PAYS :France
RUBRIQUE :Ig
SURFACE :44 %
DIFFUSION :38691
PERIODICITE :Quotidien
15 août 2021 - Edition Haute-Vienne
André Manoukian, fidèle à son côté éclectique, livre une relecture atypique de l'histoire de la musique « Musicien ! c'est le coeur de tout » n Pianiste, passeur, écrivain, organisateur de festival, chroniqueur, conteur, quel est votre vrai métier aujourd'hui ? Musicien ! C'est le coeur de tout. Le reste c'est parler de ce qu'on aime. Tout cela parce qu'on ne peut pas cesser d'apprendre la musique. Je suis dans état d'éternel étudiant ! Le musicien qui vous dit « j'ai tout compris et j'ai arrêté de bosser », c'est qu'il est mort. Je dis souvent que je tiens cette envie de transmettre et de communiquer de ma grand-mère. Les Arméniens ont vécu 500 ans dans un milieu hostile et pour eux, l'intelligence avec l'ennemi était une question de survie. C'est la définition même de l'intelligence : essayer de comprendre avec qui vous êtes et parler la langue de l'autre, car c'est une question de vie ou de mort. Le jazz est une musique savante qui mérite une initiation et quand on en parle bien, les gens trouvent d'un coup que c'est merveilleux. Quand vous êtes musicien, à un certain niveau, vous êtes obligé de transmettre, d'enseigner. n Votre livre fourmille d'anecdotes incroyables, comme faites vous pour trouver toutes ces infos ? On dit que je suis hypermnésique mais en fait je ne retiens que ce qui m'intéresse. Le son, c'est le pouvoir absolu ! Quand une baleine est malade, les autres se mettent à huit autours, à la verticale,
et chantent. Elles envoient des vibrations jusqu'à la guérison. Le loup chef de meute donne le ton et les autres s'accordent avec lui. L'animal le plus sonore de la planète est la crevette-pistolet qui a inventé le crie qui tue, en claquant sa griffe dans l'eau. Deleuze explique très bien que l'animal ne marque pas son territoire uniquement avec son urine et ses excréments, mais par les sons. Si l'oiseau chante, c'est d'abord pour marquer son territoire. Au-delà de la physique et de la mystique, j'aime bien dire que la musique mêle le sacré et le sucré. n Vous avez d'abord un respect pour les musiciens qui improvisent. L'improvisation, c'est le génie de celui qui ressent et pas de celui qui répète ? Exactement ! L'improvisation est la traduction directe de l'état d'âme. L'improvisateur n'élabore pas un récit, il déroule une arabesque. Il est dans un flux inconscient. Un interprète est fidèle à une partition, et avec un grand niveau d'interprétation, il va entrer en communication avec le compositeur, mais en état son serviteur. La musique de la liberté qu'est le jazz a été inventée par des esclaves. Un compositeur, c'est un improvisateur qui fixe les meilleurs plans de son impro. n Au nom de cela, vous dites que les premiers musiciens de jazz furent, Bach, Mozart et Beethoven. C'est
une évidence totale. À l'époque, on enseignait la musique par l'improvisation. On vous apprenait une gamme et on vous demandait de vous exprimer dans cette gamme. Si vous faites cela avec un enfant, ça marche toute de suite ! Quand Mozart improvisait, son père écrivait ensuite la partition pour se souvenir. La gamme est un terrain de jeu sur lequel on peut mettre les notes dans l'ordre que l'on veut. On dit jouer de la musique, cela veut bien dire que c'est ludique et que l'on doit jouer avec les notes. n Racontez nous l'audition de Beethoven par Mozart ? Mozart buvait des coups et était avec des filles de joie. Arrive alors le sponsor qui les arrose tous et qui lui demande d'auditionner un jeune gamin dont on dit le plus grand bien. C'était Beethoven. Mozart accepte en maugréant. Beethoven se met à jouer mais se rend vite compte que Mozart n'en a rien à faire. Il a alors le génie de dire à Mozart « jouez-moi un thème, j'improviserai ». Il a explosé le thème proposé ! Mozart a immédiatement compris qu'il n'avait pas à faire à n'importe qui. On juge la qualité d'un musicien à la qualité de son improvisation. n Raison pour laquelle vous n'aimez pas trop les conservatoires de musique ? Ce nom est louche non ? Je me suis toujours demandé ce qu'on mettait en conserve ! À la fin
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15 août 2021 - Edition Haute-Vienne
du XIX e siècle, le malheur absolu a fait qu'on a tout académisé. On a sacralisé le patrimoine. Je ne suis pas contre l'idée de revisiter le patrimoine, mais on aurait pu continuer d'initier à l'improvisation. Vous ne dites pas à votre enfant « tu n'as pas le droit de parler tant que tu n'as pas appris à lire et à écrire. » On commence par l'oralité et il ne faut pas se figer par rapport au solfège. Le statique c'est l'écrit, le dynamique c'est l'oral. Il faut apprendre aux enfants à jouer avec leurs oreilles. Je donne un conseil aux parents qui veulent faire apprendre un instrument à leur
enfant : s'y mettre avec lui, car c'est hyper important d'avoir le parent en exemple et cela rend l'exercice vivant et ludique. Ne jamais laisser un enfant seul avec son instrument avec des parents qui n'y comprennent rien. (1) Sur les routes de la musique (Harper Collins) 190 pages, 18 euros (2) Du lundi au vendredi à 8h55 sur France Inter. Philippe Minard/ALP ■
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