Jean-Pierre Santini
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J’avais laissé la porte ouverte parce que Toussaint était passé par là. Je lui avais montré mes derniers travaux dans la maison et nous étions ressortis pour bavarder un peu sur la terrasse. Par habitude, par précaution peut-être, je ferme toujours les portes derrière moi. Ça faisait un sacré bout de temps que je ne rencontrais plus Toussaint. À vol d'oiseau, nos maisons sont distantes d’une centaine de mètres, mais lui ne vit pas en permanence au village. Quand j’aperçois ses fenêtres ouvertes, je sais qu’il est rentré de Bastia. On est en janvier. Alors, on s’est présenté nos vœux. C’est moi qui ai commencé pour dire quelque chose parce que Toussaint, il est du genre taiseux. On ne lui arrache pas facilement les mots. Il dit juste ce qu’il faut pour rester le plus longtemps possible en compagnie. Planté là, il attend qu’on lui fasse la conversation. Il apporte des réponses brèves aux questions qu’on lui pose et se garde bien d’en poser luimême. Il est dans la tradition. Ici, on aime le silence. Moi, je bavarde, mais le plus souvent avec moi-même. Parfois, ça donne des idées fixes. Je me dis qu’il faut coûte que coûte achever les tâches entreprises. Alors, sans désemparer, j’y consacre des heures, des jours et des semaines. Depuis que j’ai quitté la vie active, je me programme tout seul. Je m’impose des objectifs et des calendriers à respecter scrupuleusement. J’ai dit : tu es là depuis longtemps ? 5
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– Non, je suis arrivé hier, juste pour la chasse, et je repars demain soir. On était samedi. Toussaint ne manque jamais une battue au sanglier. J’ai dit : vous êtes encore nombreux ? – Une dizaine tout au plus. Le village s’est vidé. On compte à peine soixante personnes pour les douze hameaux. J’ai dit : et puis, il y a l’âge… – Je comprends ! On ne se déplace plus en montagne. On chasse au bord des routes. On rejoint nos postes en voiture. – Toi, ça te fait combien maintenant ? – Eh ! Soixante-cinq en février… – Et moi soixante en mars. On est restés un moment sans rien dire. Le temps nous courait dans la tête. Bien sûr, on est toujours là, on n’a pas encore décroché, lui à chasser le sanglier tous les week-ends et moi à n’en plus finir de faire des murs autour de la maison. – On ne voit pas le temps passer. – Sûr ! qu’il a dit, en hochant la tête. Il souriait et il restait planté là. Moi, j’en étais réduit à chercher des sujets de conversation pour donner un sens à notre rencontre. – Et qu’est-ce que tu fais à part ça ? – Là, je viens de terminer une porte pour Sophie. Dans un autre temps, quand on ne le voyait pas passer, qu’on était encore à peu près jeunes, Toussaint était menuisier et moi instituteur. – Tu as encore ton atelier ? – Non, je vais chez un ami à Bastia. Il me laisse travailler dans sa menuiserie quand j’en ai besoin. J’ai dit : il y a longtemps que je ne la vois plus ta fille. – Elle a changé d’appartement. Il fallait refaire une porte… – Mais j’ai de ses nouvelles parce qu’elle est sur Facebook. Lui, Facebook, il n’y comprend rien. Et puis, il n’a pas d’ordinateur. 6
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– En ville, il y a du monde et de la vie partout. Mais ici… – Sûr, bientôt on compte les gens sur les doigts des deux mains. Toussaint revient le vendredi, juste pour la chasse. L’été, parfois, il reste plus longtemps. Il joue aux boules sur la place de l’église. Certains soirs, il y a des spectacles pour les touristes. Ça permet de se distraire. – Et Josiane ? J’ai posé la question par politesse. La femme de Toussaint préfère vivre à Bastia près de leurs enfants. J’en ai profité pour relancer la conversation en récapitulant. – Donc, Sophie a changé d’appartement ? – Oui, elle habite quartier Saint-Antoine. Je ne sais pas où ça se trouve. Je ne sais rien de cette ville, ni des villes en général. J’ai fait semblant de m’intéresser. – C’est où ? – Au-dessus de Bastia, quand tu montes vers le col de Teghime. – Et elle est bien ? – Je comprends ! Il y a une vue sur les étangs de Biguglia et sur la mer… Hé ! Toussaint ponctue ses phrases quand il est satisfait. – Et ton fils ? Toujours dans son bar ? – Oui, sur la place Saint-Nicolas. C’est la plus grande place de Bastia. On n’y échappe pas. C’est là qu’on passe et qu’on repasse pour signaler sa présence au monde. Les bars ne m’intéressent pas. Et celui d’Hervé ne fait pas exception. J’ai quand même dit : il est où exactement ? – Tu remontes la place jusqu’à l’angle de la rue Miot. C’est juste là. – Ah, je vois... En fait, je ne fréquente pas la ville et encore moins la place SaintNicolas. Je ne suis pas habitué au monde. Je préfère la solitude du village. Les deux mois d’été sont pénibles, mais après on a tout le temps pour goûter à l’absence. Et ici, ça nous parle. Il a dit : Hervé fait aussi restaurant. 7
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– Ah, bon ? Un bar et un restaurant ? – Oui, plutôt un service rapide. Il y a une petite cuisine au fond. J’ai trouvé que c’était bien sans le penser vraiment. Les mots fonctionnent entre eux quand on n’a rien à se dire. La présence oblige à échanger. Quand il y a du monde, on prend le risque de rencontrer quelqu’un en sortant de chez soi. Au village, je suis tranquille. Parfois je fais semblant de me plaindre, mais c’est pour dire des banalités. – Tu comprends, quand on est seul, le moindre pépin pose problème. On a beau appeler, il n’y a personne. En plus, avec les pannes d’électricité et de téléphone, c’est l’angoisse. J’ai dit à Toussaint qu’il avait la chance d’avoir un appartement en ville et une maison ici. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Moi, je suis bloqué au village comme ceux qui y survivent, seuls pour la plupart. Quelques couples vieillissent doucement au coin du feu, chacun s’inquiétant de savoir si l’autre tiendra le coup longtemps encore. – D’ailleurs, je songe à prendre un pied-à-terre à Bastia… À vrai dire, je n’y avais jamais pensé avant de rencontrer Nathalie. Maintenant, c’est mon beau souci. D’autant que je suis atteint par la limite d’âge. Être encore amoureux à soixante ans, il faut avouer que c’est un peu ridicule. Toussaint est au courant de ma liaison, mais nous n’en disons rien. Ici, on n’expose pas ses sentiments. On les garde pour soi.
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Je pense à Nathalie depuis cinq ans. Elle affirme que c’est réciproque. Alors, elle dit : je nous veux. C’est sa trouvaille pour signifier qu’elle rêve de faire couple avec moi. Dans la réalité, c'est très épisodique. On se voit quand elle est disponible et donc quand son mari n'est pas là. Visiteur médical, il s’absente parfois trois ou quatre jours. J’attends toujours son coup de fil. Elle laisse sonner deux fois et raccroche aussitôt. C’est à moi de rappeler. Par galanterie, dit-elle. Il m’arrive de penser qu’elle est près de ses sous. Elle ne manque pourtant pas de moyens. Elle ne travaille pas, mais elle a hérité d’un beau patrimoine. Deux appartements en ville et une maison au village. Elle habite un des deux appartements, ne paye donc pas de loyer et encaisse celui de l’autre. Elle dit : cent vingt mètres carrés, trois chambres et un grand salon pour mille deux cents euros ce n’est pas cher. Et puis, le locataire est médecin à l’hôpital. Il peut payer. En plus, c’est un Libanais. Je n’ai jamais compris pourquoi elle disait « en plus ». Par contre, qu’il soit libanais ce n’est pas étonnant. Presque tous ses collègues sont étrangers à l’hôpital. Il y a des Tunisiens, des Albanais, des Roumains. Les Français préfèrent exercer en cabinet ou dans les cliniques. Ça rapporte plus. Bref, Nathalie a déjà un joli revenu avec son appartement d’Ajaccio. De surcroît, elle loue aussi sa maison, une grande bâtisse au cœur de Vico. On peut y loger deux familles. Il y a six chambres, deux salons, deux salles de bain et un grand jardin de 9
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mille mètres carrés. À dix minutes de la station balnéaire de Sagone, la location est de mille euros par semaine, entre juin et septembre. Nathalie a confié la gestion à une agence locale. Ça lui rapporte douze mille euros nets par an. En tout, deux mille deux cents euros de rente mensuelle. Financièrement, elle pourrait être indépendante, mais elle se complaît dans cette situation bancale et moi, je me trouve des excuses pour l’accepter. Ne suis-je pas amoureux ? Et puis, elle baise bien. Elle ne manque pas de pratique. Entre nos rencontres espacées, elle se donne à son conjoint autant qu’il le souhaite. – Avec lui, c’est sans amour, dit-elle. – D’accord, mais tu le fais quand même. – Non, moi je ne fais rien. Je le laisse faire. Il tire son coup. C’est tout. – Tu ne restes pas sans bouger quand même ?! – C’est juste pour donner le change. Et ça n’entame pas mon amour pour toi. – Et après, vous faites quoi ? – Après, je le laisse se reposer. Moi je me lève et je me lave. C’est comme si je n’avais rien fait. Ce sont des acrobaties. Nathalie choisit ses mots, mais je ne suis pas dupe. Je me dis qu’il faut être sacrément amoureux pour accepter de partager une femme. Elle me manque quand elle n’est pas là. C’est banal et je ne me sens pas unique. L’autre, c’est pour tenter d’oublier la solitude. Mais au fond, personne ne nous accompagne, même si des foules abstraites défilent dans nos mémoires. Bref, je me dis parfois qu’elle ou une autre, ce serait du pareil au même. D’ailleurs, je ne me prive pas de chercher ailleurs. Je vais sur des sites de rencontre où je ne rencontre jamais personne. C’est juste pour parler, dans le secret de l’anonymat, avec des inconnues. Je me libère un peu avec des mots quand Nathalie s’absente et que je l’imagine assidue au devoir conjugal. – Tu comprends, dit-elle, je ne peux pas refuser. Il se douterait de quelque chose. 10
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– Quelque chose, c’est nous ? – Oui, mais ce n’est pas rien. Pour moi, c’est tout. – Pas tout à fait quand même… La plupart du temps, tu es ailleurs, avec un autre. – C’est du temps mort. Ça ne compte pas. Je ne me sens femme qu’avec toi. Nathalie s’arrange avec la vie. La sienne et celle des autres. Mais la sienne passe toujours avant. Et moi, bien sûr, je l’attends. Elle dit que j’ai tort d’attendre. – Pourquoi ? Tu ne viendras jamais ? – Si, mais on a toujours tort d’attendre quelqu’un pour faire son chemin, pour se rencontrer soi-même. Selon sa théorie, il faut d’abord se trouver soi-même pour avoir une chance de rencontrer l’autre. – Et l’autre alors, il faut aussi qu’il se soit rencontré lui-même ? – Exactement, il faut être libéré de nos démons, de tout ce qui nous empêche de nous aimer vraiment. – Et c’est quoi s’aimer vraiment ? – C’est accueillir l’autre tel qu’il est. – Tel qu’il est quand on le rencontre ou tel qu’il est après s’être luimême rencontré ?
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Rentière, Nathalie a tout le temps et ne sait qu’en faire. Elle n’a pas d’enfant. C’était un choix. Aujourd’hui, ça lui manque peut-être. Elle ne s’occupe que d’elle. Chaque jour prend la forme d’une éternité. Elle se lève tard, jamais avant neuf heures, et prépare avec beaucoup d’attention son petit-déjeuner. – Tu comprends, dit-elle, le repas du matin influence toute la journée. Ce qu’on a dans le ventre fait tourner la machine. – C’est évident… – Oui, mais pas si simple. Il faut bien se nourrir pour se sentir à l’aise. – Quand on peut se le permettre, bien sûr… Ce n’est pas le cas pour l’immense majorité. Nathalie détourne la tête quand on lui parle de la réalité du monde. De manière générale, ça ne l’intéresse pas. Elle ne regarde jamais les infos. Il n’y a que du malheur, dit-elle. Et plein d’ondes négatives. C’est devenu son obsession les ondes. Les bonnes et les mauvaises. Je lui dis qu’il suffit peut-être de croire à quelque chose pour que ça existe. Elle proteste : mais ça existe les ondes ! Ce n’est pas une question de croyance. C’est prouvé ! – Les phénomènes ondulatoires oui… La radio, le wi-fi… C’est vrai. Mais les réalités physiques n’ont aucune intention. – Moi, je ressens les ondes quand elles nuisent ou apportent du bien-être. Ce que tu dis en ce moment propage des ondes négatives. Nathalie n’aime pas être contrariée. Depuis que je l’ai rencontrée, elle a participé à des « expériences » innombrables qui, selon elle, 13
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l’aident à avancer. Elle ne me dit pas exactement vers quoi ou vers qui. Elle me laisse entendre que c’est pour vivre un jour notre histoire. Comme ça fait cinq ans que ça dure, je ne me fais plus guère d’illusion. Je ne suis pas sûr qu’elle sache elle-même vers quoi elle avance. Elle se cherche. C’est assez banal, mais elle emprunte des chemins qui ne mènent nulle part. Nous avons souvent envisagé de vivre ensemble. Peut-être à cause de l’attente, du désir, de la frustration. On se rencontre parfois chez moi, mais plus souvent dans des hôtels. On prend nos repas au restaurant. La vie paraît facile. On se promène et on fait l’amour sans la moindre contrainte domestique. Se mettre en ménage, ce serait sans doute une autre histoire. Mais on aime bien rêver. On imagine un bel appartement en ville. On pourrait profiter de toutes les distractions offertes. Enfin surtout moi car elle ne s’en prive pas. Elle assiste souvent à des spectacles et ne se lasse pas de stages de toutes sortes qui l’aident à se « construire ». Elle me raconte sa vie au téléphone et moi la mienne qui, depuis la retraite, se limite à des travaux utiles dans la maison ou alentour. Bref, je m’occupe un peu en attendant de rencontrer Nathalie qui me fait, de temps à autre, l’aumône d’une visite et l’offrande de son corps.
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Heureusement, il y a Suzanne. Elle essaie toujours de me changer les idées. Elle vit très loin, dans l’Extrême-Sud, à Bonifacio. Elle écrit des histoires pour les enfants. Ça lui donne beaucoup de maturité. On reste parfois deux ans sans se rencontrer : alors, on s’envoie des e-mails ou on se parle au téléphone. Ce jour-là, elle a dit : je te sens encore prisonnier d’un succube cruel. Suzanne a du vocabulaire et des références. Moi, très peu. Je n’ai pas fait beaucoup d’études. Et puis elle est écrivaine. C’est comme ça qu’elle gagne sa vie. Avec des mots. – C’est quoi un succube ? – Un démon femelle qui séduit les hommes pendant leur sommeil. Elle déteste Nathalie. Peut-être parce qu’elle m’aime un peu et que nous avons bien failli entamer une histoire. Les amours mort-nées, ça vous colle à la peau pour le restant des jours. Malgré le temps et la distance, Suzanne s’accroche à ses rêves. – Tu restes avec elle parce que tu refuses de perdre. Cependant, la vie est là dans le soleil qui te frappe, dans la mer qui se réchauffe et qui t’attend, dans le chemin qui serpente et qui bientôt, pour l’été, ne t’appartiendra plus. La vie est devant ta porte si tu vois ceux qui t’aiment. Mais tu veux rester le prisonnier de ta diva des cimetières. Pour ceux qui m’aiment, à part elle, je ne vois personne d’autre. Sauf Nathalie, bien sûr, avec qui je parle d’amour quand elle n’est pas là et avec qui je le fais quand elle veut bien me rejoindre. Chaque mois, on passe une ou deux nuits ensemble. Pas plus. Tout juste pour 15
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les besoins. Quand ils sont satisfaits, je m’endors. Mais pas elle. Au début, je n’y avais pas prêté attention. Et puis, je me suis rendu compte qu’elle veillait pratiquement toute la nuit. Elle récupérait ensuite, par petits sommes, en cours de journée. – Ne t’inquiète pas pour moi. C’est mon rythme. – Mais tu fais quoi dans le noir ? – Je te regarde et je t’écoute dormir. Suzanne est intuitive. Elle a rencontré Nathalie une seule fois à l’occasion d’un salon du livre pour enfant sur la place Foch d’Ajaccio. Je les avais présentées l’une à l’autre. Elles s’étaient serré la main mollement. Le courant n’était pas du tout passé. Suzanne avait aussitôt repéré chez Nathalie des tendances vampiriques. – Cette fille va te faire souffrir. Elle a un regard noir. Tu n’imagines pas ce qui t’attend. – Et ça va se traduire comment selon toi ? – Par l’attente justement. Moi, j’ai trouvé la paix, et cela uniquement parce que j’ai cessé d’attendre. L’attente et le désir nous empêchent de vivre. Le temps passe, nous vieillissons, nous regardons les photos et nous nous disons que nous n’avons pas saisi le bonheur fugace qui passait par là. Ceux que l’on croit aimer nous entraînent parfois dans leurs pièges. – Et tu penses que Nathalie m’entraîne dans un piège ? – Pour moi, c’est évident. Depuis combien de temps dure votre relation ? – Cinq ans déjà. – Et combien de temps as-tu passé avec elle ? – Quinze à vingt jours par an tout au plus… – Et tu te contentes de ça ? Tu es aussi fou qu’elle ! Suzanne a sans doute raison. Plus personne n’accepte d’attendre pour vivre une histoire d’amour. En fait, Nathalie a toujours de bonnes excuses. – Tu comprends, il faudrait que j’aie une discussion franche avec mon mari, que je lui dise la vérité. 16
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– Et c’est quoi la vérité ? – Que je ne l’aime plus, que j’en aime un autre. Elle dit ça en me câlinant, en me regardant au fond des yeux. Les siens brillent tellement qu’il m’arrive de penser que ce n’est pas naturel. J’essaie de l’encourager à passer à l’acte en évoquant la statistique. Un couple sur deux se sépare au bout de quelques années. – Oui, mais toutes les histoires sont uniques. Et ce ne sont pas les chiffres qui peuvent nous aider à prendre une décision aussi importante. La décision importante, ce n’est pas de venir vivre avec moi, mais de quitter son mari. Elle trouve toujours de bonnes excuses. Elle me flatte. Elle dit que je suis fort, que je peux supporter beaucoup de choses, tandis que lui, le pauvre, son visiteur médical, il serait effondré s’il devait la perdre. Alors moi, un peu cynique : et si c’était l’inverse ? – Quoi l’inverse ? Elle a bien compris, mais veut me l’entendre dire. – Si c’est lui qui te quittait pour une autre femme. Il doit en rencontrer tous les jours en faisant ce métier… – Ça m’étonnerait ! Elle est sûre d’elle, Nathalie, sûre de son pouvoir. Elle sait mener les hommes et celui-là en particulier. – Je connais André par cœur. Il ne se remettra jamais du divorce de ses parents. Il avait huit ans. Depuis, il est formaté pour rester fidèle à une seule femme toute sa vie. Parfois, c’est bien utile pour les autres les blessures d’enfance. C’est comme ça que Nathalie tient son visiteur médical. Enfant abandonnique, il lui revient toujours. Elle joue le rôle de la mère qui lui a manqué.
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