Tesson - Un été avec Homère

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PAYS :France

JOURNALISTE :Alain Sanders

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16 juin 2018 - N°9133

Pour l'amour des Grecs et des Latins • Alain Sanders alain.sanders@present.fr

IRE de Jacques Trémolet de Villers qu'il est intrinsèquement méditerranéen - et plus que ça : insulairement méditerranéen - serait encore ne rien dire. Tendance Coupo santéf bien sûr.

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Ce n'est certes pas la première fois qu'il nous instruit et nous enchante tout en même temps. Mais là, avec ce petit livre élégant (délicatement illustré par Axelle), En terrasse avec Cicéron (Les Belles Lettres), il nous épate. Quel est son propos qui tient de l'exploit ? Que les dialogues du livre reprennent ne varietur le texte de Cicéron (notamment les Tusculanes). Très bien. Bravo l'artiste. Mais en terrasse avec Cicéron ? Et puis quoi encore ! Quousque tandem abutere, Tremoletus, patienta nostra (comme il est à peu près dit dans la première des quatre Catilinaires de Cicéron) ? Cicéron parle comme nous, explique son commensal. Il parle avec les morts et il fait parler les morts. Comme en Corse. Aussi Trémolet de Villers l'invite-t-il (« Il est des nôtres, il a bu son coup comme les autres ! ») à venir trinquer entre amis dans son village de Vivario. Et il nous dit - sceptiques et latinistes un peu rouillés que nous serions : « Pour ne pas alourdir le texte et garder à la conversation sa spontanéité, je n'ai pas indiqué les références, mais j'en garantis l'authenticité ». Pour ceux qui auraient - à tort - remisé depuis longtemps leur Gaffiot dans le haut de leur bibliothèque, rap-

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pelons que les Tusculanes (le titre exact étant : Tusculanae disputationes) sont des dialogues supposés où Cicéron tente d'établir l'immortalité de l'âme et de démontrer que le bonheur ne peut se fonder que sur la vertu. Cicéron conversait avec ses amis dans sa résidence de Tusculum (d'où le titre de cette œuvre) en 45 avant J.-C., le voilà convié chez les amis de Trémolet, en terrasse, de nos jours. Cicéron aimait sa riche villa de Tusculum, même si c 'est là qu 'est morte safille Tullia. Un deuil qui transparaît dans le troisième livre où l'on « disputationne » du chagrin. In fine - et même : in cauda gaudium - Jacques Trémolet de Villers écrit : « Je n'ai pas donné de préface à ces entretiens, même pas une introduction ou un avertissement, je ne leur donne pas non plus de conclusion car, en fait, leur seule raison d'être est d'inviter le lecteur à rencontrer Cicéron. » Pari gagné ! A la tienne, Marcus Tullius !

L'Iliade

et l'Odyssée

Sylvain Tesson nous convie, pour sa part, à passer Un été avec Homère (Equateurs, « Parallèles »). Pour écrire ce livre (qui est à l'origine une série d'émissions diffusées sur France Inter), il ne s'est pas installé au Kremlin-Bicêtre ou à HéninBeaumont, allez savoir pourquoi, mais sur une île des Cyclades, au bord de la mer Egée. Dans l'esprit même de ce que disait Lawrence Durrell : « Nous sommes les enfants de notre paysage, » L Iliade c'est - comme son nom l'indique - le récit de la guerre de Troie (Ilion est l'autre nom de Troie fondée par Ilos, fils de Tros). L' Odyssée, c'est le retour d'Ulysse, par des chemins buissonniers, vers la fidèle et patiente Pénélope et le royaume d'Ithaque. Pour Syl-

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vain Tesson, pas de doute : YIliade et V Odyssée rythment notre actualité. La guerre, bien sûr, présente sur tous les continents, les catastrophes écologiques, les amours contrariées, la méchanceté et la folie des hommes : « Ouvrir YIliade et Y Odyssée revient à lire un quotidien. Ce journal du monde écrit une fois pour toutes fournit l'aveu que rien ne change sous le soleil de Zeus : l'homme reste fidèle à lui-même, animal grandiose et désespérant, ruisselant de lumière et farci de médiocrité. » Mais ce chant du génial aède, c'est aussi le rendez-vous de la démesure. Au point que l'on a créé l'adjectif « homérique » qui signifie grandiose, épique, fabuleux. Et Zeus sait qu'il y a du fabuleux à chaque ligne ! Des pleurs et des grincements de dents, des péans supposés nous sauver de tous les périls, des remparts qui s'écroulent, du sang, des dieux ronchons, des demi-dieux, des héros qui se la pètent, des femmes fatales et de grandes fureurs... Sylvain Tesson excelle à tutoyer le texte de notre vieil Homère qui était naguère au programme de la classe de sixième. Sa découverte, à 9-10 ans, a fait que nous n'avons plus jamais été les mêmes, pas désorientés plus que ça par ces hexamètres dactyliques dont on apprenait qu'ils avaient été écrits en ionien et en éolien, deux dialectes différents de l'attique. C'était en d'autres temps et peutêtre déjà dans un autre monde... Reconnaissance à Sylvain Tesson - pour 1 ' amour des Grecs - de nous donner à retrouver ce délicieux maelstrom tel qu'en nos souvenirs souvenirs..

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