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Debout et reconnaissante 2
from Côte à côte
Les graines d’un appel
Rien ne me destinait au ministère pastoral. À première vue du moins.
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Je suis née dans une famille chrétienne en Allemagne. Une famille de pasteurs et une famille nombreuse. Une famille où nous apprenions très tôt à connaître Dieu et à entrer en relation avec lui à travers Jésus — et pour cela je suis particulièrement reconnaissante à mes parents et je le serai toujours : c’est ce qu’ils m’ont transmis de plus précieux. C’était aussi un contexte où les femmes ne pouvaient pas être pasteures ni même exercer un ministère de prédication ou de leadership dans l’Église.
À l’âge de six ans environ, j’ai pris pour la première fois la décision de suivre Jésus. J’étais une enfant très introvertie, calme et sensible et j’avais soif de Dieu, soif de mieux le connaître, soif de le servir, dès les premières années de ma vie. Après un moment de doute dans ma foi, à l’âge de douze ans, j’ai confirmé très consciemment ma décision de suivre Jésus. Petit à petit, je me suis engagée comme monitrice à l’école du dimanche, dans l’évangélisation, la musique et l’animation d’études bibliques dans un groupe au collège et au lycée, comme il était possible de le faire dans mon contexte allemand.
Je vivais une période fervente et engagée dans ma vie de foi dont je parlais ouvertement autour de moi. Pendant mon adolescence, je rêvais de pouvoir servir Dieu comme médecin-missionnaire et ensuite comme traductrice de la Bible. Dieu avait déjà mis les graines d’un appel dans mon cœur, mais la plante qui allait se développer peu à peu prendrait une forme inattendue.
Après avoir obtenu mon baccalauréat, j’avais le désir de passer une année en France, de faire une année sabbatique pour servir Dieu dans un autre cadre et apprendre à connaître une autre culture. Je voulais faire une année en tant qu’étudiante-volontaire, rendant des services pratiques et pouvant suivre quelques cours, à l’Institut biblique de Nogent, mais toutes les places étaient déjà prises cette année-là. Les autres portes auxquelles j’avais frappé restaient également fermées. Le temps passait, on était déjà en septembre… et toujours rien. Une semaine avant la rentrée académique de l’Institut, la directrice, Lydia Jaeger, m’a appelée pour demander si je ne voulais pas faire des études plutôt que du volontariat. Merci d’avoir osé cette proposition inhabituelle !
La veille de cet appel téléphonique, une dernière porte s’était fermée et j’avais, après un moment de grand découragement, tout remis entre les mains de Dieu. Dans mon cœur, c’était sûr : cet appel venait de lui. Comme j’avais déjà eu auparavant le désir de faire des études bibliques et théologiques, j’ai accepté cette proposition, pour un semestre ; c’était tout ce que mes moyens financiers me permettaient à ce moment-là. Je n’ai cependant pas pu m’arrêter après ce semestre. J’ai suivi le cursus complet de trois ans à Nogent, qui m’a ensuite servi de passerelle vers le bachelor et le master à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine. Dieu a pourvu à mes besoins par différents soutiens et bourses et par le travail que j’ai pu obtenir. J’avais trouvé ma voie, ce pour quoi j’avais été faite ! Ma soif d’apprendre était insatiable, j’étais pleinement investie dans ces études, mais je ne savais toujours pas quelle forme Dieu donnerait à l’appel semé en moi.
Un temps de maturation
Durant l’apprentissage de la prédication, j’avais de bons échos de la part des professeurs et des autres élèves. Mes amis m’encourageaient à persévérer, étant convaincus que j’avais un don pour l’enseignement merci pour votre foi, votre soutien même quand vous ne voyiez que les germes de ce que Dieu avait prévu. Sans vous, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. Tout comme mes parents, vous avez investi du temps et de l’amour dans ma vie et c’est tout simplement d’une valeur inestimable. C’est seulement en cinquième année d’études que j’ai prêché pour la première fois dans une Église, un peu « forcée » par les exigences de validation du cours d’homilétique cette année-là — merci à ce professeur pour son exigence qui a été un premier tremplin vers le ministère pastoral et merci à cette Église qui a accompagné mes premiers essais de prédication avec encouragement et bienveillance !
Pourquoi cela m’a-t-il pris autant de temps pour faire le pas de servir dans un ministère de prédication ?
Parce que j’avais grandi avec la conviction que les femmes ne pouvaient ni prêcher ni être pasteures et que je ne pouvais, par conséquent, pas imaginer mon avenir dans un ministère pastoral. Parce que je ne voulais pas commencer à prêcher sans avoir la conviction que c’était ce que Dieu voulait. Parce qu’il m’a fallu du temps pour étudier les textes bibliques en question, comparer les interprétations, forger ma compréhension de ces textes à la lumière des connaissances acquises au cours des études de théologie. J’avais donc tout d’abord des réticences internes auxquelles je devais faire face. Quelle était ma place dans l’Église en tant que femme ? Pouvais-je exercer un leadership dans une Église, assumer une responsabilité de direction et, plus précisément, être pasteure ?
À côté de la question épineuse de l’interprétation des textes, il me fallait également faire face aux obstacles externes. Ils se présentaient à moi sous forme d’incompréhension venant de mon milieu d’origine : faire le pas de parler de mes nouvelles convictions à ma famille car je voulais vivre dans l’authenticité — a été assez difficile. Mais Dieu a su se frayer un chemin. Contre toute attente, je me suis levée et Dieu m’a donné la force de vivre l’appel qu’il m’avait adressé malgré la critique. Sa douce et endurante persuasion a eu raison des murs que nos mains humaines construisent. « Avec toi, je prends d’assaut une muraille, grâce à toi, mon Dieu, je franchis un rempart » (Ps 18.30), qu’il soit intérieur ou extérieur. Dix ans plus tard, du chemin a été parcouru de part et d’autre, même si les divergences théologiques entre moi et mes parents demeurent. Je suis consciente que certains pas, aimants et courageux, leur ont coûté. Je leur suis reconnaissante de les avoir osés malgré tout.
J’ai été profondément touchée par quelques lignes du poète allemand Rainer Maria Rilke à propos de la relation entre parents et enfants. Je les ai reçues comme un cadeau immense : « Évitez de nourrir ce drame toujours ouvert entre parents et enfants : il gaspille tant de force chez les enfants et consume l’amour des parents qui agit et réchauffe même lorsqu’il ne comprend pas. N’exigez aucun conseil d’eux et ne comptez pas sur la moindre compréhension, mais croyez en leur amour qui vous sera conservé comme un héritage ; et soyez persuadé qu’il y a, dans cet amour, une force et une bénédiction que vous n’aurez pas à abandonner pour aller fort loin 3 ! » Quel apaisement, quel baume sur les endroits douloureux d’une relation. À cet instant, je prends la décision de recevoir l’amour de mes parents comme une bénédiction, et cela me suffit.
Après mes études à la Faculté Libre de Théologie Évangélique, j’ai fait un stage de neuf mois dans une Église en Suisse. Église qui n’avait jamais eu auparavant une femme stagiaire et qui n’avait pas l’habitude d’une prédication féminine. Église qui a malgré tout accepté de m’offrir ce stage où j’ai pu apprendre tant de choses et faire mes premiers pas dans le ministère — merci à tous ceux et toutes celles qui ont rendu ce stage possible ! À la fin de ce stage, je me suis mariée avec Léo Lehmann, un étudiant en théologie qui avait également un appel pour le ministère pastoral et nous sommes partis en Belgique. Il y avait là une des rares Églises de notre union d’Églises qui était ouverte au ministère pastoral des femmes — merci pour l’accueil chaleureux et le courage de tenter cette aventure avec nous ! Je suis aussi profondément reconnaissante pour le travail accompli par Dora et Georges Winston a en ce qui concerne l’ouverture du ministère pastoral aux femmes au sein du milieu dans lequel j’évolue en Belgique. Nous avons commencé notre ministère à deux en tant qu’« assistants à l’équipe pastorale » — composée d’anciens — pendant deux ans, avec une particularité : j’étais engagée par l’Église, tandis que mon mari était encore en train de terminer ses études à Vaux-sur-Seine. Au bout de deux ans, nous sommes devenus tous les deux pasteurs de cette Église et l’année suivante mon mari a été engagé à 75 %, au même taux d’occupation que moi.
Contre toute attente
Contre toute attente. À certains égards, cette expression résume bien mon vécu dans les premières années de mon ministère. J’ai été à une place où l’on n’attendait pas une femme, dans un métier encore très masculin. Quand j’ai commencé, j’étais la seule femme pasteure dans notre union d’Églises — même s’il y en avait eu une autre avant moi ! À l’heure actuelle, nous sommes quatre, ce qui est un grand encouragement pour moi.
a En 1986, Dora et Georges Winston ont implanté avec d’autres l’Église dans laquelle j’exerce actuellement un ministère pastoral en tant que co-pasteure, aux côtés d’Audrey Torrini. Georges Winston a été directeur de l’Institut Biblique Belge de 1965 à 1985. Ensemble, Dora et Georges Winston ont publié un livre intitulé Les femmes dans le ministère chrétien (Excelsis). Leur soutien au ministère pastoral des femmes avait aussi influencé l’Église dans laquelle j’ai exercé mon ministère de 2013 à 2021.
Merci à vous d’avoir osé à votre tour et d’avoir eu l’audace de répondre à l’appel de Dieu.
Même dans une communauté habituée à la prédication féminine depuis ses débuts et comptant plusieurs femmes parmi les anciens, le titre de pasteur attribué à une femme n’a pas été simple pour tous et toutes. « Tous les deux pasteurs », c’est ainsi que nous nous présentions après avoir constaté à plusieurs reprises que nous décrire comme « couple pastoral » conduisait nos interlocuteurs à m’interroger ensuite sur mon métier… Le pastorat en couple où les deux sont pasteurs, comme nous l’avons vécu pendant plusieurs années, est une situation inhabituelle qui comporte des avantages, mais aussi beaucoup de défis b. Pendant les premières années, j’avais parfois l’impression que je pouvais prêcher, enseigner à l’intérieur de l’Église, mais qu’à l’extérieur cela ne « présentait » pas toujours bien. Pour des mariages par exemple, on a préféré plusieurs fois demander à mon mari : une femme, cela pourrait déranger les familles des mariés qui ne sont souvent pas habituées à une prédication féminine… C’était d’autant plus douloureux quand on a demandé à mon mari de prêcher et à moi de m’occuper d’un service facilement attribué à une femme. Mon mari a eu l’idée et l’audace de proposer que nous fassions l’inverse : je prêcherais et il s’occuperait des questions d’intendance. L’idée n’a pas pu aboutir, mais je suis si fière et reconnaissante d’avoir un mari qui ose marcher à contrecourant avec moi. Sa disposition intérieure à l’humilité, à