FABRIQUER DES TERRITOIRES ATTRACTIFS : À QUEL PRIX ? La culture comme levier de développement urbain à Marseille.
ELISA VIALLE Sous la direction de Sabrina Bresson Séminaire Production et usages de l’espace Ecole Nationale Supérieure Paris Val-de-Seine 2020-2021
Illustration en couverture : Photo du front de mer marseillais, avec au premier plan le musée du Mucem, en arrière plan la cathédrale de La Major. Photographie libre de droit, publiée le 2 décembre 2014 par Pixabay, CC BY-SA En ligne : https://pixabay.com/fr/photos/mucem-marseille-mer-553275/
SOMM AIRE Remerciements
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Avant-propos
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Introduction
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Méthodologie
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I. LA PLACE DE LA CULTURE POUR LA VILLE DE MARSEILLE
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1. La culture, outil de régénération urbaine dans le projet Euroméditerranée
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a. La récupération des franges urbano-portuaires
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b. La reconquête des friches industrielles
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2. Les stratégies de multiplication des labels culturels à Marseille
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a. « Capitale européenne de la Culture », l’expérience de Marseille-Provence en 2013
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b. Le Marseille « d’après », une ville qui vit au rythme de grands événements culturels.
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II. LA CULTURE AU SERVICE DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ?
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1. Accélératrice, catalyseuse, fédératrice… la culture comme moteur pour faire
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a. La culture comme moyen de réappropriation
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b. Les grands événements culturels comme accélérateurs de projets
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2. La culture au service de la concurrence internationale et interurbaine
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a. Une image culturelle pour véhiculer une image attractive
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b. Les grands événements culturels pour rendre visible les villes
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III. LA CULTURE, INGREDIENT D’UNE RECETTE QUI POSE QUESTION
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1. La place des habitants
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a. Les mobilisations citoyennes et activistes face à un processus de décisions unilatéral
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b. Le temps de l’habitant face au temps de l’évènement
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2. Les effets des transformations urbaines et du marketing culturel
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a. Vers une standardisation des villes ?
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b. Vers une intensification des divisions socio-spatiales ?
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Conclusion
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Post-face
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Table des illustrations
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Bibliographie
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Annexes
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REMERCIEMENTS En premier lieu, je remercie Madame Sabrina Bresson, ma directrice de mémoire, qui m’a soutenue tout au long de ce travail de recherche enrichissant aussi bien sur le plan universitaire que professionnel, et dont le suivi (et l’écoute) fut d’une aide précieuse. Je tiens aussi à remercier mon oncle, Jacques Vialle, qui a été là pour m’épauler du début à la fin, et dont l’intérêt pour ce sujet m’a motivé tout au long de la rédaction. J’adresse également mes remerciements aux neuf personnes qui ont accepté de s’entretenir avec moi. Dans ce contexte de crise sanitaire, ces moments de discussion autour du sujet de mémoire m’ont été d’une aide essentielle. Enfin, je remercie ma famille et mes amis qui, par leur seule présence, ont joué un rôle important dans la finalisation de ce travail.
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AVANT-PROPOS Pourquoi le choix de ce sujet ? Ma dernière année de licence m’a ouvert la perspective sur le rôle que l’architecte pouvait avoir à l’échelle du quartier, de la ville et du territoire. En d’autres termes, comment des décisions prises par des architectes pouvaient participer au développement d’une ville et impacter considérablement la vie des habitants. J’ai découvert un nouvel aspect du métier, un aspect auquel je porte un intérêt croissant. Il était donc indispensable pour moi de développer au maximum ma connaissance du métier à l’échelle urbaine, et d’essayer de comprendre quelle est la place de l’architecte dans tout cela. En mélangeant architecture et urbanisme, mais aussi économie, politique et social, ce travail de recherche entend étudier une partie des dynamiques à l’œuvre dans la fabrique de la ville aujourd’hui. Pourquoi cette étude de cas ? J’ai la chance d’avoir plusieurs points de vue sur la ville de Marseille : un point de vue sentimental car j’y ai vécu les dix-huit premières années de ma vie et que je continue de la visiter régulièrement ; un point de vue professionnel, acquis grâce à mes cinq années d’études dans le domaine de l’architecture ainsi qu’à mes stages dans des agences d’architectures marseillaises. C’est en particulier ma dernière expérience professionnelle qui m’a confortée dans le choix de ce sujet de recherche. J’ai eu l’opportunité de travailler sur plusieurs grands projets architecturaux faisant partie du projet de rénovation urbaine « Euromediterranée 2 ». Toutes les connaissances que j’ai pu acquérir, toutes les observations que j’ai pu faire, ainsi que le riche échange que j’ai eu avec les architectes de mon agence m’ont permis d’enrichir ma connaissance de Marseille. Il semblait donc logique que je prenne cette ville comme sujet d’étude pour mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans la fabrique des villes aujourd’hui.
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INTRODUCTION « - Je suis originaire de Marseille - Ah bon ? Mais tu n’as pas du tout l’accent ! » Voici la principale réaction qu’ont les gens lorsque je leur dis d’où je viens. Car Marseille, c’est avant tout une ville faisant l’objet d’un nombre considérable de poncifs véhiculés par les médias, le cinéma, la musique ou la littérature. Pour reprendre les mots des sociologues Michel Peraldi, Claire Duport et Michel Sanson, dans leur ouvrage Sociologie de Marseille (2015), la ville de Marseille peut être décrite de deux manières : la « ville imaginée » et la « ville habitée ». Ils opposent ainsi la réalité empirique aux légendes urbaines. Ce double aspect, particulier à Marseille, en fait un sujet intéressant à étudier quant au thème de la fabrique de la ville. Ville portuaire à la renommée mondiale, Marseille vit au début du XXème siècle une période économiquement prospère. Cependant, dès le début des années 60, la décolonisation puis les chocs pétroliers vont pousser Marseille à se transformer socialement et économiquement : désertion et mutation du port, disparition de nombreux emplois, départ de la classe supérieure et moyenne pour les zones néo-urbaines ou villes mitoyennes plus attractives comme Aix-en-Provence et accentuation des phénomènes d’exclusion sociale. Marseille se peuple de fonctionnaires et devient une ville administrative de province. En parallèle se développe la fascination des médias pour la dramatisation des événements se déroulant à Marseille, en particulier autour du trafic de cannabis et des violences criminelles liées à ce dernier. Cette suite d’événements est importante car elle justifie la prise de conscience à la fin des années 80 des pouvoirs publics qui mettent alors en place une nouvelle politique urbaine pour faire renaître économiquement la ville et lui redonner une attractivité nationale et internationale. Une des décisions les plus importantes, à cet égard, a été la création en 1995 d’Euroméditerranée, une opération d’intérêt national (OIN) englobant un périmètre très étendu – plus de 300 ha, soit un arrondissement parisien moyen – adossé au centre-ville et face à la mer. Ainsi, la «renaissance» économique de Marseille va passer principalement par la réinvention des espaces portuaires, alors rendus à la ville et transformés en industries culturelles, et la restructuration de son centreville. L’arrivée du TGV à cette période et l’accueil de la Coupe du monde de football en 1998 vont dans le même sens. L’acharnement médiatique semble toujours inévitable, mais pour d’autres raisons, la ville devient tendance. À titre d’exemple, la série « Plus belle la vie », qui met en scène les habitants d’un quartier marseillais typique, remporte un franc succès auprès du grand public. La musique permet aussi de redorer l’image de la citée, notamment grâce aux groupes de musiques alternatifs comme IAM, Massilia Sound System ou la rappeuse Keny Arkana qui mettent en avant dans leur musique les valeurs marseillaises légitimes à leurs yeux, celles de l’hospitalité et du respect de l’autre. À cela s’ajoute les nombreux films et séries qui se déroulent à Marseille ou dans ses alentours et qui témoignent de la richesse des paysages méditerranéens. .6
fig 1. Carte Postale de la Ville de Marseille On peut y apercevoir plusieurs visions du port, avec une mise en valeur du Mucem de R. Riccioti et l’Ombrière de J. Nouvel, ainsi que du quartier «typique» du Panier et des calanques.
Il est important de noter que si le projet de renouvellement urbain Euroméditerranée commence en 1995, avec notamment la réhabilitation des Docks à l’entrée de la ville comme première action, la situation financière difficile dans laquelle la ville de Marseille se trouve à l’époque fait que de nombreux projets restent à l’état d’esquisse durant de longues années. L’accueil en 2013 de l’évènement Marseille-Provence Capitale Européenne de la Culture a participé à l’accélération considérable de la régénération urbaine de la ville, permettant de finaliser des projets entrepris des années auparavant, le MuCEM étant l’exemple le plus marquant. Depuis l’année 2013, Marseille devient un lieu touristique de plus en plus prisé, avec une image « carte postale » illustrée par son nouvel hypercentre, situé entre le MuCEM et le Pharo, incluant le Vieux-Port, le Panier et Notre Dame de la Garde (fig 1). A l’extérieur de la ville nait alors un sentiment nouveau d’attraction pour ce territoire en pleine expansion. Après avoir été profondément marquée par les crises (économiques, sociales, culturelles...), Marseille est désormais tournée vers l’avenir et à nouveau ouverte au monde.
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Il est intéressant d’étudier les objectifs dans la fabrique de la ville d’aujourd’hui. Dans un contexte de compétition interurbaine et internationale, la récente métropole doit se positionner face à ses adversaires. « On assiste ainsi, depuis maintenant une vingtaine d’années, à un modèle de production de la ville qui peut clairement être qualifié de néolibéral. [...] La concurrence interurbaine est assumée, et les villes européennes semblent toutes, quelle que soit d’ailleurs leur option partisane, se donner les mêmes objectifs et priorités : créer les conditions les plus favorables pour attirer les investisseurs, les firmes, les touristes et la classe dite créative. » (CHADOIN, 2014). C’est dans ce contexte que le terme attractivité entre en jeu : pour se hisser dans les hauteurs du classement des cités européennes, les villes doivent mettre en place une politique d’attractivité urbaine. De cette politique né une nouvelle identité qualifiée d’attractive, en termes de qualité de vie, de dynamisme économique et de tourisme. Ainsi, les grandes villes évoluent dans un contexte de concurrence globalisée et sont sans cesse à la recherche de compétitivité pour obtenir le titre de ville la plus attirante. La volonté d’améliorer l’identité territoriale ou métropolitaine d’une ville poussent les institutions locales - les grandes institutions privées et publiques de chaque métropole - à mettre en place de solides stratégies, le plus souvent tirées de ce qu’on appelle le « marketing territorial ». Les chercheurs Laurent Devisme et Marc Dumont définissent en 2006 le concept de marketing territorial comme suit : « (...) toutes les pratiques de communication territoriale qui consistent à s’appuyer sur des matières spatiales existantes ou en construction en vue de les promouvoir, de les faire exister, de les rendre attrayantes et d’inciter à les pratiquer, à y investir son temps, ses loisirs ou son capital ». Ce nouveau marketing intègre la dimension spatiale dans ses stratégies et cette dernière présente un aspect économique, sociale et politique. Economique lorsqu’elle visent à commercialiser ses espaces urbains pour y attirer investisseurs et touristes ; politique car la mise en scène de la ville attractive reflète la volonté et les actions de la municipalité ; sociale car le travail sur l’image de la ville est censé contribuer à l’attraction de nouveaux habitants (DUMONT, DEVISME, 2006). A titre d’exemple, la planification urbaine, poussée par la nécessité d’une représentation concrète et attirante du futur, adopte une composante marketing. Ainsi, le titre des documents spécifiques à la planification urbaine est souvent un slogan indiquant l’ambition centrale de la ville, sa vocation et/ou son identité (INGALLINA, 2008). On peut notamment citer le document d’orientation publié par la Délégation Générale de Ville Durable de la ville de Marseille le 12 décembre 2011 qui décrit de manière précise la politique d’attractivité mise en place et dont le titre est : « Marseille Attractive 2012-2020 » : « Afin de tirer son épingle du jeu et se différencier des métropoles concurrentes, Marseille doit s’appuyer sur son identité, ses atouts et son potentiel propres : -Ceux d’une ville identifiée en tant que centre d’affaires, avec Euroméditerranée pour figure de proue, et en tant que plateforme d’échanges du Sud européen avec son rang de premier port de Méditerranée. -Ceux d’une ville de la connaissance et de la créativité, appuyées sur son potentiel d’enseignement supérieur, de recherche scientifique et de filières d’innovation technologique. -Ceux enfin, d’une ville de destination touristique, culturelle et événementielle. Autant de domaines d’excellence à même de convaincre décideurs économiques et investisseurs qu’ils font le bon choix en optant pour Marseille. Une métropole riche d’avenir qui réunit toutes les promesses .8
d’une implantation réussie et offre une qualité de vie incomparable à leurs cadres et salariés.1» Jean Claude Gaudin, ancien maire de Marseille. L’urbanisme, à travers les projets urbains, devient donc l’incarnation de la stratégie d’attractivité des villes et l’adoption des stratégies en la matière concerne toutes les échelles du territoire, avec tout type d’acteurs et dans différents domaines. Dans les démarches de marketing territorial, la culture, au même titre que l’accessibilité, la mobilité et l’environnement naturel et physique, est considéré comme un champ contribuant à l’attractivité des villes. De ce fait, toutes les dimensions de la culture sont intégrées comme facteur d’attractivité : «Les villes, à travers une politique culturelle pérenne, doivent promouvoir une culture vivante, qui s’appuie sur une offre d’équipements tels que les centres culturels et scientifiques, les musées et les bibliothèques, la préservation du patrimoine culturel, historique et architectural. Ces équipements associés à un programme d’activités culturelles, y compris à destination des jeunes, rendent les villes plus attirantes à la fois vis-à-vis des citoyens, des entreprises, des travailleurs – en particulier des travailleurs mobiles et hautement qualifiés – et des visiteurs (…). Ceci conforte l’image de la ville, la fierté et le sentiment d’identité de la population locale. (…) La culture et le tourisme culturel forment des secteurs à croissance rapide.2» (MENARD, SUSTRAC, 2008, p.40) C’est ce qui se joue précisément à travers la labélisation d’une ville ou d’un territoire ou l’accueil de grands évènements culturels. Pour Lille en 2001 et Marseille en 2013, l’obtention du titre « Capitale européenne de la culture » a été un véritable outil de régénération économique et sociale par la culture. Ces labellisations permettent d’une certaine manière de neutraliser l’image existante de la ville ou du territoire pour lui en donner une nouvelle, avec une portée pouvant aller jusqu’à l’international. Non seulement cela permet de dynamiser l’économie à court terme, mais cela permet aussi de changer l’image de la ville aux yeux de tout le monde et ainsi d’attirer plus d’investisseurs et de touristes, impactant l’économie à plus long terme. Cette mise en avant de la culture dans l’image d’une ville se retrouve aussi dans la planification urbaine. Ainsi, nombres de grands projets urbains publics contemporains intègrent dans leur programme des espaces entiers dédiés à l’équipement culturel et fait de la culture un axe de travail au même titre que le logement, le commerce ou les bureaux. Dans ce type de projet urbain, la création d’un grand équipement culturel à l’architecture singulière est particulièrement utilisée, avec comme figure de proue le Guggenheim à Bilbao et comme exemple à Marseille le Mucem. La combinaison d’un architecte connu et d’une architecture culturelle ambitieuse devient une recette souvent utilisé dans des villes à la recherche d’identité et de touristes. Nous assistons donc à la création d’un nouveau mode de planification urbaine où l’on crée dans chaque ville un « cluster » culturel essentiellement destiné aux touristes qui y trouvent tout ce dont ils ont besoin. Ces sites ne sont plus seulement des quartiers culturels mais deviennent de véritables pôles de loisirs où la culture a autant de place que les espaces de consommation. A Marseille par exemple, la requalification de tout l’espace de l’ancien port maritime, périmètre du projet urbain Euroméditerranée, juxtapose délibérément équipements culturels et galeries commerciales.
1. DGVDEDAE, « Marseille Attractive 2012-2020, un projet pour une stratégie partenariale », 2011, Edito 2. Extrait du document intitulé « la dimension urbaine des politiques communautaires », présentant l’ensemble des programmes européens qui croisent la question urbaine avec d’autres thématiques, évoqué par une intervenante. . 9
Au-delà de l’effet de mode et d’imitation dû aux succès stories d’autres villes, on peut s’interroger sur la pertinence de ce recours quasi-systématique à la culture dans les projets urbanistiques contemporains. Ce travail s’articulera autour de deux grands questionnements, le premier sur le rôle de la culture et ses formes de mobilisation dans la fabrique de la ville aujourd’hui, le deuxième sur l’efficience du recours à la culture du point de vue social et urbain. Il sera constitué de trois parties et s’appuiera sur l’étude de cas de la ville de Marseille. La première partie mettra en valeur la place de la culture dans les politiques urbaines de la ville à travers l’exemple de Marseille. Seront développés les exemples du grand projet de renouvellement urbain Euroméditerranée, situé sur la frange urbano-portuaire de la ville, ainsi que l’accueil de plusieurs grands évènements culturels nationaux et internationaux dans la ville, avec comme figure de proue la Capitale européenne de la culture en 2013. La deuxième partie développera, en se basant sur les exemples précédents, différentes formes de mobilisation de la culture dans le marketing territorial : comme élément intégré à un projet de développement urbain, pour attirer plus d’investisseur et de tourisme ; comme accélérateur de projets et catalyseur de ressources, notamment lors de grands évènements ; et comme élément fort de la communication d’une ville en renouvellement, devenant constitutif de son image et participant à son attractivité. La troisième partie se concentrera sur les limites d’un telle stratégie urbaine, notamment sur les changements profonds qu’apporte cette dimension culturelle dans la gestion et les pratiques urbaines : si l’organisation d’un grand évènement culturel peut durablement changer l’image d’une ville et avoir des effets notables sur la compétitivité territoriale, change-t-elle le quotidien des habitants ? Ces derniers sont-ils pris en compte dans ces nouvelles politiques urbaines ? ; le recours régulier à de grands évènements festifs, l’importance de la politique culturelle dans la politique de ville, la place centrale des lieux culturels dans les projets de renouvellement urbain transforment-il en profondeur les usages de la ville voire sa symbolique en elle-même ? Assistonsnous à une mise en scène d’une ville fantasmée, qui en y appliquant des codes internationaux, standardise les espaces, efface ses spécificités et crée une ville fragmentée, tiraillée entre « ville imaginée » et la « ville habitée » ?
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MÉ THODOLOGIE En complément de la lecture d’articles et de travaux de recherche sur le sujet, une partie de l’analyse s’appuiera sur des données empiriques, en particulier neuf entretiens réalisés au cours des derniers mois. Selon moi, pour un tel sujet, il était important d’avoir la vision des acteurs de la ville et des habitants qui est une vision ancrée dans la réalité du territoire, de ses relations sociales et de ses enjeux. C’est pour cela que les entretiens constituent la principale ressource de mon travail, et que le corps du texte sera en parti composé de citations extraites de ces entretiens. Ce travail de recherche a été impacté par la situation sanitaire actuelle, qui a limité la possibilité de se rendre sur le terrain pour s’entretenir avec les habitants, magasins et petites structures culturelles dont les points de vue, ici manquants, auraient été enrichissants. Les entretiens semi-directifs ont été conduits à l’aide d’une grille d’entretien (disponible en annexe p.69) et ont été réalisés volontairement avec des acteurs aux profils très différents, afin d’avoir une vision la plus globale possible sur le sujet. Ainsi, cette grille a été développée en deux versions: une version destinée aux «décideurs», comme par exemple des élus dans l’urbanisme et la culture, ou des professionnels dans l’aménagement et l’urbanisme ; une version destinée aux «habitants», comme par exemple des acteurs de la culture, des membres d’associations ou de collectifs d’habitants. Il s’agira de faire une analyse transversale de ces témoignages pour en faire ressortir une réflexion sur ce que peut apporter une telle politique à la ville, et à l’inverse sur les effets négatifs, donc les limites, d’une telle pensée urbanistique.
Ont été interviewée (ordre basé sur leur fonction et point de vue) : Dans la catégorie des « décideurs » : Sandra Rossi, entretien réalisé le 12 janvier 2021 Directrice de la Communication et de l’Image de la Ville de Marseille.
Elle définie son travail comme suit : « On s’occupe de la communication institutionnelle, c’est à dire du moment où on conçoit des visuels, par exemple pour une campagne de com, ou différents supports de communication, jusqu’à leur édition ou affiche papier. » L’entretien avec Sandra Rossi m’a permis d’avoir le point de vue de la Ville sur l’évolution de l’image de Marseille depuis 2013, et une description des stratégies mise à l’œuvre pour ce faire. Maxime Tissot, entretien réalisé le 28 janvier 2021 Directeur général de l’office du tourisme et des congrèes de Marseille.
A propos de l’importance de la culture dans l’attractivité d’une destination, il dit ceci : « La culture est un élément très fort de l’attractivité d’une destination et on s’en est rendu compte quand il y . 11
a eu la grève des festivals3, (…) Jusqu’à présent on se disait que les festivals ça coutait beaucoup d’argent alors que ça ne concernait qu’une élite. Ce que les gens avaient oublié, les politiques, c’est tout l’écosystème de la culture : au-delà des artistes, il y a énormément de corps de métier qui vivent de ça. Il y a eu alors une chute de fréquentation de leur destination, et les gens ne venaient plus dans les hôtels, les restaurants, n’achetait plus dans les magasins etc. » L’entretien avec Maxime Tissot m’a donné un point de vue plus commercial sur les questionnements soulevés dans ce mémoire. Son rôle est de faire en sorte que la ville soit assez attractive pour que les gens ou les entreprises y investissent du temps et de l’argent. Dans cette optique, la culture est vue comme « un déclencheur d’achat ». Alexandre Sorrentino, entretien réalisé le 13 janvier 2021 Directeur de la communication et des relations extérieures chez Euromediterranée. Enseignant spécialisé dans le marketing territorial.
A propos du rôle de l’aménageur Euromediterranée et de son lien avec la culture, voici son analyse: « Marseille n’était pas une ville qui découvrait la question culturelle, sauf qu’elle avait été mise peutêtre sous le boisseau, et c’était l’idée de mettre ça en tête de gondole. Donc Euromed avec l’appui de l’Etat et des partenaires ont créé ce chapelet de lieux culturels. (..) L’aménageur son job c’est de créer les conditions A, c’est à dire que créer des conditions au développement, qu’il soit culturel, économique... faire en sorte que les choses se développent derrière. » L’entretien avec Alexandre Sorrentino m’a donné le point de vue de l’aménageur dans les questions de marketing territorial et de l’utilisation de la culture à cette fin. Cela m’a permis de comprendre comment et pourquoi ils s’emparaient de ces théories et les appliquaient au projet Euromediterranée. Ulrich Fuchs, entretien réalisé le 18 janvier 2021 Directeur général adjoint de l’Association Marseille-Provence 2013 (aujourd’hui dissoute). Ancien membre du bureau d’experts européens sélectionnant les Villes Capitales Européennes de la Culture. Professeur et chercheur indépendant. Expert culturel.
Voici comment il présente son parcours dans l’univers des Capitales Européennes de la Culture : «J’étais professeur d’université en Allemagne et j’ai commencé mon travail dans le monde culturel par le théâtre. (...) J’ai passé beaucoup de temps sur Avignon, pour le festival. (...) En 2000, Avignon était capitale européenne de la culture, et en voyant cela j’ai proposé dans la ville d’où je viens de faire la même chose, pour 2003. J’ai travaillé sur cette candidature, qu’on n’a pas gagnée. (...) En 2005, Litz a été sélectionné comme Capitale de la Culture 2009 et j’ai été nommé directeur de la programmation pour cet évènement. (...) En 2008, Marseille a été nommée capitale de la culture 2013, et en juillet 2009 on m’a contacté pour continuer mon travail à Marseille. J’ai déménagé et depuis j’habite Marseille. (...) Après MP 2013, la commission européenne m’a proposé d’intégrer le panel européen qui sélectionne et accompagne les futures capitales européennes de la culture. Ce panel est constitué 3. En 2003, des intermittents du spectacle ont fait grêve pour des revendications salariales, entrainant la fermeture de . 12 nombreux festivals l’été.
de 10 experts européens nommés pour un mandat de trois à cinq ans. Entre 2014 et fin 2018 j’étais membre et président de ce panel européen. On a sélectionné des capitales européennes de la culture entre 2019 et 2023. Actuellement je suis consultant pour des projets culturels en Europe, comme le projet des capitales françaises de la culture.» Du fait qu’il possède une grande expérience dans l’organisation des évènements « Capitale Européenne de la Culture », l’entretien avec Ulrich Fuchs a été très enrichissant pour comprendre leurs mécanismes et leurs effets sur les villes choisies. Cyril Brunet, entretien réalisé le 09 décembre 2020 Collaborateur de direction et chef de projet pour l’Association Marseille Provence 2013 (aujourd’hui dissoute). Acteur, animateur-culturel, homme de radio.
A propos de sa participation à MP 2013 : « J’ai eu la chance de voir toutes les étapes de ce projet-là, du premier jour de la candidature au dernier. Au départ mon métier était de conseiller Mr Latarjet (dircteur général de MP 2013). J’ai essayé modestement de l’aider et de lui faire comprendre comment c’était à Marseille, qui est un territoire compliqué politiquement et socialement et économiquement. Lui s’occupait de tout ce qui était institutionnel (Le théâtre de la Criée, l’Opéra de Marseille) et moi j’étais plus dans des endroits où on ne nous attendait pas (à l’hôpital d’enfants de la Timone, aux Baumettes, à la maison de Gardanne...). J’ai proposé à Bernard Latarjet de faire des projets avec ces gens-là. » L’entretien réalisé avec Cyril Brunet peut correspondre aux deux catégories d’interviewés. En effet, s’il a eu un rôle de « décideur » lors de l’évènement MP 2013, il est surtout acteur culturel et habitant de la ville de Marseille. Ce double point de vue, du décideur et de l’habitant, a fait de lui un interlocuteur indispensable dans la rédaction de ce mémoire. De plus, étant la première personne à qui j’ai parlé, il m’a donné plusieurs contacts de personnes pouvant m’aider dans mon travail de recherche, un carnet d‘adresse sur lequel je me suis principalement basé pour le choix des interviewés.
Dans la catégorie des « habitants » : Sonja Preu, entretien réalisé le 06 janvier 2021 Chargée de la programmation culturelle au Goethe-Institut, situé dans la Friche de la Belle de Mai à Marseille.
Selon elle, l’impact qu’a eu MP 2013 sur la Friche est tel : « La friche de la Belle-de-Mai a évoluée de manière très positive, notamment pour le Goethe Institut qui doit son existence [à MP 2013] (…) avant il n’y avait pas les sous pour soutenir ce lieu. » Bien qu’ayant été tout juste recrutée, Sonja Preu m’a donné le point de vue d’un acteur culturel évoluant dans un des lieux les plus emblématique de la régénération par la culture, la Friche de la Belle de Mai, me donnant ainsi plus d’informations sur cette dernière. . 13
Aurore Lecomte, entretien réalisé le 22 décembre 2020 Co-fondatrice et directrice de l’association « Les rêves urbains ».
Elle définie son association de cette manière : « C’est une association qui est constituée d’architectes et d’urbanistes spécialisés en médiation et l’objectif de l’association c’est de faire de la sensibilisation et de la pédagogie pour que les citoyens et les habitants comprennent mieux ce qui est l’environnement urbain bâti, de comprendre les logiques d’aménagement pour les chantiers et pour les travaux qu’ils ont vus. On a une autre mission qui est de faire de la concertation à la demande des aménageurs. Quand il y a un projet aménagement, il arrive que le maître d’ouvrage demande d’associer les habitants et les usagers pour pouvoir enrichir le cahier des charges du projet et qu’ils puissent avoir leur mot à dire sur le projet. » L’entretien avec Aurore Lecomte m’a permis d’avoir le point de vue de quelqu’un qui observe de manière précise, depuis 18ans, les logiques urbaines marseillaises dans un but de les restituer au grand public. Elle se place plus du côté des habitants et de ceux qui vivent les changements urbains, mais possède aussi une connaissance profonde et un avis sur les dynamiques et acteurs urbains. Joke Quintens, entretien réalisé le 21 décembre 2020 Femme politique belge. Artiste ayant participé à l’élaboration d’un programme lors de la biennale « Manifesta 13 » à Marseille en 2020. Fondatrice de « Wetopia » et « Moving Marseille », des programmes de visites urbaines pour les habitants et les étrangers.
Elle se présente de cette façon : “I have a background in politics, in Belgium I’m also deputy mayor of a city, and I was also for some time in parliament, and I decided to quit politics because I really believe that from a different role, as a city maker, you can also change the city. It is also the role of an architect. (…) I’m a big Marseille lover since the 90’s already, so I saw the development and also the impact of 2013 in Marseille. (…) for me Marseille is a big laboratory for social innovation, for bottomup activism. I always say it’s a city with 2600 years of experience with diversity and immigration, but they don’t see it themselves and they don’t acknowledge it themselves. (…) Marseille was always the city of problem and we see Marseille as the city of solutions, we see Marseille as the solution.” Traduction : «J’ai un passé en politique, en Belgique je suis aussi élue à la mairie, et j’ai été quelques temps au Parlement. J’ai décidé de quitter ce monde là car je pense qu’en ayant un rôle différent, comme quelqu’un qui «fait la ville», on peut aussi la changer. C’est aussi le rôle d’un architecte. (...) Je suis une grande passionnée de Marseille depuis les années 90, donc j’ai vu l’évolution de la ville, et l’impact qu’a eu MP 2013 (...). Pour moi, Marseille est un grand laboratoire pour l’innovation sociale, et pour de l’activisme «qui vient du bas». Je dis toujours que c’est une ville de 2600 ans d’expérience avec la diversité sociale et l’immigration, mais que les habitants ne le voient pas eux-mêmes. (...) Marseille a toujours été la ville des problèmes, et nous la voyons comme la ville des solutions.» L’entretien avec Joke Quintens peut aussi être placé dans les deux catégories, car il m’a donné le point de vue de quelqu’un non-originaire de Marseille ayant choisi d’y vivre mais aussi de s’y impliquer. Participant à la fois à la vie culturelle et politique de la ville, elle m’a parlé de son expérience dans Manifesta, sa vision de comment faire la ville autrement, et les projets en cours qu’il y avait dans la ville à ce sujet. . 14
Emmanuel Patris, entretien réalisé le 06 janvier 2021 Co-président de l’association « un centre-ville pour tous » et membre du collectif « 5 novembre » créé suite à l’effondrement des deux immeubles de la rue d’Aubagne, à Marseille, en 2018. Ex-cadre de la SOLEAM (une société publique locale d’aménagement).
Il évoque, à propos de son engagement : « [Après d’autres expériences professionnelles dans l’urbanisme,] j’ai commencé à travailler dans le logement social à Paris, puis je suis descendu à Marseille pour travailler à la SOLEAM, qui était auparavant Marseille Aménagement. (...) J’y ai travaillé pendant huit ans en tant que responsable de projet puis directeur adjoint de département sur les questions d’aménagement en centre-ville et tissu ancien. J’en suis parti il y a six ans en claquant la porte car je n’étais pas à l’aise avec la politique globale de la ville de Marseille qui était appliquée par la boite. (...) depuis les effondrements de la rue d’Aubagne je me suis réinvesti dans tout ça mais dans les milieux associatifs, bénévolement, dans deux structures en particulier : le collectif du cinq novembre, collectif d’habitants né après les effondrements, et Un centre-ville pour tous qui est l’association un peu historique à Marseille, qui fête ses vingt ans, sur les questions urbaines. » L’entretien avec Emmanuel Patris m’a donné le point de vue de quelqu’un qui a décidé de s’engager, principalement sur les questions urbaines et sociales, après avoir été « déçu » de ses expériences professionnelles. Il a ainsi choisi de suivre ses convictions et m’a donné un autre point de vue sur les dynamiques à l’œuvre dans la ville de Marseille.
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fig 2 : Dessin de presse d’Hervé Pinel pour Les Echos, mettant en avant la place de la culture dans la construction de la ville. On peut notamment apercevoir l’affiche de MP 2013, ainsi que les batiments du Mucem et du FRAC (Fond Régional d’Art Contemporain) article publié le 25 janvier 2013 intitulé «Capitale de la culture, chance ou piège pour Marseille ?»
I. L A PL ACE DE L A CULTURE DANS L A VILLE DE M ARSEILLE A Marseille, l’attention accordée par le gouvernement des villes à la fonction culturelle n’est pas nouvelle et précède même la mandature de J.C Gaudin4, puisqu’on la trouve déjà dans le programme de « reconquête du centre-ville » dans les années 1990, porté par la municipalité socialiste de Robert Vigouroux. Ce dernier a impulsé une politique culturelle très ambitieuse, avec l’explosion des ateliers d’artistes et des jeunes compagnies de théâtre qui sont venues s’installer dans les quartiers du Vieux-Port et du Panier, une politique d’aide aux librairies, et la création d’une grande médiathèque régionale, qui sera inaugurée par J-C Gaudin, l’Alcazar. Ainsi, Marseille est depuis les années 90 engagée dans un très gros effort pour placer la culture au centre de sa stratégie de développement économique et de sa régénération urbaine. Comme nous allons le voir plus en détail dans cette partie, cet « effort » sera soutenu par plusieurs évènements tel que le lancement du grand projet de régénération urbaine « Euroméditerranée » en 1995 et l’obtention du statut de Capitale Européenne de la Culture en 2013 (fig 2).
4. Maire de Marseille de 1993 à 2020
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1. La culture, outil de régénération urbaine dans le projet Euroméditerranée Au cours des dernières décennies, de grandes agglomérations européennes, souvent en déclin, se sont engagées dans un processus de transformation profond des centres villes et de l’espace urbain désertifié par le déclin industriel ou portuaire. Débutée dans les années 80, la régénération de l’ancien port de Barcelone a été un des premiers projets d’aménagement urbain à faire de la culture un des leviers pour créer une ville plus attractive et internationale. Cette nouvelle stratégie, reposant notamment sur l’accueil en masse de touristes grâce à des infrastructures nouvelles pour y répondre, a fait de Barcelone le premier port touristique de croisière d’Europe : entre 1988 et 2014, les statistiques d’arrivée des touristes internationaux enregistrent une multiplication par sept, passant de 2,5 millions à 15 millions de visiteurs (BALLESTER, 2017). Ce constat du succès barcelonais est à mettre en relation avec la création de trois ports de plaisance modernes (port Vell 1992, port olympique 1992 et port Forum 2004), de nouveaux terminaux de croisières et d’un ensemble d’équipements ludiques et de loisirs modernes tels que les plages olympiques et le zoo maritime. Avec l’aide du coup d’accélérateur donné par l’organisation des Jeux Olympique en 1992, la stratégie de marketing territorial mise en place par la ville a porté ses fruits et celle-ci est désormais « un exemple en termes de régénération urbaine » (Alexandre Sorrentino, aménageur pour Euroméditerranée, entretien du 13/01/2021). A l’image d’autres villes portuaires, et dans un souci de rejoindre Barcelone à la tête des villes touristiques de la Méditerranée, la Ville de Marseille, à travers le projet Euroméditerranée, a opté pour une stratégie similaire.
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a. La récupération des franges urbano-portuaire En 1989, Robert Vigouroux est réélu maire. Il crée la « Mission à l’aménagement urbain », structure rattachée au Secrétariat général de la ville et liée à l’agAM (agence d’urbanisme de l’Agglomération Marseillaise). Baptisé Euroméditerranée, le projet créé par cette Mission reprend trois idées directrices : créer un quartier d’affaire pour attirer les investisseurs étrangers, recréer le lien, à travers l’ancien port maritime, entre le centre et les quartiers Nord de la ville, et renforcer l’attractivité et le rayonnement de l’aire métropolitaine marseillaise : « L’ambition est de créer la ville méditerranéenne et littorale de demain, durable et innovante offrant une dimension internationale à Marseille avec 30 000 habitants supplémentaires et 20 000 nouveaux emplois. Plus que jamais, Euroméditerranée s’affirme comme l’opération de restructuration urbaine la plus ambitieuse d’Europe.5» Malgré un début prometteur, avec comme première action la reconversion des Docks (fig.3 et 4), et l’arrivée du TGV qui a ouvert la perspective de projets à plus grande échelle, le contexte socio-économique fragile de la ville ralentie considérablement l’avancée de cette Mission. Les acteurs locaux, conscients de la faiblesse des ressources propres de la Ville, pensent nécessaire l’implication des échelons territoriaux et nationaux à la réussite du projet. Après plusieurs études de faisabilité, programmatique, économique et financière ainsi que les conclusions du rapport Masson6, l’Etat et les acteurs locaux créeront en 1994 un établissement public d’aménagement, l’EPAEM (Établissement Public d’Aménagement Euroméditerranée), en charge de l’opération Euroméditerranée désormais décrétée OIN (Opération d’Intérêt National).
fig 3 et 4 : Evolution des Docks du port de Marseille, situés à une des entrées de la ville. Les travaux de réhabilitation ont débuté en 1992 et les Docks de Marseille ont ouverts en 2015. ils sont désormais dévoués à la vente et à la restauration.
5. Extrait du site euromediterranée.fr, disponible ici : https://www.euromediterranee.fr/strategie 6. Le rapport Masson présente une première estimation du budget nécessaire à la réalisation de l’opération Euroméditerranée et des recommandations sur la répartition du portage financier entre l’Etat et les acteurs locaux. Il propose également un périmètre d’intervention défini au terme d’une entente entre la municipalité et le ministère de . 18 l’Equipement.
La position géographique du périmètre Euroméditerranée s’explique par la volonté du projet de requalifier et d’améliorer l’image de cette zone tampon, anciennement vouée à l’industrie portuaire et en recherche d’une nouvelle identité. Comme dans beaucoup d’autres villes à cette époque, il s’agit de reconquérir les anciens quartiers industrialo-portuaires pour étendre le centre-ville et créer une nouvelle zone à programme mixte. Ce projet urbain de près de 480 ha7, un des plus importants en France, a un positionnement stratégique : en accès immédiat avec un centre-ville en perte de vitesse, un port en pleine reconversion et des nœuds de communication fret et voyageurs importants. De plus, le territoire de l’OIN est constitué de l’association de plusieurs quartiers entiers ou découpés (Belle-de-Mai, Joliette, Saint-Charles), longtemps délaissés et concentrant les problèmes de la ville (habitats insalubres, chômage important, présence forte d’entrepôts désaffectés) . Il convient également de signaler la nette carence en équipements urbains, la forte dégradation des espaces publics, marqué par le passage de grandes infrastructures de transport (autoroutes et voies ferrées) et la présence de nombreuses friches industrielles et ferroviaires. Le tout avec un grand potentiel de valorisation de l’existant, évitant ainsi la politique de tabula rasa. Aujourd’hui encore, 25ans après le début de l’opération, et la première phase (1995-2015) achevé, l’OIN Euroméditerranée continue de transformer le front de mer de la Ville (fig 5).
fig 5 : Vue aérienne du front de mer marseillais, avec l’étendu du périmètre d’Euroméditerranée.
7. Le projet est composé d’un périmètre « historique » de 310 ha décidé en 1995 (Euroméditerranée I) et d’une extension . 19 de 170 ha décidé en 2007 (Euroméditerranée II). Voir fig 6.
frange culturelle
fig 6 : Etendu de l’OIN Euroméditerranée avec les principaux quartiers et les principales réalisations.
Dès sa création en 1994, l’EPAEM a intégré la culture comme un élément fort de sa stratégie de développement et d’aménagement. La frange littorale bord à quai qui s’étire sur 2.4 km entre le Fort Saint Jean et la Joliette a été réservé au secteur culturel et récréatif (fig 6 et 7). Ainsi, la culture gagne des espaces autrefois dévolus à la production : les installations portuaires deviennent des lieux culturels (le Silo, le Hangar J1) tandis que les lieux culturels s’installent dans l’espace urbain (Théâtre de la Minoterie, Fonds Régional d’Art Contemporain). De même, l’implantation de structures de formation liées à l’activité culturelle ou à l’économie de la culture (école d’art, de design, studio de cinéma) font partie du programme de l’OIN. . 20
fig 7 : Vue aérienne de l’etendu de l’OIN Euroméditerranée avec les équipements culturels créés dans ce périmètre
Semblant s’inspirer des success-story de Sydney ou Bilbao8, il est évoqué dès 1998 la création d’un grand équipement culturel pour marquer d’un geste architectural fort l’entrée de la ville dans une nouvelle ère post-industrielle. En théorie, ces réalisations sont pensées comme des « attracteurscapteurs » de flux externes qui, connectés aux dynamiques locales, devraient permettre la redistribution de richesses dans la ville (BERTONCELLO, DUBOIS, 2010). Ainsi, à l’initiative de l’EPAEM, le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) entérine la préfiguration du MUCEM (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) puis confirme sa création en 2000. Cette création correspond en réalité à la délocalisation du musée des Arts et Traditions populaires installé à la porte Dorée à Paris. Annoncé comme élément phare de la transformation marseillaise, la sélection des équipes autorisées à concourir constituait en soi un évènement architectural (furent en compétition : S.Holl, R. Koolhaas, Z. Hadid, R. Ricciotti, A. Bruno, P. Berger). Rudy Ricciotti et Roland Carta seront les architectes choisis, en 2003, pour réaliser le projet. Le bâtiment de 12 550m2 est entouré d’une résille de béton et est relié par une passerelle aux locaux restaurés du Fort Saint Jean, édifice médiéval classé monument historique (fig 8). Le projet est également lié à la réalisation d’un immeuble accueillant les réserves du musée situé à la Belle-de-Mai et construit grâce à un partenariat public-privé (PPP) par l’agence Vezzoni et 8. L’Opéra de Sydney et le musée Guggenheim à Bilbao sont deux architectures qui ont eu un impact très positif sur le tourisme et donc l’économie de leur ville respective. Dans le cas particulier de Bilbao, le musée Guggenheim, intégré dans un projet global de rénovation de plus de 1,5 milliard de dollars a réellement incarné et permis le repositionnement d’image de cette ville portuaire du Nord de l’Espagne qui souffrait dans les années 1990 d’une situation économique . 21 très dégradée. (GOLLAIN, 2016).
associé (fig 10). Toujours sur l’esplanade du J4, jouxtant le MUCEM, et à l’issu d’un concours international réalisé la même année, le studio Boeri/di Pol a été choisi pour réaliser « La Villa » (fig8), un audacieux bâtiment en forme d’équerre semi immergée. Cette réalisation accueille le second grand équipement culturel d’Euroméditerranée, proposant principalement des espaces d’expositions et de réunion. Non loin de ces deux bâtiments culturels, dans le quartier de la Joliette, se trouve le FRAC (Fond Régional d’Art Contemporain) (fig 9) construit par l’architecte Kengo Kuma. On y retrouve dans ces exemples la recette considérée comme gagnante de la création d’une architecture presque sculpturale, avec un programme culturel, dessiné par un starchitecte9, le tout pour avoir une visibilité maximale sur le projet et donc sur la ville où il est construit.
fig 8, 9 et 10 : De gauche à droite, le Mucem par Rudy Riciotti, La Villa par Studio Boeri, le Frac par Kengo Kuma et la réserve du Mucem par Corinne Vezzoni et associés, tous ont été livrés en 2013.
Tous ces projets viennent prolonger la multiplication d’initiatives culturelles, impulsées sous la municipalité Vigouroux, qui ont participé progressivement au changement d’image de cet espace autrefois délaissé. Maxime Tissot, directeur de l’office du tourisme et des congrès de Marseille, est formel : « Aujourd’hui, on ne peut pas se passer de la culture sur une destination, ça fait partie du rayonnement de la ville, c’est bon économiquement, et c’est bon aussi dans l’image économique. Marseille est connue par l’OM, Pagnol, la Bouillabaisse. Maintenant on commence à être connu par le festival de Jazz, le Mucem... Il faut multiplier les raisons pour lesquels on va parler de Marseille, et pour moi la culture est un élément très fort pour cela. » Cette politique consciente de reconquête de la ville industrielle par des activités ludiques et culturelles est dans l’air du temps, et Euroméditerranée semble l’avoir saisi. Toujours dans le périmètre de l’OIN, la friche de la Belle de Mai est un autre exemple d’initiatives de reconquête urbaine par la culture, cette fois par la transformation de l’existant (les anciennes manufactures de tabac), et à l’échelle d’un quartier.
9. Un ou une starchitecte est une personne qui jouit d’une grande notoriété dans le monde de l’architecture, et qui se voit . 22 élevée au statut d’icône culturelle, en raison d’un important succès auprès de ses pairs et de la critique.
b. La reconquête des friches industrielles par la culture Il est important de noter qu’à Marseille, « la culture s’envisage à l’échelle d’un quartier » (Alexandre Sorrentino, aménageur pour Euroméditerranée, entretien du 13/01/2021). En effet, la ville s’est d’abord développée autour de quartiers distincts avec leur propre centralité, leurs propres espaces publics et surtout leurs propres espaces culturels. Travailler la culture à l’échelle d’un quartier semble donc être une stratégie intéressante pour Marseille et ses habitants. Appartenant au 3ème arrondissement de Marseille, le quartier de la Belle de Mai (voir fig.6) est caractérisé par une forte présence de friches ferroviaires ainsi qu’une grande vacance de locaux commerciaux et d’habitations. Il est aussi caractérisé par sa population en grande difficulté économique : En 1995, la population du quartier comptait plus de 28% de chômeurs pour une moyenne de 18,5% au niveau de la ville (BERTONCELLO, DUBOIS, 2010). La Friche de la Belle de Mai, créée en 1991 par des artistes de la mouvance « Système Friche Théâtre » avec l’appui de l’adjoint délégué à la culture, Christian Poitevin, se situe dans l’ancienne manufacture de tabac de la Seita, en bordure de rail. Dès 1995, dans le cadre d’Euroméditerranée, la Friche est désignée « pôle culturel majeur » et l’architecte Jean Nouvel est nommé président. Aujourd’hui, c’est le cinéaste Robert Guédiguian qui est à sa tête.
fig 11 : A gauche le toit-terrasse accessible de la Friche, à droite l’entrée d’un des entrepôts rénovés.
fig 12 : «Le Playground», un espace de loisirs extérieurs dédié principalement aux enfants du quartier
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La friche de la Belle de Mai, avec un Shon de 120 000m2, n’est pas considérée comme une Zac mais constitue un pôle spécifique au sein de Euroméditerranée I. Ici, l’EPAEM réalise une réappropriation et une valorisation de l’existant. Ainsi, l’ancienne manufacture, déjà transformée en lieu culturel, est réaménagée et maintenue dans sa nouvelle mission. Le pôle de la Belle de Mai est constitué de trois types d’activités culturelles : - Le pôle patrimonial de 35 000m2 et qui abrite les archives municipales, les réserves des musées de Marseille et le Centre régional des restaurations des œuvres d’art. - Le pôle médias de 27 000m2 qui accueille des studios audiovisuels, des bureaux pour les sociétés de production et des locaux spécialisés pour les entreprises du multimédia. Les studios accueillent par exemple la chaine de télévision locale, LCM. - Le pôle spectacle vivant, de 25 000 m2, un lieu alternatif de création culturel. Il accueille 300 professionnels du spectacle et des arts. Ce projet a été notamment piloté par Patrick Bouchain et Matthieu Poitevin.
fig 13 : Axonométrie détaillée de la Friche de la Belle de Mai et ses différentes zones.
Relié à d’autres friches localisées notamment en Europe, la friche de la Belle-de-Mai s’inscrit dans un système sans toutefois réussir à instituer un véritable réseau de friches à l’échelle de Marseille: elle reste aujourd’hui un exemple unique dans la ville.
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Il est important de noter que l’OIN n’intervient elle-même qu’aux portes du quartier. A l’arrière de ce périmètre, le quartier de la Belle-de-Mai reste en grande difficulté sociale et économique. Dans un même quartier ont été séparés le traitement des problématiques de programmation d’un grand équipement culturel, élément phare de la vitrine culturelle d’un Marseille en renouveau, et la requalification du logement et des espaces publics avec un soucis de réduction du taux de chômage et des problèmes sociaux : «si la Friche constitue une opportunité pour le développement du pôle culturel, l’avenir du quartier, inscrit depuis 2001 dans le GPV, demeure encore problématique.» (BERTONCELLO, DUBOIS, 2010, p.141). La forte dissociation du volet « patrimoine et culture » de celui consacré à l’amélioration de l’habitat et de l’emploi a donc facilité le découpage périmétrale du secteur sans aborder de façon global son devenir social et urbain. En 2016, le projet urbain « Quartier Libre » piloté par la métropole Aix-Marseille Provence inclut l’entièreté du quartier de la Belle de Mai. Avec pour objectif de transformer les territoires en entrée de ville, ce projet urbain prétend se concentrer sur la place des populations présente et la prise en compte de leurs préoccupations comme de leur besoin, notamment à l’aide de concertations entre habitants, associations et acteurs institutionnels (BERTONCELLO, HAGEL, 2019). Nous pouvons toutefois nous interroger sur l’avenir de ce quartier : sa requalification nécessaire se fera-t-elle avec et pour les habitants, sachant que la mise en tension de l’échelle métropolitaine et de l’échelle de proximité parait être un grand défi à relever, dès la conception du programme fonctionnel. Depuis le début de l’OIN Euroméditerranée, dans les années 90, Marseille a subi une transformation radicale de son cœur de ville et de sa frange urbano-portuaire. Être désignée « Capitale européenne de la culture » en 2013 va lui permettre d’améliorer encore son développement et de conforter son rôle de passerelle artistique et culturelle entre l’Europe et les pays de la Méditerranée.
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2. Les stratégies de multiplication des labels culturels à Marseille En 2020 est créé le nouveau label « Capitale française de la culture », qui a pour objectif de «mettre en valeur le dynamisme et l’attractivité des territoires en distinguant tous les deux ans à compter de 2021 un projet ambitieux, structurant et innovant centré sur l’art et la culture, développé par une ville moyenne ou un groupement de communes de 20 000 à 200 000 habitants»10. Ce label vient s’ajouter aux nombreux labels et distinctions existants qui, par la demande grandissante de besoin de notoriété des villes et territoires, ne cessent de se multiplier. En effet, qu’il s’agisse de titres européens tels que « capitale européenne de la culture », de l’étiquette « ville fleurie », ou encore de l’ensemble des certifications de qualité véhiculé par les sigles AOP ou IGP, la principale fonction des sigles est de faire en sorte que les villes, métropoles ou territoires développent une visibilité aux échelles nationales et internationales et soient vu comme attractifs aux yeux du public (VIGNAU, GRONDEAU, 2018). Créés et gérés par des entités variées tels que des associations, des structures publiques ou encore des organisations internationales, la labélisation fait partie des stratégies politiques conduites dans les villes et les territoires de nos jours. Un label est souvent associé à un « grand événement » organisé pour une période donnée, généralement la période pour laquelle la ville ou le territoire sera labélisé. De tels évènements donnent un coup de projecteur sur le territoire ou la ville choisis et, en apportant un nouveau budget et de nouveaux acteurs, accélèrent considérablement le développement urbain. Ainsi, villes, métropoles et territoires vivent concurremment ou à tour de rôle au rythme de grands évènements culturels de formes multiples et variés. Marseille en est l’exemple.
10. Voir : https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14368
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a. « Capitale européenne de la Culture », l’expérience de Marseille-Provence en 2013 Le label « Capital Européenne de la Culture », créé en 1985 par Jack Lang et Mélina Mercouri11, a pour but de promouvoir les idées européennes par la culture. Ainsi, une ville européenne est désignée par l’U.E. pour une période d’une année civile durant laquelle un programme de manifestations culturelles est organisé. Dans les premières années, les villes sélectionnées étaient des villes qui avaient déjà un fort potentiel culturel et étaient donc des candidates parfaites pour mettre en valeur cette culture européenne. Cependant, les acteurs ont rapidement fait le constat qu’organiser un tel évènement dans une ville où la culture était déjà présente semblait presque inutile : « en 1989, lorsque Paris était capitale européenne de la culture, personne ne s’en était vraiment rendu compte » (Ulrich Fuchs, expert dans les capitales européennes de la culture, entretien du 18/01/2021). Pour autant, les responsables ont compris que cet événement aurait un impact plus important dans une ville où la culture n’était pas encore mise en valeur. Ainsi, dès 1990, avec le choix de Glasgow comme capitale européenne de la culture, s’est opéré un changement et réorientation de politique : désormais les villes choisies seront celles où la culture n’a pas vraiment sa place dans la ville et qui pourront utiliser cet événement et cette labellisation pour redynamiser leur territoire et changer leur image à l’international, à travers un programme de renouvellement urbain : « On dit souvent qu’une capitale de la culture, ça vous fait gagner cinq ou dix ans en terme de marketing territorial. Au départ les capitales de la culture étaient vraiment centrées sur la question culturelle, la dynamique de création, de diffusion, des échanges, etc. Car il fallait que ça promeuve une idée européenne de la culture. On s’est aperçu que les cinq, six, dix dernières années, on était plus sur le couronnement d’une ville qui fait un projet urbain. C’est à dire que la culture était évidemment l’élément central mais on parlait plus de dynamique marketing que finalement de culture. Ça a été une réussite surtout pour les territoires qui étaient en panne économique, en perte de vitesses et surtout en perte d’images. » (Alexandre Sorrentino, aménageur pour Euroméditerranée, entretien du 13/01/2021). Ainsi, cela permet, au-delà de l’aspect culturel, de redonner une attractivité économique pérenne à la ville et d’attirer les capitaux par les investissements et le tourisme. Glasgow avait à l’époque une très mauvaise image de ville post-industrielle avec un fort taux de chômage. Cette année lui a permis de se réinventer en investissant beaucoup dans la culture et les infrastructures, et en ayant pendant un an un « coup de projecteur » sur son territoire (Ulrich Fuchs, expert dans les capitales européennes de la culture, entretien du 18/01/2021). La ville de Marseille, à l’instar de Glasgow, a été choisie face à ses adversaires car c’était la ville qui, à l’instant T, avait le plus besoin de cet événement pour combler le retard, en termes de culture et de développement urbain, qu’elle avait pris ces dernières années. A titre d’exemple, à l’époque, la friche de la Belle de Mai n’était encore que très peu connue auprès des habitants car elle se situait dans un quartier très défavorisé de la ville. C’est en outre l’évènement capitale de la culture qui l’a aidé à se développer et lui a conféré une visibilité, à l’échelle municipale, métropolitaine et nationale. 11. Respectivement ministres de la Culture en France et en Grèce à l’époque
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La culture n’a jamais vraiment semblé manquer à Marseille. On peut notamment évoquer les formes « non conventionnelles » d’expressions artistiques comme les arts de la rue ou encore la musique et la danse, ainsi que la programmation diversifiée de festivals. On pense aussi à son grand patrimoine qui témoigne de l’histoire populaire de la plus vieille ville de France, construite autour de son port il y a plus de deux millénaires. Mais on pourrait aussi faire état des équipements culturels en présence à l’époque et de leur programmation. Même si la municipalité semblait s’impliquer dans une politique de rattrapage et de développement, notamment en augmentant le budget à la culture (70M en 1995 contre 117M en 2009, soit une progression de 68% en dix ans12) et en lançant le projet de renouvellement urbain « Euroméditerranée », Marseille, dans ce domaine, avait accumulé un certain retard face aux autres villes françaises. Dans un contexte de lente dégradation financière, et avec en tête la réussite de Lille, capitale européenne de la culture en 2004, Marseille se lance dans le processus de candidature de Capitale européenne de la Culture. En 2007, la ville ne candidate pas en tant que « Marseille 2013 » mais en tant que « MarseilleProvence 2013 » (MP 2013), une association regroupant les collectivités et les partenaires privés créée en 2006 spécialement pour la candidature. Ainsi, le territoire de la Capitale européenne de la culture couvre 97 communes autour de Marseille et s’apparente à ce qu’on appelle aujourd’hui la Métropole d’Aix-Marseille-Provence. Cette labélisation MP 2013 va permettre à Marseille de s’affirmer en tant que Marseille-Provence, c’est-à-dire comme une agglomération étendant son rayonnement par-delà ses frontières, au sein d’une aire allant jusqu’à Aix-en-Provence et Arles, un territoire plus puissant à l’échelle internationale car plus important en termes d’espace, d’économie et surtout de culture. Lors du jury de sélection, les porteurs du projet ont su démontrer que Marseille-Provence était indéniablement le territoire pour lequel l’obtention de ce label sera le plus bénéfique : c’est à la fois celui qui était « le plus mauvais » en termes de développement économique, urbain et social, mais aussi celui qui avait une dimension culturelle très forte, pouvant contribuer au rayonnement de l’Europe. A cela s’est ajouté la promesse d’un engagement important du monde économique et le développement d’un programme culturel solide (LATARGET, 2010, §8 et 9). Ces discours ont porté leurs fruits car Marseille-Provence est nommée capitale de la culture 2013. Avec un budget de 98M d’euro sur quatre ans13, l’événement MP 2013 permettra à Marseille de mettre tout en œuvre pour transformer de manière pérenne son image. Selon Sandra Rossi, directrice de la communication à la Ville de Marseille, la ville a été choisie pour « ce qu’elle pourrait donner de manière durable », et ça été un pari réussi. Non seulement « ça a apporté du concret en termes de programmation, de rayonnement mais ça aussi convaincus nos décideurs d’unifier d’autres candidatures ». Elle affirme que « c’est MP2013 qui a donné l’idée de concourir à d’autres grands évènements pour devenir Hôte (…) et que le bouquet d’offres c’est consolidé après MP 2013 ».
12. Bertoncello, B, Dubois, J, « Marseille Euroméditerranée, accélérateur de métropole », 2010, p.189. 13. Budget financé pour une part importante par la Ville, MPM, le département, la Région et d’autres intercommunalité. Les partenaires économiques ont participé à hauteur de 15% soit au même niveau que l’Etat français et l’Europe réunis. . 28 Données extraites du livre « Marseille Euroméditerranée, accélérateur de métropole », p.191.
fig 14 : Installation scénographiée de Stéphan Muntaner pour la Chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence.
« Grâce à MP2013, les Marseillais ont pris l’habitude de se rassembler autour d’un événement culturel et ce n’était pas gagné d’avance. Il faut se souvenir qu’à l’époque un fond d’incrédulité régnait dans la ville, très loin d’être la deuxième ville de France en matière d’offre culturelle » Jean-François Chougnet, président du Mucem, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, pour le Point14. La stratégie de marketing territorial développée autour du territoire Marseille-Provence, liée à l’organisation de l’évènement Marseille-Provence capitale de la culture 2013, a porté ses fruits: la visibilité et l’attractivité territoriale ont crû en 2013 par rapport aux années précédentes. En 2013, il y a eu plus de 10 millions de visites touristiques sur l’ensemble du territoire MP13 ainsi qu’une hausse de 8 % des nuitées passées dans les hôtels régionaux. Il y a eu aussi les retombées médiatiques positives dans la presse nationale et internationale : 11 000 citations dont 19 % dans la presse étrangère et 15 % dans la presse nationale non locale15. Pour reprendre les mots de Maxime Tissot, directeur de l’office du tourisme et des congrès de Marseille, « En 2013, il y a eu une grande fréquentation touristique, surtout au deuxième semestre. On a gagné l’équivalent du mois de novembre, on a fait treize mois au lieu de douze. (…) L’année Capitale nous a permis de rentrer dans une dimension différente : on a franchi une marche sur 2013 et on a continué à progresser ». C’est sur ces chiffres rassurants que la ville, désireuse de profiter de « l’effet 2013 » et de toujours augmenter son attractivité, est entrée dans le jeu compétitif des labélisations et des grands évènements nationaux et internationaux.
14. AFP, « Marseille capitale européenne de la culture : cinq ans après, que reste-t-il ? », 2018 15. Données extraites du rapport d’évaluation des impacts de Marseille-Provence 2013 publié en 2014 par Euréval et . 29 commandité par la ville
b. Le Marseille « d’après », une ville qui vit au rythme de grands événements culturels Nous l’avons vu, la perception du concept de « Capitale de la Culture », au départ porteur uniquement d’événements artistiques et culturels, englobe désormais des projets de développement des villes et de leurs régions sur le long terme. A l’image de Lille, Marseille va essayer de pérenniser l’effet bénéfique de « Marseille-Provence 2013 » à travers l’organisation de différents évènements culturels à l’échelle nationale et internationale. Lille, capitale européenne de la culture en 2004, est souvent citée comme bon exemple quant aux retombés positives de cette labélisation : elles furent telles que la ville et les principaux promoteurs de l’évènement ont voulu recommencer Lille 2004 dès sa fin. Pour reprendre les mots du patron de Bonduelle pour justifier la rapidité de cette décision : « Ne nous demandez pas d’études, d’analyses, de recherches savantes sur les impacts et sur les retombées de Lille 2004, moi je peux vous dire que Lille 2004 nous a fait gagner dix ans, à nous les chefs d’entreprises, nous les représentants du monde économique, nous les acteurs principaux de la stratégie de développement de la métropole lilloise » (LATARJET, 2010, §1). En d’autres termes, Lille 2004 a apporté à la ville dix ans de notoriété, de reconnaissance, de rayonnement, d’attractivité, et une place parmi les métropoles de référence européenne, et ce grâce à un investissement culturel massif. Pour ne pas perdre ce dynamisme, la ville et les acteurs privés ont inventé une manière de pérenniser la capitale européenne de la culture en créant la biennale Lille 3000. En plus de réutiliser les lieux culturels créés en 2004, elle en crée également de nouveaux et, tous les trois ans, organise de grands évènements culturels thématiques (première saison en 2006 sur le thème de l’inde) qui attirent sur plusieurs mois des millions de visiteurs. De ce fait, Lille a pour volonté de ne jamais vraiment cesser d’être une capitale européenne de la culture, et Marseille se lance aussi sur cette voie.
fig 15 et 16 : Affiches officielles de deux des grands évènements culturels qui ont succedés à MP 2013.
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Dans la suite directe de MP2013, 5 ans après et sur le même territoire, s’est organisé l’événement culturel « MP2018 Quel Amour ! » (fig 15). C’était une programmation collective, établie par 15 directeurs de structures, et une centaine d’acteurs culturels de la région, qui avait pour thème « une déclaration d’amour à la culture sous toutes ses formes ». Avec un budget s’élevant à 5,5 millions d’euros (la moitié assurée par des partenaires privés, 36% par des subventions publiques et le reste financé par les recettes du solde de MP201316) expositions, balades urbaines, opéras, pièces de théâtre et spectacles de cirques furent organisés pendant sept mois sur tout le territoire de Marseille-Provence. Il s’agissait pour l’État, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le département des Bouches-duRhône et la Ville de Marseille de renouveler l’expérience de MP2013 et de « valoriser au maximum les nouveaux établissements culturels inaugurés en 2013 »17. Avec 1,2 millions de visiteurs sur les 1 millions prévus initialement, et sans connaitre de déficit budgétaire, l’événement fut considéré comme une réussite. Contrairement à MP2013 où trop peu d’acteurs culturels locaux avaient fait partie des organisateurs, MP2018 a été organisé par des directeurs artistiques issus d’institutions locales. La Friche de la Belle de Mai, le Théâtre de la Criée ainsi que la Goethe Institut, pour ne citer quelques institutions marseillaises, ont pu mettre en avant leur production culturelle. En 2015, toujours dans l’optique de continuer l’effet « capitale européenne de la culture », la ville candidate à l’accueil de « Manifesta » (fig 16), Biennale internationale de création contemporaine. Dans la lignée des événements internationaux, catalyseurs d’énergie et sources d’attractivité pour le territoire, Manifesta a pour but de capter l’intérêt et confronter le grand public à la création contemporaine spécifique aux villes qui accueillent l’évènement. Tournée principalement vers le social, la biennale propose des programmations expérimentales destinées avant tout à des publics locaux et régionaux. Le but pour les villes d’accueils est de découvrir des histoires et perspectives différentes sur les pratiques artistiques et sociales et ainsi éclairer différemment sur l’impact que la culture peut avoir sur la vie quotidienne. On peut notamment citer les mots de la directrice et fondatrice de Manifesta, Hedwig Fijen : « Il s’agissait de donner aux habitant.e.s toute latitude pour envisager l’avenir de Marseille en pariant sur l’intelligence collective et citoyenne » (MVRDV, 2020, p.31). La treizième biennale Manifesta se déroule donc à Marseille, en 2020, et se nomme Manifesta 13. A la différence de MP2013 et MP2018, Manifesta fut un événement culturel international à l’échelle de la ville de Marseille. Malgré le contexte sanitaire qui a fait que la biennale a connu plusieurs difficultés et s’est arrêtée plus tôt que prévue, 120 000 visiteurs ont pu en profiter, avec 90% de public local et régional18. Au-delà de la problématique de réussite économique de l’évènement culturel, ce dernier a surtout permis d’apporter un regard extérieur sur les dynamiques à l’œuvre dans la ville de Marseille et de montrer aux yeux de tous ses aspects négatifs et positifs. Ceci a été possible grâce à une étude urbaine, intitulée Le Grand Puzzle, et réalisée par l’agence MVRDV de Winy Maas et The Why Factory en collaboration avec une centaine d’étudiants et professeurs des 16. Données extraites de l’article publié routard.com le 7 février 2018. Voir : https://www.routard.com/evenements-envoyage/cid136706-mp2018-marseille-quel-amour.html 17. idem. 18. DESTIMED, « Marseille. Bilan de la biennale européenne « Manifesta 13 »», 2020
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écoles d’art et d’architecture de Marseille. Plutôt que de présenter uniquement Marseille et ses clivages sociaux, économiques, politiques ou culturels, Le Grand Puzzle met aussi en valeur sa cohérence, et propose des visions d’avenir. De plus, les résultats de l’étude ont impulsé le projet « Le Tour de Tous les Possibles », une expérimentation de participation citoyenne, développé par Joke Quintens et Tarik Ghezali consistant à échanger autour des résultats de l’étude urbaine directement avec les citoyens marseillais. Cette expérience a donné naissance à l’« Assemblée du futur », projet proposé par la nouvelle municipalité et qui invitera les habitants de Marseille, aux côtés des élus et des experts, à participer aux prises de décisions de la ville. Ce projet n’est pour l’instant qu’au stade de l’écriture. Ces évènements, et en particulier la biennale Manifesta, montrent l’impact que la culture peut avoir sur le développement urbain et territorial, sur l’économie, le tourisme, l’image d’une ville. Et surtout, sur ses habitants. Pour reprendre les mots d’Hedwig Fijen, directrice de Manifesta, «La 13e édition de Manifesta à Marseille en 2020, «Annus horribilis», révèle une biennale en pleine transition. Cette période nous renvoie de manière critique à notre plus grand défi : comment l’art et la culture peuvent lutter contre la polarisation et la division, en repensant la production culturelle et l’institutionnalisme en solidarité avec nos publics locaux et comment prendre soin, non seulement de nos propres institutions, mais aussi de l’ensemble de l’écosystème artistique. (…)19» Maxime Tissot, directeur de l’office du tourisme et des congrès de Marseille, le confirme : «La culture est pour moi est un élément très fort de l’attractivité touristique, certes, mais aussi de l’attractivité d’une destination [dans son ensemble]. Aussi bien à travers une politique liée aux festivals, qu’une politique liée à la création d’infrastructures ». Nous l’avons vu, ces politiques ont été mises en place à Marseille, et les résultats sont présents. En 1998, Marseille accueillait 3 millions de touristes. Dix ans plus tard, la ville en accueillait 5 millions. Marseille est la 5ème ville la plus visitée de France et les chiffres sont en hausse. En 2016 le secteur touristique de la ville employait 14 594 personnes, une augmentation de 1,9% par rapport à l’année précédente. (MVRDV, 2020, p.154). Le Marseille « d’après 2013 » continue à tirer son épingle du jeu et se place aujourd’hui aux rangs des villes les plus attractives de France, voire d’Europe.
19. DESTIMED, « Marseille. Bilan de la biennale européenne « Manifesta 13 »», 2020
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fig 17 : Entre anciens (La Major en arrière plan) et nouveaux (le Mucem au premier plan) bâtiments culturels, le front de mer de la ville de Marseille a été redessiné.
II. LA CULTURE AU SERVICE DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ? Nous l’avons vu précédemment, la culture a une place importante dans les stratégies de marketing territorial mises en place par Marseille. La ville n’est pas la seule à avoir choisi ces stratégies car désormais, « faire du culturel » répond à un objectif d’attractivité territoriale (DUFRAIGNE, 2016). De ce fait, la culture acquiert un rôle de levier pour rendre les villes plus attractives et participe au renouvellement urbain : intégrée à un projet de développement urbain, elle permet de se réapproprier des espaces en jouant le rôle de pacificateur auprès des différents acteurs ; sous la forme de grands évènements, elle est un accélérateur de projets et catalyseur de ressources ; utilisée comme élément fort de la communication d’une ville en renouvellement, elle devient l’élément constitutif de son image et participe à son attractivité à l’échelle internationale et interurbaine, attirant plus d’investisseurs, de touristes et de néo-arrivants. Cette partie relatera principalement le point de vu des « décideurs ». En effet, les entretiens réalisés ont mis en avant que cette vision de la culture comme levier dans l’aménagement du territoire est avant tout celle des politiques, aménageurs et urbanistes. Les acteurs de la culture et les collectifs d’habitants se placent plus souvent dans la dénonciation de tels procédés.
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1. Accélératrice, catalyseuse, fédératrice… la culture comme moteur pour faire Utilisée dans les politiques de marketing urbain, la culture est vue comme « un moyen plus qu’une finalité » (Alexandre Sorrentino, aménageur pour Euroméditerranée, entretien du 13/01/2021). Cette vision de la culture fait que, selon les pouvoirs publics et les aménageurs urbains, elle peut être utilisée pour fédérer toutes les échelles d’acteurs, allant des décideurs aux habitants, et ainsi permettre une réappropriation pacifique d’espaces urbains à l’abandon. De plus, la temporalité, souvent courte, des grands évènements culturels amène une échéance qui joue un rôle d’accélérateur de projets, catalysant acteurs et financements pour un même objectif : « On a utilisé 2013 pour métamorphoser Marseille, et cela a été fait très rapidement : il y a eu 250 millions d’euro investis dans les infrastructures (rénovation et création) et en 2012 la reconstruction du tramway dans Marseille. » (Maxime Tissot, directeur de l’office du tourisme et des congrès de Marseille, entretien du 28/01/2021). . 34
a. La culture comme moyen de réappropriation Alexandre Sorrentino, aménageur pour Euroméditerranée, et Maxime Tissot, directeur de l’office du tourisme et des congrès de Marseille, s’accordent à dire que la culture est un moyen privilégié pour la Ville ou les instances publiques de se réapproprier des espaces en perdition. Selon le premier : « L’aménageur se sert de la culture aujourd’hui, plus fortement encore, comme d’un levier de réappropriation d’un quartier, de pacification urbaine et sociale sur les quartiers où il n’y a rien.». Pour le second, « La culture peut restructurer un quartier, une zone urbaine, et Euromediterranée n’a pas fait l’erreur qu’ont fait les Docks de Londres ou la City, qui sont des quartiers morts après 17h car il n’y a pas d’Écoles, de logements, de culture, etc. Il faut mixer les usages. ». En effet, le projet Euroméditerranée 2 veut que la culture constitue « un levier d’action pour transformer l’urbain grâce à une démarche collaborative associant un aménageur public, des collectifs d’artistes, des acteurs publics locaux et des habitants et utilisateurs du territoire. »20. Cela se fera notamment en mettant à disposition des acteurs culturels des friches industrielles ; le tout en impliquant la population, dans le cadre d’une démarche d’urbanisme transitoire, projet baptisé « MOVE » (Massalia Open Village Expérience) par l’EPAEM. Le principe de ce projet est de développer une stratégie de « programmation culturelle de proximité »21 dans des quartiers sousdotés en équipement publics (fig 18). L’urbanisme transitoire « englobe toutes les initiatives qui visent, sur des terrains ou bâtiments inoccupés, à réactiver la vie locale de façon provisoire, lorsque l’usage du site n’est pas déterminé ou que le projet urbain ou immobilier tarde à se réaliser. Ces initiatives se situent entre le temps court de l’événementiel et de l’éphémère, et le temps long d’un urbanisme qui se veut durable. (...) » (DIGUET, 2018). A Marseille, on trouve un exemple d’urbanisme transitoire par la culture avec l’exemple de la Friche de la Belle de Mai.
fig 18 : Objectifs de la démarche d’urbanisme mise en place par «Move». Document disponible en annexe p.71 20. Euroméditerranée, « protocole-cadre de partenariat no V pour l’extension d’Euroméditerranée (2011-2030) », p.15 . 35 21. idem
Evoquée dans la première partie, la Friche de la Belle de Mai est un exemple de réappropriation d’un quartier par la culture, et met en valeur l’importance que peuvent avoir ces friches culturelles dans l’aménagement urbain. Dès le début, le projet de transformation de la Friche avait la volonté d’impacter positivement les quartiers environnants et est né d’une collaboration entre différents acteurs, dans un rapport gagnant-gagnant. La Seita, propriétaire des lieux à l’époque et ne savant qu’en faire, signe une convention d’occupation précaire22 avec les acteurs culturels ; une manière pour cette entreprise d’entretenir et sécuriser le site à moindre coût dans l’attente d’une future revente. La ville, à travers C. Poitevin (adjoint aux politiques culturelles, sous la municipalité Vigouroux) s’associe au projet avec pour idée de « promouvoir l’utilisation temporaire des friches visant à requalifier ces territoires, grâce à la culture, ou tout au moins à lutter contre les impacts négatifs des lieux vies dégradés des quartiers environnants » (ANDRES, 2010). Enfin, pour les acteurs culturels, c’est une opportunité de pouvoir disposer d’un terrain d’expérimentation à moindre coût. La Friche de la Belle de Mai acquiert très vite le statut d’« équipement-vitrine » pour la ville, avec une renommée locale, nationale et vite européenne. La Friche est d’ailleurs insérée dans le projet Euroméditerranée en 1995 comme partie prenante des équipements de valorisation «indispensables pour créer l’image de l’opération et provoquer l’effet d’entraînement nécessaire à son démarrage» (ANDRES, 2010, §9). En effet, les activités nouvellement implantées dans cette friche ont redonné vie au lieu et ont modifié sa relation aux quartiers environnants. En accueillant de multiples structures et groupes (l’hebdomadaire Taktik, Radio Grenouille, le restaurant La Mezzanine, les danseurs du groupe Dunes ou l’association Aide aux Musiques Innovatrices), le lieu a pris une dimension autre que locale et cela a conduit à l’afflux de nouvelles personnes et activités (ANDRES, 2010). On assiste alors à l’arrivée « par choix » d’un nouveau type de population dans le quartier : « Ces populations, composées d’artisans, de professions libérales, de cadres moyens à la retraite, de professions intellectuelles, de jeunes actifs en début de carrière professionnelle et d’étudiants, s’installent à la Belle de Mai depuis une dizaine d’années, attirées à la fois par des opportunités immobilières dans un secteur à proximité du centre-ville et des réseaux de transport à l’échelle nationale et internationale (autoroute, gare, navettes aéroport…) et par le caractère populaire et l’ambiance « village » (formes urbaines, interconnaissances et dynamiques collectives). » (BERTONCELLO, HAGEL, 2019). Ces populations vont « prendre en charge » le développement urbain de leur quartier en s’organisant en collectifs ou associations : à titre d’exemple, le collectif « Brouettes & Compagnie » prône le droit à la « maitrise d’usage »23 et demande son intégration, à terme, dans le code de l’urbanisme (BERTONCELLO, HAGEL, 2019, entretien avec un membre de l’association). Ainsi, leur première action sera de rendre visible le manque d’équipements culturels de base (le 3ème arrondissement est dépourvu de bibliothèque) en créant des bibliothèques temporaires en extérieur et assurant une veille sur les locaux vacants possiblement aménageables en bibliothèque (fig 19). Ce collectif n’est pas le seul dans ce quartier et les actions ne cessent, encore aujourd’hui, de se multiplier. 22. En vertu de cette convention, un propriétaire octroie un droit d’occupation à un preneur en contrepartie d’une compensation financière modique. (LegalPlace.fr) 23. La «maîtrise d’usage « est née de la volonté des habitants, citoyens, usagers de se situer au cœur du processus d’élaboration du Projet, aux côtés de ses acteurs traditionnels, le maître d’ouvrage, qui commande l’ouvrage, et le maître . 36 d’œuvre, qui met en oeuvre la commande.» (Jean-Marie Hennin). Voir : http://www.maitrisedusage.eu
fig 19 : Affiche créée par le collectif Brouettes et Compagnie pour militer pour la construction d’une bibliothèque dans l’arrondissement 13003, et photographie d’une «bibliothèque temporaire».
Si à l’origine l’occupation de cette friche était vue comme temporaire, d’où la convention d’occupation précaire, il y a eu une prise de conscience de la nécessité de construire une stratégie de développement pérenne pour tirer profil de l’image positive que renvoyait ce site. En 2002, le terrain devient propriété publique et la friche de la Belle de Mai continue d’évoluer avec un soutien politique et financier de la ville, ainsi que d’Euroméditerranée. De plus, la Friche est régie par une SCIC24 (la première SCIC culturelle en France) ce qui lui permet d’être complètement autonome quant à la gestion et l’évolution du site, lui donnant le statut d’une véritable «entreprise» culturelle. Sonja Preu, employée du Goethe Institut à la Friche, confirme que le statut de SCIC « permet d’être plus sur quelque chose d’horizontal, avec une bonne communication, des idées et des intérêts communs ». De plus, ce statut «laisse une très grande liberté aux associations et aux acteurs». La régénération culturelle, par exemple sous forme d’urbanisme transitoire, est donc un bon moyen pour les pouvoirs publics de transformer, en collaboration avec des acteurs culturels et utilisateurs, un lieu abandonné ou en difficulté, dans une optique de redynamisation économique et sociale. Dans le cas de la Friche de la Belle de Mai, nous avons pu voir que ce principe d’urbanisme transitoire a débouché sur un projet pérenne, où les acteurs culturels, ainsi que les habitants qui utilisent ce lieu, semblent avoir autant gagné que les pouvoirs publics. Néanmoins, nous pouvons nous demander si, à l’origine, ces stratégies sont réellement faites pour que tous les acteurs, y compris les habitants de ces lieux régénérés, y trouvent leur compte. Sonja Preu émet à ce sujet une réserve car, par exemple, « la population [de la belle de mai] est très fragile et on se demande si les propositions de la friche de la Belle-de-mai sont faites pour eux ou pas».
24. Société Coopérative d’Intérêt Collectif ; Une vingtaine d’artistes-résidents accepte de participer financièrement au capital de la SCIC, dont ils deviennent membres, et la redevance réglée par chaque structure permet ensuite d’équilibrer le budget de fonctionnement en assumant les coûts de gestion, de gardiennage, etc. qu’assumaient jusque-là l’association . 37 Système Friche Théâtre.
b. Les grands événements culturels comme accélérateurs de projets “When I compare the different cities for cultural capital I think Marseille did a great job. Because they used the moment of 2013 as an enabler to accelerate other projects. I think it’s not right to say it was all 2013 because it wasn’t, they already were developing Euromediterranée, and a lot of other things, but it was a good moment to accelerate.25” (Joke Quintens, acteur culturel et habitante de Marseille, entretien du 21/12/2020) Nous avons vu, dans la partie précédente, que l’organisation de l’évènement culturel international « Capitale européenne de la culture 2013 » a permis à la Ville de Marseille et au territoire MarseilleProvence d’être à la vue de tous pendant un an, impactant considérablement le tourisme et l’image de la ville. Mais l’accueil d’un tel évènement implique que les villes soient prêtes à accueillir les nouveaux arrivants, notamment en termes d’infrastructures et de programmations culturelles. Ainsi, les années précédant la date d’inauguration, on assiste à une accélération dans la création ou la rénovation de lieux culturels. Alexandre Sorrentino, aménageur pour Euroméditerranée, le confirme en évoquant le coup d’accélérateur qu’a été l’organisation de MP 2013 sur le projet d’aménagement urbain Euroméditerranée. Selon lui, avoir obtenu le titre de capitale européenne de la culture était « tant mieux », mais ce qui a été le plus important fut « le cheminement qui a été mis en œuvre par toutes les forces vives de la ville pour accueillir au mieux cet évènement ». Selon lui, à Marseille, il faut toujours un « truc » qui permet de « créer une forme de cohésion le plus large possible au service du territoire ». En créant cette cohésion, les projets urbains et architecturaux deviennent plus facilement réalisables. Le projet du Mucem en est le cas le plus représentatif car, pour reprendre les mots d’Ulrich Fuchs, expert des capitales européennes de la culture : « Sans avoir reçu le label capitale européenne de la culture, je ne suis pas sûr que le Mucem existerait ». En effet, le Mucem (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) devait être mis en œuvre en 2004, dans le cadre de l’OIN Euroméditerranée I. Faute d’investissement publics et manquant d’assises et de justifications (à l’époque, cela était vu comme « un remplissage » du J426 par un maximum de projet sans réelle pertinence) le Mucem avait été mis de côté. Pourtant, juste après l’obtention du label MP 2013, Capitale européenne de la culture, le projet va être réenclenché. Malgré un retard de cinq ans sur la livraison, initialement prévue pour 2008, puis repoussée à 2010, le nouveau musée national ouvrira ses portes en 2013, juste à temps pour l’évènement. Ainsi, dans le souci que la ville soit « prête » à accueillir MP 2013, toutes les incertitudes liées à la réalisation de grands équipements culturels disparaitront, et à la création du Mucem s’ajouteront la rénovation du Musée des Beaux-arts et du Musée d’Histoire naturelle de Marseille, ainsi que la construction de la Villa Méditerranée, le nouveau Centre Régional pour la Méditerranée.
25. «Quand je compare les différentes villes qui ont été Capitale Européenne de la culture, Marseille a fait du bon boulot, car ils ont utilisé cet évènement comme un «moyen» de faire d’autres projets. Je ne pense pas que ce soit juste de dire que c’est uniquement grace à MP 2013, car les projets étaient déjà en développement, mais ça a été une bonne raison pour accélerer les choses.» 26. Le J4 était un des quais du port, sans fonction à l’époque, et faisant parti du projet de renouvellement urbain . 38 Euroméditerranée
Sonja Preu, employé de le Goethe Institut à la Friche affirme que grâce à MP2013, « les locaux ont eu plus de moyens de faire ce qu’ils faisaient » et « la friche a évolué d’une manière positive », avec par exemple l’apparition du « Goethe Institut qui doit son renouveau à MP 2013 ». Comme dans un cercle vertueux, ces réalisations seront toujours épaulées par la création d’autres équipements complétant l’offre culturelle : des grands centres commerciaux, une meilleure offre de transport et des espaces et infrastructures de loisirs. Proche du Mucem, sur le périmètre d’Euméditerranée, s’est construit au même moment d’autres équipements de loisirs tel que le centre commercial des Terrasses du Port, le Musée de la Fondation Regard de Provence et les Voûtes de la Major (regroupement de galeries d’art et de restaurant) (fig 20).
B G H
D
A
C F
E
fig 20 : Comparaison d’un vue aérienne Google Earth en 2010 (à gauche) contre une vue actuelle (à droite). Nous pouvons voir que l’ancien port maritime a changé de fonction : les grands paquebots (A) ont disparu au profil d’un bateau de croisière (B). Un traitement du sol, principalement en béton, a été réalisé pour créer plus d’espace pour les piétons, notamment autour de La Major (C) et derrière les Docks, avec l’ajout d’un Tramway (D). Le musée du Mucem (E), l’espace commercial des Voutes de la Major (F) et des Docks (G), ainsi que le grand centre commercial des Terrasses du Port (H)ont été construits. En l’espace de dix ans, le front de mer marseillais s’est métamorphosé.
L’accueil de ces grands évènements place les projets urbains et architecturaux dans une planification urbaine par l’évènementiel. Cette planification a la particularité d’avoir une échéance, ajoutant un facteur « d’urgence » à la finition des projets. Cela impose donc de « dépasser les clivages entre acteurs, de régler au plus vite les problèmes et de mettre en place une structure de gestion flexible. Elle donne du crédit à la nécessité de la mobilisation rapide de financements. » (GRAVARI-BARBAS, JACQUOT, 2007, §28). C’est donc un accélérateur. . 39
2. La culture au service de la concurrence internationale et interurbaine Partout dans le monde, les grandes et petites villes cherchent à devenir attractives et, de nos jours, l’internationalisation des villes est un objectif majeur des politiques urbaines, afin d’attirer le plus de flux humains et économiques (investissements, tourisme, immobilier, etc.). Ainsi, les villes et les métropoles vont « influencer » leur public en livrant une identité la plus cohérente et attractive possible afin d’avoir une image positive. Pour se faire, elles vont notamment avoir recours à la culture comme moyen pour neutraliser leurs anciennes images et en créer une nouvelle, plus adaptée aux « goûts » contemporains, mais centrée sur la singularité de la ville en elle-même. Pour compléter ce processus, les grands évènements et labélisations vont devenir de réels outils convoités par toutes les villes pour accéder à « leur heure de gloire » et avoir leur « coup de projecteur ». . 40
a. Une image de ville culturelle pour véhiculer une image de ville attractive Promouvoir une image de ville « attractive », c’est-à-dire rendre la ville désirable et identifiable, se rapproche du concept que l’on appelle le « city-branding ». Ce dernier s’inspire des techniques modernes de commercialisation pour valoriser la ville à travers la création d’une marque et de slogans publicitaires. A titre d’exemple, nous pouvons citer le plus connu : «I Love New York». C’est une démarche de labellisation qui permet à la fois d’affirmer son nouveau statut (par exemple de capitale culturelle, de métropole innovante, de ville verte, etc.) et à la fois un marquage symbolique reposant sur la mise en avant des valeurs locales, d’une histoire singulière, de qualités esthétiques, d’un patrimoine, etc. Grâce à ce marketing identitaire, des villes comme Barcelone, Bilbao, ou récemment Marseille, se sont dotées d’une nouvelle « image de marque 27» qui a largement contribué à renforcer leur attractivité. (DAMON, 2015, p.66) Avant 2013, la ville de Marseille à elle seule n’était pas une destination touristique des plus prisée et l’image à laquelle le nom « Marseille » renvoyait était en proie à des stigmates négatifs (DUFRAIGNE, 2016, p.23). Au contraire, la « Provence » jouissait d’une très bonne image, et ce même à l’international. Pour reprendre les mots d’Anabelle Dufraigne dans son mémoire intitulé L’instrumentalisation des stéréotypes en marketing territorial : le cas de la métropole MarseilleProvence : « Pour la métropole de Marseille, il est important de s’associer à la marque Provence afin d’optimiser son offre touristique et d’attirer, ainsi, le plus de capitaux possibles, en plus des investisseurs. » Ainsi, Marseille se présente à la candidature pour la capitale européenne de la culture comme Marseille-Provence, un territoire qui, dans un contexte de « méditerranéisation » de l’Europe, avait des enjeux culturels importants aux yeux de l’union : l’immigration, le rapport entre les cultures, entre les religions, entre les sexes, l’écologie, etc. De plus, à la différence de ses adversaires (Lyon, Toulouse et Bordeaux), Marseille a su mettre en avant le fait que l’obtention de ce label serait particulièrement bénéfique pour réduire ses grandes faiblesses sociaux-culturelles. La ville entre alors dans un nouveau processus de marketing territorial et on assiste à un réel travail sur la communication de la marque « Marseille-Provence 2013 ». La principale stratégie marketing de la métropole est de rebondir sur les stéréotypes (positifs et négatifs) auxquels elle est liée afin de les réemployer à son avantage. On assiste à la création d’un logo, puis d’une campagne d’affiches publicitaires placardées dans toutes la France, avec comme slogans « descendez à la capitale » (fig 21) ou « la culture a trouvé sa capitale ». A cela s’ajoute un site internet et des vidéos publiées sur Youtube28 (fig 22), le tout pour promouvoir la richesse culturelle cosmopolite du territoire. D’après A. Dufraigne, cette identité culturelle promue par MP 2013 est celle de « l’art de vivre provençal » situé entre les caractéristiques liées à la Méditerranée et celles associées à la
27. L’image de marque est la représentation perçue par une personne d’une marque. C’est un sentiment voire un jugement et qui se base sur des éléments tangibles ou immatériels. Ainsi, toutes les villes ou territoires cherchent à reproduire les stratégies de celles qui possèdent des images de marques positives et une très grande notoriété à travers le monde. (Wikipédia, définition d’« image de marque ») 28. La vidéo « Aix-Marseille-Provence, si vous saviez tout ce qui se passe ici » créée par l’Agence les Présidents en 2015 . 41 met particulièrement en avant la stratégie de communication positive autour de la culture cosmopolite du territoire.
Provence. La première est mise en scène pour raconter l’aspect cosmopolite de la marque Marseille (la mer, le port, les pays méditerranéens, l’immigration) et la dernière connote l’authenticité du terroir et de ses habitants. L’association de ces deux images dans les campagnes publicitaires va permettre à Marseille-Provence de « se raconter de la manière souhaitée, telle une marque, pour influer sur les représentations mentales qui lui sont associées » (DUFRAIGNE, 2016, p.40). Ces stratégies de transformation d’image de ville sont épaulées par les grands évènements, culturels ou autres, qui permettent à la ville de s’exporter à l’échelle nationale et internationale.
fig 21 : Campagnes d’affichage pour MP 2013, les affiches étaient présentes dans la France entière.
fig 22 : Film publicitaire pour MP 2013 par l’Agence les Présidents, « Aix-Marseille-Provence, si vous saviez tout ce qui se passe ici », capture d’écran à 0’10. Ici, on voit la mise en scène des «boulistes», imaginaire typique de Marseille. . 42
b. Les grands événements culturels pour rendre visible les villes Sandra Rossi, directrice de la communication à la Ville de Marseille, l’affirme : « MP2013 a été un accélérateur en termes de notoriété, indubitablement. » Selon elle, ça avait déjà commencé avec la Coupe du monde de football en 98, mais « ce temps fort-là a marqué un réel essor en termes de rayonnement à l’international ». Cette partie nécessite d’introduire la notion de « ville évènementielle » développée par Philippe Chaudoir dans le recueil d’article qu’il a dirigé intitulé la ville évènementiel. Il définit cette notion comme : « la manière dont les villes tendent à se positionner, sans intermédiaire, comme porteuses d’un projet urbain spécifique et actrices dans une concurrence inter-métropolitaine. Les formes que prennent ces positionnements sont variées mais s’organisent le plus souvent autour de la réalisation de grands événements sportifs, politiques, artistiques et culturels à vocation internationale mais aussi dans la promotion d’une image globale. » (CHAUDOIR, 2007, §6). Ainsi, les grands évènements sont des outils pour se placer dans la compétition internationale en augmentant sa visibilité, ses flux humains et économiques, et sont donc mobilisés comme des «instruments de politiques urbaines» (MOLHO, 2018). Une des motivations justifiant le recours des villes aux grands évènements est économique. En effet, ce sont des villes en crise économique qui vont faire appel à une régénération urbaine par l’évènementiel. C’est une logique de diversification économique qui permet soit de renouveler et d’amplifier le fonctionnement touristique du lieu, soit de diversifier les activités. La présence de lieux culturels (musées, salle de concerts) génère un effet d’attraction qui draine les populations résidentes et occasionnelles, créant ainsi une demande d’activités commerciales connexes (librairies, restaurants, boutiques). Pour reprendre les mots de Maxime Tissot, directeur de l’office du tourisme et des congrès de Marseille : « La culture est un axe très fort du tourisme ». Ce cycle vertueux fait qu’il existe une convergence entre le développement économique d’une ville et son développement culturel, ce qui pousse les villes à prioriser leur « économie culturelle ». De plus, de tels évènements, par la médiatisation qu’ils impliquent, servent de promotion aux villes qui les accueillent. Dans un monde ou une bonne communication est indispensable pour entrer dans la compétition interurbaine, les retombés pour l’économie locale sont indéniables (Barthon, Garat, Gravari-Barbas, Veschambre, 2007) et MP 2013 a eu cet effet là pour Marseille. Sur ce point, Maxime Tissot est formel : « MP 2013 a été un catalyseur très fort qui a fait gagner des années en termes de notoriété, à une époque où il y avait du «Marseille Bashing», et ce sont les médias internationaux qui ont donné une bonne image de Marseille. Le New-York Times a produit une page entière sur Marseille dans l’édition du WE, la plus lue à New York. Dans «les destinations ou il faut aller cette été », Marseille était en numéro 1 (fig 23). La presse internationale a changé la vision de la presse nationale, car cette dernière avait trop de passif sur la ville et il était difficile de les faire changer d’avis. ». Propos confirmés par Sandra Rossi, directrice de la communication à la Ville de Marseille, qui avait noté que, paradoxalement, « au moment où a commencé MP 2013, on avait plus de retombé positives de l’international que du national ». . 43
fig 23 : Depuis l’année 2013, le New York Times a continué de considérer Marseille de manière positive. En 2019, Marseille compte parmis les meilleures villes au monde à aller visiter. Il est notamment dit que la ville attire de nombreux «jeunes créatifs», preuve de la «réussite de sa métamorphose urbaine».
Ces motivations économiques sont également politiques et impliquent des questions de gouvernance territoriale dans la mesure où « les événements urbains fonctionnent […] comme facteurs catalyseurs dans la création, dans la formalisation ou dans l’approfondissement de nouvelles alliances au niveau local ou régional » (GRAVARI-BARBAS, JACQUOT, 2007, §17). En effet, au-delà d’être retenu ou non comme capitale européenne de la culture, le processus de constitution du dossier de candidature est intéressant en lui-même. Selon Ulrich Fuchs, ayant luimême participé à plusieurs constitutions de dossiers de candidature, « Il permet de faire un bilan des atouts et faiblesses de la ville, et de réfléchir à comment les résoudre ». Plusieurs axes sont ainsi étudiés : un axe international, car chaque année deux villes sont nommées, une ville d’un pays de « l’ancienne Europe » et une ville d’un pays nouvel entrant et il faut donc développer des projets liants les deux ; un axe territorial et de gestion de l’espace public, ou comment l’arrivée d’un tel événement peut influencer positivement l’appropriation des espaces publics par les habitants ; un axe sur la citoyenneté et l’accessibilité pour tout le monde ; un axe sur la pérennité, pour que . 44
les avancées réalisées dans le cadre de l’évènement ne disparaissent pas. (Cyril Brunet, entretien du 09/12/2020). Il est important de noter que chaque année les axes de réflexions diffèrent en fonction de l’évolution des enjeux sociétaux et des caractéristiques de la ville. Ces processus, qui durent entre 5 et 6 ans, peuvent être le début de grands changements dans la politique d’une ville ou d’un territoire. Si nous prenons l’exemple de Marseille, la candidature de la ville au label européen en tant que Marseille-Provence a enclenché la création de la Métropole d’Aix-MarseilleProvence29 en 2016. Pour reprendre les mots de Cyril Brunet, qui a participé à cette candidature : « c’est [Marseille-Provence 2013] un projet culturel mais c’est avant tout un projet politique. La preuve en est qu’après la réussite du projet en 2014, le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, a demandé qu’on mette en place la métropole Aix-Marseille-Provence qui naît du succès de MarseilleProvence 2013. On y retrouve des villes aux couleurs différentes et c’était ça aussi le tour de force d’un projet comme celui-là. Ce sont des projets politiques dans le sens de de la structuration d’un territoire nouveau.» Ainsi, dans le cas de Marseille, l’accueil de l’évènement Capitale Européenne de la Culture a eu pour effet de la placer dans la compétition interurbaine en l’associant à la métropole, lui donnant un plus grand rayonnement et plus de puissance économique et culturelle. Pour conclure, nous pouvons reprendre les mots de l’ancien maire de Marseille, Jean Claude Gaudin: « La Capitale européenne de la culture a transformé l’image de Marseille aux yeux du monde et de ses habitants et habitantes. 2013 a mis en lumière les résultats de la dynamique de transformation de ce territoire initié 20 ans auparavant. » (MVRDV, 2020, p.12). Aux yeux des pouvoirs publics, ainsi que des aménageurs, la Ville de Marseille semble être un bon exemple quant aux retombés positives de l’utilisation de la culture comme levier dans l’aménagement du territoire. Cependant, il nécessaire de nuancer le propos. Alexandre Sorrentino, expert sur la question du marketing territorial, pose la question suivante : « Est-ce que le territoire peut être vu et considéré comme un produit, et à l’inverse est ce qu’on peut appliquer les démarches du marketing à un territoire ? » Selon lui, il faut faire attention de ne pas aller trop vite dans ces stratégies et ne les appliquer que si elles sont bénéfiques au territoire et à ses habitants. Certains des territoires ont créé des « trucs qui ne veulent rien dire » et « on répondu avec trop d’empressement » à la demande concurrentielle. De même, Emmanuel Patris, militant marseillais, dénonce les grands projets qui structurent la ville, comme Euromediterranée 2 ou l’Opération Grand Centre-Ville dirigée par la SOLEAM, qui ont selon lui pour objectif de « créer une vitrine » et de « chasser les pauvres du centreville pour faire venir des gens qui paient les impôts ». Pour lui, ces projets sont un « fantasme total car même sur des projets structurants [comme la rue de la République] ça ne marche pas, car il n’y a pas la clientèle et que, tout autour, c’est encore paupérisé » d’après-lui, « au niveau des politiques culturelles c’est le même schéma : des pratiques qui n’ont rien à voir avec le besoin des habitants, de l’évènementiel très ponctuel, qui n’a bénéficié qu’à une certaine population ». Ce sont ces points de vue que nous allons étudier dans la troisième partie. 29. Cette métropole regroupe le territoire métropolitain autour de Marseille et d’Aix-en-Provence dans les Bouchesdu-Rhône. Créée le 1er janvier 2016 par la loi MAPTAM, elle est issue de la fusion de six intercommunalités afin de mettre fin à la fragmentation administrative du territoire. Elle est la plus grande métropole de France et regroupe 92 . 45 communes sur 3.173 km2 et 1,83 million d’habitants.
fig 24 : Le tag fait référence au documentaire de 20 minutes intitulé «Marseille, capitale de la rupture» réalisé en 2013 par la rappeuse Keny Arkana, le collectif «la rabia del pueblo» (la rage du peuple) et des habitants du quartier de Noailles à Marseille. Le titre reprend celui d’une chanson de Keny Arkana, et fait référence à «Marseille Capitale de la Culture». Le film et la chanson dénoncent l’opération Marseille-Provence 2013, accusée de favoriser les grands projets immobiliers et les intérêts des promoteurs aux dépens des quartiers populaires du centre-ville.Ce tag a été fait en 2013, sur une affiche du projet de rénovation de la rue de la République, orchestré par Euroméditerranée.
III. LA CULTURE, INGREDIENT D’UNE RECETTE QUI POSE QUESTION Nous avons vu dans la partie précédente que la culture peut être perçue par certains acteurs comme un véritable levier pour faire et pour rendre visible : faire car elle joue le rôle d’accélérateur de projets et de catalyseur d’acteurs au service d’un même objectif ; rendre visible car elle participe, notamment sous la forme de grands évènements, à donner une visibilité à des villes qui autrefois en manquait. Cette partie vise précisément à questionner ces stratégies urbaines. Si la culture permet de faire, nous pouvons nous demander pour qui ? et avec qui ?. Si elle permet de rendre visible, nous pouvons nous demander ce qu’elle rend visible. Ainsi, cette partie se concentrera sur les limites de l’apport culturel aux projets et sur les changements profonds qu’apporte cette dimension culturelle dans la gestion et les pratiques urbaines : si des opérations de ce type, dans un contexte européen, ont pu jouer un rôle de revitalisation d’un secteur, il est intéressant de réfléchir d’un point de vue socio-spatial : ce modèle urbain correspond-il vraiment aux habitudes et attentes de la population de Marseille ? Quelles transformations urbaines et sociales induit-il vraiment ? Comme dit précédemment, cette partie relatera principalement le point de vue des «habitants», même si certains «décideurs», conscients des limites des stratégies qu’ils appliquent, et à la recherche d’alternatives, partagent certaines de ces réflexions. . 46
1. La place des habitants « (…) L’enjeu principal pour les capitales européennes de la culture, mais aussi la condition de leur réussite ou la source de leur échec, est le suivant: c’est la capacité des promoteurs de ces projets à concilier, d’une part, une haute exigence artistique qui place définitivement la ville labellisée «capitale culturelle européenne» parmi les métropoles de référence européenne, (…) et d’autre part une dimension citoyenne et populaire qui fait en sorte que la plus large part de la population de ce territoire, et notamment les populations qui sont socialement les plus éloignées des pratiques artistiques et culturelles, adhère et participe le plus possible à cet évènement exceptionnel » Bernard Latarget, directeur de MP 2013 (LATARGET, 2010, §5). Dès le début de l’organisation de MP 2013, il était question que l’évènement aurait un effet cohésif sur la population, en mobilisant tous ses habitants (élus, artistes, chefs d’entreprise, citoyens) pour un même objectif : la culture pour tous. La réalité fut que de nombreuses contestations ont vu le jour quant à l’implication réelle des marseillais lors de cet évènement. Aurore Leconte, membre d’une association marseillaise, évoque ainsi le sujet de la place des habitants : « [MP 2013] a pu prouver que mettre de l’argent dans la culture ça a attiré les touristes sur le territoire, donc ça je pense qu’ils ont en fait la preuve, indéniablement. Après on peut se poser la question [sur ce qui a été fait] pour les habitants, donc les usagers au quotidien, qui sont restés sur le territoire après cette année-là. Pour eux, le changement a été moins net. ». La question que nous nous poserons dans cette sous-partie est donc la suivante : quelle est la place des habitants dans ce processus de marketing territorial ? . 47
a. Les mobilisations citoyennes et activistes face à un processus de décisions unilatéral La métropolisation de la ville de Marseille a eu pour effet de complexifier la prise de décision urbanistique à l’échelle de la ville. Beaucoup de projets se déroulant dans la ville de Marseille sont dirigés par la Métropole, ou même l’Etat pour Euroméditerranée, et par conséquent certains de ces projets peuvent aller à rebours de la culture locale. On pense notamment au projet Quartiers Libres, évoqué dans la première partie, qui vise à régénérer le quartier de la Belle-de-Mai à travers un projet urbain, mais qui met en tension l’échelle métropolitaine et de proximité : « Si le projet vise à l’amélioration de la qualité de vie et à la redynamisation des quartiers Saint-Charles-Belle de Mai, il a également pour ambition de faire de ce secteur un véritable pôle métropolitain et concerne ainsi l’ensemble de la population marseillaise »30. Même si le projet prévoit de réaliser des concertations avec les habitants et acteurs du quartier, il paraît difficile d’allier problématique métropolitaine et problématique de proximité, endémique à ce quartier en difficulté. Emmanuel Patris, militant marseillais, rappelle ainsi que « La métropole a récupéré 80% des compétences sur la question de l’habitat, du logement, du transport et de l’environnement. (...) Cela pose un problème car la métropole est pilotée par Martine Vassal, dans la continuité de Jean-Claude Gaudin, politique qui a favorisé des formes de ségrégation sociale et culturelle à Marseille à travers des politiques publiques mises en place, en particulier sur le logement ». Dans le même sens, Aurore Lecomte pense que « même si [la ville représentée par la nouvelle municipalité] a des intentions de faire les choses différemment de l’équipe municipale antérieure, malheureusement elle aura sûrement peu de moyens. » Cette complexité se retrouve aussi lors de l’organisation de grands évènements. Pour reprendre les mots de Cyril Brunet, membre de l’association MP 2013 : « Nous [MP 2013] n’étions pas des aménageurs, ni des promoteurs immobiliers, la seule chose qu’on a vraiment suivi avec une architecte à demeure chez nous, c’est le J1. Après, pour tout ce qu’il y a eu de nouveau (rue de la République, piétonnisation du vieux port, le MUCEM, la restructuration de la friche de la belle de mai, ...) MP2013 n’a été qu’un accélérateur de particules. Ni les financements, ni la décision finale n’incombait à MP2013. ». Rajouter l’habitant comme acteur dans les prises de décisions semble dès lors impossible. Pourtant, Ulrich Fuchs insiste qu’il est indispensable, lorsque par exemple on organise de grands évènements tel que Capitale Européenne de la culture, de comprendre les dynamiques de la ville et de ses habitants : « [lors de l’organisation de MP 2013] j’ai écouté, j’ai posé des questions mais j’ai laissé les gens me raconter, ou est-ce que vous voyez les faiblesse et atout de Marseille... Il faut mener ce travail, poser des questions et se poser des questions, et après on commence à construire une programmation». Il rajoute tout de même que « C’est un travail difficile car il faut intégrer plusieurs aspects. » La vision d’Ulrich Fuchs semble cependant ne pas représenter celle de tous les décideurs, car que ce soit à l’échelle internationale, territoriale ou métropolitaine, là où se développe la culture et s’affiche un élément fort de la politique de développement urbain, les conditions de vie des populations vivant dans les coulisses de ces projets forts médiatisés n’en voient pas forcément 30. Voir : http://quartierslibres.marseille.fr/la-demarche/vision-et-principes
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les bénéfices, et pour certains, en deviennent presque les victimes. Emmanuel Patris dénonce ainsi le fait que «en faisant des manifestation pseudo subversive ou alternative, ils parlent en fait à la place des gens qui eux vivent cette réalité et qui sont rarement associés, en tout cas sur le long terme, à un projet artistique». À ce titre, MP 2013 peut être cité en exemple. En effet, l’association MP2013 a lancé en septembre 2011 le projet « quartiers créatifs » : l’installation de 14 résidences d’artistes dans des zones en rénovation urbaine, dont 6 dans les cités marseillaises. L’idée du projet culturel était de « questionner, infléchir ou compléter le processus d’aménagement tout en invitant les habitants à s’approprier pleinement leur espace public en contribuant à sa transformation ». Même s’il avait pour objectif d’utiliser la culture comme moyen de faire participer les habitants à la rénovation de leur quartier, ce projet venait à rebours des réels besoins et préoccupations des habitants, et a par conséquent a été vu comme du « mépris institutionnel » (FESSARD, 2013). Nous pouvons citer comme exemple le rejet du projet « jardins éphémère » par le collectif d’habitants de la cité de la Busserine, situé dans le quartier du Grand Saint-Barthélémy, et faisant partie du projet « quartier créatifs ».
fig 25 : Vues du projet des «jardins éphémères» à la Busserine, photographies prises le 10 janvier 2013 pour MarsActu
Le Grand Saint-Barthélemy est un ensemble de huit cités HLM (Busserine, Saint-Barthélemy 3, Picon, Le Mail, Les Flamants, Iris, Font-Vert et Benausse), construites dans les années 1960 sur les ruines du plus grand bidonville de Marseille. En 2013, les associations de locataires sont en conflit avec les groupements d’intérêt public Marseille Rénovation urbaine (MRU) et la Ville, dénonçant une pratique de la politique de terre brûlée — laisser l’habitat se dégrader pour chasser les habitants et pouvoir démolir ou rénover plus facilement — de la part des bailleurs. De plus, « Pour la moitié des habitants relogés, le loyer va augmenter sans réelle raison. Par exemple, quand on passe d’un T2 à un T3, la logique voudrait que le locataire, qui n’a pas demandé à déménager, paie le même loyer, même s’il y a dix mètres carrés de plus. Sauf que, par les mécanismes prévus par la loi, on se retrouve avec des locataires qui paient 20 à 50 euros de plus. Quand une famille a 900 . 49
euros par mois pour vivre, soit le revenu médian des ménages ici, même 20 euros c’est énorme ! » (FESSARD, 2013, interview de Kevin Vacher, chargé de mission au centre social L’Agora). Au même moment, les habitants apprennent l’existence d’un investissement d’une dizaine de milliers d’euro de la part des aménageurs dans les « Jardins éphémères » du projet « Quartiers créatifs ». Selon K. Vacher, « Derrière l’aspect “on va faire de la culture dans les quartiers”, ils instrumentalisent la culture. C’est inscrit dans les textes, le but des “quartiers créatifs” est bien de valoriser la rénovation urbaine. » Ceci est un exemple du fait que les principes de marketing urbain ne peuvent pas fonctionner si les projets ne correspondent pas aux attentes des habitants. Ici, les habitants sont en colère que du budget soit alloué pour un projet culturel éphémère auquel ils n’ont pas été associés, alors que les associations « crient famine depuis des années » et qu’il n’y «aura aucune retombée économique pour les habitants» (FESSARD, 2013). Ainsi, deux camps s’opposent : d’un côté les habitants représentés par des collectifs ou associations militantes pour que leurs besoins soient pris en compte, d’un autre les pouvoirs publics et les aménageurs (ici privés) qui ont pour objectif de valoriser la ville et les quartiers en pleine rénovation… Et l’argument culturel, au lieu de les rassembler, les divise. Le cas de Marseille est particulier, car il y a un réel décalage entre la démesure des projets culturels MP2013 et les besoins des populations. Pour Emmanuel Patris, urbaniste et militant marseillais, «ces évènements, qui ont tout un aspect marketing et com, sont en contradiction avec le travail mené dans les quartiers avec les artistes » et il a du mal à croire au fait que cela peut marcher car « ça reste un truc faux, en surface (...), fait pour masquer les défaillances des politiques culturelles ». Pour parer à cela, il milite, à travers les associations auxquelles il appartient, pour laisser la place à «la démocratie et aux pratiques de la démocratie ». Les collectifs réfléchissent ainsi à la façon dont tous les espaces autogérés peuvent être entendu et avoir un pouvoir de décision. Selon lui, « ils sont aussi légitimes pour faire des choix » donc il faut qu’ils aient « un poids, une oreille, une écoute». Cela passerait donc par « la transparence de l’information et une réforme des institutions en place », le tout pour permettre à ces structures-là de « parler en leur nom ». La conclusion n’est pas qu’il serait préférable que l’État et les collectivités n’interviennent pas et laissent les acteurs culturels et les habitants s’organiser eux-mêmes, mais qu’on pourrait s’inspirer de l’exemple de la Friche de la Belle de Mai qui semble montrer combien, à travers les modes d’intervention qui s’y inventent, les quartiers populaires peuvent aussi servir de référence à la fabrique urbaine.
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b. Le temps de l’habitant face au temps de l’évènement Depuis 2013, la vie des Marseillais est rythmée d’évènement : 2015, première Biennale internationale des Arts du Cirque ; 2016, Entre-deux Biennales ; 2017, Capitale européenne du Sport et deuxième Biennale internationale des Arts du Cirque ; 2018, MP2018 Mon amour et Entredeux Biennales, 2019 ; Troisième Biennale internationale des Arts du Cirque ; 2020, Manifesta Biennale européenne de l’art contemporain ; 2024, Jeux Olympiques et Paralympiques (pôle voile et football) ; 2025, Exposition universelle. Nous pouvons voir qu’il y a bien une volonté de créer un foyer culturel à Marseille, notamment grâce aux deux évènements qui reviennent tous les deux ans en s’alternant (Biennale du cirque et Entre-deux Biennale). Ulrich Fuchs, expert des capitales européennes de la culture, dit à propos de la Biennale internationale des arts du cirque, que c’est un « descendant pérenne de MP 2013 » qui a été fait particulièrement pour les Marseillais et qui a été bien accepté : « 90% de taux de remplissage pendant trois semaines, en pleins mois de janvier » et qui est «autant connu que le festival d’Avignon». Mais c’est un peu l’exception qui confirme la règle. S’il est vrai que les évènements créent une émulation médiatique et contribuent au développement de l’attractivité des flux (touristiques, économiques, humains), on peut se demander si les habitants en profite réellement. Si elle affirme que la population a pu bénéficier des actions de MP 2013, et y participer, Aurore Leconte, lors de l’entretien réalisé, pose la question suivante : « Est-ce que ça vaut le coup en politique culturelle d’avoir un coup d’éclat uniquement une année ? ». En tant qu’habitante, elle n’a pas envie « d’avoir des pratiques culturelles une fois tous les 4 ans, tous les 10 ans ». Selon elle, «si l’argent est concentré sur une année et si derrière il n’y a plus d’argent pour la culture (…) quel est l’intérêt pour les habitants ? ». Elle conclue cette réflexion en disant que pour elle, « ce n’est pas une politique d’aménagement, c’est une politique d’opportunités. » On assiste ici à une difficile cohabitation de plusieurs temporalités : une temporalité très courte, le temps de l’évènement, où beaucoup de moyens (financiers et humains) vont être mis à son service pour un temps imparti ; une temporalité longue, liée à la création de grands équipements culturels et à la régénération urbaine (dont les retombés économique et les retours sur investissements sont également longs) ; enfin, une temporalité de l’habitant qui se situe entre les deux. Pour reprendre les mots d’Aurore Leconte : « Le temps de l’aménagement ce n’est pas le temps de l’habitant. Un projet d’aménagement, il peut se faire sur 10 ans, c’est super difficile de demander à quelqu’un de s’impliquer dans un processus qui l’amènera dans 10 ans à voir son quartier évoluer. » Ainsi, en se concentrant uniquement sur des politiques ne mettant en avant qu’une temporalité très courte ou très longue, l’habitant ne pourra pas en profiter. Il est donc essentiel d’intégrer aux projets urbains des espaces culturels destinés aux habitants et correspondant à leur temporalité. Une des réponses possibles serait de réfléchir à la pérennisation des évènements culturels, pour correspondre au temps de vie de l’habitant. Selon Fanny Roberge, « contrairement à Marseille, Lille 2004 a su laisser un espace suffisant pour la création ». En d’autres termes, Lille a profité de l’événement pour ouvrir la possibilité à de nombreux projets d’évoluer, aboutissant sur une . 51
manifestation principale agrémentée d’une multitude de petits projets annexes. Ces lieux de création multiples sont devenus, grâce à leur localisation, des maisons de quartier permettant une expression de proximité, et correspondant aux besoins et usages des habitants. A Marseille, au contraire, la ville a choisi de miser sur les grands musées et les grands évènements, diminuant les subventions aux MJC ainsi qu’à de nombreuses autres structures culturelles (ROBERGE, 2017). Pour reprendre les mots d’Emmanuel Patris : il y a un « désinvestissement complet [de la part des pouvoirs publics] des microstructures culturelles auto gérée dans les quartiers, alors que c’est là qu’il y a une vraie culture locale, non institutionnalisé ». A cela il rajoute que « le Mucem est le regroupement de collection d’autres petits musées et sa création en elle-même a induit leur fermeture ». Aurore Leconte évoque aussi le Chateau Borely qui « a regroupé plusieurs collections qui venaient du musée de la mode et du château de la campagne Pastré, qui ensuite ont fermé ». Cela a pour incidence que les habitants ne trouvent plus un programme culturel qui leur correspond, ou qui est fait pour eux, dans leur temporalité. Joke Quintens, habitant à Marseille témoigne : « the people with money, the people of the middle class, in August they all disappear, because it’s Holidays. But (…) I’m in Marseille in august, because I work a lot and I have a lot of visitors because it’s the holiday so they have time, but 90% of the people of Marseille are just in the city because they don’t have the money to go to Corsica or so on. But there is no cultural offer in the spirit of Marseille. It is only for the tourists, so you go can go into a restaurant.31» Donner une plus grande place à la population dans les processus de la culture parait aujourd’hui essentiel, et on a pu voir à travers plusieurs exemples qu’appréhender la culture dans sa valeur d’usage immédiat et à court terme, à travers des structures associatives comme les MJC par exemple, semble être une solution. Nous pouvons conclure avec les mots de Joke Quintens : “I think in the future “cultural capital of Europe” Marseille, the first thing you have to do is to do this huge exercise with all these people to really grasp the real Marseille and then you will see that that it’s always the same voices who had the voice and it’s always same voices who didn’t have a voice. You can’t avoid to 300,000 people living in the quartier du Nord.32”
31. «Les gens avec de l’argent, de la classe moyenne, en aout, ils disparaissent tous, car c’est les vacances. Mais je suis à Marseille en août, car j’y travaille et des gens viennent me voir car ils sont en vacances. Mais 90% de la population y est aussi car ils n’ont pas l’argent pour partir. Malheureusement, il n’y a pas d’offre culturelle «dans l’esprit de marseille» [correspondant à leur besoin] à ce moment là. Tout est fait uniquement pour les touristes, comme par exemple aller à un restaurant.» 32. «Je pense que dans une future «Marseille Capitale de la Culture Européenne», la première chose qu’on doit faire c’est faire cet exercice [la programmation, l’étude urbaine] avec tout les habitants et ainsi comprendre ce qu’est le réel Marseille. On comprendra ainsi que c’est toujours les mêmes personnes qui ont le droit de parler et toujours les mêmes qui ne l’ont pas. . 52 On ne peut pas éviter les 300 000 personnes qui vivent dans les quartiers du Nord.»
2. Les effets des transformations urbaines et du marketing culturel Nous l’avons vu, le recours régulier aux grands évènements et la place centrale des lieux culturels dans les projets de renouvellement urbains transforment les espaces urbains et l’image de la ville de manière pérenne. Ces transformations sont faites dans l’objectif de rendre la ville attractive. Cette partie souhaite questionner l’impact et les limites que de telles politiques ont sur le dessin de l’espace urbain, sa symbolique et sa pratique au quotidien. Une question est posée : assistonsnous à une mise en scène d’une ville fantasmée qui, en y appliquant des codes internationaux, standardise les espaces, efface ses spécificités et crée une ville fragmentée au niveau social et spatial ?
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a. Vers une standardisation des villes ? Nous l’avons vu précédemment, plusieurs stratégies urbaines « modèles » sont mises en place dans les projets urbains qui, par leurs bons résultats, deviennent le choix privilégié des aménageurs et décideurs de la ville. Par exemple, l’appel aux architectes de renom semble aujourd’hui fonctionner comme une caution du bon goût et d’une médiatisation assurée des réalisations, et donc de la ville qui les accueille. De même, la transformation des anciennes zones portuaires en vitrine culturelle et de loisirs, à l’image de Barcelone, influence au positif l’attractivité de la ville. Mais on peut alors se poser des questions sur les limites de réplicabilité de ces modèles d’intervention urbaine. N’assistons-nous pas à une esthétisation d’une ville-port « type », reprenant les codes de la mondialisation mais peinant à se singulariser ? Il semble que ces stratégies créent des villes « fantasmées » (BALLESTER, 2017), où la volonté de rendre soutenable sur le long terme les nouveaux aménagements, passant notamment par la mise en scène à travers l’événementiel culturel et festif, implique une standardisation des espaces urbains. De nos jours, tous les projets urbains construits sur d’anciennes zones portuaires semblent venir d’un même modèle: que ce soient les villes de Hambourg, Sydney, Londres ou Marseille, on y retrouve la même pensée avec des constructions apparus « à la hâte » à travers de grands projets publics ou privés, qui souvent tournent le dos au reste de la ville (DIEDRICH, 2015). Ils contiennent ainsi la même recette de programme : des bureaux, des centres commerciaux, des espaces de restauration et de loisirs et des logements de luxe, le tout au bord de l’eau (fig 26).
fig 26a et 26b : Comparaison du front de mer barcelonnais (en haut) et celui marseillais (en bas). Nous pouvons voir les similitudes, notamment dans la construction d’édifices (culturels, de commerces ou de bureaux) singuliers et imposants, visibles de loin, ainsi que la . 54 grande place donnée aux bateaux de voyageurs et de croisières, donc aux touristes.
Cette idée de « bonne recette » appliquée aux villes pour devenir attractives se retrouve particulièrement dans la volonté de chaque ville d’avoir son «architecture culturelle phare». Ces architectures, à la base lieu de présentation des œuvres d’art et d’éducation à l’art, sont instrumentalisées et deviennent des lieux de consommation d’une culture de masse, voire des prétextes à de véritables centres commerciaux ciblés (Vivant, 2007). Le Mucem peut être cité en exemple : les visiteurs y viennent plus pour traverser le lieu, profiter de la vue et des magasins, restaurants et bars aux alentours, que pour visiter les expositions. Ainsi, d’après le Rapport d’Activité 2015 du Mucem, près de 1,5 million33 de visiteurs ont été accueillis sur le site, pour seulement un tiers d’entrée aux expositions . (ROBERGE, 2017, p.52). Visible dans d’autres projets urbains de même envergure et caractéristiques qu’Euroméditerranée, on assiste à la création de « clusters » culturels, proposant au même endroit, accessible à pied, des espaces de loisirs, de cultures et de commerce principalement dédiés aux touristes (fig 27). Plus que des quartiers, ces sites deviennent de «véritables pôles de loisirs où la culture n’est qu’un prétexte » (Vivant, 2007). Preu Sonja, employé du Goethe Institut à la Friche, partage cette pensée: « Des projets qui touchent à beaucoup de sous-secteurs, c’est à la fois très intéressant et attractif et à la fois très dangereux, car c’est un peu l’argument du supermarché de la culture.(...) les projets ne sont parfois pas vraiment pensé jusqu’au bout et servent plus à une vitrine qu’une vraie durabilité dans les rapport sociaux, l’activité, les voisinages ». François Menard affirme même que les villes réalisent « un coup de bluff », en devenant villes haut de gammes, bénéficiant « d’équipements dignes d’une capitale », alors qu’hier elles étaient en crise. (MENARD, SUSTRAC, 2007). À Marseille, les projets construits à l’entrée de la ville, sur le périmètre d’Euroméditerrannée 1, semble correspondre à ce modèle urbain : comme le souligne Aurore Lecomte « Ce sont des commerces qui fonctionnent (…) quasiment essentiellement avec des touristes. Puisque là, on voit bien qu’avec l’arrêt des croisières, ce sont des commerces en grande difficulté. ». Ainsi, malgré une proposition de l’EPAEM de renouer avec l’identité portuaire et méditerranéenne, la nouvelle ville-port unique et singulière que serait Marseille est quand même construite avec des références internationales, pour des étrangers (touristes, investisseurs, néo-arrivants). «C’était impressionnant pour les marseillais, je me rappelle, ils étaient plutôt fiers de leur ville parce qu’il y avait quand même une envie que la ville soit améliorée, propre, avec des bâtiments neufs. Il y avait donc une satisfaction de découvrir ces endroits-là. En plus le Mucem c’est quand même une belle réussite et une grosse couverture médiatique, donc c’était valorisant aussi pour les marseillais. Avec beaucoup d’interrogations dès le départ sur est-que c’est vraiment fait pour nous les marseillais ou est-ce que c’est fait pour attirer les touristes ? » (Aurore Leconte, entretien du 22/12/2020)
33. Plus exactement 1 465 568 personnes sur le site, pour 495 023 entrées aux expositions.
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Vers les Terrasses du Port et les Docks
Cathédrale la Major
Les Voutes de la Major
Musée Regards de Provence
Vers le Mucem
fig 27 : A 5min à pied du Mucem, au pied de la Cathédrale de la Major, a aussi été construit une zone commerciale appelée «les Voutes de la Major», et le Musée «Regards de Provence». A 10min à pied, en suivant le boulevard, se trouve le centre commercial des Terrasses du Port et les Docks.
La croyance en l’existence d’un modèle urbain à répliquer pour réussir est réel dans les politiques urbaines. Néanmoins, il n’est pas partagé par tout le monde. Ainsi, J. Quintens, lors de notre entretien, condamne ce genre de pratique. Pour elle : “A project has to develop the city and the city has to develop the project. That’s why I don’t like the notion of good practices, of course it’s always good to have inspiration somewhere else, but a good practice can never be copied, it can be an idea, but you always have to go into this regenerated thinking process, how can it work in the place where you work.” En d’autres termes, il est bon de s’inspirer, mais on ne peut pas copier un modèle existant, car il est impossible qu’un projet urbain puisse marcher de la même façon dans des villes différentes. Il faut toujours partir du contexte et des spécificités de la ville pour développer le projet. De même, Emmanuel Patris dénonce ce genre de pratique où « on impose un objet urbain dans un espace où on ne tient pas compte de l’existant (...) on fait des espaces minéralisés, dans une pure logique de la finance, on fait tout ce qu’il faut pour créer une bulle immobilière et on livre la ville au promoteur (...) ; on prévoit les équipements culturels que pour les futur habitants » et c’est «catastrophique en terme d’impact social» car les quartiers autours, très paupérisés, sont « tenus à l’écart ». Cela augmente les fractures socio-spatiales, et c’est ce que nous allons voir dans la dernière sous-partie.
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b. Vers une intensification des divisions socio-spatiales ? De nos jours, une tension se crée dans les politiques culturelles – plus généralement les politiques des villes – entre l’objectif d’attractivité et de rayonnement territorial et l’objectif de cohésion sociale. Pour reprendre les mots de François Menard : « Des villes qui, il y a une quinzaine d’années, avaient développé une approche plutôt sociale de la culture et fait la promotion de la population et des jeunes des quartiers en difficulté, à travers le spectacle vivant et le hip-hop notamment, passent aujourd’hui à une approche qui privilégie la construction d’un équipement culturel phare (…) dont elles attendent un certain nombre de retombées en termes d’attractivité. » De ce fait, la deuxième approche se substitue à la première, la faisant disparaitre, sans chercher à les développer en parallèle, ou à les combiner (MENARD, SUSTRAC, 2007). Cela peut être rapproché au cas de la Ville de Marseille : la régénération urbaine telle qu’elle y est appliquée semble oublier la possibilité de coexistence entre ancienne et nouvelle ville, occultant ce qui fonde la spécificité locale (HENRY, 2006). Au-delà du risque d’une homogénéisation de la ville comme vu précédemment, cela peut créer une dissociation entre ville des «vrais Marseillais» et ville «des étrangers», augmentant ainsi les inégalités et les tensions entre quartiers et populations. Nous pouvons ainsi reprocher à Marseille-Provence d’avoir faire appel à des agences parisiennes (LEG et BDDP Unlimited) pour leurs campagnes de communication. Il en va de même pour le projet urbain Euroméditerranée qui a fait appel à des agences d’urbanisme parisienne, comme l’Atelier Lion, pour réfléchir à l’aménagement urbain. A ce sujet, Maxime Tissot, directeur de l’office du tourisme et des congrès de Marseille, reconnais que lors de MP 2013 « Il y a eu beaucoup de détracteurs de l’équipe qui pilotait l’évènement, qui étaient des parisiens, et on a dit qu’ils ont fait venir tous leurs amis parisiens et qu’ils se sont très peu appuyés sur le tissu local. Il n’y a pas eu de rap, de hip-hop... il y a plus de chose «plus originales», c’était un choix. » C’est peut-être pour cela que l’image livrée par la métropole dans ses campagnes semble surtout refléter des clichés à destination du grand public extérieur et qui ne correspond pas à la réalité que vivent les marseillais (DUFRAIGNE, 2016). De même, Sonja preu, employée du Goethe Institut à la Friche, affirme que Manifesta a une « manière intéressante de faire de la culture » car ils font toujours le lien avec l’existant, en s’y installant. Néanmoins, selon elle ça reste dangereux car « souvent [les organisateurs] sont des gens qui viennent de l’extérieur et ne connaissent pas les gens sur place. » Par conséquent, il est essentiel de « d’abord apprendre la culture qui est sur place, et travailler avec les militants, les associations présentes », au risque de fragmenter symboliquement la ville. À cette fragmentation symbolique s’ajoute une fragmentation physique. Emmanuel Patris, militant marseillais, rappelle et dénonce la politique de la mairie précédente qui a créé un parc de logement social déséquilibré : « il y a des secteurs où il y en a beaucoup, dans les quartiers nord particulièrement, avec des cités très dégradées, face à des secteurs où il y en a très peu alors qu’il y en aurait besoin [comme dans le quartier de la rue d’Aubagne] où il n’y a que 4% de logement social alors que la majorité des habitants y sont éligibles. » Ce qui favorise le clivage social et économique entre les quartiers. Selon lui, les politiques mises en place à travers les « grands projets urbains de . 57
la Ville » amplifient ce phénomène et on a d’un côté une zone de la ville entièrement rénovée et de l’autre « le reste de la ville qui est écrasé, dévalorisé et sans investissement public » (fig 28a).
fig 28a (à gauche): Cartographie du prix de l’immobilier dans la ville. Cette cartographie confirme que la plupart des projets de logements sociaux se situent principalement dans les quartiers Nords. De plus, nous pouvons voir de manière prononcée que dans le périmètre d’Euroméditerranée, il y a deux zones : une où les prix sont élevés et qui correspond au front de mer rénové, et une zone «arrière», où les quartiers restent encore très populaire, et où le projet n’a pas encore aboutis. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que ce projet de renouvellement urbain a renforcé les différences économiques (et donc sociales) entre les quartiers. fig 28b : Cartographie des lieux culturels dans la ville. Cette cartographie met en avant l’inégalité de l’accès à la culture dans la ville, où les principaux lieux culturels restent situés au niveau du Vieux Port et du périmètre Euroméditerranée. Ces cartographies ont été réalisées lors de l’étude urbaine «Le Grand Puzzle» par MVRDV. Elles sont disponibles en Annexe p.72-73
Pour reprendre l’exemple de la friche de la belle de mai, Euroméditerranée saisit l’opportunité de la présence d’artistes qui ont partiellement investi la friche de la manufacture des tabacs et en fait le pôle culturel du projet, sans qu’aucune intervention sur le quartier ne soit envisagée. Ainsi, la programmation de cet équipement d’envergure internationale, dans un ancien lieu de travail et de vie des populations, produit un décalage avec les cultures et les mémoires des habitants, non concernés par les nouvelles activités développées. (BERTONCELLO, HAGEL, 2019). Même si nous retrouvons dans le schéma directeur de la Friche intitulé « Jamais 2 sans 3 » une volonté d’ouverture aux populations du quartier : jardins partagés, aire de jeux pour enfants, crèche, projet d’Ecole publique… Auxquels s’ajoute des partenariats avec des associations et institutions sociales du quartier, avec la mise à disposition de salles, l’accueil du secteur adolescents de la Maison Pour Tous, de cours d’alphabétisation, d’ateliers d’écriture… Le quartier de la Belle-de-Mai semble n’avoir que peu bénéficié du développement des trois îlots. Ceci peut s’expliquer du fait que les locataires de la Friche n’ont pas forcément cherché à s’installer . 58
à proximité, le stock de friches étant important dans toute la ville, et aucun milieu d’artistes ne s’étant réellement créé comme dans d’autres quartiers culturels (ANDRES, 2010). Un plus grand clivage, tant fonctionnel que physique, se crée alors et conforte la scission entre le quartier et l’ancienne manufacture. Le projet de la Friche de la Belle-de-Mai traduit une capacité atypique de prise de possession de l’espace et de perpétuation d’une dynamique innovante de production d’une culture économie alternative ; pour autant, ceci ne contribue en aucun cas à la réalisation d’un véritable projet urbain cohérent à l’échelle du quartier (ANDRES, 2010). Pour reprendre les mots de B. Bertoncello et Z. Hagel : «Se traduisant peu dans la matérialité des espaces urbains du quotidien, ces politiques génèrent un sentiment d’abandon renforcé par les transformations constatées des quartiers adjacents» (BERTONCELLO, HAGEL, 2019). On peut s’interroger ainsi, à travers le cas de Marseille, sur la capacité des pouvoirs publics à mener à bien ces politiques doubles : de cohésion territoriale d’une part et de développement d’autre part. L’image d’une ville divisée a un effet négatif sur l’attractivité (INGALLINA, 2008). Ainsi, la cohésion sociale devrait être une visée de l’attractivité territoriale. « La mère nourricière de tous les projets culturels en France c’est Nantes. C’est l’île de Nantes, c’est Chemetov, [avec] la culture dans l’espaces urbain (…), tout était délibéré, et à toutes les échelles, à tous les points de vue. Un bon exemple français d’une réappropriation urbaine par la culture. » (Alexandre Sorrentino, aménageur pour Euromediterranée, entretien du 13/01/2021) La ville de Nantes, au contraire de Marseille, est souvent citée comme un exemple réussi de régénération par la culture, à la fois pour la ville mais aussi pour les habitants. La transformation de l’île de Nantes — 330 hectares de sites portuaires et industriels, avec des quartiers d’habitat ouvriers et des ensembles de logements des années 60 — se fait entre 2000 et 2010. L’équipe de paysagistes-urbanistes, sous la direction d’Alexandre Chemetoff, conduit ce projet avec l’idée de « transformer tout sans tout transformer », en misant sur les ressources existantes, aussi bien matérielles qu’immatérielles. En travaillant sur la base d’un plan évolutif, à l’opposé d’un unique « master plan », ils ont réussi à intégrer dans le nouveau tissu urbain et la nouvelle vie urbaine autant de qualités existantes que possible (DIEDRICH, 2015). Ils n’avaient ainsi pas d’idée prédéfinie du site, mais ils naviguaient selon un mode de travail permettant de capter les avancements des transformations, pour ensuite définir les interventions urbanistiques en rapport avec ces changements observés, le tout à intervalles réguliers. Ainsi, à l’inverse d’autres villes portuaires, Nantes opte pour une autre stratégie, celle de la prise en compte du temps du projet urbain : « Sur l’île de Nantes, j’ai freiné les impatiences : après l’absurde projet de cité des affaires, la demande de projet était très forte mais j’étais convaincu que, sur cet immense enjeu, il fallait jouer la carte du temps et de l’espace » Jean-Marc Ayrault, maire de la ville à l’époque. (BERAUD, CORNERAIS, 2012, §10). En choisissant cette stratégie, la municipalité semble avoir évité ce mouvement de balancier où chaque requalification urbaine crée une ségrégation spatiale qui amplifie la ségrégation sociale.
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CONCLUSION Marseille est une ville à double vitesse. D’un côté on observe une ville qui, en mettant en place des politiques de marketing urbain, s’est ouverte de plus en plus au tourisme, aux investisseurs et aux néo-arrivants. Nous avons assisté ces dernières années au développement de l’attractivité de la ville, avec comme élément clé la régénération du front de mer, périmètre d’Euroméditerranée. En choisissant de faire de la culture un élément principal de cette transformation, une nouvelle image de la ville a été créée, «Marseille Attractive», qui commence à présenter les caractéristiques idéalisées d’une grande ville méditerranéenne au XXIème siècle. Mais l’envers du décor n’en est que plus tragique. Derrière cette image carte postale de ville idéalisée, des quartiers entiers s’effondrent34. La transformation du front de mer et du centre-ville semble n’avoir fait qu’accentuer les différences socio-économiques entre les quartiers de la ville. Les grands évènements culturels ponctuent la vie des marseillais sans pour autant la transformer de manière pérenne. Les nouveaux équipements culturels créés, en devenant l’élément central d’une stratégie urbaine, ne sont pas pensés pour répondre aux besoins des habitants, mais seulement pour rendre la ville attractive. La ville a réussi à prendre son envol, mais semble avoir oublié sur terre la majorité de ses habitants. Nous l’avons vu dans ce travail, l’utilisation de la culture dans la fabrique de la ville se décline en une multitude de stratégies possibles, qui mettent en avant un ou plusieurs aspects (patrimoine, architecture, tourisme, art, loisirs, etc.) du prisme des politiques culturelles. Mais quelles que soient les stratégies choisies par les municipalités et les territoires, il faut relativiser le rôle de cette seule dimension culturelle dans la réussite du projet de renouvellement. S’il est vrai que la culture a la capacité de produire des occasions de rencontre et des relations sociales, il ne faut toutefois pas attendre qu’elle règle les problèmes de fracture sociale et d’écarts socio-économique. Il ne faut pas non plus qu’elle les amplifie. Pour ce faire, il faut trouver un équilibre entre les objectifs d’attractivité et les objectifs de cohésion sociale. Nicolas Burlaud, dans son film « la fête est finie », compare l’évènement MP 2013 à un « Cheval de Troie » que les habitants ont laissé entrer dans leur ville sans se méfier de ce qu’il cachait, car éblouis par sa beauté. Si on généralise cette métaphore de la culture dans le marketing territorial, cela peut aussi marcher : la culture devient un instrument au service des politiques urbaines pour imposer plus facilement à la population des projets urbains, sociaux et politiques. Ainsi, pour reprendre les mots de Joke Quintens : “when you ask me can culture be the enabler I’m 100% with you, I think it can be THE change-maker of Marseille, but it depends on what kind of culture and what kind of interventions and what kind of organisations or what kind of people.” En d’autres termes, la culture peut être un excellent « moyen de faire » la ville, mais le résultat dépendra de qui l’utilise, de quelle manière, et pour quels objectifs.
34. Le 5 novembre 2018 à 9 h, deux immeubles s’effondrent, provoquant la mort de huit personnes. Il s’agissait de deux . 60 immeubles vétustes du centre-ville, aux no 63 et no 65 rue d’Aubagne, dans le quartier populaire de Noailles.
Il est nécessaire de préciser que la ville de Marseille est en ce moment même en train de subir ces transformations et qu’il n’est pas, par conséquent, possible de tirer des conclusions approfondies quant à l’impact de ces stratégies sur la ville et ses habitants. Cependant, les premiers résultats, ainsi que l’exemple de villes similaires à Marseille et ayant subi ces transformations plus tôt, comme Barcelone, nous poussent à nous questionner quant à la légitimité d’une telle politique. Dans le cas de Barcelone, malgré des chiffres d’un succès incontestable, il existe un envers du décor cachant des imperfections (BALLESTER, 2017) : le port devenant de plus en plus médiatique, commercial et ludique, entraine des conséquences urbaines négatives tel que la désaffection et la privatisation des espaces publics de front de mers, l’apparition d’un tourisme de masse, une transformation radicale de l’architecture de l’ancien port où l’on assite à une neutralisation de sa singularité, la disparition de la ligne d’horizon au profit d’une « skyline »… Il y aurait donc des leçons à tirer de ces exemples. Ce travail s’est basé principalement sur l’analyse de projets encore en développement, tel qu’Euroméditerranée, et d’une pensée urbanistique qui ne cesse d’évoluer. Le changement de mairie en 2020 laisse penser qu’à l’avenir, ce même travail de recherche ne tirera peut-être pas les mêmes conclusions. Il faudra donc se pencher à nouveau sur cette question d’ici 5 voir 10 ans, voire plus, une fois que ces projets urbains seront aboutis et leur impact sur la population et la ville seront plus concrets. Dans cette perspective, et dans celle d’une étude complémentaire, ce travail pourrait alors déboucher sur une approche comparative sud-européenne ou méditerranéenne du traitement de la transformation d’un port post-industriel au début du XXIème siècle. Ce mémoire m’a permis de comprendre que l’idée de compétition entre les territoires et les villes est particulièrement ancrée dans les esprits et mise en œuvre dans les politiques urbaines, par tous les acteurs, sans véritablement s’interroger sur sa légitimité, son efficacité et ses conséquences. Ainsi, on vient à considérer les villes comme des entreprises dans un marché concurrentiel et seuls les habitants -devenus clients- les plus rentables, les plus solvables, les plus actifs économiquement, seront considérés. Ce système de pensée n’irait-il pas à l’encontre de l’intérêt général ? La loi du 3 janvier 1977 affirme que « l’architecture est une expression de la culture et qu’en conséquence, la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion dans le milieu environnant, le respect du paysage naturel et urbain ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public »35. N’assistonsnous pas à un bafouement de cette dernière ? Cette question est délicate, car les processus à l’œuvre sont subtils : la relégation de certaines populations passe, entre autre, par l’augmentation du mètre carré, l’éloignement de certains emplois non qualifié, la gentrification, etc. L’étude de cas de la ville de Marseille a surtout mis en lumière un paradoxe : les inégalités sociales et urbaines que Marseille tente de réduire dans sa politique de Ville se sont renforcées par son entrée dans la compétition interurbaine et le pari de la métropolisation. Même si le « mythe du modèle » — modèle de société, urbanistique ou architectural idéal qu’il s’agirait de préparer ou d’atteindre (MOREL, 2012) — fait rêver, l’indétermination urbaine et sociale, propre à chaque ville et territoire, empêche sa réussite. Personne ne peut prétendre 35. Article 1 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture. Voir https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000522423/
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connaître les réponses aux maux de chaque ville, et aucun projet urbain ne peut se décider dès le début. Alors, comment faire la ville aujourd’hui ? Il semble d’abord primordial d’accepter le fait qu’un projet bien pensé et bien ancré dans la réalité d’une ville n’est possible que si l’habitant, principal concerné, est pris en compte. Ainsi, la question de la représentation démocratique et de la participation des habitants doit être prioritaire. Il ne peut pas y avoir de projet urbain sans tentative de donner une place, aux côtés des maitrises d’œuvre et d’ouvrage, à la « maitrise d’usage ». De plus, pour appliquer une stratégie de marketing territorial, il faut réfléchir à la spécificité de chaque ville et à l’existence ou non de conditions préalables au bon fonctionnement de ces stratégies. Il est donc important d’avoir une excellente connaissance de la ville et de ses dynamiques, une bonne cohésion politique entre les collectivités locales et des investisseurs publics et privés solides. Malheureusement, ces conditions sont souvent oubliées au profit de rendements financiers et de calculs politiques à courts termes.
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POST-FACE Récemment, un architecte intervenant dans un de nos cours de projet a dit quelque chose qui m’a interpellé : « à la fin de mes études, j’en savais trop du métier d’architecte. Alors, je ne voulais plus faire d’architecture ». Cette phrase m’a beaucoup parlé car je m’y retrouvais, en quelque sorte. Je pense que le métier d’architecte est un métier étroitement lié aux dynamiques de la société et se doit de répondre, du mieux qu’il peut, aux problématiques contemporaines. Ainsi, nous sommes constamment confrontés à toutes les crises, quelle soient climatique, économique, sanitaire ou sociale, et il est facile de se sentir dépassée ou impuissante face à ces réalités. A cela ce rajoute un effet d’abattement et une remise en question impulsé par les professionnels de ce métier qui nous décourage, tout au long de nos études, de faire de l’architecture. Enfin, il semble de plus en plus difficile de faire de l’architecture pour l’« intérêt public », lorsque l’on sait la forte part de politique présente dans l’architecture et l’urbanisme qui fait que, comme on a pu le voir dans ce mémoire, beaucoup de projets (et leur maitrise d’œuvre) devraient être remis question quant à leurs réels objectifs et leur légitimités. Malgré cela, mes études, mon expérience professionnelle, et la rédaction de ce mémoire en particulier, m’ont permis de prendre du recul sur ces réflexions et m’ont poussé à développer ma propre pensée architecturale, à travers une critique constructive des dynamiques à l’œuvre. La rencontre de différents acteurs de l’architecture et de l’urbanisme, portant une vision de l’architecture proche de la mienne, m’a redonné confiance quant à ma volonté d’en faire mon métier. La période que nous vivons actuellement fait que notre vision d’avenir, en tant qu’étudiant diplômant, n’a jamais été aussi floue. Cependant, même si je ne sais pas de quoi il sera fait, et que je ne prétends pas vouloir le connaitre, toutes ces expériences font qu’aujourd’hui, je me sens prête à l’affronter.
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TABLE DES ILLUSTRATIONS fig.1 : Carte postale de la Ville de Marseille postée sur le site Pinterest https://www.pinterest.fr/pin/639440847062258233/ fig. 2 : Dessin de presse d’Hervé Pinel pour Les Echos, article publié le 25 janvier 2013 intitulé «Capitale de la culture, chance ou piège pour Marseille ?» https://www.lesechos.fr/2013/01/capitale-de-la-culture-chance-ou-piege-pour-marseille-1096197 fig 3 et 4 : Evolution des Docks du port de Marseille. Respectivement : https://www.laprovence.com/article/edition-marseille/4437672/detaille-fixe-une-jolietteemouvante.html http://m.lamarseillaise.fr/infographies/73476-agenda-ou-sortir-a-marseille-du-19-au-25-novembre fig 5 : Vue aérienne du front de mer marseillais, avec l’étendu du périmètre d’Euroméditerranée. CBDesign https://carrieresmediterranee.cadremploi.fr/articles/42724051-depuis-20-ans-euromediterranee-redessinemarseille fig 6 : Etendu de l’OIN Euroméditerranée avec les principaux quartiers et les principales réalisations. Béatrice Georgelin à partir du plan schématique d’Euromed. http://transatcosta2016.e-monsite.com/medias/images/euromed-carte.jpg fig 7 : Vue aérienne de l’etendu de l’OIN Euroméditerranée avec les équipements culturels document transmis par Alexandre Sorrentino fig 8,9 et 10 : De gauche à droite, le Mucem par Rudy Riciotti, La Villa par Studio Boeri, le Frac par Kengo Kuma et la réseve du Mucem par Corinne Vezzoni et associés, tous ont été livrés en 2013. Respectivement : https://www.marseille-congres.com/fr/mucem https://www.archi-photo.fr/portfolio/G0000qWAb52Hfkdo https://medium.com/@mucem/un-plongeon-dans-les-coulisses-du-mucem-6bb158ad670a fig 11 : A gauche le toit-terrasse accessible de la Friche, à droite l’entrée d’un des entrepôts rénovés. https://www.marseille-autrement.fr/sorties/7580-visite-commentee-de-la-friche-la-belle-de-mai-pour-toutsavoir-sur-ce-pole-culturel-devenu-un-veritable-lieu-de-vie-70-structures-sur-45-000-m2 fig 12 : «Le Playground», un espace de loisirs extérieur dédié principalement aux enfants du quartier https://www.tourisme-marseille.com/fiche/playground-friche-belle-de-mai-marseille/ fig 13 : Axonométrie détaillée de la Friche de la Belle de Mai et ses différentes zones. https://www.lafriche.org/la-friche/lieux/ fig 14 : Installation scénographiée de Stéphan Muntaner pour la Chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence. Thomas SERRIERE https://www.rfi.fr/fr/europe/20130107-mp-2013-culture-seduire-investisseurs-capitale-europeennemarseille fig 15 et 16 : Affiches officielles de deux des grands évènements culturels qui ont succedés à MP 2013. http://www.lyc-lurcat.ac-aix-marseille.fr/spip/spip.php?article1145 https://issuu.com/manifesta13marseille/docs/2.insert_la_provence_36_pages_final fig 17 : «Euroméditerranée: le front de mer», photographie de NineGraph posté sur son blog http://ninegraph.photo/portfolio/euromediterranee/ fig 18 : Objectifs de la démarche d’urbanisme mise en place par «Move». Document disponible en annexe. document transmis par Alexandre Sorrentino fig 19 : Affiches créées par le collectif Brouettes et Compagnie http://www.riurba.review/Revue/renouvelerles-modes-de-faire-la-ville-la-belle-de-mai-a-marseille-un-quartier-de-tous-les-possibles/ . 64
fig 20 : Comparaison d’un vue aérienne Google Earth en 2010 (à gauche) contre une vue actuelle (à droite). https://remonterletemps.ign.fr fig 21 : Campagnes d’affichage pour MP 2013 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01671575/document fig 22 : Films publicitaire pour MP 2013 par l’Agence les Présidents, « Aix-Marseille-Provence, si vous saviez tout ce qui se passe ici », capture d’écran à 0’10. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01671575/document fig 23 : Capture d’écran du Site du New York Times https://www.nytimes.com/interactive/2019/travel/places-to-visit.html fig 24 : «Marseille rue de la république, capitale de la rupture», flickr, 2013 https://www.flickr.com/photos/66944824@N05/9409723946/in/photostream/ fig 25 : Vues du projet des «jardins éphémères» à la Busserine, photographies prises le 10 janvier 2013 pour MarsActu https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/100113/marseille-2013-quand-la-culture-se-heurte-larenovation-urbaine?onglet=full fig 26a et 26b : Comparaison du front de mer barcelonnais et celui marseillais. Respectivement : https://www.equinoxmagazine.fr/amp/2020/11/22/port-de-barcelone/ https://actu.orange.fr/france/marseille-vaste-campagne-de-vaccination-sur-le-port-contre-lepneumocoque-magic-CNT000001nnWYF.html fig 27 : A 5min à pied du Mucem (...) https://www.tourisme-marseille.com/fiche/les-voutes-de-la-major-marseille/ fig 28a : Cartographie du prix de l’immobilier dans la ville. Extraite du livre MVRDV : Manifesta 13 Marseille, Le Grand Puzzle. Berlin : Hatje Cantz, 2020, p.158 fig 28b : Cartographie des lieux culturels dans la ville. Extraite du livre : MVRDV. Manifesta 13 Marseille, Le Grand Puzzle. Berlin : Hatje Cantz, 2020, p.182
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ANNEXES GRILLES D’ENTRETIENS Pour les «décideurs» : (note : les interviewés étaient des politiques ou professionnels dans l’aménagement ou la culture) Trajectoire sociale et professionnelle -Est-ce que vous pouvez m’expliquer votre fct, depuis quand, en quoi elle consiste… -Qu’est ce qui, dans votre parcours, vous a amené à travailler ici ? -Quelle formation avec vous suivie ? La politique culturelle à Marseille et les projets -Comment décrirez-vous la politique culturelle de la ville de Marseille avant et après MP2013 ? -Pourquoi la culture a été particulièrement mise en avant dans le projet urbain (de ce terrain) ? Quels étaient les objectifs et effets recherchés ? (tourisme, économie, social..) -Quelles sont vos relations avec les habitants et les acteurs de la culture déjà présents sur le terrain ? Comment communiquez-vous avec eux ? Quelles sont les difficultés à communiquer avec eux ? -C’est fréquent que vos propositions soient différentes de celles des habitants ou acteurs de la culture ? Est-ce que parfois il y a des conflits ? Si oui, sur quoi ces désaccords portent ? Bilan -Est-ce que les objectifs (énoncés précédemment) ont été atteints ? / Quels sont les principaux changements en termes de population, de commerce, de tourisme, d’économie qui ont été observés depuis 2013 ? -Qu’est ce qui selon vous a été le mieux réussi ? Qu’est ce qui selon vous est un échec ? -Quels défis restent-ils à affronter ? Ce qu’il y a encore à dépasser ? Futur _ perspectives -Est-ce que cette stratégie d’attractivité par la culture va être continuée dans ce quartier et sur le reste de la ville ? si oui, quelle seront les prochaines étapes ? si non, pourquoi ? Quelle sera la nouvelle stratégie ? Pour les «habitants» : (note : les interviewés étaient des membres d’associations culturelles ou d’habitants) Trajectoire sociale et professionnelle -Depuis quand faites-vous partie de cette association ? Quel est son but, et quel est votre rôle ? -Est-ce que vous pouvez m’expliquer le but de cette association, depuis quand elle existe, depuis quand vous en faites partie ? -Qu’est ce qui, dans votre parcours, vous a amené à vous y engager ? -Quelle formation avec vous suivie ? La politique culturelle à Marseille et les projets - Pensez-vous qu’il y a eu une réelle amélioration dans la proposition de lieux et d’évènements culturels depuis Marseille 2013 ? Ou qu’il n’y a pas eu de changement ? Ou qu’au contraire il y a eu une détérioration de la proposition culturelle ? -Quels impacts cette évolution du quartier a eu sur votre établissement ? Sur votre association ?
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(plus de visiteurs, plus d’engagés…) -Quels sont les changements que vous avez observés dans le quartier (au niveau de la population, des commerces, du tourisme) ? Avis sur politique/décisions -Comment décrirez-vous la politique culturelle mise en place par la ville et la métropole dans ce quartier (dans la ville ?) ? -Quelles sont vos relations avec les élus et les services de la ville et MP2013 ? Pensez-vous qu’il y a un manque de transparence ? Comment communiquez-vous avec eux ? -Est-ce que parfois il y a des conflits ? Si oui, sur quoi ces désaccords portent ? Conclu -Qu’est ce qui a été le mieux réussi ? Qu’est ce qui selon vous est un échec ? -Quels défis restent-ils à affronter ? Ce qu’il y a encore à dépasser ? -Etes-vous prêt à continuer à travailler et vous engager pour la culture dans ce quartier ?
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fig 18 : Objectifs de la démarche d’urbanisme mise en place par «Move».
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fig 28a : Cartographie du prix de l’immobilier dans la ville. . 72
fig 28b : Cartographie des lieux culturels dans la ville. . 73