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ÉLOISE GILLARD
Diplômes 2016
FACE AU MUR m y S t è R E S
Eloïse Gillard
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2015 - 2016
Comment le mur devient-il une surface de communication et d’échange plutôt qu’une fracture entre les êtres humains ?
Mémoire de fin d’études sous la direction de Flore Garcin-Marrou Strate - École de Design
P/05 I n t R O D u c t I O n
P/10
1. Des murs mentaux... aux murs physiques L I m I t E S
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P/84
2.
le mur et l´identité humaine
P/136
3.
le mur comme surface d´ÉCHANGE E t
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P/238
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P/247
SOMMAIRE P/14
P/46
P/72
A. B. UN OUTIL GÉOPOLITIQUE L’ÉPIDÉMIE DES .............. ET MILITAIRE « NOUVEAUX MURS » ......
C. UN MONDE QUI VACILLE ENTRE OUVERTURE ET FERMETURE : .................. LE PARADOXE MODERNE DU MUR ...........................
P/88
A. ÊTRE SOI ET ÊTRE AU MONDE ...............
P/140 A. UN APPEL À LA SUBVERSION ET À LA TRANSGRESSION : FAIRE TOMBER LES MURS
P/106
B. LA DIMENSION CULTURELLE ET LE PRESTIGE DU MUR
P/152
P/166
B. MURS DE MÉMOIRE, MURS-MANIFESTES … ET MURS FACEBOOK : CES MURS GÉNÉRATEURS DE LIENS
C. QUAND LES ARTISTES S’EMPARENT DES MURS DU MONDE COMME D’UNE TOILE D’EXPRESSION
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INTRODUCTIOn Les murs sont partout autour de nous et façonnent notre environnement. En béton, en barbelés, en pierre, en brique ou encore en verre, le mur se construit sous de nombreux aspects. À première vue linéaire et silencieux, lorsque l’on s’épanche un peu plus près d’eux, et qu’on écoute le murmure des murs, ceux-ci nous révèlent des histoires riches et insoupçonnées. « L’histoire des murs, c’est la nôtre1» : surfaces de projection de l’humain, les murs traitent du rapport à l’autre. L’histoire des murs révèle l’existence d’un autre que nous sous bien des aspects : séparations, affrontements, mutismes ; réconciliations, réunifications, cohabitations. Objet biface et bivalent, le mur porte en lui des notions paradoxales. Il sépare et protège à la fois. Il cache pour montrer. Il vacille entre ouverture et fermeture, mouvement et immobilité, liberté et emprisonnement. L’étymologie même du mot appuie cette contradiction qu’il renferme. Le mot paries désigne l’aspect accueillant, protecteur, rassurant des murs de la maison. D’origine étrusque, murus, connote-lui l’idée de l’enfermement et de l’isolement. A travers ce mémoire, nous chercherons à dévoiler au lecteur la face cachée des murs. Il s’agira de considérer cet objet, faisant partie de notre absolu quotidien, dans ses formes diverses, tangibles ou symboliques, et de comprendre la force qu’il porte en lui. L’Histoire a vu se construire et se déconstruire de nombreuses barrières entre les hommes. Par le biais d’une étude s’appuyant sur des exemples concrets - historiques comme actuels – nous tenterons de mettre en lumière l’impact et la portée qu’ont ces murs sur les relations et les rapports humains. Avant d’être de brique et de béton, les murs prennent naissance dans nos têtes, dévoilant des fractures plus ou moins profondes entre le « nous » et les « autres », entre un « dedans » et un « dehors ». Nous remarquons aujourd’hui que, dans un contexte de mondialisation, une remise en question des frontières et des flux 1 NOVOSSELOFF Alexandra, NEISSE Franck, Des murs entre les hommes, avant-propos de RUFIN Jean-Christophe, Paris, La documentation française, 2007, page 11
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humains sont au cœur des préoccupations actuelles, et que de plus en plus de murs sont érigés pour filtrer et contrôler ces derniers. Nombre d’anthropologues, géopoliticiens, sociologues et même artistes s’épanchent sur ce sujet : Des murs... au mur de Georges Banu, Des murs entre les hommes d’Alexandra Novosseloff et Frank Neiss ; Histoire des murs de Claude Quétel, The American Wall: From the Pacific Ocean to the Gulf of Mexico de Maurice Shérif ou encore Les mots sont des fenêtres (ou bien des murs), Introduction à la Communication Non Violente de Marshall B. Rosenberg.
Vingt ans après la chute du Mur de Berlin, malgré le vent unificateur qu’il avait insufflé, et la volonté d’un monde globalisé, nous voyons que se répand une véritable « épidémie » des murs : finalement, ce n’était autre que « l’arbre qui cachait la forêt ». En 2015, nous avons assisté à une crise migratoire sans précédents. De plus, la montée en puissance du terrorisme répand sur la planète bleue une marée noire enlisante. 6
Dans ce climat de peur pesant, sécurisation, repli sur soi et fermeture semblent les maîtres mots, dont les parois de béton sont la cristallisation. Nous posons à travers ce mémoire la question initiale qui est la suivante :
COMMENT LE MUR DEVIENT IL UNE SURFACE DE COMMUNICATION ET D´ÉCHANGE PLUTÔT QU´UNE FRACTURE ENTRE LES ÊTRES HUMAINS ? Et de cette question découle : Que se cache-t-il derrière les murs politiques actuels, de plus en plus nombreux sur notre planète ? Quelles portées symboliques le mur, paroi structurante de notre environnement, porte en lui ? Comment rendre le mur expressif ? Dans un premier temps, nous traiterons des murs géopolitiques et militaires, limites tangibles et sensibles de notre monde. Par un détour historique, nous montrerons que la réponse du mur n’est pas nouvelle, et qu’elle concerne les civilisations de tous temps. Nous appuierons notre analyse sur celle menée par Claude Quétel, dans
Histoire des murs. Puis nous aborderons « l’épidémie » des murs à
laquelle nous faisons face actuellement - le Mur en Hongrie, parmi tant d’autres. Terrorisme, flux migratoires massifs et trafics en tout genre insufflent un climat de peur sur la planète, gelant certains conflits par ces murs de béton, allant jusqu’à séparer des terres sur des milliers de kilomètres. Le mur voudrait temporiser et apaiser les tensions, mais est-il vraiment une solution efficace et légitime ? Comment se mettent en place des murs d’une telle ampleur ? Dans un second temps, nous axerons nos recherches sur le lien physique et/ou spirituel qu’entretient le mur avec la formation de l’identité humaine. Mur qui rime avec fermeture, abordé en première partie dans ses représentations - parfois les plus sombres de l’Histoire peut d’un autre côté, se montrer élémentaire. Nous parlerons ici de ces murs qui définissent l’identité, l’altérité, l’intimité, la propriété privée. Nous analyserons la dimension culturelle, et parfois sacrée dont le mur peut être porteur. Nous verrons que le concept de mur est inhérent à l’homme. Il se montrerait alors comme un outil de compréhension de la perception que l’homme se fait de la réalité, et de la manière dont il organise, structure, et construit le monde. Enfin, le mur, élément figé et statique, se relie paradoxalement à une idée continuelle de mouvement et de temporalité. Nous remarquons que dans cette société dite globalisée, la tendance serait à vouloir toujours contenir ce qui déborde : les émotions, les immigrés, les excès... Certains, dans un élan de revendication, cherchent à faire tomber les barrières, à faire le mur, à le défaire, à briser le mur du silence. Le mur, c’est une invitation
à la subversion et à la transgression. Sa vocation, c’est d’être percé, contourné, abattu, car l’appel de l’autre et de l’inconnu seront toujours les plus attractifs. D’autres conserveront en ces ruines, morcellements de l’Histoire, la mémoire collective, en s’y réunissant et en rendant hommage. Face à ces murs, on pense à l’autre, à une existence partagée, un « être ensemble ». Support d’expression, de recueillement, de communication, le mur ne cesse de prendre la parole lorsqu’on prend le temps de le considérer à sa juste valeur.
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BANU Georges, Des murs… au mur, Paris, Gründ, 2010, page 10.
IL Y A D´ABORD DES MURS INTÉRIEURS, DES MURS MENTAUX, MURS QUE L´ON PORTE AVEC SOI. ENSUITE, LES AUTRES, LES MURS QUI DÉCHIRENT UNE VILLE OU UN PAYSAGE NE SONT QUE LEUR MATÉRIALISATION. IL N´Y A PAS DE MUR EXTÉRIEUR SANS UN AUTRE, INTÉRIEUR ET IMAGINAIRE OU EXTÉRIEUR ET POLITIQUE. AVANT LES BRIQUES ET LE CIMENT, LES MATÉRIAUX DE LA SÉPARATION SONT LES MOTS, LES IDÉES, LA PASSÉ IRRÉSOLU.
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Des murs mentaux... aux murs physiques L I m I t E S
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A. UN OUTIL GÉOPOLITIQUE ET MILITAIRE
B. L’ÉPIDÉMIE DES « NOUVEAUX MURS »
C. UN MONDE QUI VACILLE ENTRE OUVERTURE ETFERMETURE : LE PARADOXE MODERNEDU MUR
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PARTIE 1.
L’histoire des murs est indissociable de l’histoire de l’Humanité : « Quelle fut la première séparation entre les hommes sinon un mur1.» On a vu de nombreuses barrières se dresser entre ces hommes, séparant des populations, défendant des territoires, exerçant le contrôle sur des peuples, appuyant l’autorité de certains régimes, créant des limites, excluant des communautés, interdisant l’accès à certains territoires. De nombreuses formes de murs existent, puisant leurs origines dans différents contextes historiques. Il s’agira dans cette première partie de faire un état des lieux de ces murs, en nous appuyant sur l’analyse critique élaborée par Claude Quétel, dans l’ouvrage Histoire des murs. Nous tenterons de les répertorier selon leurs diverses fonctions, qu’elles soient défensives, politiques, et/ou militaires. Nous chercherons à mettre en lumière les relations humaines au cœur de ces différents conflits : Quel était le rôle de ces murs ? Qui séparaient-ils ? Dans quel but étaient-ils établis ? Qui en étaient les décideurs et les victimes ? Nous essaierons aussi de déterminer quels points communs peuvent les lier.
1 QUETEL Claude, Histoire des murs, Paris, Perrin, 2012, Tempus, page 7.
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A Un outil géopolitique et militaire Dès les prémisses de la civilisation, l’homme des cavernes chercha à défendre son territoire en dressant à l’entrée de ses grottes amoncellements d’épineux ou tas de roches, le préservant ainsi des prédateurs extérieurs. Il était ici question de se défendre contre des bêtes sauvages, menaçantes et affamées. C’est certainement très vite que l’Homme eut à se protéger d’un adversaire plus redoutable encore... ce dernier n’étant autre que son semblable. Semblable qui finalement sera perçu comme l’Autre, l’étranger, le barbare, l’ennemi, l’envahisseur... 14
autant de qualificatifs au caractère excluant. Dans le préambule Des murs... au Mur, Georges Banu explique : « “L’autre” dont on se défend par
le biais du mur est l’ennemi haï. Le mur n’est alors que l’excroissance visible et physique d’une frontière intérieure qui lui préexiste et qu’il ne fait que rendre visible pour des raisons stratégiques1. » Le mur se verrait alors attribué des fonctions défensives, militaires et politiques, et ainsi être la matérialisation d’un conflit entre deux clans adverses. Guerres et désaccords ont rythmé l’Histoire des hommes - contre les hommes - à travers les âges. Les premiers groupes d’individus se pillaient déjà entre eux, rencontrant chez le voisin des ressources qui pouvaient leur être favorables : terres, nourriture, femmes, habitations... Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau affirme que :
« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point 1 BANU Georges, op.cit., page 11.
épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne2. »
Ainsi, les affrontements originels sont indissociables de notions sociales et relationnelles telles que la propriété, l’appropriation et l’exclusion, dont le mur a souvent été la représentation concrète. Le mur, « ligne de partage qui se voudrait infranchissable entre un «dedans» qui se sent menacé et défend sa pérennité, et un «dehors» menaçant3», lorsqu’il est construit, révèle une mise en position défensive. Celui qui délimite un territoire et qui se voit construire un mur marque, à l’image d’un animal qui marque le périmètre de son territoire, les limites de son environnement. Il se l’approprie de la même façon qu’il l’impose à l’autre. La mythologie romaine nous offre un exemple illustrant cette idée. Romulus traça un sillon délimitant la nouvelle Rome, prétendant que quiconque oserait franchir cette enceinte serait tué. Ce n’est autre que son frère jumeau, Remus, qui foula le premier ce territoire sacré. Romulus, afin de défendre son attribut, tua son propre frère. Limiter, séparer, et protéger son territoire et ses biens de la menace extérieure… Voilà que les premiers murs voyaient le jour, ayant un avenir prometteur devant eux. Au fil de l’Histoire, remparts, murailles, palissades de bois aux sommets affûtés, ou encore fils barbelés, sortirent de terre, se déployant 2 ROUSSEAU Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Flammarion, 1995, Garnier Flammarion, page 257. 3 DRAÏ Raphaël, article Murs politiques, murs mentaux, extrait de la revue Cités, Murs et frontières. De la chute du mur de Berlin aux murs du XXIe siècle, Presses Universitaires de France 03/2007, n°31, p.192.
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de manière offensive face à l’inconnu, tant redouté. Les différentes civilisations marqueront, chacune à leur façon, une séparation entre l’homme civilisé et le barbare, entre le nomade et le sédentaire, entre le Chinois et le Mongol, entre le Juif et le non Juif, entre le Je et l’Autre... Ces murs avaient pour but de protéger et conserver l’intégrité de l’Empire ou de l’État, son territoire, ainsi que sa population, à l’image d’un château-fort abritant en son cœur les joyaux de la 16
couronne, sécurisé par ses remparts, ses pont-levis, et ses fossés. On voyait, de chacun de ses côtés, des forces armées et ennemies s’affronter. C’était le temps des Croisades, des conquêtes, des guerres de civilisation, ou encore de la colonisation, où chacun cherchait à s’attribuer ou à défendre ses terres. A travers cette étude historique, nous chercherons à comprendre la nature actuelle des murs politiques.
Les murs-frontières
La première catégorie de grands murs que nous rencontrons sont les murs-frontières. Le plus ancien, la Muraille de Chine est peut-être un des exemples les plus criants de ces murs de défense, de par son ampleur. Plus grande construction jamais bâtie par l’Homme, il paraîtrait même que l’on puisse l’apercevoir depuis la Lune. Son édification colossale s’étala sur deux millénaires, sous la direction « des premiers Empereurs Qin jusqu’à la dynastie Ming, qui au XVIe siècle, acheva sa construction1», pour finalement atteindre 100 000 lis, soit plusieurs milliers de kilomètres ! Suivant les reliefs vertigineux et escarpés du territoire chinois, la Grande Muraille permettait de symboliser à la fois les limites de l’Empire, définissant son intérieur et son unité, mais aussi de marquer sa frontière avec l’extérieur, le prémunissant des invasions. Matérialisation herculéenne de la séparation et de la protection à la fois, elle est une véritable fracture déjouant la nature. Elle incarnait la frontière entre deux mondes distincts, où « l’autre qui se trouve de l’autre côté ne sera jamais perçu comme soi2». L’ennemi était ici bien identifié : on cherchait à contrer les assauts mongoles. En excluant l’Autre de ses murs, l’Empire chinois définissait son identité, rassemblant sa communauté autour d’une structure architecturale physique et continue. « Le “mur”, à sa manière, tient de cette logique première, logique unificatrice. Pour qu’il y ait du “même”, il faut qu’il y ait du “différent”. Et, le plus souvent, celui-ci est potentiellement chargé de menaces et implique l’élaboration des structures de défense3.» 1 BANU Georges, op. cit., page 88. 2 Ibid., page 82. 3 Ibid., page 88.
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[ Muraille de Chine serpentant dans les montagnes embrumées ]
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LA GRANDE MURAILLE Exploit architectural et militaire, mais à quel prix ? Dix millions d’hommes auraient perdu la vie lors de sa construction : les fondations de la muraille reposent sur un véritable cimetière humain, enfoui sous le poids de cette dernière. En imposant les limites intimidatrices de son royaume face aux mongoles, le peuple chinois définissait son pourtour et son contenu.
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[ Vestiges de la Muraille de Chine ]
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[ Fontières de la Chine ]
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[ Vestiges du mur d’Hadrien datant de 122 ap J.-C., Housesteads , Angletterre ]
Le limes romain exerçait ce même rôle de mur-frontière. Son exemple est intéressant, lorsqu’il est mis en comparaison avec la Muraille de Chine. Élaboré sur quatre siècles, ce système de fortification délimitait l’Empire romain, à l’image de la Grande Muraille définissant la frontière de l’Empire chinois. Tout au long de ce limes, des postes de surveillance militaire et des soldats renforçaient la défense du territoire. Cependant, contrairement à la Muraille de Chine, le limes n’était pas synonyme de barrière hermétique et infranchissable. Il prenait la forme d’une frontière plus ou moins poreuse. Les murs qui le renforçaient par endroit étaient discontinus, et parmi l’un des plus célèbre, nous pourrions citer celui d’Hadrien, érigé en l’an 2 ap. J.-C. en Angleterre. Cette frontière entre monde civilisé et monde barbare devenait une ligne d’échange sur laquelle se dessinaient points de convergence et de contact avec l’extérieur. La séparation ne marquait pas une rupture franche, mais bien une zone de rencontre entre différents flux, donnant naissance à des trocs et de nouveaux marchés : « le limes est devenu dès le IIIe siècle une zone d’intense activité économique et d’échanges. […] Les Barbares s’adaptaient au monde romain1.» Le verbe s’adapter démontre bien que les deux mondes se côtoyaient et interagissaient, malgré le tracé qui les discernait. Régis Debray évoque cet aspect “vivant” de la frontière, où la distinction entre deux entités donne finalement naissance à une interface florissante de par « leurs rebonds à leurs rebords2.» Langages, traditions et cultures s’entremêlaient, donnant naissances à de nouveaux métissages. Les murs-frontières ne sont ainsi pas forcément isolés et clos. Le dedans et le dehors peuvent communiquer, tout en restant dissociés.
Nous avons préféré nous concentrer sur les exemples de la Muraille de Chine et du limes romain mais nous aurions pu parler ici d’autres murs-frontière historiques, aux fonctions tout aussi défensives, tels que la ligne Maginot, ou encore l’Atlantikwall. En effet, la ligne Maginot et l’Atlantikwall qui se voulaient impénétrables et inviolables, se sont 1 QUETEL Claude, op. cit., page 40. 2 DEBRAY Régis, Éloge des frontières, Barcelone, Gallimard, 2013, Folio, page 62.
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rapidement montrées impuissantes face à l’invasion ennemie écrasante. L’Atlantikwall fût décrit par le maréchal von Rundstedt tel un “monstrueux coup de bluff”. Par-là, il entend que l’enjeu idéologique prit le pas sur l’enjeu militaire majeur. Le rôle dissuasif su malgré tout imposer son effet. Les murs de proscription
Abordons désormais les murs de proscription, autre genre de mur géopolitique et militaire. Ceux-ci, plutôt que de défendre et de protéger un territoire, mettent à part, excluent, bannissent un ensemble d’hommes au sein de la communauté. En créant des barrières autour de lui, il proscrit tout bonnement l’accès d’un certain territoire à un groupe d’individus. Ces murs ont un caractère bien plus sombre et répressif, puisqu’ils sont le reflet d’une condamnation arbitraire à la réclusion, imposée à un groupe par un autre groupe. Mur de proscription, dans l’Histoire, rima souvent avec 24
ségrégation qui, par définition, est le « processus par lequel une distance sociale est imposée à un groupe du fait de sa race, de son sexe, de sa position sociale ou de sa religion, par rapport aux autres groupes d’une collectivité1. » Ces distances sociales infligées à un Autre résulteraient de murs invisibles, puisque mentaux, pouvant provoquer des ruptures radicales.
Le mur de la Peste est l’un des premiers exemples de mur de proscription qui s’offre à nous. En 1720, la France connut un véritable fléau. Dans le port de Marseille, débarquait un navire marchand, approvisionné en son bord d’un imposant stock d’étoffes syriennes d’une grande valeur. Des puces contaminées et porteuses de la peste s’étaient immiscées dans les soieries qu’il transportait. Le capitaine de l’embarcation avait déjà perdu huit de ses hommes durant le voyage. Mais, cet été là, se tenait la foire de Beaucaire, haut lieu de commerce et d’échange de l’époque en France. Le capitaine su discrètement étouffer l’affaire, évitant la mise en quarantaine de son vaisseau. 1 Définition, Ségrégation, Larousse.
Il put ainsi décharger ses marchandises à bon port. L’acte eut des répercussions désastreuses : la maladie se répandit à vive allure. Il n’aura fallu que quelques mois pour que la ville soit ravagée par l’épidémie, les cadavres en putréfaction s’entassant dans les rues. La cité phocéenne devint le théâtre de véritables scènes d’horreur. « Sur un total de 90 000 habitants, Marseille va compter plus de 30 000 morts. […] Versailles prononce le blocus de Marseille : le port et les fabriques vont être fermés durant trente mois. Mais c’est trop tard. La peste a commencé à se répandre dans la région et s’étend rapidement sur toute la Provence. Toutes les villes sont touchées. La Ciotat fait figure d’exception... grâce à ses murs. Elle a conservé son enceinte médiévale et a aussitôt décidé d’en fermer les portes. Personne n’entre ni ne sort2. »
La maladie se propageant, il fallait trouver un moyen de stopper rapidement la pandémie, pour éviter que toute la France ne soit contaminée. C’est dans ce contexte d’urgence que l’on entama l’édification de ce fameux mur, rassemblant en son fort les pestiférés. On voulait éviter tout contact etre ces derniers et le reste de la population. « En septembre 1720, le Conseil d’État du roi promulgue un arrêt par lequel toute la Provence est mise en quarantaine : ni les habitants, ni les marchandises ne doivent franchir le Rhône, la Durance, le Verdon3. » Des cordons sanitaires tenus par 30 000 fantassins et 3 000 cavaliers sont mis en place. Afin d’appuyer ces derniers, les pierres sèches assemblées constitueront le mur de la Peste, qui s’étalera sur plus de 27 kilomètres4. Si quelqu’un entreprend de franchir cette limite, il sera exécuté sur le champ. Ce n’est qu’en février 1723 que seront levées ces barrières. Le royaume aura su, de par l’édification de ce mur, contenir la maladie infectieuse, et remporter la bataille face à elle. L’image du mur de la Peste n’en reste pas moins empreinte de la mort. Il marquait une rupture physique et volontaire entre ses décideurs d’un côté ; et les indésirés de l’autre, frappés par l’horreur, impuissants, ne pouvant qu’accepter de subir ce destin tragique. 2 QUETEL Claude, op. cit., page 72. 3 Ibid., page 73. 4 Ibid., page 74.
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[ Ici, le Docteur Schnabel de Rome, illustration tirée d’une gravure de Paul Fürst de 1656 ]
Le mur de la peste
Les médecins chargés de s’occuper des pestiférés étaient surnommés les corbeaux. Ils portaient un masque en forme de grand bec recourbé, dans lequel était déposé des herbes aromatiques tentant de les protéger de l’air putride. Leur tenue se complétait d’une tunique noir les recouvrant de la tête aux pieds, de gants, de lunettes de protection, ainsi que d’un chapeau et d’une baguette.
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Autres murs de proscription, les murs des ghettos firent leur apparition au Moyen-Âge. Ayant pour cible les populations juives, ces derniers entreprenaient de les rassembler derrière une enceinte fermée qui les exclurait du reste des habitants. C’est une révolte du peuple juif face à l’invasion romaine à Jérusalem, en 65 av. J.-C. qui fût à l’origine de cette excommunication, autrement appelée Diaspora. La victoire romaine endossée par Titus déboucha sur la déportation de nombreux juifs. En 135 après J.-C., l’Histoire trouva écho. Cette fois ci, une grande partie des juifs sera exterminée. Les survivants seront chassés des terres de Palestine. Au fil du temps, ils devinrent victimes d’autres persécutions, au nom du rejet de leur communauté religieuse. Dès le XIIIe siècle, ils se virent forcés, par le IVe concile de Latran, de porter des signes distinctifs jaunes, couleur infamante, sous forme de chapeau ou de disque cousu sur leur vêtements. Le 29 mars 1516, ce dernier décrète que « les juifs habiteront tous regroupés dans l’ensemble de maisons situé au Ghetto, près de San Girolamo ; [où] seront mis en 28
place deux portes, lesquelles seront ouvertes à l’aube et fermées à minuit par quatre gardiens engagés à cet effet1. » Le mot ghetto nous vient de l’italien, getto, désignant la fonderie. En effet, c’est dans le quartier des fonderies à Venise, que l’on entassa la population juive, qui, rejetée et malmenée dans de nombreux pays, y trouva asile. Ces ghettos italiens les accueillaient à conditions qu’ils soient tenus à l’écart, trouvant derrière cette acceptation - tout à fait relative - des juifs sur leurs terres, un intérêt économique. Au milieu du XVIe siècle, le ghetto de Rome apparût, le pape Paul IV y ordonnant la mise en quartier des juifs. Voyez ici le discours que ce dernier tenait à leur l’égard : « Comme il est absurde et totalement inopportun de se trouver dans une situation où la piété chrétienne permet aux juifs, qui en raison de leur propre faute, ont été condamnés par Dieu à un esclavage perpétuel, d’avoir accès à notre société et même de vivre parmi nous […] ils devront résider entièrement entre eux dans des rues désignées et être foncièrement séparés des résidences des chrétiens2. »
1 Ibid., page 76. 2 Ibid.
Il établissait ostensiblement des lois répressives, trouvant leurs fondements réducteurs dans la prétendue parole de Dieu. Une ville dans la ville, mise à l’écart du reste du monde par ses murs. Le ghetto revêt les apparences d’une véritable prison. Il est difficile de croire que les juifs trouvaient à travers ces barrières un périmètre protecteur et sécurisant, les abritant de la haine et des violences extérieures exercées à leur égard. On vit éclore une multitude de ghettos dans toute l’Europe : en France, en Espagne, en Angleterre, en Pologne, en Allemagne, ou encore en République Tchèque, où se trouvait le plus important d’entre eux. La haine était viscérale, le mur en était son reflet : pas d’eux parmi nous. Les murs de proscription marquaient une fracture sociale telle, qu’une cohabitation se montrait inconcevable. Les symboles distinctifs que les juifs portaient, à l’image de ces murs de ghettos, sont l’affirmation d’un rejet méprisant et d’une non-reconnaissance de l’Autre en tant qu’être humain, d’égal à égal.
[ Familles juives déportées vers un ghetto de Varsovie ]
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Au XVIIIe siècle, la philosophie des Lumières redonnera une lueur d’espoir dans la reconnaissance des droits des juifs. Ses grands penseurs firent émerger de nouvelles idées, s’opposant aux régimes politiques et religieux opprimants, ainsi qu’à leurs idéologies arbitraires, bien souvent non éthiques et superstitieuses. Personne ne s’était jusqu’alors scandalisé face aux conditions de vie lamentables imposées aux juifs dans les ghettos. L’idée d’accorder leur émancipation fît écho, et l’effet domino opéra : les murs tombèrent les uns après les autres. Le discours changea de ton et de nature : « Afin qu’il ne subsiste plus aucune division apparente entre les citoyens de cette ville, nous ordonnons que soient démolies ces portes qui, par le passé, formaient le Ghetto1. » On cherchait à faire cohabiter de nouveaux les groupes religieux, malgré leurs différences et leurs différends. On remettait en cause les relations passées inégalitaires, et la manière dont on avait traité l’Autre. Le ghetto de Rome lui, perdura, enfermant encore un moment ses habitants dans un décor funeste : « rues étroites, immondes, le manque d’air et la 30
malpropreté, conséquences inévitables d’une telle agglomération d’êtres pour la plupart misérables, rendent ce séjour nauséabond et mortel2. » Les ghettos d’Europe centrale disparaîtront tour à tour, sous l’impulsion éthique des grands penseurs de l’époque, sans qu’il y ait pour autant une réelle entreprise de destruction des murs de la part des gouvernements.
Pourtant, l’horreur ressurgît dans de plus grandes stridences... Au XXe siècle, les ghettos juifs se transformèrent en véritables « antichambre de la mort3 » sous le régime nazi. Il ne s’agissait plus de rejeter le peuple derrière des murs d’exclusion, les parquant dans les juiveries - nom que l’on attribuait autrefois aux quartiers juifs. Entre les murs des camps de concentration, on exterminera, on éradiquera six millions de personnes. Hitler exerçait son idéologie totalitaire, empreinte de racisme et d’antisémitisme dans un climat de peur tel, que des milliers hommes furent assez fous pour contribuer à l’élaboration de la « Solution Finale ». Le terme même de « solution » fait froid dans le dos... Cette 1 Ibid., page 85. 2 Ibid. 3 Ibid., page 76.
entreprise barbare se voulait être la réponse à un problème profond, qui n’était autre que le fruit d’une aversion impensable. On se demandera toujours comment des hommes ont pu mettre en place et mener à bien une politique discriminatoire aussi destructrice et radicale. Génocides, rafles, mises en esclavage… tous puisent leurs sordides racines dans l’instauration même d’une race humaine hiérarchisée. Quand la relation et la reconnaissance entre deux groupes n’existent plus, les rapports sociaux se trouvent alors dépourvus de toute trace d’humanité. Le mur de proscription, dans ce contexte, apparaît comme une arme unilatérale et dictatoriale. L’Autre, victime de l’exclusion, se retrouve condamné au pied du mur. La pathologie du mur de proscription résulte de l’initiative d’un groupe à affirmer sa supériorité, la justifiant pas sa couleur de peau, ses croyances religieuses, sa politique ou encore son appartenance ethnique ; où l’Autre sera lui considéré comme membre d’une sous-race. Cette idéologie infondée est l’essence de la race aryenne : cette dernière représentait pour les nazis la plus pure qu’il eût été donné, au mépris du juif, du handicapé, de l’homosexuel, considérés comme indignes. Les camps de concentration, aux parois de béton et de barbelés, prirent au piège des millions de personnes, victimes de leurs divergences religieuses, physiques, sexuelles ou idéologiques. Les germes des murs de proscription poussent avant tout dans les têtes. Cette prétendue théorie de la hiérarchisation des races bafoue les droits fondamentaux de l’homme, et permet de légitimer les plus grandes atrocités jamais commises. Ainsi, ségrégation, racisme, antisémitisme, homophobie, xénophobie, sont autant de manifestations de l’intolérance à l’autre, où la coexistence avec le différent de soi se montre inenvisageable. Que ce soit à travers la « Solution Finale » d’Hitler, la traite des Nègres et le commerce triangulaire, l’Apartheid en Afrique du Sud, et toutes autres formes d’assujettissement, nous nous buttons sur des formes de remparts idéologiques. On cherche à nier, dégrader, souiller l’existence d’un Autre, ou plus terrifiant encore, à l’éradiquer, le pulvériser, le faire disparaître pour de bon. C’est dans ce climat où l’on cultive la haine et le mépris, au nom d’une supériorité autoproclamée, que les barrières les plus opaques s’élèvent entre les hommes.
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[ Auschwitz - Camps d’extermination ]
DEATH ROW
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[ Mémorial de l’Holocauste - Berlin ]
Les murs purement politiques
Faisons un petit saut en avant, et intéressons-nous désormais aux murs purement politiques, qui émergèrent aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Dès 1946, suite aux conférences de Yalta et de Potsdam, fut convenu la mise en place du Rideau de Fer, divisant l’Europe en deux blocs : l’un sous l’influence soviétique, l’autre sous l’influence américaine, et ce jusqu’en 1989. Dans ce contexte de la Guerre Froide, le Rideau de Fer permis de temporiser les tensions entre idéologies communiste et libérale. Cependant, cela n’empêchera pas certains conflits d’éclater. C’est l’exemple de la guerre de Corée où les deux clans, chacun rallié respectivement au Nord et au Sud, se disputeront dans une bataille sanglante. Bataille à laquelle on mettra terme, sans réellement résoudre le conflit, en paralysant la situation houleuse par la raideur d’un mur. Encore un... qui se tient encore debout en 2015 ! Le Rideau de Fer se verra complété par l’édification fulgurante 34
d’un mur : le fameux Mur de Berlin. Ligne franche de démarcation entre Berlin Est et Berlin Ouest, sa longueur atteint les « 165 kilomètres, dont 42 à l’intérieur de la ville1 », la « surveillance requiert, jour et nuit, la mobilisation de 14 000 vigiles et de 6 000 chiens2. » Le Mur de Berlin est peut-être le mur le plus évocateur qui soit. La majuscule qu’on lui attribue exclusivement en est significative. Derrière ce Mur à l’acrostiche majestueuse se cache le Mur de la honte... Walter Ulbricht, dirigeant de la RDA, se voyait confronté à une émigration massive de ses habitants : des milliers d’allemands de l’Est fuirent leur bord pour rejoindre la République fédérale allemande, où la reconstruction économique se montrait prometteuse, stimulée par le plan Marshall. Face à cette situation devenue incontrôlable, il décida, dans la nuit du 13 Août 1961, de lancer la construction du Mur. La ville de Berlin se scinda alors promptement en deux hémisphères aux idéologies divergentes. Cette décision se prendra sans concertation préalable avec l’Autre Berlin. Le nom « République démocratique allemande » 1 PAQUOT Thierry, LUSSAULT Michel, Introduction extraite de Murs et frontières, Hermès, 2012, CNRS Éditions, n° 63, page 12. 2 Ibid.
RIDEAU DE FER 35
[ Expression introduite par Wiston Churchill lors d’un discours prononcé le 5 mars 1946 à Fulton ]
ich bin ein berliner
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prête à confusion, puisque, établissant une politique basée sur la fermeture, la répression et la peur, piétinant - entre autre - la liberté de mouvement de ses habitants, on voit mal comment celle-ci peut être qualifiée de démocratique. Afin de conserver l’emprise sur les habitants, on mit en place une police politique, dénommée Stasi. Les berlinois de l’Est seront surveillés, pourchassés, espionnés par ces troupes de contrôle insidieux, qui ne faisaient que renforcer le poids du mur. L’intrigue du film La vie des Autres1 se déroule en l’Allemagne de l’Est, baignant dans cette atmosphère pesante, où l’oppression exercée par le parti communiste transit de peur ses occupants. On y suit l’histoire d’un officier de la Stasi, dont la mission sera d’espionner un couple d’intellectuels, soupçonnés de ne pas consentir à l’idéologie imposée. Il pénètre alors secrètement dans la vie intime des personnages en mettant sous écoute leur appartement. Caché de l’autre côté du mur, il développe peu à peu un intérêt particulier pour ce couple et son histoire… Mélange d’affection et de fascination. L’empathie prend le dessus sur ses obligations : il se risque à falsifier ses rapports afin de protéger celui qu’il était censé dénoncer. Il est intéressant d’observer la façon dont le réalisateur a su retranscrire à quel point les relations humaines étaient gangrenés par la politique imposée. Entre méfiance, paranoïa et voyeurisme institutionnalisé, hostilités et peur de l’Autre ne font qu’accroître. Finalement, vivre à travers ce couple permettra au héros de remettre en question le système auquel il obéissait, et de retrouver sa part d’humanité en réalisant la violence arbitraire du parti corrompu qu’il servait jusqu’alors. Une véritable chasse aux opposants et aux déserteurs fut menée, semant une terreur paralysante. Les membres de la Stasi avaient reçu le droit de tirer sur quiconque chercherait à franchir le mur, femmes et enfants compris. Le peuple était persécuté, pris au piège, manipulé : « Le mur de Berlin, dans l’Histoire, reste le seul à avoir été bâti non pas pour se défendre contre une agression, pour sécuriser un territoire, bien au contraire, pour empêcher une désertion collective, pour assurer et garantir la mainmise sur une population2. » Ici, ce sont les citoyens 1 HENCKEL VON DONNERSMARCK Florian, La Vie des autres, 2007, 137 min. 2 BANU Georges, op. cit., page 12.
d’un même pays, d’une même ville qui furent déchirés contre leur gré ; la moitié subissant un destin tragique et sans issu. Le psychiatre Dietfried Müller-Hegemann constata en 1973 les pathologies de la “Maladie du Mur” : l’érection ce dernier généra « des cas de psychose, de schizophrénie et de phobie chez les Allemands de l’Est vivant à proximité. Ces populations souffraient de comportements agressifs, d’abattement, et d’alcoolisme – et présentaient un taux de suicide plus élevé. Plus ses patients vivaient près du mur, plus leurs troubles étaient sévères3. » L’impact du Mur sur le psychisme de ceux qui le subissent peut être dévastateur. Abordé avec brio dans le film Good Bye Lenin, l’Ostalgie est un autre exemple de dégât mental causé par le mur : les allemands, ayant subi un changement si brutal et radical dès lors que le mur fût abattu, se retrouvèrent confronté à une perte de repères et identitaire. Totalement désorientés par ces années d’emprisonnement, lorsque le Mur céda enfin, ils ne surent se rattacher ni au passé, ni au présent, ne pouvant envisager d’avenir. 37
Lors d’un discours en 1963, J.F. Kennedy prononça cette citation légendaire contre la division : « Tous les hommes libres, où qu’ils vivent, sont des citoyens de Berlin. Par conséquent, en tant qu’homme libre, je suis fier de prononcer ces mots : Ich bin ein Berliner ! » À travers ces dires, il revendiqua le respect des droits fondamentaux de l’homme, en particulier le droit à la liberté de mouvement. Il lança un véritable appel à la solidarité et à la lutte face au mur. C’était aussi une manière pour lui de montrer aux yeux du monde l’échec du communisme. Ce ne sera que trois ans plus tard, dans la nuit du 9 Novembre 1989 que le mur cédera enfin sous la pression : « Sa destruction fut tout aussi rapide que son édification. Et ainsi, à trente ans d’écart, au sentiment d’horreur initial succéda le déferlement d’une joie sans borne4. » Ces images du peuple berlinois qui, à coups de pioches, entame la volée en éclat des premiers morceaux du Mur, sont dans toutes les têtes. Leurs répercutions vont se propager tout au long de ce dernier, sous la 3 La maladie du mur. [En ligne] 09/11/2014. [Consulté le 02/10/2015]. Disponible à l’adresse : https://www.connectedwalls.com/fr/intro 4 Ibid., page 14.
[ Août 1961 - des ouvriers renforcent le mur, sous les yeux des officiers de police Ouest-Allemands. © AFP BILDARCHIV ]
[ Berlin Ouest, mur de Berlin, 1962, photographie argentique. © Henri CARTIER-BRESSON ]
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[ 1984 - Le mur devient au fil des années un véritable support d'expression. Il suffit de regarder ce graffiti pour comprendre les désirs qui animent les Allemands de l’Est. © JOEL ROBINE / AFP ]
[ 1966 - Berlinois de l’Ouest regardant à travers le mur de Berlin dans le secteur oriental près de Checkpoint Charlie. © Hulton Archive/Getty Images ]
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[ De jeunes Berlinois se dressent sur le mur au nom de la liberté © The Washington Post / Getty image ]
[ La foule est massée devant le mur lors de l'ouverture d'un nouveau point de passage, sous les yeux des gardes-frontière de Berlin Est. © Photo AFP ]
présence passive des gardes, démunis de toutes leurs fonctions passées. L’effervescence gagna les rues, les portes de passage s’ouvrirent, la vie semblait regagner les artères de la ville. La scène fut diffusée en masse par les médias et l’engouement frénétique fut général. La chute du Mur devenait un véritable symbole de la démocratie. Cette fracture qui sépara durant plus de vingt-neuf ans les habitants d’une même ville, laissa enfin place aux retrouvailles : la foule s’étreint, ne formant à nouveau plus qu’un. Quelle émotion ne ressent-on pas sur cette vidéo où le prodigieux violoncelliste russe Mstislav Rostropovitch, ayant connu l’exil aux États-Unis puisque réprimé dans son art et sa pensée, interprète au nom de la liberté les Suites de Bach au pied d’un mur décrépi ? Le groupe des Pink Floyd orchestrera un concert mythique de son album The Wall 1, où un mur de briques de carton colossal sera détruit sur scène en commémoration à la chute du mur, face à un public de plus de trois cent cinquante mille personnes ! Là où les frontières s’abolissent, la musique résonne et réunit les foules. Ralliées sur une fréquence, par un même flux, les notes animent la mélodie des cœurs qui désormais compose un bloc unique, que rien ni personne ne pourra séparer de nouveau.
1 PINK FLOYD, The Wall, album sorti le 30 novembre 1979. 80 min.
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Là où les frontières s´abolissent, la musique résonne et réunit les foules.
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[ Le violoncelliste Mstislav Rostropovich célèbre le 11 Novembre 1989 en jouant devant le mur de Berlin en ruine. © AP ]
[ 21 juillet 1990 - Concert mytique des Pink Floyd interprétant leur album The Wall pour commémorer la chute du Mur de Berlin. ]
11 novembre 1989
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la chute du mur
[ 31 December 1989 - Les Berlinois de l’Est grimpent sur le mur de Berlin pour fêter la fin effective de la partition de la ville Š Getty image ]
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B L’épidémie des « nouveaux murs » La chute du mur de Berlin fut vécue dans le monde comme un véritable tournant dans l’Histoire. Comme nous le disions, il est devenu le symbole même de la réunification et de la démocratie. La chute du mur entraîna avec elle l’effondrement du bloc soviétique. En 1991, Gorbatchev démissionne, et l’URSS se démantèle. Une fois l’Allemagne réunifiée, un vent d’espérance souffla sur le globe : le temps de la guerre et d’un monde bipolaire appartenait au passé, l’oppression avait atteint son 46
paroxysme, laissant derrière elle le goût amère des divisions. Voilà que s’imposait clairement et de toute part la volonté d’un monde uni. Pourtant, depuis 20 ans, nous voyons de nombreux murs prendre racine dans différents territoires en crise de la planète : la “DZM1” entre Corée du Sud et du Nord ; la ligne verte qui divisent les Chypriotes turcs et grecs; les Peacelines irlandaises de Belfast ; le mur de sable, appelé berm, qui traverse le Sahara occidental du Nord au Sud ; les grillages de protection de Ceuta et Melilla, deux villes espagnoles ancrées sur
les côtes marocaines ; le mur électrifié sur une ligne de contrôle entre le Pakistan et l’Inde2... Et la liste est encore longue ! En tout, selon Elisabeth Vallet, chercheuse à l’université de Québec, ce serait près de soixante-cinq murs, déjà établis ou encore au stade de projet, qui sépareraient la population mondiale actuelle3. Ces derniers conservent leur fonction militaire et sont toujours synonymes de sauvegarde, 1 Demilitarized Zone. 2 NOVOSSELOFF Alexandra, NEISSE Franck, op. cit., page 19. 3 Migrations : partout dans le monde, la tentation des murs [en ligne]. La Dépêche.fr. 21/08/2015. [Consulté le 02/10/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.ladepeche. fr/article/2015/08/21/2163099-migrations-partout-dans-le-monde-la-tentation-desmurs.html
[ 30 septembre 2013 - Soldats sud-coréens regardant vers la Corée du Nord à travers la frontière de la zone démilitarisée ( DMZ ) ]
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protection, et défense du territoire. Ils refoulent toujours en dehors de ses limites les indésirés d’un système qui les rejette, mais cette fois, ces derniers n’ont ni visage, ni nom précis comme auparavant. Mais d’où vient cette “épidémie” des murs actuels ? Qui séparentils ? Dans quel contextes et pour quelles raisons sont-ils construits ? Qu’ont-ils de différent avec les murs plus anciens, dont nous avons exposé les fonctions précédemment ? Sont-ils là pour nous protéger ? Si oui, de quelle(s) menace(s) ? Ou sont-ils des outils dont nous avons dévié le sens et qui cacheraient des problèmes plus profonds ? [ Sur les barbelés flottent des milliers de rubans multicolores accrochés par des Sud-Coréens, délivrant des messages aux membres de leurs familles restées au Nord ]
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[ 2011 - Graffiti recouvrant le mur matérialisant la Ligne verte à Chypre , qui di vise l’île en deux depuis 1964 ]
[ 2011 - Immeubles abandonnés derrière une grille interdisant de pénétrer et de photographier cette zone de Nicosie, ville déchirée se trouvant sur la frontière séparant les chypriotes grecs et les chypriotes turcs ]
[ 2011 - Le drapeau turc géant, gravé sur la montagne entre Nicosie et Kyrenia, territoire de la RTCN (République Turque de Chypre du Nord) ]
[ 2012 - Femmes escaladant le mur séparant l’Inde et le Bangladesh © Gaël Turine ]
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[ Une des Peacelines de 1969, serpentant au travers des jardins des résidences pour diviser l’espace entre les différentes communautés (catholique et protestante) dans l’Est de Belfast © Frankie Quinn’s ]
[ 2008 - Une des nombreuse Peacelines de Belfast. On apperçoit ici le mur de la paix de la rue Townsend regardant du côté catholique vers la zone protestante Shankill. Cette porte est fermée à 17h30 et ouvert à 7h du matin © Richard Wainwright ]
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[ Le Berm, mur de sable dans le Sahara occidental, divisant les Sahraouis et les Marocains depuis 1980 © AFP ]
[ Le Berm, dont la longueur atteint 2 000 km répartis sur plusieurs rangées, constituées de remblais de sables, de champs de mines et de barbelés © Reuters ]
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AUJOURD’HUI, PLUS DE 42 MURS DIVISENT TOUJOURS LES POPULATIONS...
1953 CORÉE DU NORD / CORÉE DU SUD 1964 CHYPRE GRECQUE/ CHYPRE TURQUE 1969 BELFAST (PEACE LINES) 1975 AFRIQUE DU SUD / MOZAMBIQUE 1980 MAROC / OUEST SAHARA 1986 INDE / BANGLADESH 1991 KOWEIT / IRAK 1993 MAROC / ESPAGNE (CEUTA) 1993 MAROC / ESPAGNE (MELILLA) 52
1994 ISRAËL / BANDE DE GAZA 1994 USA / MEXIQUE 1999 OUZBÉKISTAN / KIRGHIZSTAN 2000 AFRIQUE DU SUD / ZIMBABWÉ 2001 OUZBÉKISTAN / TURKMÉNISTAN 2001 OUZBÉKISTAN / AFGHANISTAN 2002 ISRAËL / CISJORDANIE 2003 YEMEN / ARABIE SAOUDITE 2003 INDE / PAKISTAN 2003 BOTSWANA / ZIMBABWÉ
2003 INDE / BIRMANIE 2004 MALAISIE / THAÏLANDE
2005 CHARM EL-CHEIKH (ÉGYPTE) 2005 BRUNEI / MALAISIE 2005 OMAN / ÉMIRATS ARABES UNIS 2006 ARABIE SAOUITE / ÉAU 2006 ARABIE SAOUITE / IRAK 2006 KAZAKHSTAN / OUZBÉKISTAN 2006 CHINE / CORÉE DU NORD 2007 PAKISTAN / AFGHANISTAN 2007 BRÉSIL / PARAGUAY 2007 IRAN / PAKISTAN
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2008 BIRMANIE / BANGLADESH 2009 ÉGYPTE / BANDE DE GAZA 2010 ISRAËL /ÉGYPTE 2012 GRÈCE / TURQUIE 2012 ISRAËL / LIBAN 2012 HOMS (SYRIE ) 2013 BULGARIE / TURQUIE 2013 SYRIE / TURQUIE 2013 RUSSIE / NORVÈGE 2014 ISRAËL / JORDANIE 2015 HONGRIE / SERBIE
Un mur construit sur la frontière la plus traversée du monde : le mur entre les États-Unis et le Mexique
Notre analyse des nouveaux murs débute par un exemple frappant, qui, se tenant au cœur des préoccupations actuelles, fait beaucoup parler de lui1 : le mur-frontière entre les États-Unis et le Mexique, autrement appelé mur de Bush. Initiative unilatérale, ce mur dépeint une situation criante de contresens et d’absurdités, que nous tenterons ici de mettre en relief… puis de mettre en lien avec les autres murs actuels pour tenter d’expliquer ce phénomène planétaire. En 1994, Georges Bush lança, sous l’impulsion du Secure Fence Act, la construction d’un imposant mur, dît mur anti-immigration, visant
à séparer les États-Unis du Mexique. Prenant naissance dans les eaux du Pacifique, il parcourt l’entièreté du territoire, finissant sa course effrénée dans le Golfe du Mexique. Depuis 2011, Obama entreprend la 54
continuité et le renforcement de ce projet : l’architecture et le design du mur ont été retravaillés, puis appliqués. Il atteint aujourd’hui une hauteur de 6 mètres et une longueur de « 3 200 kilomètres », distance sur laquelle « 18 000 gardes-frontière » sont mobilisés pour « assurer sa protection »2. Ce mur se trouve sur la frontière la plus traversée de la planète. Se situe à Tijuana le « poste frontalier le plus fréquenté du monde : 45 000 voitures et 200 000 personnes traversent dans un sens ou dans l’autre ; vingt couloirs au poste frontalier en direction des États-Unis – deux pour entrer au Mexique ; 40 000 Mexicains passent chaque jour légalement la línea3. » Cependant, cela n’empêche pas un grand nombre d’immigrés latinos clandestins de partir à la conquête d’un avenir meilleur au-delà de cette limite. Le manque d’argent, d’éducation et d’opportunités les poussent à quitter pays, proches, et accroches pour tenter d’accéder au mythe du rêve américain.
1 Nous avons pu alimenter nos connaissances en assistant à deux conférences tenues au centre Georges Pompidou, et où se tient du 3 septembre au 19 octobre 2015 un salon sur l’Amexica, nom que les analystes prêtent à cette troisième nation, apparue dans la zone d’entre-deux que le mur dessine. 2 NOVOSSELOFF Alexandra, NEISSE Franck, op. cit., page 12. 3 Ibid.
Depuis le 11 Septembre, avec la montée en puissance du terrorisme, les enjeux sécuritaires internationaux ont changé de nature. Le gouvernement américain se voudrait hermétique à toutes infiltrations humaines clandestines. Des expulsions massives ont été mises en place sur le territoire américain et des technologies de pointe ont été associées au mur depuis 2011, afin d’augmenter sa fonction de frein à la circulation des flux humains. C’est ce que l’on appelle la virtual fence4 : caméras de surveillance, capteurs et sensors, tours de contrôle, drones… La frontière se contrôle désormais à distance. La border patrol et les gardesfrontaliers sont là pour assurer la sécurité gouvernementale de la zone en effectuant des patrouilles, un peu partout sur sa longueur. Des milices paramilitaires et frontalières, dont le nom le plus évocateur reste celui des Minutemen, se sont développées depuis les années 80, et connaissent un regain d’activité depuis que les attentats ont frappé les tours jumelles. A travers cette
vigilance américaine
accrue, de nombreuses
organisations extra-
légales de ce type,
composées de citoyens
volontaires, ont décidé
de défendre leur pays
par leurs propres
moyens. Bien souvent,
ces citoyens américains
re v e n d i q u e n t
le s
principes de la Whiteness et portent un discours amoral et non-éthique à propos des immigrés clandestins. On remarque que le désir du mur n’est pas toujours l’initiative d’un gouvernement : ce peut-être les citoyens même d’un pays qui souhaitent son édification. Aux États-Unis, on observe une forme de patriotisme si démesurée qu’il en devient irrationnel. Par exemple, nous pourrions citer cet organisme qui propose aux américains d’acheter de petits drapeaux de leur pays, sur lesquels seront inscrits leur prénom, et qui, par la suite, seront accrochés sur la barrière, côté américain. En payant un abonnement, l’intéressé se trouve alors en droit d’accéder aux caméras de surveillance frontalières, afin qu’il puisse, “en tant que bon patriote américain”, prévenir la border patrol s’il détecte le passage d’immigrés clandestins.
4 Barrière virtuelle.
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[ Photographies issue de l’ouvrage The American wall : from the Pacific ocean to the gulf of Mexico © Maurice Shérif ]
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Maurice Shérif.
« Je me suis dit : du silence, rien d’autre. Il faut photographier le silence. Derrière le silence, il y a la brutalité mais aussi la beauté et l’espoir. Si j’avais photographié des gens autour du mur, le mur serait devenu un simple élément de décor. »
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[ Photographies issue de l’ouvrage The American wall : from the Pacific ocean to the gulf of Mexico © Maurice Shérif ]
Le rapport à l’Autre est “racisé”, il n’en fait aucun doute. Pourtant, la menace du terrorisme et de l’immigration est globale, elle ne porte pas de visage distinct. Le mur exerce son rôle séparatif et projette deux réalités selon le sens dans lequel on l’observe : d’un côté, la majorité des citoyens américains se rallient à la cause du mur, convaincus de sa nécessité et de son efficacité, pourtant, nombre d’entre eux ne le verront jamais. De l’autre, de nombreux migrants venus du Sud verront à travers le mur un obstacle de plus à franchir pour fuir un quotidien de misère. La pauvreté - ou la guerre comme on le voit actuellement en Europe poussent des millions de personnes à quitter leur pays dévasté. En 1994, les États-Unis, le Canada et le Mexique signaient les accords libre-échange de NAFTA1. L’ouverture de leurs frontières communes fut élaborée afin de favoriser l’importation et l’exportation de marchandises, d’éliminer les barrières douanières, de simplifier les échanges transfrontaliers des biens et des services, d’assurer 60
les conditions d’une concurrence équitable dans la zone de libreéchange, et de protéger l’environnement2. La réalité que le mur dévoile quant au respect de ces accords entre les États-Unis et le Mexique est tout autre. Un des deux pays tire profit des accords passés et impose son hégémonie, pendant que l’autre les subit et endosse le rôle de bouc émissaire. Dans son texte La toute nouvelle statue de la Liberté3, Charles Bowden dénonce l’hypocrisie américaine qui se
cache derrière l’élaboration de ces accords succédée par la mise en place d’une politique anti-immigration. Ce dernier explique : « De nombreuses forces alimentent la migration vers le nord – un accord de libreéchange qui a détruit l’agriculture paysanne et anéanti les petites industries, une violence croissante nourrie par la prohibition américaine de certaines drogues et par une politique délibérée du gouvernement mexicain, une population croissante établie sur des fondations soigneusement pillées… » 1 North American Free Trade Agreement. 2 L’accord de libre-échange américain (ALENA / NAFTA). Franceoea.org. 08/07/2014. [Consulté le 18/10/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.franceoea.org/spip. php?article1300 3 SHERIF Maurice, The American Wall : From the Pacific Ocean to the Gulf of Mexico, San Francisco, University of Texas Press, 2011, essai de BOWDEN Charles, La toute nouvelle statue de la Liberté.
L’auteur insiste en déclarant : « Dans cette nouvelle Amérique, on a un appétit insatiable pour les drogues et on méprise les gens qui la fournissent. Dans cette nouvelle Amérique, on a un appétit insatiable pour le travail pas cher et on méprise les gens qui le font. Dans cette nouvelle Amérique, il y a un mur de trois mille kilomètres de long et une envie croissante de traquer les Mexicains clandestins et de les renvoyer chez eux. Dans cette nouvelle Amérique, les migrants sont perçus comme une menace à la sécurité nationale ; et la sécurité nationale n’est jamais définie. Ni remise en question. Dans cette nouvelle Amérique, la plus grande de toutes les drogues est légale et elle est distribuée en toute impunité par des politiciens. Cette drogue est la peur, et le peuple américain y est devenu accro. 4 »
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[ ˝ La línea ˝ issue de l’ouvrage The American wall : from the Pacific ocean to the gulf of Mexico © Maurice Shérif ]
4 Ibid.
Depuis la mise en place de ces accords, un américain touche en moyenne un salaire annuel de 30 000 dollars, contre 4 000 dollars 62
pour un mexicain. Cette zone “d’entre-deux” est devenue le foyer d’une activité commerciale et industrielle intense. Tout au long de la frontière, les villes-jumelles telle que Tijuana et San Diego ne cessent de se remplir et de se développer. El Paso, faisant face à Ciudad Juarez, est devenu la deuxième ville la plus commerçante des États-Unis. L’implantation de maquiladoras1 a entraîné la venue de nombreux travailleurs sous-traités. Le bas prix de la main d’œuvre, exécutant des produits affranchis des toutes taxes douanières et à destination des États-Unis, est profitable aux multinationales qui établissent grand nombre de structures sur ce terrain fertile2. D’autre part, de nombreux trafics illégaux (drogue, armes, êtres humains...) se sont intensifiés et s’organisent tout au long de la frontière. Pourtant, le gouvernement américain justifiait en partie - la construction du mur pour sa lutte face aux trafics. Profitant de son implantation dans une zone de non-droit frontalière 1 Définiton, Maquiadoras, Universalis : Usines de montage qui assemblent en exemption de droits de douane des biens importés destinés à être intégralement réexportés. Leurs propriétaires bénéficient ainsi d’une maind’œuvre bon marché et de droits de douaniers. 2 Ibid.
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[ ˝ La línea ˝ issue de l’ouvrage The American wall : from the Pacific ocean to the gulf of Mexico. Le mur découpe des villages en deux © Maurice Shérif ]
les problèmes que le mur prétendait apaiser se sont exacerbés. Chaque partie tire les avantages et les inconvénients de l’autre, inégalement, illégalement : la drogue sud-américaine circule vers les États-Unis pendant que les armes américaines s’acheminent jusqu’au Mexique. Nombreux sont les américains qui se rendent au Mexique pour effectuer des soins chirurgicaux, ou se procurer des médicaments. Le mur, qui se voudrait sécuritaire, ne fait qu’amplifier le développement de marchés parallèles et souterrains. Le déséquilibre économique est certain, et c’est ce qui pousse autant de mexicains à passer de l’autre côté du mur, de l’autre côté du décor. Ce décor prend l’apparence d’un mur qui se voudrait infranchissable. Pourtant il n’est pas continu : il existe des percées, des portes ouvertes dans ce mur. Bien qu’il limite, ou du moins complique l’accès sur les terres américaines, le mur ne peut empêcher totalement la 64
circulation des hommes : l’on trouvera toujours un moyen de le contourner ou l’escalader. Ces zones perforées se situent - entre autres - dans les vallées désertiques et arides de l’Arizona, ou sur des terres indiennes, qui ont su s’opposer et se préserver du mur. Comme le souligne Charles Bowden : « La frontière des États-Unis avec le Mexique n’a jamais été hermétique, et elle ne le sera jamais. Elle est trop vaste pour être entièrement sous contrôle et l’économie américaine est trop vorace pour supporter l’existence d’une frontière hermétiquement fermée1. » L’immigré qui voudrait emprunter cette route périlleuse devra marcher deux à trois semaines dans le désert pour atteindre Phoenix... s’il survit. Le taux de mortalité des migrants n’a fait qu’augmenter depuis le renforcement de la barrière : « 61 morts en 1995 [face à] 373 en 20042 ». En tout, plus de 7 000 personnes mortes, de déshydratation pour la plupart, ont été recensées (même si on affirme que les taux réels seraient 2 à 3 fois supérieurs). Le mur n’empêche pas l’immigration clandestine, il ne fait que rendre plus compliqué, pervers et mortel l’accès au sol américain. D’un point de vue écologique, le mur a aussi 1 SHERIF Maurice, essai de BOWDEN Charles, op. cit. 2 NOVOSSELOFF Alexandra, NEISSE Franck, op. cit., page 124.
eu des conséquences catastrophiques, ne perturbant pas uniquement la circulation des êtres humains. De nombreuses espèces d’animaux et de végétaux subissent sa présence contre-nature, empêchant les flux
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migratoires et d’échanges vitaux pour ces écosystèmes.
[ Photographies issues de The American wall : from the Pacific ocean to the gulf of Mexico © Maurice Shérif ]
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[ Photographies issue de l’ouvrage The American wall : from the Pacific ocean to the gulf of Mexico © Maurice Shérif ]
Le business du mur, une réalité
L’élaboration de tels dispositifs demande le soulèvement de grands moyens : édification, mobilisation des forces armées, mise en place d’équipements et de technologies de pointe, entretien… sont autant de facteurs expliquant les coûts dispendieux du mur. Lors de la conférence La violence du mur1 à laquelle nous avons assisté, Maurice Shérif, photographe ayant réalisé l’ouvrage The American Wall: From the Pacific Ocean to the Gulf of Mexico, estime que le coût de construction du
mur américain serait de dix millions de dollars par kilomètre. Dans ce sens, le mur recouvrant une distance de 3 200 kilomètres, le budget total nécessaire à la construction du mur serait de 32 milliards de dollars ! La construction de tels murs demande une quantité d’argent démesurée : le repli sur soi à un prix – et pas des moindres. Néanmoins, il ne faut pas être dupe : un véritable Business du mur s’est mis en place depuis quelques années. De grandes firmes d’armements et des leaders 68
dans le secteur de la défense, tel que Boeing, trouvent un terrain de reconversion fertile 1 Conférence “Amexica – la violence du mur”, Centre Georges Pompidou, 21/09/2015. [ Ci-dessous, trois photographies représentant le mur séparant les israéliens et les palestiniens. L’État de Palestine définit par ces frontières de béton est officielement reconnu par 135 pays. ]
en ce nouveau secteur. La séparation des populations et la mise en place de barrières de la peur ultra sophistiquées serait donc, à long terme, source de profit pour ces bâtisseurs... D’après Julien Saada, chercheur à la Chaire Raoul Dandurand de l’Université du Québec à Montréal : « le Homeland Security estime à 178 milliards de dollars d’ici à 2015 la valeur du marché mondial de la sécurisation des frontières. Mais s’il se produisait demain un attentat à l’image du 11 septembre, on pourrait parler de 700 milliards1. » Que penser alors du comportement de notre économie mondiale actuelle, lorsque des groupes terroristes tel que Daesh frappent avec une violence aveuglée de nombreuses cibles en Occident ? La peur et la menace sont des instruments que manipulent avec art la politique de sécur isation et de fermeture. La menace terroriste, qu’elle soit incontestable ou obsessionnelle, encourage l’érection des nombreux murs. On ne pourrait ici omettre de citer le mur israélo-palestinien. Du côté des partisans du mur celui-ci emprunte les noms de « clôture
1 HACHEY Isabelle. Le business des murs. La presse.ca [en ligne], 26/09/2009, La victoire des murs [consulté le 08/10/2015] Disponible à l’adresse : http://www.lapresse. ca/international/dossiers/la-victoire-des-murs/200909/24/01-905207-le-businessdes-murs.php
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de sécurité » ou de « muraille de protection », faisant référence à la
raison principale pour laquelle il fût érigé en 2002 : protéger le peuple israélien des attaques Kamikazes palestiniennes. De l’autre, il est désigné comme « mur de l’Apartheid » ou « mur de la honte »… Encore une fois, et c’est là toute la complexité des murs politiques, tout est question de point de vue et du côté où l’on se trouve. G4S, leader dans le domaine de la sécurité, dont l’une des branches traite de la gestion de l’immigration, « emploie aujourd’hui près de 650 000 salariés, ce qui en fait le deuxième plus grand employeur privé du monde1. » L’immigration s’avère être l’un marché rentable du “crime légalisé”. La mise en place de prisons privées aux frontières, incarcérant puis expulsant de nombreux immigrés clandestins, sont également sources d’argent inestimées. À plus petite échelle, les passeurs, surnommés - entre autres - coyotes au Mexique, profitent du désespoir des pauvres gens, facturant leurs traversées à prix forts. Il n’est pas rare 70
que ces derniers les dépossèdent du peu qu’il leur reste, les abandonnant en terres hostiles ou à bord d’une embarcation de fortune. Les nouveaux murs, aussi bien aux frontières des pays (comme nous l’avons vu ci-dessus) qu’au sein même des villes (à Bagdad par exemple), portent en eux une dimension économique certaine, révélant les disparités d’un monde inégalitaire. La mondialisation entraîne avec elle une circulation toujours plus importante des biens, des capitaux, et des hommes. Elle a participé au rapprochement de ces derniers, mais a également, à double tranchant, multiplié les frontières. Plus d’États indépendants il y a, plus de frontières il y a. Les anciens murs marquaient des différences culturelles, ou de civilisations : on connaissait le visage de l’ennemi que l’on voulait voir mis à l’écart, à l’ombre du mur. Les nouveaux murs, eux, matérialisent des disparités sociales, plus que culturelles : celles de l’opposition Nord/Sud, pays riches/ pays pauvres. En écho à cette idée, Nathalie Niang précise que : 1 RODIER Claire, Xénophobie Business, à quoi servent les contrôles migratoires ?, Paris, Cahiers libres, 2012, La découverte.
[ Photographie tirée d’une collaboration de l’artiste Oscar Ruíz avec Publicis Mexique. Cette campagne publicitaire « Effacer la différence» met en évidence la distribution incroyablement injuste de la richesse au Mexique © Oscar Ruíz]
« Lorsque le niveau de développement entre deux pays mitoyens est très différent, la tentation du repli sur soi devient alors très forte. A l’échelle nationale, la politique de la protection entretient une peur collective et individuelle de l’Autre. 71
De nombreux murs actuels sont à l’image de ces barrières anti-immigration séparant des pays riches de pays pauvres. En 2009, la différence de PIB entre les États-Unis et le Mexique était de 1 à 6. Il est de 1 à 16 entre l’Espagne et le Maroc2 .» [ Rich and poor in the streets of London © Gianni Muratore ]
2 NIANG Nathalie, Les murs frontières dans le monde. [en ligne] Balise.bpi.fr. 16/08/2015. [consulté le 27/10/2015]. Disponible à l’adresse : http://balises.bpi.fr/ politique/les-murs-frontieres-dans-le-monde
Les enclaves espagnoles de Ceuta et Melila, situées au Maroc, sont à elles deux la porte d’entrée sur l’Europe pour l’intégralité du continent africain. Désormais, d’épais grillages les séparent. L’Europe, qui prône l’ouverture des frontières verrait-elle aujourd’hui ses propres limites ? En abolissant ses frontières internes, elle semble contrainte à renforcer son pourtour par des murs de béton et de barbelés. Le 21 septembre dernier, nous voyions s’ériger en Hongrie un autre mur anti-immigration. Quel avenir entrevoir pour l’Europe, lorsque l’on constate de plus près le phénomène des nouveaux murs ? 72
Et comment appréhender notre futur lorsque, dans un monde régit par des disparités sociales aigües, nous voyons apparaître un peu partout des murs entre pays pauvres et pays encore plus démunis. C’est le cas de celui qui sépare l’Inde et le Bangladesh. Les exemples pullulent… Ces nouveaux murs questionnent sur notre manière de gérer actuellement notre grande demande de libertés et d’égalités économiques, sociales et de mobilités. Dans un monde où la population ne fait qu’accroître, et qui atteint aujourd’hui les 7,3 milliards d’individus, les murs semblent la réponse la plus simple que l’on ait trouvée pour tenter de résoudre ce problème qui, somme toute, semble insoluble tant il est profond. Alors que faire ? Doit-on opter pour l’ouverture, ou la fermeture des frontières ? Combien de murs va-t-il encore falloir construire ? Et quand la pression démographique sera encore plus forte, continuerons-nous inlassablement à construire des murs ?
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[ Photographie parue dans le Monde 漏 Ricardo T. Lucas ] [ La cl么ture de Melilla, Espagne ]
c Un monde qui vacille entre ouverture et fermeture : le paradoxe moderne du mur Les murs actuels mettent en exergue un paradoxe propre à notre époque : le monde semble vaciller entre ouverture et fermeture... Dans 74
ce contexte de globalisation, où les ingérences se font de plus en plus nombreuses, quelle attitude serait la plus favorable au bon développement de l’humanité ? Devons-nous opter pour une politique d’ouverture ou de fermeture ? Quelles influences ces deux postures ont-elles, ou auraientelles à apporter à l’intérêt commun des pays qui composent notre planète? Entente, unité et solidarité sont-ils des termes fatalement utopistes lorsqu’on les associe au nom de la Terre, de la Planète toute entière? Vers un État de droit planétaire ?
L’économiste et écrivain français Jacques Attali nous offre des éléments de réponses quant à ces interrogations. Lors de la conférence Positive Economy Forum énonce, ce dernier conforte l’idée selon laquelle
nous nous retrouvons confrontés face à un dilemme d’envergure. Il explique : « Soit on ferme les frontières, soit on fait une étape de plus dans la prise de conscience, dans la pleine conscience de l’unité de l’humanité, et on progresse vers un État de droit planétaire1. » Pour l’instauration de ce dernier, Jacques Atteli stipule que, dans un premier 1 ATTALI Jacques, Discours lors de la conférence Positive Economy Forum. Le Havre. 2015. Visible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=_snmuoxrBoE
temps, nous ne devons « pas reculer », c’est-à-dire réinstaurer « des frontières là où l’on a réussi à les faire disparaître. » On retrouve ici le problème que posent l’Europe et la mise en place de l’espace Schengen. L’écrivain indique ensuite, en ce sens, que nous devons avancer : « avancer dans la construction européenne puisque si l’Europe ne réussit pas à mettre un État de droit face au marché au sein de l’Europe ellemême, comment peut-on espérer le faire à l’échelle mondiale ? » Ce dernier insiste en précisant : « L’Etat de droit mondial se joue vraiment maintenant. [Nous sommes actuellement à] une période tout à fait charnière, qui ressemble à, au moins trois périodes récentes : une vers 1780, une vers 1910, une vers 1930. Chaque fois, l’humanité a hésité entre l’ouverture et la fermeture. Elle a trois fois de suite choisi la fermeture… Et trois fois de suite cela s’est traduit par des barbaries. C’est cela qui est en nous, et c’est cela que nous avons encore les moyens d’éviter2. »
Naturellement, l’immensité de l’enjeu d’un Etat de droit planétaire semble compliqué en vue des paramètres multiples qu’il transverse… Mais le passé nous l’a prouvé à trois reprises : la fermeture ne semble pas être la solution. 2 Ibid.
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Dans ce sens, la mondialisation a su gommer bon nombre de frontières, facilitant le déplacement des biens et des flux commerciaux et boursiers qui alimentent le marché global. Cependant, de profonds problèmes quant à la mobilité, et tout particulièrement celle des hommes font surface. 2015 nous révèle, plus que jamais, les images d’un monde dépassé par le souci de l’immigration. Des images frappantes sont dans toutes nos têtes : celle de ce petit garçon syrien échoué sur la plage en Turquie ; de ce mur construit à la hâte en Hongrie, cet été, fermant ses portes aux flots ininterrompus de migrants Afghans et Serbes ; ou encore ces camps de réfugiés à Calais, qui ne cessent de se remplir, accueillants les immigrés tant bien que mal dans des conditions sanitaires déplorables... Il semblerait que l’homme ne soit pas à l’honneur. La marchandise divinisée, l’économie, le profit passent avant toute chose…
76 [ Le corps de ce petit Syrien de 5 ans s’est échoué sur une plage de Bodrum, en Turquie. © Handout / Reuters ]
[ Dernier mur en date, le mur construit à la hâte en Hongrie, destiné à arrêter le flux massif de migrants © EFE ]
[ Un policier français surveille l’accès à la voie rapide qui passe au-dessus de la Jungle © Prederick Paxton / VICE News) ]
[ Après l’évacuation de la jungle Tioxide à Calais, d’où les migrants ont été obligé de partir, l’un d’eux vient récupérer les matériaux de la mosquée © Aimée Thirion ]
77 [ La Hongrie a décidé de barrer ses frontières avec la Serbie, empêchant les réfugiés principalement syriens de pénétrer sur son territoire. © AFP ]
Le marché globalisé : des ouvertures… qui créent de nouvelles barrières
La politique d’ouverture et de globalisation du marché semblerait elle-même à la source de nombreux murs actuels ; attisant les conflits, creusant les inégalités. C’est ce que dénoncent Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant dans leur essai Quand les murs tombent – l’identité nationale hors la loi ? Selon les auteurs et philosophes français :
« Ce qui menace les identités nationales, ce n’est pas les immigrations, c’est par exemple l’hégémonie étasunienne sans partage, c’est la standardisation insidieuse prise dans la consommation, c’est la marchandise divinisée, précipitée sur toutes les innocences, c’est l’idée d’une « essence occidentale » exempte des autres, ou d’une civilisation exempte de tout apport des autres, et qui serait par là-même devenue non humaine. C’est l’idée de la pureté, de l’élection divine, de la prééminence, du droit d’ingérence, en bref, c’est le mur identitaire au cœur de l’unité-diversité humaine1. » 78
« La standardisation insidieuse » qu’ils évoquent a su mettre au jour une productivité normée, basée sur des modèles uniques, nous permettant d’atteindre des rendements jusqu’ici inégalés. Productions à la chaîne, offres et services toujours plus abondants et spécialisés, culte de l’achat et du renouveau incessant… La standardisation ne s’applique plus seulement aux objets, désormais les hommes sont également happés dans les engrenages de cette grande machine faisant tourner la société de surconsommation... qui jamais ne s’arrête. Dans un monde où « l’œil humain n’[a] jamais été autant sollicité de toute son histoire, [où l’]on [a] calculé qu’entre sa naissance et l’âge de dix-huit ans, toute personne avait été exposée en moyenne à 350 000 publicités2 », où en 2013 déjà plus de 10 millions de marques avaient été enregistrées par l’OMPI3 dans la base de données mondiale4, 1 CHAMOISEAU Patrick, GLISSANT Edouard, Quand les murs tombent, l’identité nationale hors la loi ?, Paris, Galaade éditions, 2007, page 12-13. 2 KOUNEN Jan, 99 Francs, 2007, 99 min. 3 Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. 4 NET-IRIS, 10 millions : c’est le nombre de marques enregistrées par l’OMPI. 20/02/2013. [Consulté le 25/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.net-iris.fr/veille-juridique/actualite/31278/10-millions-est-le-nombre-de-marques-enregistrees-par-ompi. php
l’homme se voit confronté à une montagne de biens superflus et matériels. Acheter, consommer, jeter ; acheter… : le schéma se répète inlassablement, et nous l’alimentons sans cesse. « L’hégémonie étasunienne sans partage », comme l’énonce Patrick Chamoiseau, a su imposer son
système économique au monde entier : nous l’avons en partie constaté en étudiant le mur de Bush, séparant les États-Unis et le Mexique… L’appétit vorace de la superpuissance mondiale n’épargne personne. À travers son livre La Stratégie du choc, qui, en 2009 remportait le prix Warnick, Naomi Klein analyse la mise en place du capitalisme - qu’elle qualifie comme le « capitalisme du désastre » - dans notre histoire contemporaine. La quatrième de couverture de cet ouvrage résume : « Naomi Klein dénonce, dans La stratégie du choc, l’existence d’opérations concertées dans le but d’assurer la prise de contrôle de la planète par les tenants d’un ultralibéralisme tout-puissant. Ce dernier met sciemment à contribution crises et désastres pour substituer aux valeurs démocratiques, auxquelles les sociétés aspirent, la seule loi du marché et la barbarie de la spéculation5. »
La question de mur se manifeste indéniablement dans un système économique se caractérisant par l’existence même de la propriété privée6. En ce sens, notre détour historique préalable nous l’a prouvé : dès lors que la notion de propriété privée se met en place, murs il y a. Les nouveaux murs sont - pour la plupart – le reflet des disparités sociales de plus en plus marquées, que l’on peut voir apparaître dans ses deux extrêmes sur la planète. Et aux portes de ces murs, c’est l’opulence qui refuse l’accès au dénuement le plus total. Les murs des gated communities7 - que nous voyons fleurir un peu partout aux États-Unis,
et aujourd’hui en France - nous montrent bien le paradoxe moderne du 5 KLEIN Naomi, La stratégie du choc, capitalisme du désastre, Paris, Actes Sud, 2010, Babel. 6 Définition, Capitalisme, Larousse : Statut juridique d’une société humaine caractérisée par la propriété privée des moyens de production et leur mise en œuvre par des travailleurs qui n’en sont pas propriétaires. 7 Définition. Gated communities : Quartiers résidentiels fermés, dont l’accès est contrôlé, et dans lesquels l’espace public est privatisé.
mur : on s’enferme soi-même pour protéger ses biens. Ces quartiers sécurisés créent des îlots sélectifs, dans lesquels on essaie de « s’isoler collectivement, de mettre à distance un monde sinon dangereux, du moins incommodant et importun pour vivre entre soi, entre gens bien élevés1. » On s’évertue à faire disparaître de notre champ de vision la misère avoisinante ; pensant que ces œillères puissent mettre hors de notre portée cette indigence que l’on redoute et méprise tant, et face à laquelle on est prêt à payer de notre liberté. Ces murs-là ne sont pas instaurés par un gouvernement, mais bien par les citoyens d’un pays qui se sentent menacés par leur environnement extérieur.
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[ Gated communities au Mexique, « Effacer la différence» © Oscar Ruíz] 1 QUETEL Claude, op. cit., page 278.
Le mur théâtralisé
Dans un climat où terrorisme et les flux migratoires massifs alimentent le sentiment d’une menace globale, la peur de l’autre, traduite par un repli sur soi, paraît être la solution évidente, que de nombreux gouvernements choisissent d’appliquer. Le mur est là, imposant et bien réel. Il se dresse sur plusieurs mètres de haut, et parfois des milliers de kilomètres : il fait figure et renvoie une image forte aux populations. Aux États-Unis, bon nombre de politiciens l’utilisent comme décor de fond sur leurs spots et affiches lors des campagnes électorales. Une chose est sûre : le mur rassure. Véritable outil politique, lorsqu’il est accompagné de discours sécuritaires, le mur aide à cacher un certain nombre de déficiences profondes de nos gouvernements. Ceci ne peut ici qu’éveiller nos questionnements quant au bien-fondé de cette réponse, cette solution que le mur propose. Ainsi théâtralisé, il participe à la mascarade de la situation de crise actuelle. Jean-Christophe Victor, directeur scientifique du Lépac, dans son article Séparer, enclaver quand tout bouge paru dans Libération, affirme cette
hypothèse : « Les murs actuels avant de prendre leur forme matérielle en béton ou en barbelés, les murs s’érigent avant tout dans les têtes, notamment comme le produit d’analyse ou de fantasme selon lesquels la sécurité et la protection ne peuvent être assurées que par un cloisonnement strict2. » Ces nouveaux murs sont, pour la plupart, érigés par des États démocratiques. On est alors en droit de se demander comment ces pays « du peuple, par le peuple, pour le peuple » légitiment la construction de structures encourageant l’exclusion et l’ostracisme ?
2 VICTOR Jean-Christophe. Séparer, enclaver quand tout bouge. [en ligne] Liberation.fr. 25/11/11. [Consulté le 20/10/2015]. Disponible à l’adresse : http://www. liberation.fr/forum-lyon-2011-nouvelles-frontieres/2011/11/25/separer-enclaver-quand-tout-bouge_777129
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En ce deuxième millénaire, les murs semblent proliférer : chaque fois qu’un conflit se montre sans issus, on le fige par la politique du béton. Séparateurs physiques, ils permettent de calmer les tensions en 82
surface... mais ne résolvent en rien le problème de fond. L’exemple du mur séparant Israéliens et Palestiniens, à travers sa complexité et les controverses qu’il anime, nous le prouve : pour le moment, la situation reste bouchée…. Et la cohabitation inenvisageable. Les murs actuels sont le miroitement de peurs ultramodernes, exacerbées par des disparités de plus en plus prononcées entre les populations. Comme le résume avec justesse Charles Bowden : « Le mur n’est que le déni le plus récent de ce qui se passe et de pourquoi cela se passe. Le mur coupe des villages en deux, le mur soustrait illégalement des terres, le mur coûte des milliards de dollars, et le mur n’arrête personne1. » À travers cette première partie, nous avons pu observer l’utilisation récurrente du mur à des fins politiques. Que ce soit aux travers des limes romains ou le mur entre les États-Unis et le Mexique, en passant par le Mur de Berlin, nous avons pu constater qu’il existe toujours une faille. Et bien qu’il se veuille infranchissable, se parant de technologies toujours plus pointues, les hommes trouveront sans 1 BOWDEN Charles, La toute nouvelle statue de la Liberté, article fournit par SHERIF Maurice, rencontré lors de la conférence La violence du mur, au centre Georges Pompidou.
cesse une manière de le contourner. Souvent, le mur tient le rôle d’un simple ralentisseur, qui ne fera finalement qu’exacerber les problèmes qu’il était censé résoudre. Présenté comme une solution de taille et d’envergure, il se révèle en fin de compte inefficace. La face cachée des murs nous dévoile le décalage entre les représentations qu’il inspire dans l’imaginaire collectif et sa véritable portée. Nous avons pu observer les limites tangibles et sensibles de notre monde sous bien des formes. L’obsession des frontières et des murs n’est pas nouvelle : aucune époque, aucun continent, aucune civilisation n’eût été épargnée par la réalité des murs. Mais tous ces murs ont une origine commune : la peur. C’est dans un climat de peur - et de haine que les murs fleurissent : peur de l’invasion barbare, de la peste, des croyances et pensées divergentes, de l’immigré, du terroriste… Il alimente la culture de la peur aigüe de l’Autre. Comme le note Georges Banu : « Le mur rassure lorsque la peur s’empare d’une communauté ou d’un pouvoir2. » Les murs les plus difficiles à abattre sont ces murs de préjugés, qui s’érigent dans les têtes et étriquent les esprits. Rejeter l’étranger, par crainte de ce qui nous est extérieur, revient à s’emmurer soi-même.
2 BANU Georges, op. cit., page 11
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Cette phrase est tirée du documentaire de DENIS Thierry et RATOVONDRAHONA Guy, Les murs de la honte. 21/11/2011. 52 min.
LA MORALITÉ EST D´ÊTRE TOUCHÉ PAR DES INTÉRÊTS QUI DÉPASSENT SON ETHNIE, SA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE, OU SA NATION. QUAND NOTRE VUE SUR LE MONDE ET NOTRE RELATION AUX AUTRES SONT FAÇONNÉES D´ÉGOÏSME, QUE CE SOIT AU NOM DE LA RELIGION, DE LA SURVIE, DE LA SÉCURITÉ, OU DE LA RACE, ALORS CE N´EST QU´UNE QUESTION DE TEMPS POUR QUE NOUS DEVENIONS NOUS AUSSI VICTIME DE CETTE SITUATION. QUAND LA SÉGRÉGATION DEVIENT DOGME, IDÉOLOGIE. QUAND LA SÉGRÉGATION EST DICTÉE PAR LA LOI ET SES INSTITUTIONS, C´EST L´APARTHEID. QUAND CERTAINS SONT PRIVILÉGIÉS SIMPLEMENT PARCE QU´ILS SONT D´UNE CERTAINE ETHNIE, ET QU´ILS UTILISENT CES PRIVILÈGES POUR DÉPOSSÉDER D´AUTRES ET FAIRE DE LA DISCRIMINATION, ALORS C´EST L´APARTHEID. INDÉPENDAMMENT DU TRAUMATISME QUI EN EST À L ORIGINE, ET INDÉPENDAMMENT DES RAISONS RELIGIEUSES QUI EN SONT LE FONDEMENT, C´EST L´APARTHEID. ÊTRE VÉRITABLEMENT HUMAIN, C´EST AUTRE CHOSE. C´EST LA CAPACITÉ DE DÉPASSER DES INTÉRÊTS PARTICULIERS, ET COMPRENDRE COMMENT UNE PROFONDE HUMANITÉ EST LIÉE ET GRANDIT AVEC LE BONHEUR DES AUTRES.
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2
le mur et l´identité humaine
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A.
ÊTRE SOI ET ÊTRE AU MONDE .
B.
LA DIMENSION CULTURELLE ET LE PRESTIGE DU MUR
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PARTIE 2.
Le mur, on l’a vu, détient cette faculté de distinguer : distinguer un « nous » des « autre », un « dedans » d’un « dehors ». En traçant un périmètre, se définit intrinsèquement une identité, une entité. Dans cette première partie, nous avons pu constater l’importance de ce « principe séparatif1 » qu’engendre le mur dans la formation de nos sociétés et de nos communautés. A l’échelle d’un État, c’est la frontière, à bien des reprises renforcée d’un mur, qui délimite le pourtour, ainsi que le contenu d’une nation. Intéressons-nous désormais aux facettes immanente2 et anagogique3 que le mur, incarnation de la séparation, porte en lui. Dans la revue Hermès n°63 intitulée Murs et frontières, on peut lire : « il n’y a pas de vie individuelle et collective sans identité, et donc sans fermeture4. » La fermeture et la séparation sembleraient indispensables à la formation d’un être vivant, quel que soit sa nature.
1 PAQUOT Thierry, LUSSAULT Michel, Murs et frontières, Paris, Hermès La revue, 2012, CNRS éditions. Introduction, page 13. 2 Définition, Immanent, Larousse : Qui est contenu dans un être, qui résulte de la nature même de cet être et non pas d’une action externe 3 Définition, Anagogique, Larousse : Se dit d’un concept qui permet de se représenter de façon plus abstraite, plus figurée, un objet de pensée. 4 WOLTON Dominique, Murs et frontières, Paris, Hermès La revue, 2012, CNRS éditions. Murs, frontières et communication : l’éternelle question des relations entre soi et les autres, page 207.
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A Être soi et être au monde Enceinte naturelle au cœur de la vie
Le mur, comme on l’a vu, porte en lui cette charge symbolique de la séparation. Comme observé dans la première partie, la séparation, lorsqu’elle découle d’une intervention de l’Homme, est souvent imprégnée d’un ton dépréciatif. Abordons-la sous un autre jour… Lorsqu’on y regarde d’un peu plus près, le principe séparatif 90
est au cœur même de la vie. Expliquons-nous. Par définition, la séparation peut-être la manifestation d’une mise à l’écart dans des lieux différents de choses ou de personnes qui à l’origine étaient unies. C’est le fait de distinguer les choses ou les êtres selon leurs critères de différences, en d’autres termes, de construire une limite mentale entre deux notions. La séparation porte alors en elle un caractère discriminatoire1. De cette séparation imposée ou subie par l’homme, nous distinguerons la séparation dite naturelle. Cette dernière s’établit dans l’ordre des choses et se montre nécessaire au développement de l’individu. Dans notre première partie, le mur comme outil géopolitique et militaire émane de ce premier principe séparatif, découlant d’une action humaine. Ici, c’est la séparation naturelle, autrement appelée « séparation primordiale » en biologie, qui fera l’objet de notre intérêt… Enceinte pure, genèse de la vie. A l’échelle microscopique, la cellule, structure complexe constitutive de tous les êtres vivants2 se définit par sa membrane. Cette dernière joue un rôle de frontière : mince paroi, enveloppe souple et sélectivement 1 Définition, Séparation, Larousse. 2 Définition, Cellule, Larousse.
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perméable, elle entoure la cellule1. Empruntant généralement une forme sphérique, elle distingue le dedans du dehors, le contenu de l’environnement extérieur. On retrouve cette structure dans de nombreuses manifestations du développement de la vie (œuf, bourgeon, embryon) et de la création d’une identité à l’échelle microscopique. La peau, notre mur intrinsèque
À l’échelle macroscopique, le corps - en particulier la peau semble la frontière perceptible qui définisse l’homme en tant que tel : la peau est à l’homme ce que la membrane est à une cellule, ce que la frontière est à un pays. Le pourtour porte en lui cette vocation à rendre visible, palpable. Il définit du reste, distingue de la masse, un ensemble circonscrit. Cette enveloppe qui nous donne corps joue un rôle d’interface. Notre peau, c’est notre mur intrinsèque : elle cache l’intérieur pour montrer aux yeux de tous l’extérieur, elle enferme mais protège, elle définit la limite entre notre monde 92
intérieur et le monde extérieur. C’est à travers elle que nous entrons en contact, communiquons, échangeons et tissons nos relations avec l’environnement périphérique. En ce sens, le poète et philosophe français Paul Valéry affirme : « Ce qu’il y a de plus profond à l’homme, c’est la peau ». Par-là, il introduit l’idée selon laquelle notre surface cutanée matérialise notre identité, par déduction, elle discerne le« je » du restant. A travers son topique Le moi et le ça, Freud insista également sur le lien absolu que le corps et la peau entretiennent en tant que frontière entre le soi et l’extérieur. Elle définit la limite tangible de l’individualité : « Le propre corps de l’individu et, avant tout, sa surface constituent une source d’où peuvent émaner à la fois des perceptions externes et des perceptions internes2.» Subséquemment, à la formation de la conscience du soi sont essentielles les concepts de frontière et de limite. « Le moi-peau assure une fonction d’individuation du soi, qui apporte à celui-ci le sentiment d’être unique3 » : la nécessité de séparation et de protection face à l’extérieur sont indispensables à la création de l’identité de l’être humain. 1 Définition, Membrane, Larousse. 2 FREUD Sigmund, Le moi et le ça, Paris, Payot et Rivages, 2010, Petit Biblio Payot Classiques, page 194. 3 ANZIEU Didier, Le Moi-peau, Dunod, Paris, 1995, Psychismes.
ce qu´il y a de plus profond à l´homme, c´est La peau. Paul Valéry
93
Pour un être vivant, la limite qui sépare le soi de l’environnement doit être perméable dans les deux sens afin de laisser passer l’information (perception, communication) et l’énergie (nourriture, lumière, déchets)1. Le monde, les autres, la lumière, le son : tout ceci nous traverse. Plutôt qu’une surface hermétique renfermée sur ellemême, elle se présente tel un filtre, une zone d’échange, où dedans et dehors communiquent en symbiose. La séparation, d’un point de vue biologique va de pair avec la fusion, permettant la perpétuité du cycle de la vie : ne sommes-nous pas le fruit d’une fusion passionnelle, mais aussi le résultat de la division de ces deux cellules ? « L’homme-frontière qui n’a pas de frontière »
On l’a vu, la première frontière physique que l’homme connaît est sa peau. Surface sensible, c’est également à travers les cinq sens que l’être humain perçoit les échanges qui s’effectuent entre le soi 94
et son environnement extérieur : « La conscience de soi se précise parallèlement au développement du moi qui s’opère à travers une interaction étroite entre les sensations et les perceptions internes et externes2. » Le philosophe et sociologue Georg Simmel, axa son Étude sur les formes de la socialisation sur la notion de frontière appliquée
aux rapports sociaux. Pour lui, l’homme est un homme-frontière, qui transporte ses frontières avec son corps. En percevant sensoriellement le monde qui l’entoure, il parvient à tisser des relations, ses sens lui rendant compte des distances physiques et physiologiques. Il introduit également la notion de la frontière du visage : ne dit-on pas d’ailleurs, lorsqu’on se retrouve confronté à une personne impassible, avec qui la relation et le dialogue se font impossibles, que l’on fait face à un mur ? Ou encore, ne vous êtes-vous jamais retrouvé face à
la situation suivante : dans le métro bondé de citadins à l’heure de pointe, vous vous retrouvez à quelques centimètres d’un quelconque inconnu. Dès lors, lui comme vous ne pouvez-vous empêcher de 1 LEGENDRE Stéphane, La séparation en biologie [en ligne] Biologie.ens.fr [Consulté le 21/10/2015] Disponible à l’adresse : http://www.biologie.ens.fr/~legendre/biblio/ Legendre_LaSeparationEnBiologie.pdf 2 MARC Edmond, Psychologie de l’identité – Soi et le groupe, Paris, Dunod, 2005, Psycho sup, page 41.
être HUMAIN
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L’homme-frontière qui n'a pas de frontière. Se limiter pour s'illimiter.
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dévisager l’autre, ou du moins de l’observer. Les regards se font souvent fuyants, par peur de pénétrer les frontières intimes de l’autre. Le port du voile est une autre illustration de frontière qui colle à la peau. Les codes culturels ou religieux peuvent influencer nos rapports à l’autre, prédisposant nos relations à l’intimité et à la pudeur corporelle : certaines se sentiront protégées du regard d’autrui et en accord avec leur propre corps en le dissimulant sous un voile, ne laissant apparente que la fenêtre de leurs yeux, tandis que d’autre l’exhiberont, le perceront, le tatoueront pour le sublimer, l’accepter, l’apprécier. Pour Simmel, « l’homme est tout autant l’être-frontière qui n’a pas de frontière1.» Qu’entend-il par-là ? « L’être-frontière » dont il parle, rejoint ce que nous évoquions précédemment : l’homme porte en lui ses frontières, à travers sa peau, les murs mentaux qu’il érige dans sa tête, les préjugés, les habitus2, les valeurs de son groupe, de sa classe d’âge, de son genre, de sa langue… « Qui n’a pas de frontière » puisque l’environnement dans lequel il évolue et sa propre personne sont mouvants. Les liens qu’il établit se renforcent et se rompent perpétuellement. La situation de l’homme ne reste jamais figée. Ce dernier est un être évolutif qui se renouvelle continuellement ; chaque jour, le soi mute à travers ces interactions permanentes. L’Homme est un être changeant qui porte en lui cette notion paradoxale de frontière : « se délimiter pour s’illimiter3. » Sans cesse, il surpasse les frontières qu’il établit : pour avancer, grandir, donner un but à son existence, il ressent cette inéluctable nécessité des limites et des obstacles. À ce titre, Antoine de Saint-Exupéry disait : « L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. » L’espèce humaine a 1 SIMMEL Georg, La tragédie de la culture, Paris, Rivages, 1999, Petite bibliothèque. 2 Définition, Habitus, Larousse : comportement acquis, caractéristique d’un groupe social, quelle que soit son étendue, et transmissible au point de sembler inné. 3 PAQUOT Thierry, Murs et frontières, Paris, Hermès La revue, 2012, CNRS éditions. Introduction, page 25.
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évolué en transcendant le cadre définit : l’étude empirique le montre, notre conception du monde actuel résulte du surpassement continu de nos limites (spatiales et territoriales, scientifiques, relationnelles). La fin du XVe et le début du XVIe siècle furent marqués par la découverte de l’Amérique, de l’Inde et du Canada par les nouveaux explorateurs. Ceux-ci font prendre conscience à l’Europe qu’elle n’est pas la seule en ce monde. S’en suivent deux découvertes scientifiques majeures : Nicolas Copernic prouva la sphéricité de la Terre et sa rotation sur elle-même, puis Galilée démontra que la planète tourne autour d’un point fixe, le soleil. Ce véritable bouleversement des limites établies offrit aux hommes une toute autre vision de leur monde, les questionnant sur leur place dans l’univers. À ce moment donné, on prit conscience que d’autres hommes vivaient sur la Terre, adoptant des modes de vies différents. Nous n’étions plus les seuls 98
[ Nouveau Monde (Bourguignon d’Anville, 1761) © David Rumsey Map Collection ]
L´homme se découvre quand il se mesure à l´obstacle. Antoine de Saint-Exupéry
L’Altérité
L’altérité se définit par la qualité de ce qui est autre, distinct1. La séparation naturelle possède cette faculté d’adaptation entre le soi et ce qui lui est étranger. La porosité permet à la surface de séparation, à l’image des pores de notre peau, ou des ports de nos villes, de se prêter aux influences extérieures : vacillement perpétuel entre intégration et rejet, entre entrée et sortie, entre intérieur et extérieur, entre le soi et le reste. L’altérité semblerait donc indispensable à la survie d’une identité. La construction du soi passe par son rapport à l’autre, par l’existence du différent : « L’altérité conditionne toute relation, elle est consubstantielle au « faire » société ; sans « autre », le soi ne peut se manifester pleinement, il lui faut de l’autre pour exister et habiter le monde, c’est à dire « être-présent-au-monde-età-autrui2 ». La différence attire, fascine : pourquoi n’est-il pas moi ? Qu’ai-je à apprendre de lui ? Mais peut également être interprétée comme une menace, puisqu’extérieure et méconnue. Qu’est-ce qui le rend différent de moi ? L’être humain détient cette fâcheuse tendance à se comparer et à porter un jugement face à ce qui lui est étranger, se posant alors de mauvaises questions : la différence que l’Autre cultive est-t-elle un plus ou un moins ? Lui confère-t-elle supériorité ou infériorité ? L’existence d’un autre que moi remet en question ce que je suis, mes valeurs, mes coutumes, mes règles, et n’est pas toujours chose facile à accepter, puisque cela même prouve qu’il existe d’autre manière de faire et d’être. Mécanisme de défense propre à l’homme, entrevoir avec méfiance et démentir ce qui nous est étranger, est une façon de se préserver, de se protéger et de se rassurer dans ses mœurs. L’idée préconçue que l’on peut se faire de l’autre se transforme, à l’échelle généralisée, en préjugés et stéréotypes. C’est avec justesse que Patrick Charaudeau énonce, à ce titre, que la construction de l’identité passe par : « ce jeu subtil de régulation qui s’instaure dans toutes nos sociétés (seraient-elles les plus primitives) entre acceptation et/ou rejet de l’autre, valorisation et/ou 1 Définition. Altérité. Larousse. 2 PAQUOT Thierry, Murs et frontière, Paris, Hermès La revue, 2012, CNRS éditions. En lisant Georg Simmel, page 24.
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dévalorisation de l’autre, revendication de sa propre identité contre celle
de l’autre 1. » Ce dernier explique qu’il en va de même pour l’identité d’un groupe, qui alterne entre renfermement sur soi pour se préserver et se défendre de la menace de l’Autre, donnant naissance aux politiques discriminatoires (abordée dans notre première partie) et ouverture sur l’extérieur, offrant un enrichissement mutuel. L’altérité est indispensable à l’homme pour (co)exister. L’altérité altérée
On l’a vu, les rapports de l’homme face à l’altérité passent par son enveloppe corporelle et ses interprétations sensorielles. C’est principalement au travers de nos cinq sens que nous appréhendons nos perceptions de l’extérieur. Mais comment la relation à l’Autre et au monde s’établissent-elles lorsque ces interfaces de « décodage » ne fonctionnent pas normalement ? Quelles sont répercussions sur le 100
rapport à l’autre lorsque la représentation du monde d’un individu ne parvient pas à être ingérée et structurée ? Pour obtenir des éléments de réponses à cette question, nous nous intéresserons ici à l’autisme. L’Organisation Mondiale de la Santé définit ce dernier comme « un trouble envahissant du développement (TED), caractérisé par un développement anormal ou déficient, manifesté avant l’âge de trois ans avec une perturbation caractéristique du fonctionnement dans chacun des trois domaines suivants : interactions sociales réciproques, communication et comportements au caractère restreint et répétitif2. » Il existe une grande variabilité du trouble autistique. Ainsi, afin de traiter de manière la plus juste ce large sujet, nous baserons nos observations sur un témoignage : celui de Christine Chateauminois, mère d’un petit garçon autiste Asperger.
1 CHARAUDEAU Patrick, L’identité culturelle entre soi et l’autre [en ligne]. Patrick-charaudeau.com. Actes du colloque de Louvain-la-Neuve en 2005, 2009, [Consulté le 17/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.patrick-charaudeau.com/L-identiteculturelle-entre-soi-et.html 2 L’autisme et les TED [en ligne][Consulté le 21/11/2015] Disponible à l’adresse : http:// www.sesame-autisme.com/autisme.html
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[ Image tirée du court métrage « Surcharge sensorielle chez un autiste » de Miguel Jíron ]
L’autisme est un trouble génétique : lors du développement du bébé in-utéro, certaines parties du cerveau s’hyperdéveloppent, et d’autres sont atrophiées. Ce symptôme altère le système des perceptions, perturbant les fonctions neurologiques et sensorielles. Certains sens développent une sensorialité et une sensibilité exacerbées, lorsque d’autres sont au contraire inhibés. Le fils de Christine se montre extrêmement sensible à la lumière et au son. Le port d’un casque ou de lunettes lui sont souvent nécessaires, lui permettant de filtrer la surcharge sensorielle qu’il perçoit comme une agression : ces écrans le protègent. D’autre part, sa sensibilité au froid est elle quasi inexistante. À travers son court-métrage sensible et graphique, Surcharge sensorielle chez un autiste1, Miguel Jiron nous propose de ressentir, durant deux minutes, la réceptivité excessive à laquelle est exposé un petit garçon autiste dans une situation, à première vue banale, de la vie quotidienne. Christine nous explique que son enfant est atteint d’une forme 102
d’autisme nommé syndrome d’Asperger ; nous confiant que pour elle : « l’autisme ce n’est pas quelque chose qui leur manque, mais quelque chose qu’ils ont en plus ». Il est ici question de cette « surcharge sensorielle ». Selon ses dires, le cerveau d’un autiste Asperger traite à la seconde deux fois et demie plus d’informations qu’une personne normale. Les informations extérieures qu’ils perçoivent de leur environnement sont reçues de façon décuplée, et l’enfant ne parvient pas à les décoder et les assimiler. La maman nous explique par exemple que, petit, son fils ne supportait pas qu’on lui chante en chœur un joyeux anniversaire. Cela l’effrayait, il ne comprenait pas l’intention qui se cachait derrière cette agitation. Le canal de nos émotions passe par nos sens : lorsque son enfant écoute la Neuvième de Beethoven, la surcharge émotionnelle qui passe à travers est telle, que l’écouter lui est insupportable. Les interfaces corporelle, vocale, auditive, et visuelle, dont nous avons vu l’importance dans la construction de notre relation au monde et à l’Autre, ne fonctionnent donc pas de la même manière. Être 1 JIRON Miguel, 2012, Surcharge sensorielle chez un autiste, 2 min. Disponible à l’adresse : https://vimeo.com/52193530
face à un mur... C’est parfois l’impression que l’on peut avoir. Certains
autistes paraissent insensibles, aucune émotion ne passe sur leur visage. D’autres, ont la voix constamment monocorde, on ne parvient pas à lire toute la musique des sentiments. Non pas qu’ils soient dépossédés de toutes émotions – bien au contraire ! Ils sont en fait, nous explique Christine Chateauminois, dans l’incapacité d’exprimer et de décrypter ces dernières et c’est ce qu’elle surnomme « l’analphabétisme des émotions ». Il leur faut apprendre, à l’aide de pictogrammes, ce qu’un sourire, un froncement de sourcil, ou encore un éclat de rire peuvent traduire sur les sentiments de l’interlocuteur. L’interface sociale ainsi que l’intériorisation sont altérées. La communication et le langage, qui s’établissent chez nous de manière intuitive - dès lors que l’on est bébé, n’interagissent pas chez l’enfant autiste. Et c’est face à cette absence de réaction que le mur invisible apparaît : « l’enfant te reste étanche et étranger » nous explique Christine. Le flux d’informations perçues le submerge : le manque d’organisation logique, consciente, rationnelle et structurée donne place à un chaos intérieur. Elle souligne que c’est cette mécanique intellectuelle qui lui est propre et qui le plonge dans un « univers parallèle », qui les sépare. « Il est dispersé dans l’espace, déphasé dans le temps, dépassé par les échanges, et sa communication [se montre souvent] maladroite et hésitante2. » Subissant cette surcharge sensorielle permanente, l’enfant se retire dans son monde intérieur, devenant parfois totalement hermétique au monde extérieur : il n’existe alors plus pour personne. Cette bulle dans laquelle il s’enferme, que l’on peut percevoir comme un mur séparateur entre « lui » et « nous », est finalement pour lui un moyen de se protéger et de supporter le monde. L’instauration de repères fixes et immuables, dans lesquels les choses se déroulent de manière séquentielle et ordonnée sont indispensables pour le fils de Christine Chateauminois. Le changement provoque chez lui des états de stress et de grande panique. Son attention se fixe souvent sur de petits détails, lui permettant de se 2 Le syndrome d’Asperger, Autisme-France.fr [Consulté le 29/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.autisme-france.fr/577_p_25361/le-syndrome-d-asperger.html
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concentrer davantage. Les rituels et les mécanismes de répétition sont des facteurs de stabilité essentiels pour la construction d’un enfant autiste. La stéréotypie1 leur permet en ce sens de se rassurer aux travers de ces mouvements répétés. Le syndrome Asperger détient cette autre particularité : il apparaît une forme d’ultra compétence dans un domaine particulier chez le sujet. Génie en mathématiques, en langues, en musique ou encore en dessin, leurs perceptions sur le monde développent en eux des talents exceptionnels. C’est l’exemple de Stephan Wiltshire, surnommé « l’homme caméra », qui après avoir survolé cinq minutes une ville telle que New York ou Rome, parvient à redessiner une vue panoramique, recelant des plus infimes détails. Le nombre de bâtiments, de fenêtres, de ponts, et de portes : tout y est, la marge d’erreur n’étant que de 1% ! Cela nous ouvre une fenêtre sur les capacités du cerveau humain… 104
Qu’est-ce que le monde si je ne ressens pas le froid ? Si j’entends dix fois plus fort que la normale ? Si je ne parviens pas naturellement à comprendre l’autre ? Ce témoignage met en lumière la subjectivité de notre perception, qui configure finalement l’un des principaux murs invisibles contre lequel nous nous buttons, face à l’Autre. La compréhension et la représentation que nous nous faisons du monde structure notre intérieur par ces murs imperceptibles, et pourtant bien réels. Ce que je vois et ce que l’autre perçoit ne sera jamais interprété de manière identique. Les mécaniques et les canaux de perceptions sont propres à chacun, et nous n’avons finalement qu’un champ de vision restreint, un angle de vue partiel sur le monde qui nous entoure. Nous avons pu observer que chez l’individu atteint d’autisme, le système sensoriel est différent. Ainsi, la façon dont il perçoit le monde, l’Autre, la lumière, le son… l’est aussi. Est-ce à nous, ou à eux de passer de l’autre côté de la barrière ? Doit-on les faire venir dans notre monde, ou devons-nous entrer dans le leur ? On a de 1 Définition, Stéréotypie, Larousse : Répétition d’une attitude, d’un geste, d’un acte ou d’une parole, sans but intelligible.
cesse de leur faire intégrer nos codes, mais comme le précise Christine Chateauminois, son enfant n’a pas besoin des autres au sens où nous avons besoin d’eux, il est bien tout seul. Est-ce un emprisonnement ? Une liberté ? Toutes ces interrogations n’ont pas de réponses prédéfinies, mais nous invitent à la réflexion. Dans une société actuelle où l’individualisme prime, se penser unique semble être devenu un enjeu sociologique de taille. Quête identitaire, recherche de l’exception et de la différenciation, le rapport que nous entretenons avec ce qui nous est étranger est complexe. Mais lorsque l’égo est mis de côté, et que l’on prend conscience de ce dont la peur de l’Autre nous prive, une question essentielle ressort : lorsque je me tourne vers ce dernier, qu’ai-je alors à apprendre de moi, de lui, et de ce qui m’est inconnu ? Les murs de réclusion
Pour conclure cette partie Être soi et être au monde, nous aborderons ici les murs que l’on érige pour enfermer et couper un sujet du monde extérieur. Les murs des prisons et des monastères, que nous allons aborder ci-dessous, on ceci en commun : ils isolent des hommes du reste du monde. Reclus derrière ces enceintes,
religieux
ou
incarcérés
n’entretiennent
plus
de
contact avec le dehors. Qu’avons-nous à apprendre de ces murs liberticides ? Que génèrent-ils sur le comportement de l’homme ? Au Moyen-Âge, les murs d’enceintes du château-fort enfermaient en leur sein les joyaux de la couronne, amenuisant la liberté de celui qui s’y trouvait enfermé, mais finalement protégé. Les murs des prisons inversent le schéma escompté : la menace est ici contenue à l’intérieur des murs, préservant l’extérieur de ces hommes considérés comme dangereux pour la communauté. La sanction principalement appliquée par nos systèmes juridiques aux sujets
105
MUR
ayant enfreint la loi consiste à les isoler, leur ôtant leur liberté contre
leur gré. Entre ces murs, l’espace nettement délimité et centralisé permet de placer sous surveillance la menace contenue. À l’image de
ces îles où étaient envoyés les exilés, les murs de prisons représentent physiquement la frontière qui sépare et éloigne le condamné du
reste du monde et de la société. Murs sans vie, aveugles1 et gris, dressent leur imposante masse excluante et sans issue, symbole
de l’enfermement que l’architecture parvient à retranscrire avec force. Les murs de prisons suscitent une crainte dans l’imaginaire
collectif, ils intimident. Ils ne sont pas sans rappeler, du fait de leur
apparence et des hommes qu’on y contraint, ces murs totalitaires, des ghettos et des camps de concentration, étudiés dans notre
première partie. Plutôt qu’un sentiment de sécurité et de protection,
ils évoquant pour ceux vivant à l’extérieur l’effroi et la folie humaine. Les monastères inspirèrent les prisons. Mais la réclusion prend ici une autre dimension, puisqu’elle naît d’un choix, d’une dévotion 106
même, du sujet cloîtré. L’enfermement résulte ici d’un vœu spirituel, et permet le dépassement des frontières corporelles, pour une ascension
de l’âme vers Dieu. Paradoxalement, la claustration physique est ici
perçue comme libératrice pour l’âme. L’isolement dans ces cellules
dépouillées de tout artifice et la mise à l’écart de toutes tentations
extérieures permettent aux moines « l’intériorisation et l’élévation2 ».
Les murs que nous avons abordés de manière anagogique
dans cette partie sont inhérents à l’homme : il les transporte avec lui et évolue à leurs travers. À la fois, ces surfaces nous donnent corps et,
à différentes échelles, nous incorporent à notre monde. Qu’en est-il des murs architecturaux ? Quels liens entretiennent-ils avec l’homme
et sa formation identitaire ? Ces derniers se révèlent parfois comme le
prolongement du corps de l’homme, une seconde enveloppe façonnée de ses mains, pouvant nous apprendre bien des choses sur ce dernier. 1 Mur aveugle : se dit d’un mur extérieur qui n’a ni fenêtre, ni ouverture. 2 PÉRÉ-CHRISTIN Evelyne, op. cit., page 65.
107
B La dimension culturelle et le prestige du mur Base élémentaire de l’architecture, le mur traite de l’homme et de son rapport à l’espace, la façon dont il le structure et se l’approprie. Omniprésentes dans notre absolu quotidien, ces parois découpent, définissent, dessinent et tracent le cadre de nos vies. Le mur n’est pas silencieux et lisse comme on pourrait le croire de prime abord : il nous invite finalement à regarder, effleurer, se souvenir, interpréter, se projeter… 108
Le mur, miroir à l’image de l’homme
Partout où il y a l’homme, il y a des murs. Il construit et délimite son environnement par le biais de murs, parois, clôtures, enceintes, et toutes autres cloisons. Evelyne Péré-Christin, dans son livre Le mur : un itinéraire architectural, contemple le mur dans sa dimension d’artefact1,
de création résultant des mains de l’homme. Selon ses dires, ce dernier « exprime donc toutes les dimensions de l’homme : ses modes de vie, ses savoir-faire, ses croyances et ses aspirations2. » L’idée de cette partie n’est pas de répertorier les murs selon différentes cultures et régions du monde, mais de comprendre les dimensions culturelles, parfois prestigieuses et sacrées, que le mur porte en lui. Nous chercherons à montrer qu’il n’est finalement autre qu’une matérialisation identitaire des hommes, reflétant leurs représentations relationnelles, sociales, économiques, artistiques et symboliques3. 1 Définition, Artefact, Larousse : Structure ou phénomène d’origine artificielle ou accidentelle qui altère une expérience ou un examen portant sur un phénomène naturel. 2 PÉRÉ-CHRISTIN Évelyne, op. cit., page 111. 3 Ibid.
Le cloisonnement de l’espace et l’apparition de la propriété privée
Georges Simmel dit : « L’homme qui le premier a érigé une hutte a manifesté une aptitude propre à l’homme confronté à la nature : il a rompu la continuité de l’espace, en a coupé une parcelle et en a fait une unité spécifique dotée d’un sens. Un morceau de l’espace a ainsi été unifié et séparé du reste du monde4.2» Il en est toujours de même aujourd’hui : dans nos villes, comme dans nos maisons, ce sont les murs qui délimitent l’ensemble de nos espaces, attribuant à chaque zone des activités et des fonctions distinctes. À l’image du cloisonnement des pièces d’une maison, où la cuisine sera dédiée aux repas, et la chambre au repos, ils exposent à notre vue des repères physiques ordonnant et structurant notre environnement. A l’échelle urbaine par exemple, entre les murs d’un cimetière on ira se recueillir, tandis que l’on se promènera et on se divertira au sein des grilles d’un parc public. En marquant l’espace, le mur détermina inéluctablement les notions de propriété et d’appropriation. Être nomade à ses débuts, l’homme vivait principalement de la chasse, la pêche et la cueillette, trouvant provisoirement refuge dans les grottes qui s’offraient à lui tout au long de ses déplacements. Lorsqu’il se sédentarisa, son mode de vie changea, se caractérisant par son installation dans un lieu fixe et déterminé : les premiers habitats faisaient leur apparition, vers 8 000 av. J-C5.4L’origine étymologique du mot foyer prend ici racine : 4 SIMMEL Georges, La tragédie de la Culture, Paris, Rivages Poche, 1993, Petite Bibliothèque, Pont et porte, page 98. 5 PÉRÉ-CHRISTIN Évelyne, op. cit., page 52.
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P R I V A T E
c’était l’endroit de l’habitat où l’on alimentait le feu. Les débuts de
P R O P E R T Y
la sédentarisation s’accompagnent d’une volonté de « dompter » la nature sauvage environnante. L’homme domestiqua les plantes en créant l’agriculture et apprivoisa les animaux à travers l’élevage. Ainsi naît la propriété : en exploitant ses ressources, l’homme dût s’organiser afin de définir l’appartenance, la répartition, la gestion et la protection des biens qu’il produisait. Le mur remplira ainsi son rôle protecteur, préservant en son sein « ce qui est bon, précieux, vulnérable, [face à] ce qui est inconnu, mauvais, dangereux1. »
La clôture qui délimite le terrain d’une propriété, marque la séparation entre la sphère privée et la sphère publique, à laquelle s’ajoutent les notions de permis et d’interdit. Elle jouent un rôle dissuasif face à l’intrusion : aujourd’hui, grilles aux sommets affutés, panneaux « entrée interdite », « défense d’entrer » ou « attention, chien méchant », 110
sont autant mises en garde qui interdisent l’accès et marquent la propriété privée. Les clôtures
qui
privées les unes des autres -
ou les isolent du domaine public,
assurent le respect des droits
de chacun. Elles protègent des
espaces que les propriétaires
considèrent
une extension de leur propre
corps, leur seconde enveloppe
-
la
propriété
privée
se
séparent
définissant
les
propriétés
souvent
comme
d’ailleurs
comme
l’un des droits fondamentaux
de la liberté individuelle. Cette
démarcation
un
droit, et nous est indispensable,
comme le souligne Régis
Debray dans son essai Éloge
des frontières
est :
donc «
La
vie
collective,
comme
celle
de
tout un chacun, exige une
surface de séparation2.» Les
murs
maison
marquent cette rupture avec le
monde public et extérieur. Ils
définissent les parois de notre
de
notre
cocon, fondamental au développement de notre vie intime. Il n’y a qu’à penser aux sans-abris, dormant sur le trottoir en bas de nos rues parisiennes, pour se rappeler la valeur essentielle des quatre 1 Ibid., page 51. 2 DEBRAY Régis, Éloge des frontières, Gallimard, Paris, 2010, Folio, page 35.
murs entre lesquels nous vivons... En leur creux, nous cultivons notre jardin secret, nous alimentons notre vie de couple et de famille. Nous y créons notre propre petit monde. C’est là aussi que nous prenons le temps de nous arrêter et de réfléchir sur le monde qui nous entoure. Il n’est pas sans rappeler ce lieu clos et protecteur, incubateur de l’identité dont nous sommes tous issus : le ventre de notre mère. Surface aux mille facettes qui interpelle nos sens
Ces murs, comme nous venons de le voir, par leur verticalité, leur immobilité et leur stabilité sont rassurants, résistants et protecteurs. Loin de l’image des murs politiques, bien souvent autoritaires, observés dans notre première partie, ceux-ci nous préservent, et inspirent ainsi eux aussi à être préservés : bien qu’ils cloisonnent l’homme, ils se situent dans le périmètre de la satisfaction personnelle. Le mur est ici à l’image de celui qui le façonne ou l’habite. Figés, ils portent en eux la vie et libèrent une énergie, un mouvement : ils peuvent aussi bien dégager une ambiance, un message, un style architecture propre à une culture et une époque ; que nous renvoyer de la chaleur, de la lumière, ou notre ombre. Le mur peut se montrer sous de nombreux aspects, et c’est à travers sa matière, sa couleur, sa texture, qu’il procure en nous différentes sensations. De bois, de métal, de verre, ou de marbre, le mur, selon l’habit qu’il revêt, suscite et interpelle nos sens. L’œuvre de Joseph Beuys intitulée Plight3 met en évidence les sensations singulières provoquées chez le spectateur lorsqu’il se retrouve immergé dans cette pièce, dont les murs sont entièrement recouverts de feutre, véritable isolant acoustique et thermique. Le silence et la température se font pesants et déroutent nos sens. Rugueux ou régulier, opaque ou transparent, froid ou chaud. À travers la vue, le toucher, l’odorat - murs végétaux, essences du bois - ou encore l’ouïe, le mur provoque bien des ressentis en nous. 3 BEUYS Joseph, Plight, 1985 (actuellement visible au centre George Pompidou).
111
C’est en partie avec la matérialité du mur que l’architecte joue pour structure l’espace, sculptant différentes atmosphères au travers des matériaux qu’il choisit d’exploiter. Le corps architectural se montrera monumental ou aérien, énigmatique ou transparent ; les murs nous le dirons à travers leurs vides et leurs pleins, leurs continuités et leurs déliés. À travers eux, l’architecte modèle l’ambiance intérieure en révélant ou non la lumière extérieure et les couleurs.
Une conception du mur différente selon les cultures
Les murs des édifices reflètent le savoir-faire d’une époque et d’une civilisation. Ainsi, à travers eux, nous pouvons voyager dans le temps et les différentes cultures. Le matériau, la période historique, l’endroit, les ressources économiques et les savoirs techniques mis en œuvre : tous ces paramètres variables influenceront l’apparence finale du mur. Afin d’illustrer ce constat, 112
voici trois exemples de constructions saisissants par leurs contrastes, dont la nature des murs émane une atmosphère et un caractère tout à fait particuliers, rendant ces dernières uniques. Les immeubles haussmanniens, érigés sous le Second Empire, participèrent à la grande métamorphose de Paris, projet s’étant donné pour objectif de faire de la capitale un haut lieu de la bourgeoisie, à l’urbanisme moderne caractérisé par ses grands boulevards. Ces édifices de pierres blondes - provenant de carrières se situant à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de construction - propres à la ville de Paris, respectent un art de bâtir de la fin du XIXe siècle aux critères précis, offrant à la ville lumière une harmonie et une identité singulière, basée sur la régularité et la répétition toute en finesse. Lorsque l’on arpente les rues des ksour1 situés au sud du Maroc, l’émotion que les murs dégagent est toute autre. Les constructions de terre revêtent ici un aspect brut et uniforme, émergeant d’un sol adoptant la même teinte. Ce savoir-faire rudimentaire exploitant la 1 Définition. Ksour. Larousse : Villages fortifiés de l’Afrique du Nord présaharienne, le long des oueds, au débouché des torrents montagnards.
matière locale aux couleurs ocres - mêlée à la paille, elle porte alors le nom de pisé - permet ici d’isoler les demeures de la chaleur et du froid. Le haut des bâtisses jouent avec ce corps malléable qu’est la glaise pour créer des motifs accrochant les ombres et la lumière. Enfin, les villages grecs se composent de maisons au blanc éclatant, couleur réfléchissant la lumière du soleil, permettant ainsi de conserver la fraîcheur intérieure. En ce sens, les minces ouvertures empêchent elles aussi la chaleur d’entrer. La zone géographique étant peu touchée par les pluies, les toits plats (contrairement à chez nous où leurs pentes permettent d’évacuer les eaux aisément) font office de terrasses, surmontés parfois de dômes empruntant le même bleu que celui de la mer et du ciel, rappellent alors le drapeau national bicolore. Somme toute, les habitats du monde, d’une richesse merveilleuse, s’adaptent et se modèlent selon les conditions météorologiques, culturelles et environnementales dans lesquels ils s’implantent. Des cases africaines, aux igloos construits par le peuple Inuit, en passant par les tentes des Touaregs, les tipis amérindiens, ou encore les yourtes mongoles, les murs se composent avec les matériaux largement disponibles sur place, bien souvent offerts par la nature : feuilles tressées, paille, pierres, bois, terre, bouses, glace… Avec de faibles moyens, on recherche ici une certaine facilité et rapidité de construction ou de démontage. C’est l’exemple du peuple nomade mongole avec leurs yourtes, qui, vivant dans les conditions de vies difficiles de la steppe, doivent régulièrement se déplacer avec leurs troupeaux pour survivre sur ces terres hostiles. Le niveau de vie le permettant, les constructions occidentales que nous connaissons sont-elles, dans un souci de pérennité, élaborées avec des moyens bien plus importants et des matériaux souvent importés d’autres régions du monde. On préfèrera ici l’habitat individuel aux habitats collectifs – comme ceux que nous rencontrons en Amazonie, appelés maloca, et dans lesquels toutes les générations d’une même famille
vivent réunies sous le même toit. Tout n’est qu’une question de mœurs et de mode de vie !
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[ Ait Benhaddou, ksour marocain aux couleurs ocres ]
[ Village grec bleue et blanc, face Ă la mer ]
114 [ Boulevard parisien et ses immeubles Haussmanniens ]
H a b i t e r
l e s
m u r s
115
Foyer
[Case, Niger ]
[ Yourtes, Mongolie ]
118
[ Tipi amĂŠrindien ]
abris
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[ Tente touareg ]
Certains architectes contemporains comme l’australien Renzo Piano, reprennent des principes culturels anciens pour créer des édifices contemporains en résonnance et en harmonie avec le passé historique d’un pays. Ce dernier, en construisant le Centre culturel Tjibaou, encouragea la nécessité de faire perdurer le devoir de mémoire autour du peuple Kanak. L’architecture vernaculaire rappelle ici les cases traditionnelles autochtones. Enfin, les coutumes et la religion influenceront également l’architecture des murs constituant le foyer. Par exemple, dans le monde islamique, le lieu domestique, intime et familial, se relie à l’univers de la femme et s’arme d’une certaine pudeur face aux regards extérieurs. Ainsi, les moucharabiehs1, véritables dentelles de bois, permettent à ces dernières de voir ce qui se passe hors-lesmurs sans pour autant être vues. Le mur se rallie donc parfois à la religion et peut entretenir des liens étroits avec le sacré.
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[ Ci-dessus : Case traditionnelle Kanak ayant inspiré la structure du centre culturel Tjibaou, imaginé et réalisé par l’architecte Renzo Piano ] [ À droite : Moucharabieh dévoilant une silhouette ] 1 Définition. Moucharabieh. Larousse : Grillage fait de petits bois tournés et assemblés, permettant de voir sans être vu et qui est utilisé dans le monde islamique.
121
[ Jubé de la Cathédrale Lincoln, Angleterre, 1185 ]
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[ La Hallgrímskirkja, église luthérienne de 75 mètres de haut, construite entre 1945 et 1986, par l’architecte Guôjón Samúelsson, Islande. ]
Le mur et le sacré
Le sacré, lorsqu’il est mis en relation avec le mur, confère à ce dernier une dimension riche et tropologique. En ce lieu, le mur comme délimitation offre une identité distincte entre l’ici et l’au-delà de ses limites. Objet vertical s’élevant vers le ciel, le mur lie dans une dynamique ascendante, la terre et la voûte céleste, lui conférant une symbolique forte dont l’imaginaire de l’homme s’est emparé pour créer un lien spirituel avec les dieux. Il peut ainsi être le marqueur distinctif entre profane et sacré. L’origine même du mot sacré appuie cette idée : issu du latin sancire, sacré signifie délimiter, entourer, interdire1. Il en est de même pour le mot sanctuaire, désignant un lieu saint et religieux, exclusivement accessible aux prêtres, ou encore de temple, du grec temnein, signifiant découper2. Le mur, dans son édification, symbolise ici la séparation établie entre le circonscrit sacralisé et l’extérieur, impur. Dans les églises gothiques, c’est la clôture de pierre ou de bois sculpté qu’est le jubé qui permet de distinguer le chœur, réservée au clergé, de la nef, où se tiennent les fidèles. Dans les églises orthodoxes, l’iconostase tient ce même rôle de cloison, ici orné d’icônes, comme son nom l’évoque. Evelyne Péré-Christin nous offre d’autres exemples : « Dans les premières basiliques chrétiennes et à leur suite dans les églises romanes, on retrouve sensiblement le même dispositif : la partie sacrée de l’édifice est située dans l’abside, mais le mur qui fermait le naos dans le temple grec est remplacé par un muret bas et par quelques marches : ainsi subsiste la distinction entre le sacré et le profane3. » Le sacré se distingue et se caractérise par sa fermeture, son inaccessibilité : c’est ce qui appartient au domaine séparé, intangible et inviolable du religieux et qui doit inspirer la crainte et le respect4. Ainsi, la matérialisation du sacré dans l’espace, passe par la mise en place de limites tangibles, rejoignant la dimension spirituelle qu’elles invoquent, comme on a pu l’observer à travers les exemples ci-dessus. Dans l’espace urbain, où lieux sacrés (églises, 1 DEBRAY Régis, op. cit., page 27. 2 Ibid. 3 PÉRÉ-CHRISTIN Évelyne, op. cit., page 51 4 Définition, Sacré, Larousse.
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124
[ De gauche à droite : Cathédrale Saint Basile, Moscou, 1555, Postnik Yakovlev ] [ Sagrada Familia, Barcelone, 1882, Gaudí] [ Sainte Chapelle, Paris, 1242 ]
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entre l´ici et l´au-delà Certains murs séparent le profane du sacré... qu’est ce que l’éthymologie a à nous apprendre à ce propos ? - Sacré, issu du latin sancire, sacré signifie délimiter, entourer, interdire. - Temple, du grec temnein, signifie découper. - Profane, venant de pro-fanum, signifie devant l’enceinte
temples, cathédrales, mosquées…) et lieux profanes se côtoient, on remarque à travers l’architecture, l’affectation de zones de transition telles que le parvis ou l’esplanade. L’enceinte du sanctuaire l’isole du profane (venant de pro-fanum, devant l’enceinte), auquel l’accès nous est ouvert. La porte ou le portail des sanctuaires, souvent imposants, voire démesurés face aux dimensions de l’édifice, et d’un raffinement extrême, sont également des éléments architecturaux qui permettent de marquer symboliquement le franchissement physique et spirituel de ce seuil menant au divin. Véritables joyaux de l’architecture, les lieux sacrés, puissants et majestueux, confèrent à l’homme face au mur un attachement respectueux, de fascination, mystique. Tous les savoir-faire des artisans et des architectes sont mis en avant afin d’ériger une merveille à la hauteur du Dieu qu’ils vénèrent. Des parois en dentelle de pierre effleurant les nuages, presque surréalistes de la Sagrada Familia, aux vitraux de la Sainte Chapelle où le mur semble succomber à une légèreté et une transparence sans pareil, 126
en passant par la cathédrale Saint Basile de Moscou, dont le fastueux décor coloré et rocambolesque n’épargnent aucun recoin des murs. À travers l’architecture des lieux sacrés - temples, pyramides, cathédrales, synagogues ou mosquées - chaque civilisation chercha, par le biais des murs, à refléter richesses et excellences de techniques hors du commun. La puissance culturelle et architecturale qui émane de ces murs est intemporelle et élévatrice pour l’esprit. Ainsi, le mur, empreint de silence et lié au sacré porte en son sein spiritualité, hommage et recueillement. On pense ici au Mur des lamentations, emblème autour duquel les croyants juifs se rassemblent depuis des siècles pour entrer en lien avec l’au-delà, murmurant aux creux de ses pierres prières et vœux. Le mur devient alors une surface de projection mystique qui se dresse vers le ciel, un médiateur entre Dieu et les hommes. « Toucher la pierre du Mur renvoie à cette « matérialité » première, à cette communication avec le sacré par l’intermédiaire des supports physiques et nullement intellectuels. La pierre que l’on effleure c’est la condition et la caution du dialogue
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[ Juifs privant face au mur des Lamentations, Jérusalem, construit en 19 av. J.-C., mesure 19 mètres de haut ] On intercale également ses prières sous forme de petits papiers que l’on glisse entre les jointures des pierres.
entre soi et... cette présence énigmatique que le Mur matérialise1. » Le mur devient un support à la communication - de soi avec soi, de soi avec le divin - et rassemble en son pied un même peuple, le soude, l’unit : il joue le rôle d’un socle identitaire, un pilier contre lequel on peut s’appuyer et trouver une écoute qui nous réconcilie avec le bas monde. 1 BANU Georges, op. cit., page 132.
La tendance du mur à disparaître
Depuis plusieurs années, la tendance architecturale prend le contre-pied : contrairement à ces murs plus anciens, épais, opaques et secrets, on recherche aujourd’hui la transparence. Il est désormais possible de créer des édifices aux surfaces entièrement vitrées. Grâce aux nouvelles technologies, le mur s’est métamorphosé jusqu’à devenir invisible, cherchant à faire oublier sa présence. Ce jeu entre lumière et transparence, dehors et dedans, que manipulent avec art les architectes contemporains entretient-il un lien avec les mentalités modernes ? Où se situe alors la place de l’intimité lorsque la maison devient un théâtre ouvert sur l’extérieur ? Faîtes entrer la lumière… Pendant longtemps, le verre était utilisé pour les ouvertures de la structure : fenêtres et portes constituaient les percées du mur, permettant à la lumière d’entrer 128
dans l’espace clos. Des meurtrières des remparts, aux baies vitrées de nos maison actuelles, en passant par les vitraux des églises, les ouvertures n’ont eût de cesse de s’agrandir. Ce sont elles qui établissent la relation entre le dedans et le dehors. En ce sens, Le Corbusier affirmait : « Les éléments architecturaux sont la lumière et l’ombre, le mur et l’espace1. » Aujourd’hui, le verre devient le composant même de la structure. Il fascine par cette faculté qu’il détient : translucide, il semble dématérialiser le mur qu’il constitue. Il n’y a qu’à lever les yeux à La Défense pour constater ce nouveau fantasme : les gratteciels qui sortent de terres, déployant leurs cimes jusqu’aux nuages, réfléchissent sur leurs cloisons de verre le bleu du ciel qui les enveloppe. On cherche à gommer les parois de ces structures massives. Le poids et l’opacité du mur une fois effacés paraissent repousser les limites du circonscrit ; l’espace s’ouvre et s’élargit illusoirement. Au XXe siècle, des architectes choisirent d’expérimenter ce parti-pris pour créer les premières « maisons de verre ». Celle de Philip Johnson, bâtie en 1949 dans le Connecticut aux États-Unis, abandonne les murs opaques des 1 Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Nouvelle édition revue et augmentée, 1977, Arthaud.
MIROIR MIROIR
[ La GĂŠode, Paris ]
[ Futuroscope, Poitiers ]
dans
[ La casa de vidro, Bo Bardi, 1951, São Paulo ]
vivre
[ The Glass House, Philip Johnson, 1949, Connecticut ]
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transparence
[ The Farnsworth House, Mies Van Der Rohe, 1946, Chicago ]
la
[ Exemple d’habitation entièrement vitrée ]
maisons de l’époque, pour revêtir l’habitacle de façades entièrement vitrées. La maison est mise à nue : le jeu de transparence crée un dialogue entre intérieur et extérieur. L’environnement naturel et la bâtisse se superposent, déjouant les limites franches entre le dedans et le dehors normalement imposée par les murs. Johnson titillent nos sens, et les déroute. Ces parois de verre créent une ambivalence certaine : à la fois ils nous protègent et nous enferment physiquement, mais leur transparence nous incorpore au décor extérieur. Le mur n’endosse qu’à moitié son rôle d’écran, nous permettant ici de nous projeter visuellement dans la nature avoisinante. L’ambiance intérieure de la maison varie au rythme continuel et naturel de la lumière et du temps1. Ludwig Mies Van der Rohe avec la Farnsworth House, ou encore Lina Bo Bardi avec la Glass House, explorent également
l’assouplissement des limites entre dehors et dedans, où architecture transparente et nature environnante se mêlent avec fluidité. Certains architectes ont poussé le concept à l’extrême en recouvrant la totalité les murs extérieurs de certains édifices avec des miroirs. En utilisant des surfaces réfléchissantes, les limites semblent s’effacer. Le mur disparait alors derrière l’image qu’il renvoie, à l’image de La Géode, bâtiment sphérique de la Cité des Sciences et de l’Industrie. Il peut également renvoyer le son ou la balle à un joueur de squash. Le mur interagit alors avec son environnement, comme avec le spectateur des lieux, devenant surface « communicante». À Copenhague, des architectes ont également misé sur la tendance à la transparence. Le verre investit toutes sortes de bâtiments allant des immeubles résidentiels aux lieux de travail, devenant le matériau dominant de ces constructions. L’un des architectes du cabinet Schmidt, Hammer et Lassen, Morten Schmidt ayant travaillé sur de nombreux projets de ce type, explique : « Nous n’avons plus à nous cacher. Le verre permet de donner beaucoup plus de lumière au logement. Et, comme nous sommes devenus plus ouverts et plus 1 Architecture et lumière. [en ligne]. Crdp-montpellier.fr. 05/2013. [Consulté le 2/12/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.crdp-montpellier.fr/themadoc/Architecture/reperes3.htm
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tolérants, nous n’hésitons pas à préférer la lumière à l’intimité1. » La peau translucide que revête ici l’édifice traduit un choix de vie. Renoncer à son intimité au profit de la lumière et de la vue bouscule véritablement les codes établis quant à la vie intime des personnes. Le vis-à-vis omniprésent ne préserve plus ces habitants des regards indiscrets et avoisinants. À ce sujet, Anette Brunsvig Sørensen, professeur à l’école d’architecture d’Aarhus affirme : « Dans un immeuble en verre, nous sommes des objets d’exposition, mais nous sommes également spectateurs du théâtre de la ville. De cette manière, le logement et la ville s’apportent mutuellement quelque chose. Les anciennes façades fermées, elles, n’apportaient rien du tout2. » Ces logements qui prônent l’ouverture et la transparence – et finalement aux antipodes des blockhaus, des murs de ghettos ou encore du mur de 132
Berlin - ne seraient-ils pas une lutte inconsciente contre l’enfermement et la coercition douloureuse des années passées ; une manière de prouver que la cohabitation et la proximité entre les hommes sont possibles ? Au travers de ces murs, on peut contempler le monde. Cependant, la visibilité sur l’Autre dans ce genre de structures semble dérangeante… Ne contribue-elle pas à l’atteinte à la vie privée, au voyeurisme ou à l’exhibitionnisme ? La réponse qu’offre ces édifices paraît un peu simpliste : il ne suffit malheureusement pas d’effacer les murs physiques pour que les murs mentaux divisant les hommes disparaissent. L’obsession actuelle semblerait donc vouloir faire disparaître les murs. Le verre a remplacé le béton et les pierres. Détenant toute fois les mêmes attributs protecteurs, il offre au mur une dimension plus ouverte et légère.fihdfhiffkjsdhfkjhfkhezkhfkzehekjzhfjehjhehjhejhfej 1 MYGIND Johanne. La tendance architecturale au Danemark : Vivre dans la transparence. [en ligne]. Courrierinternational.com. 13/12/2006. [Consulté le 2/12/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.courrierinternational.com/article/2006/12/14/vivre-dans-latransparence 2 Ibid.
133
nt m tĂŠ
134
Contrairement à ces murs arbitraires élevés lors de confrontations, de guerres, ou d’assujettissements, qui prennent vie lorsque la communication se fait impossible, les murs que nous avons observés dans cette seconde partie sont symboles de protection et de sauvegarde, incubateurs d’identité. Comme le souligne Régis Debray dans Éloge des frontières : « C’est en se dotant d’une couche isolante, dont le rôle n’est pas d’interdire, mais de réguler l’échange entre un dedans et un dehors, qu’un être peut se former et croître. Pas d’insecte sans kératine, pas d’arbre sans écorce, pas de graine sans endocarpe, pas d’ovule sans tégument, pas de tige sans cuticule, etc.1 » Dans sa dimension architecturale, le mur, objet physique et omniprésent, structure le cadre de nos vies et nous offre de nombreux usages : protéger, délimiter, défendre, enfermer, soutenir. Comme nous l’avons également abordé, le mur se montre riche dans sa dimension anagogique : « La mémoire, le rêve, l’imaginaire construisent des 1 DEBRAY Régis, op. cit., page 35.
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images mentales, des représentations du murs qui l’éloignent de sa dimension concrète pour lui donner une valeur de symbole2. » Ainsi, le mur peut aussi exister sans exister, s’allégeant du pesant, pour aller vers le maximum de lumière et de légèreté. Dématérialisé, il devient le miroir d’un monde divin et sans limites, baigné de grâce. On retrouve cette volonté d’annihiler le mur au profit de la couleur et de la lumière, de le « diviniser » en quelque sorte, dans la réalisation des vitraux de l’art gothique. La Sainte chapelle, édifiée au XIIe siècle, et dont les parois sont un hymne à la beauté et l’immatérialité, en est un exemple des plus frappants. À l’image des poupées russes, le mur, élément ubiquitaire de nos vie, constitue à différentes échelles une succession d’enveloppes poreuses et protectrices, de frontières de séparations nous définissant : la membrane de nos cellule, notre peau, notre maison, notre ville, notre pays, l’atmosphère de notre planète... 2 PÉRÉ-CHRISTIN Évelyne, op. cit., page 70.
136
HEIDEGGER Martin, Essais et conférences, « Bâtir Habiter Pense », Paris, Gallimard, Collection Tel, 1958.
LA LIMITE N´EST PAS CE OÙ QUELQUE CHOSE CESSE, MAIS L
L
BIEN L…L CE À PARTIR DE QUOI QUELQUE CHOSE COMMENCE À ÊTRE.
h O m m E S L E S E n t R E c O m m u n I c A t I O n D E E t
le mur comme surface d´ÉCHANGE
3
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A. UN APPEL À LA SUBVERSION ET À LA TRANSGRESSION : FAIRE TOMBER LES MURS B. MURS DE MÉMOIRE, MURS-MANIFESTES … ET MURS FACEBOOK : CES MURS GÉNÉRATEURS DE LIENS C. QUAND LES ARTISTES S’EMPARENT DES MURS DU MONDE COMME D’UNE TOILE D’EXPRESSION
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PARTIE 3.
Depuis sa sédentarisation, l’homme cherche à organiser son environnement. Le mur retranscrit dans un schéma structurel les perceptions et les représentations que ce dernier se fait de la réalité. Cette paroi que l’homme n’a cessé de construire, déconstruire, et reconstruire, d’apparence solide et statique, n’est finalement qu’un artefact éphémère. Il se fait reflet de celui qui l’érige, pour un temps, mais finira par revenir à son état d’origine : un tas de poussière. Quelques soit la manière dont on l’agence, le pense, le construit, le mur restera poreux ; il y aura toujours quelqu’un pour l’escalader ; il y aura toujours une échelle plus haute, des tunnels plus profonds pour le contourner. Cette dernière partie cherchera à comprendre comment faire cohabiter, dialoguer et interagir les flux qui se rencontrent le long de ces surfaces de prime abord séparatrices. Comment le rapport à l’autre peut-il se rétablir et s’articuler autour du mur ? Comment celui-ci devient-il une surface d’expression plutôt qu’une paroi où le dialogue rompu laisse place au silence ? Quand le mur devient-il un ciment, un liant entre les communautés ?
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A Un appel à la subversion et à la transgression : faire tomber les murs Le mur, par sa présence physique, son poids, sa dureté, interpelle. Surtout lorsqu’il est la matérialisation d’une politique de séparation. On l’a vu, dans la grande Histoire des murs, celui de Berlin, qui durant des années symbolisa la séparation et la confrontation des deux blocs, 142
lorsqu’il fut abattu, endossa le rôle d’emblème de la démocratie et de la réunification. Écran tangible et opaque que certains dirigeants cherchent à dresser entre les hommes, facteur d’exclusion et de rejet de l’Autre, projection du repli sur soi et de la fermeture : lorsque le mur est employé dans ses dérives, et qu’il devient alors l’outil d’une politique de ségrégation, il ne tend qu’à être détruit… Ces murs-là, alimentés par la peur, ont pour vocation de tomber. L’Histoire des murs, que nous avons tenté de résumer en première partie nous le montre : que ce soit physiquement, comme l’Atlantikwall, ou symboliquement, comme la muraille de Chine, l’obstacle, qui pour un temps, semblait impénétrable et inébranlable, devient ruine. Abattre les murs de l’oppression pour ressouder l’humanité
Tous ces murs subis, ces murs qui puisent leurs racines dans une prise de décision unilatérale, et qui de surcroît, privent un groupe d’hommes de leur liberté, bien souvent deviennent des moteurs de révolte. Ici, faire tomber le mur, c’est s’opposer aux valeurs déshumanisantes qu’il soutient. En 1989, la chute du Mur eut un
impact mondial et joua un rôle important quant au respect universel des Droits de l’Homme. Une de ces manifestations serait, pour citer l’article Les impacts de la chute du mur de Berlin sur la situation des droits humains1 de Sandra Cossart, le développement des ONG. En effet,
celles-ci dont le but non lucratif se concentre sur l’intérêt public à l’échelle nationale ou international, prirent un élan considérable au lendemain de l’éclatement du Mur et du bloc soviétique. Une prise de conscience sur le devoir et les droits des citoyens et une volonté d’agir se fit sentir. Les ONG interviennent dans de nombreux domaines fondamentaux comme la défense des Droits de l’Homme, la lutte contre la faim ou les maladies, la protection des Droits des enfants et la scolarité, ou encore la protection de l’environnement… Grâce aux nouveaux moyens de communication, le nombre de personnes sensibilisées fut grandement amplifié, puisque relayés par les médias et internet. Le respect des Droits de l’Homme dans le monde devenait l’affaire de tous. Sandra Cossart explique : « La diffusion de l’information sur la violations des Droits de l’Homme en temps réel auprès du grand public et non plus de quelques militants seulement, permet à une opinion mieux informée d’exiger des explications et d’exercer des pressions sur les institutions internationales, sur les 1 COSSART Sandra, Les impacts de la chute du mur de Berlin sur la situation des droits humains, Sciences-po.fr [en ligne], Chute du mur, 1989 : un événement planétaire ? [consulté le 17/11/2015] Disponible à l’adresse : http://chutedumur.sciences-po.fr/ resonances/201-les-impacts-de-la-chute-du-mur-de-berlin-sur-la-situation-desdroits-humains-.html
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gouvernants comme sur les entreprises1. » Les Nations Unis s’engageaient alors au meilleur respect de ces droits fondamentaux, notamment en signant du Pacte Mondial, visant à mettre en place un certain nombre de règles relatives aux droits de l’homme dans le monde des entreprises et du travail. Finalement, la chute du Mur engendra une prise de conscience quant à l’importance des Droits de l’Homme, devenant l’objet des préoccupations et des relations internationales. Certains murs, lorsqu’ils tombent, animent donc un mouvement de tolérance et de respect des hommes entre les hommes. Manifester contre l’intolérance à travers des clichés révélateurs
D’une autre façon, le travail remarquable de certains photoreporters engagés permet de dévoiler aux yeux du monde les valeurs déshumanisantes des murs de ségrégation. Les photographies 1 Ibid.
[ Baby with childminders and dogs in the Alexandra Street Park, Hillbrow, Johannesburg, 1972 © David Goldblatt ] [ Holdup in Hillbrow, Johannesburg, November 1963 © David Goldblatt ] [ A plot-holder with the daughter of a servant, Wheatlands, Randfontein, September 1962 © David Goldblatt ]
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de David Goldblatt, par exemple, jouèrent un rôle prépondérant dans la lutte anti-apartheid menée en Afrique du Sud dans les années soixante. À travers ses clichés, l’artiste cherchait à montrer le caractère répressif de cette politique contraire à l’intérêt commun. En documentant le monde sur ce système immoral, il voulait provoquer le sentiment d’indignation chez son spectateur, et ainsi, faire tomber les barrières de l’apartheid. Dans le cadre de ce mémoire, nous avons eu la chance de rencontrer et questionner le photographe américain Maurice Shérif. À travers son travail, il prouve lui aussi que « l’image est une arme alors que le régime fait tout pour rendre l’opposition invisible2. » L’édition The American Wall : From the Pacific Ocean to the Gulf of Mexico dévoile ses 2 L’activisme visuel fait tomber tous les murs. 2013. Tracks (11 min.) ARTE, 05/10/2013.
146 [ Armé de son appareil argentique, Maurice Shérif a sillonné les 1 200 km de frontière qui séparent les États-Unis et le Mexique pour photographier le mur ]
clichés noirs et blancs, à l’heure où le soleil ardent de midi frappe le
mur dans sa verticalité. Ces images accompagnées d’essais parviennent à retranscrire la dureté et le poids du mur. C’est d’ailleurs en ce sens que l’artiste a choisi de présenter cette édition sous forme de deux livres imposants réunis dans un coffret pesant au total neuf kilos ! Il espère ainsi toucher son lecteur sur ce thème actuel complexe dont il a choisi de faire son combat, et qu’il tente ici de mettre en lumière : « Le mur empêche peut-être les déplacements, emprisonne physiquement les gens et les sépare les uns des autres, mais il ne doit en aucun cas les réduire au silence1. » Le mur est un sujet sensible, stimulateur de créativité et de l’imaginaire, dont les différentes disciplines artistiques se sont emparées et pour lequel les artistes actuels s’éprennent toujours. 1 SHERIF Maurice, The American Wall : From the Pacific Ocean to the Gulf of Mexico, San Francisco, University of Texas Press, 2011, note de l’auteur.
147 Pour voir plus de photographies de Maurice ShĂŠrif, rendezvus pages 56 Ă 67 !
Le mur, élément récurrent de la dystopie
Il est intéressant d’observer la place qu’occupe le mur dans le cinéma et la littérature de contre-utopie1. Ces fictions, souvent proche de la vérité se veulent préventives quant au danger des dérives de nos systèmes politiques et sociaux. En effet, le mur est un élément récurrent lorsqu’il s’agit de dépeindre un monde imaginaire et prospectif, dans lequel évolue un peuple auquel on retire les libertés, les droits fondamentaux et l’accès au bonheur. Ces récits semblent détenir un schéma itératif : le peuple subit l’oppression d’un gouvernement totalitaire ; les disparités sociales sont accablantes ; le libre-arbitre et les libertés d’expressions sont anéantis ; chacun né pour accomplir une tâche qui lui est imposée, ne laissant plus de place à l’épanouissement personnel ; la société vit en autarcie : une limite tangible la sépare bien souvent du reste du monde chaotique… La fiction se rapproche parfois effroyablement de notre réalité. 148
Face au système totalitaire de Staline, un auteur choisît de s’inspirer de la violence concrète de notre monde, plongé dans un climat de guerre froide, pour créer sa contre-utopie. Tout au long de ce récit, les similitudes avec la réalité sont frappantes et ne peuvent qu’éveiller la conscience du lecteur : la domination mondiale géographique et politique de deux blocs, le cadre de vie sinistre et précaire, où restrictions et pénuries affectent les populations au sortir de la guerre, les dérives du système communiste soviétique. Ouvrage intemporel et de référence, 19842 de Georges Orwell met en scène Winston Smith, personnage dont on suit l’émancipation face au système dictatorial imposé par Big Brother. Ce système décrit par Orwell nous questionne sur le thème général de la liberté, mais aussi sur la liberté d’expression, réduite ici à néant. Le Novlangue, langue officielle de cette fiction, fait l’objet d’un appauvrissement planifié où les mots se faisant de plus en plus rares, restreignent la pensée et la 1 Définition, Contre-utopie, Larousse : Description, au moyen d’une fiction, d’un univers déshumanisé et totalitaire, dans lequel les rapports sociaux sont dominés par la technologie et la science. (Le Meilleur des mondes, de Aldous Huxley, est un exemple de contre-utopie.) 2 ORWELL Georges, 1984, Barcelone, Gallimard, Folio, 2013.
[ 1984, Georges Orwell ]
réflexion du peuple. La manipulation insidieuse et le contrôle permanent sur des sujets hébétés se fait alors sans entraves. Big Brother, omniprésent sur les murs de la ville et sur les
écrans, pénètre jusque dans l’intimité des foyers. L’arme principale est la peur : « Big brother is watching you. » Dans un système qui empêche l’homme de penser, créer, construire des relations, cultiver son jardin secret et s’épanouir, Winston va faire le choix de résister. Les barrières visibles et invisibles
[ Fahrenheit 451, Ray Bradbury ]
établies par cette doctrine répressive vont être transgressées par le héros, au risque de sa vie. L’appel des libertés sera toujours plus fort. Dans la même lignée, nous pourrions nous intéresser aux romans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, et Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, mettant eux aussi en scène un 149
personnage principal se révoltant face au monde dépourvu d’humanité, de connaissances et de liberté dans lequel il évolue.
[ Divergente, Neil Burger ]
Depuis quelques années, la littérature pour adolescents s’est emparée de ces mêmes codes, de ces mêmes dogmes, pour donner naissance à une multitude de jeunes héros, transgressant à leur tour les règles et les limites d’un système inégalitaire qui se voudrait juste. Le contexte actuel, plus que jamais marqué par ses disparités sociales, est ici repris et amplifié, sous forme de districts ou de factions, où chaque personne se voit assignée et affectée d’un rôle bien particulier dans la communauté. Réadaptés pour la plupart sur grand écran, nous pourrions citer Hunger Games3, The Giver4, Divergente5, ou encore The Maze Runner6. Dans chacune de ces histoires dystopiques, les limites de la société dans laquelle le héros vit 3 ROSS Gary. 2012. Hunger Games. 142 min. 4 NOYCE Phillip. 2014. The Giver. 97 min. 5 BURGER Neil. 2014. Divergente. 139 min. 6 BALL Wes. 2014. The Maze Runner. 114 min.
[ The Maze Runner, Wes Ball ]
sont marquées par la présence d’une enceinte imposante, dont le dépassement deviendra la quête principale de ce dernier. Dans le film The Giver, Jonas devra surpasser ses limites comme celles matérialisées
par l’immense mur qui encercle sa communauté, définissant la fin de leur monde et qu’il est interdit de franchir. Cette frontière une fois affranchie redonnera au peuple son humanité et l’accès aux émotions, qui jusque-là avaient été éradiquées. Finalement, le sens de la vie renaît lorsque le mur-frontière est transgressé, lorsque l’appel de l’inconnu l’a emporté sur l’assujettissement aveuglé. C’est en ce sens que le dernier volet de la trilogie Divergente porte le nom Au-delà du mur1. 150
Autre point commun à tous ces films, l’idée d’une surveillance accrue et ubiquitaire poussent le spectateur à se questionner sur l’asservissement mis en place au travers des moyens de surveillance qui s’hyper-développent dans notre société actuelle, ainsi que sur le voyeurisme et la notion de vie privée. Dans Hunger Games par exemple, le jeu macabre auquel des enfants participent (de force) est diffusé au monde sur des écrans géants, n’étant pas sans rappeler nos émissions de télé-réalité où curiosité malsaine et intrusive élaborent un rapport à l’Autre faussé et perverti. Toutes ces histoires dystopiques ont connus de francs succès, révélant et alimentant cette crainte présente dans l’imaginaire collectif. Ces fictions, se rapprochant grandement de notre réalité, touchent particulièrement le spectateur : ce dernier se sent concerné, puisqu’évoluant dans un monde où les préoccupations sur l’avenir n’ont jamais été aussi graves (réchauffement climatique, guerres, disparités sociales...). 1 SCHWENTKE Robert. Date de sortie prévue le 9/03/2016. Divergente 3 : Au-delà du mur.
Briser le quatrième mur : créer du dialogue entre le spectateur et le protagoniste
Au théâtre aussi on a vu tomber le mur… Le quatrième mur, expression introduite par l’écrivain et philosophe français Denis Diderot, est ce mur virtuel qui se dresse entre la scène et ses acteurs d’un côté, la salle et son public de l’autre. Ce concept pris tout son sens lors de l’avènement du courant réaliste, dont l’interprétation théâtrale cherchait à retranscrire une pièce de manière la plus conforme à la réalité. Ainsi, le mur invisible que s’imaginaient les comédiens leur permettait d’interpréter leur rôle en faisant abstraction de l’auditoire présent. Celui-ci se trouvait alors dans une posture d’observateur, sans qu’il ne puisse participer à la pièce. Un grand nombre de réalisations théâtrales et cinématographiques plongent le spectateur dans une histoire qui voudrait faire oublier à ce dernier que ce qui se déroule sous ces yeux n’est que fiction. Elle s’efforce de représenter au mieux la réalité, et autorise par exemple au comédien de tourner le dos à son public sur les planches. « Briser le quatrième mur » consiste à provoquer l’effet inverse. Ce dispositif, déjà présent dans le théâtre antique grec, n’a cessé de traverser le temps et les Arts, touchant aussi bien à l’époque de Shakespeare que le théâtre postmoderne et les comédies musicales2. Cette technique transgressant les codes établis, consiste donc, dans le théâtre, le cinéma, les séries et même les bandes-dessinées, à créer un dialogue entre le spectateur et le protagoniste. Le personnage, en s’adressant directement à son public, montre ainsi qu’il est conscient d’être l’acteur d’une fiction. Le public, lui, réalise son rôle de spectateur mais cette fois, de manière immersive et interactive. Ce dispositif peut être utilisé dans divers genres, provoquant une multitude d’effets sur le spectateur, selon la façon dont il est utilisé. 2 CAPELLE Romain. Comment et pourquoi les cinéastes « brisent le quatrième mur ». Télérama.fr [en ligne], 27/08/2015, Cinéma [consulté le 19/11/2015] Disponible à l’adresse : http://www.telerama.fr/cinema/comment-et-pourquoi-les-cineastesbrisent-le-quatrieme-mur,130600.php
151
L’un des usages les plus fréquents est celui employé dans les comédies. Il y a de quoi surprendre l’auditoire, lorsque, dans un moment inattendu d’un film, l’acteur tourne vers lui son regard et le prend en aparté. C’est une façon de nous faire comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur de la tête du personnage. Par exemple, dans la série House of Cards1, il est intéressant et comique d’observer le décalage
des propos que Franck Uderwood tient face à son interlocuteur, puis, face à nous, à l’image de confidences - sans filtre cette fois. « Briser 152
le quatrième mur » implique directement le spectateur, et permet
des créer des liens d’empathie, de complicité avec le personnage.
1 WILLIMON Beau. 2013. House of Cards. Série Netflix.
[ Franck Uderwood, personnage de la série House of Cards,
regardant le spectateur droit dans les yeux ]
À l’image (figurative) de ce quatrième mur brisé au théâtre, le mur une fois abattu permet bien souvent de rétablir un dialogue jadis inexistant. À titre historique, comme pour la prise de la Bastille, la chute du Mur de Berlin marqua un tournant sans précédent : le peuple renversa le pouvoir instauré faisant voler en éclats les injustices qui le régissaient. Les revendications font trembler les murs lorsqu’ils emprisonnent les individus et portent atteinte à leurs libertés et à leurs droits fondamentaux. Les murs emprunts d’iniquité sont, nous l’avons montré, un moteur de la rébellion. Ils exaltent la volonté d’un changement qui mettra fin à l’oppression. Nombreux sont ces murs dont la vocation est d’être percé, abattu : l’appel de l’Autre, de l’inconnu, ou encore d’un monde meilleur seront toujours les plus attractifs.
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B Mursmanifestes, murs de mémoire… et murs Facebook : ces murs générateurs de liens Bien souvent, et à tort, nous associons le mur aux seules idées de frein et de fermeture. Certes, de nombreux murs, on l’a vu, sont 154
synonyme de division mais celui-ci peut se révéler comme une surface de connexion. En ses ruines, morcellements de l’Histoire, certains réunirons la mémoire collective. D’autres, seront le support de l’espérance et des vœux que l’on partage tous : l’amour, la tolérance, la paix dans le monde. Enfin, au travers de la toile, certains tisserons le dialogue en temps réel avec les gens du monde entier. Murs de mémoire, murs-manifestes et murs Facebook ont ceci en commun : ils se dressent pour faire lien et réunir les hommes.
Murs de mémoire
Les murs de mémoire sont des lieux qui entretiennent la mémoire collective. Face à eux on se tourne vers un passé partagé, souvent douloureux. On s’y rassemble, tous ensemble, pour rendre hommage à ceux qui ne sont plus. Lieu de recueillement, il affiche dans l’espace public une zone de commémoration luttant contre l’oubli : il en est de notre devoir de mémoire.
Le mur des vétérans à Washington est sûrement le plus connu des murs de mémoire. Cette surface de marbre noir se dresse solennellement avec une force qui semble inébranlable. Elle nous dévoile le nom de milliers de soldats morts au combat durant la guerre du Vietnam, et c’est à travers elle que nous communiquons avec les défunts. Contrairement à une statue ou à un monument à l’effigie d’un héros national, les murs de mémoire se distinguent par leur sobriété et leur intelligibilité. Bien souvent, ces murs sont « affranchis de tout orgueil artistique pour s’affirmer comme explicites et indiscutables preuves mémorielles. Ils appellent au face-à-face avec le martyr et au sacrifice sans la moindre volonté de représentation1. » Ces murs symbolisent la douleur et la mort, mais n’en esquissent ni visage, ni figuration concrète. Les noms des disparus se succèdent avec une linéarité poignante, les uns après les autres… la liste semble sans fin. Comme l’indique Georges Banu, ces derniers sont des murs scripturaux. Le mur de la Shoah lui ressemble en ce point d’ailleurs. Dans ce haut lieu de la commémoration de la communauté juive, ces noms si nombreux composent une masse effroyablement démesurée, réunie ici 1 BANU Georges, op. cit., page 137.
155
[ Mur des vĂŠtĂŠrans, Washington ]
156
[ Mur de la Shoah ]
[ Liste des noms des victimes, mur de la Shoah ]
L L
r évolution L
L 157
en un bloc de pierre relatant à lui seul l’ampleur de l’horreur. Georges Banu nous offre une métaphore des murs de mémoire puissante : « Ils participent tous de ce que l’on pourrait appeler le mythe de l’écrit. Le mythe de la page arrachée à l’immense livre de l’humanité, oui, un mur est l’équivalent d’une page, page sans auteur, page anonyme, rédigée par des successeurs à la mémoire des précurseurs disparus1. » Ces murs sont les témoins d’un passé dévastateur : passé fauché par la folie destructrice des exterminations massives, passé meurtrit par les ravages de guerres sanguinolentes, passé frappé de révoltes brûlantes. 1 Ibid., page 140.
Symbole de la résistance française, le mur des Fédérés situé au cimetière du Père Lachaise, commémore la bravoure de ces hommes qui se sont battus pour leur pays et les valeurs de leur drapeau tricolore. Les militants actuels s’y rassemblent pour rendre hommage à cet acte héroïque, et s’allient en ce lieu pour les prochaines luttes à mener. Les murs de mémoire ont ceci en commun : ils rendent grâce à une communauté, un groupe qui subît le même destin tragique. À notre tour, c’est en groupe que nous nous rassemblons autour de ces vestiges d’un temps révolu, mais qui, sans nul doute, influença notre présent. Les murs de mémoire nous rappellent ceci : seul, nous ne sommes rien. Les murs de mémoire, s’élevant vers le ciel au nom de ces disparus, réunit face à lui les vivants. Ainsi, celui qui se tient encore debout conserve dans son cœur ceux qui ne sont plus, perpétuant le souvenir de leur destin tragique ici-bas. Ce sont de véritables exemples de murs collectifs et communautaires qui détiennent un rôle crucial : 158
[ Mur de Lennon, Prague ]
rappeler à l’Humanité le chaos ravageur et passé engendré par la folie humaine. Il sert de témoin d’un passage tragique de l’Histoire qui, jamais, ne doit ressurgir. Comme le souligne Naomi Klein dans La stratégie du choc : « Un état de choc, ce n’est pas seulement ce qui
nous arrive après un drame, c’est ce qui nous arrive quand on perd nos repères, quand on perd notre histoire, quand on est déboussolé. Ce qui nous permet de garder le cap, de rester vigilant, c’est notre Histoire1. » Ces murs-là communiquent la volonté d’un monde à venir meilleur et éveillent en nous responsabilité et circonspection. Murs-manifestes
Les murs-manifestes abordent un visage plus gai que les murs de mémoire, mais se révèlent tout aussi honorables. Plutôt qu’une surface relatant le passé, ces derniers se tournent vers l’avenir : « Ils sont la page sur laquelle s’inscrivent des souhaits et des attentes, où le présent a les yeux tournés vers ce qui va 1 KLEIN Naomi, premiers mots prononcés lors de la conférence vidéo sur son roman La stratégie du choc, [en ligne]. Disponible sur : http://www.dailymotion.com/video/ x36rbsn
advenir2...» Surfaces d’expression, ils s’offrent aux passants pour accueillir une trace de leur passage, devenant en quelque sorte porte-paroles des vivants. Le mur, immobile, prend vie à travers le flux continu des promeneurs : les messages s’inscrivent, s’effacent et se superposent, envahissant inlassablement sa façade.
Débutons notre voyage dans l’étude des murs-manifestes avec celui de John Lennon, faisant éclater ses couleurs vives dans les rues de Prague. À l’image du groupe mythique des Beatles, qui usa du pouvoir de la musique pour abattre les frontières et connecter les gens entre eux, ce mur-là délivre un message de paix, arborant en son cœur le fameux sigle Peace and Love. Véritable toile d’expression et de communication, ce mur est l’empreinte d’une œuvre collective emplie d’amour, réchauffant les cœurs par ses teintes chatoyantes. Le spectre de Lennon, véritable inspirateur de la paix, se manifesta suite aux attentats du 13 novembre 2015, 2 BANU Georges, op. cit., page 148.
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Je t´aime
160
i love you ich lieb dich Ti Amo Te quiero Seni seviyo rum Eu te amo Te iubesc Kocham cie ...
[ Le mur de Juliette couvert de traces et de souvenirs déposés par les visiteurs du mon entier, Vérone, Italie ]
[ Le fameux balcon depuis lequel Roméo et Juliette s’aimaient Vérone, Italie ]
lorsque, place de la République, un jeune pianiste réinterpréta ces notes poignantes de Imagine. Le mur de Prague permet de faire raisonner les hymnes engagés pour la paix composés par Lennon : son message, repris en chœur par les vivants, lui, ne meurt pas. Le mur de Juliette à Vérone abrite dans ses pierres vieillies un mythe connu de tous : Roméo et Juliette de William Shakespeare. Ici, personne ne sait si les amants maudits ont réellement existé, mais le mur surplombé de son balcon, vacillant entre réalité et fiction est bel est bien là, et convient à rassembler face à lui des amoureux venus du monde entier. On oublie ce qu’il peut y avoir de tragique à l’amour, pour n’en garder que l’abondance insatiable dont il est la source. L’instinct qui veut que l’on marque le mur d’une trace de notre passage est bien présent ici aussi. Les couples scellent leur amour en déposant leur chewing-gum, leurs mots de tendresse, leurs initiales entremêlées et passionnées, leurs vœux et leurs aveux1. Le mur, tel un miroir, permet aux amoureux de se projeter dans la peau de Roméo et Juliette, et de 1 Ibid., page 144.
161
se dire qu’à leur tour, ils incarnent le symbole d’une passion qui ne périra jamais. Ce mur des Je t’aime invite les gens à se rassembler au nom de l’amour et d’en afficher sa couleur aux yeux du monde. À Paris, est né du mur de Juliette, un autre mur des Je t’aime, intitulé ici comme tel. Sur cette surface carrelée, Je t’aime se conjugue et se décline dans plus de trois cent langues. Le site officiel explique l’intention : « Dans un monde marqué par la violence, dominé par l’individualisme, les murs, comme les frontières, ont généralement pour fonction de diviser, de séparer les peuples, de se protéger de l’autre. Le mur des je t’aime est au contraire, un trait d’union, un lieu de réconciliation, un miroir qui renvoie une image d’amour et de paix1. » S’ajoutent à la composition des éclats rouges vifs, symbolisant le cœur de l’humanité émietté, que le mur tente ici de rassembler de nouveau, place des Abbesses. Ce mur, lorsqu’on le compare à celui de Juliette, semble moins spontané, 162
chaleureux et empreint de magie. Cependant, l’initiative des artistes Frédéric Baron et Claire Kito n’en demeure pas moins respectable.
Dans le même registre, le mur pour la Paix, réalisé par Clara Halter et érigé en l’an 2000, révélait la volonté d’un monde harmonieux et serein au passage dans le nouveau millénaire. Installé sur le Champ-de-Mars, le choix de l’emplacement n’est pas sans raison, Mars incarnant dans la mythologie romaine le dieu de la guerre. En ce lieu, c’est le mot paix qui se voit retranscrit dans 49 langues différentes, sur deux panneaux translucides. Initialement, le monument se dressait face à l’École militaire, mais il devint le cœur d’une polémique virulente entre Rachida Dati et Marek Halter, mari de l’artiste, lorsque cette dernière exigea de l’œuvre qu’on l’implante dans un autre endroit2. Comme le dit Claude Quétel : « Jamais « mur de la paix » n’a aussi peu mérité son nom3. » C’est pourquoi nous ne nous attarderons pas plus sur cet exemple. 1 Disponible sur en ligne sur : http://www.lesjetaime.com 2 QUETEL Claude, op. cit., page 299. 3 Ibid.
163 [ Le mur des «je t’aime», place des Abbesses, Paris ]
[ Mur de la Paix, champs de Mars, Paris ]
Enfin,
nous
aurions
pu
citer
dans
ces
murs
au
travers desquels on manifeste et l’on s’exprime, le mur de la démocratie
à Pékin. Ce dernier n’existant plus, nous avons
préféré aborder les témoins d’union toujours debout. Les murs-manifestes ont ceci de particulier : ils invitent n’importe quel individu à délivrer son message de paix, d’amour ou de tolérance ; à apporter sa pierre à l’édifice de l’espérance. Ils regroupent des mots écrits par des milliers de personnes, mais une certaine unité se dégage malgré tout de ce joyeux tumulte. Unité retranscrite à travers la répétition du geste, mais aussi à travers ces nombreuses voix portant le même message dans leurs cordes. Ces murs nous renvoient une chose essentielle : tous les humains, si différents soient-ils, se ressemblent tant. Ceci n’est pas sans rappeler le film récent de Yann Arthus Bertrand, Human1, qui cherche à montrer dans « l’unité-diversité humaine2 » ce que nous avons de plus admirable et de plus commun en 164
nous, et qu’à leur tour les murs-manifestes dévoilent en nous laissant l’exprimer en toute liberté : notre part d’humanité universelle. Au travers des mouvements qui les submergent par vagues incessantes, les murs-manifestes nous racontent aussi l’impermanence du monde. Mur Facebook
Depuis une dizaine d’année, nous avons vu apparaître une nouvelle forme de mur, virtuel cette fois-ci : le mur Facebook. Support à la communication révolutionnaire du XXIe siècle, ce dernier permet de mettre en relation les gens du monde entier, d’échanger en temps réel, de poster des images, des vidéos, des commentaires et toutes autres informations personnelles sur notre mur, lui-même relié à un fil d’actualité public. En quelques années, Facebook est devenu le réseau social-numérique le plus populaire : le 24 août 2015, on a recensé plus d’un milliard d’utilisateurs actifs connectés 1 ARTHUS BERTRAND Yann, 2015, Human, 190 min. 2 Terme introduit par CHAMOISEAU Patrick, GLISSANT Edouard, Quand les murs tombent, l’identité nationale hors la loi ?, Paris, Galaade éditions, 2007.
simultanément, soit une personne sur sept sur la planète3. Le mur Facebook est une surface d’expression. Il offre à son utilisateur la liberté de dévoiler et d’afficher ce qu’il désire montrer de lui aux yeux de tous. La notion de frontière se concrétise ici entre vie privée et vie publique, et c’est au titulaire du compte de décider où il souhaite appliquer cette limite sur son réseau. Cette exposition de soi sur la toile a bouleversé les frontières de la sphère privée, nourrissant le culte de l’égo. En effet, certains utilisateurs n’hésitent pas à faire tomber le voile en étalant leur humeur et leurs états d’âme, des photos d’eux (qui en dévoile parfois beaucoup…), de ce qu’ils ont déjeuné à midi, etc. Chacun y va de son petit commentaire. Ces gens en quête de reconnaissance et de popularité tentent de se rassurer dans leur propre considération et flatter leur égo au travers d’un moment de gloire ou de buzz. Désormais, l’image que l’on renvoie de soi, l’identité virtuelle que l’on se crée et la notoriété se comptent en nombre de « like », de « followers », et de « com’ ». Certes, Facebook et autres réseaux sociaux renforcent et établissent de nouveaux liens sociaux en nous faisant appartenir à une communauté sans limites constituée d’amis virtuels. En contrepartie, ces réseaux favorisent voyeurisme et superficialité de l’égo.
[ Mur Facebook, profil ] 3 Facebook franchit le cap du milliard d’utilisateurs sur une journée [en ligne]. Lemonde. fr. 28/08/2015. [Consulté le 23/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.lemonde. fr/pixels/article/2015/08/28/facebook-franchit-le-cap-du-milliard-d-utilisateurs-surune-journee_4739102_4408996.html#
165
Le fait de pouvoir échanger et partager en temps réel avec quelqu’un de l’autre bout du monde a également fait tomber d’autres frontières : le lointain devient à portée de clic. Ce véritable levier de communication a occupé une place prépondérante dans la chute des régimes instaurés jusque-là dans le monde islamique, lors du Printemps arabe. Les réseaux sociaux, avec Facebook en tête, ont permis aux peuples de s’organiser, de planifier des lieux de ralliements en évitant les barrages policiers1 et de diffuser en masse les informations à l’échelle mondiale. Le cyber-activisme permet d’abattre certains murs, en communiquant des données confidentielles ou censurées, et de rallier des personnes du monde entier à une cause - on pense ici aux Anonymous qui sont intervenus à distance dans cette lutte dans le monde arabe. Cet exemple nous montre bien que le mur Facebook peut devenir un mobilisateur de troupe, permettant de 166
faire lien, de rassembler, et permet d’établir le dialogue dans le but de revendiquer et de contester des régimes dictatoriaux. Le vent de révolte insufflé en Tunisie s’est ensuite répercuté dans de nombreux pays.
Les murs que nous venons d’aborder sont donc générateurs de liens et abordent un aspect réconfortant pour l’homme. Contrairement à d’autres murs sombres observés en première partie, plongeant les hommes dans l’ombre et le désespoir, ceux-ci nous éclairent et mettent en lumière des périodes phares de notre passé, nos aspirations futures, nos souhaits d’espérance et notre volonté d’un monde à venir plus juste. Le mur comme support d’expression s’offrant aux citoyens du monde ne se limite pas aux murs-manifestes et aux murs Facebook. Mais alors, quels sont-ils ? Quelle est la démarche de ces artistes ayant choisi les murs comme toile d’expression ? Comment leur donnent-ils la parole ?
1 Les réseaux sociaux, nerfs de la guerre du Printemps arabe [en ligne]. Leparisien.fr. [14/06/2013]. [Consulté le 24/11/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.leparisien. fr/flash-actualite-monde/les-reseaux-sociaux-nerfs-de-la-guerre-du-printempsarabe-14-06-2013-2896037.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.fr
167
[ Image tirĂŠe du film Human, de Yann Arthus Bertrand, 2015 ]
c Quand les artistes s’emparent des murs du monde comme d’un support d’expression Le mur devient parfois une paroi sur laquelle on laisse une trace de son passage, on s’exprime, ou dépose un message, à l’image 168
de ces murs de mémoire, murs-manifestes et mur Facebook que nous venons d’aborder. Sa surface verticale appelle l’imaginaire de l’homme à la projection et la représentation, comme le ferait la toile vierge face au peintre s’apprêtant à lui donner vie. La peinture rupestre : ces murs porteurs des plus anciennes traces d’Art
On a découvert dans la grotte de Cosquer à Marseille, l’empreinte d’une main datant de plus de 27 000 ans, composée à l’aide de pigments et d’ocres. Les murs des grottes de Lascaux sont un autre exemple où cette fois, animaux, silhouettes
humaines
et
parfois
même
créatures
hybrides tout droit sorties de l’imaginaire de l’homme s’inscrivent, révélant les représentations graphiques les plus primaires qu’il nous a été donné de voir. À travers ces peintures rupestres, nous pouvons admirer les premières traces d’expression, volontairement laissées par nos ancêtres, et ainsi observer les interprétations qu’ils se faisaient de leur environnement et des créatures avoisinantes. L’histoire nous
prouve que, depuis la nuit des temps, l’homme s’approprie l’espace en prenant possession des murs et en y déposant l’empreinte de son passage. L’homo sapiens se définit d’ailleurs en partie à travers cette compétence : il devint un être capable de se représenter et de traduire graphiquement le monde qui l’entourait, se différenciant ainsi du monde animal. Il projeta et magnifia le monde réel. Utilisant le mur naturel des grottes comme un support, il concrétisa en image fictive ce qu’il avait mentalement visualisé. Le mur peint serait donc la plus antique des manifestations artistiques, et l’environnement extérieur, la source d’inspiration la plus primaire dont l’homme s’empara.
[Peinture rupestre datant de 27 000 ans, Grotte de Cosquer ]
169
De l’Antiquité à la Renaissance : les fresques, témoins et supports d’histoires
Les murs, à travers leurs peintures, leurs agencements et leurs architectures deviennent une véritable clé de compréhension lorsqu’il s’agit de restituer l’histoire d’une civilisation. Ils accompagnèrent l’homme au fil de son évolution, et sont désormais l’un des principaux supports sur lequel les archéologues s’épanchent pour comprendre et reconstituer notre passé. En effet, des vestiges antiques grecs, romains ou encore égyptiens conservent de nombreux restes de fresques murales, ayant su traverser les âges. Les hommes y représentaient leurs mode de vie, leurs aspirations, leurs histoires, leurs croyances… Qu’ils soient de maisons ou de temples, intérieurs ou extérieurs, les murs recouverts de peintures avaient une fonction narrative : « Les grottes de Mogao, en Asie centrale, racontent les routes de la soie, les palais mycéniens illustrent la Grèce antique, les fresques de Pompéi l’art de vivre romain, les 150 peintures des tombes de Tarquinia, la 170
civilisation étrusque…1» Aujourd’hui encore, des peuples utilisent le mur comme support de transmission entre les générations, à l’image des Warli, peuple analphabète indien qui retranscrit son savoir et ses croyances au travers de fresques ornées de symboles et de figures, réalisées en pâte de riz diluée dans de l’eau et de la sève2. « On pourrait tout aussi bien citer les peintures des aborigènes australiens, celles des femmes ndébélé d’Afrique du sud…3 »
[Peinture retrouvées dans la 1 Le mur peint dans l’Histoire. A-fresco.com. [Consulté le 12/12/2015]. Disponible à grotte de Mogao en Chine ] l’adresse : http://www.a-fresco.com/pages/histoire.html 2 Ibid. 3 Ibid.
a fresco
[ Peintures déclouvertes dans un temple Mycélien ] 171
[ Peintures murales retrouvées dans les ruines de Pompéi ]
[ Fresques retrouvées dans la ville de Tarquinia en Italie ]
De nombreuses peintures murales ont également été retrouvées sous terre, dans les sépultures. Le mur, se dressant face à la tombe tel un miroir, renvoyait aux vivants l’image du disparu, conservant ainsi sa présence en ce monde. Écrire, inscrire, dessiner sur les murs détient cette fonction, identique à celle rencontrée lorsque nous avons abordé les murs de mémoire : perpétuer le souvenir. Depuis toujours, l’homme semble ressentir le besoin inéluctable de laisser une trace de son passage sur terre. En s’emparant des murs comme surface de projection et de représentation de sa réalité, il laisse derrière lui une marque physique de son existence, un témoin de son identité. De ce fait, le mur serait aussi une manière de rassurer l’homme face à l’idée de la mort. Figé et solide, l’homme projette en lui sa volonté de perdurer face au temps. C’est peut-être en cela que, depuis ses débuts, ce dernier n’a cessé de construire, déconstruire et reconstruire son espace et son temps, cherchant à contrôler des éléments qui inévitablement lui échappent. Être éphémère, qui, tout 172
au long de sa vie, cherche à bâtir son identité sur des fondements, l’homme se sent soudain envahi par la peur que tout s’écroule lorsque ces derniers sont menacés. Le mur nous aiderait donc à surmonter certaines de nos peurs les plus enfouies : celles de la mort et de l’oubli, que l’on associe au néant et au chaos. Somme toute, le mur résisterait face à ce retour à l’indistinction que nous redoutons tant. Les murs peints, à travers les époques, ont su retranscrire de nombreuses pages de notre Histoire. L’homme s’est emparé du mur tel une toile de projection, dont les modes d’expressions et les fonctions n’ont cessé d’évoluer, à l’image de son créateur. Certains, comme ces murs médiévaux révélant les passages de la Bible, permettaient de communiquer à la sphère publique, ici illettrée, une doctrine, des croyances. D’autres, à l’issue de commandes passées par la haute société auprès de grands maîtres de la peinture de l’époque, devenaient le support de fresques1 admirables, symbole de richesse et de pouvoir. On pourrait ici citer les murs de La chambre des époux, à Mantoue, 1 Définition. Fresque. Larousse : Technique de peinture murale caractérisée par l’application sur enduit frais de pigments de couleur détrempés à l’eau.
[ Peintures muralesornant les habitations du peuple Warlin ]
173
[ Peintures aborigènes sur les maisons du village ]
[ Peintures murales colorĂŠes sur les cases crĂŠes par les femmes Ndebele en Afrique ]
investis dans leur entièreté par le virtuose Andrea Mantegna. Véritable prouesse esthétique du XVe siècle, cette pièce devient une œuvre à part entière, saisissant le spectateur par le sens du détail et le réalisme qui émanent de ses murs. Le mur sera ainsi, au fil des époques, sublimé par toutes sortes de parures : fresques, trompe l’œil, mosaïques, moulures, niches… Les possibilités qu’il offre semblent illimitées. La fonction du mur peint fût elle aussi explorée à des fins extrêmement riches et variées : support à l’Art, à l’empreinte identitaire, à l’endoctrinement, à la décoration, à la publicité ou encore au renseignement, cet objet biface révèlent finalement une infinité de facettes. [ La chambre des époux à Mantoue, réalisée par le prodigieux Andrea Mantegna ] 174
Quand l’espace public devient un musée à ciel ouvert
Les peintures pariétales abordées précédemment, à l’image de ces gravures délivrant des messages d’amour ou de haine - d’ordre privé ou public - découverts dans les ruines de la Grèce Antique, sont les premières manifestations du graffiti. Depuis les années 90, ce dernier s’est
largement démocratisé et banalisé
aux yeux de la société contemporaine. Le terme graffiti nous vient du latin, graffito, signifiant stylet. Il est usité pour désigner toutes sortes d’inscriptions murales : des messages personnels, de révoltes ou encore des slogans politiques. Le graffiti prend la forme de dessins, de calligraphies ou encore de symboles, et le mur, lorsqu’il s’y adonne devient une véritable surface de communication. La majorité des murs que nous venons d’aborder furent peints en intérieur, à l’abri des intempéries, et c’est en partie grâce à cela qu’ils survécurent au travers des âges, nous permettant à notre tour de les découvrir et d’appréhender les récits qu’ils retraçaient. L’histoire des façades peintes en extérieur et envahissant l’espace public prit un nouveau tournant au Mexique, dans les années 1920. Dans un contexte d’importantes réformes sociales, les politiques s’emparèrent des murs des villes pour délivrer au plus grands nombre leurs messages, faisant appel à des artistes locaux de renommée, tels que Diego Rivera. Au sortir de cette sombre période coloniale, la naissance de ce mouvement artistique, le muralisme mexicain, tend à offrir à tous l’accès à l’histoire du pays. Les murs deviennent un support indispensable à la mémoire et à la reconstruction identitaire du peuple mexicain. Le phénomène se déportera rapidement aux États-Unis, où les ghettos de New-York deviendront l’une des principales scènes d’expérimentation. La bombe aérosol apparaîtra dans
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les années 60, entraînant un réel engouement autour de cette discipline. La culture du graffiti s’unit à la culture Hip-Hop pour réinventer un langage et un art de la rue. Les sociologues et la presse reconnaîtront et porteront naturellement de l’intérêt à ces nouveaux mouvements d’expression sociale. Par le biais du graffiti, on clamera des revendications concernant des causes sensibles telles que la pauvreté, les drogues, les violences ou encore le sida. D’autres artistes, tels que JULIO 204 ou TAKI 183 répandront leurs blazes1 (ici leur nom suivi de leur numéro de résidence) à travers tous les murs de la ville, allant jusqu’à déposer leurs tags2 1 Définition. Blaze. Larousse : Signature d’un graffeur. 2 Définition. Tag. Larousse : Graffiti tracé ou peint, caractérisé par un graphisme proche de l’écriture et constituant un signe de reconnaissance.
[ Fresque Detroit Industry, Diego Rivera, Mexique, 1933 ]
dans les rames de métros, les exportant ainsi au-delà des frontières de leurs quartiers. Beaucoup verrons au travers du graffiti un acte de vandalisme3 gratuit où l’artiste dégrade volontairement les biens publics. L’art urbain permet ici de revendiquer son identité propre, sa singularité, sa marginalité, sa différence, raisonnant comme un cri existentiel, loin des contraintes imposées par les canaux officiels et les institutions de l’Art. On cherche à questionner la notion de propriété privée en se réappropriant et en empiétant l’espace public. Ce terrain de jeu ouvre alors des perspectives impétueuses : « Aucune sélection, aucun réseau d’influences, aucune loi économique, aucun 3 Définition. Vandalisme. Larousse : Comportement de celui qui détruit ou endommage gravement et gratuitement des œuvres d’art, des objets de valeur, des édifices publics, etc.
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178 [ Graffiti du blaze de JULIO 2014 ]
[ TAKI 183 en pleine action ]
conservateur ne sont là pour opérer une sélection et dire quelles œuvres méritent ou non d’être exposées1. » Dans la rue, l’illégalité du geste permet d’exposer de manière émancipatrice l’affirmation de son existence et de ses pensées. Mai 68 nous offre un autre contexte marquant, où le graffiti prit une ampleur considérable et valorisée en France. Intellectuels et citoyens lambdas usèrent des murs parisiens pour prendre la parole sans retenue, sans filtre, sans autorisation, à travers des slogans évocateurs : « L’agresseur n’est pas celui qui se révolte mais celui qui réprime », « Il est interdit d’interdire de dire », « Jouissez sans entraves », « Sous les pavés, la plage »... La rue, lieu de visibilité
optimale, devient le support d’expressions et de cris de révoltes, dans lequel chacun est libre - à ses dépens - de devenir un acteur engagé. Le Mur de Berlin sut mettre en valeur le graffiti, qui des années durant, fut considérer comme étant l’œuvre de vulgaires voyous et marginaux. En effet, jusqu’à la fin des années 90, le graffiti subissait une réprobation générale et les autorités sanctionnaient sévèrement ces actes rebelles. Avec la chute du Mur, les regards évoluèrent, comme le soulève Philippe Heroux : « Les graffitis du mur de Berlin ont aussi accrédité l’idée que les graffitis pouvaient parfois avoir une réelle légitimité : on vient du monde entier pour taguer des slogans libertaires sur le versant ouest du mur de Berlin2. » Et pour preuve, ce mouvement s’incorpore dorénavant à la sphère de l’Art contemporain, questionnant, repoussant, provoquant ses limites. Des artistes légendaires tels que Jean-Michel Basquiat ou Keith Haring, dont la volonté commune était d’offrir l’Art à la portée de tous, se retrouvaient aussi bien exposés dans les plus grandes galeries que sur les murs des rues et des métros newyorkais. Bousculant les codes établis, l’Art du graffiti est parvenu à faire tomber les barrières entre le monde fermé de l’art (galeries, musées) et le monde de la rue. À ce titre, le journaliste Gilles de Bure 1 HEROUX Philippe, Le mur de Berlin et le Street Art. [En ligne]. Disponibles à l’adresse : http://heroux.philippe.perso.sfr.fr/Le%20Mur%20de%20Berlin%20et%20 le%20Street%20Art.pdf 2 Ibid.
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[ Slogans aux airs de rĂŠvoltes sur les murs de Paris en mais 68 ]
from PARIS
[ Fresques et graffitis sur peint de Berlin, 1989 ] [ Personnages colorÊs de Thierry Noir, l’un des artistes les plus engagÊs et actifs sur le mur de Berlin ]
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[ Mauer Kunstmaler, artiste peintre berlinois devant le mur peint de Berlin, 1989 ]
from berlin
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basquiat & keith haring [ Basquiat, alias SAMO lorsqu’il graffe les rues new-yorkaises ] [ Piece Par Jean Michel Basquiat - New York City (NY) ] [ Jean-Michel Basquiat and Keith Haring, 1987 ] [ Keith Haring dans le mÊtro new-yorkais ]
from new york city
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souligne ces nombreux facteurs que le graffiti questionne : « Tous les concepts de création collective, de participation, d’implication sociale de l’art, de rôle de l’artiste dans la société, d’expression populaire, de civilisation et d’universalité de l’image sont contenus dans ces incidents urbains1. » La rue devient alors un territoire composite, favorisant la mixité, l’ouverture d’esprit, et l’émulation créative. Le graffiti aurait-il finalement permis une certaine démocratisation de l’Art, devenant l’Art « du peuple, par le peuple, pour le peuple » ? Le Street Art, ou l’Art engagé du XXIe siècle : « hors-les-murs » et « hors-la-loi »
En 2000, une vague de jeunes artistes ayant grandi dans la culture du graffiti, se réapproprient les codes de cette discipline jusqu’ici établis, en y incorporant les nouveaux supports ayant marqués le passage dans le second millénaire. Ainsi, grâce aux outils tels que l’ordinateur personnel ou Internet, l’Art urbain évolue, surpassant 184
de nouvelles barrières, aussi bien graphiques que médiatiques. Le graffiti évolue et se voit détourner par ces artistes innovants. Revisité, il donnera alors naissance à une nouvelle forme d’art : le Street Art. Les street-artistes font le mur et transgressent les frontières du permis et du conventionnel en s’emparent à leur tour des murs de nos villes pour s’exprimer face au plus grand nombre. Les parois des rues ont leurs histoires, leurs aspérités, leur caractère, que ces derniers cherchent à révéler, défaire ou contester au travers de leurs œuvres. Nous allons ici vous présenter cinq street-artistes des plus connus, dont le message, propre à chacun, prend vie à travers une démarche et une technique particulières.
Certains artistes, comme le précurseur Brassaï, verront dans le mur la force inventive que celui-ci invoque, opportun aux rêveries et aux projections de notre imaginaire. Ce dernier, transporté par l’aspect « vivant » du graffiti, devint le photographe des murs 1 Le mur peint dans l’Histoire. A-fresco.com. [Consulté le 12/12/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.a-fresco.com/pages/histoire.html
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[ Photographies de graffitis parisiens de Brassai, 1930-1950 ]
graffitis. laisser une trace de son passage
de Paris, s’amusant à rendre compte de ce jeu collectif où chacun apporte son geste pour créer, à partir d’une marque anodine, des symboles et des visages. Sans rien y ajouter, ni rien en retirer, il sélectionne le cadre de son œuvre avec l’objectif de son appareil photo, immortalisant et révélant les tâches, les craquelures, les fissures et les entailles volontaires ou fortuites des murs. Comme l’explique l’article Quand les artistes font, défont, refont le mur1, des artistes ont eux choisi d’investir ces tâches pour inviter
les promeneurs « à entreprendre des voyages extraordinaires au creux de ce qui nous est le plus familier2. » Dans The 3rd world bath ou Hunters, le plus célèbre des street-artistes, Banksy,
recontextualise les parties détériorées du mur en les complétant par ses pochoirs noirs et blancs, créant des situations dérangeantes ou grotesques qui poussent le passant à s’arrêter quelques instants. Ce dernier, à travers ses réalisations mondialement reconnues (qui jouent avec la plastique des murs, leurs situations 186
géographiques et politiques, ou les éléments et mobiliers urbains qu’ils comportent) parvient à révéler du sens profond en provoquant l’intérêt de son spectateur par le rire, la dérision et l’humour noir. Ernest Pignon-Ernest, pionner de l’Art urbain en France, cherche également à travers ses collages d’affiches à transmettre un message subversif, mais de manière plus douce, poétique et suggérée que son confrère anglais. En effet, il y a dans son travail quelque chose de sacré, effleurant le mystique, le religieux. En accolant des silhouettes réalistes de personnages connus ou anonymes esquissées à la pierre noire, il réveille les histoires passées retenues aux creux des murs du monde entier. On dit de cet artiste qu’il procède tel un « "révélateur", au sens photographique du terme, comme s[‘il] appliquait « simplement » une solution révélatrice sur le mur afin de faire advenir les présences spectrales qui hantent les lieux3. » Il fit par exemple dans les rues de Naples une installation dévoilant la vierge défunte 1 ESCORNE Marie, Quand les artistes font, défont, refont le mur, Murs et frontières, Hermès, 2012, CNRS Éditions, n° 63, page 183. 2 Ibid. 3 Ibid., page 186.
[ The 3rd world bath, Banksy ]
[ Hunters, Banksy ]
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[ La mort de la viierge, Ernest PignonErnest, Naples ]
[ Antonella, Ernest Pignon-Ernest, Naples ]
du célèbre tableau de Caravage, La Mort de la Vierge - dont il s’inspira ici en prenant pour modèle une jeune prostituée du quartier. Ayant ôté les personnages originels entourant et pleurant la disparue, l’artiste choisit d’afficher sa représentation « solitaire » sur un mur devant lequel chaque jour, deux vieilles dames prenaient place pour vendre leurs babioles dans la rue. Cette contextualisation de cohabitation entre personnages réels et fictifs donna vie au dessin, renforçant la symbolique de ses traits. Quelques années plus tard, Ernest PignonErnest retournera à cet endroit, apprenant alors que l’une des deux « gardiennes » de sa vierge, à l’image de cette dernière, décéda. C’est ainsi qu’il réalisera le portrait de ladite Antonietta sur ce mur qui, des années durant, s’assimila à la présence quotidienne de cette dernière. Ainsi donc, à travers ses figures fantomatiques, Ernest Pignon-Ernest fait perdurer la mémoire de ces hommes et de ces femmes qui marquèrent des lieux par leur empreinte et leur existence. Par sa sensibilité et sa poésie picturale, l’artiste 188
inculque au passant le don de savoir observer le monde qui l’entoure. Invitation à un voyage urbain, mais avant tout humain.
Le français JR, maniant l’Art de la photographie en noir et blanc et l’impression géante mieux que quiconque, a mis au cœur de sa démarche l’être humain et l’identité propre à chacun. Il appelle à la reconnaissance et la rencontre de l’Autre et de soi. Avec le monumental Inside out Project, les citoyens du monde deviennent les acteurs de son art universel : naît alors le plus grand projet collaboratif et participatif jamais crée ! L’artiste propose de tirer le portrait photographique de volontaires des quatre coins de la planète. Ceux-ci reçoivent alors gratuitement sous forme d’affiches grand format leur visage et ont pour mission de les placarder sur les murs de leur ville, afin de délivrer des messages ou des histoires qu’ils souhaitent partager sur leur communauté et ses habitants. En 2005, il décide de s’attaquer au mur politique israélopalestinien avec son projet Face 2 Face. Bien que voisines, ces deux communautés séparées par le lourd rideau de béton ne se voient plus.
[ Women are heroes, Toits du village de Kibera Nairobi au Kenya, JR, 2008 ]
jr
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[ Inside Out Project, JR, PanthĂŠon, Paris ] [ Inside Out Project, JR, Italie ]
190 [ Face 2 Face, JR, mur israĂŠlopalestinien ]
face 2 face
L’artiste ayant pu constater les similitudes les reliant malgré tout, les observe comme « des frères jumeaux élevés dans des familles différentes1. » Son projet cherchera à montrer ces ressemblances en rapprochant en « face à face » des hommes et des femmes exerçant le même métier de chaque côté du mur, au travers de portraits focalisant en gros plan leur visage « mimant la manière dont chacun pense que « l’autre » le perçoit2. » Ils seront ensuite collés sur les deux faces du mur, mais aussi dans des villes telles que Jérusalem ou Bethléem : JR communique un message humaniste en faisant tomber les barrières des préjugés, son art tente de rétablir la paix et le dialogue au travers de sourires et de regards sincères. Enfin, cet art éphémère qu’est le Street-Art nous rappelle également notre vulnérabilité. Les réalisations conçues dans les espaces publics et extérieurs sont à la merci des malintentionnés et des intempéries. Contrairement aux œuvres dans les musées que l’on cherche à conserver, à restaurer et à pérenniser, celles-ci jouent de leur précarité. L’altération fait partie du processus, et lorsque l’œuvre disparaîtra, quelqu’un sera là pour redonner la parole au mur. La démarche de l’artiste Vhils nous parle de ces paramètres de temps, d’instabilité et d’impermanence subis par les murs : au fil des années, ils se décomposeront fatalement ou seront détruits volontairement. « Il nous dit que si le monde est éternel et l’espace infini, l’être humain, lui, ne perdure pas3. » Alors plutôt que d’ajouter une couche en affichant ou en peignant, l’artiste innove en retirant la matière pour mieux la révéler. Nommant son procédé Scratching the surface4, il grave et sculpte des visages sur la paroi des murs jusqu’ici abandonnés, leur offrant ainsi une nouvelle identité : « Ses œuvres montrent la relation étroite entre la ville et ses habitants, comment la ville façonne ses habitants et comment les habitants sculptent la ville5. » 1 JR, Face 2 Face. [En ligne]. Disponible à l’adresse : http://www.jr-art.net/fr/projets/ face-2-face. 2 ESCORNE Marie, op. cit., page 186. 3 Ibid., page 23. 4 « Gratter la surface » 5 FARTO Alexandre, aka Vhils, Entropie, Paris, Alternative, 2014, Arts urbains, résumé en quatrième de couverture.
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[ Diverses oeuvres de l’artiste Vhils, qui exerce un travail tout à fait particulier dans les rues du monde entier. Il nomme sa technique « Scratching the surface ». C’est au marteau piqueur qu’il s’attaque aux parois de béton, en faisant ressurgir des visages expressifs. ]
vhils
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Le Street-Art est bien souvent la traduction d’une expression contestataire se reflétant sur les murs de nos villes, et trouvant répercussions dans nos consciences. Ces discours visuels impactants luttent contre l’omniprésence de la publicité dans notre société de surconsommation, les abus politiques et la guerre, la pollution et l’environnemental malmenés, l’oubli et l’ignorance. Prônant la liberté d’expression, c’est une façon pacifique mais engagée pour agir. C’est donc un art activiste et effronté, qui n’hésite pas à lever le voile sur certaines vérités humaines occultes, bien souvent étouffées ou censurées par nos médias. Cependant, le Street-Art existe avant tout pour sa dimension esthétique, sa capacité à plaire et à toucher le public qui le regarde. Ainsi, la censure se fait naturellement : « Porteur d’espoir et de justice, il suggère mais n’impose rien1. » C’est un art tout en finesse et en subtilité, qui, en embellissant les murs de nos rues, cherche à poser un regard bienveillant et humaniste sur notre monde. Il s’élabore certes dans un contexte d’illégalité, mais son message final est une invitation au respect : respect de l’homme, de la nature, de la ville. Le Street-Art est devenu une forme d’expression répandue dans le monde entier, et sans précédent ! En effet, on ressent un véritable essor de cet art transformant la rue en un lieu culturel : une très forte demande, venant aussi bien des artistes que des spectateurs et une volonté grandissante de partage s’articule autour de ce dernier. Il donne la parole aux murs du monde et marque sans aucun doute notre époque par son empreinte expressive vitale et libératrice.
1 Ibid., page 27.
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Dans cette troisième et dernière partie, nous avons abordé les murs qui s’adonnent à devenir des surfaces de communication entre les hommes. Dans un premier temps, nous avons pu constater que le mur, lorsqu’il opprime et se base sur des fondements inégalitaires, finit souvent, déséquilibré, par s’écrouler sous les coups de pioches d’un peuple révolté. Le mur appelle à sa propre subversion et transgression, il est un moteur au changement évolutif et positif, ainsi qu’au surpassement de nos propres limites. En effet, autour du mur s’articulent l’appel de l’Autre, de l’étranger, et d’un monde meilleur, qui, nous avons pu le constater, seront toujours les plus attractifs. Le mur devient parfois une surface sur laquelle l’homme se projette et s’exprime. Sa fonction séparatrice laisse alors place au rassemblement. Les murs de mémoire, murs-manifestes et murs Facebook que nous avons abordés opèrent tel des traits d’union : ils génèrent du lien et le dialogue. Enfin, par un détour historique, nous avons pu faire ressortir les principaux repères dans lesquels l’histoire
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de l’homme et son expressivité face au mur s’inscrivent : les peintures rupestres sont la plus antique des manifestations artistiques qu’il nous a été donné de voir à ce jour. Au fil du temps, l’homme n’a cessé de faire évoluer cette pratique pariétale1 -l’accompagnant dans sa propre évolution. S’emparer du mur comme d’une toile d’expression permet à ce dernier d’écrire la page de son histoire : les fouilles archéologiques nous l’ont prouvé, cette expérimentation fut commune à la quasi-totalité des civilisations de ce monde. Le graffiti et le StreetArt réitèrent ces gestes ancestraux, mêlant l’esthétisme au corps social, dans le cadre de vie urbain de l’homme moderne, bousculant les frontières entre permis et interdit, entre monde ouvert de la rue et monde fermé de l’Art, entre citoyen lambda et artiste engagé, entre mur ordinaire et mur d’exception. Ce support ubiquiste n’a de cesse d’alimenter la créativité et l’imaginaire de l’homme, qui joue de sa matérialité pour repousser ses limites. 1 Définition. Pariétal. Larousse : Se dit du décor (peinture, sculpture, etc.) d’un mur, d’une paroi.
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BI
FA C E
conclusion Nous avions posé la question initiale suivante : Comment le mur devient-il une surface de communication et d’échange plutôt qu’une fracture entre les êtres humains ? Afin de répondre à cette problématique, notre mémoire a abordé le mur au travers d’un champ d’étude volontairement large et ouvert, appréhendant au mieux les clés de compréhension de ce sujet captivant. Passant par divers espaces et diverses époques, nous avons tenté de proposer un aperçu des relations et des interactions qu’établissent les hommes entre eux au sein de communautés, ainsi qu’avec leur environnement. Débutant notre réflexion
par l’origine même du terme, nous constations
l’ambiguïté que celui-ci renferme. Nous nous sommes intéressés aux murs réels et matériels, avant d’élargir le sujet aux murs mentaux et symboliques. Qu’il soit tangible ou invisible, nous avons compris que le mur est un espace ambivalent, ne se réduisant pas à la simple action de séparer.
Dans la première partie de notre réflexion, nous avons ainsi révélé, par des exemples marquants, combien l’utilisation de murs séparateurs au sein de nos espaces géopolitiques est devenue un non-sens dans bien des cas. Exacerbant les violences et les haines, les inégalités et les flux migratoires clandestins, ces pans dressés entre les hommes sont révélateurs de notre difficulté à trouver des solutions pérennes et efficaces face à une mondialisation destructrice et des conflits humains circonscrits mais non-réglés. Tel un surligneur, le mur comme outil politique ne fait que mettre en évidence les lignes sombres de notre Histoire. S’il est omniprésent dans la cartographie mondiale et l’Histoire humaine, le mur l’est aussi à une échelle moindre, comme nous l’avons vu en second plan. En effet, on l’utilise quotidiennement, afin de structurer et d’organiser nos espaces et notre environnement. Garant de l’intimité, il devient non pas la négation de l’homme libre, mais bien au contraire la clef de sa construction personnelle et
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profonde. Que ce soit dans les enveloppes biologiques qui rendent la vie possible et florissante, ou dans les cocons rassurants de nos maisons, nous observons que la vie sans enceintes closes et bien définies est vouée à sa propre destruction. Admettant donc que les murs ne sont pas que des éléments de destruction et de négation, nous en sommes venus, dans une troisième partie, à en faire émerger la facette éclairée et créative, génératrice de lien, faiseuse d’expressivité. Invitation à la rébellion et au combat, les murs politiques, à l’image du Mur de Berlin, ne font que geler et mettre en exergue un conflit. Loin d’être étanches et infranchissables, les murs sont la matérialisation de notre capacité immuable à dépasser les limites et refuser l’isolement, l’individualisme et l’inertie. En somme, franchir le mur est l’illustration physique de notre combat permanent pour notre don le plus précieux : notre Liberté. Le mur est ainsi devenu lieu de mémoire et de recueillement, érigé par les hommes non plus pour diviser, mais pour se rappeler et 198
rendre hommage. De plus, de nombreux artistes ont utilisé le mur comme support à leurs images, détournant cet élément architectural au travers de fresques, du Street-Art, d’anamorphoses qui le déstructurent comme l’explorent les travaux de Felice Varini ou de Georges Rousse, de jeux de lumières comme le font l’artiste Jenny Holzer ou des villes telles que Lyon lors de la Fête des lumières, de percées comme celles réalisées par l’artiste Gordon Matta-Clark ou encore de revêtements qui cachent pour mieux dévoiler, comme ceux accomplis par Christo, cet artiste qui emballe les murs de bâtiments colossaux. Autant d’exemples montrant le pouvoir expressif et inventif du mur ! Ces artistes semblent, de par leurs créations, proclamer « Je suis le mur ! », et transformer cet espace en reflet d’eux-mêmes. C’est là toute la beauté de l’acte créatif, qui rend l’homme libre puisqu’il sort de sa peau, laissant une trace de lui-même hors de ses murs inhérents, comme s’il n’était plus un simple être circonscrit, mais un vecteur de sens et d’esthétisme, parlant au nom de tous les hommes et proclamant leur liberté. Il en va d’ailleurs de même pour ce que nous laissons de nous sur
la toile informatique, bribes de nos existences et fragments de notre identité, chaque personne devenant une pierre de plus à cet édifice virtuel, et pourtant si unificateur. Véritable outil de communication, le mur Facebook est à l’image de notre époque ambivalente, capable du meilleur comme du pire.
Nous avons finalement pu découvrir, au travers de ces trois parties, que le mur protège et réfléchit à la fois, se faisant abri et reflet. Le mur est un agent double : il est tout autant séparation qu’union, division que fusion. Il contient ce que l’homme peut renfermer de bon comme de mauvais : sa capacité à rejeter et exclure son semblable, comme sa capacité à défendre sa liberté et ses valeurs humaines.
Le temps qui passe nous altère jusqu’à nous faire disparaître. L’homme n’a cessé de construire, déconstruire et reconstruire des murs statiques et figés, parsemant le monde de cicatrices et de vestiges qui sont autant de traces plus ou moins pérennes d’un passage éphémère sur Terre. À travers ces pans tracés dans le monde mouvant et le flux de nos vies, ne tenterions-nous pas de stopper la danse de l’univers, de son espace infini et de son temps illimité, par peur de notre propre mort, du retour à l’indistinction? Le mur ne serait-il pas finalement une réponse à notre crainte profonde du retour au néant, au chaos ? Le fait de délimiter ou construire ne renverrait-il pas à un désir de se faire Créateur ? La mythologie grecque décrit l’univers avant la création du monde comme un Cosmos constitué d’une matière informe, une sorte de magma caractérisé par la confusion et le mélange des éléments. Les religions, aussi variées soient-elles, éclairent les hommes en leur offrant, au travers de mythes, l’histoire fondatrice de l’Humanité. Un point commun les rapprochent toutes : le Tout naît de l’acte séparatif. L’historien des religions, philosophe et mythologue roumain Mircea Eliade, démontre à travers ses travaux sur la cosmologie1, que, de 1 Définition. Cosmologie. Larousse : Science qui étudie la structure, l’origine et l’évolution de l’Univers considéré dans son ensemble.
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tout temps, l’homme s’est évertué à différencier et discerner l’ordre du désordre, le cosmos du chaos, le sacré du profane. Ainsi, en conquérant, en structurant et en bâtissant l’espace (par le biais de murs), les hommes, à l’image de Dieu, deviennent les créateurs de leur monde. L’homme se rassure en tant qu’être rationnel, inscrivant son existence dans le contrôle et la maîtrise de son environnement. Cependant, comme l’illustre l’histoire de la Tour de Babel, à vouloir ériger trop et trop haut, à tenter d’égaler et de toucher au divin, celui-ci court à sa propre perte, et se voit punit de ses actes. C’est d’ailleurs ce que la situation actuelle nous rappelle… Nos actes ont fini par nous dépasser. Nous avons transposé la planète, par nature une et indivisible, en une mappemonde fragmentée. Nous en avons fait un immense puzzle, dont nous avons délimité chaque pièce par des cloisonnements étriqués. L’espèce humaine, poussée par sa volonté de dompter le monde et guidée par la peur de la mort, 200
en est à son tour devenue une unité morcelée, oubliant son essence : elle-même est une et indivisible, allant de pair avec la planète qui l’abrite. L’être humain a omis que, démunie de l’interdépendance, la vie n’est plus. Être au monde, c’est participer à cette mécanique qui régit notre univers : celle du recevoir/donner. Aveuglé par notre égocentrisme et notre croyance absurde à être l’espèce dominante de ce monde, nous avons fini par oublier la cohésion et la réciprocité au travers desquelles les éléments se connectent. Nous avons déréglé cette mécanique cohérente, et enrayé la symphonie et la chorégraphie autour desquelles la vie et les astres s’articulent. Nous avons imposé notre dualité, et de la sorte, imposé nos murs au monde tout entier ! Notre volonté d’accumuler nos biens, notre sentiment d’insécurité, notre faiblesse humaine à être contenus dans une prison de chair, n’ont eu de cesse d’augmenter le nombre de barrières. L’espèce humaine s’est organisée à travers le tribalisme, assouvissant son besoin d’appartenance à une unité, d’être regroupée, en sécurité et pourvue d’une identité. Afin de se rassurer physiquement et mentalement, elle a articulé son existence autour de règles et de lois, de croyances et de rituels. Sans cesse tiraillés entre le bien et le mal,
le permis et l’interdit, l’amour et la haine, nous sommes devenus des êtres partagés. Dans notre société occidentale d’ailleurs, le mur entre spiritualité et enveloppe corporelle continue d’empêcher d’accéder à un sentiment de sérénité et de bien-être profond. La nécessité de devoir revendiquer « Je suis de telle origine, de telle tribu, de tel sexe, de telle idéologie, de tel bord politique » a morcelé l’homme, finissant par
démembrer l’unité de son espèce. Nous en avons créé et nous en créons encore des murs ! Mais paradoxalement, on cherche aujourd’hui avec la mondialisation, à supprimer les barrières interétatiques, ce qui contribue finalement à l’effacement de la diversité culturelle qui compose notre espèce, l’amenant peu à peu vers une monoculture. Pourtant, la diversité est synonyme de richesse et de beauté merveilleuses. Comme le dit Pierre Rabhi : « On ne peut pas faire un tableau avec une seule couleur, on ne peut pas faire une symphonie avec une seule note. » La diversité est une nécessité qui se voit malheureusement étouffée par les murs que nous construisons, valorisant certaines cultures par rapport à d’autres, imposant la supériorité des uns face à la faiblesse des autres… L’un des murs les plus terribles est donc celui établit par le modèle culturel hégémonique et standardisé planétaire, qui éradique la spécificité culturelle des populations. Ce dernier, n’est plus vertical, mais horizontal, puisqu’il aplatit les reliefs de notre Humanité. Comment préserver nos spécificités et conserver ainsi la richesse collective de notre Humanité ? Comment faire admettre à l’homme que s’il souhaite prospérer, la réalité absolue se trouve dans l’universalité et non dans la division ? Comment décloisonner notre
monde
pour
permettre
l’ouverture
et
la
circulation,
tout en respectant les particularités de chacun ?
Nombre de ces murs ont finalement conduit l’homme à s’affranchit de sa Terre mère et de toutes autres espèces vivantes qui l’entouraient. Comment pouvons-nous prétendre à être exempt de la nature, alors que c’est elle-même qui nous
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compose et nous donne la vie ? Nous nous empoisonnons nousmême en ingérant ses flux - l’eau, l’air, la nourriture - que nous contaminons. En nous élevant au-dessus de tout, et en nous isolant de la nature, c’est notre propre nature que nous avons bafouée. Ces murs-là ne nous préservent pas, au contraire, ils nous poussent à la mort. Nous dépensons des millions dans l’industrie de l’armement, de la sécurisation et de la guerre. Construire de tels murs coûte très cher à l’humanité. L’homme semble avoir choisi de servir la peur et la mort, plutôt que la vie et l’ouverture au monde et aux autres.
Nous sommes actuellement en train de vivre une période charnière, gangrénée par une crise globale : menace terroriste, crise migratoire, écologique, économique, culturelle… Déséquilibrés et incertains, pris de vertiges par toutes ces horreurs qui ont rythmé cette année 2015, nous vacillons entre ouverture et fermeture, acceptation et rejet. Somme toute, nous nous retrouvons face 202
à une crise identitaire sans précédent, où l’homme a perdu ses repères, où la peur de l’Autre alimente les politiques du monde, où la montée des extrêmes engloutie dangereusement de plus en plus d’adeptes désabusés, où la valeur marchande prend le dessus sur les valeurs éthiques et humaines, où l’on encourt notre propre perte en détruisant l’écosystème dans lequel nous vivons… Il faut entrevoir cette crise comme une occasion pour nous de revenir sur notre passé, l’Histoire de notre Humanité et ses origines, nos propres racines et fondements. Dans ce mémoire, au travers du mur, nous nous sommes remémorés la longue histoire des affrontements, des luttes et des rivalités… mais aussi des réconciliations, des cohabitations et des réunifications. Le mur invite à repenser les ruptures et les continuités qui rythment nos vies d’êtres humains, et ainsi nous rappelle la complexité des rapports entre les hommes… Il nous questionne sur ce qui nous lie, nous rallie, ou nous délie de l’Autre, et force est de constater : Qui serais-je sans un semblable ?
Ce mémoire nous a permis de faire ressortir trois problématiques autour de différents domaines dégagés tout au long de cette réflexion :
Comment, en tant que designer, puis-je rétablir le
lien
entre
deux
communautés
séparées
?
CHAMPS D’ACTION : entre les visiteurs et le prisonnier dans les parloirs de prison ; entre deux communauté séparées par un mur politique, comme en Cisjordanie où le mur divise les israéliens et les palestiniens ; entre les enfants bulles - enfants vivant dans des chambres stériles en hôpitaux pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois - leur entourage et le corps médical.
Comment,
en
entre
individu
un
entourage,
tant
améliorer
que atteint le
designer, de
TSA1
rapport
à
puis-je, et
son
l´autre
?
CHAMPS D’ACTION : aider les enfants atteints de troubles autistiques et leur entourage à établir une mailleure communication, interaction sociale, et améliorer leur rapport à l’environnement et à l’Autre.
Comment, crée
un
dépasser
en
tant
surface les
que
d´échange
préjugés
et
designer, qui les
puis je
permette stéréotypes
de ?
CHAMPS D’ACTION : à travers un packaging, faire découvrir au consommateur de nouveaux mode de consommation : manger des insectes, bouleverser les habitudes alimentaires et culturelles ; lorsqu’un élève arrive dans une nouvelle école, comment l’intégrer et éviter le rejet ; le handicap ; aider les personnes illettrées dans leur quotidien en leur proposant d’autres interfaces que l’écrit, sur les produits achetés en supermarché par exemple.
1 Trouble du Spectre Autistique.
203
204
[ Anamorphose de Georges Rousse, France ]
205
[ Illusion d’optique, Orangerie du chateau de Versaille, Felice Varini, 2006 ]
Lenny Holzer 206
[ Projections lumineuses sur les murs et les façades de bâtiments.]
[ Projections lors de la Fêtes des Lumières à Lyon, 2014 ]
207
208
[ Building Break - Trought, Gordon Matta Clark ]
209
[ ÂŤ Wrapped Reichstag Âť, Christo, Berlin, Allemagne, 1971-1995 ]
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ENTRETIENS
BIBLIOGRAPHIE
GLOSSAIRE
" REMER / CIMENT "
entretien AVEC ...
JULIEN MALLAND ALIAS SETH
Julien Malland est un street artiste parisien. Diplômé de l’ENSAD, il débutera la peinture à la bombe aérosole au milieu des années 1990. C’est en combinant ses deux passions, le street art et les voyages, qu’il enrichit son univers. Julien sillonne les quatre coins du globe, à la rencontre de graffeurs et d’autochtones ! São Paulo, Rio, Santiago, Hong Kong, Tokyo, Sydney... l’artiste se qualifie de Globe Painter. C’est d’ailleurs ce qui donnera naissance à l’émission Canal + « Les nouveaux explorateurs », qui nous invite à découvrir les aventures humaines et créatives de ce street artiste nomade. Son univers, enfantin et poétique, nous invite à la rêverie et à l’évasion, embellissant désormais les rues du monde entier !
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COMMENT CHOISISSEZ-VOUS LE MUR SUR LEQUEL VOUS ALLEZ RÉALISER UNE CRÉATION ? QUEL MESSAGE CHERCHEZ-VOUS À VÉHICULER À TRAVERS VOS FRESQUES ? EST-CE POUR VOUS UNE MANIÈRE DE REVENDIQUER UNE CAUSE, UNE IDÉE ? COMMENT FAITES-VOUS « PARLER » LE MUR ?
Soit ce sont des murs qui me plaisent parce qu’ils se situent dans un endroit où j’ai des choses à raconter. C’est alors le lieu qui va me designer le mur sur lequel je vais peindre, pour sa situation géographique, ou sa dimension culturelle, sociologique, politique. La forme plastique du mur m’intéresse aussi, je considère sa forme, son aspect, sa texture. Sinon, lorsqu’on m’invite dans le cadre de festivals ou d’évènements, le mur m’est imposé, et je n’ai pas vraiment le choix. Je m’adapte alors aux choses que l’on me donne. Je joue donc avec le mur, sa configuration, sa matière. Je regarde s’il est en brique, s’il possède des fenêtres… Puis, je cherche à créer un 214
rapport, un lien entre mes personnages et ce dernier.
POURQUOI REPRÉSENTEZ-VOUS PRATIQUEMENT TOUJOURS VOS PERSONNAGES FACE CONTRE LE MUR ? ILS SEMBLENT SOUVENT PASSER DE « L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR », SANS QUE L’ON PUISSE DEVINER LEUR VISAGE, QUE CELA SIGNIFIE-T-IL ?
Si je représente mes personnages face aux murs, c’est pour que les gens qui regardent mes fresques puissent s’imaginer le visage de mes personnages. C’est eux qui imaginent si ces derniers sont contents, tristes, rêveurs… Cela me permet également d’avoir une interaction avec mes spectateurs. Je ne souhaite pas réaliser une simple image qui décrive quelque chose, mais offrir la possibilité qu’on puisse se l’approprier en imaginant ce que fait le personnage, ce qu’il est en train de regarder, ce qui se trouve de l’autre côté du mur s’il passe à travers celui-ci. Parfois, je réalise des personnages qui rentrent dans le mur, parfois ils regardent simplement autre chose. C’est pour essayer de développer l’imaginaire propre à chacun, et que les gens s’approprient en quelque sorte mon travail.
LE DÉPAYSEMENT ET LES VOYAGES TENDENT AUSSI À FAIRE TOMBER CERTAINS MURS, À TRANSGRESSER CERTAINES FRONTIÈRES : VOUS ÊTES GLOBE-PAINTER ET PARTICIPEZ À L’ÉMISSION CANAL + « LES NOUVEAUX EXPLORATEURS ». POUVEZVOUS M’EXPLIQUER CE TERME, AINSI QUE VOTRE DÉMARCHE ALLIANT VOYAGES AUX QUATRE COINS DU GLOBE ET STREET ART ?
J’ai réalisé un livre - il y a pas mal de temps déjà – qui portait ce nom de Globe-Painter. Cela fait référence à l’expression Globe-Trotteur. Moi, je voyage en peignant, je peins en voyageant. Canal + a ensuite repris ce terme pour l’émission à laquelle j’ai participé. Je me suis aperçu en voyageant que la peinture était un moyen de rencontre, de dialoguer, d’échanger avec les gens sur place. Que ce soit avec des artistes, des artisans, ou même avec des gens qui n’ont aucun rapport avec l’Art, je cherche dans tous les cas à peindre des choses qui leur parlent. Cela me permet d’apprendre sur les gens, et réciproquement, qu’eux apprennent sur moi. En 2003, j’ai réalisé un tour du monde, et au bout d’une semaine, je me suis vite aperçu qu’être touriste ne me plaisait pas forcement. C’est pourquoi par la suite, dans tous les pays où je me suis rendu, j’ai essayé de rencontrer les gaffeurs locaux, et de peindre. Ceci a changé ma vision du voyage.
QU’AVEZ-VOUS PU CONSTATER SUR LA PLACE QU’OCCUPENT LES MURS (ENVAHIS PAR LES STREET ARTISTES) DANS LES DIFFÉRENTES CULTURES ? ONT-ILS UN POINT COMMUN ?
Non. Il y a plein de manières de s’exprimer dans l’espace publique. Il y a ceux qui vont peindre leur nom, à l’image du graffiti où le gaffeur dépose son blaze. Il y en a certains qui délivreront un message politique, et d’autres peigneront dans les rues pour faire quelque chose de joli et se faire ainsi remarquer dans l’espoir d’un jour exposer en galeries. Il y a un million de manière de s’exprimer dans la rue, chacun ayant ses propres motivations. Personnellement, il y a certains mouvements dans le Street Art qui m’intéressent plus que d’autres et desquels je
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me sens plus proche. Il n’y a pas de choses communes qui relient toutes ces manières de faire, mise à part le fait de s’exprimer dans l’espace public. Il y a de nombreux endroits où je vais aussi, et où les gens ne peignent pas. En Afrique par exemple, le Street Art n’existe pas. Des gens vont peindre les murs de la devanture du coiffeur, du magasin… Au Sénégal ils peignent beaucoup pour le Marabout. C’est une toute autre manière de voir les choses ! QUELLE PLACE LE MUR A T’IL AUJOURD'HUI DANS L'EXPRESSION ARTISTIQUE ? PENSEZ-VOUS QUE LE STREET-ART A PERMIS UNE DÉMOCRATISATION DE L'ART ET UN MEILLEUR ACCÈS À LA CULTURE, « HORS-LES-MURS » ?
Oui bien sûr. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il y a énormément de gens qui s’expriment dans la rue. J’ai l’impression qu’il y a un véritable besoin de ça, venant aussi bien des spectateurs que des artistes euxmêmes. C’est aussi une manière, pour beaucoup des artistes, de 216
s’exprimer sans passer par les galeries et les institutions. En effet, de nos jours, il est extrêmement difficile d’entrer dans les galeries et les musées. Le Street-Art est donc pour eux un moyen de les contourner et de s’exprimer de manière plus libre. Au départ, beaucoup d’artistes de rues ont commencé avec le graffiti. Il n’y avait pas de Street-Art à ce moment, il n’existait pas encore. On ne pensait d’ailleurs pas qu’on allait, grâce à cela, gagner de l’argent et entrer dans des galeries. On faisait ça pour s’éclater, c’est tout… C’était notre passion de s’exprimer sur les murs ! Certains se sont ouverts, sortant du graffiti pur, de ses codes, des lettrages etc. Ils s’en sont éloignés, peu à peu, pour que leurs univers puissent parler à un plus grand nombre. C’est ce qu’on a appelé le Street-Art. Mais pour moi, finalement, le terme de Street-Art veut tout et rien dire à la fois. C’est comme lorsque l’on parle de peinture à l’huile ou de sculpture : il existe d’innombrables manières de les travailler. La sculpture par exemple peut être une installation, du détournement d’objets, elle peut employer de la peinture, du collage… C’est la même chose pour le Street-Art : ce n’est un mouvement artistique mais un médium (dans lequel s’inscrit différents mouvements). Et il y a tellement de façon pour s’exprimer
avec qu’il est un peu compliqué de le définir. COMME LE DIT STÉPHANIE LEMOINE DANS LE LIVE L’ART URBAIN – DU GRAFFITI AU STREET ART : « LA RUE A TOUJOURS ÉTÉ LE TERRAIN D’EXPRESSION PRIVILÉGIÉ DE L’ACTIVISME. » VOTRE LIBERTÉ D’EXPRESSION PASSE-T-ELLE PAR L’ILLÉGALITÉ DU GESTE ET DE L’ACTE ?
Pour certains je pense, oui. Pour moi non… Quoique, plus ou moins, cela dépend ! Je ne considère pas avoir un travail qui implique énormément de libertés, dans le sens où plastiquement, mon travail n’est pas hyper intéressant lorsqu’on le compare aux travaux d’un grand peintre par exemple. Je m’exprime d’une manière simple et très efficace. Pour certaines de mes réalisations en effet, ma liberté passe par l’illégalité du geste. Personnellement, j’essaie de toucher les gens d’une manière douce, c’est-à-dire de parler, mais pas en étant agressif. Il y a des gens qui ne vont donc pas comprendre le côté subversif de ce que je vais faire. Par exemple, quand je vais en Chine et que je travaille dans les quartiers en destruction, je vais faire mes petits personnages « mignons » : mon travail parle ici de la destruction, et évoque ce qui est en train de se passer en Chine. Mais d’un autre côté, ce n’est pas agressif. À travers ce projet, certaines personnes verront simplement des petits personnages mignons, et ne comprendrons pas le rapport entre ce qu’il y a là, autour d’eux, et le personnage que j’ai mis en scène spécifiquement dans cet endroit. D’autres le verrons. Dans cette situation, je n’ai bien sûr pas d’autorisation. Dans les quartiers en destruction, cela n’aurait aucun sens ! Par contre, lorsque l’on me demande de faire un grand mur, dans ce que l’on appelle aujourd’hui les festivals Street-Art, les gens ne vont pas dessiner un type en train de se découper, avec du sang partout, ou des choses comme ça : on crée des fresques pour faire des choses qui plaisent aux gens autour. La censure se fait toute seule. L’illégalité pour exprimer ce que l’on veut, pour certains est un moyen d’activisme. Par exemple, pour ceux qui lutte contre le pouvoir de Poutine en Russie et qui réalisent des fresques là-dessus, l’acte se fera de manière illégale.
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Bien entendu, s’ils demandaient l’autorisation au gouvernement, ils ne pourraient pas le faire. En France par contre, contrairement à ce que l’on peut croire, il est très compliqué de peindre. Peindre un mur nécessite un tas d’autorisations, et tu ne pourras jamais faire ce que tu veux : c’est pour cela que le travail devient illégal ! Mais finalement, pour certains street artistes comme Banksy, la ville devient un terrain de jeu ouvert où il peut faire ce qu’il veut, depuis qu’il est devenu extrêmement connu. IL ME SEMBLE QUE LES STREET-ARTISTES FORMENT UNE SORTE DE COMMUNAUTÉ : ON VOIT SOUVENT DES FRESQUES COLLECTIVES, RASSEMBLANT DIFFÉRENTES PERSONNALITÉS. CONSIDÉREZ-VOUS LE STREET-ART COMME « L'ART DE FAIRE ENSEMBLE », DE COMPOSER EN GROUPE ?
Oui, cela s’est toujours fait dans ce que l’on appelle Street-Art. Cet esprit collectif nous vient du graffiti où l’on peignait les murs ensemble, 218
mélangeant nos différents styles. Nous sommes assez ouverts au travail en groupe, contrairement aux artistes contemporains qui sont, je le pense, beaucoup plus fermés sur leur univers. Chez les street artistes, il y a cette envie de partage. Peut-être pas tous, mais pour beaucoup oui. J’AI VU QUE VOUS AVEZ RÉALISÉ DES FRESQUES SUR LE MUR ISRAÉLO-PALESTINIEN ET SUR CELUI ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET LE MEXIQUE. LE POIDS DU MUR ICI, N’EST PAS LE MÊME. LE BORDER ART ET LE STREET-ART SE SONT EMPARÉS DE CES MURSFRONTIÈRES SÉPARANT LES POPULATIONS. AVEZ-VOUS SENTIT UNE DIFFÉRENCE LORSQUE VOUS VOUS ÊTES APPLIQUÉ SUR CE MUR ? COMMENT AVEZ-VOUS PROCÉDEZ POUR VOUS ATTAQUER À CES MURS ?
J’ai effacé la fresque que j’ai réalisée sur le mur israélo-palestinien dès le moment où je l’avais achevée ! La seule trace qui me reste de cette peinture, c’est le film et les photographies réalisés pendant ma performance. En fait, en Palestine, les gens en ont assez que leur mur soit peint par des artistes qui viennent y déposer leurs créations. Le mur, ici connu de tous, devient une sorte de support publicitaire. La
barrière se transforme en un lieu touristique, mais ceci ne changera absolument rien à la situation des pauvres palestiniens. J’ai beaucoup discuté avec les associations sur place, et elles me disaient toutes que les peintures sur les murs ne les intéressaient pas. Dans le cadre de l’émission des Nouveaux Explorateurs, afin de respecter leurs dires, j’ai recherché un endroit où, sans peindre directement sur le mur, on pouvait l’apercevoir en arrière-plan. Je n’ai pas trouvé... Mais il y avait cet endroit du mur, avec une tour de garde, que je trouvais magnifique. Je suis allé voir une autre association pour leur demander s’ils pouvaient me prêter une échelle pour aller peindre ce pan du mur. Ces derniers m’ont ressorti la même histoire, m’expliquant que je faisais ce que je voulais, puisque le mur est de toute façon déjà peint de toutes parts, mais que, n’étant pas pour, ils ne me fourniraient aucun matériel. Je leur ai alors proposé une chose : peindre une femme palestinienne qui regarde de l’autre côté du mur, mais, une fois la fin de la journée arrivée et la fresque terminée, je l’effacerais et j’expliquerais le point de vue de ces gens, j’expliquerais pourquoi il ne faut pas peindre ce mur, et pourquoi ce dernier ne mérite pas d’être peint. Ils m’ont alors donné leur accord, et sont même venus me filmer, satisfaits.
SELON VOUS, QUEL EST L'IMPACT DE CES MOUVEMENTS ARTISTIQUES QUI S'EMPARENT DES MURS POLITIQUES POUR TENTER, NE SERAIT-CE QUE SYMBOLIQUEMENT, D'ABATTRE LES FRONTIÈRES QU'ILS REPRÉSENTENT ?
Comme je l’expliquais, cela me dérange un peu dans la mesure où certains artistes l’utilisent comme support pour se faire de la publicité. Mais je ne remets pas en cause la bonne intention qui en est à l’origine. Symboliquement, je trouve ça très fort de peindre sur un mur de séparation, et exprimer à travers l’Art qu’il faut le détruire. C’est une belle chose. Mais aujourd’hui, malheureusement, tout est détourné. La protestation devient un moyen de faire des sous aussi… C’est une limite qui, à mon sens, est très compliquée. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est facile de peindre sur le mur en
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Palestine : il suffit de prendre son billet, d’y aller et de peindre ! Et il est vrai que, tout de suite, la charge de par ce support devient très forte. Certaines personnes peignent à la demande des Palestiniens, réalisant des portraits de Yasser Arafat par exemple. D’autres, pour en revenir à ce que je disais, viennent spécialement pour le peindre. Je ne dis pas que la publicité est leur intention première, mais peindre sur ce type de murs bien particuliers en fait inévitablement. La majorité de ces artistes luttent symboliquement face à la situation du pays. Je trouve cela toujours compliqué d’aller dans ce genre d’endroit et de dire : « regardez, je suis avec vous, regardez ce que je fais pour vous ». Personnellement, ça me pose toujours un problème. Pour moi, c’est un peu comme aller faire la guerre en Lybie et dire « Ah, ce n’est pas bien Kadhafi ! ». Ce qui est intéressant finalement lorsqu’on va dans un endroit comme ça, c’est de peindre avec les gens, de créer des ateliers ou des événements où eux aussi peuvent s’exprimer. C’est la moindre des choses que l’on puisse leur apporter en mon sens. 220 QUEL EST LES PROCHAINS MURS ET PROJETS SUR LEQUEL VOUS AIMERIEZ TRAVAILLER ? AVEZ-VOUS UNE PROCHAINE DESTINATION DE PRÉVUE ?
Je ne sais pas ! J’ai des projets qui arrivent, je suis beaucoup occupé, mais je me laisse un peu aller. J’aimerais me rendre dans les endroits les plus paumés qui soient ! J’aimerais partir peindre à Tchernobyl. J’y suis déjà allé mais je n’avais pas pu peindre cette fois-là. C’est un endroit fou ! Si j’y peins, ce ne sera pas pour les gens, contrairement à mon habitude où je peins pour ceux qui vivent là où je m’exprime. Là-bas, il n’y a personne, mais symboliquement c’est un endroit fort ! Pour le reste, je me laisse porter par la vie, on tombe toujours sur des endroits intéressants, dans chaque ville, dans chaque lieu. Je ne recherche pas forcément à peindre des murs politiques et forts symboliquement. Lorsque j’ai peint à la frontière États-Unis Mexique, c’était un endroit intéressant certes, mais ce n’est pas ce que je recherche. J’ai trop ce problème avec la publicité, etc., qui me gênent un peu maintenant, et que je n’avais peut-être pas avant.
AVEZ-VOUS DÉBUTÉ VOTRE DÉMARCHE D'ARTISTE SUR UNE TOILE EXPOSÉE EN GALERIE OU SUR UN MUR DE NOS RUES ?
Je n’ai pas de carrière d’artiste. Je peignais sur les murs car je faisais du graffiti - plus précisément, je réalisais les persos de mes amis qui faisaient les graffitis. à côté j’étais dessinateur/illustrateur pour de la BD et autres. Et puis, les choses se sont faites petit à petit. Mais je n’ai jamais voulu devenir artiste, cela ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse dans tout ce travail de murs, c’est le rapport aux autres. Ce qui me tient à cœur, c’est trouver la manière d’exprimer des choses qui vont toucher du monde. Ce qui me plaît, c’est essayer de retranscrire à travers mes peintures ce que je ressens d’un endroit, d’un lieu, ou d’une situation et de trouver la représentation graphique la plus juste, trouver « le bon truc ». PRÉPAREZ-VOUS VOS FRESQUES OU VOUS LANCEZ-VOUS DIRECTEMENT SUR LES MURS QUI SE DRESSENT SUR VOTRE CHEMIN ?
Lorsque j’ai le temps de préparer ma réalisation, comme lors de festivals de Street Art, les idées me viennent avant, et je m’inspire de l’endroit, son histoire... Sinon, lorsque je n’ai pas le temps et que je dois peindre directement, je laisse faire l’imprévu. C’est un peu plus compliqué, il faut trouver l’idée rapidement, faire avec ce qui m’entoure et peindre sans préparation et réflexions préalables, même en étant jamais venu dans cet endroit auparavant. Finalement, c’est là que je réalise mes meilleures créations ! En Chine, par exemple, dans le quartier des Antiquaires qu’ils sont en train de détruire complétement, il y avait une statue du premier Empereur de Chine, et de nombreuses reproductions que les antiquaires vendaient tout autour. Je me suis alors dit que c’était avec ce symbole qu’il fallait que je joue ici, en le représentant déstructuré, entre les murs en ruine et les décombres. J’utilise les éléments qui m’entourent, je m’en inspire.
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ENFIN, J’AURAIS AIMÉ SAVOIR SI LE FAIT QUE VOS TRAVAUX SOIENT ÉPHÉMÈRES, QU'ILS PUISSENT ÊTRE RÉINVESTI OU TOYÉ PAR D'AUTRES, DONNE-UNE DIMENSION PARTICULIÈRE À VOTRE TRAVAIL ? COMMENT INTÉGREZ-VOUS CE FACTEUR DE TEMPORALITÉ DANS VOTRE DÉMARCHE ?
Le fait que mes réalisations soient éphémères me permet peutêtre de porter moins d’attention aux détails, et de ce fait, travailler beaucoup plus rapide Si je réalise une fresque prévue pour durer dix ans aux yeux des gens, je ne l’aborderais pas de la même manière. Mais dans ma démarche je n’y pense pas vraiment, cela se fait assez intuitivement.
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entretien AVEC ...
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JEAN-BAPTISTE COLIN ALIAS JBC
C’est à Strate, école de Design où il exerce à temps partiel en tant que professeur de PAO, que j’ai rencontré Jean-Baptiste Colin. À côté de son travail de graphiste, il s’adonne à sa passion : le street art. Sous le pseudonyme de JBC, cet artiste de Montreuil nous propose des créations au style latino-américain baroque, reprenant des figures emblématiques, allant des divinités indoues aux joueurs de football brésiliens. JBC apporte de la vie dans les rues de Paris avec son univers emprunt de couleurs chaudes, ses contours prononcées rappelant l’art du vitrail et ses icônes contemporaines, au travers de collages et de peintures murales.
COMMENT CHOISISSEZ-VOUS LE MUR SUR LEQUEL VOUS RÉALISEZ VOTRE CRÉATION ET COMMENT VOUS L'APPROPRIEZ-VOUS ?
Le choix se fait en fonction de la visibilité du mur, surtout si l'expression a vocation à toucher le plus grand nombre : un message politique n'aurait pas beaucoup de sens au fond d'une friche industrielle... Ensuite entrent en jeu des critères tels que la disponibilité du mur, le fait qu'il appartienne ou nom à un monument historique. 226
LE STREET-ART POSE INÉVITABLEMENT LA QUESTION D'ILLÉGALITÉ ET DE PROPRIÉTÉ. POUR VOUS, OÙ SE SITUENT CES LIMITES DANS LA PRATIQUE DE CET ART ? SI CELA ÉTAIT TOTALEMENT LÉGAL, AURAIT-CE, SELON VOUS, LA MÊME PORTÉE ?
Cet art n'aurait jamais existé s'il avait fallu attendre des autorisations pour le pratiquer. L'illégalité est au cœur de sa démarche. Un artiste n'ayant jamais fait l'expérience de cette illégalité ne mérite pas l'appellation de street artiste, quand bien même il utilisait des codes graphiques rattachés au street art dans les représentations collectives. AVEZ-VOUS DÉBUTER VOTRE DÉMARCHE D'ARTISTE SUR UNE TOILE EXPOSÉE EN GALERIE OU SUR UN MUR DE NOS RUES ?
Mes premières expressions artistiques étaient celles d'un enfant sur un papier. Mais mon dernier cycle de création débuté il y a 6 ans a effectivement débuté sur un mur.
QUELLE PLACE LE MUR A-T-IL AUJOURD'HUI DANS L'EXPRESSION ARTISTIQUE ? PENSEZ VOUS QUE LE STREET-ART A PERMIS UNE DÉMOCRATISATION DE L'ART, ET UN MEILLEUR ACCÈS À LA CULTURE ?
Paradoxalement, le street art a fait tomber certains murs. Les murs entre la majeure partie de la population et les « temples » des institutions de l'art que sont les galeries, les musées, les fondation et les maisons de vente. C'est une forme de vulgarisation de l'art, dans le sens positif du terme. 227 VOTRE TRAVAIL SUR LES MURS EST-IL MANIÈRE POUR VOUS DE REVENDIQUER UNE CAUSE, UNE IDÉE, OU EST-CE SIMPLEMENT UNE FAÇON POUR VOUS D'EMBELLIR L'ENVIRONNEMENT URBAIN ? SI OUI, QUE REVENDIQUE-T-IL ?
A partir du moment où on s'exprime dans l'environnement urbain, il y a démarche citoyenne. LE FAIT QUE VOTRE ART SOIT ÉPHÉMÈRE ET QU'IL PUISSE ÊTRE RÉINVESTI, REVISITÉ, TOYÉ PAR D'AUTRE, DONNE-T-IL UNE DIMENSION PARTICULIÈRE À VOTRE TRAVAIL ? COMMENT INTÉGREZ VOUS CE FACTEUR TEMPOREL DANS VOTRE DÉMARCHE ?
Cela influe dans les moyens et le temps de préparation dédié à l'oeuvre. Par exemple lorsque je travaille sur mobilier urbain, je vais privilégier le collage papier. Si c'est un mur je vais privilégier la peinture directe, dans un souci de pérennité. Par contre je ne fais de mur que dans un cadre qui me garantisse cette pérennité.
IL ME SEMBLE QUE LES STREET-ARTISTES FORMENT UNE SORTE DE COMMUNAUTÉ, PAR EXEMPLE, CET ÉVÉNEMENT VOUS INVITE À CRÉER DES FRESQUES COLLECTIVES. CONSIDÉREZ-VOUS LE STREET-ART COMME L'ART DE FAIRE ET DE COMPOSER ENSEMBLE ? AVEC CET ÉVÉNEMENT, QUEL MESSAGE COMMUN CHERCHIEZ VOUS À DÉLIVRER ?
Je suis personnellement méfiant envers les collaborations, elles donnent rarement les résultats escomptés. On peut essayer de cadrer la composition et les la cohérence colorimétrique, mais il me semble difficile, au delà d'un certain nombre de créer un vrai message commun. LE BORDER ART ET LE STREET-ART SE SONT EMPARÉS DES MURS-FRONTIÈRES. QUEL EST L'IMPACT DE CES MOUVEMENTS ARTISTIQUES QUI S'EMPARENT DES MURS POLITIQUES POUR TENTER, NE SERAIT CE QUE SYMBOLIQUEMENT, D'ABATTRE LES FRONTIÈRES QU'ILS REPRÉSENTENT ? 228
Ma sympathie va vers tout ce qui peut abattre les frontières entre les hommes. Je pense néanmoins que le street art est un moteur de l'Histoire bien moins puissant que les haines collectives. S'il n'est pas accompagné de réelles volontés politiques, le street art ne suscitera au mieux que des sourires attendris.
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entretien AVEC ...
DAMIEN SIMONNEAU
Jeune docotant ayant réalisé sa thèse de fin d’étude sur les murs, j’ai rencontré Damien Simonneau durant la conférence “Amexica – 230
la violence du mur”, au Centre Georges Pompidou, ce 21 septemnre 2015.
QUEL ÉVÉNEMENT MARQUANT/EXPÉRIENCE PERSONNELLE T'AS AMENÉ SUR LE THÈME DE TA THÈSE QU'EST LE MUR ?
J’étais parti en stage en 2009 en Israël et en Palestine pour découvrir les différents aspects de ce conflit. Le mur, la séparation est l’un d’entre eux et caractérise l’évolution du conflit dans sa phase post-Oslo. En résidant à Ramallah (Territoires palestiniens), j’ai dû traverser les checkpoints, emprunter les routes de contournement et traverser le mur (juste en face des fenêtres de mon lieu de stage). Puis, de retour, je me suis interrogé sur le pourquoi de cet impressionnant dispositif et de –là ont démarré mes recherches. LORS DE TES VOYAGES, QU'AS TU PU CONSTATER SUR L'ASPECT RELATIONNEL ENTRE DEUX POPULATIONS QU'UN MUR SÉPARE ? LA COMMUNICATION EXISTE MALGRÉ TOUT, J'IMAGINE, MAIS QUELLES CONSÉQUENCES CETTE « FISSURE » A-TELLE SUR LES RAPPORTS HUMAINS ?
Vaste sujet. Je dirais simplement que le mur offre aux Israéliens l’illusion d’une frontière, d’une séparation (ils sont moins en contact avec les Palestiniens qu’il y a 20 ou 30 ans), et qu’il enferme encore plus les Palestiniens, restreignant leur capacité de mobilité. Néanmoins, il demeure poreux. De nombreux trafics et échanges se poursuivent malgré le mur. Le mur aboutit à créer deux réalités spatiales et temporelles distinctes pour les Israéliens et les Palestiniens, donc il les éloigne les uns des autres… et alimente le fantasme de l’autre menaçant donc est facteur de conflictualité.
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QUE PEUX TU ME DIRE DE CE PARADOXE AUQUEL NOUS FAISONS ACTUELLEMENT FACE : UN MONDE GLOBALISÉ QUI TEND À EFFACER SES FRONTIÈRES, MAIS QUI POURTANT SE VOIT CONSTRUIRE DE PLUS EN PLUS DE MURS ENTRE SES POPULATIONS DEPUIS CES 20 DERNIÈRES ANNÉES … POURQUOI CETTE « ÉPIDÉMIE » ACTUELLE DES MURS À TON AVIS ?
Là encore, comment répondre simplement… On constate que l’intensification des communications, des mobilités et des échanges produit des angoisses, des replis identitaires et nationalistes dans de nombreux Etats. Il faut ajouter à cela le fait que le mur est aussi un produit sécuritaire promu par des acteurs économiques de l’industrie 232
de la défense qui ont intérêt à proposer ces solutions aux gouvernants. Il est aussi issue d’une politique publique de volontarisme politique face à ce qui est constitué comme un « problème » de la mobilité d’indésirables… C’est l’optique que j’adopte dans mes recherches.
LE
BORDER ART ET LE STREET-ART SE SONT EMPARÉS DES MURS-FRONTIÈRES.
QUEL EST L'IMPACT DE CES MOUVEMENTS ARTISTIQUES QUI S'EMPARE DES MURS POUR TENTER, NE SERAIT-CE QUE SYMBOLIQUEMENT, D'ABATTRE LES FRONTIÈRES QU'ILS REPRÉSENTENT ?
Je pense qu’il est minimal… Cet art permet d’humaniser ces politiques de défense, ces dispositifs, de rappeler qu’il y a de l’humain derrière les « indésirables ». Il permet d’imaginer le territoire et les relations transfrontalières différemment. Mais difficile de mesurer la réception de ces œuvres, l’impact sur les populations séparées… Estce que le street art sur les murs ne s’adresserait-il pas plutôt à des internationaux et non aux populations locales ? Bref, vaste question…
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entretien AVEC ...
MAURICE SHÉRIF
Né à Limassol en 1951 d’une mère chypriote et d’un père palestinien, Maurice Sherif passe sa petite enfance à Chypre avant que sa famille ne s’installe à Beyrouth. Il a six ans quand son père lui offre son premier appareil photo, un Instamatic. À vingt ans, il finit ses études chez les Jésuites... mais la guerre civile éclate. En 1974, il quitte le Liban pour l’Amérique du Nord. Il sera diplômé de l’Université de San Fransisco, où il étudia la communication visuelle. En 1974, il voit les premiers pans du mur de séparation entre les États-Unis et le Mexique. Ayant toute sa vie évoluer dans des lieux où affrontements et murs de séparations prennaient racines, Maurice décide d’utiliser son appareil photo comme d’une arme pour dénoncer les injustices.
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Les nombreux entretiens que nous avons eu ensemble sont retranscrit directement dans le corpus de ce mémoire. Ainsi, son savoir m’aura permis d’alimenter mes parties I. - A. et III. - A.
CHRISTINE CHATEAUMINOIS
Christine Chateauminois est enseignante de communication à Strate, école de Design. Je me suis entretenue avec elle afin d’alimenter mon mémoire, en particulier ma partie abordant le thème complexe de l’autisme (II. - A). En effet, cette dernière est la maman d’un jeune adolescent, Ferdinand, atteint d’autisme Asperger. Les propos reccueillis auprès de Christine ont été directement retranscrit dans le corpus de ce mémoire.
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bibliographie
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Ouvrages de référence : BANU Georges, Des murs… au mur, Paris, Gründ, 2010, Reportages. CHAMOISEAU Patrick, GLISSANT Edouard, Quand les murs tombent, l’identité nationale hors la loi ?, Paris, Galaade éditions, 2007. DEBRAY Régis, Éloge des frontières, Barcelone, Gallimard, 2010, Folio. NOVOSSELOFF Alexandra, NEISSE Franck, Des murs entre les hommes, avant-propos de RUFIN Jean-Christophe, Paris, La documentation française, 2007. PERE-CHRISTIN, Evelyne, Le mur : un itinéraire architectural, Paris, éd. Alternatives, 2001. QUETEL Claude, Histoire des murs, Paris, Perrin, 2012. Tempus. ROSENBERG Marshall B., Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Introduction à la Communication Non Violente, Mesnil-sur-l’Estrée, Nouvelle édition, 2014, La Découverte. SHERIF Maurice, The American Wall : From the Pacific Ocean to the Gulf of Mexico, San Francisco, University of Texas Press, 2011. Essais et œuvres littéraires : AUGE, Marc, Pour une anthropologie de la mobilité , Paris, Payot et Rivages, rivages poche / Petite Bibliothèque, 2012. ANZIEU Didier, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1995, Psychismes BEGAUDEAU, François, Entre les murs, Paris, Gallimard, 2006, Folio. BRADBURY, Ray, Fahreiheit 451, Marseille, Gallimard, 2000, Folio. BROWN Wendy, Murs, Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique, Lonrai, Penser/Croiser, 2009, Les praires ordinaires. DEPAULE Jean-Charles, A travers le mur, Marseille, Eupalinos, 2014, Parenthèses. FARTO Alexandre, aka Vhils, Entropie, Paris, Alternative, 2014, Arts urbains. FAYE Jean-Pierre, L’Écluse, Paris, Editions du Seuil, 1964.
FOUCHER Michel, L’obsession des frontières, Paris, Perrin, 2012, Tempus. FREUD Sigmund, Le moi et le ça, Paris, Payot et Rivages, 2010, Petit Biblio Payot Classiques. GRANDIN Temple, Ma vie d’autiste, Malesherbes, Odile Jacob, 2015, Poches. HAUSHOFER, Marlen, Le mur invisible, acte Sud, 1963. HEIDEGGER Martin, Essais et conférences, « Bâtir Habiter Pense », Paris, Gallimard, Collection Tel, 1958. HICKOK Lorena A., L’histoire d’Helen Keller, Sarthe, PKJ, 2014. KLEIN Naomi, La stratégie du choc, capitalisme du désastre, Paris, Actes Sud, 2010, Babel. LE CORBUSIER, Vers une architecture, Paris, Nouvelle édition revue et augmentée, 1977, Arthaud. MARC Edmond, Psychologie de l'identité – Soi et le groupe, Paris, Dunod, 2005, Psycho sup. NEIL, Frédéric, Contre les murs, Paris, Bayard Jeunesse, 2011, Essais. ORWELL Georges, 1984, Barcelone, Gallimard, Folio, 2013. PUEYO Joaquim, Des hommes et des murs, La Rochelle, Documents, 2013, Cherche midi. RODIER Claire, Xénophobie Business, à quoi servent les contrôles migratoires ?, Paris, Cahiers libres, 2012, La découverte. ROUSSEAU Jean-Jacques, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, Flammarion, 1995, Garnier Flammarion. SARTRE, Jean-Paul, Le Mur, Paris, Gallimard, 1939. SCHNEIDER, Peter, Le Sauteur de mur, Paris, Grasset, 1982. SHERIF Maurice, The American Wall : From the Pacific Ocean to the Gulf of Mexico, San Francisco, University of Texas Press, 2011. SIMMEL Georg, La tragédie de la culture, Paris, Rivages, 1999, Petite bibliothèque. SOREL Jean-Marc, Les murs et le droit international, Condé-sur-Noireau, Pedone, 2010, Cahier Internationaux n°24.
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Filmographie : ARTHUS BERTRAND Yann, 2015, Human, 190 min. ATTALI Jacques, discours lors de la conférence Positive Economy Forum. 2015. Le Havre. Visible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=_snmuoxrBoE BALL Wes. 2014. The Maze Runner. 114 min. BANKSY. 2010. Faites le mur ! 87 min. BURGER Neil. 2014. Divergente. 139 min. CANTET Laurent. 2008. Entre les murs. 130 min. DENIS Thierry et RATOVONDRAHONA Guy, Les murs de la honte. 21/11/2011. 52 min. Disponible à l’adresse : http://www.dailymotion.com/video/xfpkrm_les-murs-de-lahonte-documentaire-complet_travel HENCKEL VON DONNERSMARCK Florian, La Vie des autres, 2007, 137 min. JIRON Miguel, 2012, Surcharge sensorielle chez un autiste, 2 min. Disponible à l’adresse : https://vimeo.com/52193530 KOUNEN Jan, 99 Francs, 2007, 99 min. L’activisme visuel fait tomber tous les murs. 2013. Tracks (11 min.) ARTE, 05/10/2013. NOYCE Phillip. 2014. The Giver. 97 min. PARKER Alan. 1982. The Wall. 95 min. POLSLER Julien Roman. 2012. Le mur invisible. 108 min. ROSS Gary. 2012. Hunger Games. 142 min. SCHWENTKE Robert. Date de sortie prévue le 9/03/2016. Divergente 3 : Au-delà du mur. VARDA Agnès. 1982. Mur, murs. 85 min. WILLIMON Beau. 2013. House of Cards. Série Netflix. Wolfgang Becker. 2003. Good Bye Lenin ! 130 min.
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Œuvres d´Art, picturales et musicales : BEUYS Joseph, Plight, 1985 (actuellement visible au centre George Pompidou.) JR, Face 2 Face. [En ligne]. Disponible à l’adresse : http://www.jr-art.net/fr/projets/ face-2-face PINK FLOYD, The Wall, 30 novembre 1979. 80 min. Conférences : “Amexica – la violence du mur”, Centre Georges Pompidou, 21/09/2015. Rencontre avec : Maurice Shérif, photographe Damien Simonneau, doctorant en sciences politiques Michel Agier, antrhopologue. Conférence “Le bilan humain du mur“, Centre Georges Pompidou, 05/10/2015. Rencontre avec : Martin Lamotte, anthropologue James Cohen, politologue Alexandra Novosseloff, docteur en sciences politiques Exposition : “ Le pressionnisme“, Pinacothèque de Paris, 12 mars -13 septembre 2015. “Amexica, le mur frontière“, Bpi, Centre Georges Pompidou, septembre/octobre 2015. “ Montreuil Street-Art Festival“, 26-27 septembre 2015.
glossaire
ALENA / NAFTA : Accord signé en 1992 par les États-Unis, le Canada et le Mexique, créant une zone de libre-échange entre ces trois pays. 242
Altérité : État, qualité de ce qui est autre, distinct. Apartheid : Régime de ségrégation systématique des populations de couleur appliqué en Afrique du Sud entre 1913 et 1991. Autisme : Trouble du développement complexe affectant la fonction cérébrale, rendant impossible l’établissement d’un lien social avec le monde environnant. Dystopie : Description, au moyen d’une fiction, d’un univers déshumanisé et totalitaire, dans lequel les rapports sociaux sont dominés par la technologie et la science. Fresque : Technique de peinture murale caractérisée par l’application sur enduit frais de pigments de couleur détrempés à l’eau. Gated communities : Quartiers résidentiels fermés, dont l’accès est contrôlé, et dans lesquels l’espace public est privatisé. Ghetto : Quartier habité par des communautés juives ou, autrefois, réservé aux juifs. Globalisation : Tendance des entreprises multinationales à concevoir des stratégies à l’échelle planétaire, conduisant à la mise en place d’un marché mondial unifié. Graffiti : Inscription ou dessin, de caractère souvent satirique ou caricatural, tracé dans l’Antiquité sur des objets ou des monuments. / Inscription ou dessin griffonné par des passants sur un mur, un monument, etc.
Immigration : Installation dans un pays d’un individu ou d’un groupe d’individus originaires d’un autre pays. (L’immigration est le plus souvent motivée par la recherche d’un emploi et la perspective d’une meilleure qualité de vie. Jubé : Clôture monumentale, portant généralement une plate-forme ou une coursière, qui sépare le chœur de la nef dans certaines églises médiévales. Limes : Sous l’Empire romain, ligne fortifiée courant parallèlement à la frontière de la romanité, face aux pays barbares ou aux déserts. Maquiladoras : Usines de montage qui assemblent en exemption de droits de douane des biens importés destinés à être intégralement réexportés. Leurs propriétaires bénéficient ainsi d’une main-d’œuvre bon marché et ne paient des droits de douane que sur la valeur ajoutée du produit, c’est-à-dire la valeur du produit fini moins le coût total des composants importés pour sa fabrication. La grande majorité des maquiladoras sont détenues et gérées par des sociétés mexicaines, asiatiques ou américaines. Mondialisation : Extension du champ d’activité des agents économiques (entreprises, banques, Bourse), conduisant à la mise en place d’un marché mondial unifié. Elle se traduit par une recomposition de l’espace économique mondial, au sein duquel le modèle occidental d’économie de marché s’étend aux pays émergents. Moucharabieh : Grillage fait de petits bois tournés et assemblés, permettant de voir sans être vu et qui était utilisé dans le monde islamique. Pariétal : Se dit du décor (peinture, sculpture, etc.) d’un mur, d’une paroi.
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Profane : Qui est étranger aux choses sacrées, à la religion ou qui est en dehors de la sphère du sacré Sacré : Qui appartient au domaine séparé, intangible et inviolable du religieux et qui doit inspirer crainte et respect. Secure Fence Act : Loi adoptée en 2004 par Georges W. Bush prévoyant la construction d’une barrière longue d’environ 1 100 km pour séparer les Etats-Unis du Mexique Ségrégation : Processus par lequel une distance sociale est imposée à un groupe du fait de sa race, de son sexe, de sa position sociale ou de sa religion, par rapport aux autres groupes d’une collectivité. Stasi : Police politique de la République démocratique allemande (1950-1989) Street Art : L’art urbain, ou street art, est un mouvement artistique contemporain. Il regroupe toutes les formes d’art réalisées dans la rue, ou dans des endroits publics, et englobe diverses techniques telles que le graffiti, la réclame, le pochoir, la mosaïque, les stickers, l’affichage ou les installations. Subversion : Action visant à saper les valeurs et les institutions établies.
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Tag : Graffiti tracé ou peint, caractérisé par un graphisme proche de l’écriture et constituant un signe de reconnaissance. Terrorisme : Ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système. Transgression : Action d’enfreindre une loi, un ordre, un interdit. Virtual Fence : Barrière de sécurité équipée de technologies de pointes (caméras de surveillance, drones, capteurs, sensors, tours de contrôle) Xénophobie : Hostilité systématique manifestée à l’égard des étrangers. Yourte : Tente démontable, à armature extensible de bois, sur laquelle sont tendues des plaques de feutre. C’est l’habitation des nomades turcs et mongols d’Asie centrale.
[ Toutes les illustrations de ce mémoire ont été réalisées par mes soins. Les photographies ont toutes été retouchées et sont sourcées dans des légendes qui leur sont associées. ]
« REMER / CIMENT »
Merci à tous ceux qui m’ont soutenue et ainsi permis de consolider ce mémoire sur le mur.
Je tiens, avant tout, à remercier ma famille, tout particulièrement ma sœur Laetitia, pour le soutient précieux et les conseils avisés qu’elle a su m’apporter du début à la fin de la rédaction de ce mémoire, même à très longue distance ; ma maman, Nathalie, pour son enthousiasme et son implication dévouée dans tout ce que j’entreprends. Merci à Flore Garcin-Marrou, ma référente de mémoire pour avoir su, pendant ces mois de travail ensemble, me donner confiance en moi dans cet exercice difficile et me conforter dans mes orientations. À Antoine Dufeu, pour son implication certaine dans l’élaboration de nos mémoires, À Dominique Sciamma, notre directeur bienveillant, et Sophie Level, qui ont su trouver les mots pour me rassurer et m’encourager dans les moments les plus difficiles. Je tiens également à remercier Maurice Shérif, photographe et homme d’exception rencontré dans le cadre de ce mémoire, pour avoir su me transmettre toute la dévotion et l’énergie qu’il porte à ce sujet sérieux qu’est le mur. Merci pour ces moments de partage. Merci à Christine Chateauminois, pour son entrain communicatif et son grain de folie, qui m’ont permis d’aborder d’autres facettes du mur, Merci à Julien Malland, connu sous son nom de street artiste Seth, qui pour mon plus grand plaisir a accepté aussi spontanément de partager de son temps et de sa passion autour d’un café, Ainsi qu’à Jean-Baptiste Colin, alias JBC, autre street artiste talentueux m’ayant apporté sa vision des murs. Enfin, merci à mes ami(e)s pour leur écoute attentive, leur intérêt certain et leur patience à toutes épreuves, c’est ça le ciment de l’amitié !
Diplômes 2016
Eloïse GILLARD
FACE AU MUR
Mystères et vérités d’un objet biface et contrasté
Les murs sont partout autour de nous et façonnent notre environnement. En béton, en barbelés, en pierre, en brique ou encore en verre, le mur se construit sous de nombreux aspects. À première vue linéaire et silencieux, lorsque l’on s’épanche un peu plus près d’eux, et qu’on écoute le murmure des murs, ceux-ci nous révèlent des histoires riches et insoupçonnées. « L’histoire des murs, c’est la nôtre » : surfaces de projection de l’humain, les murs traitent du rapport à l’autre. Leur histoire révèle l’existence d’un autre que nous sous bien des aspects : séparations, affrontements, mutismes ; réconciliations, réunifications, cohabitations. Vingt ans après la chute du Mur de Berlin, malgré le vent unificateur qu’il avait insufflé et la volonté d’un monde globalisé, nous voyons que se répand une véritable « épidémie » des murs, lignes séparatrices divisant différentes communautés du monde. Objet biface et bivalent, le mur porte en lui des notions paradoxales. Il sépare et protège à la fois. Il cache pour montrer. Il vacille entre ouverture et fermeture, mouvement et immobilité, liberté et emprisonnement. À travers ce mémoire, nous chercherons à dévoiler au lecteur la face cachée des murs. Il s’agira de considérer cet objet faisant partie de notre absolu quotidien dans ses formes diverses, tangibles ou symboliques, et de comprendre la force qu’il porte en lui.
Ecole de Design
Établissement privé d’enseignement supérieur technique www.stratecollege.fr