Lyon et le spiritisme

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MickaĂŤl Ponsardin

Le Spiritisme Ă Lyon (1857 - 1937)


Léon Denis Après la Mort Christianisme et Spiritisme Le Problème de l’être et de la destinée La grande énigme (Dieu et l’Univers) Le génie celtique et le monde invisible Dans l’Invisible : Spiritisme et médiumnité

Allan Kardec t Le livre des Esprits Le livre des Médiums L’Evangile selon le Spiritisme Le Spiritisme à sa plus simple expression La Genèse, les miracles et les prédictions Oeuvres posthumes Le Ciel et l’Enfer La prière

Chico Xavier Il y a 2000 ans Nosso Lar Les messagers Missionnaires de la lumière Dans le monde supérieur Les ouvriers de la vie éternelle Dans les domaines de la médiumnité Action et réaction Entre la terre et le ciel Libération Cinquante ans plus tard Avé Christ Renoncement Paul et Etienne

Disponibles sur la libraire spirite :

www.editions-philman.com Imprimé en Europe — Dépôt légal : mai 2009 ISBN : 978-2-913720-46-6 — EAN : 9782913720466


Mickaël Ponsardin

Le Spiritisme à Lyon (1857 - 1937)

“Lyon est le rempart du spiritisme” Léon Denis



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Préface Retrouver un monde oublié

Le spiritisme n’a rien de mystérieux pour celui qui prend le temps de se pencher sur les trésors qu’il renferme. Lyon, ville tournée vers l’avenir peut être fière de son passé, de son histoire depuis les temps où elle se nommait Lugdunum. Lyon et le Spiritisme n’est que l’histoire qui se répète et résonne des trompettes funestement glorieuses de l’époque romaine alors que les premiers martyrs chrétiens enseignaient déjà les paroles de bonté et de charité du plus grand médium que la terre ait connue. Ces paroles réapparaissent dans le milieu du XIXème siècle, non pas par la bouche d’un seul homme mais portées aux quatre coins du monde dictées par les Esprits qui se communiquent partout et à tous les peuples. D’innombrables communications s’établissent entre les hommes et le monde invisible laissant un nombre considérable de messages. C’est dans ce creuset spirituel qu’est la ville de Lyon, qu’un mouvement spirite mondial trouvera ses racines. Entre la colline qui prie, Fourvière, et la colline qui travaille, la Croix Rousse, naîtra en 1804 un apôtre du spiritisme : Léon Denizard Hypolithe Rivail. Mais c’est seulement cinquante ans plus tard que ce professeur droit et honnête découvre le phénomène des tables tournantes, qu’il transformera grâce à son esprit de synthèse en un enseignement moral d’une grandeur incontournable. Il prend alors le nom d’Allan Kardec. Il vouera les dernières années de sa vie à cette révélation universelle classant dans ses ouvrages les messages du monde spirituel. C’est à cette époque que des milliers de lyonnais se reconnaisLe Spiritisme à Lyon


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Préface

sent dans cette doctrine fraternelle. Cet élan spontanée de spiritualité, d’amour et de justice entraînant les masses dans son sillon n’avait pas eu d’égale depuis près de 2000 ans. La ville s’enflamme d’une piété nouvelle pour ce qu’elle considère non pas comme une religion mais comme une révélation faite au monde. Les hommes voient dans cette philosophie, dans cette doctrine, un principe égalitaire qui dépasse les races, les frontières et le concept de l’unicité de la vie physique. Outre la survie de l’âme, acceptée par les religions mais non explicité, le spiritisme apporte l’explication des inégalités terrestres par la loi universelle de cause à effet qui engendre la théorie des vies successives. La raison et les faits constatés l’emportent sur des siècles d’obscurantisme et une foi sincère éclaire le cœur des hommes. Parallèlement les nombreux phénomènes provoquées par les médiums viennent secouer le monde scientifique qui trouvent les preuves d’une autre dimension pour l’humanité. Ecrivains et poètes apportent également leur pierre à l’édifice. Un lent déclin succèdera à cet enthousiasme après la mort du codificateur en 1869. Ce n’est que 200 ans après sa naissance, en 2004, qu’Allan Kardec reçoit un hommage solennel dans sa ville : un monument en forme de menhir a été érigé à sa mémoire sur les quais du Rhône dans le prolongement de la rue Sala à l’emplacement de la maison où il naquit. Une plaque commémorative est également apposée sur le mur des bas ports. Progressivement, l’être humain s’est de nouveau détourné de ces messages d’espoir pour notre humanité, mais le monde des Esprits apporte par vagues successives les connaissances qu’elle peut assimiler à chaque époque de son évolution. Les vagues se rapprochent et l’on peut déjà entendre le roulement de celle qui bientôt envahira d’une nouvelle ferveur Lyon la spirituelle.

Le Spiritisme à Lyon


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Introduction

A partir du 15 octobre 2004, une exposition intitulée « Lyon, cœur du Spiritisme » a été organisée à la Bibliothèque municipale de Lyon à l'occasion du bicentenaire de la naissance d'un lyonnais : Allan Kardec(1). Combien de Français, combien de lyonnais connaissent-ils ce nom ? Combien savent que c'est sous sa plume qu'apparut pour la première fois le mot spiritisme ? Très peu. Et pourtant, une recherche sur Google(2) avec le nom de Kardec indique que celui-ci est cité dans environ 70 200 pages sur Internet ! D'où viennent ces milliers de pages consacrées à Allan Kardec ? ! Du monde entier mais surtout du continent sud-américain et plus particulièrement du Brésil. Allan Kardec est le Français le plus lu au Brésil, avec plus de trente millions d'ouvrages vendus et déjà trois timbres nationaux imprimés à son effigie. Des dizaines de milliers de sociétés ou associations sont consacrées au Spiritisme, la plupart sous l'égide de la Fédération Spirite Brésilienne (FEB)(1). Avec une action sociale très marquée, « le Spiritisme gère aujourd'hui un très grand nombre d'écoles professionnelles, de crèches, d'ateliers de couture, d'orphelinats, de cliniques, d'hôpitaux, d'asile, de centres de distribution gratuite de médicaments homéopathiques ainsi que des maisons de retraite pour les personnes âgées.(2) » Selon le sociologue brésilien Reginaldo Prandi, il existait en 1990, dans le seul État de (1) Cette exposition sur l'Histoire du Spiritisme à Lyon a eu lieu à la Bibliothèque de la Part-Dieu pour une durée de trois mois à partir du 15 octobre 2004. (2) Google est le moteur de recherche le plus utilisé sur Internet. Environ 2/3 des recherches sur Internet sont effectuées avec cet outil. Le Spiritisme à Lyon


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Introduction

São Paulo, deux mille cinq cents centres spirites. L'un des plus impressionnants est le siège de la Fédération Spirite de l'État de São Paulo (FEESP). Bâtiment de onze étages, il est « ouvert toute l'année, sauf pendant le carnaval, il reçoit entre 6 000 et 10 000 personnes par jour (…). 3 000 familles sont hebdomadairement assistées, recevant notamment des soins et de la nourriture(3) ». Trouver un brésilien qui n'ait pas entendu parler d'Allan Kardec et du spiritisme, voilà un exploit qui relève du défi. Lors de leurs séjours en France, ils constatent avec étonnement l'importante méconnaissance d'Allan Kardec dans son propre pays. De passage à Lyon, ils se rendent rue Sala, où Allan Kardec a vu le jour, où tout de même, ils peuvent découvrir une plaque commémorative à sa mémoire, ainsi qu’un menhir. C'est pourtant à Lyon que les idées contenues dans les ouvrages d'Allan Kardec trouveront le plus d'échos au XIXème siècle. Fort de plusieurs milliers de membres, le mouvement spirite lyonnais sera le foyer spirite le plus important de France et peut-être même du monde entier comme l'écrira Allan Kardec lui-même. Les gones de Lyon composeront, dans la ville natale d'Allan Kardec, un mouvement spirite dynamique, persistant sur plusieurs générations. C'est cette histoire, aujourd'hui oubliée ou sous-estimée, que ces pages ont pour objet de retracer dans les grandes lignes. Le spiritisme est resté un tabou en France. Universitaires et journalistes l'abordent rarement sans émettre des opinions personnelles ou des préjugés qu'une étude plus approfondie montrerait souvent comme erronés ou faux. Contrairement à la coutume, l'auteur a choisi de rester objectif dans cet ouvrage et de se limiter aux faits de l'histoire.

(1) François Laplantine et Marion Aubrée, La Table, le Livre et les Esprits, p. 169. (2) François Laplantine et Marion Aubrée, La Table, le Livre et les Esprits, p. 166-167. (3) François Laplantine et Marion Aubrée, La Table, le Livre et les Esprits, p. 171. Le Spiritisme à Lyon


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Chapitre 1 Les phénomènes spirites

Avant le spiritisme… le magnétisme Les ouvrages spirites fixent habituellement la naissance du spiritisme en 1848, date à laquelle le récit d'une maison hantée va défrayer la chronique en Amérique puis en Europe. Cette histoire sera à l'origine de la célèbre vogue des tables tournantes. Avec le recul de notre époque, cette date apparaît inexacte. En effet, plusieurs décennies avant que les tables tournantes soient à la mode, les phénomènes dits du magnétisme étaient déjà considérablement répandus en Europe. La presse foisonnait d'articles relatifs à ce thème, pour ou contre. Il était alors de circonstance de bien différencier le magnétisme, qui était connu depuis plusieurs générations et qui était déjà populaire, du spiritisme nouveau, et dont les conséquences philosophiques allaient bien au-delà. Mais, pour nos yeux contemporains, nous retrouvons parmi les expériences magnétiques la plupart des phénomènes qui se reproduiront dans les expérimentations spirites. Si tous les magnétiseurs n'étaient pas spirites, nous verrons que la majorité des spirites étaient aussi magnétiseurs. Le magnétisme fut fondé par Franz Anton Mesmer, médecin autrichien qui s'installa à Paris en 1778. Il avait soutenu une thèse intitulée De planetarum influx où il postulait que tous les corps, minéral, végétal ou organique, sont soumis à des flux d'énergie, appelés « fluides » et que la répartition harmonieuse de ce fluide est garante de la santé physique et mentale(1). (1) Nicole Edelman : Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, p. 16. Le Spiritisme à Lyon


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Une des méthodes pour rétablir l'équilibre est l'utilisation d'un aimant, d'où le nom de magnétisme. Après avoir constaté que le même effet est obtenu avec les mains, l'aimant sera abandonné au profit des « passes ». La circulation d'énergie sera alors rétablie par des attouchements ou des pressions locales du magnétiseur sur le patient. Un disciple de Mesmer, le marquis de Puységur, va faire une nouvelle découverte en magnétisant un de ses domestiques, Victor Race. Celui-ci « tombe en état de sommeil profond, mais reste capable de parler lucidement. Il décrit l'intérieur de son corps, diagnostique sa maladie, se prescrit soins et médicaments et (…) guérit(1) ». Le marquis de Puységur annonce sa découverte en mai 1784 sous le nom de « somnambulisme provoqué » ou « somnambulisme magnétique ». En effet ce phénomène nouveau s'apparentait au somnambulisme naturel, à la nuance près qu'il était provoqué à volonté. Dans cet état, quelques expérimentateurs observeront chez leurs sujets des phénomènes troublants comme l'anesthésie ou l'hyperesthésie, partielles ou complètes, la vue malgré les yeux fermés, la vue à distance, la vue à travers les corps, la faculté de lire les pensées, etc.(2) A Lyon, en 1784, Jean-Baptiste Willermoz fonde une société de magnétisme animal, s'inspirant de la découverte du marquis de Puységur, la Concorde. Des expériences seront produites sur des animaux malades pour confirmer la vue des somnambules à travers les corps. Ainsi après que le somnambule ait fait son diagnostic sur la nature de la maladie de l'animal, celui-ci est abattu et autopsié(3). Une des somnambules, Jeanne Rochette, va intriguer les membres de la Concorde. A partir de février 1785, celle-ci commença à avoir des visions qui s'affineront peu à peu : « Elle voit les âmes des bienheureux, les parents et amis morts, les proches disparus de ceux qui (1) Nicole Edelman : Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, p. 18. (2) Voir à ce sujet l'ouvrage de Bertrand Méheust : Somnambulisme et médiumnité. (3) Nicole Edelman : Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, p. 19. Le Spiritisme à Lyon


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la magnétisent. Elle les voit entourés de flammes ou baignés de lumière. Elle les dit « délivrés » ou encore dans le tourment. Ainsi la mère de Willermoz : “Cette ombre noire, c'est votre mère. Ah ! qu'elle souffre et depuis longtemps, elle a bien été oubliée, cette pauvre femme, elle me fait pitié.” Le négociant raconte même que la somnambule lui a fait part d'événements qui avaient eu lieu entre sa mère et lui, et dont personne n'était au courant(1). » Après quelques mois, Jeanne Rochette n'a plus besoin d'être magnétisée par un assistant pour entrer en somnambulisme, cet état sera provoqué directement par les Esprits. Jeanne Rochette est ce que l'on nommera, soixante ans plus tard, une médium. Les Esprits utiliseront directement sa voix pour se communiquer mais aussi sa main, puisque de nombreux cahiers seront écrits par écriture automatique. En 1847, Louis-Alphonse Cahagnet publia Arcanes de la vie future dévoilés, ouvrage qui rassemble de nombreux entretiens établis entre Cahagnet et divers Esprits à travers la somnambule Adèle Maginot. A la sortie de ce livre, le baron du Potet, célèbre magnétiseur, écrivit dans une lettre privée à Cahagnet : « Vous traitez vingt ans trop tôt de ces questions : l'homme n'est pas préparé à les comprendre(2). » « En effet, si l'on consulte les traités de magnétisme animal, on trouve bien des traces des préventions qu'entretenaient à ce sujet les magnétiseurs ; préventions qu'explique leur crainte que les manifestations de cette nature fissent surgir de nouveaux obstacles à leur tâche de convaincre le monde des guérisons merveilleuses obtenues par les pratiques magnétiques. Mais il n'est pas moins vrai que, malgré les préventions, les manifestations d'entités de défunts par l'entremise somnambulique se réalisaient assez sou(1) Christine Bergé : L'au-delà et les Lyonnais, p. 39. (2) Ernest Bozzano : A propos de l'introduction à la métapsychique humaine, p 9. Le Spiritisme à Lyon


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vent. M. Deleuze(1) lui-même, dans sa correspondance avec le docteur Billot, le reconnaît dans les termes suivants : « Je ne vois pas de raisons pour nier la possibilité de l'apparition de certaines personnes qui, ayant quitté cette vie, s'occupent de ceux qu'elles ont chéris et viennent se présenter à eux pour leur donner des avis salutaires. Je viens d'en avoir un exemple, le voici… « Et Deleuze expose le cas d'une somnambule à laquelle son père décédé se manifesta deux fois pour la conseiller au sujet de l'époux qu'elle devait choisir ; ses conseils impliquaient la réalisation d'un fait encore éloigné dans le temps, et qui se réalisa ponctuellement à l'époque indiquée(2).» Le Dr Billot décrira en réponse à Deleuze un phénomène merveilleux qu'il a constaté : l'apport d'une plante médicinale qui tomba sur les genoux de sa somnambule par l'intervention d'un Esprit(3). Le magnétisme aura largement préparé les Esprits à la venue du spiritisme, ainsi que le prouve le journal lyonnais Le Somnambule, journal de magnétisme qui, en 1843, reprend en exergue une citation attribuée à Deleuze : « Le magnétisme démontre la spiritualité et l'immortalité de l'âme(4). »

Les sœurs Fox En 1848, le cas d'une maison hantée à Hydesville, hameau américain dans l'état de New York, va connaître un retentissement mondial. Depuis le 11 décembre 1847, cette maison est habitée par la famille Fox composée des deux parents et de deux filles, (1) Note de l'auteur : Jean-Philippe-François Deleuze (1753-1835) était un magnétiseur très célèbre. (2) Ernest Bozzano : A propos de l'introduction à la métapsychique humaine, p 8. (3) Ernest Bozzano : A propos de l'introduction à la métapsychique humaine, p 9. (4) Christine Bergé : L'au-delà et les Lyonnais, p. 64. Le Spiritisme à Lyon


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Margaret, quatorze ans, et Kate, onze ans. Bientôt, des bruits ressemblant à des coups frappés sur une porte vont importuner la vie de cette famille. L'histoire de la famille Fox, reprise dans tous les ouvrages historiques du spiritisme, a été si souvent réinterprétée que l'on peut trouver tout et son contraire à son sujet. Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, a mené sur cette question une enquête documentée qu'il nous livre dans Histoire du Spiritisme : « Les bruits ne semblent pas avoir gêné la famille Fox jusque vers la mi-mars 1848. A partir de ce moment, ils augmentèrent sans cesse d'intensité. Parfois ce n'était qu'un simple coup ; à d'autres moments on aurait dit qu'on déplaçait des meubles. Les enfants se sentaient tellement inquiets qu'ils refusèrent de dormir seuls, et qu'on les installa dans la chambre de leurs parents. Les bruits vibraient si fort que les lits tremblaient. On procéda à toutes les recherches : le mari fit le guet d'un côté de la porte tandis que la femme se tenait de l'autre ; les coups continuaient, continuaient sans désemparer. On remarqua bientôt que la journée ne favorisait pas le phénomène et cela renforça naturellement l'idée d'une supercherie ; mais on essaya toutes les solutions possibles, sans succès. Finalement, la nuit du 31 mars, il y eut une éruption puissante et continue de bruits inexplicables. Cette nuit là, (…) la jeune Kate Fox mit au défi la puissance invisible de répéter son claquement de doigts. « Le défi de l'enfant, quoique lancé d'une voix peu respectueuse, reçut une réponse immédiate. A chaque claquement de doigts répondait un coup en écho. (…) Mme Fox était abasourdie par ce premier pas, mais le second augmenta encore son étonnement : on découvrit que la force voyait apparemment aussi bien qu'elle entendait car, quand Kate claqua des doigts sans faire de bruit, un coup répondit pourtant. La mère posa une série de questions et les réponses données par chiffres, montrèrent une plus grande connaissance de ses propres affaires qu'elle n'en avait ellemême ; car les coups insistaient sur le fait qu'elle avait sept enfants tandis qu'elle protestait n'en avoir mis au monde que six, jusqu'à Le Spiritisme à Lyon


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ce qu'un septième, mort précocement, lui revînt en mémoire(1). » La nuit même, alors que la rumeur se répand dans le village, les voisins accourent en foule dans la maison. En l'absence des deux filles et de la mère qui dormirent ce soir-là chez des voisins, la foule passa une bonne partie de la nuit à poser des questions à l'intelligence invisible. Un homme, nommé Duesler, eut l'idée d'épeler l'alphabet afin d'obtenir des réponses plus précises : pour former chaque mot, les lettres retenues étaient celles sur lesquelles un coup était frappé lors de l'épellation. On apprit ainsi que l'intelligence qui s'appelait elle-même « esprit » avait été un homme assassiné et enterré dans cette maison pour de l'argent alors qu'il exerçait son métier de colporteur. Il faudra attendre 1904 pour qu'un corps soit découvert dans la cave de la maison. Ce fait est raconté par le Boston Journal du 22 novembre 1904 : « le squelette de l'homme censé avoir causé les coups entendus pour la première fois par les sœurs Fox en 1848 a été découvert dans les murs de la maison occupée par les sœurs, et les innocente de la seule ombre de doute qui ternissait encore leur sincérité dans la découverte de la communication avec les esprits. (…) William H. Hyde, propriétaire de la maison, (…) découvrit un squelette humain presque complet entre la terre et les murs croulants de la cave, indubitablement celui du colporteur(2). » Les coups frappés se produisaient partout où se rendaient les sœurs Fox et il apparut rapidement que leur présence était nécessaire pour que l'agent invisible puisse se manifester. La nouvelle se répandit rapidement en Amérique du Nord. Sceptiques ou convaincus, tous ne parlaient que de cette étrange aventure. Deux premières commissions de citoyens étudièrent ces phénomènes inhabituels et « échouèrent à découvrir aucun moyen par lequel on aurait pu les obtenir. (…) » (1) Arthur Conan Doyle : Histoire du Spiritisme, p. 56. (2) Arthur Conan Doyle : Histoire du Spiritisme, p. 62. Le Spiritisme à Lyon


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« Le rapport final déclara que “les bruits étaient entendus et que leur examen complet avait montré de façon décisive qu'ils n'étaient produits ni par un mécanisme ni par ventriloquisme, bien que, sur la nature de l'agent qui les produisait, ils fussent incapables de se prononcer”(1). » Une troisième commission fut choisie parmi les opposants les plus virulents à ces phénomènes. « Leur enquête fut totale, jusqu'à la brutalité, et un comité de dames y fut associé. Elles déshabillèrent les fillettes terrifiées, qui pleuraient amèrement sur leur misère. On noua ensuite fermement leur robe autour des chevilles et on les plaça sur du verre et d'autres isolants. Le comité fut obligé de rapporter : “Quand elles étaient debout sur des coussins avec du mouchoir solidement noué au bas de leur robe autour des chevilles, nous avons tous entendu distinctement les coups sur le mur et sur le sol”. Le comité témoigna ensuite que leurs questions, certaines posées mentalement, avaient reçu des réponses exactes(2). » L'histoire des sœurs Fox se propagea rapidement en Amérique et de nouveaux « médiums » se déclaraient chaque jour. Si bien qu'en 1854, on estime à trois millions le nombre d'adeptes de ce qu'on appellera le Modern Spiritualism, et à dix mille le nombre de médiums. Un congrès sur le Modern Spiritualism se tiendra à Cleveland en 1852, il sera alors décidé d'envoyer des délégués en Angleterre pour propager cette découverte. C'est à partir de ce pays que les phénomènes des tables tournantes déferleront sur l'Europe.

L'étude des phénomènes spirites L'étude de ces phénomènes révéla l'existence d'une grande diversité de médiums : médiums écrivains, médiums auditifs qui (1) Arthur Conan Doyle : Histoire du Spiritisme, p. 67. (2) Arthur Conan Doyle : Histoire du Spiritisme, p. 67. Le Spiritisme à Lyon


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entendent les Esprits, médiums voyants qui les voient, médiums à effets physiques qui peuvent produire des coups frappés, des mouvements d'objets sans contact ou des matérialisations d'Esprits, etc. Ces manifestations, les matérialisations, sont assurément les plus impressionnantes et les plus rares. Elles consistent en la condensation partielle ou complète du corps de l'Esprit : le périsprit(1). Les assistants de ces phénomènes constatent souvent la formation d'une sorte de brouillard qui se condense de plus en plus pour former des mains, des visages ou des corps entiers, qui sont alors visibles par tous. Lorsque l'Esprit est entièrement matérialisé, il marche, respire, son pouls bat, rien ne le distingue d'un être vivant. Ainsi William Crookes, brillant physicien et chimiste anglais récompensé par un prix Nobel, a étudié les phénomènes de matérialisation de 1870 à 1873 grâce à la médiumnité de Florence Cook. Celle-ci avait 14 ans au début de leurs expériences et un des Esprits matérialisés par son intermédiaire se fit appeler Katie King. « La photographie est aussi impuissante à dépeindre la beauté parfaite du visage de Katie, que les mots le sont eux-mêmes à décrire les charmes de ses manières. La photographie peut, il est vrai, donner un dessin de la pose ; mais comment pourrait-elle reproduire la pureté brillante de son teint, ou l'expression sans cesse changeante de ses traits si mobiles, tantôt voilés de tristesse lorsqu'elle racontait quelque amer événement de sa vie passée, tantôt souriant avec toute l'innocence d'une jeune fille, lorsqu'elle avait réuni mes enfants autour d'elle, et qu'elle les amusait en leur racontant des épisodes de ses aventures dans l'Inde(2). » Bien que tangible, les matérialisations supportent difficilement la lumière. Florence Marryat, qui assista aux expériences de William Crookes, raconte dans son livre Le monde des Esprits : « Au cours d'une séance, on demanda à Katie (1) Note de l'auteur : Selon la doctrine spirite, le périsprit est le corps spirituel de l'Esprit, invisible à nos yeux. L'homme est composé du corps physique, du périsprit et de l'âme. Le périsprit est l'intermédiaire entre l'âme et le corps physique. (2) William Crookes : Recherches sur les phénomènes du Spiritualisme, p. 193. Le Spiritisme à Lyon


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de se dématérialiser en pleine lumière. Elle consentit à se soumettre à l'épreuve, bien qu'elle nous dit ensuite que nous lui avions fait beaucoup de mal. Elle alla se placer contre le mur du salon, les bras étendus en croix. Trois becs de gaz furent allumés. L'effet produit sur Katie fut terrifiant. A peine la vit-on encore pendant une seconde, puis elle s'évanouit lentement. Je ne puis mieux comparer son effondrement qu'à une poupée de cire fondant devant un brasier. D'abord, les traits de la figure, vaporisés et confus, semblaient entrer l'un dans l'autre. Les yeux tombaient dans leurs cavités ; le nez disparut et le front se brisa. Les membres et la robe eurent le même sort ; tout descendait de plus en plus dans le tapis, comme une maison qui s'écroule. A la lumière des trois becs de gaz, nous regardions fixement la place que Katie King avait occupée(1). » L'expérience la plus renommée en France sur les phénomènes de matérialisation fut établie par un médecin diplômé de la Faculté de médecine de Lyon, le Dr Gustave Geley. Celui-ci repris un test créé en Amérique par le professeur Denton en 1875 ayant pour but de démontrer la réalité objective des matérialisations : le moulage de membres matérialisés. « Rappelons en quoi consistent les moulages de paraffine : un baquet contient de la paraffine fondue flottant sur de l'eau chaude. Il est placé près du médium pendant les séances. “L'entité” matérialisée est priée de plonger une main, un pied, ou même une partie de son visage, à plusieurs reprises, dans la paraffine. Il se forme, presque instantanément, un moule exactement appliqué sur ce membre. Ce moule durcit rapidement à l'air ou au contact de l'eau froide contenue dans un baquet voisin. Puis la partie organique en jeu se dématérialise et abandonne le gant aux expérimentateurs. « Plus tard, il est loisible de couler du plâtre dans ce gant, puis de se débarrasser de la paraffine en plongeant le tout dans l'eau (1) Léon Denis : Dans l'Invisible, p. 350.

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bouillante. Il reste alors un plâtre reproduisant tous les détails de la partie matérialisée(1). » Ces expériences concluantes furent faites à l'aide du médium polonais Franek Kluski, à Paris en 1920 et à Varsovie en 1921. Des dizaines de moulages de pieds et de mains furent obtenus, certains de dimensions anormalement grandes ou petites. Or, ces moules étaient impossibles à obtenir naturellement car un membre humain ne pourrait se retirer du moule de paraffine sans le désagréger. Ainsi, plusieurs artistes mouleurs ayant examiné les moules certifieront : « Nous avons fait de nombreuses tentatives pour produire artificiellement, par les moyens les plus divers, des gants analogues à ceux qui nous avaient été soumis. Elles ont complètement échoué. Nous concluons qu'il nous est impossible de comprendre comment les moules de paraffine du Dr Geley ont été obtenus. C'est pour nous un mystère(2). » Quelle explication théorique peut-on proposer pour expliquer ces faits ? L'interprétation qui prévaut aujourd'hui est celle de l'inconscient, celui-ci serait à l'origine de tous les phénomènes dits spirites. Cependant cette interprétation n'a jamais fait l'unanimité chez ceux qui ont expérimenté les dits phénomènes, en premier lieu le Dr Gustave Geley. Au sujet de l'hypothèse de l'inconscient, le Dr Geley écrit « il est facile de se rendre compte que cette hypothèse n'explique rien : ni les faits d'extériorisation, ni les facultés transcendantales, ni les connaissances subconscientes(3) ». En outre, le Dr Geley remarque que les phénomènes obéissent à une volonté intelligente et que, à chaque fois que cette volonté est interrogée sur sa nature, elle a pour prétention d'être esprit et jamais inconscient. Si l'inconscient est bien à l'origine de ces phénomènes, « il est nécessaire d'admettre une erreur volontaire ou involontaire (1) Dr Gustave Geley : L’Ectoplasmie et la Clairvoyance, p. 240. (2) Dr Gustave Geley : L’Ectoplasmie et la Clairvoyance, p. 278. (3) Dr Gustave Geley : L'Etre subconscient, p. 88. Le Spiritisme à Lyon


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Moulage de mains matérialisées obtenus par le Dr Gustave Geley

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presque constante de la subconscience, relativement à l'origine des phénomènes, puisqu'elle attribue aux esprits des morts ce qui vient d'elle en réalité(1) ». Regroupant l'ensemble des phénomènes spirites dont l'authenticité à été prouvé, le Dr Geley constate : « Ce qui me frappe précisément, c'est qu'aucun de ces phénomènes n'est compréhensible en dehors de l'hypothèse nouvelle ; et que, réciproquement, cette hypothèse une fois admise, tous les autres phénomènes perdent leur apparence de merveilleux et s'expliquent, aussi facilement que les premiers(2). » Cette hypothèse nouvelle dont parle le Dr Geley, et pour laquelle il n'a jamais caché sa sympathie(3), c'est le spiritisme. Cette hypothèse n'est alors pas si nouvelle, il y a plus de soixante ans qu'elle a été exposée par un pédagogue lyonnais : Allan Kardec.

(1) Dr Gustave Geley : L'Etre subconscient, p. 76. (2) Dr Gustave Geley : L'Etre subconscient, p. 134. (3) Dr Gustave Geley : Essai de revue générale et synthétique du Spiritisme, p. 103 Le Spiritisme à Lyon


...

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Table des matières

Préface

7

Introduction

9

Chapitre 1 - Les phénomènes spirites

11

Chapitre 2 - Un Lyonnais méconnu

23

Chapitre 3 - Les années Kardec

37

Chapitre 4 - L'essoufflement

51

Chapitre 5 - La Fédération Spirite Lyonnaise

57

Chapitre 6 - Le Spiritisme en marche

71

Chapitre 7 - Le déclin

93

Conclusion - Le Spiritisme lyonnais aujourd’hui 105 Chronologie

109

Bibliographie

113

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