment abandonnée au moment où Stendhal la visite. C’est grâce à Mérimée qu’elle pourra être restaurée par Viollet-le-Duc à partir de 1855. D’autres édifices toulousains comme le musée et son cloître gothique font l’unanimité des visiteurs, ou encore l’hôtel d’Assézat de style Renaissance. En revanche, nos écrivains restent beaucoup plus partagés sur le Capitole qui pourtant est la fierté des Toulousains. Vivement dénigré par Stendhal, jugé « banal » par Joanne et Reclus, le Capitole n’est que modérément apprécié par les voyageurs à l’image d’une architecture toulousaine trop discordante. En effet, les rues mal pavées et trop étroites, les maisons en briques ou en bois, certaines églises aux styles mélangés déplaisent systématiquement aux différents écrivains qui ne manquent pas de le préciser vigoureusement dans leur récit de voyage. Après l’art et l’architecture, les voyageurs s’intéressent beaucoup à la population toulousaine à travers ses habitudes de vie, ses caractères, ses vêtements et bien entendu son accent si sonore. C’est alors le regard de l’intellectuel « parisien » qui se pose sur l’autre et le rencontre. Vivant pour la plupart dans le Nord de la France, nos écrivains s’étonnent, s’agacent parfois de la trop grande vivacité, de l’enthousiasme méridional que Stendhal ou Taine peuvent prendre pour de la grossièreté. Si Henry James reste fasciné par la prononciation toulousaine, Taine compare cet accent à un « jappement et comme des rentrées de clarinettes. » La foule, l’agitation, les voix trop fortes semblent indisposer certains de nos visiteurs qui leur préfèrent les figures féminines colorées et virevoltantes. Même si la rencontre ne se fait pas toujours dans l’harmonie, les voyageurs font tous l’éloge de l’hospitalité toulousaine et de cette générosité du sud. À travers les multiples visages offerts par la ville rose, les écrivains sont très sensibles à la douceur du climat et à la beauté des paysages environnants qui annoncent le Midi. Pour Flaubert, Michelet ou James, avec Toulouse commence le Midi, sa lumière et ses délices. C’est aussi l’évocation de l’Italie que beaucoup ont visitée et qui demeure la contrée idéale. Chateaubriand, Stendhal, Taine, Michelet et d’autres encore essaient de retrouver des traces d’Italie à Toulouse dans le langage, la luminosité, les 10
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couleurs ou l’architecture. Même si leur attente est déçue, Toulouse est bien la porte qui ouvre vers le pays rêvé. En suivant pas à pas le cheminement de nos écrivains-voyageurs, nous nous laissons enivrer, nous lecteurs, par une ville tout en caléïdoscope, spectacle étrange sans cesse renouvelé de couleurs, de senteurs, de lumière et d’ombre, de beauté et de laideur, entre les ruelles tortueuses et le clocher de Saint-Sernin se détachant dans l’azur. Après toutes ces images, restent le sentiment d’une mélancolie inexpliquée et la silhouette de Toulouse comme l’a décrite Taine à son arrivée : « Toulouse apparaît, toute rouge de briques, dans la poudre rouge du soir. »
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