PAYS :France
RUBRIQUE :Features
PAGE(S) :1;2
DIFFUSION :275310
SURFACE :27 %
JOURNALISTE :Jean-Louis Jeannelle
PERIODICITE :Quotidien
25 juin 2021 - N°23782 - Livres
Histoirelittéraire
Arthur Rimbaud, du mythe aux textes L’auteur des « Illuminations » continue de fasciner, pour le meilleur comme pour le pire. La preuve en trois livres jean-louis
jeannelle
our bien des écrivains, l’idée même de littérature s’estconfondue avec le destin d’Arthur Rimbaud (1854-1891), au point que l’histoire de la modernité se confond avec les aléas du mythe attaché à son nom. D’Aragon à Pierre Michon (auteur de Rimbaud le fils, Gallimard, 1991), en passant par Paul Claudel ou Aimé Césaire, il y eut près d’un siècle de «rimbaldisme ». Les trois directeurs du Dictionnaire Rimbaud, Adrien Cavallaro, Yann Frémy et Alain Vaillant, en font une véritable clé,et montrent que la lecture des textes s’y mêle étroitement au contexte biographique ainsi qu’aux appropriations de l’œuvre par ses héritiers littérai-
P
res,pour qui le silence de Rimbaud après 1875 fut une énigme et un défi. De ce mythe, les écrivains retenaient en priorité la poignée d’années où quelques poèmes (dont un unique recueil, Une saison en enfer,diffusé à sept exemplaires en 1873)avaient suffi à refonder la littérature. Pour la suite de la vie de Rimbaud, André Breton parlait dans l’Anthologie de l’humour noir (Gallimard, 1940)de l’«assez lamentable polichinelle » parti faire fortune à Harar (Ethiopie) ou à Aden (Yémen)… Deux nouveaux essais biographiques prolongent cette tradition – pour la forme du moins, car Rimbaud s’y trouve ressaisi de l’extérieur, comme s’il s’agissait de le chercher partout ailleurs que dans sespoèmes. Biogra-
phe compulsif, Alain Vircondelet, dans Rimbaud, dernier voyage, retrace les derniers mois de l’écrivain, alors qu’il quitte Aden en mai 1891pour soigner une tumeur au genou, échoue à l’hospice de la Conception à Marseille, où il est amputé de la jambe droite et agonise durant quelques mois, veillé par sa sœur Isabelle jusqu’à samort, le 10 novembre. Dans celaborieux exercice d’identification au poète «rendu au sol» ne subsiste plus qu’un homme exhalant platement sasouffrance. De JeanRouaud, dont l’un des récits de soi (Une façon de chanter,Gallimard, 2012)constituait un hommage, on pouvait attendre qu’il prît la suite d’Aragon ou de Segalen.Mais c’est à l’entourage du poète qu’il s’intéresse dans La Constellation Rimbaud, énumérant chacun de ceux dont l’existence fut traversée par l’«homme aux semellesde vent ».Parmi cesfigurants, plusieurs se révèlent des personnalités attachantes, mais leurs perplexités accumulées face à ce génie rugueux font obstacle. Al’instar de Vircondelet, Rouaud considère en effet qu’«une vie poétique ne sescinde pas», comme si les derniers temps ou les partenaires du quotidien valaient autant si ce n’est mieux que des poèmes jugés hermétiques. Pour leur part, les contributeurs du Dictionnaire Rimbaud ne conservent de la biographie que les faits, dissociés des fantasmes suscités. Restel’essentiel, àsavoir les textes, tels que les garantissent les manuscrits examinés de très
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JOURNALISTE :Jean-Louis Jeannelle
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25 juin 2021 - N°23782 - Livres
près, et chacun des poèmes, commentés avec rigueur et élégance. Pari audacieux : impossible en effet d’évoquer Voyelles ou Mauvais sang sans risquer une interprétation ; un bilan de toutes les lectures concurrentes constitue l’unique garantie pour les auteurs de ce dictionnaire, qui offre un chemin sûr parmi les gloses accumulées. Alors qu’il était directeur de La Nouvelle Revue française, Jacques Rivière n’avait pas manqué de souligner tout ce que Dada ou les surréalistes devaient à Rimbaud, le premier à avoir dédaigné la «vieillerie poétique », et cette ascendance symbolique autorisait en retour les poètes à s’engagerdans lesquerelles savantes. André Breton discuta ainsi dans Flagrant délit (Thésée,1949)lagrande thèse d’Henry de Bouillane de Lacosteconsacrée au «problème des Illuminations ». Que reste-t-il du rimbaldisme quand les écrivains s’en tiennent aux oripeaux biographiques ou aux formules rabâchées au lieu de revenir aux textes ? Yves Bonnefoy parlait très justement de Notre besoin de Rimbaud (Seuil, 2009) : pour être pleinement satisfait, un tel besoin implique de se nourrir de poésie et de ne pas en laisser l’entretien àla seule charge des érudits. p
A l’instar de Vircondelet, Rouaud considère qu’« une vie poétique ne se scinde pas
dictionnaire rimbaud, sous la direction d’Adrien Cavallaro, Yann Frémy et Alain Vaillant, Classique Garnier, 888 p., 49 €. rimbaud, dernier d’Alain Vircondelet,
voyage,
Ecriture, 196p., 19€, numérique 14€. la constellation de Jean Rouaud,
rimbaud,
Grasset, 178p., 18 €, numérique 13€. Signalons aussi la parution d’Un été avec Rimbaud, de Sylvain Tesson,Equateurs/France Inter, « Parallèles », 218p., 14,50€, numérique 10€.
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