PAYS : France
DIFFUSION : 212516
PAGE(S) : 36
JOURNALISTE : Patrice Trapier
SURFACE : 25 % PERIODICITE : Hebdomadaire
10 juillet 2016 - N°3626
Le livre de la semaine
Les routes du Sud\ livres enpoche uoi de plus émouvant qu'un livre àla fin d'un été ? Ses pages gonflées par l'humidité de la mer, jaunies par les rayons du soleil, recélant des grains de sable, des brins d'herbe séchés et pourquoi pas des traces de glace et de limonade. La belle saison est l'occasion de rattraper le temps perdu. Fondateur des éditions des écrivain et marin en hauts pro-
Q
Équateurs,
fondes, Olivier Frébourg a bien compris les vertus de ces semaines de lectures bacchanales. Il a rassemblé, ces dernières années, un très large public pour passer l'été avec Montaigne, Baudelaire, Proust... Cette fois, Laure El Makki, productrice à France Inter, et le comédien Guillaume Gallienne nous proposent leur avec Victor Hugo. Un géant croqué par fines touches, son polymorphe, ses passions innombrables, ses multiples combats... Le programme- est alléchant. Été
œuvre
Pendant ce temps, l'historien, écrivain et critique littéraire, Jacques de Saint Victor, grand connaisseur de l'Italie et de ses mafias, nous convie à un merveilleux voyage sur la plus ancienne voie publique romaine. De Rome à Brindisi, la Via Appia est une saignée dans le Mezzogiorno, trait d'union entre « l'Antiquité et la modernité, le paganisme et le christianisme, l'Orient et l'Occident ». Un érudit qui rêve autant qu'il visite Au départ, Saint Victor s'était rêvé en Stevenson, se préparant à parcourir pedibus le demi-millier de kilomètres entre le Latium et les Pouilles, mais l'expédition
ne dépassa pas une vingtaine de bornes. Coupé dans son élan par une crise d'asthme et une pluie d'hiver, l'auteur appela au secours sa belle, Michela Marzano, philosophe et députée italienne. C'est finalement au volant de sa Fiat qu'il explorera la Regina Viarurn (la voie royale). Exploration n'est pas un mot trop fort ; on croirait à certains moments que la voiture conduit son homme dans le labyrinthe des Via Appia Antica et Nuova, de sesalternatives et des chemins de traverse que l'humeur vagabonde de Saint Victor imprime au parcours. C'est un voyage à travers l'Histoire et l'actualité ; on passe de l'Empire romain au Grand Schisme d'occident à Fondi, de l'entrée des Enfers près de Naples aux délices de Capoue, qui ne furent pas la cause des infortunes d'Hannibal, des introuvables Fourches Caudines entre Caserte et Bénévent à des conversations sur les ravages de la mafia, la faillite de Berlusconi, les difficultés de Renzi, les prétentions grillesques des Cinque Stelle (« la piazza contre le palazzo »)... Saint Victor est un érudit qui rêve autant qu'il visite. Il se confronte aux grands anciens (Stendhal, Goethe, Chateaubriand, Mme de Staël, Henry James, JeanFrançois Revel...) et surtout à son père, qu'il aima tant et dont il différa sensiblement; il disserte sur les différences entre la France et l'Italie, ses deux pays de coeur, se démarquant de l'adage de Cocteau selon lequel les Italiens seraient « des Français de bonne humeur ». Il chemine dans les paysages ensanglantés par les résistances anciennes à l'unification italienne et par
le libéralisme financier. Il passe d'une angoisse à voir le Mezzogiorno transformé en nouvelle Grèce sur l'autel bruxellois à la colère au passage des vastes étendues de déchets toxiques gérés par la Camorra. Une harmonie entre la ville et la campagne A Capoue, Saint Victor s'inquiète de la crise du mondé occidental, qui lui rappelle la décadence de l'Empire romain : << Libéralisation du petit écran... arrogance du vide, culte de la dérision, sport business... » Et l'érudit d'appeler à la rescousse saint Augustin, qui s'indignait que « les esprits cruels, abrutis par le sport et le spectacle » s'éloignent de la citoyenneté raisonnable. Et de rêver de Sismondi et de son modèle toscan « d'un développement harmonieux entre la ville et la campagne ». Il convient de lire Saint Victor avec lenteur, de ne pas s'inquiéter de ses angoisses vite tempérées par la beauté des rencontres, de déguster sa drôlerie, de surligner citations et fulgurances... Quand, d'ici à quelques mois, nous ressortirons notre Via Appia corné et annoté de partout, nous serons fin prêts pour nous retrouver, tel l'auteur, munis d'un sac à dos, d'un bâton et de chaussures de marche, à la stupéfaction des gardes du palais MonteCitorio, se déroulent les ineffables débats du Parlement italien. PATRICETRAPIER où
Un été avec Victor Hugo, Laura El Makki et Guillaume Gallienne, Équateurs/Parallèles,
222 p., 13
€.
Via Appia, Jacques de Saint Victor, 314 p., 21 Équateurs, €.
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