Sur les routes de la musique, André Manoukian / France Inter Harper Collins

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PAYS :France

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JOURNALISTE :Propos Recueillis P…

PERIODICITE :Quotidien

21 août 2021 - Edition Toutes Editions

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André Manoukian : « Le son c’est le pouvoir absolu ! » Dans un livre, André Manoukian raconte la musique par de nombreuses anecdotes méconnues. Et clame son amour pour l’improvisation, notamment pour apprendre sa pratique et la partager. Propos recueillis par Philippe Minard-ALP Le pianiste, touche-à-tout de talent, raconte dans un livre (1) une histoire fascinante et méconnue de la musique. André Manoukian bouscule les codes et tord le cou à la sacralisation du patrimoine qui a enfermé la musique. Pianiste, passeur, écrivain, organisateur de festival, chroniqueur, conteur…Quel est votre vrai métier aujourd’hui ? « Musicien ! C’est le cœur de tout. Le reste, c’est parler de ce qu’on aime. Tout cela parce qu’on ne peut pas cesser d’apprendre la musique. Je suis dans un état d’éternel étudiant ! Le musicien qui vous dit “ j’ai tout compris et j’ai arrêté de bosser ”, c’est qu’il est mort. Je dis souvent que je tiens cette envie de transmettre et de communiquer de ma grand-mère. Les Arméniens ont vécu cinq cents ans dans un milieu hostile et, pour eux, l’intelligence avec l’ennemi était une question de survie. C’est la définition même de l’intelligence essayer : de comprendre avec qui vous êtes et parler la langue de l’autre. Le jazz est une musique savante qui mérite une initiation et quand on en parle bien, les gens trouvent d’un coup que c’est merveilleux. Quand vous êtes musicien, à un certain niveau,

vous êtes obligé de transmettre, d’enseigner. » Votre livre fourmille d’anecdotes incroyables, comment faites-vous pour trouver toutes ces infos ? « On dit que je suis hypermnésique, mais en fait je ne retiens que ce qui m’intéresse. Certes, beaucoup de choses m’intéressent, mais cela tourne toujours autour de la musique. Le pouvoir de guérison du chant des baleines « Par exemple, Delalande, qui était le professeur de musique de Debussy, parle des fréquences. Il vous explique que le son, c’est compris entre 16 et 18. 000 hertz. Après, quand ça vibre à des trillions, ça produit de la chaleur, puis plus loin encore de la couleur… Le son, c’est le pouvoir absolu ! Quand une baleine est malade, les autres se mettent à huit autour, à la verticale, et chantent. Elles envoient des vibrations jusqu’à la guérison. Le son est la vibration la plus palpable, c’est peut-être la présence physique du surnaturel. Mine de rien, la musique vous mène sur ce chemin-là. Au-delà de la physique et de la mystique, j’aime bien dire que la musique mêle le sacré et le sucré. » On apprend aussi dans votre livre que le loup ou la crevette sont

musiciens… « Oui, le loup chef de meute donne le ton et les autres s’accordent avec lui. L’animal le plus sonore de la planète est la crevette-pistolet qui a inventé le cri qui tue, en claquant sa griffe dans l’eau. Deleuze explique très bien que l’animal ne marque pas son territoire uniquement avec son urine et ses excréments, mais par les sons. Si l’oiseau chante, c’est d’abord pour marquer son territoire. » Vous avez du respect pour les musiciens qui improvisent. L’improvisation, c’est le génie de celui qui ressentet pas de celui qui répète ?

La mémoire d’André Manoukian a la particularité de retenir… tout ce qui touche à la musique.

« Exactement ! L’improvisation est la traduction directe de l’état d’âme. L’improvisateur n’élabore pas un récit, il déroule une arabesque. Il est dans un flux inconscient. Un

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interprète est fidèle à une partition et, avec un grand niveau d’interprétation, il va entrer en communication avec le compositeur, mais en étant son serviteur. La musique de la liberté qu’est le jazz a été inventée par des esclaves. Un compositeur, c’est un improvisateur qui fixe les meilleurs plans de son impro. » Au nom de cela, vous dites que les premiers musiciens de jazz furent Bach, Mozart et Beethoven… « C’estune évidence totale. À l’époque, on enseignait la musique par l’improvisation. On vous apprenait une gamme et on vous demandait de vous exprimer dans cette gamme. Si vous faites cela avec un enfant, ça marche toute de suite ! Quand Mozart improvisait, son père écrivait ensuite la partition pour se souvenir. La gamme est un terrain de jeu sur lequel on peut mettre les notes dans l’ordre que l’on veut. On dit jouer de la musique, cela veut bien dire que c’est ludique et que l’on doit jouer avec les notes. » Racontez-nous l’auditionde Beethoven par Mozart. « Mozart buvait des coups et était avec des filles de joie. Arrive alors le sponsor qui les arrose tous et qui lui demande d’auditionner un jeune gamin dont on dit le plus grand bien. C’était Beethoven. Mozart accepte en maugréant. Beethoven se met à jouer, mais se rend vite compte que Mozart n’en a rien à faire. Il a alors

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le génie de dire à Mozart : “ Jouez-moi un thème, j’improviserai… »Il a explosé le thème proposé ! Mozart a immédiatement compris qu’il n’avait pas à faire à n’importe qui. On juge la qualité d’un musicien à la qualité de son improvisation. » Raison pour laquelle vous n’aimez pas trop les conservatoires de musique ? « Ce nom est louche, non ? Je me suis toujours demandé ce qu’on mettait en conserve ! À la fin du 19 e siècle, le malheur absolu a fait qu’on a tout académisé. On a sacralisé le patrimoine. Je ne suis pas contre l’idée de revisiter le patrimoine, mais on aurait pu continuer d’initier à l’improvisation. Au lieu de cela, on a mis les musiciens au service du patrimoine. C’est un ordre pyramidal, avec le compositeur tout en haut et le musicien tout en bas, qui se tait et exécute. Quand on cesse d’apprendre l’improvisation, on cesse d’apprendre la rhétorique. La rhétorique, c’est ce qui permet de prendre la parole. C’est par la parole que les rappeurs prennent de la puissance. Dans un orchestre symphonique, on ne peut plus improviser… D’où le chef, la baguette et les chapelles. » L’apprentissage du solfège fait peur et c’est souventun frein pour de nombreux enfants… « Je ne suis pas contre le solfège, car le solfège, c’est lire et écrire. Mais

vous ne dites pas à votre enfant : “ Tu n’as pas le droit de parler tant que tu n’as pas appris à lire et à écrire. ” On commence par l’oralité et il ne faut pas se figer par rapport au solfège. Le statique c’est l’écrit, le dynamique c’est l’oral. Il faut apprendre aux enfants à jouer avec leurs oreilles. Je donne un conseil aux parents qui veulent faire apprendre un instrument à leur enfant : s’y mettre avec lui, car c’est hyper important d’avoir le parent en exemple et cela rend l’exercice vivant et ludique. Ne jamais laisser un enfant seul avec son instrument avec des parents qui n’y comprennent rien. » Votre première émotion musicale c’était quiou quoi ? « Mon père qui jouait Les Inventions de Bach et la première œuvre qui m’a fait vibrer c’est La Pastorale de Beethoven. » (1) « Sur les routes de la musique » (Harper Collins), 45 chroniques sur France Inter, 190 pages, 18 E. ■

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