nOTRE PèRE
51. Pourquoi Jésus nous a-t-il appris une prière si courte ? Pour que nous puissions la prier de tout cœur. Ni le cheval ni la selle Voici, à ce propos, une histoire vraie de saint François de Sales. François de Sales était évêque, un très bon évêque. Il vécut il y a environ quatre cents ans. un jour, il arriva à cheval dans un village. Il y rencontra un paysan. Celui-ci dit : « Bonjour, Monseigneur ! Je dois vous dire quelque chose. Savez-vous que j’arrive à prier sans penser à quoi que ce soit d’autre ? – C’est formidable, répondit François. Je n’ai encore rencontré personne qui y soit parvenu, tu mérites une récompense. Écoute ! si tu réussis à prier tout le notre Père sans penser à quoi que ce soit d’autre, je te donnerai mon beau cheval. » Le paysan se réjouit beaucoup et se mit tout de suite à prier : « notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite… Est-ce que j’aurai la selle aussi ou seulement le cheval ? » demanda-t-il tout d’un coup. L’évêque se mit à rire : « Hélas, hélas ! dit-il, ni le cheval ni la selle. » Le paysan comprit qu’il avait tout perdu. Il n’avait même pas pu dire cette prière si courte sans se laisser distraire ! 52. Pourquoi pouvons-nous dire à Dieu « Notre Père » ? Parce que Dieu nous a créés et nous a adoptés comme ses enfants. A u château de Versailles Le roi de France, Louis XV, avait une fille qui était très orgueilleuse. un jour, la princesse ne retrouva plus un petit collier en or. Sans raison, elle accusa sa servante. 105
CHRISTIAnISER
Celle-ci se défendit : « Madame, vous êtes très injuste à mon égard. » La princesse, fâchée, s’écria : « Que vous permettezvous ? ne savez-vous pas que je suis une fille de roi ? » La servante répondit tranquillement : « Et moi, je suis même une enfant de Dieu ! » 53. Pourquoi disons-nous « aux cieux » ? Parce que la toute-puissance de Dieu nous donne l’espoir d’être exaucé. « Mais enfin, est-ce que personne ne nous entendra? » Les perceuses creusaient la roche en crissant. Les ciseaux et les pics martelaient la paroi d’un bruit sourd et cadencé. Tout se déroulait normalement dans la mine. Six mineurs travaillaient dans une galerie basse, déjà assez avancée, trempés de sueur et essoufflés par l’effort. Ils venaient de finir leur petit-déjeuner et avaient repris leurs perceuses et leurs ciseaux. Farel laissa tomber ses outils de travail : « Je ne sais pas, murmura-t-il. L’air est un peu bizarre. Vous ne sentez donc rien ? – Oui, l’air ne me plaît pas, à moi non plus ! dit le maître foreur en faisant un petit signe de tête. nous allons quand même… » Avant qu’il ait pu finir sa phrase, un craquement épouvantable et une forte explosion ébranlèrent le puits. Puis ce fut le silence et le noir. Seules, quelques lampes de mineurs vacillaient encore dans les ténèbres. « nous sommes bloqués par l’effondrement ! balbutia Farel, les lèvres tremblantes. – nous sommes tous perdus ! gémit Pierre. Toute la montagne s’est écroulée. – ne dis pas d’idiotie, ils viendront nous chercher ! protesta son camarade Marcel. 106
nOTRE PèRE
– Ils doivent venir nous chercher ! Je veux vivre ! – Mais oui, ils ne peuvent pas nous laisser crever comme du bétail ! dit Farel en pleurant. J’ai une famille, une femme et trois enfants ! – Cela peut durer plusieurs jours avant qu’ils n’arrivent ! dit le chef d’équipe. Il haussa les épaules et ajouta d’une voix basse : S’ils arrivent ! – Eh toi, dit Pierre dans un sursaut furieux, qu’as-tu dit ? Tu as dit : s’ils arrivent ? – Calme-toi, Pierre, tu n’améliores rien en criant ainsi ! – Qu’allons-nous devenir maintenant ? demanda Marcel. – S’ils ne viennent pas nous chercher, nous mourrons de faim. – Combien de temps peut-on tenir sans nourriture ? – Huit jours ! dit l’un. – Dix, douze ! dirent d’autres. – nous allons appeler, donner signe de vie en tapant ! proposa Farel. – Les équipes de sauvetage sont peut-être déjà assez près de nous. – Quelle idiotie ! Personne ne nous entend, ici ! répondit le maître foreur. Il faut d’abord que nous, nous les entendions. Et ensuite, cela vaudra la peine de leur donner signe de vie. » Le temps passait affreusement lentement. Aucun des hommes ne savait s’il était en train de passer des minutes ou des heures dans cet effroyable tombeau. Les lampes commençaient à vacifier. une lampe après l’autre s’éteignit. Plus aucune lueur ne pénétrait dans ce cercueil vivant. Au bout d’un certain temps, Pierre se mit à se débattre comme un fou et à se cogner désespérément les poings contre les parois sombres en criant de toutes ses forces. Les mineurs eurent très peur. Ils eurent beaucoup de mal à le maîtriser. Il finit par s’écrouler en gémissant. 107
CHRISTIAnISER
Le temps s’écoulait avec une lenteur impitoyable. La faim et la soif commençaient à tourmenter les mineurs. Leurs bouteilles et leurs gamelles étaient vides. Et toujours ces pensées obsédantes : finiront-ils par nous trouver ? Combien de temps mettront-ils à tomber sur notre galerie ? Si nous pouvions au moins nous faire entendre ! « Mais personne ne nous entend, absolument personne ? gémit Marcel. Mais quelqu’un doit nous entendre ! – Si au moins on pouvait croire en Dieu !… dit Farel, un peu hésitant. Si seulement on pouvait… – Et puis quoi, alors ? dit Pierre brusquement. – Eh bien…, on pourrait prier, et il nous entendrait ! – Et alors ? – Et alors il pourrait nous sauver ! – Mais il n’y a pas de Dieu, il n’existe pas. Ce sont seulement des sornettes de curés, murmura Marcel d’une voix sourde. – Tu crois ? demanda Farel lentement. Enfin…, ce ne sont peutêtre pas des sornettes, ces histoires avec le Bon Dieu. Et s’il existe, il doit nous entendre, dit le chef d’équipe comme s’il se parlait à lui-même. – Peut-être va-t-il même nous sauver ! balbutia Pierre. On devrait quand même essayer de prier. – Qui sait encore prier ? demanda le maître foreur. – Autrefois, je connaissais une prière, dit Farel. Mais je ne sais plus que les deux premiers mots : notre Père. – notre Père ? Oui, c’est cela, dirent les autres. Si seulement on savait comment ça continue ! Réfléchissons ! » Après mûre réflexion, l’un ou l’autre parvint tout de même à se souvenir d’une parole du notre Père – qui sait combien d’heures ils passèrent à cela. Et ils réussirent enfin à reconstituer tout le texte du Notre Père. Ils le redisaient sans cesse, silencieusement, chacun pour soi, puis de nouveau ensemble, aussi recueillis qu’à 108
nOTRE PèRE
l’église, suppliant, criant, gémissant, ils répétaient inlassablement la même parole : Notre Père qui es aux cieux. La faim et la soif torturaient les emmurés. De temps en temps, l’un d’eux hurlait dans un accès de désespoir. Puis on entendait de nouveau la grande prière dite par l’un ou l’autre : notre Père… Aucun d’eux n’aurait pu dire depuis combien de temps ils étaient bloqués lorsque le maître foreur Farel sortit d’un demisommeil en sursautant. Était-ce une illusion de ses sens délirants ou avait-il vraiment entendu frapper et creuser ? « Eh, vous autres ! » dit-il. Sa voix était proche du râle, il balbutiait difficilement. « Écoutez ! » Les autres perçurent aussi les bruits des outils et les coups dans la roche. « Ils sont là ! Ils sont là ! » parvint à dire Pierre d’une voix enrouée. Et il commença à frapper frénétiquement avec un marteau contre les parois noires. Les autres suivaient son exemple. Puis ils s’arrêtaient un moment pour écouter si une réponse leur parvenait. Les sauveteurs se rapprochaient, cela ne faisait aucun doute. On entendait de plus en plus fort les coups de marteau dans la roche. Les derniers obstacles tombèrent. Les sauveteurs déblayèrent les pierres, le charbon et les morceaux de poutres brisées. un homme s’avança en rampant dans la galerie, l’éclaira et dit : « Eh oui, eh oui ! C’est vrai, ils sont encore vivants ! » Des mains se tendirent vers lui. Des infirmiers arrivèrent, allongèrent les hommes qui n’avaient plus la moindre force sur des civières et les sortirent du puits. Des ambulances les emmenèrent à l’hôpital. C’est là qu’ils apprirent qu’ils étaient restés enfermés douze jours et douze nuits. Personne n’espérait plus les retrouver vivants. « Que vous n’ayez pas perdu la raison dans ce trou noir ! dit le médecin qui les examina. – Je peux vous dire exactement pourquoi ! répondit le chef d’équipe. nous avons retrouvé, en bas, la foi en Dieu et nous avons 109
CHRISTIAnISER
de nouveau appris à dire le Notre Père. Cela, et cela seul nous a sauvés. Sinon, nous aurions perdu tout espoir depuis longtemps ; ou bien nous serions morts ou devenus fous. » 54. Pourquoi dit-on : « Que ton nom soit sanctifié » ? Parce que nous adorons la grandeur infinie de Dieu. Cela s’est fait tout seul un professeur américain raconte l’histoire suivante : Je suis biologiste. Je me penche tous les jours sur les merveilles de la vie, des plantes jusqu’à l’homme, en passant par les animaux. Je m’étonne régulièrement des mystères de la création. J’ai un ami qui est astronome. Il passe de nombreuses nuits derrière son télescope. Il étudie les milliards d’étoiles et de planètes. une nuit, il m’emmena dans son observatoire. Il me montra une petite tache claire dans le ciel puis il me dit de la regarder à travers son télescope géant. L’image était époustouflante. La tache blanche apparaissait comme une multitude d’étoiles, petites et grandes, en forme de spirale gigantesque. L’astronome me dit : « C’est une galaxie avec environ cent milliards de systèmes solaires. » Je me sentis tout petit. J’étais subjugué par l’immensité de la création : « Mais qui a donc créé toutes ces étoiles ? Qui a fait tout cela ? » ne pus-je m’empêcher de demander à mon ami. « Personne ! répondit-il, cela s’est fait tout seul. » Mon ami, en effet, est athée. Il ne croit pas à l’existence d’un Dieu créateur. Peu de temps après, je l’invitai à dîner. un mobile pend au plafond de notre salon : le soleil et toutes les planètes. Mon ami fut confondu d’admiration : « Quelle réussite ! dit-il. Chaque planète suit exactement sa trajectoire autour du soleil. C’est magnifique. Qui a fait cela ? » 110
nOTRE PèRE
Je le regardai en souriant et répondis : « Personne ! Cela s’est fait tout seul. » 55. Pourquoi disons-nous « Que ton règne vienne » ? Pour qu’il y ait plus d’amour et de justice sur la terre. La voiture du pape Il y a environ quatre millions de lépreux en Inde. Le lépreux est rejeté, il est même souvent chassé de chez lui. C’est pourquoi ceux qui sont touchés par cette horrible maladie font tout pour la cacher. Mère Teresa de Calcutta voulut vaincre ces préjugés. Elle rêvait d’une « ville de la paix » dans laquelle on aurait guéri les lépreux. Mais elle n’avait, hélas ! pas le moindre sou pour réaliser son rêve. un jour, elle apprit que le pape devait venir pour la première fois en Inde. Cette nouvelle la remplit de joie. Le pape, en effet, prit l’avion pour Bombay en 1964. L’enthousiasme de la population dépassa toute attente. une firme américaine offrit au pape une extraordinaire voiture blanche dans laquelle il fit le trajet de l’aéroport à Bombay. À la fin de son séjour, il offrit la voiture à Mère Teresa, la mère des pauvres, « pour son infini et inlassable travail d’amour. » Que faire de cette voiture ? Mère Teresa n’hésita pas. Elle organisa une loterie. La voiture blanche en était le premier prix. une veuve acheta dix billets dans l’espoir de gagner la belle auto pour son fils. Elle eut de la chance car elle gagna le premier prix. Mais elle réalisa vite à quel point l’entretien de cette voiture était coûteux. Elle la revendit et donna la plus grande partie du prix de vente à Mère Teresa. C’est alors que le rêve de Mère Teresa devint réalité. Le gouvernement de l’Inde mit à sa disposition un grand terrain près de Calcutta. Avec l’argent de la voiture, elle put y construire plusieurs petites maisons pour les lépreux. Elle y bâtit même un hôpi111
CHRISTIAnISER
tal où beaucoup de malades sont soignés. Et elle organisa des ateliers dans lesquels ceux qui étaient guéris pouvaient apprendre un métier manuel. C’est ainsi que naquit, grâce au cadeau du pape, toute une ville de l’espérance. Et chacun sait aujourd’hui qu’il y a près de Calcutta, qui est la capitale de la misère, aussi une capitale de la paix où les lépreux ne sont pas méprisés mais respectés, soignés et, pour beaucoup d’entre eux, guéris. 56. Pourquoi disons-nous : « Que ta volonté soit faite » ? Parce que Dieu, à travers ses commandements et sa Providence, veut le meilleur pour nous. Le cantique préféré de Bach Jean-Sébastien Bach devint aveugle en vieillissant. un jour, l’un de ses amis lui dit l’arrivée dans la ville d’un ophtalmologue très réputé ; ce dernier serait prêt à l’opérer s’il le désirait. « Pourquoi pas ! » dit le vieux Bach. Le jour dit arriva. Mais l’opération ne réussit pas. Quatre jours plus tard, le médecin retira le pansement des yeux de Bach. Sa famille l’entourait et lui demanda : « Vois-tu, maintenant ? » Bach répondit : « Que la volonté de Dieu soit faite ! Je ne vois rien ! » Tous ceux qui l’entouraient se mirent à pleurer et alourdirent encore le cœur de leur vieux père. Il leur dit alors en les encourageant gaiement : « Chantez-moi plutôt mon cantique préféré : “Que la volonté de mon Dieu soit faite toujours et partout, sa volonté est la meilleure !” » 57. Dieu est-il responsable du fait que beaucoup ne mangent pas à leur faim ? non, c’est la faute des égoïstes qui ne veulent pas partager. 112
nOTRE PèRE
Le vantard une Berlinoise âgée de quarante ans raconte : Mon mari n’est pas un méchant homme. Il ne boit pas et ne fait rien de mal. Mais il se vante beaucoup. Depuis que je suis mariée, je n’ai jamais connu le calme. nous vivons sans cesse dans la misère et la pénurie. L’huissier de justice est notre hôte permanent. À chaque fois que l’on sonne à la porte, je me dis : « C’est de nouveau quelqu’un qui vient réclamer de l’argent. » La nuit, je ne peux plus dormir, je me fais trop de soucis. Je pense aux enfants qui, souvent, n’ont pas assez à manger. Mon mari, certes, ne fait pas partie des hauts salaires. nous pourrions cependant y arriver. Mais pour en imposer aux autres, il s’est acheté une voiture qui est bien au-dessus de ses moyens. Il n’a pas pu la payer et il s’est endetté. Tous les jours, il va sur son lieu de travail dans sa limousine, comme un directeur général : il veut épater le voisin. Son salaire passe dans l’entretien de sa voiture et il s’endette de plus en plus. Pendant la pause de midi, il va au restaurant alors que nous n’avons rien à manger à la maison. notre fils supplie souvent son père : « Papa, vends donc la grosse voiture, elle fera notre malheur ! » Mais peu lui importe ; il pense seulement à son prestige. Que diraient ses collègues s’il arrivait sans voiture? Ils se réjouiraient, ils se moqueraient de lui et il ne le supporterait pas. Que nous n’ayons pas une minute heureuse à la maison le laisse complètement froid. Il existe de tels égoïstes. On les rencontre dans beaucoup de familles et de communautés. Il y a même, dans la grande famille des peuples, des pays riches qui laissent tout au plus quelques miettes de pain aux pays les plus pauvres. Chacun de nous devrait demander à son voisin : « Est-ce que je fais, moi aussi, partie de ces égoïstes ? »
113
CHRISTIAnISER
58. Pourquoi disons-nous : « Pardonne-nous comme nous aussi nous pardonnons » ? Parce que seul celui qui est miséricordieux mérite la miséricorde de Dieu. Et pourtant il m’a pardonné La guerre civile faisait rage, sans pitié aucune, sur le sol espagnol. Des églises profanées, des villages en flammes, des cadavres mutilés indiquaient le chemin pris par les communistes. Les nationalistes aussi se battaient avec un acharnement sans pareil. Quelques-uns d’entre eux venaient de « nettoyer » un village de leurs ennemis. Le combat avait été rude. Ce groupe tomba, au coin d’un mur, sur un communiste gravement blessé dont la poitrine avait été déchiquetée par un éclat d’obus. Le blessé, l’œil vitreux, regarda la patrouille s’approcher. Puis il leva la main d’un geste faible et balbutia : « un prêtre ! Allez me chercher un prêtre ! – Au diable, canaille rouge ! » jura l’un des nationalistes. Pourtant, l’un de ses camarades eut pitié du blessé : « Je vais voir si j’en trouve un. » Il revint sans tarder accompagné d’un prêtre. Celui-ci se pencha avec compassion sur le grand blessé, un très jeune garçon : « Vous voulez vous confesser ? lui demanda-t-il. – Oui, je veux me confesser ! dit le soldat d’une voix haletante. Mais dites-moi, vous êtes le curé de ce village ? – Oui, c’est moi ! – Mon Dieu ! » balbutia le jeune homme. Le prêtre resta longtemps auprès du mourant. Lorsqu’il rejoignit la patrouille des nationalistes en faction, ses cheveux étaient trempés, son visage blanc comme de la craie : « Frères ! parvint-il tout de même à dire avec difficulté, portez le blessé dans la maison la plus proche afin qu’il ne meure pas sur la route. » 114
Le prĂŞtre se pencha avec compassion sur le grand blessĂŠ.
CHRISTIAnISER
Lorsque les soldats s’approchèrent du jeune homme, celui-ci se souleva un peu et leur fit signe de se pencher vers lui : « Il m’a pardonné ! Il m’a donné l’absolution ! » Il haletait, il ne trouvait plus son souffle. « Pourquoi ne te pardonnerait-il pas ? C’est son métier, dit l’un des nationalistes. – Vous ne savez pas ce que j’ai fait ! gémit le mourant. J’ai tué à moi tout seul trente-deux prêtres ! Je les ai poignardés, assommés, étranglés, j’ai tiré sur eux. Dans chaque village, j’ai d’abord été au presbytère. Ici aussi, je l’ai fait. Je n’ai pas trouvé le prêtre, mais j’ai trouvé son père et ses deux frères. Je leur ai demandé où il était. Ils n’ont pas voulu le trahir. Alors, je les ai tués, tous les trois ! Vous comprenez ? J’ai tué le père et les frères du prêtre qui m’a confessé… Et pourtant il m’a pardonné. » 59. Que veut dire : « Ne nous laisse pas entrer en tentation » ? Cela signifie : soutiens-nous dans notre faiblesse afin que nous ne t’offensions pas. Le billet de banque brûlé En Afrique, la plupart des gens sont très pauvres. Il y a beaucoup d’enfants abandonnés dans la grande ville d’Abidjan. Leurs parents n’ont rien, ils ne peuvent pas les nourrir. Et c’est ainsi que ces enfants mendient ou volent. En 1960, un jeune prêtre français, le père Martin, commence à s’occuper de ces enfants. Il loue une maison pour eux. Les jeunes la surnomment vite « notre maison. » un jour, les garçons amènent un nouveau camarade au père Martin. Il vient d’une bande de pickpockets. Le soir suivant, un homme apporte au nouvel arrivé un billet de vingt francs. C’est sa participation, dit-il, à leur dernier vol commun.
116
nOTRE PèRE
Le jeune veut se mettre tout de suite l’argent dans la poche. Puis il se demande tout de même si c’est bien de le faire. Il va voir Paul, le « chef » des garçons au foyer. « C’est de l’argent sale, lui dit Paul, tu n’as pas le droit de le garder. » Il rassemble les autres garçons et leur demande ce qu’ils pourraient bien faire de ces vingt francs. L’un dit : « Achetons un ballon de foot. » Les autres préfèrent aller au cinéma. Paul, lui, dit : « Mais cet argent ne nous appartient pas ! – Rendons-le à son propriétaire ! » crie l’un d’entre eux. Mais ils ne le connaissent pas. Paul prend alors la décision suivante : « C’est de l’argent volé. Je le redis : de l’argent sale. nous allons le détruire. » Tous sont d’accord. Paul va chercher les allumettes et brûle le billet. Lorsque le père Martin entend cela, il pense : je n’ai même plus cinq francs pour acheter une natte au nouveau-venu, où va-t-il dormir ? Le lendemain, on offre au père Martin cinq cents francs. C’est inespéré. Les enfants voient dans ce cadeau une récompense : ils ont en effet résisté à la tentation d’empocher cet argent sale. Le père Martin trouva rapidement du travail pour les garçons les plus âgés. Lorsque l’un d’eux apporta son premier salaire au père, il lui dit tout fier : « Ça, c’est de l’argent propre ! » 60. Qui peut nous délivrer du mal ? Le Christ, sauveur de tous les hommes. « L’internationale » en allemand Durant la deuxième guerre mondiale, l’Europe a beaucoup souffert sous le joug allemand. Mais il ne faut pas oublier que les Allemands eux-mêmes ont beaucoup souffert de la folie d’Hitler, même après l’effondrement de 1945. En Russie, le soir de noël 1946. 117
CHRISTIAnISER
Tout est calme dans le camp des prisonniers allemands. La plupart d’entre eux, morts de fatigue à la suite du très dur travail par équipe dans la mine de charbon, se sont allongés sur leur couche. Ils ont remonté sur leur visage leur tenue sale de mineurs pour pouvoir glisser plus vite au pays des rêves, l’un de ces ponts dorés qui mènent au pays natal. Seuls, quelques obstinés essaient de fêter noël. Quelques textes et des mélodies à moitié fausses, de vieux chants de noël, c’est tout. une lampe de mineur éclaire la grande pièce d’une lumière vacillante. Tellement de mal du pays, tellement de nostalgie y sommeillent ce soir-là. Tout à coup, la lourde porte à verrou s’ouvre brutalement et le commandement le plus craint des prisonniers de guerre les replonge tous brusquement dans la dure réalité du présent : « Toute la chambrée en rang ! » Probablement encore un appel et l’attente dans le froid pendant des heures… Les projecteurs des miradors éclairent et surveillent les silhouettes transies de froid qui se sont mises en rang. Les sentinelles et le commandant du camp s’avancent, emmitouflés dans leur manteau et leur bonnet de fourrure. Le commandant demande un traducteur. Celui-ci traduit phrase par phrase en allemand ce que dit le commandant afin que tous puissent comprendre : « Prisonniers, dans votre patrie, l’Allemagne, les réactionnaires célèbrent aujourd’hui une fête qui s’étend sur deux jours. En union Soviétique, on n’a pas le temps de célébrer des fêtes. On y travaille pour le bien des prolétaires du monde entier afin que l’heure de leur libération sonne bientôt. C’est pourquoi vous allez chanter maintenant l’Internationale en signe de solidarité avec tous les travailleurs. » Et le traducteur commence à chanter l’Internationale : « Levezvous, damnés de cette terre… » Et les mille prisonniers… se taisent. Dans les rangs du fond, un prisonnier entame un autre chant, quelques-uns l’accompagnent, d’abord timidement : « Douce nuit, sainte nuit…», puis tous se mettent à chanter, d’une voix pleine et 118
nOTRE PèRE
forte. La première strophe est finie. Le traducteur répète la fin de l’Internationale : « Peuples, entendez les signaux… », mais la strophe suivante de Douce nuit, sainte nuit retentit comme un air de défi. Et ce sont mille hommes qui chantent les dernières paroles. non, ils les crient, dans cette nuit pleine de mystère : « Le Christ, le Sauveur est là ! Le Christ, le Sauveur est là ! » Cela ressemble à un acte de foi enthousiaste qui s’échappe de la triple clôture de barbelés vers les steppes russes infinies. Puis règne un silence à couper le souffle. Le commandant pose une question au traducteur. Celui-ci répond d’une voix claire et audible : « C’était l’Internationale chantée sur un air allemand. »
119