BIENVE
NUE
M. CHIFFE !
JAUME COPONS & LILIANA FORTUNY
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1 QUELLE JOURNÉE !
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Ma mère criait : − Range ta chambre ou un de ces quatre matins, je jette tout à la poubelle ! J’étais debout depuis cinq minutes à peine et ma mère avait déjà entamé son éternel couplet sur le mode « Range ta chambre ! ». Je l’écoutais depuis la cuisine où j’étais en train de prendre mon petit-déj et, avec un sourire en coin, je lui ai lancé : − Je la range tout de suite, maman, si tu veux ! Évidemment, elle n’a pas répondu. Il était clair que je n’avais pas le temps de ranger avant d’aller en classe. − Je le ferai en rentrant de l’école ! Mais elle continuait à ronchonner… Que je range ma chambre, moi ? Mais elle est rangée !
Range ta chambre, range ta chambre. Fais-le pour moi, fais-le pour toi. Fais-le par pitié, fais-moi le plaisir de ranger ta chambre.
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Je ne sais pas pourquoi ma mère fait une fixation sur le rangement parce que moi, ma chambre, je la trouve super bien rangée.
Feuilles de papier
Bout de sandwich d’avant-hier
Livre de maths Miettes
BD et magazines
Deux verres d’eau
Chaussures
Cahier de classe
Tenue de sport pour l’école
Chaussettes sales
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La journée avait commencé par des cris, et ça n’allait pas s’arranger. En arrivant à l’école, j’ai remarqué que tous les copains avaient des dossiers bleus.
Salut Lydia, c’est quoi cette histoire de dossiers bleus ?
Dis donc, Gus, tu débarques sur la planète Terre ou quoi ?
Oh, ça va, tu peux m’expliquer ou pas ?
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Lydia a fini par me dire qu’il fallait rendre toutes les rédactions du trimestre. Mais… quand est-ce qu’on avait été prévenus ? Et pourquoi je n’étais pas au courant, moi ? C’est le genre de choses qui m’arrive tout le temps. Et qui amuse beaucoup Lydia, qui fait toujours tout comme il faut, elle.
Mais tu ne notes rien dans ton agenda ?
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C’est que… je l’ai perdu en début d’année.
Mais Gus, c’est écrit sur l’agenda de classe !
RENDRE LES RÉDACTIONS DU TRIMESTRE
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Lydia, non seulement c’est une pimbêche, mais plus je fais les choses de travers, plus elle est contente. Et le pire, c’est que c’est ma voisine ! On n’habite pas seulement dans le même immeuble mais sur le même palier ! Et c’est la cata, parce qu’à chaque fois qu’elle croise ma mère, elle lui raconte ce que j’aurais dû faire et que je n’avais pas fait, ou ce que j’avais fait et que je n’aurais pas dû faire !
Hier, Gus n’avait pas ses affaires de sport pour le cours de gym.
Allons bon…
Lydia, tu ne m’avais pas dit que tu avais des devoirs à faire ?
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Quelle journée ! D’abord ma mère qui me prend la tête pour que je range ma chambre, et maintenant Lydia avec ses rédactions. Et ce n’était que le début ! Deux minutes plus tard, Monique, la bibliothécaire, est arrivée dans la classe et, avant qu’elle ait ouvert la bouche, j’ai compris que j’allais en prendre pour mon grade. La veille, j’avais joué à cache-cache pendant la récré et je m’étais caché dans la bibliothèque. Quand les copains étaient venus me chercher, j’étais sorti en courant pour ne pas me faire voir et, sans le faire exprès, j’avais fait tomber pas mal de livres. Je m’étais dit que je repasserais plus tard pour les ranger, mais je ne l’avais pas fait. J’avais oublié. 13
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Comme je m’y attendais, Monique m’a obligé à l’accompagner à la bibliothèque. Bizarrement, tout était nickel. J’avais cru qu’elle me ferait ranger les livres, mais son cerveau tordu avait imaginé quelque chose de pire.
Les livres sont rangés, je peux partir ?
C’est moi qui les ai rangés. Et du coup, je n’ai pas pu faire ce que j’avais à faire, tu comprends ?
Euh… Non !
Hier, j’aurais dû nettoyer la réserve de la bibliothèque mais je n’ai pas pu le faire. Alors tu sais qui va m’aider, maintenant ?
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Devine !
Non… Si ! … Moi ?
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Gus, tu préfères que je t’arrache les oreilles et que j’en fasse des frites ? Je n’y manquerai pas la prochaine fois que tu laisseras des livres par terre à la bibliothèque !
Tout compte fait, je préfère remplir des caisses de livres !
Mon job consistait à remplir plein de caisses de livres. Après, je devais les ranger et les empiler à côté de la porte. Quelle injustice !
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J’ai travaillé un bon moment dans la réserve. Vous savez combien peut peser une caisse de bouquins ? Et il n’y en avait pas qu’une, non. Il y en avait deux, trois, quatre, cinq… C’est après avoir rempli la sixième caisse que je l’ai vu. C’était une sorte de peluche orange, pas très grande. Couverte de poils mais sympa quand même. Elle avait de grands yeux et une grande bouche. Avec ses quatre pattes, on aurait pu la prendre pour un chien ou un chat, mais vu sa position, elle ressemblait plutôt à un drôle de petit yeti ou… à un monstre.
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Un peu plus tard, après avoir empilé toutes les caisses, j’ai appelé Monique. Comme elle était très contente de mon travail, je lui ai demandé à qui était cette peluche orange.
Elle est là depuis que je travaille à la bibliothèque, elle s’ennuie à mourir. Tu la veux ?
Pour quoi faire ? À quoi me servirait cette bestiole pleine de poussière ? Mais si elle doit rester là à moisir…
Je la veux bien !
Merci, Monique.
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Cinq minutes plus tard, j’étais de retour dans la classe mais je devais attendre que mes copains reviennent de la récré. J’ai mis la bestiole dans mon sac, je n’avais pas envie que tout le monde me demande d’où elle sortait.
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J’étais content parce qu’on était vendredi et que j’allais être tranquille pendant deux jours. Je croyais que les embrouilles étaient terminées, mais je me trompais. Au moment où je sortais de la classe, une mauvaise surprise m’attendait.
Gus, tu m’as rendu ton dossier avec les rédactions ?
Non… Je l’ai oublié chez moi. Mais où astu donc la tête ?
Chez moi !
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Gus, je veux que tu m’apportes ton dossier dimanche, juste avant la fête de l’école.
La fête ? Quelle fête ?
J’avais zappé ! Ce week-end, on célébrait le 25e anniversaire de l’école et, dimanche, tous les élèves devaient assister à la fête. Je n’avais pas d’autre solution que de rentrer chez moi daredare et commencer à écrire des rédactions à la chaîne jusqu’au dimanche, au moment de partir à l’école. Oh ! Là là ! Quelle journée ! 20
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2 Quelle nuit !
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Quand je suis rentré chez moi, mes parents étaient dans la cuisine. Je leur ai dit que j’allais m’enfermer dans ma chambre jusqu’à dimanche, au moment d’aller à la fête de l’école. Je devais terminer mes rédactions. Ils ont été un peu étonnés parce que c’était la première fois de ma vie que je parlais de faire mes devoirs, mais je crois que ça leur a plu.
Gus, je suis content que tu te mettes à travailler, fiston, mais n’exagère pas non plus ! Et si tu rangeais ta chambre pendant que tu y es ?
Encore cette obsession avec ma chambre !
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Une fois dans ma chambre, j’ai réalisé qu’elle était tellement encombrée que je ne pouvais pas travailler ! J’ai balayé mon bureau de gauche à droite d’un grand coup de coude pour faire de la place. Ensuite, j’ai ouvert l’armoire dans l’espoir de voir apparaître une rédaction mais en fait, au cours du trimestre, je les avais perdues au fur et à mesure que je les avais écrites.
Une rédaction ! J’en ai une !
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Une rédaction ! J’en avais trouvé une, mais une seule ! Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai commencé à la lire. En fait, je ne me souvenais même pas de ce que j’avais écrit et si c’était valable. LA SEULE RÉDACTION QUE J’AI RETROUVÉE
Il était une fois un jour qui aurait voulu être une nuit. Comme c’était impossible, le jour décida d’être un jour de tempête, quand le jour ressemble le plus à la nuit.
Ce n’est pas la meilleure histoire que j’aie entendue, mon pote, mais elle me plaît.
J’ai cru entendre une voix, mais je n’y ai pas fait attention. Mais un jour, il y a eu une éclipse de soleil et tout à coup, tout est devenu sombre. Et c’est donc par hasard que le jour a su ce que c’était que d’être la nuit.
Cela devient intéressant, vieux.
J’ai encore entendu la voix, mais j’ai cru que mon père était passé devant ma chambre et qu’il avait dit quelque chose. 24
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À ce moment-là, le jour qui voulait être nuit décida que c’était intéressant d’être nuit mais que c’était mieux d’être jour. Et depuis, c’est un jour radieux et ensoleillé.
Bravo, bravo !
Cette fois-ci, j’ai clairement entendu la voix. Et même si cela m’a semblé étrange, elle avait l’air de sortir de mon sac à dos.
Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu n’as jamais vu un monstre ?
Et soudain, je l’ai vu. Il était là. Il était sorti de mon sac à dos et se tortillait dans tous les sens pour enlever la poussière dont il était couvert. Je n’en croyais pas mes yeux ! C’était quoi, ce truc ? Un extraterrestre ? Un lutin ? Un… monstre ? Je ne savais pas quoi dire et j’étais sous le coup de la surprise, alors j’ai gardé la bouche ouverte. 25
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Qu’est-ce qui t’arrive, mon pote ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu as des livres ? Où ? Combien ? On bouquine ?
Je m’appelle Chiffe, mais mes amis m’appellent Monsieur Chiffe. Je suis le monstre des livres. Et toi, tu t’appelles comment ?
Euh… Gus Pianola !
Après les présentations, le monstre des livres m’a expliqué que, pour se réveiller, il avait besoin de lire ou d’écouter de bonnes histoires. Sinon, il n’était qu’une poupée de chiffon pleine de poussière, telle que je l’avais trouvé dans la réserve. C’était absurde, mais ce qui s’est passé après a été encore plus dingue. Cette espèce de monstre rasibus qui m’arrivait à peine aux chaussettes (et ça dépend des chaussettes) s’est mis à chanter et à danser pour raconter son histoire. 26
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Chiffe, Chiffe, Chiffe Enfin, la liberté ! On m’a jeté d’un livre Je ne sais pas trop comment Ni où exactement Mais je suis libre Je suis le monstre des livres J’ai besoin de lire et d’entendre De belles histoires, petites ou grandes Émouvantes Brillantes Et si possible percutantes Chiffe, Chiffe, Chiffe Enfin, la liberté !
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Quand il a fini de danser, M. Chiffe m’a redemandé si j’avais des livres. Je lui ai montré ceux que je possédais et il les a regardés attentivement. Soudain, il en a attrapé un. C’était L’Île au trésor. − Quelle belle histoire ! a-t-il dit. Allez, vieux, accélère un peu, je suis resté enfermé trop longtemps dans cette maudite réserve, il me faut une bonne histoire maintenant. Vas-y !
Cher Gus Pianola : tu n’imagines pas à quel point j’avais envie de retrouver Jim Hawkins, Long John Silver et les autres personnages de cette histoire.
Et une bouteille de rhum !
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Quinze hommes sur le coffre du mort. Yo ho ho, et une bouteille de rhum !
Qu’est-ce que tu chantes, M. Chiffe ? La chanson des pirates, mon pote, la chanson des pirates ! Tous les pirates de L’ Île au trésor la chantent.
ille
Pendant que je me préparais à lire, M. Chiffe s’est mis à sauter sur mon lit. Il était content et sa joie était contagieuse.
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J’ai commencé à lire le premier chapitre, mais M. Chiffe m’a stoppé net. Il m’a demandé de lire la dédicace. Je n’avais jamais remarqué ce texte, et pourtant il m’a beaucoup touché. J’ai eu du mal à l’admettre mais il m’a ému.
Peu de choses me touchent autant que la dédicace de Stevenson dans L’ Île au trésor.
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Si des h istoires de marin Tempête s sur des et avent airs de m ure, cha Si goéle arins leur et f ttes, îles r o i d , e t renéga Et flibus ts tiers, or e nfoui, Et toute la vieille aventure À l’ancie , redite nne, exa ctement Peuvent , plaire, c omme il Aux enf s me pla ants plu isaient ja s malins dis, – Ainsi s d ’a u jo oit-il, et urd’hui : à l ’attaque Si la jeu ! Sinon, nesse stu d i e use n’a p Ayant o lus faim ublié ses , anciens De King appétits ston ou , Ballanty Ou de C ne le val ooper de eureux, s b o is et des Ainsi so it-il auss vagues : i ! Et qu Et moi-m e mes pi ême par rates t a g ions la t Où ils re ombe posent a vec leur s créatio ns ! * R. L. St evenson
*Robert Louis Stevenson, L’Île au trésor (traduction de Jean-Jacques Greif). 31
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J’ai lu un bon moment, en réalité je n’avais jamais lu à voix haute aussi longtemps ! Parfois, M. Chiffe mimait en exagérant ce que j’étais en train de raconter : il marchait comme un pirate boiteux ou sautait si un personnage le faisait. J’étais mort de rire. Quel comique, ce M. Chiffe ! Mais on a été obligés d’arrêter de lire car c’était l’heure du dîner. Gus, à table ! À table ! À table, fiston ! Gus, à table ! À table ! S’il te plaît Gus, le dîner est prêt !
Guuuuuus ! À taaaaable ! 32
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