Savoir être, Claude Halmos

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PAYS : France

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1 mai 2016 - N°362

Faceà l 'actualité, je parle aux émotions des gens Claude Halmos CLAl'OF HALMOS A l'occasion SAVOIR

ÊTRE

de la publication de son dernier essai,un recueil de seschroniques sur France Info, la psychanalyste revient sur ses rapports avecles médias et l'actualité.

Psychologies : Que peut apporter la très différent de celui queje m'assignedans mon psychanalyse à 1 actuali té et aux médias ? cabinet quandje tente defaire prendre en compte Claude Halmos : Jene saispascequela psy- auxparents la souffrance deleur enfant (ou àl'enchanalysepeut, en général,apporter. Mais je sais ceque, moi, je tente de faire dans les médias en tant que psychanalyste : me battre contre des formes de rejets sociaux très généralisésqui font souffrir desmillions de gens,comme le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme, l'homophobie... Faire entendre des souffrances qui ne sont pas audibles : celles desenfants, par exemple, mais aussi dessouffrances cachéesqui peuvent surgir de la vie privée ou sociale, comme le montrent ceschroniques réaliséespour France Info, où je peux aussibien traiter de « l'hyperactivité » des enfants que dela difficulté pour un couple séparé decontinuer, faute d'argent,à partagerune même maison. Je ne tiens pas seulement un discours intellectuel, j'essaie de m'adresseraux émotions des auditeurs, lecteurs, téléspectateurs. Sans sombrer danslesbons sentiments et les larmoiements, mais encherchantjuste àcequ'ils puissent semettre à la place de celui ou de ceux dont je parle. Cet objectif que je vise n'est d'ailleurs pas

fant cellede sesparents).

Quelles limites vous êtes vous fixées pour vos interventions ? C.H . : Une grandevigilance surle choix dessujets. Je refuse des interventions dans des articles de type « Les prénoms desenfants de stars » ou « Les mamies rock and roll ». Ce n'est pas mon domaine. Mon domaine, c'estlasouffrance. Etj'ai besoin d'un minimum detemps : trente secondes ne suffisent paspour éclairer une situation, permettre à ceux qui regardent ou qui écoutent de comprendre, c'est-à-dire de s'emparer d'un problème et de le considérer autrement qu'ils ne l'envisageaient jusque-là. Enfin, je me refuse à dispenser des conseils. D'abord, ça ne marche jamais de suivre les conseils d'un autre. Ensuite, je considère que celaaliène.J'essayede donner à chacun, dans le langage le plus clair possible, le maximum d'informations pour qu'il puisse se saisir de cesexplications et trouver lui-même sa

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camembert : s'il sevend bien, on le garde, sinon, on en prend un autre. Les médias sollicitent des personnes qui peuvent parler àpeu près bien du psychisme; ils ne sesoucient pas de leur formation et de leurs idées.Donc, si nousvoulons nous faire entendre, nous, les psychanalystes, c'est à nous de nousbattre, de faire en sorte d'occuper la place que nous souhaitons prendre.

Commentla psychanalysepeut elle éclairer les attentats terroristes que nous vivons actuellement?

façon d'agir. Je suis un peu comme un plombier : j'explique comment l'installation fonctionne, puis j'enchaîne avec des hypothèses très générales sur les causespossibles de la panne. L'idée est de mettre au travail ceux qui sont confrontés à des difficultés. Je refuse la position de savoir absolu, de maître, de celle qui sait et dit ce qu'il faut faire. Jeleur donne des éléments, ils agissent et peuvent ainsi prendre conscience de leurs capacités.

Comment expliquez vous le discrédit jeté sur la psychanalyseet le fait que les médias ne cessentdevous solliciter, vous,les psychanalystes? C.H. : Dans un système économique qui broie lesindividus et lesconsidère interchangeables, la psychanalyse ne peut pas être « tendance ». C'est une question de conception des êtres humains : ce n'est pas la même chosede décréter qu'un enfant estatteint de TOC, d'hyperactivité, comme le font lesthérapies comportementales, et de seposer la question de l'origine - particulière - de sa souffrance, comme le fait la psychanalyse... Cela dit, les psychanalystes ne sebattent pas assez pour sefaire entendre publiquement. Je dis toujours que, dansles médias, l'intervenant est comme un

CLAUDE HALMOS Psychanalyste, elle répond chaque semaine à des questions d'auditeurs sur France Info. Et chaque mois à des lettres de lecteurs dans Psychologies (lire p. 14). Auteurede nombreux ouvrages, elle vient de publier

Savoirêtre, une psychanalysteà l'écoute desêtres et de la société (Fayard).

C.H. : Un psychanalyste ne peut aller dans les médias qu'avec une volonté de transmettre et de donner aux autres quelque chose qui va les aider. Dans lecontexte actuel,j'aipensé utile, par exemple, pour les victimes et pour leurs proches, d'expliquer ce qu'est un trauma. Un trauma est un événement tellement soudain et violent qu'il en est irréel, ingérable par notre tête telle qu'elle fonctionne, et il suppose toujours que la mort est passée tout près. Il est tellement massif que la personne qui le subit court le risque de basculer dans la folie. Pour ne pas sombrer, elle est donc obligée des'évader,c'est-à-dire de vivre une partie de ce qu'elle doit vivre sans en être totalement consciente. Cela lui permet, psychologiquement, de survivre, mais lui rend ensuite lavie difficile. Car cette partie desévénements qu'elle a enfouie vavenir en permanence frapper àla porte pour se faire entendre, sous forme d'angoisses, d'images, de cauchemars récurrents. Le psychanalyste qui écoute cette personne doit donc l'aider à reconstituer ces parties manquantes de ce qu'elle a vécu. Il est comme un témoin qui atteste de la réalité de l'horreur subie et difficilement partageable, car elle a été vécue dans une solitude totale. Et puis tous les médias me demandent comment expliquer lesattentats aux enfants. Il est très important que leurs parents puissent tenir un discours cohérent sur les attentats. Cela les aide à ne pas être envahis par tout ce qu'ils entendent ici ou là et en discutant avec leurs copains. Lapériode quenous traversons est très dure àvivre. Les questions (incroyablement variées) que me posent les auditeurs de France Info le montrent : ils souffrent à causede leur vie privée, mais aussi de leur vie sociale et de l'actualité. Mon but est de leur donner, dans chaque cas, des outils pour s'en sortir.

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