Les Dieppois et la mer 1850 - 1930

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Les Dieppois et la mer Généreuse souvent, séduisante et complice, témoin des premiers bains, la mer a été plus qu’un bienfait pour la ville de Dieppe. Elle l’a faite. Elle l’a créée, modelée, transformée à mesure qu’évoluaient le dessin de son chenal et la forme de ses bassins. Elle en a été, dans sa vie quotidienne comme dans son ouverture sur le monde, la muse et l’alliée. La fidèle et attentive voisine. N’est-ce pas autant que dans les naufrages et les tempêtes que s’est façonné le regard des Dieppois pour la mer ? Un regard où la peur vient corroder un alliage composé d’attirance, de reconnaissance et de fascination ? Les Dieppois et la mer, c’est l’histoire d’une rencontre enflammée et brutale. Excessive en tout. Presque une histoire d’amour.

978-2-84811-091-2

Les auteurs Originaire de la ville, élu local et national, Jean Beaufils fait revivre par l’image le Dieppe du début du siècle à travers les cartes postales anciennes qu’il collectionne depuis 20 ans. Franck Boitelle, journaliste, très attaché à Dieppe, est l’auteur de plusieurs ouvrages ayant pour thème la mer et Dieppe, dont La mer en partage. En novembre 2008, il a participé à l’écriture de Ponts sur Seine, publié aux Éditions des Falaises. 28 €

Les Dieppois et la mer

JEAN BEAUFILS - FRANCK BOITELLE

Les Dieppois et la mer





Les Dieppois et la mer Jean Beaufils • Franck Boitelle


Couverture : 鵷 Le casino et la plage. © PTC - Editions des Falaises, 2009 Tél. 02 35 89 78 00

Pages suivantes : 鵷 La Manufacture des Tabacs et l’hôtel Royal.

PTC est une société de

Légendes des pages de garde : 鵷 La gare maritime et le quai Henri-IV. 鵷 La Manufacture des Tabacs et l’hôtel Royal.


Sommaire Introduction .................................................................................................................................................................................6 Les plaisirs de la plage ..................................................................................................................................................11 Les riches heures des casinos ................................................................................................................................51 La vie rêvée des grands hôtels .............................................................................................................................87 Sa Majesté le marché ...................................................................................................................................................117 Nos voisins les Anglais ................................................................................................................................................153 Un long combat contre le galet ........................................................................................................................189 Les festins du large ........................................................................................................................................................239 Jeux de vagues à Puys .................................................................................................................................................286 Bibliographie ........................................................................................................................................................................298 Index ..............................................................................................................................................................................................302



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Les Dieppois et la mer Elle a déposé à ses pieds les trésors enlevés à l’ennemi par les corsaires d’Ango. Elle a déversé sur ses quais des torrents de poissons vite travaillés, salés, ou promptement embarqués dans les voitures des chasse-marée. Elle a offert l’horizon aux aventuriers, aux cartographes, aux navigateurs en quête de gloire et de fortune. Le Florentin Giovanni da Verrazano, les frères Parmentier, ensuite Jean Ribault… Elle a ouvert les voies d’un commerce prospère. Des côtes d’Afrique, de Guinée, elle a ramené les vaisseaux chargés de cet ivoire qui allait faire la réputation des ateliers dieppois. Elle l’a nourrie. Lui a donné son sel. Et inlassablement roulé les galets qui la protégeaient de la vague, lorsqu’ils ne s’expatriaient pas vers des fabriques de cosmétiques ou de porcelaines anglaises. Généreuse souvent, séduisante et complice, témoin des premiers bains, la mer a été plus qu’un bienfait pour la ville de Dieppe. Elle l’a faite. Elle l’a créée, modelée, transformée à mesure qu’évoluaient le dessin de son chenal et la forme de ses bassins. Elle en a été, dans sa vie quotidienne comme dans son ouverture sur le monde, la muse et l’alliée. La fidèle et attentive voisine... Elle l’a giflée. Balayée dans ses colères parfois aussi violentes qu’inattendues, qui la surprenaient dans la douceur d’un soir d’automne. Elle a jeté dans ses rues ses cavaleries furieuses, renversant tout sur leur passage, secouant les volets, terrorisant les femmes de marins. Dans ces moments de frayeur ultime, quand tous les démons remontaient des abysses, le vent hurlait sur la lame, arrachait l’écume, se précipitait contre les murs d’enceinte, le silex et les grès de la forteresse.

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Le lendemain, dans les débris déposés sur la grève, se devinait un drame. Détestée, maudite, la mer s’était retirée, s’éloignant de familles abandonnées la rage au cœur. Du large est aussi venue la flotte anglo-hollandaise qui, le 22 juillet 1694, fait pleuvoir sur la ville un déluge de feu. Douze galiotes, quarante-cinq vaisseaux de ligne et frégates, plus une vingtaine de navires chargés de poudre et une « machine infernale », se sont déployés en rade durant quatre jours. Neuf maisons à pans de bois sur dix sont réduites en cendres. La ville est anéantie. Elle se relèvera. Profondément transformée. Plus riche, plus moderne, mieux protégée sur ordre du roi. Mais aussi plus méfiante, marquée à jamais par le souvenir de la Grande Bombarderie. N’est-ce pas là également, autant que dans les naufrages et les tempêtes, que s’est façonné le regard des Dieppois pour la mer ? Un regard où la peur vient corroder un alliage composé d’attirance, de reconnaissance et de fascination ? N’est-ce pas là qu’il faut voir l’origine de la retenue qu’ils expriment dans leurs déclarations à celle qui les a accablés d’autant de malheurs qu’elle a su les combler de ses largesses ? Les uns et les autres ont contribué à tisser des liens forts. À parts égales. Les Dieppois et la mer, c’est l’histoire d’une rencontre enflammée et brutale. Excessive en tout. Presque une histoire d’amour. Franck Boitelle

Introduction • 7





Les plaisirs de la plage Elle fuit les Tuileries et la cour où elle s’ennuie ferme. En ce dernier soir de juillet 1824, Marie-Caroline, duchesse de Berry, débarque avec sa suite dans une ville en liesse, qui se bouscule sur les quais et à la porte de la Barre pour tenter d’approcher la mère du futur roi Henri V.

Rien n’est trop beau pour la jeune femme. Elle se montrera reconnaissante : entre 1824 et la chute des Bourbons qui la contraint à l’exil en 1830, la joyeuse, l’intrépide, la populaire Marie-Caroline, fera de Dieppe la station balnéaire à la mode, où afflue la meilleure société parisienne.

Cela fait déjà plusieurs mois que la visite de son altesse est annoncée, et nul n’a ménagé ses efforts pour accueillir dignement la belle-fille de Charles X. La commune et la Société anonyme des bains de mer ont engagé de grosses sommes pour lui aménager une suite à l’Hôtel de Ville, ainsi que pour transformer un ancien entrepôt en salle de bal du dernier chic. Les meilleurs artisans ont été réquisitionnés ; les matériaux les plus nobles sélectionnés. Pour la ville, qui a tout de suite mesuré l’importance d’une telle visite, l’enjeu est d’autant plus fort que d’autres lieux de villégiature font étalage de leurs charmes. Il s’agit de ne pas laisser filer la chance…

Certes, Éléonore-Adèle d’Osmond, comtesse de Boigne, l’y a précédée dix-huit ans plus tôt, en s’avançant en grand équipage sur des galets jusqu’alors fréquentés par des militaires chargés de défendre la cité contre les assauts des Anglais, par des lavandières y traitant le linge des notables, et par les ouvriers des chantiers navals. Elle était arrivée mourante, victime de violents maux de tête, frissons et accès de fièvre. « Huit jours après, note-t-elle dans ses Mémoires, je me promenais sur le bord de la mer et je repris ma santé avec cette rapidité de la première jeunesse. »

« Chaque fois que nous sortions il y avait foule pour nous voir passer, et mes équipages surtout étaient examinés avec une curiosité inconcevable. La misère des habi鵷 Pages précédentes : Défilé de pompiers tants était affreuse. L’Anglais, comme ils pour le tri-centenaire de Duquesne (1910). l’appelaient, et pour eux c’était pire que le diable, croisait sans cesse devant leur port 鵷 Page de gauche : Un joli plongeon. Les vide. À peine si un bateau pouvait de temps amies apprécient le style.

en temps s’esquiver pour aller à la pêche », évoque-t-elle. « Mon frère me fit arranger une petite charrette couverte ; on me procura à grand-peine et à grand frais, malgré la misère, un homme pour mener le cheval jusqu’à la lame et deux femmes pour entrer dans la mer avec moi. Ces préparatifs excitèrent la curiosité à tel point que, lors de mes premiers bains, il y avait foule sur la grève. On demandait à mes gens si j’avais été mordue par un chien enragé. J’excitais une extrême pitié en passant ; il semblait qu’on me menait noyer. Un vieux monsieur vint trouver mon père pour lui représenter qu’il assumait une grande responsabilité en permettant un acte aussi téméraire. » Cette allusion à la morsure d’un animal enragé n’est pas sans fondement : en 1671, trois dames d’honneur de la reine, mordues par un chien, étaient venues se baigner à Dieppe. Pour autant, si les ablutions de la comtesse de Boigne font sensation, les bains de mer paraîtront plusieurs années encore réservés à quelques inoffensifs hurluberlus, adeptes des thèses développées par des médecins anglais prétendant que l’exercice soigne efficacement les affections des glandes, les langueurs et les spasmes. Voire… 11


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Mais puisque les baigneurs sont là, pourquoi ne pas tenter de profiter de la manne ? Une véritable corporation se forme. Celle des maîtres baigneurs jurés, hommes prévenants capables de déposer délicatement les jolies naïades au milieu de la vague. Une ordonnance municipale fixe les conditions d’accès à cette profession saisonnière mais enviée : ne peut arborer la plaque de cuivre frappée du titre de « baigneur juré » qui en fait simplement la demande. Il faut être excellent nageur et d’une moralité sans faille ! En 1812, un officier de santé publie à son tour une thèse soulignant les bienfaits des bains de mer. Il en profite pour faire la promotion de Dieppe et de sa situation privilégiée à proximité de Paris, à une époque où les transports ne sont pas une mince affaire. Les retombées sont réelles. En outre, l’initiative d’ouvriers travaillant à la réparation de barques, imaginant fort bien le profit qu’ils pourraient tirer de la mise à disposition de leur baraque à des baigneurs en quête d’intimité, concourt sinon à la notoriété, pour le moins à un aménagement sommaire du site. La reine Hortense de Beauharnais, mère du futur Napoléon III, vient se remettre à Dieppe d’un quatrième accouchement,

clandestin celui-là. Mariée contre son gré à un homme maladivement jaloux, elle a trouvé le réconfort auprès du comte de Flahaut, écuyer de l’empereur. Ce dernier lui a donné un fils : le futur duc de Morny. Elle soigne son vague à l’âme en admirant l’horizon, et l’on ne vit sans doute jamais femme plus mélancolique sur le front de mer. Pourtant, cette visiteuse de marque achève de convaincre les édiles locaux qu’il est maintenant urgent d’aménager la plage, sous peine de voir cette clientèle huppée se tourner vers des stations mieux équipées, plus chics ou ne connaissant pas l’inconvénient des galets. En 1822 est fondée la Société des bains de mer, visant à favoriser l’implantation d’un établissement « utile et agréable tant pour les personnes dont la santé a fait des bains de mer un besoin, que pour l’ornement et l’avantage de la ville ». Un architecte, Pierre Chatelain, présente son projet. Pour le financer, quatre cents actions de 500 francs sont mises en vente. Et le 1er mai, s’ouvre à l’extrémité sud-ouest de la plage un vaste bâtiment blanc de style néoclassique, qui se présente sous la forme d’une galerie couverte de trois cents pieds, bornée à l’ouest par le pavillon des hommes, à l’est par celui des femmes. Dans l’un se trou-

vent une salle de billard et un fumoir. Dans l’autre, un élégant salon ainsi que des espaces de soins et de toilettes. Chaque jour, en début d’après-midi, un orchestre s’installe sur la terrasse du bâtiment central pour y interpréter son répertoire. La clientèle y profite du spectacle de la mer, l’observation étant facilitée par la présence de lunettes d’approche. Au besoin, des journaux, livres, jeux d’échecs et de dames, sont à disposition pour la divertir. Des pontons donnent accès à la plage, où l’on peut se dévêtir à l’abri des regards grâce aux cabines posées sur le galet. À l’arrière, un vaste jardin clos par des palissades, invite à la promenade. Quelques années plus tard, cet établissement pouvant être considéré comme le premier casino de Dieppe, sera baptisé, en l’honneur de la duchesse de Berry, les Bains Caroline. 鵷 Page de gauche : Au début du XIXe siècle, les bains de mer étaient réputés soigner les crises de démence, les langueurs et les spasmes. On leur prêtait aussi des vertus pour traiter les morsures des chiens enragés. La petite chienne du roi Henri IV n’avait-elle pas bénéficié d’un tel traitement ? Ici, c’est plutôt une rage colérique qui anime cet enfant plongé de force dans l’eau froide.

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鵷 La première attraction dieppoise, c’est la plage. Une plage de galets dominée par les imposantes falaises du Pays de Caux. À l’heure du bain, la foule se presse à l’ombre des parasols, qui protègent contre les rayons trop ardents du soleil : la mode n’est pas à une peau bronzée. Bien au contraire ! Un teint mat évoque une vie de plein air, celle des ouvriers et des paysans. Il est la marque des gens de condition modeste. 14 • Les Dieppois et la mer


鵷 Venir à la plage ne signifie pas se baigner. Rares sont ceux qui ont revêtu une tenue de bain. Certains fréquentent la plage pendant toute la saison sans mettre un pied dans l’eau. On vient en famille, entre amis, pour passer un moment.

Les plaisirs de la plage • 15


鵷 Les abonnés du casino ou de la Société des bains de mer, sont privilégiés : ils disposent de davantage d’espace et bénéficient du confort des terrasses pour admirer la mer, observer les baigneurs et les toilettes d’autrui en se rafraîchissant au bar. Les après-midi, si le temps le permet, l’orchestre se produit en plein air. 16 • Les Dieppois et la mer


鵷 La plage est fréquentée par tous les Dieppois… Ces religieuses accompagnent leurs jeunes protégées. Les épis de bois que l’on aperçoit à l’arrière-plan retenaient le galet et protégeaient du vent.

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鵷 S’agit-il d’un exercice sportif matinal ou de la douche réglementaire ? Exceptés les gradés, tous iront s’ébattre dans les vagues. À noter que le caleçon remplace le costume de bain. 鵷 Page de gauche : Les demoiselles du pensionnat ont déniché un coin de sable dégagé à marée basse. Leur costume de bain est caractéristique de la mode du moment. Les plaisirs de la plage • 19

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Les Dieppois et la mer Généreuse souvent, séduisante et complice, témoin des premiers bains, la mer a été plus qu’un bienfait pour la ville de Dieppe. Elle l’a faite. Elle l’a créée, modelée, transformée à mesure qu’évoluaient le dessin de son chenal et la forme de ses bassins. Elle en a été, dans sa vie quotidienne comme dans son ouverture sur le monde, la muse et l’alliée. La fidèle et attentive voisine. N’est-ce pas autant que dans les naufrages et les tempêtes que s’est façonné le regard des Dieppois pour la mer ? Un regard où la peur vient corroder un alliage composé d’attirance, de reconnaissance et de fascination ? Les Dieppois et la mer, c’est l’histoire d’une rencontre enflammée et brutale. Excessive en tout. Presque une histoire d’amour.

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Les auteurs Originaire de la ville, élu local et national, Jean Beaufils fait revivre par l’image le Dieppe du début du siècle à travers les cartes postales anciennes qu’il collectionne depuis 20 ans. Franck Boitelle, journaliste, très attaché à Dieppe, est l’auteur de plusieurs ouvrages ayant pour thème la mer et Dieppe, dont La mer en partage. En novembre 2008, il a participé à l’écriture de Ponts sur Seine, publié aux Éditions des Falaises. 28 €

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