Remèdes à la mélancolie, Eva Bester

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21 juin 2017 - 11:02

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Eva Bester FRANCEINTER

J'avais une dizaine d'années lors de ma première interview; mes invités étaient des petits pois imaginaires rebondissant. L'entretien, enregistré sur cassette, constitue sans doute à ce jour le document le plus achevé sur les mœurs, le rapport au monde et la vie secrète de mes hôtes. Malgré la haute probabilité de désillusion à laquelle s'expose tout individu curieux du monde, j'ai toujours fait preuve d'un intérêt excessif pour mon prochain. Lorsque je croise l'un de ses représentants, je ne peux m'empêcher de lui poser tout type de questions. Le simple fait qu'il ne soit pas moi me le rend intéressant; ajoutez à cela le fait qu'il soit toujours en vie; il en devient prodigieux. Le désir de tout apprendre est l'une des rares constantes de mon existence; je cultivai très tôt une aptitude à l'éparpillement. C'est pendant mes études en fac d'anglais que j'entrai en stage à France Culture. Je devais dénicher pour l'émission "Les chemins de la connaissance" (qui traitait, à l'époque, de toutes les sciences humaines), les textes en rapport avec le sujet du jour, qui seraient lus par des comédiens; une tâche dont je m'acquittais avec exaltation. Presque en même temps, je collaborai à l'émission d'histoire "Concordance des temps" pour laquelle je passais des journées entières dans une petite cellule de l'INA, à sélectionner des extraits de vielles archives sur la IIIe République, le mont-de-piété, les espions ou encore les abeilles. Lire, écouter, découvrir sans cesse de nouvelles choses; j'en vins presque à croire que la vie était belle. Je pris part aux coulisses d'une dizaine d'émissions avant d'oser proposer une idée de chronique. Elle fut diffusée quotidiennement un été dans "Les Matins". Je m'essayai ensuite à tous les styles radiophoniques: reportages, micro-fiction, billets etc. puis me spécialisai dans des chroniques de "littérature oubliée" sur FranceInter. En 2013, je proposai le concept de "Remède à la mélancolie", un abri éphémère contre les humeurs saturniennes permettant de s'extraire de soi et de découvrir un invité sous un angle inaccoutumé. Je travaille trop. Cela me vaut autant de compliments (auditeurs, invités) que de reproches (employeurs, collaborateurs). J'ai à cœur de bien recevoir, ce qui explique en partie ma préparation démesurée. Entre les revues de presse, les dernières parutions ou sorties et les documentations sur les remèdes choisis pour l'émission, je passe en moyenne une semaine immergée dans l'univers de chacun de mes invités. Un processus qui permet, une fois à l'antenne, une grande improvisation. J'aime, dans les médias –et cela peut sembler paradoxal au vu du support- le temps long. J'ai ainsi toujours fait en sorte de ne pas inscrire mes chroniques ou mes entretiens dans l'actualité ou la promotion, mais plutôt de constituer, dans l'idéal, une sorte de bibliothèque ou de cabinet de curiosité sonore, qu'on puisse consulter n'importe où et n'importe quand. Je me souviens de la radio Fisher Price que, petite, j'allumais la nuit, en cachette. J'avais alors

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l'impression de ne plus être seule; d'être conviée, indirectement, à la conversation. Cette intimité propre à la radio, je la savoure encore lorsque j'écoute mes confrères, et d'une autre façon, lorsque je suis devant le micro. Sans les voir, je ressens constamment la présence des auditeurs. Ont-ils appris quelque chose? Passent-ils un bon moment? Réussit-on, avec l'invité, à leur communiquer un peu de notre enthousiasme? Je me figure la radio comme un salon culturel et démocratique, dont la fréquentation opère dans chaque âme une émulation positive. La conversation y convie nécessairement le meilleur de chacun des orateurs: se sachant écoutés par une multitude, ils font l'effort d'aller contre les penchants naturels de l'homme. Le discours s'effectue alors dans un climat de partage, d'écoute et de civilité. Toute interaction humaine devrait se dérouler comme dans une émission de radio. Ce texte a été écrit à l'occasion de la 14e édition de Longueur d'ondes, Festival de la radio et de l'écoute (à Brest du 31 janvier au 5 février 2017) et publié dans le catalogue de la manifestation.

Editions Autrement Publié en octobre 2016, le livre "Remèdes à la mélancolie" est adapté de l'émission de radio. Lire aussi : • Une immersion originale au cœur de l'actualité • Le CSA est dépassé à l'heure des réseaux sociaux, l'épisode TPMP le prouve • Après les premiers couacs, Macron doit en finir avec sa communication du XXe siècle

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