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PRÉFACE : LE CHOIX DE LA VIE, AMÉLIE ADAMO
Le choix de la vie
Amélie Adamo
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Vivre pleinement sa vie d’artiste et sa vie de parents et dresser intelligemment des ponts entre les deux, de manière créative et décomplexée, voilà qui pour l’époque paraît un périlleux défi !
Car si la société, férue d’injonctions contradictoires, nous invite à s’accomplir au foyer comme au travail, on ne peut pas dire que le monde du travail lui, soit très accueillant vis-à-vis du fait de fonder une famille. Non, le monde de l’art n’est pas fasciné par l’impact que pose l’arrivée d’un enfant dans un corps et dans une vie d’artiste. Non, être un « parent-artiste », ce n’est pas vraiment perçu comme une valeur en soi ! Pas très Glamour, pas très Funny, pas très Arty... à mille lieux de l’idée de l’”Artiste créateur inspiré”, qui préfère les affres de la solitude aux affreux cris du nourrisson.
Ce que nous dit le monde du travail, de manière plus ou moins frontale ? C’est qu’il y a un sérieux risque à faire un enfant, tout particulièrement quand on est une femme : car cela signifie mettre entre parenthèse sa carrière. Au mieux la freiner, au pire l’enterrer. Et très clairement, dans notre cher milieu, même si, à l’aune du féminisme, certains changements ont eu lieu quant à l’aménagement de l’espace et du temps de travail des artistes-parents, c’est néanmoins une logique productiviste qui prédomine. Être omniprésent ou en “sur-représentation”, toujours produire, avoir du succès : voilà une course au rendement qui est aux antipodes du don de soi et du nouveau rythme qu’implique l’arrivée d’un enfant. Alors oui, il faut un zeste de courage et clairement beaucoup d’amour pour trouver les ressorts de se positionner contre cette société productiviste. Faire le choix de la vie, c’est d’abord évidemment accepter de lâcher prise face aux bouleversements qu’impliquent la parentalité. C’est faire face à un autre rapport à la réalité, à de nouvelles priorités et contingences matérielles. C’est réagencer son temps, repenser les moments à l’atelier et la vie de famille. C’est à chaque fois, réinventer un équilibre : de la gestation à l’accouchement, de l’allaitement à la petite enfance. Faire le choix de la vie, c’est accepter de se laisser traverser et transformer par les diverses phases de cette expérience. C’est éprouver la transformation du corps, l’attente, la douleur de l’accouchement. C’est prendre le temps d’aimer, d’éduquer, de voir grandir son enfant. C’est soi-même se redécouvrir, revivre sa propre enfance et trouver là-dedans la force de réinventer son art, ses sujets, sa méthode de travail.
Car d’évidence ce n’est pas le fait d’être parent qui fait de vous un bon artiste ! Bien sûr que l’expérience de vie ne suffit pas. C’est de métamorphose dont il est question. Sortir du quant à soi, de l’anecdote littérale, du projet idéologique, pour faire œuvre. Une œuvre qui dépasse l’intime pour interroger aussi l’histoire des autres. Une œuvre qui dérange et dépasse les tabous pour réinventer les notions de maternité, de famille, d’enfance. Et ça, c’est une autre histoire…
Page précédente : Vue en détail de l’œuvre d’Anaïs Albar, La maison, 2013, Broderie sur soie - 120 x 160 cm Le trouble des Origines
Dans l’inconscient collectif et patriarcal, dans la culture populaire, dans les médias ou les réseaux sociaux, il subsiste clairement une perception idéalisée de la maternité : parfaite, douce, belle, pure, innocente. En art, cette représentation doit beaucoup à l’idéal qui perdure
depuis la Renaissance. Ce n’est pas un hasard, qu’à l’aune de cet idéal, on trouve un nombre incommensurable de madones, douces et parfaites, contre très peu, par exemple, de représentations d’accouchements qui en illustrerait une part bien plus violente et sombre. Tout un pan de la modernité s’est opposé à cette vision idéale, reconsidérant les représentations de la femme et de la maternité à travers d’autres modèles. Des créatures symbolistes dévoreuses d’enfants, nourries de la violence des mythes païens, aux célèbres mères-araignées de Louise Bourgeois dont la beauté est autant puissante que monstrueuse : à l’aube du XXe siècle, l’idéal de perfection classique est délaissé au profit d’une vision plus sombre et ambigüe de la féminité. Et c’est clairement dans l’héritage de cette modernité que s’inscrit la création actuelle, continuant de se libérer des tabous et des clichés réducteurs. Une évolution dont une part demeure en lien bien-sûr avec l’impact de nombreux facteurs, comme la recherche de l’égalité homme-femme, l’évolution de la place de la femme-artiste dans la société, la libération sexuelle, les avancées du féminisme, l’apport de la médecine comme la procréation assistée et la génétique.
De Françoise Pétrovitch à Anaïs Albar, de Marlène Mocquet à Fiammetta Horvat ou Charlotte Salvaneix, qu’il s’agisse d’animation, de peinture, de collage, de dessin, de sculpture ou de broderie, les œuvres partagent une même tension entre des polarités. La notion de procréation est tantôt beauté, douceur, puissance de vie, métaphore de la création, tantôt douleur, répulsion, enfermement, violence, mort. Le corps et les attributs féminins, tout comme les symboles de la naissance, s’ils évoquent joie et fertilité, sont aussi douleur, larmes, chaines, déformation monstrueuse, vulves, araignée noire ou landau rouge sang et certaines des artistes, comme Prune Nourry, Lidia Kostanek ou Katharina Bosse, aiment jouer des paradoxes créés par la collision de stéréotypes divers. Manière de remettre en question notre perception de la maternité. Confrontant représentations sacrées et imageries liées à l’univers de la science, Prune Nourry interroge les dérives de la sélection génétique et d’une médecine déshumanisante. Lidia Kostanek et Katharina Bosse questionnent quant à elles les multiples facettes qu’être mère et femme implique, entre instinct animal et construction sociale, sacralité, érotisme ou simple vision du corps nu, force protectrice autant que dévoratrice.
Cette réalité plurielle et ambivalente de la maternité, certains regards masculins l’ont aussi captée, à leur manière. Axel Pahlavi, Fabien Mérelle, font partie d’une génération qui a choisi d’avoir des enfants et qui a participé à une vraie révolution pour les hommes. Ils ont su créer un réel espace avec leurs enfants et n’ont pas laissé strictement à leur partenaire la tâche de les élever. Chamboulés par le fait de devenir père, très investis et conscients de leur rôle à jouer, ils ne sont pas restés étrangers à ces questionnements liés à la parentalité. Un certain nombre d’œuvres, dans leurs démarches respectives, captent de manière très sensible et poignante ces expériences de vie. Il y a là un regard d’amour partagé, évidemment, mais aussi une interrogation face à ce pouvoir exclusivement féminin de porter la vie. Fabien Mérelle se représente minuscule, agrippé au ventre énorme de sa femme : l’homme demeure une bien petite chose face à la puissance de la maternité. Quant à Axel Pahlavi, il représente Florence Obrecht sa femme, enceinte, gisante sur le lit de leur chambre conjugale. Elle le regarde, comme si elle l’appelait dans son expérience qui lui demeure étrangère. Pour Axel Pahlavi, elle est reine et sacrifiée, malade et amoureuse. Dans ce regard, on peut lire l’évocation du fait que pour une femme artiste comme Florence Obrecht, l’arrivée de la vie est une difficulté qui est perçue, dans le monde contemporain, comme un frein à la carrière. Mais Axel Pahlavi n’en fait pas pour autant la