ORSENNA Erik La Fontaine une école buissonnière

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JOURNALISTE :Éric Naulleau

PERIODICITE :Hebdomadaire

31 août 2017 - N°2347

La rentrée littéraire d’Eric Naulleau PAR ÉRIC NAULLEAU

Pour«Le Point», le critique achoisi 6 livresparmi les 581 romansde l’automne.Dézingage demonstressacréset enthousiasmeciblé pour quelquesinconnus– ou presque. ertaines pendules arrêtées ne donnent même pas l’heure juste deux fois par jour. C’estle cas d’une certaine critique ou du moins decequi entient lieu quand elle serabougrit auxdimensionsd’un mot d’ordremaoïste: que 100slogans s’épanouissent! Loin des « 10 incontournables de la rentrée » et des « 40 romans de votre automne » dont on seprend parfois à douter qu’ils aient été lus avant d’être recommandés,

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un aperçu du pire et du meilleur des 581 nouveautés littéraires. Erik Orsenna, le livre hors saison. Comme sicette abondanceéditoriale ne suffisait pas,Erik Orsennalance une nouvelle mode :le livre hors saison.Repriseaugmentéede chroniques diffuséessur FranceInter, «La Fontaine, une école buissonnière » est à la rentrée littéraire …

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cequelecheveu estàlasoupe. Que notre académicien entende profiter de l’effervescence générale pour écouler sa marchandise, rien detrès surprenant dela part d’un écrivain devenu maître dans l’art de seplacer,ainsi qu’il l’assume sans détour ( «Ayant fort pratiqué la flatterie,aux tempsmitterrandiens…»),mais gareàl’encombrement s’il venait àfaire école. Et comme si cette profusion de livres qui cassentlespieds à force de tomber desmains ne suffisait pas,Erik Orsennalance un nouveau mode :le présent du rébarbatif. Quand Luchini glisse sur scèneet tient un auditoire sous le charme en récitant la plus obscuredesfables,le Prix Goncourt 1988chausse des sabots de sept livres plutôt que des bottes de sept lieues afin d’arpenter la vie et l’œuvre du principal fournisseur de récitations pour l’Education nationale. Imprécis d’histoire littéraire, délayage d’anecdotes relevé de calembours plus dignes del’« Almanach Vermot » quedu dictionnaire de l’Académie («Il n’y a pasplus courbequele droit »), de parler jeune grave»)et d’allusions égocentrées,tout ( «Chapelainsélectionne ici pèseet reste cloué au sol quand tout décolle et ignore la pesanteur chez l’écrivain auquel il entend rendre hommage. « On imagine lerire du fabulisteainsi lourdementaffublé», écrit certes le biographe mais, vérification faite, il ne s’agit pas d’une autocritique. Morand ou Fumaroli viennent parfois à la rescoussesous forme de citations, mais pourquoi ne pas s’inspirer de leur style, pourquoi ne pas laisser infuser un peu de leur brio pour rendre la lecture moins ennuyeuse ? S’il faut emprunter au bestiaire de La Fontaine, les quelques traits d’ironie censéségayercette morne prose évoquent davantage la marche de l’ours que la grâce du chat. De sorte qu’à la devinette poséepar l’auteur ( «Une politessedela légèreté,unemanièrededirebeaucoupsanssecroireforcéd’appuyer… Toutescesqualitésnevousrappellent-elles pasquelqu’un?») notre réponse est: pas Erik Orsenna, en tout cas.

Au rebours d’une époque convertie à l’usagedu SMS, Marie Darrieussecqperpétue la nostalgique tradition du télégramme. Sur 200 pages… génétique en libre-service pour desorganesderechange,tous thèmesdéjàvendangésjusqu’àl’ultime grain parlascience-fiction du siècle dernier. Après être restéesourde à tous ceux qui lui conseillent d’arrêter de «jacasser», moyennant quoi la secondepartie du livre seconfond avec un remplissage aux limites de la faute professionnelle, la narratrice fait savoir qu’elle estnée avecun seul poumon. On ne saurait trop conseiller la relecture de Proust pour un meilleur usage de l’asthme en littérature.

Chez Amélie Nothomb, l’intrigue sonne toujours deux fois. De la fable au conte, puisque tel est le genreprivilégié par Amélie Nothomb depuis son pari contre le reste de l’humanité qu’elle publierait un roman à chaque rentrée des lettres. Un quart de siècle que s’éternise la plaisanterie, laquelle évoque désormais une blague belge éculée qui servirait àemballer un Carambar mâchouillé pard’innombrables dents. «Frappe-toi le cœur »tend, détend etretend un unique ressort, les démêlés de Diane avec deux marâtres, sapropre mèrepuissonmaître deconférencesen cardiologie.Al’exemple du facteur, l’intrigue sonne ici toujours deux fois, étrange entêtement quandl’inspiration n’habite plus depuislongtemps àl’adresseindiquée. L’acharnement du sort inspire àl’héroïne Les handicaps de Marie Darrieussecq. Restonsdans cegenre de lamentations : «Jepensaisquecequi t’empêchaitde l’esprit des fables avec la nouvelle livraison de Marie Dar- memanifesterton amour,c’étaitquejesoisunefille.Or, à présent, rieussecq. Notre vie danslesforêts ou la rencontre entre une sousmesyeux, l’êtrequetu arrosesdel’amour leplusprofondque narratrice borgne et une romancière bègue–pareil équipage tu aiesjamais manifesté,c’estunefille. Mon explicationde l’unine saurait mener bien haut ni bien loin. Son handicap ins- verss’écroule. »Même laplus laborieuse descollégiennescoupe pire àla première quelques puissants commentaires : «C’est son encre d’une moindre quantité d’amidon pour la rédactrèspénibledenevoir qued’un œil.Çachangela visiondeschoses, tion trimestrielle. Despersonnagesdecarton-pâte,une langue et pasen bien.»Qui l’eût cru ?Certains farceurs pensent que réduite à l’empilement de clichés – le «gouffredu désespoir» la poésienaît du passageà la ligne, la secondeparaît quant à s’ouvre à intervalles réguliers sous les pas despersonnages elle convaincue que l’usage immodéré du point revient à comme hélas sous lesyeux du lecteur –, tout dans ce26e ros’inventer un style : «Marie estplus joliequemoi, je medisais. man invite Amélie Nothomb àprendre une annéesabbatique. Ça devaitmerassurer,enfait. La psychologuedu Centremedisait écrivain «macroniste». que non.» On le voit, au rebours d’une époque convertie à Eric Reinhardt, En cette l’usage du SMS,Marie Darrieussecq perpétue la nostalgique fin d’été meurtrier, il faut aussidéplorer lapremière victime tradition du télégramme. Sur 200 pages.Dans cette fiction du macronisme parmi lesécrivains. Dans « La chambre des futuriste, une partie del’humanité s’estréfugiée au fond des époux »,Eric Reinhardt s’efforced’appliquer un desconcepts bois pour échapper au cauchemar technologique et fuir le lesplus féconds du président Jupiter, soit jouer sur les deux règne advenu du transhumanisme. Mais pas facile de tromtableaux, élaborer une fiction qui serait en même temps la per lesradarsquand votre crâne abrite un boîtier de contrôle plus romantique des histoires d’amour et la plus sophistiet qu’il faut traîner après soi une «moitié », sorte de double quée desconstructions littéraires. Premier tableau :l’auteur

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prétend quesafemme lui aurait proposéun pacteainsi conçu : « Tu te bats avecton roman, jeme bats contrelecancer,on fait ça tous lesdeux, ensemble,côteà côte,l’un avec l’autre. Et en septembrejesuisguérieettoitu sorston livre.» Missions accomplies, l’épouse terrasse le crabe aux pinces de mort, les vieux mariés n’en éprouvent une passion que plus intense malgré les POINT» stigmates de lamaladie, et Cendrillon paraît àla rentrée 2007. «LE Second tableau : l’auteur raconte à quel point le bouleverse, peu après, la rencontre de Marie, elle aussi atteinte du canPOUR cer,comment il transpose cet épisode dansun nouveau livre où un compositeur dans la lignée de Boulez joue son rôle et DUSAULT une mélomane italienne celui de Marie, et comment, àla fin du roman, le musicien décide à son tour d’écrire un opéra sur le même sujet dont les protagonistes seraient un peintre et une troisième Marie. Poupéesrussesetvertiges del’amour, ILLUSTRATION:

livre malin et peut-être trop malin pour émouvoir ou impressionner, Reinhardt vise le cœur et vise la tête sans toucher ni l’un ni l’autre. A vouloir s’asseoiren même temps ici et là, on seretrouve parfois le cul entre deux chaises. Une perle nommée Thierry Dancourt. Parmi tant d’huîtres àl’étal deslibraires, il arrive quebrille soudain une perle restéeinaperçue desprofessionnels dela recension,sans doute trop occupés à regarder ceque la mode leur désigne avec insistance. Imaginez un roman d’espionnage aussi remarquable par son intrigue que par son atmosphère, par la précision de son écriture que par son économie de moyens : «Jeuxde dame ».Une phrase suffit à Thierry Dancourt pour situer l’époque (début des années 1960, événements d’Algérie, décomposition avancéede l’empire…), une autre …

Trop malin pour émouvoir ou impressionner, Eric Reinhardt vise le cœur et vise la tête sanstoucher ni l’un ni l’autre.

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… pour évoquer lequartier delaPorte-Dorée:«Ils avaient contournélagrandestatuedoréeetsonbassin,longeaientà présent cesenfiladesd’immeublesenbriquequi sesuccédaienttoutau long desboulevardsdesMaréchaux,formant,lui dit Solange,“une immensebouéerouge”etquiempêchaitcelle-cidesombrerdansl’océan grisâtredel’architecturehaussmannienne. »On y est.Eton y reste jusqu’à ceque Solange,Mata Hari en proie àdesvertiges métaphysiques, entraîne Pascal,préposé aux archives du tout nouveau musée desArts africains et océaniens,danslescoulisses de la guerre froide au moment où l’Est et l’Ouest rivalisent d’influence autant sur terre que dans les airs avec la e conquête de l’espace.Paris12 ,Berlin et Trieste, comme un nouveau triangle des Bermudes où disparaître le temps de lire d’une traite «Jeux de dame ». La dernière page tournée, relire lescinq premières pour constaterquetout était annoncé entre les lignes. Du grand art et un pur bonheur de lecture.

Berta Vias Mahou, révélation tauromachique. Autre trouvaille àl’ombre despiles de best-sellersannoncés, cettefois dansle domaine étranger :« Jesuisl’autre »,de Berta Vias Mahou, paru chez Séguier – qui n’a jamais mieux mérité de sadevise:éditeur decuriosités. Petit berger qui agrandi dansl’Espagne profonde, « l’autre »senomme JoséSaez.Son destin bascule en deux temps, d’abord lorsque «l’arbre aux yeux» au pied duquel il garde les moutons lui conseille de changer devie, ensuite quand il serévèle leparfait sosied’une légende tauromachique. Manuel Benitez, dit El Cordobes, sorte de Mick Jaggerdesarènespour lequel il aurait fallu inventer un nouveau mot, peut-être torerock : « Surtout là,sur la piste,il fallait queje m’entire à sa manière,en effectuantles mêmessautsetlesmêmescabriolesquelui, lesmêmesbouffonneries,car c’étaitcequ’exigeaitlepublic,qui nevoulait voir queLui. » Tantôt aux dépens,tantôt avec la complicité du public, José usurpe l’identité du plus fameux matador de l’Histoire, auprès duquel Neymar fait figure de célébrité locale – Lapierre et Collins lui consacrèrent une biographie traduite en 25 langues, Dalida lui dédia une chanson avant que le conseil municipal de saville natale ne le proclame pour finir «cinquièmecalifedeCordoue». Mêlée àun très pédagogique bréviaire detauromachie débute alors une vertigineuse méditation sur la notoriété, le succès et l’imposture, jeux de pistes et demiroirs développés sous lesencouragements du principal intéressé à l’écrivaine : « N’écrivezpas une biographie,ourdissezplutôt un romanen entrelaçantbienlesfils. Habituellement,lesromansapprochentplusla vérité,bienplus queles journaux, leschroniquesoumêmelesbiographies.» Acepremier livre paru chez nous de Berta Vias Mahou nous accordons lesdeux yeux (du lecteur) etla queue(devant leslibrairies) § « La Fontaine, une école buissonnière », d’Erik Orsenna (Stock/France Inter, 198 p., 17 €). « Notre vie dans les forêts », de Marie Darrieussecq (POL, 192 p., 16 €). « Frappe-toi le cœur », d’Amélie Nothomb (Albin Michel, 180 p.,16,90 €). « La chambre desépoux », d’Eric Reinhardt (Gallimard, 176 p., 16,50 €). « Jeux de dame »,de Thierry Dancourt (La Table ronde, 208 p., 17 €). « Jesuis l’autre », de Berta Vias Mahou (Séguier, 232 p., 21€).

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