Savoir être, Claude Halmos

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PAYS : France

DIFFUSION : 212516

PAGE(S) : 25

JOURNALISTE : Anne-Laurebarret

SURFACE : 76 % PERIODICITE : Hebdomadaire

12 juin 2016 - N°3622

Claude Halmos

Librepanseuse Disciple de Françoise Dolto, cette psychanalyste familière des médias n'y joue pas les gourous. A ses auditeurs et à ses lecteurs, elle conseille de seprendre en main sans attendre des réponses toutes faites

ANNE-LAUREBARRET <®AnneLaureBarret

. .

st-ce que je te dis tu ou est-ce queje vous dis vous ? », demande Jean-Luc Delarue à un enfant sur le plateau de la Grande Famille. Une phrase et la vie bascule. C'était en 1992. Claude Halmos rechigne à devenir chroniqueuse sur Canal+. « Je ne connaissais rien à ce milieu, je ne regardais pas la télévision à midi. Mais quand j'ai entendu le présentateur s'adresser avec autant de respect à un enfant, j'ai accepté d'essayer. » La psychanalyste commencera par poser des limites au grand gamin de la télé. « Lors d'une réunion préparatoire, j'ai refusé de présenter à l'antenne un livre sur la paranoïa parce queje ne le trouvais pas bon.Un silencede mort s'est installé- autour de la table. J'ignorais que cen'était paspensable de dire aussi simplement non à l'animateur vedette. » Quelque temps plus tard, Delarue tente de « reprendre le pouvoir » en omettant de lui poser une question en direct. Claude Halmos lui présente sa démission lors du démaquillage. « Je ne peux concevoir qu'on coupe ma chronique sauf par manque de temps. Je joue ma réputation par rapport à mes confrères, donc je m'en vais», assènet-elle. Démission refusée et début d'une belle collaboration. «La télé est un instrument de vérité. Ceux qui ne trichent pas, cela se voit. Jean-Luc Delarue avait, quoi qu'il soit devenu ensuite, un vrai talent de passeur. Il savait

écouter, se laisser toucher par ce qu'il entendait et le transmettre au public. » « Je ne donne jamais de rendez-vous au premier appel » Une passeuse, une oreille absolue, bienveillante mais ferme. C'est ainsi que Claude Halmos définit Françoise Dolto, la clinicienne hors pair auprès de laquelle elle s'est formée à la psychanalyse de l'enfant. C'est aussi comme cela que la décrivent ceux qui l'ont côtoyée dans l'audiovisuel ou la presse écrite. Djami Chêne, alors journaliste à La Grande Famille, n'a jamais regretté d'avoir bataillé pour recruter la dame brune, un peu « austère », dont le nom lui avait été soufflé par l'historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco : « Beaucoup depsys médiatiques parlent pour ne rien dire. Elle ne cherche pas la lumière mais à aider les autres. Elle a tou t de suite eu un succèsfou sans pour autant donner d'illusions aux gens. Sa qualité d'écoute lui donne la capacité de répondre. C'est une orfèvre, aucun mot ne peut être remplacé par un autre. » Après vingt-cinq ans d'antenne, cette grande bosseusecontinue de suer, entre deux consultations, sur ses chroniques de France Info dont elle vient de publier un recueil*. « Sestextes, elle lestricote. Pour couper une ligne, il faut négocier. Mais on cèdeparce que quand ça sort, c'est juste. Il y a toujours une surpnse », sesouvient Hélène Mathieu, ancienne directrice de la rédaction de Psychologies où Claude Halmos répond au courrier des lecteurs. Seize heures, mercredi 4 mai. Le téléphone fixe sonne dans son cabinet parisien. « C'est à quel sujet, madame ? Il n'y a pas de place actuellement. Qui vous envoie ? » Le ton est glacial, pas encourageant pour deux sous. « Il faudrait que vous rappeliez dans une quinzaine de jours. On verra à ce moment-là. » Certains

psys trustent les ondes pour draguer le patient. Claude Halmos, elle, se méfie de l'effet « entendue à la radio ». « Il y a une dimension de leurre. Je ne donne jamais de rendez-vous au premier appel. Si la personne maintient sa demande et rappelle, je vois. » Le bonheur, ce n'est pas simple comme un coup de fil. Sur France Info comme dans Psychologies, Claude Halmos invite sesinter sesinter-locuteurs à poser des questions détaillées. «Il faut éviter la passivité face- au savoir du psy.Beaucoup attendeiit qu'onleur donnedes clés. Mais chaqueserrure est particulière. » En deux minutes dix à la radio, pasquestionde comprendre le problème, encore moins de trouver une solution, mais d'aider l'auditeur à se prendre en main. Il lui est arrivé de s'entendre dire : « Votre réponse m'a évité de sauter par lafenêtre. » Elle en tire la satisfaction d'avoir été utile, sans aucune forme de vanité. « On n'estpas psychanalyste par hasard. Je viens d'une, histoire difficile. Dans cegenrede cas, un enfant estobligé, pour se.protéger, de développeruneécoute dont lesplus heureux n'ont pas besoin.Je dis aux parents ou aux enfants les mots qu'on ne. m'a pas dits. » Elle qui « contrôle tout », dixit son amie Hélène Mathieu, voile de brume ses blessures d'enfance. « Je protège ma vie privée à cause de mes patients, j'écrirai plus tard », sedéfend-elle. Une promesse déjà faite àLibération il y a huit ans. Tout juste accepte-t-elle de se résumer en excellente élève issue de la petite bourgeoisie de Châteauroux, fille d'un Juif hongrois dont de nombreux proches ont été exterminés. « L'école

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les débats. » Dans sa famille traversée par l'Histoire et les secrets, il fallait se cacher sous les draps pour dévorer des romans le soir et renoncer au rêve de faire de la danse classique, une autre de ses passions, assouvie à l'âge adulte. Le jour de l'enterrement de Dolto, à qui elle a parlé de sespatients durant plusieurs années après avoir exercé sous le contrôle de Lacan, Claude Halmos s'est surprise à pleurer comme jamais. « Dolto entendait les enfants : leurs souffrances, leurs particularités. Elle accordait de l'importance aux détails jugés sans intérêt par les grands. Elle était vraiment la dame qui aurait pu entendre la petite fille que.j'avais été. » Elle rêve d'une nouvelle émission de télé qui ferait le pari de l'intelligence L'écolière en fuite dans les livres, l'ado qui allait mal au point de vouloir mourir s'est inventé une autre vie à Paris. Floue comme une héroïne de Modiano, Claude Halmos brouille volontiers les pistes. On croit comprendre que celle qui finançait ses études de lettres puis de psycho en bossant comme pionne dans un lycée de banlieue aplongé au même moment dans la psychanalyse et le militantisme. « J'éta is à l'Unef, c'est-à-dire à gauche », élude-t-elle. D'anciens lambertistes se rappellent l'avoir croisée dans les rangs de ce groupe trotskiste réputé sectaire. Au fond, peu importent les faits et la chronologie. « Le temps de l'analyse estparticulier. Je ne sais même plus quel âgej'avais quandj'ai rencontré le désir de devenir analyste. C'est dans ce va-et-vient entre l'enfance et l'âge adulte qu'on le devient. » Aujourd'hui installée en libéral après avoir exercé auprès d'enfants dans de nombreuses institutions, Claude Halmos a conservé intacte la révolte qui devait nourrir son engagement de jeunesse. Cet « électron libre » fustige la maltraitance infantile, toujours dans un angle mort de notre société, mais aussi l'économie qui broie les individus, le chômage, la montée de la violence au travail. « Les psychanalystes ont du mal avec le social et avec l'Histoire. C'est dommage pour la société : ils pourraient être plus utiles. Et dommagepour leurs patients : à chaque génération, les souffrances d'ordre privé se nouent à celles engendrées par les conditions de vie de ceux qui les éprouvent. »

elle rêve d'une nouvelle émission de télé qui ferait le pari de l'intelligence. « Ce serait une aide formidable poulies parents. On leur donne aujourd'hui tant de \recettes\ et si peu de véritables informations qu'ils n'ont jamais été aussi perdus. » • * Savoir être. Une psychanalyste à l'écoute des êtres et de la société, Fayard, 416 p., 22 €.

«Beaucoupde psys médiatiques parlentpour ne rien dire. Elle ne cherchepas la lumière mais à aider les autres » Djami Chêne, journaliste

30 avril

1946

Naissance

à

Châteauroux

1975 Membre

de l'École

freudienne

de Paris

(fondée par Jacques Lacan), rencontre avec Françoise

Dolto

1992-1997 Chronique hebdomadaire à La Grande Famille sur Canal+

1998 Courrier

des

lecteurs du mensuel Psychologies

2002 Reprise de la chronique Savoir être sur France Info

2016 Publication de Savoir être (Fayard)

Dans la passionnante préface de son dernier ouvrage, elle fait mine de douter que sa discipline, un chemin ingrat et besogneux, ait encore saplace. Tout en étant convaincue du contraire. A l'âge où certains envisagent la retraite,

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