Journey around the Truth. Andy Emler et David Liebman

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LES CHOCS Suite de la page 63 s’adapter aux changements et aux évolutions rythmiques et sonores et la guidant ainsi vers une nouvelle lecture de l’Histoire de la musique. Cet album qui pourrait être mal compris par (et à) son époque sera certainement considéré comme un tournant décisif dans l’Histoire musicale et sociale de la musique. » Ce manifeste sans doute écrit par le trompettiste lui-même figure sur le site de Ropeadope. Il met, c’est le moins qu’on puisse dire, la barre très – trop ? – haut. Mais l’écoute de cet album hors norme nous donne vraiment envie de croire en lui et en sa musique, car ce jeune homme engagé joue avec une puissance et une émotion peu communes (on pense souvent à Freddie Hubbard et à Don Cherry) tout en faisant valser les barrières entre les styles et les genres, les âges et les jazz. On peut encore faire de la musique instrumentale créative en 2019 : la preuve avec “Ancestral Recall”. Noadya Arnoux

Russ Lossing Changes 1 CD SteepleChase / Socadisc

Nouveauté. Enregistré en trio avec Michael Formanek à la contrebasse et Gerald Cleaver à la batterie, “Changes” est le premier disque que Russ Lossing, pianiste associé à l’avant-garde et notamment au tromboniste Samuel Blaser, consacre presque entièrement à des standards.

PHOTO : studio 534 (ropeadope)

Christian Scott aTunde Adjuah (tp, sirène, sirènette, bu inversé, perc, cla, dm, voc), Elena Pinderhughes (fl), Logan Richardson (as), Lawrence Fields (p), Kris Funn (elb), Corey Fonville (dm, perc), Weedie Braimah, Themba Mkhatshwa, Amadou Kouyate, Munir Zakee Richard (perc), Saul Williams, Devan Mayfield, Chris Turner, Mike Larry Draw (voc). The Champagne Room West, La Nouvelle-Orléans, 10 et 15 avril, 6 et 20 septembre 2018 et 1er-2 décembre 2018 ; The Parlor, La Nouvelle-Orléans, 29-30 avril 2018.

Parmi eux, cinq compositions de Thelonious Monk et de Duke Ellington sur lesquelles se greffent des variations aussi neuves qu’improbables, l’ambition de Lossing étant de « tirer de nouvelles combinaisons sonores de leurs intervalles pour en harmoniser les mélodies ». Il en tire sa poétique pianistique, le sel de ses improvisations toujours très structurées. On comprend mieux sa passion pour la musique de Paul Motian à laquelle il vient de consacrer un deuxième album, et pour celle de Monk dont il interprète Crepuscule With Nellie, Ugly Beauty et Epistrophy, non sans les plier à une virtuosité qui fait cohabiter lyrisme et abstraction. La grande souplesse de sa section rythmique lui permet de jouer un piano très libre, de saupoudrer ses improvisations élégantes de dissonances subtiles, d’accords inattendus. Les ballades qu’il aborde se parent de couleurs automnales et vibrent d’une grande douceur. Une version féérique de Reflections In D et Prelude To A Kiss d’Ellington, musicien qu’il apprécie beaucoup, Little Girl Blue de Richard Rogers, Sweet and Lovely que Monk aimait jouer, comptent parmi les grandes réussites de cet opus, le treizième que le pianiste publie sous son nom. On peut y ajouter Reminiscence, l’un des deux morceaux qu’il a composés pour cet album, un chatoiement de notes bleues que leste un grand poids de tendresse. Pierre de Chocqueuse

Russ Lossing (p), Michael Formanek (b), Gerald Cleaver (dm). Mai 2018.

Alex Tassel Past & Present / A Quiet Place 2 CD Peninsula Music / L’Autre Distribution

Nouveauté. Dix ans après le déjà double et déjà acoustique/ électrique “Heads Or Tails”, ce bugliste raffiné persiste et signe : il a deux amours, et ils sont inséparables ! Et de toute façon, nous rappelait-il récemment, « il s’agit de la même expression, ma façon de jouer ne change pas, et c’est pareil quand je joue du hip-hop ou de la soul ». À la tête d’un quintette acoustique ou d’un groupe électrique, Alex Tassel reste effectivement égal à lui-même, soliste au son délectable et au phrasé frissonnant d’invention, compositeur profondément attaché à la mélodie (Elot en est une aux atours de classique instantané, tout comme Greyboy). Lors du même entretien, il ajoutait que « quelqu’un qui a priori n’aime pas le “jazz” – dans le sens traditionnel du terme – peut tout à fait apprécier un disque plus électrique à travers la production, le son et la mise en valeur différente des instruments. » Certes, mais quelqu’un qui aime le(s) jazz – dans tous les sens de ce terme si souvent remis en question – peut apprécier les deux facettes de votre art cher Monsieur Tassel, car elles sont effectivement inséparables, mais aussi, et surtout, complémentaires, et mettent en pleine lumière des accompagnateurs de grand talent, valeurs montantes (Christophe Panzani) ou jeunes vétérans confirmés (Jason Rebello, Julien Charlet, Reggie Washington, Manu Katché...). Chapeau bas. Frédéric Goaty “Past & Present ” : Alex Tassel (bu), Rick Margitza (ts), Jason Rebello (p), Viktor Nyberg (b), Julien Charlet (dm). Sarzeau, Peninsula Studio, janvier 2018. “A Quiet Place” : Alex Tassel (bu), Christophe Panzani (ts), Jason Rebello (cla), Reggie Washington (elb), Manu Katché (dm). Idem, mai 2018.

Andy Emler David Liebman Journey Around The Truth 1 CD Signature / Outhere

Nouveauté. En février 2018, Andy Emler avait donné rendezvous à David Liebman au pied du grand orgue de l’Auditorium de Radio France dont on lui avait remis les commandes le temps de quelques heures de répétition et d’enregistrement. Si “Pause”, le disque qu’Andy Emler enregistra en 2011 sur l’orgue Cavaillé Coll de l’Abbaye de Royaumont passa quelque peu inaperçu, ceux qui écoutent sa musique depuis le début des années 1980 s’y sont sentis chez eux, y reconnaissant une quintessence. C’est à l’appel de celle-ci qu’a voulu répondre David Liebman, amateur du travail d’Emler depuis presque autant d’années. Soit un travail d’alchimiste par lequel Emler a synthétisé un faisceau d’influences extraites de leurs contextes originaux, allant de la musique française du XXe siècle (Maurice Ravel pour lequel on sait son attachement, mais aussi le compositeur-organiste-improvisateur Maurice Duruflé auquel il emprunte ici quelques procédés), aux répétitifs américains (on pense à Rainbow In Curved Air de Terry Riley) en passant par de vieilles amours pour le progressive rock. On sait la ferveur avec laquelle Dave Liebman répond aux invitations qui lui sont adressées, or pour cet homme de défi, celle-ci revêtait une importance particulière. Des propositions de son hôte, il fait ainsi un lieu de dialogue qui les voit tous deux l’oreille et l’imagination aux aguets. Une œuvre grandiose comme la cathédrale de Coutances (où ils sont attendus le 1er juin) et légère comme la volatilité des jeux auxquels ils aiment la soumettre. Franck Bergerot David Liebman (ss, ts, flageolet), Andy Emler (orgue à tuyaux). Paris, Auditorium de Radio France, février 2019.

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