Zufferey tourisme & barrages 2012

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TOURISME & BARRAGES LE CAS D’EMOSSON

Enoncé théorique du projet de master EPFL Architecture 2011-2012 Basile Zufferey Harry Gugger, Directeur pédagogique Jacques Lévy, Professeur Götz Mentzel, Maître EPFL

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Tourisme

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Définition

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Tourisme en mutation Tourisme aristocratique Tourisme quantitatif Tourisme qualitatif

1 1 1 1

Tourisme alpin

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Tourisme en crise Changements climatiques Changements socio-économiques Changements politico-économiques Evolution de la demande

1 1 1 1 1

Barrages

1

Définition

1

Hydroélectricité

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Typologies Barrage poids Barrage voûte Barrage en remblai

1 1 1 1

Historique Chronologie L’épopée hydraulique La houille blanche Témoignages

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Impact Socio-économique Environnemental Sur le paysage

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Architecture et barrages

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Tourisme et barrages

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Barrage-nature

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Barrage-culture

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Barrage-villégiature

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Le cas d’Emosson

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Situation

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Historique L’âge d’or L’épopée des barrages

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Etat des lieux Transports Traces de dinosaures Visite du barrage Musée CFF Centrale Hässig Activités sportives

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Schéma directeur du site d’Emosson Emosson-nature Emosson-culture Emosson-villégiature

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Conclusion

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Bibliographie

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Le monde se trouve à un tournant en termes de responsabilité écologique. Une catastrophe comme celle de Fukushima place, plus que jamais, les grands défis environnementaux au centre de l’actualité politique. La thématique des barrages se retrouve ainsi au cœur du débat. En Suisse, l’énergie hydroélectrique représente environ 56% de la production électrique. Les barrages sont omniprésents dans le paysage alpins et font parties intégrantes du patrimoine culturel et historique suisse. En Valais, ces «cathédrales de béton» ont été un moteur pour l’économie, l’immigration et le développement touristique. Etrangement, la collectivité néglige aujourd’hui l’importance capitale que représentent ces monuments. En effet, outre la production d’électricité, les barrages procurent divers bénéfices économiques, sociaux et environnementaux, tels qu’approvisionnement en eau, loisirs et contrôle des crues. En revanche, un barrage modifie à jamais le territoire, affectant autant l’environnement que les différents acteurs locaux. C’est la raison pour laquelle cette thématique mérite une approche globale, prenant en compte le réseau auquel appartiennent le barrage et le territoire. Le développement des installations hydroélectriques en Valais est étroitement lié à celui du tourisme, autre moteur économique des vallées alpines. Avec des recettes de 15,6 milliards de francs en 2008, le tourisme est la quatrième branche exportatrice du pays. En 1950, la Suisse comptait parmi les cinq principales destinations touristiques mondiales; aujourd’hui, elle n’occupe plus que le 27ème rang.1 Le changement climatique ainsi que l’évolution de la demande exigent donc 1

OMT, 2008, p. 67

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une remise en question de l’offre touristique suisse. Elle doit s’adapter à la raréfaction des ressources naturelles et énergétiques. La sauvegarde de la qualité des paysages et la gestion du développement des résidences secondaires sont autant de défis capitaux à relever afin d’optimiser l’usage des ressources touristiques. Le cas de la commune de Finhaut illustre particulièrement bien cette problématique. Avec seulement 374 habitants permanents, le village de Finhaut fut, au du début du 20ème siècle, une destination majeure du tourisme alpin. Aujourd’hui, Finhaut est surtout connue pour accueillir sur son territoire trois barrages, dont celui d’Emosson, 3ème plus grand de Suisse. En 2017, le renouvellement de la concession du barrage de Barberine, exploité en partie par les CFF, rapportera 100 millions de francs à la commune. Cette manne financière appelle la communauté à repenser son paysage touristique dans l’intérêt des générations futures. L’enjeu principal de ce mémoire est d’étudier le potentiel touristique de la région du barrage d’Emosson. Pour ce faire, il s’agit dans un premier temps d’analyser le développement du tourisme, ses changements et leur répercussion sur l’avenir. Ensuite, pour comprendre dans quelles mesures il est possible d’associer tourisme et barrages de manière étroite et durable, il convient d’esquisser les caractéristiques et impacts de ces derniers. L’étude de différents cas, alliant ces deux concepts, permettra de dégager quelques pistes de développement possibles. L’ étude du cas d’Emosson renseignera sur le contexte historique, géographique et social dans lequel peut s’inscrire un renouveau touristique. Pour vérifier, finalement, dans quelle mesure le site d’Emosson se prête à un développement touristique.


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p.8 p.10 p.12

Berghaus Diavolezza, Gafsou M. Titlis / Gafsou M. Piz Bernina / Gafsou M.


TOURISME Définition Selon l’Organisation mondiale du tourisme : « Le tourisme désigne les activités de personnes voyageant vers des endroits hors de leur milieu habituel et séjournant dans ces endroits pendant moins d’une année consécutivement à des fins de loisir, d’affaires ou à d’autres fins. ».2 Le tourisme s’impose comme un phénomène majeur du début du XXe siècle. D’une activité réservée à l’élite, il n’a pas cessé de se démocratiser au point de devenir un des secteurs économiques à la croissance la plus rapide du monde. Aujourd’hui, il constitue le troisième secteur économique mondial après l’industrie pétrolière et automobile.3 Malgré cela, il est toujours difficile d’identifier clairement son impact sur notre société. Il est toutefois possible de diviser l’évolution du tourisme en quatre périodes caractérisées principalement par leurs acteurs.

Tourisme en mutation Les premières activités touristiques datent de l’Antiquité : outre les voyages d’études, que les romains faisaient pour s’inspirer des cultures voisines afin de résoudre des problèmes d’ordre technique, le tourisme antique se traduisait notamment par des pèlerinages vers les sanctuaires religieux de Delphes ou d’Epidaure, ou par des escapades estivales à Capri ou Pompéi. Au Moyen Age, nombreux sont les pèlerins prennent le chemin de SaintJacques-de-Compostelle ou Jérusalem. Leurs périples multiplient les lieux d’hébergements. Plus tard, apparaît la mode des visites universitaires d’Oxford, Paris ou Bologne. Puis les écrivains, Goethe ou Montaigne, voyagent à leur tour. Montaine considère d’ailleurs le voyage comme « un art de la vie, une des meilleures écoles pour se former car l’âme y est en perpétuel mouvement4 ». Ces voyages d’agrément se transforment lentement en voyages thématiques d’ordre religieux, politique ou commerciaux.

Ce n’est cependant qu’au XVIIIe siècle que le mot «touriste», issu de «The tour», apparaît : « The tour ou the grand tour désigne le voyage désintéressé que fait en Europe le jeune aristocrate anglais, accompagné en général de son précepteur [...]. Ce voyage ainsi nommé était considéré comme le complément nécessaire à son éducation».5 En France, le terme touriste apparaît en 1803 pour définir le « voyageur qui ne parcourt les pays que par curiosité et désœuvrement ». Il est difficile d’évoquer la genèse du tourisme sans introduire l’apparition des guides de voyages. Ils apparaissent dès le XVIe siècle sous le terme «guilde» et offrent toutes les informations utiles sur l’état des routes et les possibilités d’hébergement.

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Hoerner J.M., 1997, p.6 Spindler M., 2003, p.23 Montaigne M., 1998 (1580), p. 12 4 Boyer M., 1982, p.21 2 3

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Goethe dans la campagne romaine, Tischbein J.

Tourisme aristocratique (~1800-1950) Ce sont les Anglais qui se lancent les premiers dans l’économie touristique. Portée par de nouvelles sensibilités culturelles et esthétiques, l’aristocratie anglaise éprouve le besoin de voyager afin d’entretenir un rapport plus étroit avec la nature. Profitant d’une amélioration des réseaux routiers et ferrés, la noblesse anglaise part à la découverte des richesses naturelles alpines. En 1841 Thomas Cook invente la première agence de voyages. Il propose des voyages organisés et peu après il introduit l’alpinisme dans la région de Chamonix. Le British Alpine Club est d’ailleurs fondé en 1862, douze ans avant le Club Alpin Français. Souvent, ces agences contrôlent une bonne partie des infrastructures d’hébergement et de transport.6 Au XIXe siècle, le tourisme est exclusivement européen. Les principaux acteurs sont des rentiers fortunés, aristocrates ou bourgeois qui côtoient les grands de ce monde dans les stations en vogue du moment. Le tourisme se limite toutefois à quelques régions privilégiées telles que les stations littorales de la Côte d’Azur, les stations thermales comme celles de Bath en Angleterre, de Baden-Baden en Allemagne ou de Vichy en France et, enfin, les stations alpines qui attirent les touristes, en automne et au printemps. Toutes ces stations, telles que Chamonix ou St-Moritz, disposent d’un parc hôtelier important, regroupant des établissements de luxe. Elles possèdent également des sanatoriums, des casinos et parfois même des terrains de golf, activités essentielles pour une clientèle aisée, voire richissime qui se déplace à bord de trains prestigieux comme l’Orient-Express ou le Train bleu. Ce tourisme élitiste connaît son âge d’or, au début du XXe siècle. Si la Première Guerre Mondiale a vu cette tendance fléchir, c’est avant tout la crise des années trente qui a freiné provisoirement la croissance de l’industrie touristique.

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Tissot L., 2000, p. 17


Touriste anglaise à la Gemmi, Casas Rodriguez Collection

Olten

Lucerne

Weggis

Neuchatel Alpnach

Pontarlier

Stanz Sarnen

Brienz

Thoune Spiez Adelboden

Interlaken Grindelwald Wengen Kandersteg

Loèche-les-Bains Paris

Genève

DĂƌƟŐŶLJ Finhaut

Salanches Chamonix

Premier voyage organisé par Thomas Cook, Tissot L.

Tourisme quantitatif (1950-1975) Il faudra attendre les années cinquante pour voir le tourisme prendre son envol. Grâce à la forte croissance économique, à l’élévation du niveau de vie, aux congés payés et à la modernisation des transports, on passe rapidement à un tourisme de masse qui touche des dizaines de millions de personnes de toutes classes sociales. Ce développement se traduit par une diversification de l’offre touristique et des formes d’hébergement, mais aussi par une concentration dans le temps et dans l’espace. Les dépenses touristiques prennent une place de plus en plus importante dans le budget des ménages. L’avènement des congés payés permet

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à une large couche de la population de bénéficier de davantage de temps libre tout en conservant son pouvoir d’achat. Le budget vacances est alors considéré comme incompressible. La mobilité des populations profite de la modernisation des transports. Les progrès des transports aériens et ferroviaires jouent un rôle capital pour le développement du tourisme. Mais c’est surtout l’agrandissement du parc automobile qui a ancré le tourisme dans les habitudes occidentales. Cette génération de tourisme est caractérisée par sa massification, son uniformisation et une certaine passivité. Le besoin de détente intervient comme une soupape face à la pollution, au bruit et au stress de l’activité professionnelle. Les médias contribuent à faire du tourisme un fait de société, mais aussi à promouvoir de nouvelles destinations. Cette explosion de la demande en loisirs a entraîné l’apparition de toute une série d’innovations tels que les clubs de vacances, les vols charters ou encore les campings. La pression exercée sur le territoire conduit à la création de parcs naturels, espaces préservés de la croissance. C’est l’ère d’un tourisme pour tous caractérisé par l’abréviation « 4s » ; sand, sea, sun, sex. Bien qu’il ne s’agisse plus d’un bien de luxe et qu’il soit en principe à la portée de tous, le tourisme n’est pas encore un bien de grande consommation. Par exemple, il faudra encore attendre 1974 pour qu’un français sur deux parte en vacances.7 Tourisme qualitatif (1975- aujourd’hui)

Plage de Nice, Maxime F.

La deuxième période de développement du tourisme de masse voit l’apparition de la notion de qualité et une diversification de l’offre. La génération Baby-boom arrive à maturité et critique les résultats de la société de consommation. La qualité prime sur la quantité en raison d’une amélioration du niveau de formation. Cette recherche du confort, favorisée par la presse et la publicité, renforce le goût 7

Spindler M., 2003, p.31


A

vées et ecettes du tou s e

te at o a

1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0

1960

1965

1970

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

arrivée en millions

69.3

112.8

165.7

222.2

286.2

329.5

458.4

568.5

697.4

806.2

2010 940

receƩes en milliards

6.9

11.6

17.9

40.7

105.2

117.6

260.1

403

475.3

668

919

Arrivées et recettes du tourisme international, OMT

pour l’exotisme et l’exceptionnel. Même si les longs séjours au soleil demeurent prioritaires, le nouveau touriste cherche davantage à allier plaisir, culture et activité sportive. C’est aussi le phénomène « low cost » qui, avec une tendance vers l’optimisation des frais liés au voyage, favorise le développement des séjours courts, particulièrement en milieux urbains. Cette diversification du tourisme entraîne une nouvelle approche de l’offre. Une destination doit être capable de s’adapter au gré des modes pour survivre à une concurrence grandissante. Le tourisme s’affirmant comme un secteur capital du développement économique mondial, chaque pays cherche à en tirer profit.8 Parallèlement, les pays émergents découvrent, à leur tour, les joies du voyage. Avec un pouvoir d’achat croissant, ces nouveaux acteurs prennent une place de plus en plus importante dans le paysage touristique. Tourisme alpin De tout temps, les alpes ont été fréquentées grâce au rôle qu’elles jouent dans les communications européennes, mais ce n’est que depuis le XVIIIe siècle qu’elles attirent l’homme pour ce qu’elles sont. Territoire hostile et mystérieux, la montagne terrifie et semble inabordable. Le pasteur et historien Abraham Ruchat (1680-1750) décrit les alpes vues par les touristes étrangers : « Les étrangers, qui ne connaissent notre pays que par les froides plaisanteries qu’on en fait parmi eux, s’imaginent que c’est un pays de loups garous, où l’on ne voit le soleil que par un trou; que ce ne sont que montagnes à perte de vue, que rochers stériles, que précipices affreux; que les habitants ne sont que de misérables vachers, que l’on se figure à peu près comme des demi-sauvages, qui n’ont pas le sens commun : jusque-là qu’une dame française, réfugiée parmi nous, m’a avoué que quand elle sortit de France pour se retirer en ces pays, elle s’imaginait de venir parmi des gens qui n’avaient pour maisons que des antres et des cavernes. [...] ».9 8

Spindler M., 2003, p.34

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Les premiers touristes s’y aventurant relèvent donc plutôt de l’explorateur que du touriste lambda. Ce sont les naturalistes du siècle des Lumières qui ont joué le rôle de pionniers dans la découverte des Alpes. De nombreux sommets sont conquis lors de « voyages aux cimes » organisés par des voyageurs anglais; l’intérêt reste ciblé autour de quelques sites, tels Chamonix, Grindelwald ou Zermatt. Aux scientifiques se substituèrent les écrivains et les peintres qui contribueront à leur tour à populariser les Alpes. Grâce à eux, des milliers de touristes convergent vers ces sites décrits comme mythiques et sublimes. Les pays alpins, et tout particulièrement la Suisse, deviennent à la fois sources d’inspiration, terrains d’aventure et lieux de convalescence. L’arrivée du chemin de fer dans les montagnes, puis son électrification par la force hydraulique, va permettre à un flux croissant de voyageurs de visiter la région. Dès lors, le tourisme alpestre devient économiquement signifiant. Autour de 1860, l’apparition des premiers guides de voyages coïncide avec la naissance des stations de première génération. Elles sont vouées aux longues villégiatures d’été dans des hôtels situés à proximité des grands massifs. Etant donné les lourds investissements nécessaires au lancement de ces stations et la courte durée de la saison d’été, ce tourisme est réservé uniquement à la couche la plus riche de la société. A partir des premiers balbutiements du tourisme de masse, les Alpes ont vécu une phase d’expansion très importante. Elle a conduit à une saturation conséquente des espaces dans les zones de montagne dédiées aux sports d’hiver.10 Les aspects positifs du développement touristique alpin sont nombreux. Vecteur de travail et de revenus, il a permis de stopper l’exode de la population. Cette autonomie par rapport aux régions urbaines a renforcé l’identité des populations indigènes et en a favorisé la sauvegarde. Il a également permis de financer des infrastructures et des services en améliorant ainsi les conditions de vie des habitants. Parfois, le tourisme a également contribué à soutenir l’agriculture de montagne et l’aménagement du territoire. Cependant, le développement intensif du tourisme en montagne compte aussi un certain nombre d’inconvénients et de détracteurs. Les principales critiques sont liées à l’urbanisation désordonnée des stations, à la mise en place d’infrastructures touristiques et à la pratique d’activités sportives dans les milieux naturels. L’urbanisation montagnarde inflige souvent une perte importante d’authenticité aux villages existants. Selon l’ancien ministre français Jean Mistler : «Le tourisme est une industrie qui consiste à transporter des gens qui se trouvaient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux ».11 Tourisme en crise Le tourisme est un secteur stratégique de l’économie suisse. A ses débuts, le tourisme suisse était lié à l’attrait mystérieux qu’exerçait la montagne sur les riches de l’époque. La Suisse devient alors la destination d’un tourisme élitiste qui posa les jalons d’une véritable industrie de masse. Dans les années 50, la Suisse s’empare de 8 % du marché mondial et fait partie du groupe des cinq plus grands pays touristiques. À partir des années 60, la politique de développement touristique 9

Ruchat A., 1730, p.243 Kämpf R. et al., 2008, p. 243 Mistler J., 1982, p. 45

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Affiche publicitaire Chamonix, Alloz C.

dans l’arc alpin se focalise essentiellement sur la saison hivernale et la pratique des sports d’hiver. C’est seulement au cours des dernières décennies que l’on assiste à un engouement pour la saison estivale, générant elle aussi un potentiel touristique considérable. L’arc alpin est ainsi devenu le plus important espace touristique montagnard mondial avec des atouts précieux: un capital naturel, une image de marque, un accès aisé et une situation aux croisements des flux touristiques.

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Cependant, avec l’élargissement du marché et la compétition mondiale des destinations touristiques, le marché suisse rencontre des problèmes de compétitivité. Pendant les années 80 on assiste à une longue stagnation, suivie par un recul brutal du tourisme entre 1992 et 1996. Les causes de ce recul sont attribuées à la mondialisation du marché touristique et aussi au manque de dynamisme dans la promotion d’activités alternatives et innovantes. On peut justifier cette affirmation par la situation du tourisme mondial, où l’on constate qu’il n’y a pas eu de véritable récession, mais plutôt une redistribution des destinations et la naissance d’une nouvelle manière de consommer le tourisme.12 La diversification des intérêts du touriste contemporain n’a pas été suffisamment bien anticipée: les habitués des vacances en chalet, les fans du ski et les adeptes des forfaits organisés côtoyent désormais des congressistes, des visiteurs d’expositions ou des amateurs d’aventure. Dans un monde en perpétuelle mutation, l’offre touristique doit pouvoir s’adapter aux nouveaux changements si elle veut survivre. Changements climatiques

nb de domaines skiables ouvrables

En Suisse, comme ailleurs, les effets du réchauffement de la planète ssont inquiétants. Ce sont précisément les Alpes qui réagissent le plus aux modifications de l’équilibre écologique. L’été sera généralement plus chaud et plus sec, alors que l’hiver sera lui plus chaud et plus humide. L’organe consultatif pour les questions de changements climatiques, d’ici à 2050 prévoit un réchauffement d’environ deux degrés Celsius en automne, en hiver et au printemps, et de près de trois degrés en été. Parallèlement les précipitations augmenteront en hiver au-dessus de 2000 mètres d’altitude. Cela aura des conséquences contraignantes sur les domaines skiables, confrontés à un danger d’avalanche plus aigu. En outre, avec la fonte éc au e e t du permafrost et le recul des glaciers, 700 les risques d’éboulements augmentent, les voiries sont menacées et l’accès aux 600 stations d’altitude moins aisé. Les chan500 gements climatiques rendent les conditions de plus en plus extrêmes: canicule, 400 sécheresse ou averses violentes suivies d’inondations. A moyen terme les petites 300 formations glacières disparaîtront, modi200 fiant définitivement l’aspect du paysage.13 Toutefois, changements climatiques ne 100 riment pas forcément avec mort du tourisme alpin. En anticipant intelligemment 0 situaƟon plus 1°C plus 2°C plus 4°C ces mutations, le réchauffement peut actuelle Allemagne 27 11 5 1 devenir un facteur positif dans la reconFrance 143 123 96 55 version du tourisme de montagne. Italie 81 71 59 21 Autriche

199

153

115

47

Suisse

159

142

129

78

Sensibilité des domaines skiables alpins au réchauffement, Agrawala S

12 13

Kämpf R., 2008, p.12 Agrawala S., 2007, p. 28


Elitisation des sports d’hiver Aujourd’hui déjà, la saison d’hiver se raccourcit tandis que la limite des chutes de neige s’élève. Seules les stations financièrement solides, disposant de domaines skiables situés au-dessus de 1800 mètres ,survivront. Les infrastructures de la plupart des stations de moyenne altitude (1500–1600 mètres) ne verront pas leurs installations rénovées faute d’investissements. L’OCDE prévoit la ferme-

Piste de Sorebois à Zinal en novembre 2011, 24heures

ture de nombreuses stations de ski européennes par manque de neige; la quasi-totalité des domaines allemands, et 70% des autrichiens. Les stations suisses semblent moins menacées grâce à l’altitude élevée de leur domaine skiable. Avec ses neuf domaines situés à plus de 3000 mètres d’altitude, le Valais reste la région à l’enneigement le plus sûr de l’arc alpin. Seules 10 de ses 49 stations seraient obligées de fermer avec une augmentation de 4°C de la température.14 La demande des amateurs de sports d’hiver ne visera plus que les rares stations avec enneigement garanti qui vendront leurs offres au prix fort. Ainsi, ces loisirs redeviendront un luxe et le plaisir de skier dans un paysage immaculé deviendra une expérience réservée à l’élite. Les traditionnels camps de ski disparaitront, sans doute, au profit de sports plus accessibles. En revanche, l’élitisme croissant des sports d’hiver garantira la demande en logements de vacances dans les stations de haute altitude, conduisant certainement à une augmentation du prix des nuitées. Tourisme climatique Aujourd’hui, le tourisme alpin dépend principalement de la saison d’hiver. Avec les changements climatiques annoncés, le tourisme d’été gagnera en importance. Lorsque la chaleur devient insupportable dans les zones jusque-là tempérées, 14

Agrawala S., 2007, p. 28

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la quête de fraîcheur redevient actuelle. Bien que les changements climatiques soient un inconvénient pour le tourisme d’hiver, ils amènent une prolongation de l’été à la montagne avec des températures agréables jusque tard dans l’automne. Aujourd’hui, dévalorisé et sous-estimé le tourisme d’été risque un jour de supplanter le tourisme d’hiver, à condition que l’offre d’été devienne plus attrayante. L’image du randonneur à gros mollets qui colle au touriste d’été doit disparaître. Changements socio-économiques La révolution internet Internet a irrémédiablement modifié notre manière de gérer les informations. Le secteur du tourisme a été sûrement parmi les plus touchés par cette révolution. La clientèle peut désormais s’informer plus rapidement, mieux comparer les offres et leurs qualités. Chaque site touristique trouve une place sur la toile lui permettant de valoriser son offre. Des systèmes d’appréciation en ligne et des blogs permettent d’estimer de manière objective une destination, un hôtel ou un restaurant. Un défaut de qualité est automatiquement sanctionné. Ces nouvelles données rendent la concurrence de plus en plus rude mais donnent aussi leur chance aux petites structures.15 Renaissance du chemin de fer Les règlements toujours plus restrictifs en matière de sécurité compliquent le déplacement des passagers qui utilisent le trafic aérien. Cette tendance sécuritaire favorise un «comeback» du chemin de fer. Le souci de défense de l’environnement, le prix du pétrole et les embouteillages sur l’autoroute sont autant de facteurs qui rendent le chemin de fer à nouveau attractif pour le trafic continental.16 Selon le rapport PREDIT : « les émissions de CO2 par individu liées aux déplacements tourisme et loisirs passeront de 0,7 tonnes par an à 0,2 »17 . La Suisse dispose d’un des réseaux de transports publics les plus performants du monde. Ponctualité, propreté et capacité à emprunter des itinéraires spectaculaires sont des facteurs d’une valeur touristique élevée, il suffit de penser au Glacier Express entre Zermatt et St-Moritz. 100 80 60 40 20 0 2000 voiture

prévision 2050 avion

train

autres

Part des moyens de transport en %, Predit

15

Kafl on P. et al., 2009, p. 29-38 Ibid, p. 24 Cluzeau C.O., 2009, p. 51 18 www.ate.ch 16 17

Stations sans-voitures «Le trafic lié aux loisirs constitue un problème de plus en plus important», clame la conseillère nationale verte Franziska Teuscher, présidente de l’Association Transports et environnement, l’ATE.18 50% des trajets parcourus par les suisses sont parcourus dans le cadre de leurs loisirs. Le tourisme domestique est en forte expansion. En effet, l’augmentation du prix du pétrole et la responsabilisation écologique ont relancé l’attrait


des destinations de proximité. Cette tendance s’accompagne de nouvelles offres : courts séjours, apparition de coffrets « tout compris » et prix attractifs.19 Beaucoup de stations touristiques alpines sont confrontées à des problèmes comparables à ceux des centres urbains. Les quelques stations ayant choisi d’interdire la circulation à toutes voitures sont aujourd’hui récompensées pour leur décision. En effet, les villages de Zermatt ou Saas Fee sont moins touchés par la crise en partie grâce à l’absence de trafic. D’ailleurs ces stations partagent très souvent le sommet des classements de popularité. Pour assurer un service de qualité, les villages sans voitures doivent respecter certains critères tels que, le temps d’accès à la station, la fréquence des transports publics, la prise en charge des bagages, l’offre de transports à l’intérieur de la station ou l’information. Une enquête réalisée auprès des vacanciers par l’ATE montre que le paysage et la nature intacte sont les arguments premiers d’attractivité de la Suisse. Augmentation du temps de travail Les Occidentaux vont sans doute devoir travailler davantage. Les loisirs se raréfient, les voyages sont de plus en plus courts. les destinations les plus proches seront donc favorisées. Les vacances sont moins planifiées à l’avance mais plus spontanément. Le schéma traditionnel des vacances d’été et de ski a été complètement chamboulé. Les congés deviennent une phase de récupération importante pour les travailleurs soumis au stress: « une génération épuisée qui, en guise de retraite et de psychanalyse, aspire à utiliser, de façon ponctuelle, des vacances pour satisfaire des besoins vitaux qui peuvent aller du bien-être à la recherche d’un conjoint. ».22 Papy-boom La pyramide des âges s’inverse. En 2020, un tiers de la population européenne aura plus de 50 ans.21 Ce public cible dispose d’un budget plus conséquent que la moyenne et davantage de temps libre. Ces retraités actifs voyagent volontiers et souvent. Cette génération aspire plutôt à des expériences personnelles et à des relations sociales enrichissantes. Pour elle, la famille, les communautés et les valeurs morales jouent un rôle prépondérant. Les « nouveaux vieux » sont de plus en plus à la recherche d’authenticité. « Ils ne veulent plus être strictement spectateur mais acteur et accomplir des expériences même en vacances ; expérimenter du local, du régio- 80 et plus nal, du véritable ».22 La santé et 65-79 ans le bien-être restent malgré tout 55-64 ans leurs priorités. Ce nouveau public cible implique le développe- 40-54 ans ment d’une offre adaptée, pre- 25-39 ans nant en compte tant leurs désirs 15-24 ans que leurs besoins. Toutefois, les 0-14 ans doutes concernant l’avenir des -20 -10 0 10 20 30 retraites, ne permettentpas de mesurer l’impact de cette tenEvolution de la population européenne en millions, Eurostat dance à long terme. 19

Euromonitor, 2009, p. 18 Viard J. et al., 1998, p. 115 Eurostat, 2006, p. 55 22 Viard J. et al, 1998, p. 150 20 21

25


La famille décomposée La famille traditionnelle composée d’une mère, d’un père et de leurs enfants n’est plus d’actualité. La « famille » actuelle comprend tout un réseau : enfants, parents, grands-parents, tantes, conjoints séparés, remariés ou partenaires de même sexe. L’offre touristique doit s’adapter à ce nouveau modèle familial qui nécessite un produit plus avantageux et diversifié. Les solutions d’hébergement doivent garantir à ces familles une flexibilité adéquate et leur proposer des logements modulables. Les activités proposées doivent également répondre à différents publics cibles ; enfants, adolescents, jeunes, adultes et personnes âgées. Féminisation du voyage Les femmes représentent une partie importante du marché du tourisme. Elles demeurent de plus en plus célibataires. Actives professionnellement, elles ont davantage les moyens de voyager seules ou accompagnées. Elles recherchent le bien-être: wellness, beauté, mode, design, culture, formation ou contacts sociaux. Les femmes sont les moteurs du Lohas (Lifestyle of Health and Sustainability)23 , qui dicte un style de vie sensible à la santé et à l’environnement. Elles considèrent l’aspect éthique et écologique des vacances comme prioritaire. Changements politico-économiques Insécurité Le terrorisme, l’instabilité politique et les conflits diplomatiques augmentent dans le monde entier et contribuent à limiter les déplacements. Dans ce contexte, la Suisse profite de sa réputation de pays stable et sûr. S’il est plus facile de voyager en Europe grâce au visa unique « Schengen », nombreux sont les pays qui durcissent leur législation en matière d’immigration. Cette réalité tend à renforcer le tourisme national et frontalier. Boom du marché asiatique Une grande part des touristes de demain viendront d’Asie. La classe moyenne chinoise et indienne croît de manière spectaculaire. Ce nouveau marché pourrait considérablement modifier le visage du tourisme international. L’OMT prévoit que 100 millions de Chinois partiront en vacances à l’étranger en 2020.24 Depuis des années, la Suisse exerce une véritable fascination sur les asiatiques. Paysages, nature, propreté: à leurs yeux, tout y est parfait. Et si ces touristes ne représentent aujourd’hui que 7% des nuitées annuelles, leur nombre a déjà quintuplé depuis 2003.

Nuitées en Suisse par continent, OFS 2010 23 24

www.lohas.com Kalfon, P., 2009, p. 67

Evolution des nuitées en Suisse de 2006 à 2010 en %, OFS


Évolution de la demande Les habitudes de consommation et de voyage en Europe ont radicalement changé avec l’émergence de nouvelles tendances touristiques. Parmi elles, on peu identifier deux formes de tourisme en fort développement : le tourisme rural et holistique. Le premier qui lie tourisme et agriculture se décline sous plusieurs formes, qu’il s’agisse d’une étape culinaire, d’un Spa dans des zones de montagne ou encore d’un séjour à la ferme. On peut observer une certaine homogénéité dans l’attente de sa clientèle: décompresser d’une vie urbaine stressante, retourner aux sources ou rechercher des expériences enrichissantes et éducatives convenant à tous. Une tendance similaire au retour aux sources est le tourisme holistique. Ce dernier attire prioritairement une clientèle féminine, urbaine, ayant un niveau de formation élevé et un travail stressant. Elle recherche des endroits « vierges » afin de se ressourcer. L’offre est composée d’un retour à la nature enrichie de stages de relaxation (Yoga, Tai-chi). Ce public cherche des alternatives pour se divertir tout en accordant une grande importance au bien-être. Le tourisme holistique se décline dans une multitude d’offres en progression constante en Europe depuis trois ans. Cette analyse du développement touristique montre que le tourisme alpin doit se renouveler s’il veut survivre. Une diversification de l’offre est indispensable pour affronter les changements à venir. Le paysage, principal atout du tourisme alpin doit, en s’alliant avec la culture, revenir au premier plan. L’essor du tourisme de masse, apparu dans les années 50, a mené à la croissance ininterrompue des stations de ski. Fréquentées qu’une partie de l’année, ces destinations sont aujourd’hui critiquées pour leur mono-usage. Ces « villes à la montagne » ont souvent bénéficié des infrastructures laissées par la construction des barrages. Les communes ont utilisé le revenu des concessions et le nouveau réseau routier à disposition pour créer de toutes pièces leur station de ski. Aujourd’hui, ces urbanisations ex nihilo ne convainquent plus, tant sur le plan social qu’économique. Dans ce contexte, on assiste à un renouvellement de la vocation naturelle et écologique des stations de montagne. Le concept d’écotourisme se manifeste dans toutes les typologies de stations, soit dans les stations cultivant la tradition du tourisme familial, soit dans les grandes stations à vocation internationale. L’élément principal de cette forme de tourisme est le respect de l’environnement. Les arguments de ces stations se concentrent sur la mobilité douce, sur les excursions spécialisées ou thématiques et sur la mise en valeur de l’architecture et des traditions vernaculaires. Lié à cette tendance, on constate également un regain d’intérêt pour les sites hydrauliques. Les zones en friche, à proximité des barrages sont réhabilitées pour diversifier l’offre régionale, notamment pour le tourisme estival. En Suisse, le pays des barrages, ce type de projets est encore largement sous-exploité.

27


Zones touristiques suisses

Barrages en Suisse, OFEN

Tourisme et barrages


29



31


2

p.30

Lac de Grimsel, Gafsou M.


BARRAGES Avec le tourisme, le développement des infrastructures hydroélectriques est celui qui a changé le plus radicalement le paysage alpin. A partir du début du XXe siècle, ces deux phénomènes ont souvent évolué conjointement. Afin de comprendre dans quelles mesures cette relation est née, il convient d’introduire la thématique des barrages, tant sur le plan technique que socio-économique. Définitions « Un barrage est un ouvrage hydraulique qui barre, sur toute la largeur, une section d’une vallée et crée ainsi une cuvette artificielle étanche.»25 Un ouvrage d’accumulation englobe un barrage et un bassin de rétention. Ces ouvrages peuvent être classés en deux catégories principales ; le stockage de l’eau en vue d’une utilisation ultérieure ou la protection contre les eaux et les matériaux charriés. Stockage de l’eau: — production d’énergie électrique — approvisionnement en eau potable et industrielle — irrigation — pêche — production de neige artificielle — navigation fluviale Protection: — rétention contre les crues — rétention des sédiments charriés — protection contre les avalanches — régulations des lacs La gestion des ressources en eau a de tout temps joué un rôle crucial dans l’évolution des grandes civilisations. Aujourd’hui encore, l’irrigation est la fonction principale des barrages dans le monde. Dans les Alpes, l’usage hydroélectrique s’est imposé pour répondre à la consommation croissante des pays européens. C’est pourquoi, cette fonction est plus largement traitée dans ce travail. Hydroélectricité L’énergie électrique est produite par la transformation de l’énergie cinétique de l’eau, par l’intermédiaire d’une roue entrainant un rotor d’alternateur. Formes de production:26 —les centrales gravitaires : les apports d’eau sont uniquement gravitaires. Ces centrales mettent à profit l’écoulement de l’eau le long d’une dénivellation du sol. —Les centrales au fil de l’eau : principalement installées dans les zones de plaine. Ces retenues de faible hauteur utilisent le débit du fleuve sans capacité de modulation par stockage. 25 26

Schleiss A. J., 2011, p. 5 Ibid, p. 10-12

33


— les centrales de transfert d’énergie par pompage : un dispositif artificiel permet de pomper l’eau d’un bassin inferieur vers un bassin supérieur comprenant souvent une partie gravitaire. En plus de produire de l’énergie, ce système permet de stocker l’énergie produite par d’autres types de centrales quand la consommation est basse. Ces centrales se composent de deux bassins situés à des altitudes différentes entre lesquels est placée une machine hydroélectrique réversible. — les centres marémotrices : utilisation de l’énergie du mouvement des mers (marées, courants, vagues). L’hydroélectricité dans le bilan énergétique mondial Les 18235 milliards de kilowattheures électriques (TWh) produits dans le monde en 2005 provenaient pour 40 % du charbon, 20 % du gaz, 16 % de l’hydraulique, 15 % du nucléaire, 6,5 % du pétrole et 2,5 % des autres sources confondues (biomasse, éolien, solaire, géothermie, etc...). L’hydraulique est de très loin, avec 3000 TWh, la principale source d’électricité d’origine renouvelable. Si la Chine, le Canada, le Brésil et les USA sont les plus gros producteurs, trois pays sortent du lot en ce qui concerne la place qu’y tient l’hydraulique dans leur production d’électricité : le Paraguay, avec 100%, la Norvège, avec 99% et le Brésil, avec 84%. Si l’hydraulique était encore la deuxième source d’électricité en 2000, elle a aujourd’hui reculé à la troisième place, doublée par le gaz naturel.27

25000

600

20000

500 400

15000

300

27

www.icold-cigb.org

Suisse

France

Japon

Suede

Inde

Venezuela

Norvege

USA

0

Russie

autres

recréaƟon

pisciculture

navigaƟon

eau potable

contrôle des crues

irrigaƟon

hydroélectricité

Les barrages dans le monde selon leur usage, OFEN

100 Canada

mono usage

0

200

Chine

total 5000

Bresil

10000

Production d’hydroélectricité par pays en Twh, Schleiss A.J.


Barrage poids

Grande-dixence, www.grande-dixence.ch

Un barrage poids est un barrage dont la propre masse suffit à résister à la pression exercée par l’eau. Ce sont des barrages dont le profil triangulaire permet la transmission des forces extérieures. Même s’ils nécessitent bien plus de matériaux que les autres types de barrages, ils sont encore abondamment de mise de nos jours. Le choix de la technique est d’abord géologique : une fondation rocheuse de bonne qualité est nécessaire. Il faut aussi disposer des matériaux de construction (granulats, ciment) à proximité. La construction en maçonnerie était de rigueur jusque dans les années 30. Puis, le béton s’est imposé une fois sa technologie éprouvée. Dès 1978, une technique de béton compacté au rouleau s’est substituée au béton conventionnel. Plus sec, il se met en place comme un remblai, avec des engins de terrassement. Cette technique présente le principal avantage d’être beaucoup moins cher que le béton classique.28 Barrage voûte

Hoover dam, flickr

Le barrage voûte est un mur de béton incurvé horizontalement, et parfois verticalement (on parle alors de voûte à double courbure). La poussée de l’eau est reportée sur les flancs de la vallée. Cette technique nécessite une vallée relativement étroite et un bon rocher de fondation. Par le peu de matière utilisée, elle est très satisfaisante économiquement et écologiquement. Malgré ces avantages, le barrage voûte est aujourd’hui souvent concurrencé par le barrage-poids ou le barrage en remblai, dont la mise en œuvre peut être davantage mécanisée. La voûte est considérée comme le barrage plus sûr, malgré l’accident de Malpasset en 1959, dû à une rupture des fondations. C’est le seul cas connu de rupture d’un barrage voûte.29 28 29

Schleiss A.J., et Pougatsch H., 2011, p. 35-37 Ibid, p. 37-40

35


Barrages en remblai

Mattmark, Maro F.

Les barrages en remblais sont essentiellement constitués de matériaux meubles, gisant à proximité immédiate de l’ouvrage. Cette famille regroupe plusieurs catégories ; les barrages en terre, les barrages en enrochements et le barrage à noyau argileux qui comporte un noyau central assurant l’étanchéité ainsi qu’une couche périphérique de matériaux plus perméables.30 Historique

4000 av. J.-C.

Java, Jordanie du nord: digues de 5 mètres de hauteur destinés à l'irrigation et aux besoins en eau potable.

2600 av. J.-C.

Saad al Kafara, Egypte: digue de rétention de rues, haute de 14 mètres.

700 av. J.-C.

Le roi d'Ourartou Rusa construit des petits barrages pour alimenter leur capitale en eau.

550 av. J.-C.

Marib, Yémen du nord: un barrage d'irrigation crée les bases de la vie du royaume de Saba.

300 av. J.-C. XVe siècle 1695 XIXe siècle 1872

30

Empire romain: Premiers barrages-voûtes. Europe: digues de modestes dimensions destinées à la pisciculture et au fonctionnement de moulins Roche, Vaud: barrage arqué haut de 8 mètres utilisé pour le flottage de bois. France: formulation des premières bases théoriques pour l'établissement de projets de grands barrages. Fribourg, barrage de Pérolles: premier cas d'utilisation du béton pour la construction de grands barrages.

1920

Montsalvens, Fribourg: premier barrage voûte européen à courbure horizontale et verticale.

1973

Construction du Barrage d’Emosson

2009

Construction du Barrage des Trois-Gorges: le plus grand barrage du monde

Schleiss A.J. et Pougatsch H., 2011, p. 17-20


L’épopée hydraulique Jusqu’à la révolution industrielle, le vent et l’eau étaient les seules énergies connues, permettant de remplacer la force humaine ou animale. Le moulin est resté très longtemps le seul outil de transformation des forces de la nature en énergie domestique. En ce sens, cette révolution a chamboulé incontestablement l’histoire de l’humanité. Suite à l’invention de la machine à vapeur, notre manière de vivre et de penser fut irrémédiablement bouleversée. La machine, véritable esclave des temps modernes, a engendré la croissance industrielle incessante du vingtième siècle. Avec la découverte de l’hydroélectricité, les régions de montagne sont favorisées grâce aux nombreux torrents alimentés par la fonte des neiges et des glaciers. C’est à partir de 1900 que la plus grande partie des vallées alpines canalisent leurs eaux captives derrière d’immenses murs, pour les amener dans des conduites vers les turbines génératrices d’électricité. La nécessité de créer de grands barrages s’est vite imposée pour répondre aux besoins industriels et domestiques. Durant toute la première moitié du XXe siècle et jusqu’au développement du nucléaire, l’énergie hydraulique devient la principale source d’énergie. La houille blanche Cette métaphore datant de l’Exposition universelle de 1889 exprime la richesse de l’eau des glaciers comparée au charbon, matériau fondamental de l’époque. L’avantage capital de la houille blanche est à son époque son caractère inépuisable et éternel. « Aux puits profonds, aux galeries dangereuses, aux noirs mineurs fatigués, aux lourds wagons, aux fameuses cheminées de la houille, les grandes chutes opposent leurs lacs gracieux, leur conduites d’eau pittoresque, leurs moteurs simples et propres, leurs eaux fraiches et bienfaisantes »31 Avec cette métaphore, Aristide Berges cherche à convaincre l’opinion publique d’investir dans les richesses hydrauliques des montagnes. La difficulté de mener à bien une telle opération, n’était alors pas seulement d’ordre technique mais surtout d’ordre foncier. En effet, le sol montagnard est bien souvent morcelé en une multitude de parcelles transmises de pères en fils. Témoignages de chantiers Il est difficile d’imaginer à quel point la construction des barrages a profondément influencé toute une génération. Ces quelques témoignages récoltés lors de la construction de la grande Dixence expriment la fascination qu’exerçaient ces ouvrages sur ceux qui les côtoyaient. « Notre canton vit une expérience bouleversante. Brusquement tout s’est mis à bouger, à vivre. Partout, on veut rattraper le temps perdu, s’étonnant d’une si longue inertie. Ce petit pays se découvre soudain une ambition de grande nation. » Jean Follonier32 31 32

Berges A., 1889 Le choucas, n°25, 1957

37


« Sans vouloir nous monter le cou, il n’y a pas de chantiers de haute montagne dont l’organisation sociale soit aussi poussée. Ne sommes-nous pas à l’avantgarde de toutes les nouvelles mesures tendant à améliorer le sort et le bien-être de l’ouvrier ? La convention de 1953, l’existence d’une commission ouvrière, l’institution d’un système de primes à la production, l’amélioration progressive du bien-être des ouvriers (logements, cantine, transports, etc.) et de ses rapports avec les chefs, l’agrandissement et l’aménagement de notre infirmerie centrale, déjà considérée comme un hôpital de chantier par la CNA, avec ses deux médecins, ses deux religieuses et son personnel sanitaire, l’activité spirituelle moralement secourable de l’aumônerie et j’en passe. » Jean-François Munier33

Ouvriers de la Grande Dixence, www.grande-dixence.ch 33

Le choucas, n°22, 1956


« Et tout à coup j’ai vu la Dixence. Elle est à l’échelle des montagnes (…). J’en fus saisi et je me dis, mes fleurs à la main : réjouis-toi ! Va revoir cette œuvre en tous cas, elle est la base, la pierre d’angle, de touche, d’achoppement du nouveau pays. Le nombril du Valais est là et la pierre commence son roman : broyée, émiettée, dévalant sur un caoutchouc vers d’autres installations et finissant par devenir le béton d’un grand mur. Je suis entré dans la montagne au fond d’une vallée couverte de crocus, secouée d’avalanches, et j’en suis sorti dans une autre, très loin. De Cheilon au chantier d’Hohwäng, face au Cervin, il y a vingt kilomètres par le grand collecteur qui doit drainer toutes les eaux de la Viège, toute la ramille des sources, toutes les cascades, tous les torrents surgis des glaces qui enserrent Zermatt au vaste horizon. Le grand collecteur a ses rameaux secondaires, ses puits, ses siphons ; le flux entier des glaciers qui coule vers la Dixence. » Maurice Chappaz34 « En quelques jours, sortent du sol des maisons, des bureaux, des cuisines, des magasins, des dépôts, des infirmeries, des auberges, une chapelle même. Des installations fabuleuses montent au ciel, des ponts géants courent de part et d’autre de la gorge, à cent ou deux cents mètres du sol : des wagonnets circulent sur des voies aériennes qui donnent le vertige. Les machines ronflent nuit et jour ; la nuit, d’immenses projecteurs éclairent le chantier et l’ombre des monstres de fer se prolonge jusqu’au glacier. » « Dans la gorge, les équipes décapent la surface du rocher, creusent, nettoient, lavent à grands jets brutaux le socle du futur barrage. On voit passer, loin au-dessus du sol, les bennes du téléphérique ; les cordages d’acier grincent dans les poulies. Quels curieux oiseaux montent et descendent sans relâche, sur des pistes toujours les mêmes ? De temps à autre, un homme, au passage, vous fait signe. » Maurice Zermatten35 Les barrages en suisse La topographie et le niveau des précipitations de la Suisse lui assurent une excellente situation hydraulique. Elle fournit 56% de la production électrique du pays, soit quelque 38 milliards de kilowattheures par an. 56% de cette production provient des centrales à accumulation, 44%, des centrales au fil de l’eau. La demande en électricité croît chaque année en Suisse. Parallèlement, plusieurs contrats avec l’étranger viennent à terme. Selon de nombreux analystes, la pénurie nous guette à l’horizon 2035 si rien n’est entrepris. Alors que la stratégie fédérale tarde à produire des effets, le canton du Valais va recevoir pour plus de 1,5 milliard de francs. De quoi le positionner idéalement sur le plan de l’énergie de réglage; la plus précieuse. La Suisse offre un potentiel de développement hydraulique d’environ 3 milliards de kilowattheures, soit un dixième du manque annoncé à l’horizon 2035. Un tiers de ces kilowatts proviendront du Valais.36 Paradoxalement : hormis dans les régions de montagne, nombreux sont les consommateurs qui ignorent d’où provient l’énergie qui les éclaire, les transporte ou les chauffe. 34 35 36

Journal intime d’un pays, Treize étoiles, 1960 Zermatten M., 1960, p. 12 Wyer H., 2008, p.26

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Les défis du XXIème siècle Les enjeux énergétiques à l’échelle suisse, voire à l’échelle européenne, sont colossaux. Toujours plus gourmand en énergie, le consommateur va devoir faire avec une baisse de la production. Effectivement, les centrales nucléaires sont poussées vers le chemin de la retraite, les contrats d’importation internationaux arrivent à expiration et le potentiel des énergies renouvelables reste encore limité. Malgré une amélioration de l’efficacité énergétique, nous allons au-devant d’une pénurie d’électricité. Pour inverser cette tendance il n’y a qu’une alternative : consommer moins ou produire plus. Aujourd’hui dans un contexte partagé, où sécurité d’approvisionnement, respect de l’environnement et impératifs économiques se télescopent, la force hydraulique possède sûrement les meilleurs atouts pour atténuer les risques liés à la pénurie. Reste cependant un problème de fonds lié à la valeur de l’énergie. Impact Socio-économique La construction des grands barrages a marqué de manière indélébile les populations indigènes, mais aussi une part importante de la collectivité. Après-guerre, les images de ces constructions titanesques témoignent d’un pas vers la modernité et de l’entrée dans une nouvelle ère: les Trente Glorieuses. Bien que la disparition des domaines fonciers provoquée par la mise en eau d’un barrage bouleverse les conditions de vie des communautés rurales, les aménagements sont rarement remis en cause, au vu des contributions financières alléchantes proposées par les compagnies hydroélectriques. Selon les promoteurs de barrages, l’enjeu est de favoriser le développement local et d’assurer la modernisation de ces vallées, quitte à en chambouler le fonctionnement. Ces réalisations ont été bien accueillies par les riverains, car ces grands chantiers ont eu des effets importants : — la revitalisation des communes a facilité la mutation d’une économie agricole traditionnelle vers une économie plus diversifiée, ouverte sur le tourisme ; — la création d’emplois a favorisé le maintien sur place d’une partie de la population active ; — le développement massif des équipements routiers a désenclavé les alpages et les villages reculés facilitant plus tard l’accès aux activités touristiques.37 L’implantation des barrages a révolutionné l’économie alpine. Ils ont été, jusqu’à la seconde guerre mondiale, la raison même de l’installation des industries électrochimiques et électrométallurgiques dans la plaine. Avec le développement de ces usines, les riverains des régions concernées sont passés du statut de paysans saisonniers, à celui d’ouvriers-paysans. Puis leurs enfants sont souvent devenus ouvriers tout court et plus rarement employés. On leur doit la fin des grosses immigrations du XIXe siècle, l’entrée de l’argent dans les ménages, mais aussi l’abandon des cultures les plus contraignantes.39 La construction des barrages signifiait pour les populations alpines, la fin de certaines restrictions, un pouvoir d’achat plus im37 38

Gonthier M. et Lamory J.M., 1996, p. 18 Perriard-Volario M., 1996, p. 111


portant et une vie plus facile. Toutes opinions politiques confondues, et quel qu’en soit le rang social, les autochtones étaient fiers de ces chantiers spectaculaires qui, au-delà de l’argent et du travail, témoignaient de l’ambition d’un peuple. Les stations de ski qui vont leur succéder ne susciteront pas les mêmes sentiments, car elles apparaissent plus comme l’œuvre des «citadins ».39 La Loi fédérale sur les forces hydrauliques de 1957 indique qu’à l’échéance des concessions, toutes les installations hydroélectriques, à part les génératrices électriques, les postes de transformation et le réseau de distribution, font l’objet d’un retour gratuit aux communes concédantes ou au canton. Un aménagement donné peut être au bénéfice de plusieurs concessions dont la durée est généralement de 80 ans. 95 communes valaisannes —sur 141— sont concernées par le retour des concessions. Si ces dernières sont renouvelées, entre 15 et 20 milliards de francs sont en jeu d’ici à 2040. 40 Dans ce contexte, le stockage de l’énergie est un enjeu très important. Le pompage-turbinage associé aux mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique peut créer en Valais une base solide pour son économie et sa capacité d’innovation. Pour mémoire, le canton produit actuellement 27% de l’énergie hydroélectrique du pays. 41 L’enjeu principal du retour des concessions est de sauvegarder des emplois dans le massif alpin. L’emploi ciblé et judicieux de la force hydraulique doit, à terme, contribuer à améliorer les conditions de vie. « L’utilisation du courant hydroélectrique indigène revenant à la communauté dans le cadre de l’exercice de la concession ou lors du retour concerne l’industrie, l’artisanat, la population et les ménages. Il s’agit de les approvisionner en électricité à un prix avantageux et correct. Le surplus de la très forte production électrique du Valais doit être valorisé aux meilleures conditions possibles sur le marché suisse et européen de l’électricité. »42 Environnemental La force hydraulique est déclarée énergie renouvelable et propre par rapport à d’autres sources d’énergie. Toutefois, la réalisation d’un barrage peut avoir des effets importants sur l’environnement. Une retenue influence de manière significative la zone ù le cours d’eau est érigé. En barrant l’écoulement naturel d’un cours d’eau, un barrage a des incidences sur la migration des poissons, la nappe phréatique, la qualité des eaux et le transport de sédiments. Le barrage est l’ouvrages construit dont l’impact sur l’environnement est le plus important. C’est pourquoi dès les années septante, les défenseurs de la nature remettent en question la construction forcenée de barrages et de lacs d’accumulation. Ils affirment que le développement important de cette industrie dans les zones de montagnes est préjudiciable à l’équilibre hydraulique. Aujourd’hui, du fait que l’électricité est tirée d’une matière première renouvelable sans émission de gaz à effet de serre et sans production de déchets, ces remises en question sont de moins en moins de mise. Comparés aux effets environnementaux négatifs des usines thermiques, les effets de la construction de barrages et de lacs d’accumulation sont minimes. L’intégration de longue date des réseaux européens d’électricité, de même que la libéralisation du prix du courant, ont modifié les mentalités jusqu’au plus profond des Alpes. Toutefois, il ne faut pas occulter 38

Perriard-Volario M. 1996, p.118 Wyer H., 2008, p. 218 Bonvin M., 2011 42 Wyer H., 2008, p. 250 40 41

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les impacts négatifs, tels les captages entrainant l’assèchement de certains torrents, qui enlèvent une part de leur poésie au paysage montagnard. Si les débits de certaines rivières à truites sont devenus très faibles, il y a en compensation les lacs de retenue qui se sont révélés très poissonneux. Sur le paysage Si les lacs d’accumulation étaient auparavant considérés comme des corps étrangers artificiels dans un paysage alpin idéalisé, on reconnaît maintenant le rôle important qu’ils jouent comme bassins d’équilibrage hydraulique. Ils remplacent la fonction que les glaciers ne vont bientôt plus pouvoir assumer. Auparavant, les glaciers gardaient les précipitations irrégulières et les rendaient de manière continue en été. Aujourd’hui, ils fondent inexorablement et jouent de moins en moins ce rôle régulateur. Sans les bassins d’accumulation, l’eau des précipitations envahirait les prairies et gonflerait les cours d’eau et lacs des vallées. 43 Les risques d’inondations mettraient en danger les habitants et réduiraient l’affluence touristique. Ce sont des scénarios bien connus dans la vallée du Pô, au nord de l’Italie, où l’irrégularité des précipitations n’est plus maîtrisée. Les barrages modifient la physionomie des vallées dans lesquelles ils sont implantés. Le dialogue s’instaure entre le paysage naturel et les interventions humaines révélant les caractères forts d’un lieu. Un barrage de montagne est bien plus qu’un mur de béton barrant une vallée. Il paraît comme une masse énigmatique autonome vivant aux rythmes de crues et de décrues de l’eau. Le barrage, considéré avant tout comme une infrastructure, transforme les perspectives et modifie notre vision du territoire. Le barrage et la retenue créent une nouvelle entité, un nouveau paysage dans le paysage. Les mesures, les volumes d’eau, les quantités d’électricité produites, la puissance des turbines se profilent dans une nouvelle vision de la vallée. Architecture et barrages On peut considérer les barrages comme les plus grandes sculptures réalisées par la main de l’homme. La formule de Louis Sullivan veut que la forme suive la fonction. Dans le cas des barrages on dirait plutôt que la forme suit la situation, tant la topographie et la géologie jouent un rôle déterminant dans la conception d’un barrage. Cependant, depuis l’Antiquité, les qualités mystiques attribuées à l’eau et son stockage ont longtemps inspiré les ingénieurs qui cherchaient à retranscrire la noblesse de la tâche par un geste stylisé. L’aspect esthétique finit par être un critère primordial dans la réussite d’un barrage. 44 Ingénieur diplômé de l’école des ponts et chaussées, André Coyne a eu dans tous ses barrages une exigence de pureté et de dépouillement qu’il partageait avec les architectes de sa génération. Dès son premier ouvrage, à Marèges sur la Dordogne, il a apporté des innovations techniques. L’évacuateur en « saut de ski » est surement son invention la plus marquante. Coyne fait particulièrement attention à ce que les ingénieurs appellent les détails. Selon lui : « l’esthétique d’un barrage n’est pas faite pour accélérer les ventes comme l’esthétique d’une casserole, d’un rasoir électrique ou d’un réfrigérateur. Un barrage est fait pour durer des siècles. Son 43 43

AgrawalaS., 2007, p. 66 Robins F.W., 1946, p. 85


échelle, à la fois dans l’espace mais surtout dans le temps, son caractère monumental, qui tient à cette échelle, interdisent qu’on sacrifie aux contingences passagères et spécialement à la mode, dont il est difficile de contester l’influence sur les objets de consommation courante. […] Voilà en quoi l’architecture des barrages diffère de l’architecture industrielle ; mais elle lui ressemble parce qu’il s’agit de remplir une fonction technique, et souvent plusieurs aux influences contradictoires. »45 Chaque barrage est différent, obligeant chaque fois son concepteur à réinventer l’art de bâtir. Si l’essentiel des études porte sur les problèmes statiques, l’intégration des barrages dans le paysage requiert une part significative des réflexions. Peu à peu, le statut des barrages tend vers celui de patrimoine construit. Un jour, peut-être, les barrages seront protégés au même titre que la nature qui les entoure.

Barrage Grandval, Moreau M. 45

Coyne A., 1953

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45


3

p.46

Projection sur la Grande Dixence, Inconnu


TOURISME & BARRAGES Le barrage représente, de par sa dimension, le point le plus visible du système électrique. Une fois les problèmes de transmission de l’électricité à grande distance résolus, un lien effectif s’installe entre le consommateur et le producteur, la montagne et la vallée, la nature et la ville. La glorification des barrages s’est naturellement imposée dans l’imaginaire collectif. Que ce soit dans les journaux, dans les livres voire dans les manuels scolaires, tout était prétexte à célébrer ces nouveaux monuments. Etrangement, avec le temps, la fonction et la grandeur de ces grands murs barrant le fonds des vallées tombe dans l’oubli. Cependant, les récentes prises de conscience écologiques ont remis au goût du jour l’hydroélectricité, élément indissociable de la politique énergétique suisse. Elles remettent les barrages à l’honneur. Ils représentent à la fois le progrès, l’avancée technologique spectaculaire du XXe siècle mais aussi la limite du progrès. Le tourisme tient au même paradoxe. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’une part non-négligeable des parcours touristiques a été générée par le système électrique. La construction des routes et des infrastructures qui garantissent le bon fonctionnement des ouvrages hydroélectriques ont souvent favorisé le lancement du développement touristique. La revalorisation de ces paysages électriques signifie donc aussi un retour aux sources plutôt qu’un détour dans un milieu artificiel. 46 L’analyse des différents usages touristiques attribués aux barrages peut définir trois types principaux de tourisme : Barrage-nature L’essor de l’hydroélectricité a fait surgir un nouveau type de paysage : « le paysage électrique». Faites de barrages, retenues, conduites, les traces de l’intervention humaine ont été particulièrement vite acceptées, au point que la présence de ces signes paraisse inhérente au paysage. Les barrages fonctionnent comme des gigantesques machines paysagères. Même si leur démesure dérange certains, force est de constater que les activités autour des plans d’eaux artificiels ont connus un franc succès dans de nombreux cas. Souvent, les barrages étaient construits pour un usage précis: production d’énergie, irrigation, alimentation en eau potable, régulations des crues. Jamais on avait imaginé qu’ils porraient devenir attraction touristique. 47 C’est seulement avec le temps qu’une demande touristique de plus en plus forte autour de ces sites s’est manifestée. Les lacs de retenue s’ouvrent de plus en plus à la pratique des sports nautiques quand la température le permet. Leur situation idyllique attire de plus en plus de randonneurs. Hormis son offre nautique, un lac de retenue attire les touristes pour la beauté de ses couleurs ainsi que le rapport contrasté qu’il entretient avec le paysage environnant.

46 47

Zermatten M., 1956, p.13 Jakob M., 2006, p.52

47


Serre Ponçon (FR)

À la frontière entre la Provence et les Alpes du Sud, le barrage de Serre Ponçon permet la production de 6 milliards de kWh d’énergie hydroélectrique, la fourniture d’eau potable et industrielle à toute une région et l’irrigation de 150.000 ha de terres agricoles. Sa construction en 1955 a eu un impact socio-économique majeur, provoquant la submersion de 2800 ha de terres et le déplacement de plus d’un millier d’habitants. Malgré ces dégâts collatéraux, cet ouvrage a été relativement bien accueilli par la population locale car il marquait l’entrée dans la modernité. 50 ans plus tard, le lac de Serre Ponçon est devenu progressivement un site touristique majeur. Ses 80 km de rives sauvages, parsemées de plages aménagées et surveillées, attirent autant les adeptes de la nature que de sports nautiques. Le site offre de nombreuses structures d’accueil au public et la possibilité de visiter les installations EDF. Il existe 7 écoles de voiles et 2 sites de ski nautique ainsi qu’un musée retraçant l’histoire de la construction du barrage, représentant, à l’aide de maquettes, le paysage de la vallée avant la mise en eau. La région qui borde le lac dispose aujourd’hui d’une capacité d’hébergement de 2000 lits. Le chiffre d’affaires annuel est évalué à environ 60 millions d’euros pour le seul tourisme d’été. 48 Vouglans (FR)

48

Gonthier M. et al., 1996, p.84


Dans le Jura, la retenue de Vouglans constitue un exemple intéressant de développement d’activités touristiques et de loisirs. Des enquêtes révèlent que les Jurassiens se sont vite appropriés cet espace, et qu’ils y pratiquent toutes sortes d’activités. Son cadre qualifié de «naturel» est idéal pour la pratique d’activités pédagogiques et de randonnées. Il offre par ailleurs des ressources piscicoles abondantes. Le plan d’eau est divisé en trois secteurs permettant de faire cohabiter les différentes activités tels que voile, ski nautique ou pêche. L’offre globale d’hébergement est estimée à 32.350 lits dans le bassin touristique de Vouglans, soit une fois et demie la population résidente. Cette capacité représente 24% des capacités d’accueil du département. Principalement basée sur les activités nautiques, la fréquentation est concentrée sur l’été. La majorité des visiteurs est constitué d’une population régionale ainsi que de groupes scolaires et de centres de vacances. On constate toutefois une augmentation des touristes étrangers notamment néerlandais. Le chiffre d’affaire des activités touristiques et de loisirs sur la retenue de Vouglans représentent 41,5 millions d’euros par an soit 18 % du chiffre d’affaire du tourisme sur le département du Jura. 49 Salagou (FR)

Le barrage du Salagou a été construit en 1964 pour permettre le développement d’une agriculture irriguée et l’écrêtement des crues. Une fois réalisé, les promoteurs du projet se sont rapidement aperçus que le développement de l’irrigation n’était pas satisfaisant. Prévue à l’origine pour irriguer 40 000 ha, la retenue arrose à peine de 6 000 ha. Le barrage est resté plein les premières années, et n’a jamais été vidangé. De ce fait, très rapidement le bassin est devenu lac. Cet environnement aquatique relativement protégé des pollutions a une fréquentation touristique de proximité importante. La pêche y est devenue très prisée (carpe, brochet) et motive le déplacement de pêcheurs de l’Europe entière. Le site, fréquemment venté, convient aussi à la pratique de la planche à voile et de la voile. Des vignes occupent les pentes les plus faibles. Ailleurs, les pentes de terres rouges, partiellement couvertes en garrigues, sont broutées par des moutons. Le lac attire un nombre conséquent de sportifs adeptes du vélo tout terrain. Les structures d’hébergement sont restées dispersées et ont gardé un caractère traditionnel. Même 49

Mahiou B. et al., 2004, p.17

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avec un chiffre d’affaire global de 10 millions d’euros par an, on estime que l’usage touristique n’aurait pas suffi à justifier la réalisation du barrage.50 En tant qu’ouvrage construit le plus modificateur de l’environnement, le barrage est aussi caractérisé par sa durabilité : plus d’un siècle. Une exploitation plus globale des ouvrages existant est nécessaire afin de mieux prendre en compte les besoins de l’ensemble de la société. L’émergence de nouveaux usages touristiques autour des barrages prouve qu’il y a un pontentiel. L’usage touristique nécessite néanmoins un niveau stable de la retenue tout au long de la saison. Le maître d’ouvrage doit garantir le remplissage de la réserve au début de l’été. Il s’agit de trouver un équilibre économique entre besoins touristiques et productions d’électricité rentable. La complexité de ce type de gestion est aggravée dans les situations extrêmes, en particulier en période de sécheresse, quand la ressource se fait rare. C’est ici que peuvent surgir des conflits d’usage. La sécheresse de 2003 a montré qu’il était indispensable que chaque parties se concerte nt et fasse preuve de souplesse. Les importantes variations du niveau de l’eau étant un problème récurrent des barrages hydroélectriques, il est difficilement envisageable de développer des activités nautiques sur les lacs des grands barrages alpins.50 Barrage-culture Les touristes sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir bronzer idiot. On constate l’essor de ce que l’on appelle le « tourisme industriel ». Un nombre croissant de visiteurs cherche à connaître les produits et services qu’il consomme au quotidien et à explorer le patrimoine économique d’une région. Le tourisme industriel permet de mettre en lumière des méthodes et procédés de fabrication, de production et d’industrialisation pour tout types de produits. Ce tourisme recouvre des visites d’usine mais aussi des espaces muséographiques, des centres de congrès ou des laboratoires de recherche.51 De nombreuses entreprises s’organisent pour promouvoir l’envers du décor et ses rouages techniques devant un public varié. C’est en premier lieu un public scolaire (38 % de la clientèle) qui s’intéresse à découvrir le monde de la vie professionnelle. Il s’agit de sensibiliser le public à certaines professions ou secteurs d’activités. Les visites permettent de mettre en valeur le savoir-faire et la richesse immatérielle du patrimoine de l’humanité. Même si aucune vente n’est faite sur le moment, c’est une publicité à long terme pour l’entreprise : « une heure passée sur un site à contempler les moindres détails de la production sont bien plus efficaces qu’un spot publicitaire de quelques secondes. »52 Les grands barrages ne dérogent pas à la règle, bien au contraire. Dès les années nonante, on s’est rendu compte que les usines des forces motrices ne sont pas seulement des sources de revenus pour les entreprises actives dans la production d’énergie, mais qu’elles constituent un apport important au niveau touristique. En effet, l’aspect monumental de ces ouvrages ainsi que le cadre naturel dans lequel ils se trouvent, attirent un nombre croissant de visiteurs. Tant les 50

Mahiou M. et al., 1996, p.84 Hochstrasser R., 2002, p. 36 52 Ibid, p. 28 51


indigènes que les touristes étrangers s’intéressent à visiter l’intérieur de ces murs surdimensionnés et apprécient de se promener le long des lacs de retenue. Bien que les entreprises soient conscientes du potentiel intéressant que peut avoir le tourisme industriel, elles préfèrent pour l’instant confier cette tâche aux offices du tourisme locaux. Electrobroc (CH)

A Broc, dans le canton de Fribourg, quelques 15’000 personnes visitent chaque année, de mars à décembre, le centre d’information sur l’énergie, Electrobroc. Située dans une centrale hydroélectrique en activité, cette exposition unique en Suisse permet, entre autres, de découvrir différentes formes d’énergies, notamment les énergies renouvelables, ainsi que la quantité de ressources nécessaires à la production de 2’000 KWh.53 Afin de mieux comprendre le chemin de l’électricité de la consommation à la production ainsi que les différentes installations d’un barrage, une grande maquette interactive illustre de manière didactique le processus. Une promenade reliant le musée au barrage de Montsalvens permet au visiteur de vérifier la théorie in situ. Grimselwelt (CH)

Dans la région du Grimsel, les usines hydroélectriques de l’Oberhasli ont décidé de prendre en main le développement touristique de leur aménagement. Le but de l’opération était de conjuguer production d’énergie avec paysage, tourisme et politique régionale. D’importantes constructions industrielles rencontrent des paysages grandioses.il s’agit de la plus grande réserve naturelle du canton de %3

www.groupe-e.ch/electrobroc

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Berne. La nature y est préservée, malgré les lacs d’accumulation et les usines hydroélectriques. Ainsi, cette région protégée quoique habitée, prend de la valeur en tant que zone touristique «rendue à la nature». Au fil du temps, La région du Grimsel, qui recouvre non seulement les hauteurs alpines, mais aussi la vallée jusqu’au lac de Brienz, est devenue une véritable attraction touristique. De nombreux emplois ont été créés. La formule comprend hôtel, hospice, refuge alpin, concerts dans les halles aux turbines, infrastructures pour des congrès, gouffre de cristal et train à crémaillère vertigineux. Ainsi, du simple outil de production électrique, le complexe du Grimsel est devenu un site touristique de premier plan. Les « touristes industriels » y trouvent 6 installations de barrage, 9 usines hydroélectriques, 29 groupes de machines, de même que 130 kilomètres de galeries d’accès et de passages sous-eaux. Le tourisme y est diversifié et on y trouve beaucoup d’activités annexes, telles que la descente en rappel le long du mur du barrage, la visite d’une fissure cristalline ou la montée au Gelmersee à bord du funiculaire le plus raide du monde. Depuis l’été 2005, une fresque géante de l’artiste Pierre Mettraux, trône sur le mur du barrage de Räterichsboden. Cette œuvre éphémère, dont la peinture minérale devrait s’effacer avec le temps, représente Mélisande, une sirène tirées des légendes flamandes. Avec 15’000 m2 de surfaces, cette œuvre est une des plus grandes fresques du monde. Cette mixité entre nature, aventure et culture a permis à la région du Grimsel un développement touristique important. Lucendro (CH)

Le barrage de Lucendro, construit à l’aide de contreforts est le seul de suisse à être creux. L’espace vide captif au sein du barrage peut faire penser à la nef d’une cathédrale. C’est d’ailleurs cette spécificité qui a permis l’organisation de plusieurs évènements musicaux, mettant à profit l’acoustique particulière de cet antre de béton. En 1993, le saxophoniste suisse Werner Lüdi, a enregistré un album solo qui porte le nom du barrage. Dernièrement, ce sont les membres de l’ensemble de violoncelliste « Romana Kaiser » qui ont joué devant un parterre de 130 personnes. Bien que prévu pour être un évènement unique, il se pourrait que le responsable des lieux reconduise le concert annuellement.


Barrage villégiature L’engouement des visiteurs pour ces ouvrages spectaculaires a incité le développement d’une offre hôtelière à proximité du barrage. Souvent, ce sont d’anciennes structures tels que baraquements d’ouvriers ou cabanes de montagne, transformées en logements touristiques. Si les projets de rénovation rencontrent un franc succès, les nouvelles réalisations sont jusqu’ici extrèmement rares. Grimsel Hospiz (CH)

L’ancienne maison de mineurs se trouve au cœur d’un paysage rocailleux, au-dessus de la retenue turquoise du barrage du Grimsel. Cette auberge, située sur la route commerciale entre le Piémont et la Bourgogne, est mentionnée pour la première fois en 1142. Reconstruit en 1932 entre deux murs de barrage après la mise en eau du barrage, l’hospice est devenu un hôtel de premier ordre, couru tant par les esthètes que les amateurs de la nature. Lors de son ouverture, le Grimsel Hospiz était considéré comme l’hôtel le plus confortable de tout l’espace alpin. Toutes les chambres disposaient d’eau chaude et pouvaient être chauffées à l’électricité. Aujourd’hui, propriété des forces motrices d’Oberhasli, cette infrastructure hôtelière complète l’offre touristique de Grimselwelt été comme hiver.53 Grande Dixence (CH)

Au pied du plus grand barrage-poids du monde, l’ancien bâtiment qui abritait les dortoirs pendant le chantier s’est aujourd’hui transformé en hôtel. Appelé « le Ritz» par les ouvriers de l’époque tellement l’écart était grand entre la simplicité des premiers baraquements et le confort de ce bâtiment moderne. Cette 53

www.grimsewelt.ch

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construction préfabriquée a perduré dans le temps jusqu’à accueillir actuellement les touristes de passages. Les 72 chambres ainsi que le restaurant de 70 places et les différentes salles de conférences font de cet hôtel un outil redoutable pour le tourisme de la grande Dixence. Malgré l’austérité de sa construction, le site attire toujours plus de monde et d’évènements tels que mariages, baptêmes, ou séminaires. Tafjord Dam (NO)

La commune de Tafjord en Norvège a développé un projet de galerie d’art et d’hôtel situé sur le couronnement du barrage Zakarias. C’est le bureau d’architectes Snøhetta qui est à l’origine de ce projet. La galerie, un volume en verre, à cheval entre les deux pans de la vallée, regarde le barrage et le met en scène. Exposant principalement des œuvres en lien étroit avec le paysage environnant, la construction puise dans l’esprit pionnier de la construction des barrages. La transparence du volume fait d’acier et de verre cherche à renforcer le lien entre le visiteur, le construit et l’environnement naturel. Les 40 chambres de l’hôtel sont disposées le long du couronnement du barrage, perchées à plus de 100 m hautdessus de la vallée. Elles s’ouvrent d’un côté sur la vallée et le pont-musée et de l’autre sur le lac miroitant les montagnes. Cette double exposition renforce le dramatisme du paysage. Conçu en 2003, ce projet n’a finalement jamais été réalisé. Jebel al jais mountain resort (UAE)


Dans le cadre d’une grande opération de développement touristique dans l’émirat de Ras al Khaimah, le bureau d’architecte néerlandais OMA a conçu un projet de complexe touristique dans les montagnes. L’idée était d’exploiter au maximum le paysage accidenté afin d’instaurer « un dialogue entre paysage extrême et architecture extrême ». L’ensemble est composé de plusieurs types de bâtiments accrochés aux falaises, dont un hôtel reprenant les caractéristiques d’un barrage. Le mur, mimant le profil d’un barrage voûte, ne retient cependant pas d’eau. Ce « faux barrage », enjambant la vallée, accueille dans son épaisseur des logements. L’enjeu principal de ce projet était de rechercher un type de site touristique alternatif, alliant villégiature et aventure. Le bâtiment est accessible par son couronnement, ce qui permet de conserver d’intégrité du site. Malgré ce souci d’intégration, ce projet a suscité de nombreuses réactions, liées aux brutales interventions fragilisant le milieu naturel de la montagne.

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p.61 p.62 p.64 p.66

ArrivÊe du Minifunic, Merminod M. Lac du Vieux-Emosson, Gafsou M. Barrage d’Emosson, Merminod M. Vue sur le Massif du Mont-Blanc, Merminod M.


LE CAS D’EMOSSON Situation

Emosson

Le val du Trient est creusé dans l’extrémité nord-est du massif du Mont-Blanc où il dessine deux branches : la première part du glacier du Trient et la seconde a son origine sur sol français, au col des Montets. A partir de ces deux gorges, le Trient s’engouffre entre les deux versants de la montagne qu’il a creusée et aboutit aux gorges du Trient, pour se jeter ensuite dans le Rhône. Si le versant droit de la montagne, très escarpé, ne comporte que quelques hameaux, le versant gauche permet, grâce à quelques replats, d’accueillir l’essentiel des villages de la vallée dont Salvan, Les Marécottes, Giétroz et Finhaut. Le paysage est fortement marqué par les traces laissées par les glaciers. Quelques ilots de verdure contrastent avec les roches escarpées et nues. Les villages de la vallée sont situés pour la plupart à plus de 1000 m d’altitude alors que les pâturages grimpent jusqu’à 2400 m. Peuplée de quelque 370 habitants, la commune de Finhaut se situe dans le district de Saint-Maurice, sur la rive gauche de la haute vallée du Trient. Orientées plein sud face au massif du Mont-Blanc, les terrasses ensoleillées de la commune accueillent quatre villages : — Finhaut, le chef-lieu — Giétroz — Le Châtelard — Le Châtelard-Frontière.

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Emosson

L’eau

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Finhaut

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Le Châtelard

Le Châtelard-Frontière

Commune de Finhaut, gg

Commune frontière avec la France, Finhaut jouxte Trient, Salvan, Vallorcine (F) et Sixt (F). Son territoire s’étend des rives du Trient et de l’Eau Noire, à 900 mètres, jusqu’au sommet de la pointe de la Finive, à 2837 mètres. Il comprend 2293 hectares composés essentiellement de forêts et de rochers. Historique Même si quelques traces archéologiques d’époques néolithiques et romaines suggèrent, des passages il y a plus plus de 5’000 ans, la commune existe depuis 1299, date de la première mention d’une communauté à Effeniaz (plus tard Finio, Fins-Hauts, Figneaux). La population, essentiellement agro-pastorale, vivait du produit de l’agriculture au rythme des saisons. On suivait l’herbe avec les troupeaux : pâturages en plaine l’hiver, mayens de la Léchère au printemps, alpages d’Emosson et du Vieux-Emosson en été. Pendant de longues années, la forêt jouait le rôle important de fournisseur de bois, utile à la construction et au chauffage. En saison, la chasse occupait les hommes et alimentait leur fierté. La légende veut que « les fignolins soient les chasseurs de chamois les plus hardis de la contrée ».54 Grace à un travail titanesque, les habitants de la vallée vivaient en quasi autarcie. A l’époque, les seuls échanges avec l’étranger se limitaient à l’importation de sel et l’exportation de produits locaux, vendus lors des foires de plaine. L’organisation de la commune était définie en fonction des villages. Trois entités étaient représentées au conseil communal : Le Châtelard, Giétroz et Finhaut. Chacun des trois villages possédaient son conseil général, son four banal, son école, son corps de pompiers et son représentant au conseil communal. Les décisions du conseil étaient annoncées par le tambour, le dimanche après la messe.55

54 55

Lutz M., 1836, p. 22 Perriard-Volario M., 1996, p. 119


L’âge d’or du tourisme Jusqu’à l’ouverture de la route du Simplon par Napoléon, les voyageurs ne s’aventuraient pas dans les vallées latérales, si ce n’était pour aller aux thermes de Loèche. De la vallée du Trient, on ne connaissait que l’embouchure, rendue célèbre grâce à la chute de la Pissevache, une des plus grandes attractions de l’époque avec les chutes du Rhin et le Staubbach à Lauterbrunnen. A proximité de la chute, les gorges du Trient ont attiré à leur tour le touriste de passage. Ces derniers se rendaient dans « l’antre du Trient » afin de nourrir leur soif de « beautés horribles ».56

Gorges du Trient, J.J. 56

Ruchat A., 1780

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Le voisinage de Chamonix a joué un rôle important dans l’essor de la vallée. La proximité avec la plaine (un trajet de 2 heures est considéré comme court à l’époque) a aussi contribué à son succès touristique. En effet, chaque déplacement était onéreux car il nécessitait la location de guides et d’une diligence. L’apparition des premiers touristes a stimulé la construction de routes carrossables, notamment grâce à l’importance croissante des compagnies de guides qui finançaient en partie leur réalisation. Ce fut le cas pour la liaison entre la vallée du Rhône et Chamonix, haut-lieu du tourisme alpin. Pour se rendre de la vallée du Rhône dans la haute vallée de l’Arve, on disposait de deux itinéraires, l’un depuis Martigny par le col de la Forclaz et Trient, l’autre depuis Vernayaz en remontant la vallée du Trient via Finhaut. Entre Martigny et Chamonix, le passage de la Forclaz prend une importance significative dès le XVIIIe siècle déjà. A l’époque, le col de La Forclaz est la principale voie d’entrée et sortie du territoire valaisan, à égalité avec la Gemmi.57

Les deux itinéraires entre Martigny et Chamonix

Le chemin a été rendu en partie carrossable pour permettre le transport des blocs de glace du glacier du Trient jusqu’à la gare de Martigny, d’où ils partaient en direction de Marseille et Paris, entre autres. A l’annonce de l’arrivée du chemin de fer en plaine, on décide alors la construction d’une route des diligences. Bâtie 57

Perriard-Volario, 2006, p. 9


entre 1855 et 1867, la route franchissait les différents paliers de la vallée grâce à 55 virages entre Vernayaz et Finhaut. Elle n’était toutefois accessible qu’à un petit nombre de diligences. Dès les années 1870, lors de l’ouverture de cette nouvelle route, la vallée est chaudement recommandée et prend un essor important. A la même période, on édifie les premiers hôtels. Châtelard-Frontière, qui ne comptait jusque-là qu’un poste de douane et une porte fortifiée, se développe. C’est l’âge d’or du tourisme de la vallée. Finhaut est connu loin à la ronde et rivalise même avec Zermatt. L’aristocratie et la bonne bourgeoisie européennes s’y donnent rendez-vous pour y passer l’été. Le village se transforme : hôtels, tea-rooms, chalets, bazars et kiosques s’érigent. La population diversifie son activité, les paysans de montagne deviennent propriétaires d’hôtels, portiers, blanchisseurs, cochers, guides ou commerçants. Le guide Baedeker de 1913 décrit le site comme charmant et très fréquenté. Il évoque « une station climatérique, avec une belle vue sur la vallée du Trient, le glacier du Trient et l’Aiguille du Tour ».58

Village de Finhaut au début du XXe siècle, Delcampe

En 1906, l’ouverture de la ligne ferroviaire reliant Martigny et Chamonix faisait de la vallée une étape incontournable du grand tour alpin. En 1909 on ne trouve pas moins de 24 hôtels à Finhaut, 69 à Salvan et 27 à Trient.59 Le tourisme de la belle époque est caractérisé par de longs séjours, de 1 à 2 mois, passés à l’hôtel. Pour occuper leurs vacances, les visiteurs passaient leur temps à se promener parmi les sites naturels de la région mais aussi à s’entretenir avec le beau monde présent dans les hôtels. Outre la Pissevache et la Gorge du Trient, les visiteurs aimaient aussi faire halte dans les « gorges mystérieuses de la Tête-Noire », site hautement stratégique, car situé à quelques centaines de mètre de la frontière, ainsi que dans les gorges du Daillet, dans lesquelles on installe des escaliers et des observatoires permettant de mieux profiter de ces curiosités. C’est donc avant tout les gorges et cascade qui impressionnent le touriste anglais, peu habitué à ce genre de décor naturel. La marche figurait aussi parmi les loisirs favoris. L’éventail des possibilités était très large et comme le dit L. Coquoz « il y en a pour tous les goûts, pour tous 59

Emonet J., 1907, p. 4

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les jarrets et pour tous les poumons ».59 On se rendait aux alpages afin de déguster les spécialités culinaires de la région ou alors d’un village à l’autre pour visiter une connaissance londonienne. On court admirer le glacier du Trient depuis sa base, en empruntant l’ancienne voie des wagonnets, utilisés pour transporter la glace. Des points de vue particuliers sont mis en valeur à l’aide de belvédères afin de profiter au mieux de la vue. Par exemple, en 1906, on installe un télescope au plateau de Creusaz pour admirer le panorama exceptionnel sur les alpes savoyardes, valaisannes et bernoises. Les alpinistes chevronnés, moins nombreux, peuvent entreprendre toute une série d’ascensions accompagnés de guides locaux. L’annonce de la Première Guerre mondiale met un terme brutal à l’essor touristique de la Belle Epoque. Entre-deux-guerres, la commune voit la construction d’un premier barrage par les CFF pour l’électrification du réseau de chemins de fer suisses. Une usine est inaugurée à Châtelard-Village, en 1925, créant ainsi de nouveaux emplois. Une fois le barrage de Barberine construit, il devient une des attractions les plus prisées des touristes de Finhaut et de Salvan. Quelques petits bateaux naviguant sur le bassin permettent aux vacanciers d’associer les plaisirs lacustres à ceux de la montagne. Une cabane-restaurant, d’une capacité de plus de 100 personnes, y est installée pour promouvoir le développement touristique de l’endroit et faire profiter en toute quiétude du panorama sur le massif du Mont-Blanc.60 Cependant, la crise économique des années trente donnera un nouveau coup d’arrêt au développement économique de la région. Plus tard, Finhaut connaîtra un nouvel élan grâce à ses atouts sanitaires. En 1931, un rapport scientifique annonce la découverte à proximité du village d’une source d’eau dont le taux de radioactivité est le plus haut de Suisse. La société de développement décide de vanter les vertus de l’eau de la région, considérée à l’époque Affiche publicitaire «eau radioactive», Delcampe comme bienfaisante pour lutter contre toutes sortes de maladies. La cure, constituée de boisson et de bains, attire de nombreux touristes jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et les tristement célèbres évènements de Nagasaki et Hiroshima. Ils donneront un coup d’arrêt définitif à l’engouement pour l’eau radioactive. Pendant la guerre, les hôtels sont utilisés pour loger les internés. Par la suite ils servent aussi de préventorium-sanatorium pour soigner la tuberculose. La plupart ferment dans les années 1950-60, en raison du déclin de la station. Cette dégringolade s’explique d’une part par la topographie accidentée des lieux, inadaptée au développement d’un tourisme de sports d’hiver et, d’autre part, par une infrastructure routière déficiente61. En effet, lors de la modernisation de la route 59 60 61

Coquoz L., 1901, p. 77 Perriard-Volario M., 1996, p. 145 Ibid, p. 147


de la Forclaz, en 1938, le bas de la vallée n’est plus relié par la route. A l’époque, ce fait est peu important, dans la mesure où le chemin de fer est le moyen de transport principal, mais il devient beaucoup plus sérieux avec la démocratisation de la voiture individuelle. Ce n’est qu’avec la construction de la route du barrage d’Emosson que Finhaut obtient une liaison directe avec la route internationale de la Forclaz. Même si la faiblesse des voies d’accès a entraîné un fort exode de la population dès les années 50. Aujourd’hui, ce déficit peut aussi être envisagé comme une particularité à valoriser. En effet, la vallée du Trient est une des seules vallées alpines qui ne possède pas d’infrastructures routières modernes. Cette caractéristique en fait un lieu exceptionellement préservé. Le discours publicitaire d’autrefois utilisait des arguments pour vendre la station de Finhaut comme : la douceur du climat, une exposition à l’abri des vents froids, la beauté du paysage, la pureté de l’air, la variété des randonnées ainsi qu’une flore très variée. L’aspect sanitaire est, par ailleurs, le premier argument utilisé pour vanter les mérites de la station. Puis, vient la qualité de l’accueil que l’on réserve au client. Finhaut est décrite comme « une station offrant encore les vieilles traditions de simplicité qui ont fait jadis le charme et la renommée des pensions de montagne ».62 Selon Myriam Perriard-Volorio : « cette quête de pureté physique et morale est typique d’une époque de bouleversement socio-économique, au cours de laquelle la population cherche à se raccrocher aux valeurs solides et bien établies ».63 Il est intéressant de constater que hormis l’argument radioactif, la propagande perdure dans le temps. Aujourd’hui, la région réponds peinement aux critères de l’écotourisme et du géo-tourisme. Épopée des barrages A côté du développement touristique, la vallée a tenté à plusieurs reprises de diversifier en se tournant vers l’industrie. La première usine, à Vernayaz, fabriquait de la daultine, une pâte de bois solidifiée, utilisée pour les installations électriques. Puis on extrayait de l’anthracite et du charbon, au Châtelard. Toutefois, ces exploitations se sont avérées difficiles et peu rentables. En revanche la région présentait un énorme potentiel pour l’industrie hydraulique, forte de ces nombreux et vigoureux torrents. La proximité de la ligne du Simplon, a incité les CFF à construire le barrage de Barberine, premier ouvrage d’une épopée florissante. Outre l’embauche de main d’œuvre indigène dans les usines pour leur construction, ces installations hydroélectriques ont permis aux communes de la vallée d’assainir leur situation financière grâce aux concessions payées par les CFF pour le captage des eaux.64 Les trois barrages de la commune de Finhaut 62 63 64

Gazette du Valais, 1890, p. 57 Perriard-Volario M., 2006, p.128 Ibid, p.129

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Barberine La décision d’électrifier les chemins de fer suisses, en 1912, a considérablement influencé l’engouement pour l’hydroélectricité. Le principal argument était l’indépendance énergétique des CFF. L’entreprise est donc la première à occuper la plaine d’Emosson pour y capter les eaux de la Barberine. L’implantation du barrage est située entre deux alpages séparés par une gorge étroite, le plateau d’Emosson et celui de Barberine. Lorsque le chantier débuta en 1920, les premiers matériaux sont acheminés à dos de mulet. Plus tard, un funiculaire est construit entre le Châtelard et le château d’eau pour le transport des machines et des gros matériaux. De la station supérieure, une voie ferrée accrochée à la montagne permet d’atteindre Emosson. Ce funiculaire survivra après la construction du barrage pour assurer la maintenance mais aussi à des fins touristiques. Le barrage de Barberine profite des premières avancées technologiques du béton. En aval, le barrage poids est muni d’un revêtement en pierre de taille. Une fois achevé, le barrage mesure 80m de hauteur. Il a une épaisseur de 58 m à la base et de 4,5 m à son couronnement pour une longueur de 250 m. Le lac d’une superficie de 1,5 km2 a un volume de 40 millions de m3 . L’eau du barrage est acheminée à Châtelard par deux conduites forcées sur une chute de 714 m, où se trouve l’usine de production. Les conditions de chantier sont très difficiles. Environ 400 ouvriers logent dans des baraquements au pied du barrage. Le personnel, principalement valaisan et italien, travaille 11 heures le jour et 10 heures la nuit. Le repos hebdomadaire du dimanche est remplacé par le repos forcé en cas de mauvais temps. La vie intellectuelle se concentre autour du foyer des travailleurs, dans lequel on trouve une bibliothèque et une salle faisant office de cinéma.65

Chantier du barrage de Barberine. Baratelli M.

Vieux Emosson 65

Lugon C., 2009, p. 34-45


Le développement économique, enregistré après 1945, entraine une croissance de la demande en transports ferroviaires et, par conséquent, des besoins énergétiques. Afin de résoudre ce problème, les CFF planifient dans le vallon de Nantde-Drance le barrage du Vieux Emosson. Situé 320 m plus haut que celui de Barberine, il permet de retenir 13.8 millions de m3 d’eau. La typologie choisie pour répondre aux critères statiques et géologiques est un compromis entre poids et voûte. Le couronnement du barrage est d’une longueur de 170 m pour une hauteur de 45 m. Afin d’optimiser les avoirs énergétiques du nouveau barrage, l’usine du Châtelard fut alors agrandie.

Lac d’Emosson, www.nant-de-drance.ch

Emosson Depuis le début du siècle, les ingénieurs savent que le site d’Emosson convient parfaitement à un barrage de grande envergure. En obturant le verrou rocheux naturel barrant la plaine d’Emosson, le potentiel de retenue est énorme. Il faut cependant attendre les années cinquante pour que les techniques de captage d’eau, via de longues galeries, soient suffisantes pour parvenir à remplir le réservoir. Pour garantir un apport d’eau adéquat, le réseau d’amenée nécessite de réunir les eaux abondantes du massif du Mont-blanc. La société Electricité d’Emosson SA est fondée le 9 juillet 1954. Les ressources hydroélectriques de la région, de part et d’autre de la frontière n’étant que partiellement utilisées, la société Motor-Columbus de Baden fut chargée d’un projet et de sa réalisation en Suisse, tandis qu’EDF prenait à son compte les installations sur sol français. La France et la Suisse signent le 23 août 1963 une convention établissant les bases d’un règlement autour des concessions des eaux dans les deux pays et de

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leur exploitation en commun. Fait extrêmement rare, le 11 juillet 1967 des échanges de territoires sont effectués de part et d’autre, dans le but d’ériger le barrage avec tous ses appuis en Suisse et la nouvelle centrale de Vallorcine située entièrement en France.Les installations se trouvent pour 65% en Suisse et 35% en France. Le capital est partagé depuis 1977, à raison de 50% à EDF et autant à Aar & Tessin d’Electricité (aujourd’hui Alpiq); l’énergie produite étant partagée par moitié entre les deux partenaires. Dès lors s’engagea une collaboration binationale pour mener à bien le projet.66 Les travaux ont commencé le 15 juillet 1967 et la mise en service intervient le 1er juillet 1975. Ils comprennent : — Trois collecteurs souterrains, d’une longueur cumulée de 38 km. Ils drainent les eaux françaises des glaciers du Tour, d’Argentière et de Lognan, les affluents de l’Eau Noire ainsi que les eaux suisses des vallées d’Arpette, de Jure et du Val Ferret. Ces eaux sont conduites dans la retenue d’Emosson, soit par gravité, soit pompées via la centrale de Vallorcine.

Plan des galleries d’amenées, Emosson SA

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Lugon C., 2009, p.37


— Le Barrage. C’est l’ouvrage le plus important des aménagements hydroélectriques. Haut de 180 m est long de 554 m, le barrage d’Emosson fait partie des ouvrages titanesques de ce monde. C’est un barrage voûte d’environ 1.1 millions de m3 de béton et d’une retenue utile de 225 millions de m3 d’eau sur une superficie de 3,27 km2. La nouvelle retenue d’Emosson, de 225 millions de m3 , a noyé sous 42m l’ancien barrage de Barberine. Il obture la gorge creusée par la Barberine dans le verrou rocheux naturel barrant la plaine d’Emosson au sud-est.67

Elévation développée, Emosson SA

Coupes transversales, Emosson SA

— La centrale de Vallorcine. Grâce à l’échange de territoire, elle refoule les eaux reçues ou turbine celles de la retenue. Elle comporte trois groupes de production totalisant 168 GW. — L’usine de La Bâtiaz, près de Martigny. Elle transforme les eaux turbinées à Vallorcine grâce à deux groupes turboalternateurs d’une puissance de 144 GW. L’eau est ensuite restituée au Rhône, une fois l’énergie produite et distribuée par des lignes de 220’000 Volts.68 Nant-de-Drance Le pompage-turbinage est une méthode éprouvée pour équilibrer l’offre et la demande de manière, à la fois économique et écologique, au sein d’un réseau d’électricité. L’énergie électrique ne pouvant pas être stockée en grande quantité. Les centrales doivent donc à tout moment produire très exactement la quantité d’électricité dont le réseau de distribution a besoin. Pour réaliser cela, il faut, à priori, disposer de deux grands réservoirs d’eau, pas trop éloignés l’un de l’autre, situés à des niveaux différents, et les relier par des conduites. Les centrales à pompage-turbinage peuvent ainsi transformer en précieuse énergie de pointe le surplus d’électricité produite aux heures creuses. A cette fin, elles pompent de l’eau dans le bassin d’accumulation supérieur afin d’utiliser cette eau en temps voulu pour la production d’électricité.69 Le projet Nant-de-Drance consiste à installer une centrale de pompage-turbinage dans une caverne entre les deux lacs de retenue existants, d’Emosson et de VieuxEmosson. L’eau doit être amenée de la retenue de Vieux-Emosson au lac d’Emosson, situé environ 300 m plus bas, à travers des générateurs à turbines. L’eau est pompée dans le lac supérieur la nuit où durant les week-ends, quand les besoins d’énergie sont plus faibles. Afin d’augmenter la puissance de l’aménagement de 600 à 900 MW, la surélévation de 20 m du barrage du Vieux-Emosson est nécessaire.70 67

Zermatten M., 1976, p. 91-108 Lugon C., 2009, p. 53-56 Ibid, p. 70 70 www.nant-de-drance.ch 68

69

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Centrale sous-terraine Nant-de-Drance

Prise d’eau Emosson, www.nant-de-drance.ch

Etat des lieux des activités touristiques. Bien que la belle époque du tourisme fignolin soit révolue, ce secteur reste aujourd’hui important pour l’économie locale. Une bonne desserte par les transports publics a permis à la commune de sauvegarder une partie de son attractivité. Or, ce n’est plus tant le vieux village de Finhaut qui attire les visiteurs, mais plutôt la zone autour d’Emosson et ses multiples intérêts. Transports Mont-Blanc Express La ligne du Mont-Blanc Express, partiellement à crémaillère, traverse la vallée du Trient pour relier la Suisse et La France. Depuis la gare CFF de Martigny, la voie dessert entre autres : Vernayaz, Salvan, Les Marécottes, Finhaut, Le Châtelard, Vallorcine et Chamonix pour atteindre finalement la gare TGV de Saint-Gervais. Lors de son inauguration en 1906, ce train avait principalement une vocation touristique. Les besoins de transports de marchandises, lors de la construction des premiers barrages, ont nettement contribué à la modernisation de cette voie ferrée. Jusqu’en 1997, un transbordement à la frontière était nécessaire pour poursuivre son chemin vers Chamonix. Aujourd’hui les rames panoramiques ont tout La us an ne Sim

plo

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Martigny Finhaut

Les Marécottes

Ge nè ve Le Châtelard Cluse Valorcine

Argentière

Sallanches Chamonix

St-Gervais TGV

Ligne Mont-Blanc Express

le confort moderne et jouent à la fois le rôle de transport public et d’attraction


touristique. Cette ligne permet également la liaison entre les différents domaines skiables franco-suisses. Malgré la qualité du parcours en termes de panorama et de gain de temps, la route garde toujours la préférence des riverains et des touristes. Afin d’optimiser son rôle d’épine dorsale et de promouvoir une mobilité douce, le réseau nécessite des travaux de modernisation conséquents.71 Parc d’attractions du Châtelard Pour acheminer sur le chantier du barrage de Barberine les matériaux nécessaires à sa construction, les entreprises mandatées par les CFF ont réalisé un ensemble d’aménagements de transports. Bien qu’il ait été prévu de le détruire partiellement après le chantier, un certain succès touristique a conduit à la sauvegarde du funiculaire. Raison pour laquelle il survécut dans son état d’origine jusqu’en 1968. Conscient de l’intérêt touristique procuré par le barrage, le lac et le paysage, un groupe de passionnés de chemins de fer pense alors qu’il était souhaitable de maintenir l’accès non seulement par la route, mais aussi par voie ferrée. Ils sauvent ainsi le funiculaire du Châtelard de la démolition en construisant une voie de Petit Train Decauville, sur la plate-forme de l’ancien chemin de fer, jusqu’au pied du barrage d’Emosson. En janvier 1975, le Parc d’Attractions du Châtelard est fondé. Le chemin du Petit train bute dans la voûte du barrage, c’est pourquoi un sentier escarpé est aménagé pour permettre aux touristes d’atteindre le couronnement du barrage. Afin de faciliter l’accès au sommet, un monorail à crémaillère est ouvert au public. La capacité réduite de ce système, conçu à l’origine uniquement pour des personnes à mobilité réduite, a entraîné le remplacement de l’installation en octobre 1988 par un système plus moderne. Environ 35 minutes sont nécessaires au visiteur pour gravir les 840 m de dénivelé en empruntant successivement le funiculaire à deux cabines le plus raide du monde; un Petit Train panoramique et le Minifunic. Sur les 200’000 visiteurs annuels d’Emosson, on estime selon les années entre 33’000 et 48’000 ceux qui empruntent les funiculaires. Ce chiffre ne représente qu’une partie des visiteurs du site d’Emosson car beaucoup s’y rendent en voiture ou à pieds. Emosson Château d’eau

Giétroz

Le Châtelard

Parc d’attractions du Châtelard 71

Jacquier F., 2006, p. 5-15

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Funiculaire Châtelard – Château d’eau L’entrée des attractions est située derrière la centrale électrique CFF, à proximité des places de parc et de la halte du chemin de fer Martigny – Le Châtelard - Chamonix. La ligne, dictée par la topographie, s’élève en tranchée dans une forêt de mélèzes jusqu’à la station intermédiaire de Giétroz. Puis la voie attaque une pente allant jusqu’à 87% jusqu’à la station supérieure du Château d’Eau. Bien que construit dans un but industriel, ce funiculaire doit répondre aux normes de sécurité fédérales applicables aux funiculaires transportant des voyageurs. Avec une capacité de 60 personnes debout, les voitures comportent encore les cabines en aluminium, construites en 1935 par les Ateliers de Construction Mécanique de Vevey. Petit train panoramique La voie de type Decauville est construite en 1975 sur le premier tronçon de l’ancien tracé du chemin de fer à vapeur Château d’Eau - Barrage de Barberine. La voie traverse cinq tunnels taillés dans la roche, avant d’atteindre la gare terminus située entre le flanc de la montagne et le ravin de la Barberine. Les rames, composées uniquement de voitures panoramiques, sont généralement tractées par des locomotives à accumulateurs, rechargés durant la nuit.

Funiculaire Le Châtelard-Château d’eau, Flickr

Minifunic, Flickr

Petit train Decauville, Flickr


Minifunic En service depuis juillet 1991, le Minifunic a pour but de permettre à tous les visiteurs sortant du petit train d’accéder rapidement et confortablement au barrage. Un plan incliné taillé dans la roche permet d’accéder à la gare inférieure. Puis, le monorail gravit un dénivelé de 140 mètres sur 270 m de long pour atteindre la gare supérieure qui domine le lac de 40 m. Des revendications écologistes imposèrent le regroupement de la station supérieure de l’installation avec le restaurant du barrage. Les deux cabines d’une capacité de 10 personnes effectuent le trajet en moins de 2 minutes. Traces de dinosaures Il y a plus de 200 millions d’années, la région des Alpes était une vaste zone inondée où, durant des dizaines de milliers d’années, des sédiments se sont accumulés. A cette époque vivaient des dinosaures dans cette région. Peu à peu, l’océan alpin s’est retiré et les plaques continentales africaine et européenne se sont heurtées. Cette collision permis à la chaîne alpine d’émerger. En 1976, un géologue français découvre 800 empreintes, vieilles d’environ 250 millions d’années à quelques centaines de mètres du lac du Vieux Emosson. La dimension des traces, imprimées sur une dalle inclinée de grès, varie entre 10 et 20 cm sur une profondeur de 5 cm. Les dinosaures du vieux-Emosson étaient essentiellement des herbivores. La longueur moyenne des 9 espèces visibles sur le site était de 3 à 4 m pour un poids de 300 à 400 kilos. La qualité de conservation des traces ont hissé le site paléontologique d’Emosson parmi les plus importants d’Europe. C’est pourquoi il est désormais protégé. De juillet à août, un géologue du musée d’histoire naturelle de Genève, est présent sur le site pour orienter les visiteurs.

Trace de dinosaure, Flickr

Intérieur du barrage d’Emosson, Merminod M.

Visite du barrage En Valais, pratiquement tous les barrages sont ouverts au public. Il est aussi souvent possible de visiter les usines hydroélectriques sur rendez-vous. Les routes d’accès menant aux bassins d’accumulation sont généralement fermées durant la période hivernale. A Emosson, des visites gratuites de l’intérieur du mur sont organisées en été par l’office de tourisme. A part une salle d’exposition, située au soussol du restaurant d’Emosson, il n’y a aucun réel concept muséographique pour valoriser cet ensemble. La salle d’exposition présente uniquement une maquette de l’aménagement à grande échelle ainsi que quelques photos de chantiers et des schémas explicatifs. Un autre pavillon d’exposition temporaire, centré sur le projet Nant-de-Drance, a vu le jour à proximité de la gare du Chatelard-Frontière.

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Musée CFF En 1998, à l’occasion du 150e anniversaire des chemins de fer suisses, la direction de l’usine électrique de Barberine a ouvert un musée retraçant l’histoire du complexe hydro-électrique dont la première exploitation date de 1923. L’usine est aujourd’hui encore en fonction et sa visite fait partie du parcours muséographique. Répartis sur trois niveaux, les différents espaces présentent, au moyen de documents photographiques et de matériel technique, la complexité d’une usine hydroélectrique et ses développements technologiques au fil du temps. On y voit notamment une vue aérienne et des plans de chemins d’eau qui ravitaillent le barrage d’Emosson et les bassins de compensation. Les visites étant effectuées par le personnel de l’usine, la direction ouvre les portes du musée seulement sur réservation. Les visiteurs de passage ne peuvent donc pas visiter librement l’exposition. La situation du musée est hautement stratégique ; à proximité immédiate de la gare du Châtelard et du départ du funiculaire. Une synergie entre transports publics et espace muséal permettrait une mise en valeur considérable de l’ensemble. Centrale Hässig Depuis l’usine des CFF, un sentier conduit vers une petite centrale privée qui alimentait en électricité la maison de la famille Hässig. Dans les années 1930, employé à la centrale du Châtelard, Adolf Hässig a profité de ses connaissances et de son savoirfaire pour récupérer les pertes en eau du bassin de rétention, conduire cette eau sous pression et produire de l’électricité. Après avoir été abandonnée pendant près de 40 ans, cette petite usine a été remise en fonction; elle fournit actuellement les kilowatts utiles pour alimenter l’éclairage local. Bien que la visite de cette petite centrale hydroélectrique ne soit pas d’un grand intérêt, elle est l’occasion de cheminer dans un fond de vallée protégé, où s’écoule l’Eau-Noir dans son état le plus sauvage.

Usine-musée du Châtelard, Flickr


Activités sportives L’impossibilité d’aménager des pistes de ski dans la région a forcé les collectivités locales a compenser ce manque par d’autres activités sportives. Toutefois cette offre est beaucoup trop restreinte ou spécifique pour attirer un public varié. Comme à la belle époque, c’est avant tout les plaisirs de la marche à pieds et de la découverte de sites naturels qui enchantent les visiteurs de passage. Le site d’Emosson est le centre névralgique d’un réseau de chemins pédestres bien garni. Quelques-uns ont été pensés comme des sentiers didactiques, sensés attirer un public familial. On y trouve notamment le sentier des dinosaures, un autre offrant de multiples points de vue sur le massif du Mont-Blanc ou encore un dernier retraçant l’histoire du village de Finhaut. A ces chemins thématiques s’ajoutent les excursions les plus courues de la vallée comme la route historique des diligences entre Vernayaz et Finhaut, le bisse et le glacier du Trient ou les fameuses Gorges du Trient. Outre la randonnée qui draine une partie importante des touristes, on trouve également sur le territoire de la commune quelques sites d’escalade ainsi qu’une piscine chauffée, située au milieu du village de Finhaut.

Ascencion de la Finive, Baeker J.

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p.46

Hélicoptère à Emosson, Inconnu


Schéma directeur du site d’Emosson En comparaison avec des destinations comme Verbier, Crans-Montana ou Zermatt, Finhaut est méconnu et peu fréquenté. Oubliée dans les années 50, la région a perdu en compétitivité, notamment à cause de son manque d’infrastructures hôtelières. Pour redynamiser son économie, les acteurs locaux ont mis l’accent sur le développement d’un tourisme doux et la préservation d’une certaine authenticité propre à la vallée. Malgré la densité des activités touristiques, il manque un concept global à la région. Là où la diversification devrait-être un atout, on constate plutôt un éparpillement des activités qui tend à désorienter le visiteur. Les récentes collaborations transfrontalières avec la France et l’Italie, dans le cadre d’« Espace Mont-Blanc »72 , ont mené à un projet touristique novateur, intégrant les principes du développement durable : respecter l’environnement alpin tout en préservant la qualité de vie de ses habitants. Ce projet nommé «Alposcope»73 a pour but de valoriser les sites de la région, témoins de l’histoire des Alpes. Il vise à harmoniser la fréquentation touristique, en donnant accès au spectacle de ses montagnes à toutes périodes de l’année. Les transports en commun sont une composante essentielle du projet. Il s’agit d’offrir aux visiteurs et aux habitants des forfaits combinés permettant de profiter des sites naturels et culturels, aménagés le long de la ligne Mont-Blanc Express. Tous les sites d’intérêt entre Saint Gervais et Martigny seront ainsi inscrits dans une offre touristique globale. Ce projet englobe ainsi l’histoire des Alpes, des événements géologiques, dont les roches sont les témoins, jusqu’aux défis qui attendent cette région au XXIe siècle en proposant aux visiteurs un voyage de 500 millions d’années. La région d’Emosson a tout à gagner dans cette collaboration. L’éventail des activités devrait gagner en pertinence. Des traces de dinosaures, aux centrales hydroélectriques en passant par le patrimoine vernaculaire du village de Finhaut, on traverse chaque étape de l’histoire des Alpes. En utilisant ce fil rouge, le visiteur pourra, dès sa sortie du train, à la gare du Châtelard, remonter le temps et découvrir les secrets de la montagne. Afin d’assurer la compétitivité de la région, le réseau d’activités doit être exploité été comme hiver. Jusqu’à ce jour, le barrage est accessible au public seulement entre juin et octobre. Un étalement de l’offre tout au long de l’année permettrait à Emosson d’asseoir son statut de pôle touristique. L’hiver, La route est fermée en raison du danger d’avalanche, alors que le parc d’attractions du Châtelard est inexploitable , à cause de la neige. De plus, le prix élevé et le temps de parcours (40 min incluant 2 transbordements) font que les infrastructures actuelles ne sont pas compétitives en tant que transport public. Ainsi, même satisfait, le client ne revient généralement pas visiter une seconde fois le parc d’attraction.74 La construction d’un téléphérique va-et-vient entre la gare du Châtelard et le barrage d’Emosson serait la solution la plus envisageable. Utilisable toute l’année, peu cher à l’entretien et offrant un nouveau point de vue sur le barrage et les montagnes, le téléphérique serait un moyen réaliste pour faire entrer Emosson dans la ronde du tourisme hivernal. Directement relié aux chemins de fer, Emosson pourrait enfin jouer les cartes de zone de villégiature, de belvédère et de carrefour de randonnées. Une fois son accès facilité, le développement touristique de la région d’Emosson pourrait s’opérer à travers trois thèmes : nature, culture et villégiature. 72 73 74

www.espace-mont-blanc.ch www.alposcope.com Gay-Balmaz Y., 1998, p.33

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Emosson

Vieux-Emosson

Traces de dinosaures

1. Plan d’ensemble des pôles touristiques


Alpage de Fenestral

Finhaut

Château d’eau

Giétroz

Le Châtelard

Le Châtelard-Frontière

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Emosson-nature Été L’offre « nature » actuelle de la région d’Emosson et de la vallée du Trient est certainement la plus aboutie. Parmi les nombreuses randonnées au départ du barrage, le « sentier des dinosaures » demeure l’attraction phare de la région. Mais, malgré la beauté saisissante du paysage et l’attrait notoire des traces de dinosaures, l’altitude et l’éloignement du site freine l’enthousiasme des visiteurs les plus aguerris. Il faut en effet compter au moins 5 heures aller-retour depuis le barrage d’Emosson pour effectuer la visite. Un système de navettes, empruntant la route existante entre le barrage et le départ du chemin pédestre, permettrait d’en faciliter l’accès. Ainsi, le site deviendrait à la portée de tout le monde. A une autre échelle, le tour du Ruan, parcourt à cheval entre la Suisse et la France, une distance de 67 km. Cette expédition de 4 jours connait un succès grandissant. En tant qu’étape principale, Emosson pourrait obtenir un statut de camp de base en développant ses infrastructures ; hébergements, restauration, information. Actuellement, les 60 places en dortoirs que dispose le restaurant d’Emosson ne sont pas satisfaisantes pour répondre à la demande. Bien que le lac de Barberine ait été navigable à ses débuts, il ne l’est plus actuellement. L’entreprise responsable de tout l’aménagement, Emosson SA, ne permet plus la navigation sur le lac faute d’infrastructures assurant la sécurité adéquate. C’est avant tout la température de l’eau (~5°C) ainsi que la variation importante du niveau de la retenue qui empêche les activités nautiques. Toutefois, lorsque le niveau du lac le permet, un service de navette permettant d’explorer tous les recoins du plan d’eau, serait un atout considérable garantissant une sécurité suffisante. Le lac d’Emosson et celui du vieux Emosson sont connus loin à la ronde par les amateurs de pêche. Leurs eaux pullulent de poissons de la famille des salmonidés (truites ou cristivomers). L’abondance et la taille des proies font d’Emosson un site idéal, tant pour les novices que pour les plus chevronnés. Peu courant dans les Alpes, le tourisme de pêche sportive est largement développé en Amérique du Nord et en Patagonie. Cette activité en pleine expansion est susceptible de drainer de plus en plus de touristes à la recherche de formules « tout compris» , alliant plaisirs de la pêche et paysage unique. Dans ce domaine, on peut imaginer des offres allant des plus populaires aux plus luxueuses.

Pécheur à Emosson, Flickr

Itinéraire du bateau-navette


sĂƌŝĂƟŽŶ ŵĞŶƐƵĞůůĞ ĚƵ ŶŝǀĞĂƵ ĚƵ ůĂĐ Ě͛ ŵŽƐƐŽŶ ĞŶ ŵğƚƌĞ 1930 1900 1870 1840 1810

décembre

novembre

octobre

septembre

août

juillet

juin

mai

avril

mars

février

janvier

1780

Variation du niveau du lac d’Emosson

Hiver L’hiver, la surface du lac gèle, tandis que l’eau du bassin continue à s’évacuer. Ainsi la croûte de glace se maintient parfois jusqu’à 60 m au-dessus de la surface de l’eau. Marcher sur cette couche est donc interdit même si quelques randonneurs empruntent ce raccourci. Lorsque le lac gèle avant les premières neiges, il est possible de patiner sur le lac. Toutefois, la rareté de ce phénomène ne permet pas d’inclure cette activité dans l’offre d’hiver. Comme constaté au lac de Joux, cet évènement éphémère pourrait toutefois être exploité pour attirer de nouveaux visiteurs. Selon un rapport de l’Office fédéral de l’énergie, « La sécurité des personnes doit être assurée par des mesures appropriées, soit, surveillance, mise en place de barrières, chemin au-dessus du niveau des plus hautes eaux, signalisation adéquate, panneaux de mise en garde, etc. ».75 De nombreuses randonnées à ski sont possibles à partir du barrage d’Emosson. Facile d’accès, ces courses sont en général parfaites pour les débutants. Une piste de ski de fonds d’environ 8 km, reliant le lac du vieux Emosson jusqu’au bout du vallon de Barberine, serait une véritable plus-value pour le domaine. Sa mise en œuvre serait réalisable à peu de frais et sans modification du territoire.

Piste de ski de fond 75

Patineur à Emosson

OFT, 2011

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Gare nouveau téléphérique

Gare funiculai

Musée Hydroélectrique centrale électrique 1926 Gare Le Châtelard

logement ouvriers Nant-de-Drance

Plan du Châtelard


niculaire

centrale ĂŠlectrique 1973

Chantier Nant-de-Drance

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Emosson-culture L’histoire de Finhaut est caractérisée par deux ères florissantes. Au temps de la Belle Epoque, le village a su recevoir et s’adapter aux souhaits du visiteur. Depuis l’avènement de l’ère industrielle, la commune a expérimenté toutes les phases d’évolution technologique dans l’art de produire de l’hydroélectricité. De la petite centrale Hässig jusqu’au projet Nant-de-Drance, chaque ouvrage raconte, à sa manière, l’épopée de la houille blanche. Bien qu’enrichissante et spectaculaire, la visite de ces sites présente deux inconvénients majeurs. D’une part, ces visites ne sont organisées que quelques mois par année, les routes d’accès étant fermées en hiver. D’autre part, elles ne sont pour l’instant organisées que sur rendez-vous. La volonté d’élargir le public implique une muséographie didactique et ludique. L’intérêt grandissant pour la cause écologique favorise un développement de ce genre de programmes. Inauguré en 1998, le musée CFF a déjà ouvert la voie. Mais, là encore il n’est visible qu’en groupe et sur réservation. Sa situation idéale, à proximité immédiate de la gare du Châtelard, ferait du futur musée, revu et complété, une attraction attrayante tant pour la clientèle de la vallée du Rhône que celle de Chamonix. Enfin, le tourisme d’hiver étant de plus en plus dépendant de la météo et des conditions d’enneigement, les hôtes exigent une diversification des activités. Emosson-villégiature Le paysage hôtelier fignolin a beaucoup changé depuis la grande époque du tourisme. Progressivement, chaque hôtel a été transformé en propriétés par étage qui accueillent, pour la plupart, des pendulaires travaillant en plaine. Aujourd’hui, des 23 luxueux hôtels, il ne reste plus que le Beau-Séjour ainsi que quelques pensions. Parallèlement, un autre type d’hébergement a fait son apparition; d’anciens hôtels ont été aménagés pour accueillir des colonies de vacances. L’étendue des attractions ne se prête pas bien aux visites journalières étant donnée la situation relativement reculée du village. Reste que le manque de lits hôteliers entrave considérablement le développement de la station. Impossible, par exemple, de loger un car de cinquante personnes. Pour satisfaire les besoins de la clientèle des autocaristes, il faudrait disposer en suffisance de chambres doubles et de chambres simples. Aujourd’hui même les plus grands hôtels de la vallée ne peuvent plus les satisfaire. La promotion d’un tourisme doux pour la commune de Finhaut nécessite que les touristes puissent y loger. Dans l’état actuel, le développement hôtelier à l’intérieur du village n’est pas envisageable faute de terrains constructibles disponibles. C’est pourquoi Il est nécessaire de construire de nouveaux hébergements hors du noyau historique. Parmi les critères que le touriste prend en compte en choisissant ses vacances, le paysage et le calme figurent presque toujours dans le trio de tête.76 Ces priorités sont d’autant plus prisées depuis l’arrivée des touristes des pays émergents. N’étant pas forcément adeptes du ski, ils recherchent avant tout un décor paradisiaque et dépaysant. Le site d’Emosson, considéré comme le meilleur point 76

Kämpf R. et al., 2008, p.45


de vue pour apprécier l’intégralité du massif du Mont-Blanc, répond particulièrement bien aux attentes de cette nouvelle clientèle. Dans ce contexte, on peut imaginer un développement hôtelier en ces lieux. Pour ce faire, une liaison rapide, fiable et confortable avec Le Châtelard est nécessaire, d’autant plus que le barrage n’est actuellement pas accessible en hiver. Le nouvel hôtel profiterait donc d’une situation unique au cœur des montagnes tout en bénéficiant d’une liaison efficace avec la vallée et ces nombreux domaines skiables. Ainsi, le trajet entre la chambre d’hôtel et la piste de ski ne durerait pas plus d’une demi-heure. Site Construire en milieu alpin n’est pas chose facile. De nombreuses restrictions réduisent considérablement les zones à bâtir. La commune de Finhaut n’échappe de loin pas à cette règle. Entre les zones présentant un danger d’avalanches, les zones naturelles protégées et les talus trop escarpés, peu nombreux sont les sites constructibles. Dans cette configuration, le développement touristique peut s’opérer sur deux pôles stratégiques : — Le Châtelard. Il joue le rôle d’interface principale entre l’axe des transports publics et les différents sites d’intérêt touristique. La présence à proximité de deux usines d’époques différentes, du Musée CFF et du départ du funiculaire historique convient parfaitement à la création d’un pôle muséal. Tout ou presque s’y trouve déjà ; reste à valoriser le site en réorganisant les activités autour d’une structure d’accueil répondant à tous les critères en vigueur. — Le site du barrage d’Emosson. Il est à la fois le centre des activités liées à la nature et un lieu d’accueil. Eriger un complexe hôtelier permettrait aux différents voyageurs de profiter au mieux du site et du panorama. A part un restaurant déjà présent, tout reste à faire. Les nouvelles constructions devront s’installer sur les quelques zones en friche, témoins de la construction des barrages. Si les deux sites jouent un rôle décisif dans le développement touristique régional, celui d’Emosson demande un remaniement plus conséquent. En effet, le contraste fort entre barrage et paysage appelle à une architecture sachant s’intégrer dans ce dialogue. Ainsi, la phase projet de cette étude portera sur le site de la Gueulaz, à proximité directe du barrage. La construction du barrage d’Emosson a laissé derrière elle de nombreuses traces de son passage. Si presque toutes les constructions relatives au chantier ont été démontées, le terrain reste fortement modifié. C’est avant tout la carrière nécessaire à la fabrication du béton, qui a rongé la montagne au point de prélever 1 millions de mètre cube de matériaux. Les différents bâtiments préfabriqués tels que dortoirs, cantines, bureaux étaient installés à flanc de coteau avant d’être détruits. De ces traces, il ne reste que le quai de chargement agrippé à la falaise ainsi que le plateau de fabrication du béton, utilisé aujourd’hui comme parking. Le restaurant panoramique, l’arrivée du Minifunic et du téléphérique de maintenance ainsi que divers petits bâtiments techniques ont été construits par la suite. Tels qu’ils se présentent aujourd’hui, ils sont mal intégrés et desservent la majesté du site.

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Kio

Gare minifunic Restau

1. Plage de Nice


Kiosque

estaurant d’Emosson

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En cette époque chaotique, incertaine et confuse, rares sont les experts qui se risquent au jeu des prévisions économiques. Le secteur touristique est tout particulièrement sujet aux revirements de situation. Le monde globalisé, dans lequel nous vivons, tourne de plus en plus vite et ne laisse plus place aux hésitations. Lorsque la régie fédérale des chemins de fer suisses prit la décision révolutionnaire d’électrifier son réseau et d’utiliser la force de l’eau pour l’alimenter, il s’agissait d’un pari très courageux sur l’avenir. C’est souvent en temps de crise que naissent les plus grandes idées. Lorsque la méthode traditionnelle ne suffit plus et que les réserves ne parviennent plus à rassurer. Reste alors la prise de risque qui, parfois, matérialise le bon sens et encourage à lancer de nouveaux défis. A Finhaut un autre paramètre vient compliquer la donne : le trop plein d’argent sème le doute. Que faire des 100 millions hérités du retour des concessions? Que faire de tout cet argent, alors que le village dort paisiblement à l’abri des besoins? Entre le souhait de préserver la vie tranquille des pendulaires et l’envie d’investir pour les générations futures, le village se déchire. Alors que les perspectives hydroélectriques sont pleines de promesses du côté de Nant-deDrance, nombreux sont ceux qui regrettent l’âge d’or du tourisme aristocratique. C’est dans ce contexte particulier, agité et contrasté, que se joue le renouveau touristique de la commune. Si aujourd’hui le barrage d’Emosson attire un nombre croissant d’excursionnistes, il ne parvient pas à capter ces visiteurs plus qu’une journée. Faute d’infrastructures d’accès et d’hébergement satisfaisantes, le touriste repart plus vite qu’il n’est venu et apporte plus de nuisances que de retombées positives pour la région. Si le tourisme doux est à coup sûr une réponse adéquate, encore faut-il lui donner une chance de s’épanouir. Imaginer, par exemple, un dispositif audacieux, à la fois digne et respectueux du site qui l’environne.

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