La Fracture, Gilles Kepel

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16 janvier 2017 - Edition Nord

POLITIQUE. PROFESSEUR À SCIENCES PO, LE SPÉCIALISTE DU MONDE MUSULMAN PUBLIE « LA FRACTURE »

« Nous négligeons l'islamisme » La politique française envers l'islamisme inquiète Gilles Kepel, spécialiste du Moyen-Orient. Question : Que penser du soutien récent de Bachar el Assad à François Fillon ? Gilles Kepel : « Cet appui très explicite est à lire dans la continuité de la déclaration de Vladimir Poutine qui s'était félicité de la victoire de François Fillon à la primaire. Le président syrien pense que le Français le soutiendra ». Bachar el Assad, dont on pronostiquait la chute il y a quelques mois, se permet d'intervenir dans la politique française... « L'ironie de la situation ne lui a pas échappé. Lui dont François Hollande pronostiquait l'élimination s'immisce dans la campagne électorale. On sent dans cette attitude du président syrien une revanche délibérée. Quant à la politique de la France dans la région, elle dépendra des prochains rapports de forces. Le rôle de Donald Trump sera important. Ensuite, au-delà de la dimension humaniste, la France devra avoir les moyens de transformer ses ambitions en action. Et cela passera aussi par la politique européenne. Nous n'en sommes pas encore là ». L'axe qui se met en place entre Moscou, Istanbul et Téhéran est-il l'échec de la diplomatie occidentale ? « Sur le court terme, cent ans après les accords Sykes-Picot (accords franco-britanniques signés en 1916), on voit se dessiner de nouveaux accords entre la Russie, l'Iran et la

Turquie. Cela donne l'impression que l'Occident est effacé de cette zone. Or c'est aussi un effet conjugué à la fin du mandat de Barack Obama ». Combien de temps Bachar el Assad peut-il compter sur le soutien de la Russie et de la Turquie ? « Difficile à savoir. Tant que la situation en Syrie n'est pas consolidée, Russes et Turcs ne le lâcheront pas. Le sort de Bachar El Assad leur est indifférent. Seule compte l'influence qu'ils pourront garder dans la région grâce à un interlocuteur assez fort pour éliminer Daech. « Toutefois, la Turquie a une position plus ambivalente. Affaibli en interne, Erdogan a purgé les structures de l'État. « À l'extérieur, sa crainte d'un irrédentisme kurde l'a amené à soutenir des mouvements islamistes avant de rejoindre la ligne de Poutine. D'où l'incompréhension des islamistes qui répondent par des attentats ou par l'assassinat de l'ambassadeur russe ». Votre nouvel essai « La Fracture », fustige le désintérêt de la France envers l'orientalisme... « Dans un pays qui vient de subir 240 morts à cause du djihadisme, ne rien connaître à cette idéologie est un lourd handicap qui empêche d'interpréter et de combattre ce phénomène. Juger inutile la connaissance de l'orientalisme si l'on veut garder ce nom, est une erreur. Le bilan des deux derniers quinquennats est catastrophique. Le

djihadisme a prospéré en France faute d'avoir été assez pris en compte. Avant de penser déradicalisation, il est plus urgent de comprendre la radicalisation. Car quand Daech organise des attentats en France, c'est pour déstabiliser la société, créer une fracture sur laquelle prospérer ». Qu'est-ce que l'islamo-gauchisme que vous dénoncez ? « Il s'agit d'une posture qui ne voit pas les dérives de certains musulmans. Il est essentiel que le prochain président de la République connaisse les enjeux de la fracture qui menace la société française. Toute mise en perspective critique, toute dénonciation des stratégies de pouvoir portées par le djihadisme, s'exposent à être qualifiées d'islamophobie. On l'a vu cet été avec l'affaire du burkini. La France victime devient la France bourreau ». Quels sont les enjeux prochains ? « J'ai beaucoup enquêté auprès des jeunes des quartiers. Qu'ils soient au chômage à 40 % explique bien des choses. Souvent, ils ont remplacé la figure du père par celle des pairs. Ajoutez l'influence du salafisme qui considère que seule compte la charia et non la loi de la République, plus une propagande djihadiste devenue réticulaire via les réseaux sociaux ou Youtube, et l'on comprend ce qui se met en place ». Propos recueillis par Frédérique Bréhaut ITINÉRAIRE 30 juin 1955 : naissance à Paris.

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16 janvier 2017 - Edition Nord

1987 : « Les Banlieues de l'Islam » (Seuil). Depuis 2001 : professeur à l'Institut de sciences politiques. 2016 : directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l'École normale supérieure. 2016 : « La Fracture » Gallimard/France Culture. ■

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