Analyse de GITS 2 : Innocence

Page 1

___________________________________________________________________________

Analyse filmique Rapport

I nnocencE

G host I n T he Shell 2 Réalisateur : Mamoru OSHII _____________________________________________ Professeur & correcteur : M . Jullier


Quelques définitions utiles pour la suite (classées par ordre thématique) Robot : vient du tchèque « robota », signifiant « travailler » (plus précisément de la pièce de théâtre R.U.R. de Karel ČAPEK). Dispositif mécanique accomplissant automatiquement des tâches (généralement dangereuses ou pénibles pour un humain). Androïde : Robot construit à l’image de l’homme. Ne pas confondre avec un cyborg. Comme « andros » signifie « homme » en grec, on peut appeler sur le même modèle « gynoïde » un robot à l’image de la femme. Cyborg : « CYBernetic ORGanism ». Désigne un être humain dont les fonctions vitales sont partiellement ou complètement remplacées ou améliorées par des dispositifs mécaniques ou électroniques. ___ Manga : littéralement « dessin bâclé » en japonais. Désigne les bandes dessinées apparues dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale au Japon, caractérisées par un style graphique très particulier. Fondé par Ozamu TEZUKA. Anime : (prononcer « animé »). Désigne les dessins animés dont le style graphique se rapproche du manga. Film « live » : par opposition aux dessins animés : film avec des vrais acteurs et décors. ___ Cyberpunk : sous-genre de la science-fiction. Décrit un monde généralement situé dans un futur proche, généralement sombre et urbain, où les technologies, notamment informatiques, sont largement présentes dans les moindres détails de la vie quotidienne, et où les entreprises sont devenues plus puissantes que les états. Une histoire cyberpunk tourne généralement autour d’une histoire de complot, associant mafia, services secrets et les entreprises sus-citées. 2


|Présentation du réalisateur|

Mamoru OSHII

3


Mamoru OSHII, réalisateur de films en animation ou avec des vrais acteurs, japonais, né le 8 août 1951 à Tokyo. Durant ses études, la personne qui le marque le plus est un de ses professeurs, doté d’une grande culture cinématographique. Il se passionne dès lors pour le cinéma. Durant ses études, il travaille pour s'acheter une caméra 16 mm ; ne pouvant se payer de la pellicule, il filme à vide, « pour s'entraîner ». Il s’intéresse de près à des réalisateurs tels que Andrzej Wajda, Jeray Kawalerowicz, Andrzej Munk et Ingmar Bergman ; mais le film qui l’a marqué, depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui, est La Jetée de Chris Marker (1963). Il sort en 1976 de la « Tokyo Gakugei Daigaku » (école d’art de Tokyo) et décide d’entrer dans le cinéma par le cinéma d’animation, bien qu’initialement peu attiré par ce genre. Au sein de différents studios, il exécute des travaux de commande, généralement des adaptations de romans ou de manga, allant de la série (Les aventures de Nils Holgerson) au film (Urusei Yatsura). En 1984, il quitte le studio Pierrot et est resté indépendant depuis lors. Son œuvre suivante s’intitule Tenshi no Tamago («Angel’s egg »), film surréaliste aux références bibliques.

4


Il rejoint le collectif Headgear, formé de cinq personnalités, écrivains et artistes, issus du manga et de l’anime. Ils réalisent ensemble Patlabor 1 (1989) et 2 (1993). Entre deux animes, Oshii réalise des petits films « live » : The Red Spectacles (1987), Stray Dogs: Kerberos Panzer Cops (1991), aux concepts repris ensuite dans Jin Roh (1998) dont il a écrit le script, et Talking Head (1992), un film dont le scénario tourne autour de la production d’un anime. 1995 est l’année de sortie du premier de ses films à atteindre une renommée internationale : Ghost In The Shell, film cyberpunk sorti simultanément au Japon, aux États-Unis et en Europe, chose suffisamment exceptionnelle (pour l’époque) pour être signalée. Après cinq ans à travailler sur d’autres projets, il revient en 2001 avec Avalon, film « live » tourné en Pologne, très retouché par ordinateur, et présenté hors compétition au festival de Cannes cette année-là. Enfin, avec son film suivant, il revient au festival de Cannes en 2004, en compétition cette fois, en présentant Ghost In The Shell 2: Innocence, un anime mêlant dessin traditionnel et graphismes conçus sur ordinateur. Il n’y remporte aucun prix.

Le « style » Oshii est particulièrement reconnaissable : la narration se permet de long moments contemplatifs, entrecoupés de scènes d’action. Cela est flagrant dans le large écart entre les anime adaptés de mangas et réalisés par Oshii, et les mangas originaux [« Urusei Yatsura », « Patlabor », « Ghost in the Shell » 5


ont davantage de ressorts comiques et/ou relèvent plus du divertissement que leurs versions filmées]. Ces pauses permettent généralement de développer des réflexions métaphysiques, exprimées par les personnages principaux eux-mêmes. Certains éléments visuels sont récurrents chez Oshii, tels les chiens, et notamment le basset (il a lui-même deux chiens dont un basset nommé Gabriel).

6


|Présentation du film| Nom original : « Inosensu: Kokaku Kidotai »

[ Affiche (USA) ]

7


Résumé L’histoire a lieu en 2032. Le perfectionnement des androïdes et des cyborgs a rendu de plus en plus floue la frontière entre humains et machines. On retrouve les personnages de la section 9 (service étatique à mi-chemin entre la police et les services secrets), issus du premier Ghost In The Shell, dont les deux principaux : Batou, cyborg complet, ancien soldat, un des plus anciens de la section 9, et Togusa, ancien policier, dernier membre à avoir intégré la section, et membre le moins cybernétisé de la section. Ces deux officiers spéciaux de la section 9 sont envoyés enquêter sur la firme Locus Solus [« lieu isolé » en latin, nom issu du roman utopiste éponyme du français Raymond ROUSSEL] dont plusieurs androïdes ont tué leurs propriétaires. Leur enquête les mène à rendre diverses visites : dans un laboratoire de police scientifique, chez les mafieux, à travers une cité bas-fond, dans le manoir d’un hacker de génie, et finalement sur le navire-usine de Locus Solus où ils trouveront la clé des meurtres.

Informations complémentaires sur le film -durée : 99 minutes -20 millions de dollars de budget -Présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2004

8


|Étude d’un extrait|

Le laboratoire de police scientifique

9


Notes préliminaires Dans l’étude de cette séquence, je vais porter mon attention sur les couleurs, non dénuées de signification. Il semble possible d’affirmer qu’il s’agit d’un code visuel tacite, lié à la nature des personnages et choses présentes. L’hypothèse principale de lecture de cette séquence est évidemment le sujet explicite du film, c’est-à-dire que les formes de vie mécaniques (les androïdes) et biologiques (les humains plus ou moins cybernétisés) sont équivalentes. Pour cela, tous les détails humanisant les machines (ou non), et déshumanisant les êtres humains (ou non) seront relevés. Toute autre interprétation semble difficile. De manière générale, Innocence n’est pas vraiment basé sur l’ambiguïté entre différents niveaux de compréhension qui s’opposent pur juger et critiquer, mais plutôt sur la subtilité dans la manière dont ses différentes couches de sens se complètent et se renforcent sans se contredire. Il relève plus de l’essai que de l’allégorie. Ce film est déjà suffisamment riche, vu ainsi.

10


Début de la séquence : 13e minute, 07 secondes [Avant cette séquence : Batou et Togusa se rendent au laboratoire

de police scientifique du commissariat du quartier où a eu lieu le dernier accident impliquant les androïdes de Locus Solus. La séquence précédant celle sur laquelle va porter l’étude est une discussion émaillée de citations littéraires entre Batou et Togusa dans l’ascenseur. La séquence étudiée recouvre toute la période où Batou et Togusa sont dans le laboratoire.] La séquence débute dans le silence le plus total par un travelling vertical sur un objet indistinct, enveloppé dans une sorte de cellophane de couleur dorée ou ambrée pouvant évoquer l’ambre dans laquelle sont parfois piégés des insectes. L’objet ressemble à première vue à la sphère munie d’une épine dorsale vue lors du générique du film [la fabrication d’un androïde type Hadaly]. Mais la caméra en remontant, et l’objet en tournant, révèlent qu’il s’agit d’un bras d’androïde arraché. Il semble écorché, bien que les multiples fils, câbles et trappes rappellent son origine artificielle ; il reste pas moins un trouble induit par ce mélange involontaire chez le spectateur entre organique et mécanique. Le bras et surtout la main sont figés dans une posture dramatique, tendus vers le ciel. Sans transition, avec un léger glougloutement « organique » en arrière-fond sonore, on voit des boules faire le ludion dans un liquide de couleur encore une fois ambrée. Ces sphères ressemblent à nouveau à celle qui constitue les articulations des androïdes Hadaly, sauf que, chose que l’on ne voit qu’après quelques instants, ce sont des globes oculaires. Ils ne sont évidemment pas de la même taille que les articulations : ce n’est que là que l’on réalise que l’on est en gros plan. Le choc habituellement induit par le gros plan brutal est renforcé par le report de l’effet. De plus, le sens porté par cet effet filmique – faire du spectateur un voyeur – se reflète dans ces globes oculaires, dont l’un, presque au milieu, semble presque nous regarder, ce qui nous gêne – le voyeurisme, c’est voir sans être vu –, puis regarde vers le haut, vers le ciel, en écho de la main tendue. 11


La scène suivante est un panoramique circulaire centré et orienté en légère contre-plongée sur une tête d’androïde. On voit d’abord sa nuque et l’on finit sur son visage. La longue distance focale fait défiler l’arrière-plan, à savoir le plafond et les murs blancs et fortement éclairé du laboratoire, à une vitesse modérément rapide. On croirait voir une pièce de musée exposée sur un plateau tournant. La tête est faite d’un crâne gris graphite [voir photo d’ouverture de cette partie du rapport] avec des inserts de couleur cuivrée terne. C’est la structure apparente du robot, comme vu en éclaté. Tout est rutilant, tout brille sous la forte lumière blanche qui nimbe la scène, et qui éblouit parfois la « caméra ». À ce gris, s’oppose le visage du même androïde, aux contours nets, vaguement féminins, semblable à un masque lisse d’un blanc nacré, ou plutôt un blanc digne de la porcelaine dont on faisait jadis les poupées, ou digne du marbre des statues antiques qui semblent si vivantes. Il évoque le sommeil, la « petite sœur de la mort ». Or un robot n’est pas vivant. Même s’il bougeait, il serait selon notre définition humaine « mort » ; il n’est jamais vivant. Mais cette apparence de sommeil, paradoxalement, par sa position intermédiaire entre la vie et la mort, donne un aspect plus vivant au robot.

12


Brutalement encore, on passe à un autre type de robot, qui n’a plus rien d’humain celui-là, ni de vivant, bien qu’il bouge : le robot de relevé médical. Il est beaucoup plus fonctionnel, ce que traduit d’ailleurs sa couleur plus grisâtre. Il est filmé de trop près, ce qui achève de surprendre le spectateur déjà brutalisé par l’absence de transition. Ce robot est réellement inhumain, avec ses mouvements trop rapides et proches de ceux d’un serpent ou d’un tentacule. Un casier derrière le robot porte l’inscription « os pubis », l’os généralement utilisé en médecine légale pour déterminer l’âge d’une morte. Et par-dessus tout, il déploie son tentacule, avec, à son bout, des pinces entourant un œil unique, exorbité, qui, comble de l’horreur, nous regarde, puis passe à côté de nous (i.e. hors champ). Bref, tout concourt à nous faire détester ce robot-ci. Oshii serait-il donc anthropocentrique au point de rejeter et de nous faire rejeter ce qui ne correspond pas à nos canons de l’esthétique ? Pourtant, après une scène de transition, nous partageons ce que cet œil voit, lorsqu’il plonge dans la carcasse de l’androïde de type Hadaly abattu par Batou lors de l’introduction du film. [Aparté sur l’androïde (ou gynoïde) Hadaly : signifie « idéal » en

persan. Vient du roman « L’Ève future » de l’auteur français Villiers de l’Isle Adam, roman apparemment beaucoup plus connu en version anglaise que française, et dont un extrait ouvre le film. Dans ce roman, Hadaly est un androïde créé par Thomas Edison (avatar romanesque du véritable ingénieur Edison) pour un ami, jeune lord qui se morfond de ce que sa petite amie, bien que très belle, soit irrémédiablement « sotte ». Edison lui fabrique donc une copie tout aussi belle physiquement, et très améliorée intellectuellement. Il est à noter que ce roman est décrit par beaucoup comme « très opaque et complexe», ce qui était voulu par de l’Isle Adam qui prétendait s’adresser à des gens qui « sachent lire », et est à rapprocher de l’opacité dont fait parfois preuve ce film. http://www.philagora.net/ph-prepa/le-corps/corps-creation.htm 13


L’apparence physique des gynoïdes de type Hadaly n’est pas une création des designers travaillant pour ce film. Oshii a été grandement inspiré par les œuvres d’art du plasticien surréaliste français d’origine allemande Hans BELLMER (1902-1975). Batou trouve d’ailleurs l’hologramme de la petite fille dans un recueil photo poétique de Hans Bellmer, chez le responsable qualité de Locus Solus assassiné, dans la séquence qui suit celle étudiée. Plus de références pourront être trouvées ici : -dossier sur Bellmer, par le Art Institute of Chicago http://www.artic.edu/reynolds/essays/taylor.php

-galerie photo d’œuvres de Bellmer : http://ebanjohnson.com/BELLMER/sculpture.htm

-un article d’un blog qui fait le lien entre Innocence et Bellmer : http://homepage.mac.com/cpaul/iblog/C1435984902/E518257862/ Une dernière référence visuelle mérite d’être signalée, c’est celle du réalisateur Chris CUNNINGHAM et de son clip pour la chanson de l’artiste islandaise Björk « All Is Full Of Love ». http://www.glassworks.co.uk/search_archive/jobs/bjork_all/ http://unit.bjork.com/specials/gh/SUB-01/index.htm]

La vue subjective du robot médical utilise exclusivement des nuances d’orange doré et ambré. La signification de cette couleur n’est donc pas restreinte à un parallèle avec l’ambre qui piège les insectes. C’est en fait – et on a l’occasion de le voir tout au long du film – la couleur systématiquement employée pour tous les éléments de l’environnement qui contiennent de l’information. Le détecteur de poursuite des voitures est de la même couleur, tout comme la lumière qui nimbe toute la division économique spéciale d’Etorofu que survoleront plus tard Togusa et Batou, décrite comme « le plus grand centre d’information de l’est », tout comme les panneaux indicateurs dans cette ville, tout comme la vision « augmentée » de Batou, les écrans d’Halloway, la carte de police de Togusa, etc.

14


L’information fige un état présent du monde, comme l’ambre, et dans ce futur cyberpunk, il a une grande valeur, comme l’or, au point de faire naître des cités [parallèle avec la ruée vers l’or en Amérique]. Le programme informatique du robot reconnaît et analyse les impacts de balle. On voit alors apparaître « Ballistic Resaerch [sic] Completed » ; « research » est l’orthographe correcte. Deux interprétations sont possibles. Une recherche Google permet de voir que c’est une faute très courante : environ 33400 pages contiennent la forme erronée. Un des infographiste a pu la faire. Ou alors c’est une manière de rappeler que le progrès technique n’empêche pas les erreurs. L’autre interprétation est une référence à aller chercher plus loin dans le film (1H10mn) dans l’histoire du Golem, où la syllabe « ae » est d’une importance capitale pour ledit Golem, puisqu’elle marque la différence entre sa vie et sa mort. Les balles ont aussi marqué la limite entre la vie et la mort du robot Hadaly détruit par Batou. Un panoramique gauche-droite nous met enfin en présence de l’ « esprit des lieux », la scientifique Halloway. [Donna Haraway est Ph.D. (« doctor in philosophy ») de biologie

à l’université de Yale, est aujourd’hui professeur d’histoire de la conscience à l’université de Californie, et est connue pour avoir rédigé « Simians, Cyborgs, and Women : The Reinvention of Nature » (1991) considéré comme un texte faisant autorité en matière d’analyse politique des relations futures entre humains, cyborgs et machines. Elle est aussi féministe, ce qui peut donner un double sens au refus d’Halloway d’être appelé « mademoiselle » ou « madame » : est-ce par féminisme ou parce qu’elle considère être une machine, donc supposément sans genre ? Les différences de prononciation entre anglais et japonais, ainsi que le côté artisanal du sous-titrage ont transformé Haraway en Halloway. Sur le site officiel du film (www.innocence-movie.jp), le nom de ce personnage est orthographié « Hallaway ».]

15


Un très léger mouvement de travelling avant en même temps que le panoramique laisse penser que nous voyons la scène avec les yeux de Batou ou Togusa [fort improbable concernant ce

dernier : on ne voit jamais à travers ses yeux au cours du film, au contraire de Batou (cf. la séquence d’introduction)], qui viennent d’entrer. Néanmoins, quand elle se tourne, elle regarde un point hors champ et non pas en direction de la « caméra ». Nous ne sommes donc pas en train de voir à travers les yeux de Batou [de

toute façon, celle-ci est très spéciale, « augmentée », i.e. couverte d’informations en superposition]. Notre vision est dépersonnalisée depuis le début de la séquence et le restera jusqu’à la fin, et ce n’est pas le moment où nous avons vu à travers les yeux d’une pure machine mécanique comme le robot médical, qui n’est qu’un instrument, qui va changer cela. L’apparence physique d’Halloway (cheveux courts et blancs, yeux verts d’eau éclatants, visage assez vieux, peau blanche) est à retenir pour plus loin. Le laboratoire contraste fortement avec l’ascenseur délabré qui y mène et le côté décrépi, bondé, insalubre, étouffant, obscur, crasseux et chaotique – les gens mangent, jouent aux cartes, un jongleur se fait mettre à terre – du commissariat situé au-dessus d’un marché. Il fait pourtant partie du même bâtiment). Là-bas, c’est le règne des humains, règne animal ; ici, dans le laboratoire, c’est le règne des machines, où tout respire l’ordre et la propreté. C’est aussi un endroit sans animation, mort, froid comme une morgue. Voilà les valeurs associées aux humains et aux machines. Un contre-champ en contre-plongée avec Halloway en premier plan nous fait regarder dans sa direction, « par-dessus son épaule », les deux « intrus » qui se dressent devant elle : Batou et Togusa. Ces derniers adoptent deux postures très différentes, révélateurs de leur nature. Togusa, presque totalement humain, prête attention à son interlocutrice, montre de manière évidente qu’il ressent le froid qui règne dans le laboratoire et qui fait se condenser sa respiration. Batou, cyborg total (c’est-à-dire son cerveau est le seul reste de son ancien corps, celui-là étant 100% artificiel), ne semble pas ressentir le froid et se désintéresser 16


d’Halloway. Cette dernière a une attitude composite, qui n’apparaît pas au premier visionnage : elle prête attention à Togusa - du moins au début – mais ne semble pas ressentir le froid malgré ses habits légers, et ne fait pas de buée. C’est un des premiers indices qu’Halloway est un cyborg. Les paroles d’Halloway envers les androïdes sont un curieux mélange d’attention (« L’homme qui a dégommé cette fille ») et de dédain (« Si seulement [vous aviez utilisé un plus petit calibre], on aurait pu récupérer le robot ») envers les androïdes. On verra au fil de son discours qu’elle a une réelle affection pour les machines, mais que cette compassion prend une forme plutôt étrange, plus proche de la pitié pour un animal domestique. Elle donne de manière générale, par sa posture souvent adossée à son siège, le ton de sa voix, son débit monotone, la négligence avec laquelle elle manipule du bout des doigts la cartouche, une impression de lassitude. Elle est cadrée assez large et surtout elle est en léger contre-jour (même si la lumière ambiante de type « bloc opératoire » dissout toute ombre) : elle présente à Togusa et Batou (comme à nous-même, après un contre-champ à 180° sur le même axe de vision) sa face sombre, au propre comme au figuré.

La réaction du « bureau » lorsqu’elle pose la cartouche dessus est remarquable. Ce bureau n’est qu’une interface avec une base de donnée, mais son côté tactile a un petit quelque chose d’organique, et le gros plan attire notre attention dessus. 17


Après ce « coup d’œil », la caméra revient à sa position et à son cadrage initial, i.e. quand Halloway s’est retournée la première fois vers Togusa et Batou. C’est un plan de transition. C’est dans ce plan, pourtant, qu’Halloway lâche une information importante ; mais justement, le classicisme de ce plan correspond à la tranquillité, l’absence d’emphase, avec laquelle Halloway dit le mot qui choque Togusa et surtout Batou : « suicider ». On passe alors à un plan cadré aux épaules complètement sur le côté de Batou, qui se retourne, mais pas dans notre direction. La scène suivante montre qu’il ne s’est pas non plus tourné vers Halloway. En fait, depuis le début, Batou donne l’impression de tout voir : il parle à Halloway sans la regarder, il se détourne d’elle lorsqu’elle lui fait des reproches en évitant consciencieusement de braquer son regard vers elle, il regarde en permanence dans le vide. Associé à ses yeux artificiels, il donne l’impression d’être un aveugle omniscient. Ou bien d’être une marionnette, dirigée par un marionnettiste doté d’une vision plus globale de la scène. Ici, sa pose est plus dramatique qu’utile : il montre physiquement qu’il marque le coup, qu’il est surpris, mais plus comme une machine ayant un bogue que comme un humain.

Halloway allume une cigarette. La flamme du briquet est quasiment invisible dans la brillance ambiante. L’être humain a tiré toute sa puissance de la maîtrise du feu, mais celui-ci est maintenant occulté par le progrès technique et ramené à des usages plus triviaux. Il ne mérite même pas un gros plan. Elle semble bien profiter de sa cigarette ; ce point est à mettre en 18


perspective avec la fin de la séquence. En quoi un cyborg complet a-t-il besoin de fumer ? Quel intérêt y trouve-t-il ? On peut alors se souvenir d’une scène du premier Ghost in the Shell où le major Kusanagi, buvant une bière après une plongée, fait la remarque que de toute façon l’alcool n’a aucun effet sur elle, alors à quoi bon boire de la bière ? Et pourtant elle le fait, parce que c’est la marque qu’elle a été humaine autrefois. Peut-être la cigarette, cet autre « vice », est le symbole qui rattache Halloway à son ancien moi, qui lui permet de se prouver à elle-même qu’elle n’est pas qu’une machine mais bien une créature avec un « Ghost ». [Ghost : (en anglais : le fantôme, l'esprit) fait référence à l'esprit, à

l'âme humaine ; Shell (en anglais : la coquille, la carcasse) fait référence à l'enveloppe humaine robotisée. Le Ghost (en anglais dans le texte original) est ce qui fait la différence entre les robots et les humains. C’est un phénomène qui apparaît spontanément dans un système qui a atteint un certain niveau de complexité. Il a été emprunté par l’auteur du manga « Ghost in the Shell » original à l’essai du structuraliste Arthur KOESTLER, « Le fantôme dans la machine ». Cette expression vient du philosophe anglais Robert RYLE, et servait à railler le dualisme cartésien : la séparation entre le corps et l’esprit. La philosophie de Ghost in the Shell sur ce point est composite : le Ghost est une sorte d’âme, mais il est fortement modelé par le corps.] Le long plan totalement immobile qui suit (Togusa semble ne même plus respirer, vu l’absence de buée, et ne cligne pas des yeux un long moment), dans un silence complet, avec Togusa qui reste littéralement bouche bée, montre qu’il ne prend conscience que maintenant de l’énormité de ce que vient de dire Halloway, ce qui laisse aussi le temps au spectateur qui n’a pas compris les sous-entendus impliqués dans « suicider » de s’en rendre compte. Il finit par cligner des yeux, ce qui rompt ce qui ressemblait jusque-là à de l’hypnose. Ils ont semblé un instant dépouillés de toute vie à l’annonce qu’un robot puisse manifester un comportement qui n’est pas qualifiable d’ « autodestruction » mais de « suicide ». C’est d’ailleurs l’objet des répliques qui suivent. 19


[Les trois lois de la robotique : postulées par Isaac ASIMOV,

auteur de science-fiction américain renommé. • Loi 1 : Un robot ne peut pas nuire à un humain ou, restant passif, laisser un humain en danger. • Loi 2 : Un robot doit toujours obéir à un être humain, à moins que cet ordre soit contraire à la Première Loi. • Loi 3 : Un robot doit se protéger lui-même, à moins que cela n'aille à l'encontre de la Première et/ou de la Deuxième Loi. Ces trois lois contrent le « syndrome de Frankenstein », i.e. la créature qui se retourne contre son créateur, et donc permet à Asimov de peupler son futur de robots humanoïdes sans frictions avec les humains. Pourtant, dans quasiment tous ses romans et nouvelles qui utilisent ce thème, Asimov n’aura de cesse de chercher à mettre en échec ses trois lois.] Halloway ressemble ici, par son apparente tendance à ne pas regarder les gens à qui elle parle, à Batou. C’est un nouvel indice de ce qui sera révélé à la fin de la séquence, mais qui n’est pas du tout évident à la première vision, à savoir qu’Halloway est aussi un cyborg total. Le fait que ce soit eux deux qui parlent le plus « philosophie », quand Togusa souhaiterait revenir à des choses « plus concrètes », ajoute à leur ressemblance. Grâce ou à cause de son statut de cyborg total, mais au comportement si humain qu’il faut attendre la fin de la séquence pour comprendre ce qu’elle est réellement, elle est celle qui fait le plus preuve de compréhension envers les machines, et qui les assimile dans l’ensemble des êtres vivants « respectables ». Mais intégrer cette part d’inhumanité déforme le point de vue d’Halloway sur l’humanité. L’atmosphère du film est frappée d’étrangeté à chaque fois qu’elle commence à exprimer le fond de sa pensée. Un faible son, comme un souffle retravaillé à l’ordinateur, est perceptible lorsque la caméra fait un gros plan sur l’un des robots aux orbites vides, suspendus en rang par la nuque comme des pendus [chez les « vrais » pendus (je veux dire

« humains »), ce sont les yeux qui sont mangés en premier par les charognards]. Un faible tintement de cloches ou de gong avec réverbération et longs silences se fait de plus en plus audible tout au long de la séquence à partir de là. Batou se tient devant l’une 20


des gynoïdes enveloppé de plastique doré, dont des câbles sortent du corps comme des viscères, mais avec une disposition géométrique qui illustre encore une fois le mélange de l’organique et de l’inorganique, tout comme ce corps exhibé en panoramique vertical dont on ne sait s’il est nu ou habillé, tant les détails physiques sont atténués, et dont le visage sur lequel s’attarde un gros plan n’est autre que celui d’Halloway en plus jeune – même cheveux blancs, coupés courts, et yeux verts – nouvel indice laissé au spectateur sur la nature de cette dernière.

Togusa se détourne justement au moment où Halloway le regarde avec un air moins froid que jusqu’à présent ; lui aussi se sent las, quoique de manière plus humaine. Les robots aveugles et pendus semblent soudain l’intriguer et l’effrayer, tout comme l’est le spectateur qui a senti leur présence dans les yeux de Togusa avant de les voir en raccord regard. Il est nerveux : il se retourne brusquement quand Halloway reprend la parole. Ces robots l’intriguent, comme on peut l’être par des objets aussi singuliers dans leur apparence, et ils l’effrayent aussi, ce qui prouve qu’il y voit plus que de simples objets. 21


Le blanc est usuellement associé à la pureté [du moins chez les occidentaux et les asiatiques auxquels s’adresse ce film]. Effectivement, les machines sont pures de tout péché originel. Ca ne les a pourtant pas empêché de tuer, et de se retrouver pendues ici, sans yeux, sans bras, sans jambes, ou avec les « tripes » qui pendent de leur ventre béant. La chair et le métal se rejoignent encore. On a la répétition de la scène avec le robot. Néanmoins, on trouve de petites différences. Cette fois, l’œil se déploie et va vers le spectateur au lieu de sortir du cadre. Et lorsque l’on passe en vue subjective, en voyant ce que le robot médical voit, on ne regarde que la tête du Hadaly endommagé vers laquelle on s’avance en travelling avant, pour être amené sans transition (on peut quand même voir cela comme un raccord regard) en gros plan en travelling avant sur un œil dudit Hadaly, qui semble être encore animé par de très légères irisations. Halloway parle de ces androïdes en les appelant robotsanimaux, ce qui finalement résume assez bien sa position vis-à-vis de ceux-ci : ils n’appartiennent pas au genre humain, mais ils méritent d’être respectés par ceux-ci. Batou est animé des mêmes sentiments : il a dans le film une très grande affection pour son chien [un basset évidemment ; le film se fermera d’ailleurs sur l’image de Batou tenant son chien dans ses bras]. 22


Halloway répète trois fois à peu près la même question sur le pourquoi de l’existence d’androïde. Une telle redondance en fait à la fois une question et une plainte. Mais c’était bien une question, rhétorique puisqu’elle y répond juste après. Avant cela, une pause narrative oppose Batou, regardant vers la droite du cadre, à Togusa, regardant vers la gauche ; la vue en plongée totale sur la tête du Hadaly à moitié déboîtée, à l’envers, mais parfaitement centrée, parachève l’effet de symétrie par rapport à l’axe central, s’il n’y avait ce tentacule hideux du robot médical, dont nous partagions pourtant la vue, on s’en rend compte maintenant, lors du gros plan sur l’œil. Mais cette fois-là, pas de vision orange. Il fallait voir le code des couleurs : la peau blanche, les yeux verts, caractéristique des gynoïdes et d’Halloway.

Puisque Halloway exprime son point de vue, la scène est à nouveau filmée sous un angle bizarre : les dessinateurs ont émulé l’effet d’une lentille « fish eye », c’est-à-dire très grand angle, très déformante, qui bombe et grossit le visage de Togusa, et permet de voir Batou statique devant les robots sous cellophane doré. 23


Halloway délivre son argumentation. Togusa n’y adhère pas : son point de vue est trop humain, au contraire de celui de Batou, qui acquiesce. Pourtant, tout au long des longues secondes que dure la scène, Togusa demeure obstinément figé comme un robot grippé, le seul mouvement venant du reflet des écrans clignotant dans ses yeux, i.e. étant d’origine artificielle. La mise en scène insiste donc sur l’absence de distinction entre l’organique et l’inorganique, que l’invocation de Descartes achève de valider, dans un plan parfaitement identique au précédent à ceci près que Batou et Togusa ont renversé leurs places.

[Francine : une rumeur populaire et posthume voulait que

Descartes ait fait une poupée à l’image de sa fille morte et l’ait aimé comme sa vraie fille. Variante de cette rumeur : le désintérêt de Descartes pour le sexe a laissé certains penser que c’était un automate sexuel. Rapprochement intéressant à faire avec les gynoïdes Hadaly, dont l’usage exact est l’objet de la scène suivante. http://www.emich.edu/studentorgs/bhouse/SarahHigley/melnot es.html#6] Le plan suivant montre qu’Halloway, quand elle ne regarde pas Togusa, ne regarde pas pour autant dans le vide : depuis le début, c’est le Hadaly détruit par Batou qu’elle regarde comme si c’était le cadavre d’un proche. Mais de notre point de vue (scène suivante), on voit l’intérieur de la carcasse visiblement artificielle du Hadaly. Décidément, la composition des plans compense 24


invariablement toute tentative déshumanisation par son contraire.

d’humanisation

ou

de

Vient enfin la révélation du rôle exact imposé aux Hadalys : ce sont des robots sexuels. L’artifice cinématographique employé est assez classique : un gros plan sur les yeux d’Halloway nous montre qu’elle ne plaisante pas et qu’elle nous met dans la confidence, derrière un rideau de fumée qui ne cache pas son regard. La réaction de Togusa est parfaitement cohérente : il distingue hommes et machines, et n’aime pas l’idée de ce genre de « fusion » entre la chair et le métal. Le plan suivant semble déjà vu : contre-champ en plongée légère par-dessus l’épaule de Togusa vers Halloway et son bureau, sauf que cette fois nous avons une meilleure vue du bureau, et notamment, en plein milieu : le visage en éclaté du Hadaly, juste au moment où il s’est fait abattre dans la scène d’introduction. On le voit encore mieux quand la caméra se rapproche de la main d’Halloway lançant le fichier sonore. Ce visage horrible a, une fois de plus, un côté organique qui le rend important dans notre interprétation : il ressemble à un visage humain écorché. Pour la première fois, les trois personnages regardent dans la même direction, et cette direction est celle de la représentation du fichier sonore sur le spectroscope, et c’est aussi celle du spectateur. Avec la contre-plongée, ils semblent nous jauger du regard : comment allons-nous réagir à ce qui va suivre ?

25


Commence alors ce que l’on pourrait qualifier de « séquence clip », bien qu’il n’y ait aucune musique : juste ce « toskegen » (« aidez-moi ») débité et répété mécaniquement au point d’en devenir hypnotisant, hypnose que ne rompt pas le montage qui change de plan en rythme avec la scansion du « toskegen ». Les trois plans sur le spectroscope en relief en contre-plongée et gros plans de plus en plus importants nous abaissent devant cet appel au secours.

Et cet appel au secours, par sa répétition, par le montage d’images de têtes d’androïdes qui l’accompagne, semble se répercuter, faire écho, être prononcé en silence par l’ensemble de ces robots qui nous dominent tous, sensation créée par la contreplongée. 26


C’est finalement Batou qui rompt l’ensorcellement induit par ce son indubitablement mécanique, en plus superposé à un « bipbip » électronique en fond sonore qui sonne comme une alarme, et qui pourtant exprime un appel face auquel tout humain réagit instinctivement par la compassion. Le relâchement d’Halloway vient en écho du notre. La mise en scène qui précède a mis l’accent sur l’importance de ce son, importance accentuée encore par la brutalité de sa coupure, brutalité accentuée par un raccord causal inversé : on voit et on entend d’abord la conséquence (le son coupé au milieu d’un mot), puis son origine (Batou qui a touché le bureau). 27


Le lien qui retenait Batou et Togusa ici est aussi brisé. La gêne engendré par l’appel au secours coupé et par la posture d’Halloway, qui semble effondrée, est amplifiée par la tête de robot conservée dans un bocal façon « laboratoire de curiosités » qui apparaît en arrière-plan à côté de Batou, et par un plan symétrique à celui qui commençait le clip, où les trois personnages nous tournent cette fois le dos.

Il reste une scène importante dans cette séquence, puisqu’elle donne une perspective particulière à tout ce qui précède. La façon « classique » de filmer Halloway quand elle révèle, d’une manière qui en plus porte atteinte à ses 28


remarquables yeux [on dit des yeux qu’ils sont la « fenêtre de l’âme »], qu’elle est un cyborg total, ce que semblait de plus déjà savoir Togusa, parachève le message porté tout au long de cette séquence : le mélange de l’humain et du machinique est totalement normal dans ce monde-là, et il nous est étranger [malgré tous les détails vus ici ou ailleurs dans le film qui nous

raccrochent à notre présent : les vieilles voitures de membres de la section 9, les magasins, les cigarettes et les verres en plastique, etc.]

Fin de la séquence : 20e minute, 13 secondes

29


|En conclusion|

Pourquoi cette histoire devait prendre la forme d’un dessin animé

30


Quoi de plus approprié qu’un dessin animé pour traiter de l’existence de l’âme ? La remarque ci-dessus peut surprendre, et surprendra celui qui associe spontanément « dessin animé » avec enfance, c’est-àdire la quasi-totalité des occidentaux, nourris au séries de la Warner et aux films de Walt Disney. A priori, nous voilà bien loin de considérations philosophiques aussi avancées que l’existence de l’âme. Et pourtant… Animé et âme ont pourtant une racine linguistique commune : le latin anima qui signifie « âme ». Le sens ancien du mot « animé » est « qui possède une âme », et non simplement « qui bouge ». On notera d’ailleurs que le dessin animé japonais est appelé « anime » (même prononciation). Les dessins animés auraient-il une âme ? Voyons, qu’est-ce qui a une âme ? « Les êtres humains » est la réponse la plus instinctive. Dans tous les dessins animés, on suit des personnages, représentations plus ou moins fidèle de la forme humaine ; et tous ces êtres sont perçus par nous, spectateurs, non comme des tâches de couleur – ce qu’ils sont pourtant par leur nature même : la pellicule n’est pas ici un intermédiaire entre la réalité d’une scène qui a réellement eu lieu et notre rétine –, mais bien comme des entités ayant le même statut que des acteurs. Ce n’est pas pour rien qu’au cours de cette analyse, j’ai du me servir des mêmes outils que pour n’importe quel film, quitte à parler de la « caméra » alors qu’il n’y en a jamais eu. Que des formes à figure humaine acquièrent à nos yeux le même statut que de vrais humains, fait écho, via la forme, à ce sur quoi Innocence essaie de nous faire réfléchir, via le fond, i.e. le statut de ces objets à figure humaine que sont les androïdes. Il me semble rare de trouver une telle cohérence fond/forme dans le cinéma d’hier et d’aujourd’hui.

-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:31


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.