PAYS :France
JOURNALISTE :Joël Prieur
PAGE(S) :14 SURFACE :89 % PERIODICITE :Hebdomadaire
4 janvier 2018 - N°2853
Erik
Orsenna
de l'Académie
La
française
Fon tai ne
une école buissonnière
le songe de La Fontaine Hippolyte Taine avaitraison: il y aunHomère français.Ily auneépopée française, dontleshérossontdesanimaux parlants. Il ya,ditMarcFumaroli, unFrançais au e XVIIsièclequiestplusgrandqueleGrand Roi.Sonnom? JeandeLaFontaine.
l a
f o n t a i n e
FABLES
'avais intention de vous parler des belles évocationsde La
Alors que le jeune Louis XIV envisageait la mort pour cegrand corrompu,
damedela Sablière, le prétendu « papillon du Parnasse» s'engage dans une dis-
Fontaine qu'a proposéesErik Orsenna sur France Inter et
amateur éclairéde tous lesarts, La Fontaine écrivit, en vers, deux plaidoyers
cussiondifficile des thèsesde Descartes et il nous semble aujourd'hui, sur ce
qui sont reprisesen un joli pe-
pour le coupable. Il savait, ce faisant,
point, largement supérieur au philo-
tit volume de 42 courts chapitres. Ex-
qu'il s'opposait au Soleil (folie !) et qu'il renonçait à toute pension royale (à tou-
sophe, qu'il n'hésite pas à apostropher en vers. Evoquant l'art des castors,tous
J
cellente initiation ! Merveilleuse invitation ! Mais la publication des Fables te subvention du ministère de la Culet Contesen collection Bouquins, sous
ture, dirait-on aujourd'hui). Mais son
la baguette magistrale d'André Ver-
goût de laliberté individuelle lui fit détesterfermement et d'emblée l'arbitrai-
saille, constitue, pour 2018, un petit
dévoués à une tâche commune, il souligne : « Que cescastorsne soient qu'un corps vide d'esprit / jamais on ne pourra m'obliger à le croire. » Sa défense de
événementautour de La Fontaine : c'est la reprise augmentée d'un recueil paru
re louis-quatorzien et les courtisaneries
en 1995, où chaque fable est publiée
nifestations.
paisseur d'un papier à cigarette. Loin
avec les sourcesdont le fabuliste s'est servi pour écrire son La préface savantede Marc Fumaroli, bio-
La Fontaine est-il un Voltaire avant la lettre ?Fumaroli sepose la question.
d'être un acte dénotant je ne saisquelle crainte ultime du châtiment divin, la
D répond admirablement, en regardant
confession de La Fontaine est en con-
avecdes yeux neufs, comme nous y in-
graphe émérite du fabuliste, mérite à elle seule qu'on s'y arrête. Elle permet,
un portrait
chef-d'œuvre.
en quelques pages, de resituer le poète en son temps et de mieux comprendre son art. On s'est exercé à banaliser La Fontaine en en faisant un glorieux paresseux, lui qui estsurtout un ciseleur de mots, un artisan du verbe, scrupuleux et incroyablement chanceux ; le livre d'Erik Orsenna n'estpas exempt de cet-
littéraires qui en entouraient les ma-
parmi tant d'autres. Les grands actes du poète démentent cechromo rassurant qu'il laissait courir pour avoir la
théologiens, tient plus, en son temps,
formité avec la quête de toute sa vie.
vite Erik Orsenna dans son La Fontai-
On lui reproche l'érotisme des contes ? Encore une simplification. Il n'y
plissésdevieillard et du sourirequis'y es-
a dans ces narrations galantes, à bien
ne, uneécolebuissonnière,le retrouver dans la richesse de son texte, grâce à l'édition ressourcéed'André Versaille,
quisse,maisun Voltairedont lesyeux lim- y réfléchir, qu'un esprit gaulois ou rapidesetprofondscommeceuxd'un enfant belaisien, absolument traditionnel en e révèlentune tout autre humanité, impré- France depuis le XVI siècle. « Loin de
chercher le secret de son « naturel français», cette phrase si précise qui ser-
gnéed'étonnement,quecelledu roide Ferney.»
jets auxquels elle parvient toujours à faire rendre gorge, dans une sorte d'é-
La Fontaine prit parti vigoureuse-
alors). Il était prédisposé à ce militantisme religieux par les deux ans qu'il passa, jeune homme, au séminaire des oratoriens, où, voulant sefaire prêtre, il découvrit, bien sûr, la pensée et
chercherà exciterlespassions,commen-
reusegravité queleur prêtent les cagots. tant l'éthos de son lièvre - tellement inC'estunehoméopathie moraleplussûreque attendu mais si définitif : « Un lièvreen lavéhémencedesprédicateurs.» Autre légende : l'indifférence de La Fontaine. Dans la querelle des Anciens et des Modernes, quoi qu'il puisse lui en coûter, il se range du côté des Anciens, c'est-à-dire des anti-cartésiens.
D'abord, il faut le dire, c'est avec une détermination admirable que La
de saint Augustin. Sa fameuse« conversion» finale ne secomprend pas si l'on supprime cette perspective,
que des machines ?L'auteur des fables ne peut pas supporter ce simplisme
si l'on oublie qu'entre les oratoriens et les jansénistes,il n'y a souvent que l'é-
pente, comme distraite autour de su-
te Fumaroli, cescontesles conjurentau contraire,en associantles chosesdu sexe vidence solaire.Il faut chercher autour au rire, et en lespurifiant decette dange- de La Fontaine, quitte à épouser un ins-
l'œuvre
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Il faut relire La Fontaine, le relire
inédit signé du célèbre
paix.
Fontaine prit leparti de son bienfaiteur disgracié, le surintendant Foucquet.
de la doctrine des Anciens que de la méthode des Modernes.
Largillière : « C'est déjà Voltairepar la puissanced'ironie qui émanede ses traits
ment en faveur des jansénistes.C'est lui te simplification psychologique, qui qui signa leur anthologie poétique, déproduira la caricature du « bonhomme diée au jeune prince de Conti (huit ans La Fontaine », comme on l'appelle de son vivant, une image facile, un préjugé
l'âme des bêtes, traditionnelle chez les
Pour Descartes, les animaux ne sont
métaphysique. Dansson Discoursà Ma-
songîte songeait,car quefaire en un gîte à moinsquel'on nesonge? »
•
Joël Prieur La Fontaine, Fables et Contes, édition établiepar AndréVersaille(avecde nombreuxinédits), préfacede Marc Fumaroli,éd. RobertLaffont,coll. Bouquins,1 600 p., 32 euros. Erik Orsenna,La Fontaine, une école buissonnière, éd. Stock,212 p., 17 euros.
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