PAYS :France
DIFFUSION :594049
PAGE(S) :34;36;38
JOURNALISTE :Parjuliette Cerj
SURFACE :268 % PERIODICITE :Hebdomadaire
15 décembre 2021 - N°3753
BD, albumsjeunesse,
essaispointus... les livresféministes dé e lent en librairie. Textesdereference
ou signésparaejeunes antricessontmisen
avant, memepardes éditionsgrandpublic. Etça cartonne!Un succèsdestineàdurer?
LE FEMINISME EN HAUT DES PILES ParJuliette Cerj PhotosLéaCrespipourTelératna
«
Approchez-vouset vous verrez: fouf le monde peutêtreféministe.» Cette invite de !’écrivaine afoféministe américaine bell hooks, épinglée sur la plaquette de la toute jeunecollection de poche Points Féminismes,première dugenre, lancéepar le Seuilavec!'ouvrage collectif Sororité, a fait mouche: 1'édition française, très féminisée, s'est mise à !’heure *MeToo. Pasun éditeur généraliste qui ne cherche à se positionner surun secteur longtemps déserté, désormais concurrentiel, pop et lucratif, à l’instar du teeshirt Dior « We Should All BeFeminists » que les fashionistas s'arrachent encore. Sur les tables des librairies prises d’assaut, le féminisme secuisineatoutes lessauces,aux couleurs éclatantes.Violetfonce coté Points Seuil.Pelliculageirisé COté Folio Gallimard, qui à l'approche de Noël a relooké quatre «iconesféministes»dela collection, Annie Ernaux (La Place), Marie NDiaye (TroisFemmespuissantes), MaryseCondé (Moi, Tituba,sorcière)etSimone de Beauvoir(Mémoiresd'unej'eunc fille rangée).En janvier, cesstars seront rejointes par six oubliées de l’Histoire, exhumées par la nouvelle collection de poche Librio Flammarion, CEuvres du matrimoine. Qui aurait cru en cette déferlante? «Lemotféminismea longtemps été la bêtenoire des représentants, qui savaient qu’ils se confronteraient ensuite à des libraires très réfrac-???
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>» taires», sesouvient la pionnièreChristine Villeneuve, codirectrice desEditions desfemmes, crééesen1972 par Antoinette Fouque (1936-2014), et dotées d’une librairie et d’une galerie, rueJacob,à Paris.«Leféminismeestdevenu unargument commercial», abonde Christine Lemoine, cofondatrice de Violette and Co. Dans cette librairie féministe et LGBT de !’Est parisien, ouverte en2004, « onne saitplusoù rangerles livres! Sur les tablesréservéesaux nouveautés,on doit memeprésentercertainsouvragessur la tranche pourgagner de la place.De deuxrayonnages,noussommespasseesa huit pourlesBD. Ona aussiajoutédessectionssur l'afrofeminisme etlesmasculinités», indique la libraire. Bientôt à la retraite, elle évoque le temps où, avant la création emblématique desEditions iXe, en2010, par Oristelle Bonis, ou de la collection Sorcières, en 2015, par Isabelle Cambourakis, seuls une poignée d'éditeurs engagés publiaient sur ce thème, auqueln'étaientconsacréesquederarescollections. «Nous venons d’accueillir le premier Salon du livreféministe, conçupar le Gang du clito, raconte de son côté Christine Villeneuve, desEditions des femmes. Un événementhismes ans,j'ai étéfappée toriquelMoiquiaimilitéauMLFdès par la curiosité, Tenvie de cesjeunes lectrices, encore étudiantes ou démarrantleurvieprofessionnelle.Unegénération s'estbattue pour obtenir plus de droits, deparité, d’égalité. Celle-ci veut transformer enprofondeur les rapports hommes» Sur cette épineusequestion, l’essaide Mona Cholfemmes. let sorti en septembre. Réinventerl’amour. Commentlepatriarcat sabote les relations hétérosexuelles?.???)?'/.ones) s’est déjà écoulé à quatre-vingt mille exemplaires. Diversification de l'offre, multiplication des acteurs, bestsellerisation destitres :la production consacréeaux femmes a explosé depuis le séisme *MeToo. Une augmentation de 15% en non-fiction, 44% enjeunesse et 72% en santé, bien-être, ésotérisme, a étéenregistrée entre 2017 et 20201, malgré la pandémie. Signe tangible, les éditions québécoises «libres etféministesdepuis 1976»,
«Sur Tes tabTesdesnouveautés, on doTt mêmeprésentercertains ouvragessurla tranchepour gagnerdelaplace.» ChrlslineLemoine, libraire
ont ouvert une antenneen France en 2019. La crise sanipasnon plus empêche Aude Chevrillon de rebaptiser l’entreprise familiale fondée par son oncle, François Bourta, Les Peregrines - titre d'un roman desagrand-mère, JeanneBourin -, pour donner un souffle féministe à sa ligne. Jusqu'à en finir avec les hommes?Juliette Ponce, passée par Buchet-Chastel, a choisi, elle, de lancer sastructure, Dalva nom d’une heroine deJim Harrison -, et... de n’y publier que desfemmes. «La discrimination positive n’est pourtant pasun sport national en France», reconnaît-elle, tout en disant vouloir échapperau«spectrede laguerre des sexes»et sedémarquer du «trop-plein d’ouvragessurlesviofences sexuelles,les rapports de genre et depouvoir». Car «n'éditer que des autrices, c’est justement pouvoir mettre en avant la créativité despropositions,afin de sortir lesfemmes des deuxstereotypesqui lesguettent: victime oufemme puissante.Le champ despossibleseminins estheureusementbien plus riche... » Et à memed'enrichir les éditeurs. Tous rêvent de découvrir leur Mona Chollet. Sorcières. La puissance invaincue desfemmes, publié en 2018 par le label Zones de La Découverte, caracole toujours en tête, frôlant les trois cent mille exemplaires, et démultipliant ses ?? pales émules comme Révélez sorcière qui sommeille en vous! (éd. Exergue, 2020). Le succèsa conduit Mona Chollet àrecourir aux servicesdel’agente féministe trentenaire, Ariane Geffard, qui représente également Iris Brey,Emma ou Titiou Lecoq, et incarne avec brio le boom du moment, orchestrant denouvelles synergies entre le monde du livre et l'univers audiovisuel du podcast ou des séries. Son dévouement à la cause l'incite-t-elle à pousser sesautrices vers des éditeurs politisés ? «Jecrois beaucoup aucheval de Troie -.aireentrer destextesféministesaucataloguedegrosses maisons en vue de les transmettre â un public élargi. » Ainsi Marabout, leadersur le marché du livre pratique, quatre millions de volumes vendus chaque année, où elle se dit «trèsfière» d’avoir notamment placé JouissanceClub. Une cartographie duplaisir (2020), del’instagrameuse June Plâ : un carton plein, trois cent soixante-dix mille exemplaires, bientôt transformé enboîte de jeu ! D’autres comptes florissants d’Instagram, comme @preparezvouspour_la_bagarre, de RoseLamy, ou @tasjoui, deDora Moutot, ont aussi été déclinés en livres - Défaire le discourssexistedans les médias féà.ïLttfesj etMale Baisées.Le livre qui dénoncele patriarcatsousfesdrapsféd. GuyTrédaniel). Une offensive de produits dérivés frisant le recyclage éhonté? Léa Salamés'en accuserait presque! «Lepodcast Femmes puissantes a été un énorme succèsd’audience,pourquoi avais-je besoin d'enrajouter?», feint-elle d’interroger dans la préfacedu deuxiemevolume de sesinterviews radio »> taire n'a
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»> (éd. Les Arenes/France Inter). La podcasteuse Lauren Bastide a également faitparaître sesentretienstirés de La Poudre (éd.Marabout). Et Victoire Tuaillon, sa «synthèse» des Couillessur la table (éd. Binge Atrdio), déjà passéeen Points poche, alors qu’elle dirige aussi la Collection sur la table, créée par Brrvge. «Cessolidarités entre differents médiassont essentielleset permettent une résonanceplus forte, s'enthousiasme l'éditrice de 27 ans Gabriela Larrain, à qui le Seuil a confié la direction de Points Féminismes. Laparoles’est libérée,l'écouteaussi;inclusive,lacollectionseveutlaboiteaoutils
dufeminisme devenuunrefugepour lesfeunesgénérationsqui n’ontpasforcément les moyensd’accéderauxgrandsformats.»
Malgré la conviction de ces professionnelles,
un collectif
d'éditrices féministes, représentant les plus confidentielles éditions du Commun, Remue-ménage, Blast, Daronnes ou Le Passager Clandestin,s’est insurgé2 face à cette avalanche de titres, épinglant l'opportunismede certains, inquiet de ceque le secteurdeviendra quandle féminisme sera«passédemode»... La «mainmisegrandissante de maisons d'édition - dont on peut légitimement questionsur les apports au féminet les engagementsféministes nisme lui-même nous interpelle. Quel(s) intérêt(s) trouvent cesgrandes structuresà soudainement publier desouvrages qu’elles ignoraientjusqu’ici ? Sous quelles conditions pro-
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posent-ellesla publication decestextes? Aux côtés de quels autres ouvrages apparaissent-ils dans lescatalogues?» Éditer des textesféministes «en féministe», c’est ce que revendique,au sein du groupe Editis, Stéphanie Chevrier, directrice de La Découverte (et dejulliard). «L’effervescencedu domaine me parait vrtueuse. Celaprouve que l’engagement a porté sesfruits et cela nous pousseà nous renouveler, d inventerdes projets, telNe nous libérez pas,ons’en charge, quej’ai commandé à trois générations d’historiennes du féminisme, Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel. Il m’importe désormais de traiter des questions du genre dans toutes nos collections, par tous lesversantset les disciplinesDaborderautantle corps desfemmesaveclouit. En quête de l'orgasme féminin, de Sarah Barmak, que la transmission des biens, avec Le Genredu capital. Cornment la famille reproduit les inégalités, deCélineBessièreetSybilleGollac.» «M'intéresseavant tout que lesfemmes soientpayéescommeleshommes,etque notre catalogue soitparitaire, avancera directrice de Fayard, Sophie de ciosets. Il n’y a rien d’étonnant à ceque l’édition, enprise aveclepouls du monde, traduise le phénomène *MeToo, mais je me méfie beaucoup de la casecollection féministe qui enferme les textes. » Comme toutessesconsœurs,Sophie de Closets estsurtoutlucidesur le probable retour debâton, qui suivra cette vague. Chacunesait que l'esprit du Premier Sexe, pamphlet masculiniste écrit en 2006 par un certain Eric Zem-
trop levent en mour,n’aque 1 Livres Hebdo, 25 février 2021. 2Médiapart, 5 mai 2021.
poupe...?
Toutes lesmaisons d'édition rêvent de trouver leur Mona Chollet... et son best-seller Sorcières.
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