L'oeuvre de Teilhard et la pensée orthodoxe

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L'œuvre
de
Teilhard
et
la
pensée
orthodoxe
par
le
R.
P.
Eugraf
Kovalevsky
 
 La
correspondance
de
la
pensée
du
Père
Teilhard
de
Chardin
et
la
pensée
orthodoxe
a
déjà
été
indiquée
 plusieurs
fois.
En
effet,
sans
nier
les
différences,
la
parenté
est
évidente.
 La
pensée
orthodoxe
peut
être
partagée
en
trois
périodes
précises
:
 a)
"période
patristique"
prolongée
chez
les
Pères
grecs
jusqu'au
XVème
siècle
 b)
 "période
 scolaire"
 qui
 subit
 l'emprise
 de
 la
 scolastique
 et
 de
 la
 théologie
 universitaire
 protestante
 d'Allemagne
(XVIème
au
XVIIIème
siècle)
;
 c)
"période
moderne"
ou
le
retour
à
la
pensée
patristique
(fin
du
XVIIIème
siècle
a
nos
jour)
 Faisant
 abstraction
 de
 la
 deuxième
 période
 ‐
 courte
 et
 sans
 intérêt
 ‐,
 on
 peut
 affirmer
 que
 la
 pensée
 teilhardienne
se
rapproche
sensiblement
de
la
théologie,
nous
précisons
:
de
la
théologie,
car
si
la
pensée
 théologique
 des
 Pères
 était
 dynamique,
 leur
 culture
 philosophique
 par
 contre
 ne
 leur
 fournissait
 pas
 l'apport
adéquat
à
leurs
démarches
intellectuelles.
Le
cosmos
d'un
Platon
et
d'un
Aristote
était
statique.
 Dieu
non
engagé
dans
l'évolution
du
monde
demeurait
cause
première.
Grégoire
de
Naziance
s'en
plaint
 amèrement.
C’est
dans
la
pensée
orthodoxe
moderne
que
nous
trouvons
réellement
une
similitude
avec
la
 pensée
 de
 Teilhard
 de
 Chardin.
 Elle
 donne
 naissance,
 tout
 en
 s'identifiant
 à
 la
 pensée
 patristique,
 à
 des
 penseurs
 formés
 par
 des
 idées
 post‐kantiennes,
 post‐hégéliennes,
 post‐darwiniennes.
 Le
 XXème
 siècle
 nous
offre
des
personnalités
telles
que
des
Berdiaef,
des
Boulgakoff,
des
Struve...
issus
du
milieu
marxiste.
 Ainsi
 que
 Teilhard
 de
 Chardin,
 ils
 appartiennent
 organiquement
 à
 la
 pensée
 moderne
 et
 à
 la
 tradition
 chrétienne.
 Ce
 rapprochement
 ne
 vient
 pas
 de
 l’influence
 de
 la
 pensée
 orthodoxe
 sur
 Teilhard
 de
 Chardin.
 Il
 ne
 s'itéresse
 pas
 spécialement
 aux
 Pères
 de
 l'Eglise
 ou
 à
 la
 pensée
 russe
 c'est
 le
 “jésuitisme”
 qu'il
 choisit
 librement
 et
 fidèlement
 ‐
 cogénial
 ‐
 à
 sa
 nature
 qui
 lui
 procure
 l'humanisme
 optimiste
 opposé
 au
 pessimisme
janséniste.
 De
plus,
fils
de
la
noblesse
terrienne
d'Auvergne,
il
aime
la
terre,
d'où
son
choix
de
la
paléontologie.
"Le
 Verbe
fut
chair""
du
prologue
de
saint
Jean
est
la
base
de
son
double
amour
:
celui
de
la
matière
et
celui
de
 Jésus.
 L'apôtre
 Paul,
 dans
 ses
 épîtres
 gnostiques
 particulièrement,
 lui
 trace
 sa
 vision
 du
 christianisme
 cosmique.
Tels
sont
les
points
de
départ
de
ses
démarches
intellectuelles
et
de
ses
intuitions.
 Illustrons
la
comparaison
de
la
pensée
teilhardienne
avec
l'Orthodoxie
par
deux
triades
caractéristiques
 du
Père
Teilhard
de
Chardin
lui‐même
:

 universalisme‐futurisme‐évolutionnisme,
cosmogénèse‐anthropogénèse‐christogénèse.
 Universalisme­futurisme­évolutionnisme
:
après
une
période
de
plusieurs
siècles
durant
laquelle
la
religion
 était
 devenue
 “affaire
 de
 l’homme”
 opposé
 à
 la
 nature,
 et
 chez
 l'homme
 salut
 de
 son
 âme
 ‐
 période
 de
 l'opposition
 de
 la
 grâce
 et
 de
 la
 nature
 ‐
 la
 vision
 de
 Teilhard
 considérant
 l'humanité
 entière
 liée
 organiquement
 au
 devenir
 du
 cosmos,
 peut
 sembler
 révolutionnaire.
 Pourtant
 c'était
 la
 conception
 patristique.
Le
Christ,
pour
saint
Irénée
de
Lyon,
“récapitule”
l'univers
;
Il
n'est
pas
uniquement
un
homme
 ‐un
individu
historique‐
Il
est
l'Homme,
l'humanité,
le
Pantocrator,
Son
corps
est
cosmique.
Le
miracle
des
 noces
de
Cana,
par
exemple,
n'apparaît
pas
comme
l'irruption
d'un
acte
surnaturel
brisant
les
lois,
mais
 comme
l'accélération
dans
le
temps
de
ces
mêmes
lois.
 La
 brebis
 perdue
 que
 le
 Christ
 prend
 sur
 ses
 épaules,
 pour
 la
 majorité
 des
 Pères
 grecs
 aussi
 bien
 que
 latins,
 est
 moins
 l'image
 du
 pècheur
 repentant
 que
 celle
 de
 l'humanité
 entière
 lancée
 dans
 sa
 propre
 aventure,
 pour
 certains,
 la
 brebis
 perdue
 et
 le
 fils
 prodigue
 représentent
 le
 cosmos
 visible
 distingué
 du
 monde
invisible
angélique.
La
vision
orthodoxe
englobe
le
cosmos,
inséparable
de
l'homme,
l'humanité
et
 les
 produits
 de
 son
 intelligence
 (les
 civilisations).
 Tous
 trois
 sont
 appelés
 à
 la
 transfiguration
 finale.
 L'intérêt
personnel
ou
confessionnel
éclate.
 La
 fête
 de
 la
 Transfiguration,
 dans
 laquelle
 le
 corps
 du
 Christ
 et
 ses
 vêtements
 ‐
 produits
 textiles
 ‐
 sont
 glorifiés
par
la
lumière
incréée,
occupe
une
place
éminente
dans
la
liturgie
orthodoxe.
L'univers
n'est
pas
 sauvé
que
par
le
Christ
elle
coopère
à
son
salut.


Un
 penseur
 orthodoxe
 du
 XXème
 siècle,
 Féodoroff,
 parle
 déjà,
 avant
 le
 plan
 quinquennal
 de
 l'URSS,
 du
 “projet”
légué
par
notre
Seigneur,
de
la
Résurrection
universelle
qui
doit
être
accomplie
en
commun
par
 l'humanité.
Il
nomme
ce
projet:
“liturgia”,
c'est‐à‐dire
œuvre
en
commun
où
agissent
solidairement
l'ascèse
 des
saints
aussi
bien
que
la
technique
des
ingénieurs.
 Le
 “futurisme”,
 terme
 propre
 au
 Père
 Teilhard
 de
 Chardin
 (ne
 pas
 confondre
 avec
 finalisme)
 et
 qui
 peut
 être
 compris
 comme
 un
 élan
 vers
 l'avenir,
 plonge
 ses
 racines
 dans
 l'eschatologisme
 tendu
 de
 l'Eglise
 primitive.
 Il
 sera
 traité
 avec
 force
 par
 la
 pensée
 orthodoxe
 moderne.
 Un
 de
 ses
 représentant
 dira
 que
 si
 Dieu
 est
 absolu
 la
 création
 est
 l'absolu
 en
 devenir.
 La
 formule
 patristique
 (Irénée,
 Athanase
 ...
 )
 si
 populaire
dans
l'orthodoxie
:
Dieu
est
devenu
homme
afin
que
l'homme
devienne
Dieu,
contient
l'idée
d'un
 progrès
 perdurable
 vers
 la
 déification.
 Cette
 formule
 alimente
 aussi
 l'évolutionnisme
 du
 P.
 Teilhard.
 “Cosmogénèse,
anthropogenèse,
christhogenèse”
forme
pour
Teilhard
de
Chardin
un
tout
cohérent
de
trois
 cercles
 concentriques.
 Cette
 pensée
 s'élève
 contre
 la
 structure
 statique
 du
 monde,
 fixée
 une
 fois
 pour
 toute.
Dieu
ne
cesse
de
créer,
la
création
elle
même
se
crée
et
se
transforme.
 Les
thèses
théologiques
orthodoxes,
par
exemple
:
le
monde
et
le
néant
progresse
vers
l'être,
l'inconscient
 progresse
 vers
 le
 conscient,
 le
 chaos
 progresse
 vers
 le
 cosmos,
 appartiennent
 à
 cette
 catégorie
 de
 pensée.
 Maxime
le
Confesseur
est
un
des
Pères
de
l'Eglise
dont
s'approche
le
plus
le
Père
Teilhard.
Il
parlera
du
 progrès
 du
 non‐differencié
 vers
 le
 différencié
 et
 notera
 entre
 autre
 les
 étapes
 d'une
 évolution
 dans
 la
 nature
:
le
monde
minéral
n'est
que
“partie”
d'un
tout,
le
monde
végétal
touche
une
certaine
autonomie
 par
 la
 croissance,
 le
 monde
 animal
 fait
 un
 pas
 en
 avant
 vers
 la
 liberté
 existentielle,
 l'homme
 atteint
 la
 liberté
de
choix
et
l'intelligence
créatrice,
la
dernière
étape
de
cette
évolution,
enfin,
est
la
déification
qui,
 libérée
de
toute
contrainte,
l'est
de
tout
conditionnement.
 Le
dogme
de
la
synergie,
énoncé
par
Maxime
le
Confesseur,
consistant
en
ce
que
l'économie
divine
(le
plan
 divin
mis
en
action)
se
réalise
dans
la
rencontre
de
deux
synergies,
de
deux
volontés
(celle
du
Créateur
et
 celle
 de
 la
 créature)
 de
 la
 grâce
 et
 de
 la
 conquête
 de
 l'homme,
 fournit
 la
 base
 dogmatique
 à
 la
 triade
 teilhardienne.
 Axé
 sur
 la
 Résurrection
 triomphante,
 le
 Père
 Teilhard
 de
 Cardin
 est
 appelé
 par
 le
 Ressuscité
 le
 jour
 de
 Pâques,
 et
 aucune
 confession
 chrétienne
 autre
 que
 l'orthodoxie
 ‐
 et
 ceci
 est
 admis
 de
 tous‐
 ne
 fête
 avec
 autant
de
joie
la
Résurrection.
 Ces
pensées
orthodoxes,
ignorées
en
général
du
public
catholique
romain,
protestant
et
laïc,
présentent,
 croyons‐nous,
un
certain
intérêt.
Certes
il
existe
des
divergences
entre
la
pensée
du
P.
Teilhard
de
Chardin
 et
 l'Orthodoxie,
 néanmoins,
 il
 nous
 paraît
 plus
 important
 d'offrir
 les
 ressemblances
 à
 la
 mémoire
 de
 cet
 esprit
exceptionnel.
 (Extrait
 de
 le
 revue
 "Revue
 Teilhard
 de
 Chardin",
 n°
 10.
 Compte
 rendu
 d'une
 conférence
 donné
 à
 l'occasion
du
Colloque
Teilhard
de
Chardin
de
Nice
1962).
 
 
 Cahiers
Saint
Irénée
N°
36
août
septembre
1962
p.36‐40


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