Une histoire de la naissance, René Frydman - Grasset / France Culture

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PAYS :France

DIFFUSION :369965

PAGE(S) :22-23

JOURNALISTE :Dorothee Werner

SURFACE :191 % PERIODICITE :Hebdomadaire

4 juin 2021 - N°3937

ALORS QUE LA LOI DE BIOETHIQUE VA ETRE REDISCUTEEA L'ASSEMBLEE,

sable

splendeur», selon les motsd'Edouard Glissant cités dansson

livre,

plaide pour la création d'un grand musée de la naissance: au carrefour de la métaphysique, de la science et des évolude la société, histoire d'ouvrir la discussion à tous. Interview. il

un lieu

L'OBSTETRICIEN RACONTE DANS

UN

LIVRE

CE DEMI-SIECLE QUI

A BOULEVERSE LA REPRODUCTION. FAR DOROTHEE

WERNER

Dans quelques jours, l'ouverture à la PMA pour les femmes célibataires ou en couple opposera une nouvelle fois deux camps très clivés, tout comme le droit à congeler ses ovoles avancéesde la cytes. Les débatséthiquesoù s'entrechoquent

médecineet celles de la société ont jalonné la vie de René Frydman, gynécologue-obstétricien à l'hôpital Foch de Suresnesetspécialiste de la médecine de la reproduction. En quaranteans decarrière, il a vécu de plain-pied une révolution qu'il raconte dans son « Histoire de la naissance»,un récit inspiré qui se lit comme un roman d'aventures. Depuis qu'il a contribué en 1982 à la naissance d'Amandine, le premier bébé conçu parfécondation in vitro (Fiv) en France, il a reçu des milliers de couples en mal d'enfants. Sapatte ? Charisme, écoute sans jugement, vraie volonté d'aider, limites éthiques. C'est un médecin adulé par sespatientes,y compris les 40 % qui ont échouémalgré tout. Et parce que «naître au monde estd'une inépui-

tions

ELLE. Naomi Campbell est devenue mère à 50 ans, qu'est-ce que celavous évoque ? RENE FRYDMAN. On peut imaginer quelle a bénéficié d'un don d'ovocytes et peut-être même fait appel à une mère porteuse.Ces célébrités annonçant leur maternité tardive donnent l'impression que tout estpossible quel que soitl'âge, ce qui estfaux, comme lesavent les lectrices de ELLE.Le désir de grossesseestde plus en plus tardif, mais l'horloge biologique est redoutable pour les femmes... ELLE.

Justement, le droit à congelerses ovocytes va être de nou-

veau débattu. Pourquoi le défendez-vous ? R.F. Je nevois aucunargumentcontraire sérieux.

ROLLER/DIVERGENCE.

C'estune possibilité

qui peut rassurer une femme de 35 ans qui ne trouve pas de jules... Même si ce n'estpas la panacée: c'estlourd et contraignant, et le risque d'échec de la Fiv estautour de 40%.

OLIVIER ; LUCAS

Comprenez-vous les réticencesde la société pour ouvrir la PMA aux femmes célibataireset aux couples lesbiens ? R.F. Je ne sais pas si je les comprends, mais je constate quelles existent encore. J'ai reçu beaucoupde femmes seules prêtes à partir le faire à l'étranger. Souvent en Belgique. Je souligne que là-bas ELLE.

NODA/HANS

MARTIN

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4 juin 2021 - N°3937

environ 15 %d'entre elles essuient un refus. Le médecin n'a passeulement un savoir-faire, il n'est paslà pour se faire de l'argent sur n'importe quoi. Cesdemandesdoivent être discutées au cas par cas. Le médecin doit saisircommentunefemme voit son aveniravec un enfant, y compris dans les détails matériels.

décédée.C'est aussi très difficile techniquement. Et avec une donneuse vivante, il faut s'assurerque l'équilibre entre le don et le contredon soit complètement respectépour que cela soit bien vécu des deux côtés. C'est génial, mais c'est assezlourd. Là encore, cela mérite un accompagnementtrèspoussé.

Aux Etats-Unis, on peut choisir d'accoucher en programELLE. La possibilité de faire des diagnostics sur des embryons une césarienne de convenance. En France, il faut desraiavant de les implanter suscite, à juste titre, une crainte eugéniste. Comment faire la différence entre un handicap invalidant ou sons médicales. Doit-on assouplircela ? R.F. Le rôle du médecin est decomprendrela nature de la demande. non ? Va-t-on vers la fabrication du bébé zéro défaut ? R.F. Je comprends ces craintesmais elles relèvent souvent du fanCertaines femmesont une crainte particulière, un vécu ou une histoire traumatique que l'on peut entendre. D'autres sont terrorisées ou tasme : le bébé parfait n'existe pas.Noussommestousporteurs de manquent d'informations sur l'accouchement. En discutant, leur posigènesqui s'expriment ou pas,etinteragissent avec notre environnetion peutévoluer et ellesen seront au final soulagéeset heureuses. ment. Certains gourous prétendent pouvoir toutfaire. Après quarante ans de carrière, je saisque les gensveulent un enfant qui ne souffre Je crois qu'il ne faut aucundogme idéologique, aucuneidée partipasde graves maladies héréditaires ou de handicapsentravant ses sane, mais toujours parier sur l'accompagnement.Après tout, une césariennen'est pas un problème. capacitésde développement.C'est compréhensible. Il ne faut pas confondre cela avec le souhait de la perfection. L'idée de booster ELLE. Vous préférez la psychologie à la morale ? le QI, de fabriquer un Nobel et compagnie, c'estdu baratin. R.F. Oui, et c'estbien ce qui rend ce métier passionnant.J'ai eu la ELLE. Choisir le sexede son enfantest une pratique relativement chancede débuteravec Emile Papiernik [médecin pionnierfrançais de l'obstétrique moderne, ndlr], qui avait une grande ouverture courante dans certainspays, en Israël par exemple. Est-ce aux parents de choisir les caractéristiquesde leur enfant ? R.F. Je raconte l'exemple de deux femmes sourdes qui voulaient un enfant sourd... Certains médecins acceptenttout et n'importe quoi. Notre métier, c'est aussi de mettre des limites, surtout face aux désirs qui ne sont pas justifiés sur le plan médical. ELLE. mant

Pourquoi êtes-vous contre le recours aux mères porteuses ? corn prendre un couple quiveut unenfant contre vents et marées. Mais je sais aussi que beaucoup renoncent quand la Fiv ne marche pas. Aller jusqu'à utiliser destechniques qui mettent en jeu la dignité d'autrespersonnes, seservir de femmes pour quelles portent l'enfant desautres dans un climatcommercial, c'estune limite éthique à ne pas franchir. Le désir d'enfant se heurte aux limites du possible et du raisonnable. Même si c'est possible scientifiquement, même si celaa toujours existé dans l'histoire... Et le fait que ce soit légal dans d'autres pays n'estpas un argument recevable : certainslégalisent l'excision sans quecela rende cette pratique légitime pourautant ! ELLE.

R.F. Je peux

d'esprit, au point qu'il y avait trois ou quatrepsychologues et psychanalystes dansle service, ce qui était rare à l'époque. C'est décisif car ce ne sont jamais seulement deshistoires d'horlogerie mécanique. ELLE. En quelques clics sur Internet, on peut acheterdu sperme ou en trouver sur le marché noir. Qu'en pensez-vous ? R.F. Ce n'est pas parce qu'il y a une pénurie de dons qu'il faut tout accepter. Cela posedes questions de sécurité médicale et d'éthique. On ne peutpas faire un enfant seule sur Internet. La nouvelle loi de bioéthique va peut-être permettred'ouvrir le don de spermeaux femmes seulesou en couple, cequi résoudrait une partie du problème.

ELLE. Vous avez vécu le bouleversement de la procréation, quelle est l'évolution qui vous a le plus touché ? R.F. La médecinefœtale, celle de l'embryon ou du fœtus, qui permet de comprendre les pathologiesà venir, avec une marge d'erreur parfois très difficile à évaluer. Jusqu'où maintenir une grossessetrès compliquéepour la mère ou l'enfant, à partir de quand interrompre une grossesseen cas de gravesdifficultés à venir ? J'ai parfois dû prendre des décisions extrêmement délicates.

d'utérus, en février dernier. Est-ce une greffe commeune autre ? R.F. Non, parce quelle n'est pasvitale et que le prélèvement se fait

Vous avez permis la naissance de milliers d'enfants... En avez-vous gardé une trace ? R.F. J'ai des valises de faire-part, de photos et de mots qui font chaud au cœur. J'ai vu défiler le roman desvies particulières et uniques, souvent éclatantesde joie, parfois d'une infinie tristesse. C'estunmétier magnifique.

sur des donneuses vivantes-même si deux naissances, à Cleveland età Sao Paolo, ont montré qu'on pouvait greffer l'utérusd'unefemme

« UNE HISTOIREDE LA NAISSANCE », de René Frydman (éd. Grasset/France Culture).

ELLE.

Misha est le premier bébé né en France après une greffe

ELLE.

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