PAYS :France
RUBRIQUE :Culture littérature
PAGE(S) :76,77,78,79
DIFFUSION :399291
SURFACE :386 %
JOURNALISTE :Sophie Pujas
PERIODICITE :Hebdomadaire
3 août 2017 - N°2343
CULTURE LITTÉRATURE
«LaFontaine,c’est del’acupuncture» Erik Orsenna consacreun essaià La Fontaine, de ses « Fables» à sescontes galants, moins connus. Rencontre. PAR SOPHIE PUJAS onnaît-on vraiment La Fontaine ? Erik Orsenna prend le pari de dépoussiérer la statue du plus aimé desfabulistes avec «La Fontaine, une école buissonnière », où il manie érudition et légèreté. Né dans le sillage d’une émission diffusée cet été sur FranceInter, sonessaiproposeune successiond’échappéesdans l’œuvre et la vie du poète. On y découvrira quelques épisodes savoureux, d’un cocuage accepté de bonne grâceà de spectaculaires confessions publiques en passantpar sesdifficultés pour devenir académicien. En amoureux de la langue, Orsenna tient à la faire résonner,citant abondamment le poète.Une plongée bienvenue pour une œuvre qui n’arien perdu de saverve. Orsennanous raconte son La Fontaine.
C
Le Point: Pourquoi revenir au Grand Siècle avec La Fontaine, vous qui aviez déjà consacré un ouvrage à Le Nôtre? Erik Orsenna: J’ai toujours eu une passion pour La
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Fontaine. On l’ouvre au hasard et c’est un bonheur absolu, chaquefois. Il a beau être infiniment connu, on ne sait rien sur lui. C’est un personnage très effacé, alors même que sa vie est passionnante ! On connaît peu,par exemple,son rôle de maître deseaux et forêts, pourtant en lien direct avec sa poésie, ou encore sapauvreté dans un monde sansdroits d’auteur – qui est peut-être d’ailleurs celui vers lequel on sedirige !J’admire l’immense acteur de la métamorphose de la langue. Avec lui, le français est à la fois extraordinairement précis ettrès libre. C’estdel’acupuncture :il cherche lespoints d’énergie de la langue et plante sesmots comme autant de petites aiguilles. Moi qui détestele flou, je trouve sa concision merveilleuse. Jevous mets au défi de ne passourire lorsqu’il parle par exemple d’une femme « douce d’humeur et gentille de corsage»… La Fontaine est un cas rare, dans l’histoire littéraire, de popularité immédiate et jamais démentie. Comment l’expliquer?
Jecrois qu’il parle à tous les âges.Un grand moraliste, c’estquelqu’un qui condenseen quelques …
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«Ladéfense delalecture, c’est mavieetmaconviction absolue. Ons’élève enlisant. Jeveux toutfaire pour quelesgens aient, grâce auxlivres, plusdevies que leurvie:plusintense etmultiple.»
Foisonnant. Romancier, PrixGoncourt en 1988 pour «L’exposition coloniale», élu àl’Académie française en1998, ErikOrsenna estaussi passionné par lameretlesvoyages.
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motsunevéritéhumaine universelle.LaFontaine estun extraordinaire peintre de la métamorphose,qui aabolilesfrontièresentrelesêtreshumains et lesanimaux.Aveclui, on estàlafoisroi, lion, moucheron…Jen’arrêtepasderelire«L’écrevisse etsafille » auxmèresd’adolescentes. Touty est:«MèreEcrevisse un jour àsafille disait:/Comment tu vas,bon Dieu, nepeux-tumarcherdroit ?/Etcommevousallezvousmême!dit lafille./Puis-jeautrementmarcherquene fait ma famille ?/Veut-onquej’aille droit quandon y vatortu ?» …
La Fontaine vous donne aussi l’occasion de peindre le poète en courtisan – un sujet que vous avez observé de près, vous qui avez été le sherpa de Mitterrand et êtes un grand soutien de l’actuel président…
Cettedimensionm’aévidemmentravi. Mais,comme entout, LaFontaineestdoublequandil estcourtisan. Au fond,il nepeut vivrequelibre.Lapreuve,c’estque Et Mitterrand? lepremier poèmequ’il écrit sur Fouquet,alorsquece «C’était un bestiaire dernierestsonprotecteur,estlaseulechosenulle qu’il àlui tout seul! ait jamaisfaite.Mais,dèsqueFouquetestendisgrâce Il était à lafois Vous défendez également ses contes galants. et queLaFontaineprendla plume pour ledéfendre, lechêne,leroseau Pourquoi? il retrouveson génie! J’aiété moi-mêmecourtisan; et,évidemment, Cesont destrésors,et ils sont mal connus. Ils sont j’ai eu la chancedefréquenterle pouvoir,en 1981et lerenard. Maisil y avait de d’unedélicatesse etd’uneprécisionincroyables.J’adore aujourd’hui, etpu voir combienlesgenssontattirés latortue chezlui… par exemple«Leslunettes»,où un jeuneadolescent parl’éclatdu soleil,commentilsdeviennentavecvous Il incarnait laruse sefait passerpourunesœurdansuncouvent.Jugez-en : quandils vousen pensentproches. etla patience,mais «Legalantpassapour sœurColette/Auparavantque Vous avez accepté d’être ambassadeur aussila majesté labarbelui crût./Cetentre-tempsnefut passansfruit : de la lecture… du lion. Quand lesire/ L’employabien:Agnèsenprofita.(…)Il lui fal- Oui, un postetotalement bénévole!Parcequeladévouslisez sacorrespondanceavec lut élargirsaceinture.»LaFontainereprésenteun es- fensede lalecture,c’estma vie etma conviction abAnnePingeot, prit de gaietéplus quede gaudriole– cettedernière solue.On s’élèveen lisant. Jeveux tout faire pour c’estvraiment s’exprimait plutôt au Moyen Age.Danslibertinage, quelesgensaient,grâceaux livres, plus deviesque lelion amoureux…» il y a liberté, mais il aun rapport trèsambigu àces leur vie:plus intenseetmultiple. Quand jevaisdans textes.Plusil avanceenâge,plus il estterrifié par sa lesécoles,c’estcequej’explique aux élèves… mort prochaineet l’idéed’êtredamné.C’estun liber- Vous êtes aussi académicien – comme tin terrifiéparl’enfer.Il jurequ’iln’écriraplusdecontes La Fontaine! licencieux,mais il ne peut pass’enempêcher! Mal- L’Académiem’amusebeaucoup.Rienn’achangédegrédesrepentancespubliquestrèsspectaculaires,il puis letempsdeLouis XIV:on subit lamême«fièvre recommencetoujours… verte», l’envie d’en être et de faire les manœuvres Sa liberté, elle, s’exprime aussi dans le mariage… pour y entrer.Plusil y adefauteuilslibres, «L’Académie Il y achezlui uneincapacitétotaleàpréférer.Il estun nécessaires plus letaux degentillesseàmon égardgrandit dans m’amuse maître de l’amitié (parcequ’ellen’obligepas àchoi- Paris.Si vousavezun minimum delucidité, vousne beaucoup. Rien sir) et un infirme en amour.Il semarie avecunefille prenezpastout çatrèsau sérieux.Jeand’Ormesson de14ans.Au début,il s’amusebien,mais,trèsvite,il a dit un jour : «La meilleure façon d’être libre avec n’achangé passebeaucoupde temps à Paris.Elle en a assezet leshonneurs,c’estdelesavoirle plus tôt possible.» depuis letemps prend un amant.Lui trouveçatrèsbien,ayantbeau- Jesuisrentré àl’Académieà 51ans,et c’était réglé. deLouisXIV: on coupd’aventuresdesoncôté.Il devienttrèsami avec Vous dites vouloir écrire une «Gastronomie des l’amant de safemme.Saufqu’à Château-Thierryon couleuvres»… subitlamême lui demandededéfendresonhonneur.Il leprovoque Çame fascine.Plusvous êteshaut, plus vousvoulez “fièvreverte”, en duel,qui dure quelquessecondessansque monter etplus vousêtesprêt àavalerdescouleuvres. l’envie d’enêtre donc personnene soit blessé.L’honneur est sauf,tout le Quand vous êtesen bas,vous vous en foutez, donc etdefaire monde estcontent.Il laissesafemme à sonamant. vous nesupportez pasuneseulehumiliation. C’est incroyable,lenombredeministresquej’aivuaccepter les manœuvres C’estunevision intéressantedu mariage…
nécessaires pour y entrer.»
«Cet échangeaveclemondeanimal,sansmorgueni mépris» «Château-Thierryestuneville ouvertesur levivant,leschamps,lesvignes,lesarbres,larivière. Dèssespremiersjours,LaFontaineavécudans leur intimité. Le petit Jeanconnaîtcommepersonnechacundespeuplesy ayant trouvédomicile :levolant commelerampant,le galopantvite commeletrottant menu.Il saitleurshabitudes,il participeàleurspeurs,il identifie leurs chants. Leur langueàtous,il l’a appriseen mêmetemps quelefrançais.Cesdeuxlanguesmaternellesse sont mêlées,celledesmotset celledesanimaux.
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(…)Laprofondevéritédesfables,leur justesse(au sensd’unenote«juste»en musique),viennentde cettefraternité.(…)C’estpeut-êtrecedialogueoublié quenouscherchonsaussi,dansles“Fables”, cetéchangeavecle mondeanimal, sansmorgue ni mépris,sansrecherchedemaîtrise,un vrai dialoguequi toujourspréféreral’écouteàla paressedela domination.Qui sommes-nous,êtres humains,sinon quelques-unsdesanimaux?» § Extrait de« LaFontaine, une école buissonnière », d’Erik Orsenna.
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destrucsdélirants,parcequ’ilsavaientlesyeuxsurle posted’après.J’aideuxlivres en projet,cettegastronomie descouleuvres,sur lesrepasqu’il faut avaler quandon veut du pouvoir ou deshonneurs,et une anthologiedelaflatterie.J’enaientendudebelles… Mais pourquoi fréquenter le pouvoir, si vous dites ne rien en attendre? On a du mal à vous croire…
Çane m’excitepasd’avoir du pouvoir sur lesgens. La domination m’ennuie. RaymondAron, quej’ai eucommeenseignantenphilosophieàlaSorbonne, m’a répondu,quand jelui ai demandépourquoi il n’avaitjamaisfait depolitique :«Parcequejen’aime quelesrapportsréciproques.» Lepouvoir,cenesont quedesrapportsdeforces,mais c’estun concentré de la vie, et c’esten celaqu’il m’intéresse.Rien n’a changédepuisPlutarqueou Saint-Simon… Et depuis l’élection d’Emmanuel Macron? De quelle fable conseilleriez-vous la lecture au président?
Peut-être«Lelion etlerat»,danslequelun lion pris dansun piègeestlibérépar lerat qu’il avait auparavant épargnéetqui rongelesmaillesdu filet. «Il faut, autantqu’on peut,obliger tout lemonde./On asouvent besoind’un plus petit quesoi.»C’estpeut-être un messageàrappeler àMacron: si vous ne faites pasassezattention aux députésqui vous donnent votre majorité, vous avezdes soucisà vous faire. Autre morale intéressantedecettefable:«Patience etlongueurdetempsfontplusqueforceniquerage.» Une fable pour éclairer la dernière présidentielle?
«Lechat,la beletteetle petit lapin »m’amusebeaucoup.Une belette s’installe dansle terrier d’un lapin et un chat est choisi comme arbitre. Dans la fable,c’estun vieux chat,dansnotrecas,il était très jeune. Que fait le chat? «Jetantdes deux côtésla griffe en mêmetemps,/Mit lesplaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre. » C’estvraiment cequi s’estpasséavecMacron:d’un côténousavionsHollande,de l’autre soit Fillon, soit Valls: il lesa tous croqués.Il y aurait aussi« Le lièvre et la tortue », saufqu’avecMacronc’estlelièvre qui gagne.Latortue ne s’étaitmêmepasmiseen mouvement quele lièvre était président ! Macron: mi-chat mi-lièvre?
cature.Une quej’aime énormément, c’est«Le lion amoureux».Unlion veut semarier avecunedemoiselleetpour celasefait rongerlesgriffes,qui effraient Carrément? sadulcinée…Mais quandil n’aplus degriffes, tout Mais personnen’aurait l’idée,en voyant un lion ar- lemondel’attaqueetletue.Laleçon deLaFontaine, river, del’appelerPépère[l’un dessurnomsdeFran- c’estlavigilance.Rienn’estacquis.Laforcepeutêtre çoisHollandeàl’Elysée,NDLR].Cequi nel’empêche remiseenquestion,maislafaiblessepeut êtreaussi pasd’êtrefragile.«Lechevals’approchantlui donne lepoint dedépartd’une reconquête§ un coupdepied/Leloup, un coupdedent;le bœuf, un coupdecorne»(«Lelion devenuvieux »).Cequi «La Fontaine,une école buissonnière», d’Erik Orsenna(Stock, estintéressantavecLaFontaine,c’estquelamaîtrise 196p.,17€, à paraître le 16août). D’après«La Fontaine, écolebuissonnière », tous lesjours sur FranceInter, à 7h 55 estsouvent inversée:le rat peut être fort et le lion, une et 13h 20,sauf leweek-end,jusqu’au 25août. Du 19au 26août, faible.Latortue peutaller plusvite quelelièvre.On avecErik Orsenna,promenades etconcerts autour de LaFontaine assistesouvent àla revanchedecelui qu’on croyait dansle cadredu festival Dans lesjardins deWilliam Christie le plus faible.La Fontaine n’estjamaisdansla cari- (à Thiré, en Vendée). ADOC-PHOTOS Mais aussiun lion. Le lion, c’estle roi desanimaux, l’autorité.
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Conseilà Jupiter. Lamoraledelafable «Lelionet lerat»,ona souventbesoind’un pluspetitquesoi,est peut-êtreunmessage à rappeler à Emmanuel Macron:«Sivousne faitespasassezattention auxdéputésqui vousdonnentvotre majorité,vousavezdes soucisàvousfaire.»
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