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R.J. Ellory
La rage d’écrire Au début de l'automne dernier, Les Anonymes, le troisième roman de R.J. Ellory, trônait sur les tables des librairies. Cette fois-ci, la CIA et Washington forment le décor de son nouveau polar. Rencontre avec un américanophile de choix. Par Rachèle Bevilacqua / Photos Paolo Bevilacqua
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uatre meurtres. Quatre modes opératoires identiques. Et cette odeur de lavande que l'on retrouve sur chaque corps auquel une petite étiquette est accrochée. L'inspecteur Miller et son adjoint, Roth, pensent à un serial killer mais, rapidement, ils découvrent qu'une des victimes vivait sous une fausse identité. Quelqu'un se joue d'eux. Les Anonymes est le troisième roman de Roger Jon Ellory publié en France. En Angleterre, où il est né et habite, il en compte déjà huit. L'homme s'est révélé à son public français en 2007 avec Seul le silence – vendu à 240 000 exemplaires – sur lequel plane la présence silencieuse et invisible de Truman Capote, un auteur qu'il admire. La particularité d'Ellory est de ne pouvoir imaginer ses histoires qu'aux États-Unis, un pays qui le fascine. Il y revient pour chacun de ses ouvrages. Avec Les Anonymes, il s'est plongé dans le Washington des années 1980 et l'histoire de la CIA. Ce cadre lui permet d'explorer le désir d'un homme souhaitant contribuer à une société juste. Mais au nom de cet idéal, ce dernier bafouera l'essence même de sa conviction : le respect de l'individu. Ellory interroge le libre-arbitre, la recherche de la vérité, de l'absolu, et ausculte l'influence d'une culture, de l'Histoire, sur le parcours d'un individu. L'automne dernier, Alibi l'a rencontré à Paris dans un hôtel du 5e arrondissement.
Qu'est-ce qui vous attire dans le personnage du flic et du meurtrier ? Comment naissent-ils ? Comment leur donnez-vous corps ? Je ne les crée pas consciemment. Je parle beaucoup avec des détectives anglais, américains ou canadiens. Ces conversations nourrissent mes personnages et les rendent crédibles. Ce métier est loin de l'image romantique que l'on s'en fait. Le processus de l'enquête est laborieux, lent, très lent, frustrant et il demande une patience extraordinaire. Les gens qui connaissent la vérité ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent généralement pas grand-chose ou mentent. Quand la vérité apparaît, elle se fait jour très progressivement, mais souvent, il est difficile de la prouver. Cet état de choses influe sur la vie de Miller, sur celle de Frank Parish dans Saints of New York – ou encore sur celle de Madigan dans Dark and Broken Heart (titre provisoire, à sortir en 2012). Ce dernier est, par exemple, né suite aux entretiens que j'ai eus, en Virginie, avec une détective spécialisée dans les meurtres. En dehors de son métier, cette femme n'a pas de vie. Seul son portable professionnel sonne. Elle n'est pas mariée, n'a pas
d'enfants, a des histoires amoureuses peu concluantes et souvent avec d'autres détectives. Je suis fasciné par ces gens qui sacrifient leur vie pour trouver une vérité dont tout le monde se fiche, sauf ceux qui sont concernés par le drame. Pour les meurtriers, j'ai eu envie, comme dans Vendetta, de montrer des personnages horribles mais qui vont susciter de la compassion car, malgré tout, ils ont un code de conduite et ne se compromettent pas. Ernesto Perez était un bon père… Vous êtes attaché à cette idée qu'une personne détestable peut aussi se révéler être bonne, humainement. On trouve souvent une gentillesse et une humanité exceptionnelles chez les personnes qui vivent dans une grande détresse ou dans des conditions difficiles. Ceux qui ont le moins donnent souvent bien plus. Vous le dites par expérience ? Oui. J'ai grandi dans un orphelinat et j'ai rencontré des gens formidables. J'ai aussi constaté la grande gentillesse de certains prisonniers. Je les ai un peu fréquentés quand j'ai été condamné pour braconnage. Aujourd'hui, je mène un travail avec des gens illettrés, des alcooliques et des drogués, et à nouveau, je note une grande sensibilité et un grand cœur. Enfin, des policiers m'ont souvent parlé de criminels, de personnes peu fréquentables, qui pourtant font preuve d'une compassion et d'un optimisme étonnants. Les gens qui ont une vie facile tendent à ne pas être ceux qui vont aider les autres. La condition humaine me passionne et le polar est le genre littéraire le plus approprié pour enquêter sur le sujet. Il permet de parler de gens ordinaires qui se trouvent dans des situations extraordinaires et d'aborder un très large éventail de sentiments.
“Je suis fasciné par ces gens qui sacrifient leur vie pour trouver une vérité dont tout le monde se fiche, sauf ceux qui sont concernés par le drame.“ Prenez-vous du plaisir à écrire les scènes de meurtre ? Oui ! C'est un exercice qui demande une forte imagination et qui vous donne beaucoup d'émotions. C'est comme regarder un accident de voiture au ralenti. Je dois, sans doute aussi, avoir une petite fascination pour le morbide… et pourtant je ne peux pas lire des livres violents. Ma femme a longtemps été étonnée d'être mariée avec un homme capable d'écrire autant d'horreurs. À ce propos, que pense votre femme de vos livres ? Quand Vendetta est sorti, elle n'a pas pu aller plus loin que la centième page. “Je suis désolée mais c'est trop violent ”, m'a-t-elle dit. Elle n'avait lu aucun de mes livres. Lorsque nous allions à des signatures ou à des lectures, les gens lui demandaient ce qu'elle pensait de l'ouvrage. Elle rétorquait : “C'est une jolie histoire !” On la prenait pour une folle. Je l'ai donc encouragée à lire Seul le silence. Elle l'a aimé et elle a lu les autres. Aujourd'hui, c’est une inconditionnelle de Vendetta et elle a compris que la violence n'est qu'un élément de l'histoire qui, elle, va bien au-delà. Ceci dit, il me semble que le goût pour un livre est aussi personnel que le désir de coucher avec une personne… Vous êtes plutôt l'inspecteur Miller ou le tueur Robey ? Robey, car je suis un idéaliste. Il réfléchit. En fait, je suis les deux, comme Conan Doyle qui était à la fois Holmes et Watson. Miller Saison1-Hiver
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aussi me ressemble dans sa faculté d'étonnement et sa capacité à parfois se sacrifier. Qu'est-ce qui vous pousse à écrire un roman ? La fin du précédent ! J'adore ce moment où mon bureau est rangé et est prêt à accueillir une nouvelle histoire. Je ne fais ni plan, ni synopsis, je n'ai qu'une vague idée de ce dont j'ai envie de parler. En revanche, je décide de l'époque, du lieu dans lequel le récit va se dérouler et je réfléchis à la façon dont je peux troubler le lecteur, le faire trembler ! ELLORY, GUITARISTE La musique, le blues en particulier, tient le premier rang dans la vie d'Ellory. Il est intarissable sur le sujet des productions de Chess à Charley Patton, Joe Mc Coy en passant par Led Zeppelin, Hendrix ou Joplin. Ellory est luimême musicien. Au début des années 80, il monte un premier groupe, The Manta Rays. Aujourd'hui, il est guitariste au sein de The Renegades et travaille en vue de monter sur scène courant 2011. Antoine Decaunes lui a commandé l'introduction de son Dictionnaire amoureux du rock qui vient de sortir chez Plon.
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“ Faire trembler ” votre lecteur. Mais encore ? Le sujet sur lequel je vais écrire doit me toucher. Pour Les Anonymes, j'étais très étonné, voire indigné, du comportement de la CIA pendant ces cinquante dernières années. Les États-Unis ont bombardé quarante-cinq pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : le Cambodge, le Vietnam, la Corée, l'URSS, le Koweït, le Salvador, le Chili, etc. J'ai choisi le Nicaragua car la façon dont les États-Unis ont agi dans ce pays illustre assez bien la manière dont elle mène sa politique étrangère qui reste, encore aujourd'hui, trop méconnue. Peu savent, par exemple, que dans les années 1980, John Poindexter, conseiller de la Sécurité nationale du président Reagan, et Oliver North, un lieutenant-colonel, ont fait passer clandestinement quarante tonnes de cocaïne, par mois, de Managua à Miami. Ils ont ainsi détruit toute une génération.
Par quels moyens obtenez-vous vos informations ? Je cherche d'abord sur Internet. Je vais sur le site du New York Times pour acheter un ancien numéro du journal ou je télécharge des témoignages, des jugements, des arrêts et des dossiers militaires sur telle ou telle personne. Je travaille comme un journaliste. Je cherche l'info, vérifie la source, la confirme et puis l'utilise. Le métier de journaliste m'a longtemps attiré. Mes fictions ont besoin de s'inscrire dans un contexte historique fort mais cela ne fait pas de mes livres des ouvrages historiques et Les Anonymes n'est pas un livre sur la CIA. Je n'écris pas pour dénoncer un système. Qu'est-ce qui vous a décidé à être écrivain plutôt que journaliste ? Enfant, je n'étais ni un bon élève, ni un bon sportif, mais je m'intéressais à la peinture, à la photographie et à la musique. À l'âge de 22 ans, j'ai rencontré une personne qui m'a raconté l'effet que Hit de Stephen Frears avait provoqué sur lui. Il s'était senti absorbé et captivé par ce livre. Sa façon de me le raconter a agi comme une révélation. J'ai alors su que je voulais écrire. Aviez-vous donc lu Hit de Stephen Frears ? Non, à l'époque je lisais des auteurs américains : Steinbeck, Hemingway, Capote, Hammett, McCarthy. J'aime le rythme, la poésie, l'atmosphère de cette littérature qui n'a rien à voir avec la politesse, le conservatisme de la littérature anglaise qui, au demeurant, est d'excellente qualité. J'ai lu Hit bien plus tard. C'est un livre merveilleusement bien écrit sur l'enfance. Vous aimez le côté brut, “ vrai ”, de la littérature américaine ? Oui, et son côté pionnier. J'aime le Los Angeles de Chandler, d'avant Hollywood, et les étendues désertiques du Montana ou du Texas
BIOGRAPHIE • 1965 Naissance à Birmingham en Angleterre. Il n’a jamais connu son père, et sa mère, actrice et danseuse, meurt lorsqu’il a 7 ans. Après l’orphelinat et l’internat, il est recueilli par sa grandmère maternelle qui décède un an plus tard : il a 17 ans. • 1987 Il écrit son premier roman. Vingt et un autres suivront. • 1993 Personne ne veut le publier. Il arrête d'écrire et enchaîne des petits boulots inintéressants • 2003 Publication de son premier roman, Candlemoth, aux éditions Orion. Il est nommé sur la liste des meilleurs thrillers pour le prix du Crime Writers Association Steel Dagger. • 2006 Il publie Seul le silence, – vendu à 250 000 exemplaires en France –, sélectionné par le Richard and Judy Book Club, l'équivalent anglais du Oprah Winfrey Book Club. Olivier Dahan en a acheté les droits et, avec Ellory, ils ont adapté l'histoire pour le cinéma. • 2010 Sortie de Les Anonymes. Troisième roman traduit en français après Vendetta, vendu à 49 326 exemplaires dans l'Hexagone.
d'Annie Proulx. Pour des raisons qui me sont inconnues, ces images m'ont construit. L'Amérique, sa politique, ses films, ses livres, sa musique, me fascinent et m'inspirent. Je peux aussi bien écrire sur le Washington d'aujourd'hui, comme dans Les Anonymes, que sur la Louisiane, les années 1950 et la mafia dans Seul le silence. J'aime passer d'un univers à un autre et c'est ce qui explique, sans doute, que je ne suis pas un écrivain de séries. Vous écrivez des romans qui se passent en Amérique du Nord depuis toujours et vous n'y avez mis les pieds qu'en 2007. Quelles ont été vos premières impressions ? En réalité, la première fois que j'ai été aux États-Unis c'était en 1993. Mais je n'y suis resté que deux jours. J'y suis retourné en 2007 avec la télévision anglaise, pour faire un documentaire sur Seul le silence. Je suivais les traces de Joseph, mon personnage, et je dois dire que ce fut très bizarre, voire effrayant. J'ai eu l'impression d'être dans ma fiction. Les lieux que je décrivais correspondaient exactement à la réalité. J'ai aussi été très impressionné par le fait que, dès que l'on sort d'une grosse ville, on a le sentiment d'être dans les années 1930. Comme si depuis cette époque, rien n'avait changé. Les Anonymes se passe à Washington. Pour quelles raisons ? Washington est une ville incomprise. Elle abrite le Sénat, le Congrès, la Maison Blanche et les Services secrets. Elle est le centre politique du monde occidental mais elle compte aussi l'un des taux les plus élevés de porteurs du virus HIV du pays, 30 % des hommes noirs américains sont
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séropositifs et la pauvreté dans certains quartiers est dévastatrice. Cette dualité m'intéressait. Pourriez-vous vivre, vous l'Anglais, aux États-Unis ? Of course ! J'adorerais vivre dans l'Upstate New York. J'adore aussi Manhattan. Je suis tombé amoureux de cette ville. Mon éditeur américain a un appartement incroyable, qui vaut dix millions de dollars, à Chelsea. Il me le prête quand je suis en ville. Je m'y installe généralement pour deux semaines. À New York, je marche, je prends des photos et je vais voir des écrivains lire et discuter de leurs livres dans des librairies. Le soir, je vais écouter de la musique. Cette ville regorge de salles aux excellentes programmations. Elle m'absorbe. Que représente l'écriture pour vous ? C'est une vocation. Une raison d'être. Une drogue, une histoire d'amour, une passion. J'écris tout le temps. Quelqu'un a dit qu'écrire est une façon de parler sans être interrompu. C'est ce que je ressens. Écrire me rend heureux. Or comme chacun sait, vivre d'un plaisir, c'est ne jamais devoir travailler… Vous écrivez souvent que les gens oublient, que le monde ne s'intéresse pas au reste du monde. Écrire, est-ce une façon de ne pas oublier ? On écrit par compassion, par rage, pour des raisons politiques, autobiographiques, pour oublier et même parfois pour changer une façon de voir la vie. J'écris à 50 % pour satisfaire mon ego et à 50 % pour calmer mes doutes. Je suis dans une profonde ambiguïté : j'ai le sentiment d'avoir quelque chose à dire de très important et en même temps je trouve mon propos profondément inintéressant. Je ne saurais vous dire pourquoi j'aime écrire. Quelle est la chose la plus facile et la plus difficile à faire ? Commencer un livre est à chaque fois réjouissant. Quand j'en finis
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un, j'en commence un autre immédiatement. Or, c'est à ce moment-là que mon éditeur me demande de faire des corrections sur celui que je viens de lui remettre et, parfois, il lui est même arrivé de me faire lire les épreuves d'un autre. L'exercice est difficile, tout comme l'interview d'aujourd'hui. J'ai écrit Les Anonymes, il y a quatre ou cinq ans, et j'ai évidemment oublié plein de détails. Or certains journalistes aiment les décortiquer. Avez-vous des rituels d'écriture ? Pas vraiment. Lorsque je finis un livre, toutes mes cartes de géographie, mes papiers et tout ce qui m'a servi à écrire mon histoire est mis dans un carton. Je range mon bureau. C'est un nettoyage printanier. À part ça, je n'ai pas de rituels. À quoi ressemblent vos journées ? J'écris le matin. Je commence vers 7 h 30, dès que j'ai envoyé mon fils à l'école. J'écris 3 000 à 4 000 mots et ce cinq, voire six jours
ELLORY ET SON CARNET DE NOTES Quand Ellory parle d'écriture, il se plaint de ne pas avoir le temps de coucher sur papier toutes les idées qui lui passent par la tête. L'homme se trimballe ainsi avec son carnet de notes, l'arme la plus facile à dégainer pour ne pas laisser une idée se faire la malle. En avril 2010, il oublie ce précieux objet dans un avion sur un vol Dublin-New York. Lorsqu'il mentionne cette perte à une femme à qui il dispense amicalement des conseils d'écriture, cette dernière décide de partir à sa recherche. Après enquête auprès de la compagnie Aer Lingus, elle parvient à le retrouver. Heureusement pour les lecteurs : trois nouveaux romans se nourrissent des idées consignées dans ce carnet.
“J'écris tout le temps. C'est une vocation. Une raison d'être. Une drogue, une histoire d'amour, une passion.“ Saison1-Hiver
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par semaine. Mon but est d'en écrire 50 000 par mois. Il m'est arrivé d'en écrire 12 000 en un jour ce qui représentait 10 % de mon livre. C'était pour Vendetta. Ma journée d'écriture se finit lorsque j'ai le sentiment d'avoir terminé quelque chose. Il est alors 14 ou 15 heures. Je joue de la guitare, j'écris des chansons et je commence à préparer le dîner. J'adore cuisiner, parfois mon fils m'aide, et j'essaie toujours de nouvelles recettes. Je dois dire que le soir, avec ma femme, nous recevons très souvent. Nous aimons avoir la maison pleine d'amis.
À quoi ressemble le lieu où vous travaillez ? C'est une pièce avec du parquet, une table et des chaises en bois. Les murs sont recouverts de bibliothèques du sol au plafond avec plus de deux mille livres. Sur mon bureau sont posées quelques figurines de Marvel appartenant à mon fils. Une radio des années 1940, des guitares et des appareils photos ornent la pièce. J'ai encadré des photos de Capa, celle du Café de Flore, de Union Station, le portrait de Steinbeck, de Truman Capote et de Marilyn Monroe. J'ai aussi ceux de Muddy Waters, Sonny Boy Williamson et Kelly Joe Phelps que j'ai, par ailleurs, récemment rencontré. Il est de ceux dont la musique vous ravit et vous inspire. Je lui ai donc dédié Candlemoth – que j'ai écrit en écoutant ses disques – il n'en revenait pas.
J'ai entendu dire que vous aviez de nombreux manuscrits dans vos tiroirs … J'ai écrit vingt-deux livres en six ans. Tous au stylo. Et j'ai dactylographié ceux que j'ai envoyés à des éditeurs. Cela m'a coûté 22 000 pounds (environ 25 000 euros) : photocopies, textes reliés, timbres… Je n'ai reçu que des lettres de rejet. J'ai alors décidé de ne plus écrire. En huit ans, je n'ai pas écrit un seul mot. Je suis passé de petits boulots en petits boulots, d'une société de fret à une compagnie d'assurance en passant par de l'assistanat de photographe. Je m'ennuyais à mourir. Le lendemain du 11 Septembre 2001, comme beaucoup, j'ai eu une grosse prise de conscience : 3 000 personnes n'allaient pas retourner au bureau. Je me suis évidemment posé la question de savoir ce qu'était une vie réussie et, pour moi, cela signifie exercer le métier que l'on aime. Quatre mois plus tard, j'avais écrit trois livres. Orion (son éditeur anglais) a choisi de publier Candlemoth, le deuxième. Cette maison d'édition compte dans son catalogue des auteurs comme George Pelecanos, Ian Rankin et Harlan Coben. J'étais fier ! Que sont devenus vos manuscrits ? Ils sont dans des boîtes. Ils ont besoin d'être retravaillés, notamment parce qu'ils sont un peu trop longs. Mais je n'ai pas envie de les ressortir. Je vais les laisser à ma femme. À ma mort, elle pourra les mettre aux enchères sur eBay et avec le fruit de leur vente, elle pourra aller s'acheter des chaussures ! À part votre éditeur, y a-t-il une autre personne qui lit vos manuscrits ? Non. Mon éditeur est mon premier et seul lecteur à ce stade.
Et votre bureau? Il y a des piles de cartes géographiques, des livres, des tas de stylos, des papiers annotés, mon carnet de notes que je trimballe toujours avec moi, une tasse de café et une bouteille de Jack Daniels.
“ On écrit par compassion, par rage, pour des raisons politiques, autobiographiques, pour oublier et même parfois pour changer une façon de voir la vie. J'écris à 50 % pour satisfaire mon ego et à 50 % pour calmer mes doutes. ”
Certains soutiennent que votre nom est un faux nom, une anagramme d'Ellroy. Deux journalistes français en sont persuadés. Je leur ai proposé de leur apporter mon certificat de naissance. L'un d'eux m'a rétorqué qu'il pouvait s'en faire faire un pour quinze euros. Le certificat n'est donc pas, pour lui, une preuve de mon patronyme. Ellory est pourtant mon vrai nom de famille, je le jure !
BIBLIOGRAPHIE
• SEUL LE SILENCE Publié en 2008, c'est le roman qui a révélé Ellory au public français. Prix Le Nouvel Observateur / BibliObs 2009 du roman noir dans la catégorie roman étranger et Prix des lecteurs du Livre de poche / Le Choix des libraires 2010. Un récit d'une noirceur absolue qui a révolutionné les histoires classiques de serial killer. • VENDETTA Ce second texte paru en 2009 plonge le lecteur dans l'histoire clandestine des États-Unis et de la mafia. Le Britannique confirme son statut de nouveau maître de la manipulation et du polar. • LES ANONYMES Ce dernier roman (2010) se situe à Washington, où, sur fond de meurtres en série, Ellory nous donne à voir les secrets les mieux gardés du gouvernement américain. Les romans de R.J. Ellory sont parus aux éditions Sonatine et ont été réédités au Livre de poche pour les deux premiers.
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