Une histoire de la naissance, René Frydman / Grasset - France Culture

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JOURNALISTE :Nathalie Brafman

PERIODICITE :Quotidien

4 juillet 2021 - N°23790

PMA René Frydman veut une « task force sur la fertilité »

france

RenéFrydman : «Il faudrait une task force sur la fertilité » Le spécialiste de la médecine de la reproduction analyse le contenu de la nouvelle loi de bioéthique, avec sesavancées et sesmanques pour les femmes de la liberté à

ENTRETIENdisposer de leur corps. Il faut avoir ans son dernier ouvrage, Une histoire de la naissance (Grasset & Fasquelle et France Culture, 288 pages, 20 euros), René Frydman raconte les évolutions de la médecine de la reproduction, dont il est un spécialiste reconnu, avec 70 000 dossiers d’accouchements passés entre ses mains en quarante ans de carrière.

D

Le désir d’enfant a été au cœur des débats sur la loi de bioéthique, qui vient d’être votée définitivement. Quel doit être, selon vous, le rôle de la médecine pour permettre et encadrer la réalisation de ce désir ? J’ai connu l’époque où les femmes voulaient avoir la possibilité de maîtriser l’arrivée ou non d’un enfant. J’ai d’ailleurs participé au combat en faveur de la contraception et de l’accès à l’IVG, symboles

en tête que la médecine de la reproduction ne s’est développée que très récemment, il y a une cinquantaine d’années. Jusqu’alors, nous ne savions même pas comment les femmes ovulaient ! Sur le désir d’enfant, il s’accompagne aujourd’hui de deux notions nouvelles : d’une part, nous répondons aujourd’hui à des choses qui étaient impossibles jusqu’à présent, grâce à des techniques telles que le don d’ovocytes et, très récemment, la greffe d’utérus. D’autre part, sur le plan sociétal, nous constatons que ce désir d’enfant est incomparablement plus tardif. J’yvois plusieurs raisons : la contraception, le mode de vie, les choix professionnels et amoureux. Aujourd’hui, même dans les fécondations in vitro (FIV), il y a beaucoup de prisesen charge autour de 37ans. Un âge qui a nettement reculé par rapport aux premiers temps.

De ce point de vue, sur la prévention de l’infertilité, la révision des lois de bioéthique est-elle un rendez-vous manqué ? Le texte évoque la nécessité d’une campagne d’information sur l’infertilité, il faudra voir ce qui est mis en œuvre. Celafait des années que je réclame la mise en place d’une task force, afin de lancer un véritable plan, comme le plan cancer par exemple, qui réunirait l’ensemble des acteurs concernés : lesmédecins et biologistes de terrain, les associations de patientes… Mais à ce jour, ce n’est pas prévu. Et je le déplore. Car aujourd’hui, les jeunes femmes ne sont pas suffisamment informées sur ce qui touche à la fertilité. Il y a clairement un manque de prévention et d’information. La prévention, c’est tout ce qu’il faut éviter en termes d’alimentation, de comportements… et l’information, ce seTous droits de reproduction réservés


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rait d’avertir les jeunes femmes, autour de 33-35ans, que leur horloge biologique va être affectée dans les années à venir, et qu’il faut qu’elles en soient conscientes. Après, c’est à elles de décider, soit, par exemple, d’examiner leur situation ovarienne, soit de procéder à une autoconservation de leurs ovocytes. Selon vous, l’autoconservation des ovocytes, pour permettre aux femmes de mettre de côté leurs gamètes en vue d’une grossesse ultérieure, que permet désormais la loi, répondelle à une demande de société ? Jepense qu’il ne faut pas foncer bille en tête sur l’autoconservation. C’estune possibilité, qui ne marche pas à100 %,et qui est toujours complexe parce que ce sont des médicaments à prendre et une intervention chirurgicale. Mais ce qui est important, c’estde savoir que ça existe. Après il faut décider, à l’aune du fonctionnement ovarien de chaque femme, s’il y a semi-urgence ou si on peut attendre encore un peu et voir comment évolue la vie. Cela nécessitera de créer des consultations pour expliquer et surtout accompagner les femmes qui feront cette demande. En fait, pour l’ouverture de l’autoconservation comme pour la PMA, le problème qui va se poser est celui de la mise en œuvre de la loi. Concernant l’autoconservation, le premier facteur limitant, c’est que très peu de centres disposent de l’autorisation nécessaire, jusqu’ici limitée à des raisons médicales, pour en faire. Demain, avec l’élargissement pour motif sociétal, il faudra libéraliser davantage. Sinon les femmes vont continuer de partir à l’étranger. Il y a donc deux éléments à prendre en compte : expliquer que l’autoconservation n’est pas la panacée, et donc améliorer l’information, et faire en sorte que ça se passe de façon fluide en autorisant davantage de

centres à la pratiquer. Quelles sont vos réserves sur la mise en œuvre de la loi concernant la PMA ? D’une façon générale, nous allons rentrer dans le dur de l’organisation, avec une pénurie de dons de gamètes qui se profile, compte tenu de l’arrivée dans le processus des femmes seules et des femmes en couple. A l’heure actuelle, il faut compter entre un an et dix-huit mois d’attente dans les Cecos [Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains] . Ces délais risquent de s’allonger encore, sauf si l’on parvient à mener des campagnes d’information efficaces pour avoir des donneurs et des donneuses. C’estun enjeu important, d’autant plus que l’évolution de l’anonymat des donneurs va vraisemblablement bouleverser les choses. Etes-vous favorable à la levée de l’anonymat des donneurs ? Pour prendre une image, je dirais que c’est une pièce de théâtre qui se joue à vingt ans d’intervalle. Parmi les acteurs, on a le couple, aujourd’hui l’homme et la femme, et demain les couples de femmes, qui ont recours à un donneur ou une donneuse. Ce sont les seuls responsables de le dire ou pas à leur enfant, personne d’autre ne doit intervenir. Le deuxième participant, c’est le donneur, qui laisse donc son identité, ce qui est la nouveauté. Enfin, l’enfant qui, dix-huit, vingt ou vingt-cinq ans plus tard, une fois qu’il est informé, pourrait souhaiter rencontrer le donneur ou la donneuse. Jetrouve que le donneur devrait donner son accord, non pas pour que son identité soit transmise, mais pour accepter d’être recontacté si la personne née de son don en fait la demande, et libre à lui alors de répondre ou pas à cette demande. Jesuis favorable à cequ’un maxi-

mum de liberté soit laissée à l’ensemble des acteurs de la pièce. Que pensez-vous du rejet de la PMA post-mortem ? Je trouve cela dommage. J’ai déjà rencontré ces situations et honnêtement elles touchent, il faut bien le reconnaître, très peu de femmes. On fait donc une histoire pour cinq caspar an. Et, pour ces femmes qui se retrouvent confrontées à cela, c’est une vraie blessure. Personnellement, je trouve que cela devrait pouvoir se discuter, s’accompagner au cas par cas.Mais si une femme veuve, donc seule, a la possibilité de recourir à un don de sperme d’un inconnu, ce que prévoit désormais la loi, c’est dur de lui dire qu’elle doit renoncer à celui de son mari, ou à l’embryon déjà créé avec ses gamètes. C’est très compliqué, rembarrer la possibilité d’emblée me choque, l’accepter de manière absolue aussi. Mais n’est-ce pas difficile pour des enfants d’être nés d’un mort ? C’est vrai, mais c’est aussi être né d’une relation amoureuse qui a survécu et c’est une façon de prolonger cet engagement avec cette personne. Les débats sur la PMA ont-ils occulté d’autres sujets majeurs ? Il y a des sujets qui ne sont pas véritablement dans la loi, comme le fait que les taux de succès de la FIV ne sont pas très bons. Certes, il y a des explications à cela : comme c’est remboursé par la Sécurité sociale, on a de nombreuses tentatives, et l’âge tardif des femmes qui y recourent est aussi une raison. Mais il n’empêche que si on regarde les résultats sur le site de l’Agence de biomédecine, on a toujours dix centres qui sont au top et dix qui sont en queue de peloton. Est-ce une question de formation, de condi-

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tions de travail, d’enseignement ? Jetrouve que ce point-là n’est pas pris en compte. Celapourrait être l’un des axes de travail d’une fameuse task force sur l’infertilité, qui examinerait les problèmes qui ne sont pas forcément d’ordre législatif, mais pourraient être améliorés. Les députés ont aussi abandonné le diagnostic préimplantatoire des embryons pour rechercher des anomalies relatives au nombre de chromosomes (aneuploïdie), arguant des risques d’eugénisme, le regrettez-vous ? Pour rappel, il y a, en France, le DPI et le DPI-A. J’aimerais juste dire un mot sur le DPI, qui a été voté lors de la première loi de bioéthique, en 1994. Il a fallu attendre cinq ans pour avoir les décrets d’application, en raison d’une forte opposition politique. Et finalement, cen’est qu’en 2000 qu’est né le premier enfant issu d’un DPI. Le problème du DPI, en France, c’est que si vous voulez prendre rendez-vous àParis, vous devrez attendre un an et demi, et que seuls cinq centres au plan national le pratiquent. Cequi est totalement contre-productif, le succès d’une FIV étant lié à l’âge. De plus, avec un DPI, il y a seulement 20 % de succès, du fait du risque qu’il n’y ait pas d’embryon viable. Cesujet n’a pas du tout été abordé pendant l’examen de la loi. Venons-en au DPI-A. Il s’adresse àdes gens qui n’ont pas de traits génétiques particuliers qui expliqueraient une mauvaise issue, c’est-à-dire pas de maladie génétique en cours. Simplement, on sait que 60 % des embryons fabriqués ne parviendront pas à s’implanter, un taux qui monte à 80 % si la femme a 40 ou 41 ans. L’embryon ne s’implante pas parce qu’il y a une anomalie de nombre des chromosomes ou une anomalie de réarrangement au niveau des chromosomes qui

fait qu’il n’a pas le potentiel pour se développer. Cela m’est arrivé plusieurs fois d’avoir des couples jeunes, qui fabriquent en plus beaucoup d’embryons, et la femme n’est jamais enceinte. Au bout de plusieurs échecs, je les envoie à l’étranger et là, on s’aperçoit que les embryons n’ont pas les compétences pour se développer, donc tout ce qui a été fait l’a été pour rien. Pour moi, c’est une violence qui est faite aux femmes et aux couples. Quand il y a un taux de fausses couches de ce type, cela questionne la médecine que l’on pratique, puisqu’on aurait pu éviter cette situation. Pourquoi a-t-il été impossible d’avoir un débat apaisé sur cette question ? Tout ceci est, à mon sens, une question de choix politique. Les artisans du texte sesont dit que ça allait déjà être compliqué de faire passer la PMA, alors ils ont craint de voir apparaître une opposition en robe pour le DPI-A! Pour les adversaires du DPI-A, l’argument, c’est l’eugénisme. Ils disent “vous allez permettre aux parents de choisir le sexe et d’éliminer les embryons qui sont porteurs de trisomie 21”.Pour moi, on rejoint là un point-clé qui est celui de l’information : en ce qui concerne le sexe, un pays comme le Canada interdit de faire un diagnostic dans ce genre de situation. Et il n’y a pas, à ma connaissance, de dérapage. Pour la trisomie 21, qui est un sujet plus délicat, on devrait s’appuyer sur ce qu’on sait du diagnostic anténatal, qui permet aujourd’hui de détecter les maladies génétiques graves du fœtus pendant la grossesse, et de demander dès lors une interruption médicale de grossesse (IMG) à un comité d’experts. Le bilan de l’activité est assez intéressant : il y a à peu près 5000 demandes d’avis chaque année. Sur ce total, 500 sont refusées par les comités

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d’experts, parce que la raison invoquée ne paraît pas suffisamment grave pour aboutir à une IMG. Mais ce qui est étonnant, c’est qu’il y a environ 500 demandes qui sont acceptées par les médecins mais qui, finalement, ne vont pas être réalisées par le couple, qui préfère continuer la grossesse malgré tout. C’estpour moi une preuve forte de la liberté de choix et du respect que l’on a vis-à-vis de la volonté des uns et des autres. Quand nous avons mis en place le diagnostic anténatal, il y a eu des oppositions à n’en plus finir. Maintenant que nous avons un fonctionnement français très satisfaisant dans ce domaine, nous ne le mettons pas assez en valeur. Et pourtant nous pourrions mettre le même en place pour les embryons. Mais dès que l’on touche à l’embryon, on pense soit à la religion, soit à l’eugénisme. C’est une vigilance qui s’impose pour l’eugénisme. Mais ce n’est pas ce dont on parle ici, il s’agit d’une des formes de libre choix qui est une des marques de notre société. p

« Il y a des sujets qui ne sont pas véritablement dans la loi, comme le fait que les taux de succès de la FIV ne sont pas très bons » « Les délais pour la PMA risquent de s’allonger encore, sauf si l’on parvient à mener des campagnes d’information efficaces »

propos recueillis par nathalie brafman et solène cordier

« Avec l’élargissement de l’autoconservation des ovocytes, il faudra libéraliser davantage. Sinon les femmes vont continuer à aller à l’étranger »

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René Frydman, à Paris, le 1er juillet.

LAURA STEVENS POUR«LE MONDE »

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