Les Coulisses de la Radio. Gérard Courchelle (Le Chêne/Radio France)

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Aucun slogan n’a été plus juste, en quarante ans d’existence de Radio France, que celui qui proclamait : « Écoutez la différence ». Un slogan notoirement pertinent pour l’univers musical du groupe qui produit ou coproduit luimême une part considérable de la musique – tous genres confondus – qu’il diffuse, là où ses concurrents s’en remettent essentiellement à la musique enregistrée. C’est-à-dire à la musique préexistante, emballée sous vide et multidiffusée. Ce n’est ni sur France Inter ni sur France Musique, encore moins sur FIP, que l’auditeur entendra cinq ou six fois par vingt-quatre heures la même chanson ou la même ouverture d’opéra.

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Radio France, pour la musique, tout part des quatre formations musicales et d’une station : France Musique. Ce sont elles qui font la singularité du groupe et son originalité dans le paysage radiophonique français. L’Orchestre national de France, l’Orchestre philharmonique, le Chœur et la Maîtrise de Radio France, épaulés par France Musique, font de l’entreprise un producteur de musiques vivantes dont la compétence couvre tout le champ des possibles : de la superproduction musicale – comme la 8e Symphonie de Gustav Mahler, dite « Symphonie des Mille » dans la basilique royale de Saint-Denis – au format plus modeste d’une émission qui se partage entre musique et parole dans un équilibre toujours délicat. Chaque jour de la semaine, depuis septembre 2014, dans la Matinale culturelle de Vincent Josse et de Nicolas Lafitte sur France Musique, des musiciens jouent en direct au studio 107 entre 9 heures et 10 heures (de 7h à 9h30 depuis la rentrée 2015). C’est le « Live » de la Matinale. Artistes du classique, du jazz, des musiques du monde, des variétés se lèvent à l’aube, avec les techniciens et le réalisateur de l’émission, pour placer les micros et les lumières (le Live est repris en vidéo sur le site de France Musique), « faire la balance », répéter, se mettre en voix pour les chanteurs, « chauffer la machine », expression consacrée

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pour les instrumentistes, et minuter les pièces choisies. Chaque interprète ou groupe d’interprètes se prête aussi au jeu de l’entretien entre 9 h 30 et 10 heures. C’est une initiative unique à cet horaire matinal. Elle résume, à elle seule, l’originalité, le savoir-faire des équipes de Radio France et la singularité du service public de la radio. Il s’agit, devant ceux qui participent à la Matinale au studio 107, mais aussi pour des dizaines de milliers d’auditeurs, de donner à entendre ce que les professionnels nomment « la musique vivante ». Avec l’émotion et la spontanéité que ne libérera jamais un CD calé dans son lecteur électronique. France Musique, dont la devise fut un temps « La plus grande salle de concert du monde », notamment grâce à l’existence des quatre formations musicales du groupe, a longtemps été la seule chaîne exclusivement consacrée à la musique dans l’univers radiophonique international. Toutes les stations de Radio France, à l’exception notable de France Info, diffusent de la musique, toutes les musiques, en tenant compte de la personnalité de chacune des stations – tubes de variétés françaises et internationales sur France Bleu, musiques du monde, jazz et blues sur FIP, rock, electro et hip-hop sur Mouv’, nouveaux talents et interprètes dans l’air du temps sur France Inter, chansons ou pièces musicales en rapport avec la thématique des débats sur France Culture. Ce qui revient à dire que tout auditeur peut trouver son bonheur musical sur l’une ou l’autre des stations du groupe.

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Une radio locale de Radio France, ici France Bleu Nîmes le 1er juillet 2010, peut remplir les arènes pour un concert ou toute autre opération spéciale. France Bleu est la radio généraliste la plus musicale avec deux cent vingt titres diffusés chaque jour à l’antenne.

CI-CONTRE :

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CI-DESSOUS : À chaque saison musicale, sa mise en scène. En 1989, Radio France embarque le public dans une croisière musicale.

Pupitre des cors de l’Orchestre national.

PAGE DE DROITE :

L’histoire des formations musicales est une odyssée, avec ses tâtonnements (qui paiera les musiciens ?), ses polémiques (pourquoi deux orchestres dans une seule maison ?), ses rivalités internes (existe-t-il une formation A et une formation B ?), odyssée qui commence en 1934 avec la création de l’Orchestre national sous la direction artistique du chef Désiré-Émile Inghelbrecht. Le gouvernement français prenait alors l’initiative de lancer, à une époque encore pauvre en enregistrements commerciaux, un orchestre destiné à alimenter les programmes musicaux de la radio nationale, d’ailleurs avec retard par rapport à d’autres émetteurs européens.

UNE HISTOIRE TUMULTUEUSE La naissance de l’Orchestre national aura été, d’emblée, un coup de maître aussi bien par le haut niveau de son recrutement que par le prestige des chefs et des solistes invités, sans parler de l’originalité de sa programmation. La consultation du livre d’or de l’ensemble témoigne (et tant pis pour la redondance) d’un « âge d’or ». La dédicace et la signature d’Arturo Toscanini, le plus célébré des chefs du XXe siècle, n’y figurent pas. Pourtant, celui qui est surnommé le « Maestrissimo » a dirigé deux concerts du National les 19 et 26 novembre 1935, dix-huit mois après la naissance

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de la formation. En revanche, des baguettes comme celles de Désormière, Rosenthal, Stravinski, Gustave Charpentier, Milhaud, Honegger, Ansermet, se succèdent sur le podium du jeune orchestre qui apparaît très rapidement comme une formation d’élite. L’Orchestre national est, de fait, le premier orchestre symphonique permanent en France et les plus grands compositeurs de l’époque acceptent de venir interpréter leurs nouvelles partitions avec leurs collègues du National : Francis Poulenc dans son Concert champêtre pour clavecin, Paul Hindemith avec son Concerto pour alto, et Igor Stravinski pour la création de son ballet Jeux de cartes. Cependant, dès 1937, le National, qui joue pour la radio et donne des concerts publics, ne suffit plus pour alimenter l’antenne. Le ministère des PTT (alors tutelle de la radio) lui adjoint l’Orchestre radio-symphonique qui sera d’abord un ensemble de studio au répertoire plus éclectique. Cette formation a pour mission de participer aux émissions en studio. Elle ne donne pas de concerts et les œuvres qu’elle joue vont du classique à la variété.

Concert d’inauguration de la Maison de la Radio (Orchestre national – Charles Münch) : Consécration de la maison de Beethoven

Désiré-Émile Inghelbrecht dirige le concert inaugural de l’Orchestre national, en 1934, salle Gaveau à Paris.

CI-DESSUS :

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La guerre, l’occupation allemande, le régime de Vichy ouvrent une parenthèse tragique dans l’histoire des formations du futur Radio France : pour le National, exode à Rennes puis à Marseille, avant le retour à Paris, sans les instrumentistes juifs ; annexion de l’Orchestre radio-symphonique par Radio Paris sous l’appellation de « Grand orchestre de Radio Paris ». « Radio Paris ment… Radio Paris est allemand », fredonneront bientôt les voix de la France libre sur les antennes de la BBC. En 1944-1945, des musiciens exilés, écartés pour des raisons raciales ou parce qu’ils ont été résistants (Manuel Rosenthal, Roger Désormière, tous deux chefs d’orchestre, Henry Barraud, compositeur et organisateur hors pair), sont chargés de réorganiser les formations musicales de la radio. L’Orchestre national devient celui de la Radiodiffusion française, le Chœur se constitue en 1947 et Henry Barraud crée la Maîtrise d’enfants dès 1946. En 1952, l’Orchestre radio-symphonique reçoit l’appellation, qui sonne

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CI-DESSUS, EN HAUT : En 1934, le programmefleuve du premier concert de l’Orchestre national invite le public au silence pour cause de retransmission en direct.

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CI-DESSUS, EN BAS : Le livre d’or de l’Orchestre national comporte des dizaines de dédicaces prestigieuses. À gauche, celle de DésiréÉmile Inghelbrecht, pour le concert inaugural du 13 mars 1934 ; à droite, celle d’Igor Stravinski, pour le 25e anniversaire du Sacre du printemps le 30 mai 1938.

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CI-DESSUS, CI-CONTRE ET PAGE DE DROITE : Pour son concert d’inauguration du grand auditorium de la maison de la RTF en présence du général de Gaulle, l’Orchestre national donne la première d’une œuvre de Darius Milhaud. Le directeur de la musique et compositeur Henry Barraud veille : la création est une des missions du service public (ci-dessus) ; l’Orchestre national et ses invités stars, pour la saison d’automne de 1965 : les chefs Josef Krips, Paul Kletzki, Antal Dorati, Hermann Scherchen, sans oublier Charles Münch (ci-contre) ; concert du 14 juillet 2014 donné par l’Orchestre national de France et le Chœur (page de droite).

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mieux, d’Orchestre philharmonique de la RDF. Un peu plus tard, pour éclairer ce changement de nom, Henry Barraud précisera, dans une note interne, qu’il n’existe plus à la Radiodiffusion française de « droit d’aînesse » entre l’Orchestre national et l’Orchestre philharmonique. Ces propos prémonitoires et lucides n’empêcheront pas les formations de rester potentiellement rivales, tandis que la presse campera longtemps sur l’idée que le National est l’orchestre « de prestige » de la maison et le Philharmonique la pauvre « Cendrillon » condamnée au second rôle. Il faudra attendre l’arrivée d’un chef « bâtisseur d’orchestre » comme Marek Janowski, en 1984, pour que l’Orchestre philharmonique soit réorganisé, doté de concours d’entrée et d’une grille salariale équivalents à ceux de l’Orchestre national. La ténacité de Janowski, son caractère affirmé, sa volonté d’exercer pleinement son rôle de directeur musical et la durée de son mandat (seize ans) lui permettront d’atteindre ses objectifs artistiques et humains : aujourd’hui, l’Orchestre philharmonique et son nouveau directeur musical, Mikko Franck, qui vient de succéder à Chung, n’est plus le parent pauvre et il se pose en concurrent sérieux de l’Orchestre national. Ses concerts, ses enregistrements, ses tournées internationales obtiennent un succès égal et le milieu musical, toujours avide de conflits et de bisbilles, prend un malin plaisir à souffler sur les braises d’une rivalité controuvée.

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L’Orchestre national de France : une histoire par le disque La réputation d’un orchestre se construit, en partie, sur ses enregistrements. Les disques « officiels », réalisés en studio, ont pour chefs Charles Münch (Bizet, Dutilleux, Roussel, Debussy), Leonard Bernstein (Berlioz, Milhaud, Ravel, Franck), Seiji Ozawa (Honegger, Bizet), Jean Martinon (Debussy, Roussel, Bizet), Daniele Gatti (Stravinski, Debussy), Lorin Maazel (Mozart, Mahler, Holst, Ravel, Debussy), Constantin Silvestri (Dvorák), Sir Thomas Beecham (notamment Carmen de Bizet), Igor Markevitch (Haydn, Schubert, Richard Strauss, Mendelssohn), sans oublier le grand Stokowski. La liste est, si c’est possible, plus impressionnante encore avec les enregistrements pris sur le vif. On y découvre des références comme les 5e et 7e Symphonies de Bruckner sous la direction de Lovro von Matacic et d’Eugen Jochum, la 10e de Chostakovitch avec Kurt Sanderling,

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la « Pathétique » de Tchaïkovski dirigée par Riccardo Muti, des Beethoven par Carl Schuricht, des Brahms avec Bruno Walter ou des Haydn avec George Szell. Parmi les trésors, en live, existe aussi le sublime Pelléas et Mélisande sous la direction de Bernard Haitink (2000) auquel répondent, à des années de distance, le Pelléas (1963) dirigé par Désiré-Émile Inghelbrecht, le fondateur de l’Orchestre national, et les disques – trop peu nombreux – pour lesquels Kurt Masur est au pupitre, entre 2002 et 2008 : deux symphonies de Beethoven, la 7e de Chostakovitch, la 5e de Tchaïkovski. Peu nombreux parce que l’industrie du disque n’est plus ce qu’elle était, victime des nouvelles technologies. Cependant, ces nouvelles technologies ont permis à l’Orchestre national de France d’enregistrer un DVD interactif, couvert de récompenses, du Pierre et le loup de Prokofiev.

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