ZIG-ZAG TERRITOIRES — ZZT329
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MUSSORGSKY / RAVEL PICTURES AT AN EXHIBITION
RIMSKY-KORSAKOV SCHEHERAZADE
EMMANUEL KRIVINE ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DU LUXEMBOURG
Au programme de ce disque, deux œuvres russes qui font briller l’orchestre de tous ses feux, avec, pour la première, la complicité du formidable coloriste et orchestrateur que fut Maurice Ravel, et pour la seconde, la science d’un compositeur que l’on surnomma « le magicien de l’orchestre ». Ce sont aussi deux œuvres qui, si elles s’appuient sur des objets narratifs, visent surtout à transmettre l’impression et l’émotion ressenties face à ces objets.
This CD couples two brilliant Russian showcases for orchestra, the first with the complicity of that formidable colourist and orchestrator Maurice Ravel, the second displaying the consummate skills of the composer nicknamed ‘the master magician of orchestration’. Both works, though based on narrative objects, aim above all to convey the impressions and emotions felt by the viewer of those objects.
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MODEST MUSSORGSKY (1839-1881) / MAURICE RAVEL (1875-1937)
PICTURES AT AN EXHIBITION
NICOLAY RIMSKY-KORSAKOV (1844 -1908) SCHEHERAZADE
Transcription by Ravel 1. Promenade 2. Gnomus 3. Promenade 4. Il Vecchio Castello 5. Promenade 6. Tuileries 7. Bydlo 8. Promenade 9. Ballet des poussins dans leur coque 10. ‘Samuel’ Goldenberg und ‘Schmuÿle’ 11. Limoges. Le Marché (La grande nouvelle) 12. Catacombae (Sepulcrum romanum) 13. The Hut on Fowl’s Legs (Baba-Yaga) 14. The Great Gate of Kiev
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1’25 2’28 0’52 4’16 0’28 1’08 2’40 0’40 1’14 2’10 1’21 4’26 3’23 5’34
Philippe Koch (violon solo) 15. I. The Sea and Sinbad’s ship 16. II. The Story of the Kalender Prince 17. III. The Young Prince and the Young Princess 18. IV. Festival in Baghdad - The Sea - The Ship Goes to Pieces on a Rock Surmounted by a Bronze Warrior Total Time: 74’23
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DU LUXEMBOURG EMMANUEL KRIVINE, DIRECTION
10’08 12’11 9’55
12’44
Š Fabrice Dell'Anese
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Des membres du Groupe des Cinq qui rassembla, dans les années 1860-1870, plusieurs musiciens sous la férule du pianiste et chef d’orchestre Mily Balakirev (1837-1910), les deux compositeurs dont l’œuvre connaîtra la plus grande renommée sont Modest Moussorgski (1839-1881) et Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908). Ils suivirent tous deux les conseils du fondateur de leur groupe, ainsi que ceux de leur mentor, le critique musical Vladimir Stassov (1824-1906) et partagèrent un temps le même appartement, Moussorgski travaillant au piano le matin et Rimski-Korsakov l’après-midi, les deux amis se retrouvant le soir autour de projets communs. Ils connurent cependant un destin différent. Modest Moussorgski, issu de la moyenne bourgeoisie, profondément solitaire, ne se maria jamais et, miné par une dépression chronique et par l’alcool, s’éteignit à l’aube de ses quarante-deux ans ; il travaillait « par à-coups, mais avec une rapidité folle »1 et se méfia toujours de l’influence européenne représentée par le conservatoire de Saint-Pétersbourg. Nicolaï Rimski-Korsakov, nommé en 1871 professeur au Conservatoire, quelques mois avant son mariage, heureux, avec la pianiste Nadejda Purgold, s’acharna à comprendre les secrets du contrepoint et des techniques propres à la musique savante européenne. Compositeur prolifique, il se tenait constamment au travail. C’est enfin lui qui assura, en partie, la postérité de l’œuvre de son aîné de six ans, en corrigeant et complétant l’orchestration de plusieurs de ses œuvres. Il n’y a pas lieu, du reste, de crier au scandale, le compositeur ayant toujours eu soin de conserver intacts les originaux de Moussorgski, pour permettre en tout temps une audition de la version originale. Il n’orchestra cependant pas les Tableaux d’une exposition, dont la première version orchestrale (partielle) est due, en 1886, à son élève Mikhaïl Tushmalov. Modest Moussorgski est élevé entre les contes populaires russes qui l’impressionnent et nourrissent l’imaginaire de ses premières œuvres pour piano, et les bases
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d’une éducation européenne qui lui permet de briller en allemand, en français, latin, et en histoire ; il est profondément impressionné par la grandeur de Moscou qu’il découvre l’année de ses vingt ans mais admire des compositeurs européens comme Franz Liszt. Il intègre en 1856, à l’âge de dix-sept ans, le régiment Préobrajensky2. Loin du célèbre portrait d’Ilya Répine, peint peu de temps avant sa mort, le jeune Modest est alors un dandy élégant, excellent pianiste et désirant ardemment devenir « un grand compositeur »3. Il rencontre durant cette période Mily Balakirev avec qui il fonde le « puissant petit groupe », selon ses termes. Lorsqu’il compose ses Tableaux d’une exposition, en 1874, le compositeur est à un point d’équilibre, avant que ne s’accélère sa déchéance physique, accompagnée d’idées d’échec et de mort, et d’une profonde solitude. La source de cette œuvre est la rétrospective, un an après sa mort à l’âge de trente-neuf ans, de tableaux et de dessins de l’architecte et dessinateur Viktor Hartmann (1834-1873), dont une partie fut dessinée durant ses voyages à l’étranger dans les années 1864-1868. L’artiste était un proche du « groupe des cinq » au début des années 18704, et un ami de Moussorgski qui déplore sa mort dans plusieurs lettres, rappelant le talent de l’architecte, promoteur, comme lui, d’un art proprement russe :
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Quelle grande douleur pour l’art russe ! […] Et cela s’est produit au plus fort de l’explosion du talent d’Hartmann, qui était alors sans rival. Je me souviens – comment l’oublier ? – de mon ultime entretien avec lui : il m’avait comblé d’aise en me parlant de son projet d’un style architectural russe, adapté, il est vrai, aux exigences du temps, mais un style russe « bien policé, ainsi qu’il aimait à s’exprimer. Il avait déjà commencé à réaliser son projet ; son esprit fourmillait d’idées sur l’édification d’une maison dans le style russe pour Mamontov, à Moscou. Hartmann en a-t-il achevé la construction ? Je l’ignore5. Français - Anglais
Il est singulier de constater que, parmi les dessins de Hartmann exposés lors de cette rétrospective, près de la moitié des œuvres choisies par Moussorgski se réfèrent à des sujets étrangers. Moussorgski compose cette œuvre avec une rapidité extraordinaire, comme il l’écrit à Vladimir Stassov :
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Hartmann bouillonne […] : les sons et les idées planent dans l’air – je les gobe et je m’en goinfre, et c’est à peine si j’ai le temps de les griffonner sur le papier. […] Je veux réaliser cela au plus vite et d’une main ferme. On devine ma personne dans les interludes. Pour l’instant je trouve cela réussi6. « On devine ma personne dans les interludes ». C’est là que réside l’originalité des Tableaux, qui rend cette œuvre si touchante à l’écoute. En effet, ce que l’on entend n’est pas une description des tableaux mais bien la traduction musicale de l’impression qu’ils font sur leur spectateur. Les différents tableaux sont séparés et reliés par le thème de la « promenade » qui correspond au déplacement du spectateur. Mais ils sont eux-mêmes des variations de ce thème, ce qui confère une grande cohérence à l’ensemble. Cette œuvre étonnamment sereine nous laisse entrevoir l’amitié qui liait les deux artistes et la haute idée que se faisait l’idéaliste Moussorgski d’une valeur comme l’amitié. L’œuvre se compose ainsi : Promenade
Allegro giusto, nel modo russico ; senza allegrezza, ma poco sostenuto
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I. Gnomus
Sempre vivo Intermezzo écrit Moussorgski précisant « le terme intermezzo « Un dessin représentant un gnome marchant gauchement sur des jambes torses » décrit V. Stassov8. Le tableau se termine par une évocation courte de la « promenade »ne figurera pas »7
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II. Vecchio Castello
Andante molto cantabile e con dolore. Intermezzo écrit Moussorgski précisant que « le terme ne figurera pas non plus » « Un château médiéval devant lequel chante un troubadour » (V. Stassov). Le catalogue de l’exposition ne mentionnant pas un tel tableau, il s’agit peut-être d’un tableau que connaissait par ailleurs le compositeur.On notera le caractère russe de la chanson qui se détache. Promenade
Moderato non tanto, pesa[nte]mente III. Tuileries
Allegretto non troppo, capriccioso. « dispute d’enfants après jeux… » (Moussorgski) Français - Anglais
« Une promenade dans les jardins des Tuileries avec un groupe d’enfants et de nourrices. » (V. Stassov)
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IV. Bydlo « …et, sans transition, le n° 4 » « une charrette polonaise, aux roues énormes, tirée par des bœufs » (V. Stassov) La version de Moussorgski commence par un fortissimo tandis que Ravel fait partir l’orchestre pianissimo puis crée un grand crescendo, ce qui change la direction dynamique de la pièce. Promenade
Tranquillo Interrompue par le morceau suivant : V. Ballet des poussins dans leur coque
Scherzino : vivo, leggiero – trio « un petit dessin d’une pittoresque scène du ballet Trilby » (V. Stassov), ballet d’après un récit de Charles Nodier, créé par Marius Petipa en 1871 à Saint-Pétersbourg et dont Hartmann avait dessiné les décors et costumes.
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VI. ‘Samuel’ Goldenbergh und ‘Schmuÿle’
Andante « J’ai envie d’insérer les Juifs de Vitiouchka [Viktor Hartmann] » « deux juifs polonais, un riche, un pauvre. » (V. Stassov) Les deux dessins, Un Juif riche en bonnet de fourrure et Un Juif pauvre de Sandomir auraient, selon V. Stassov, été offerts par le peintre en 1868 au compositeur9.
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VII. Limoges. Le Marché (La grande nouvelle)
Allegretto vivo, sempre scherzando « Des Françaises se disputant furieusement sur la place du marché. » (V. Stassov) Moussorgski écrivit sur son manuscrit un texte dont subsistent ces deux versions : « La grande nouvelle : M. Pimpant de pata-Pantaléon vient de retrouver sa vache « La Fugitive » ; Oui, « Maàme », c’était hier. – Non, « Maàme », c’était avant-hier. – Eh bien, oui, « Maàme », la bête rôdait dans le voisinage. – Eh bien, non, « Maàme », la bête ne rôdait pas du tout – etc. […] » Et une deuxième version : « La grande nouvelle : M. de Puissangeout vient de retrouver sa vache « La Fugitive ». Mais les bonnes dames de Limoges ne sont pas tout à fait d’accord sur ce sujet, parce que Mme de Remboursac s’est approprié une belle denture en porcelaine, tandis que M. de Panta-Pantaléon garde toujours son nez gênant couleur pivoine.10 »
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VIII. Catacombae (Sepulcrum Romanum)
Largo
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En rupture complète avec le caractère de la pièce précédente : les catacombes de Paris. « Hartmann s’était représenté lui-même examinant les catacombes de Paris à la lueur d’une lanterne. » (V. Stassov). Moussorgski intitula, à tort, la pièce « Sepulcrum Romanum », alors qu’il s’agit bien des catacombes de Paris. Cum Mortuis in lingua mortua
Andante non troppo, con lamento Moussorgski ajouta la note : « L’esprit créateur du défunt Hartmann me guide vers les crânes et les invoque ; petit à petit, les crânes se mettent à luire » Et leur lueur est peut-être évoquée par cet écho fragile et fantomatique de la promenade. IX. La Cabane sur des pattes de poule (Baba-Yaga)
Allegro con brio, feroce – Andante mosso – Allegro molto « Le dessin de Hartmann représentait une pendule en forme de hutte de Baba Yaga, posée sur des pattes de poule. Moussorgski y ajouta le vol de Baba Yaga […]. » (V. Stassov)
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La musique évoque la chasse de la célèbre sorcière russe et son vol qui conduit au morceau suivant :
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X. La Grande Porte de Kiev
Allegro alla breve. Maestoso. Con grandezza « Le dessin de Hartmann représentait un projet de porte pour la ville de Kiev, dans le vieux style monumental russe, avec une coupole en forme de heaume slave. » (V. Stassov) Cette porte avait été commandée à l’architecte par le tsar Alexandre II, qui venait d’échapper à une tentative d’assassinat en 1866, pour commémorer cet événement. Hartmann considérait son projet comme son chef-d’œuvre, mais celui-ci ne fut jamais réalisé. On retrouve dans cette pièce l’atmosphère des chants sacrés russes, que Moussorgski découvrit l’année de ses quatorze ans et qui exercèrent une réelle influence sur lui. Quel que soit leur succès aujourd’hui, les Tableaux d’une exposition ont cependant été longtemps négligés par les pianistes qui leur reprochent de ne pas « sonner » ou d’être « mal harmonisés ». Il est toutefois difficile de concevoir qu’un pianiste émérite comme l’était Moussorgski, reconnu pour ses transcriptions pour piano, n’ait pas « su » écrire cette œuvre. Sans doute faut-il penser qu’il s’est refusé à faire sonner un piano brillant et qu’il cherchait une autre couleur dans cet hommage à un ami disparu. Quoi qu’il en soit, c’est leur transcription pour orchestre sous la plume de Maurice Ravel (1875-1937), qui les fera connaître. Français - Anglais
Cette orchestration est une commande, en 1922, de Serge Koussevitzky (1874-1951), chef d’orchestre américain d’origine russe, connu pour sa direction de l’Orchestre symphonique de Boston (1924-1949) mais également pour ses activités de mécénat et ses commandes à de nombreux compositeurs 11 . Le compositeur et écrivain sur la musique Roland-Manuel, ami et biographe de Maurice Ravel se souvient du travail de l’orchestrateur sur les Tableaux durant l’été 1922 :
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«J’ai eu le privilège d’assister à l’orchestration des Tableaux d’une exposition. […] De temps en temps il m’apportait la partition de Moussorgski et me disait : « Qu’est ce que vous mettriez là ? » Alors, je lui disais : « Une clarinette, peut-être ? ». il me répond : « Une clarinette ? ça s’impose. » Ça s’impose. Après quoi il se remettait à travailler, et il m’appelait en me disant : « Venez voir. ». Ce n’était pas une clarinette, c’était un saxophone ! J’ai vu – ça, c’est un grand privilège – j’ai vu comment il faisait pour orchestrer. Naturellement il ne s’agissait pas de sa propre musique, mais enfin c’est quand même très intéressant. Il examinait attentivement les mesures sur lesquelles il travaillait ; il écrivait, il distribuait aux instruments comme tout orchestrateur le passage. Puis, très souvent, il allait au piano et il isolait un groupe instrumental. Il avait, me disait-il, besoin d’entendre ce que donnait un groupe par rapport au reste. Par exemple, il regardait ce que faisaient les quatre cordes et il le jouait au piano. Il me disait qu’il se servait beaucoup plus du piano en orchestrant qu’en composant les premiers jets de son œuvre»12. Autre grand orchestrateur, Nikolaï Rimski-Korsakov fut « son meilleur élève » lorsqu’il dut apprendre, lui qui s’était toujours senti autodidacte, l’orchestration et la composition afin de les enseigner à ses élèves du Conservatoire. Issu d’une famille noble, il cultive la musique comme un passe-temps – il aurait été mal vu qu’il devînt musicien – et entre dans la marine impériale. C’est sous l’impulsion du
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Groupe des Cinq et des musiciens de son entourage qu’il se décide à composer. Lorsqu’il revient d’un voyage obligatoire de trois ans autour du monde, ses occupations d’officier à terre lui laissant du temps libre, il s’adonne avec acharnement à la musique. Il fait la connaissance en 1884 du mécène Mitrofan Belaïev, par le biais de son élève Alexandre Glazounov. Les trois hommes créent les Concerts symphoniques russes en 1886 destinés à faire connaître les œuvres de compositeurs nationaux. Rimski-Korsakov compose alors ses plus belles œuvres pour l’orchestre. Par ailleurs, désireux de connaître vraiment chaque instrument de l’orchestre, il commence l’étude du violon auprès de Piotr Krasnokoutsky (1849-1900), à qui il dédie une Fantaisie sur des thèmes russes 13 . Le compositeur évoque cette période faste comme une période où « [s]on orchestration acquit une certaine virtuosité et un éclat sonore exempts de l’influence wagnérienne, et se contentant de l’effectif orchestral habituel de Glinka14. »
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L’idée d’une œuvre pour orchestre sur le sujet des Mille et une nuits lui vient au cours de l’hiver 1887-1888 et l’œuvre est achevée l’été suivant, reliant plusieurs épisodes sans lien des célèbres contes orientaux. En voici le programme, tel qu’il figure sur la première édition : I. La mer et le vaisseau de Simbad (Largo e maestoso – Allegro non troppo) II. Le récit du prince Kalender (Lento – Andantino – Allegro molto – Con moto) III. Le jeune prince et la jeune princesse (Andantino quasi allegretto – Pochissimo più mosso – Come prima – Pochissimo più animato) IV. Fête à Bagdad – La Mer – Le Vaisseau se brise sur un rocher surmonté d’un guerrier d’airain (Allegro molto – Vivo – Allegro non troppo maestoso) Le fil conducteur de ces épisodes étant le violon solo qui rappelle la voix de Shéhérazade racontant ses histoires au redoutable sultan. Cependant, pour
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Rimski-Korsakov comme pour Moussorgski, il est moins question d’un programme et d’une description que de transmettre une impression. La narration n’est que le support d’une émotion : «En composant Shéhérazade j’ai uniquement cherché à orienter quelque peu par ces indications l’imagination de l’auditeur sur la voie qu’avait suivie la mienne, tout en laissant des représentations plus précises à la liberté et au sentiment de chacun. Je voulais seulement que l’auditeur, s’il aime ma pièce en tant que musique symphonique, la perçoive comme une narration spécifiquement orientale sur des merveilles légendaires diverses et variées, et non pas seulement comme quatre morceaux joués l’un après l’autre et composés sur des thèmes communs. Pourquoi ai-je donc intitulé ma suite Shéhérazade ? Parce que ce nom, ainsi que le titre des Mille et une nuits , fait naître chez tout un chacun des images de l’Orient et de ses merveilles fabuleuses, et qu’en outre certains détails du discours musical font allusion au fait que tous les récits proviennent d’une seule et même personne, cette Shéhérazade, qui a su captiver ainsi la curiosité de son redoutable époux15.»
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Du reste, Rimski-Korsakov avait donné des titres aux mouvements ( Prélude , Ballade, Adagio, Finale) avant d’y renoncer pour ne pas influencer l’auditeur. Il ne faut donc pas chercher de leitmotive ni n’attribuer de thème au sultan (comme on le fait souvent avec le thème initial, aux graves de l’orchestre) ou aux autres personnages. Hormis le violon solo, qui représente la voix de Shéhérazade,
«[…] tous ces leitmotive apparents ne sont qu’un matériau purement musical, ou des motifs donnant lieu à un développement symphonique. Tous ces motifs passent et se répandent à travers tous les mouvements de la suite, se succédant et s’entremêlant. […] Ainsi par exemple, la fanfare de trombone et de trompette avec sourdine, très fortement mise en relief, présente pour la première fois dans le récit du prince Kalender (IIe mouvement), revient dans le IVe, évoquant le nau-
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frage du navire, bien que cet épisode soit sans rapport avec le récit de Kalender. Le thème principal du récit de Kalender (si mineur, ¾) et le thème de la princesse dans le IIIe mouvement (si bémol majeur, 6/8, clarinette), sous un aspect transformé et dans un tempo rapide, font office de thèmes secondaires dans La Fête à Bagdad ; cependant, dans les Mille et une nuits, il n’y a aucune mention d’une quelconque participation de ces personnages à cette fête. La phrase à l’unisson, représentant le redoutable époux de Shéhérazade au début de la suite, réapparaît comme élément du récit de Kalender, dans lequel il ne peut toutefois être question du sultan Shahriar16.»
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La suite doit donc être comprise comme un « kaléidoscope d’images et de dessins féeriques orientaux17 ». Ainsi, que ce soit en se perdant dans les contes d’Orient ou dans les images d’Italie et d’Europe de l’Ouest de Hartmann, Moussorgski comme Rimski-Korsakov créent par leur musique et transmettent au spectateur des impressions de voyages rêvés et imaginés. Bénédicte Gandois
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1
Marcel Marnat, Moussorgsky, Seuil, coll. Solfèges, 1962, p. 26. Le régiment Préobrajensky est le plus ancien et l’un des plus prestigieux de la garde impériale russe. 3 Marnat, op. cit., p. 11. 4 Nikolaï Rimski-Korsakov, Chronique de ma vie musicale, trad. André Lischke, Fayard, 2008, p. 149. 5 Lettre du 26 juillet 1873 à Paulina Stassova, M. Moussorgski, Correspondance, p. 286-287. 6 Lettre du 12 ou 19 juin 1874 à Vladimir Stassov, Idem, p. 330. 7 Toutes les descriptions de ses pièces par le compositeur proviennent de cette même lettre. 8 V. Stassov fait éditer la partition après la mort de Moussorgski en faisant précéder chaque pièce d’une courte description du tableau de Hartmann à l’origine de la pièce musicale. 9 Moussorgski, Correspondance, note 4, p. 331. 10 Arbie Orenstein, préface de l’édition des Tableaux d’une exposition dans l’orchestration de Maurice Ravel, Eulenburg, Londres, 1994. 11 Il commandera également à Ravel le Concerto pour piano en sol majeur en 1930, pour le cinquantième anniversaire de l’Orchestre et, pour la même occasion, la Symphonie de Psaumes à Igor Stravinski, la Konzertmusik à Paul Hindemith et sa Troisième symphonie, op. 42 à Albert Roussel. 12 Extrait d’une interview donnée par Roland-Manuel à son domicile le 1er février 1966. Cité par Arbie Orenstein, op. cit., p. v. 13 N. Rimski-Korsakov, Chronique…, p. 279-280. 14 Idem, p. 292. 15 Idem, p. 290. 16 Idem, p. 289. 17 Idem, p. 290. 2
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EMMANUEL KRIVINE, DIRECTEUR MUSICAL
«L’un des plus grands chefs d’aujourd’hui» (The Guardian) D’origine russe par son père et polonaise par sa mère, Emmanuel Krivine commence très jeune une carrière de violoniste. Après le Conservatoire de Paris et la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, il étudie avec les plus grands maîtres dont Henryk Szeryng et Yehudi Menuhin, puis s’impose dans les concours internationaux. Passionné depuis toujours par l’orgue et la musique symphonique, Emmanuel Krivine, après une rencontre décisive avec Karl Böhm en 1965, se consacre peu à peu à la direction d’orchestre: il est chef invité permanent à Radio France de 1976 à 1983 et Directeur musical de l’Orchestre National de Lyon de 1987 à 2000. Depuis 2004, Emmanuel Krivine est le chef principal de La Chambre Philharmonique, ensemble sur instruments d’époque avec lequel il réalise de nombreux programmes, en concert comme au disque dont, récemment, une intégrale remarquée des symphonies de Beethoven (Gramophone Editor’s Choice).
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Depuis 2006, Emmanuel Krivine est Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg. En tournée, comme à la Philharmonie Luxembourg, résidence de l’orchestre, les projets sont très variés, en collaboration avec les plus grands solistes. Parallèlement à ces deux maisons, il est l’invité des meilleurs orchestres internationaux. Emmanuel Krivine, très attaché à la transmission, conduit régulièrement des orchestres de jeunes musiciens. Parmi ses enregistrements récents avec l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, se trouvent, chez Timpani, un disque Vincent d’Indy (Poème des rivages, Diptyque méditerranéen, etc.) et deux disques de la musique pour orchestre de Claude Debussy, ainsi que, chez Zig Zag Territoires/Outhere, un disque Ravel (Shéhérazade, Boléro, La Valse, etc.). Avec La Chambre Philharmonique, il a publié chez Naïve des disques consacrés à Felix Mendelssohn Bartholdy (Symphonies «Italienne» et «Réformation»), Antonín Dvorák (Symphonie «Du Nouveau Monde»), Robert Schumann (Konzertstück op. 86) et Ludwig van Beethoven (intégrale des symphonies, Gramophone Editor’s Choice).
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ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DU LUXEMBOURG Emmanuel Krivine, Directeur Musical
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L’Orchestre Philharmonique du Luxembourg (OPL) incarne la vitalité culturelle de ce pays à travers toute l’Europe depuis ses débuts éclatants en 1933 sous l’égide de Radio Luxembourg (RTL). Depuis 1996, l’OPL est missionné par l’État. Il entre en 2005 en résidence à la Philharmonie Luxembourg, une salle parmi les plus prestigieuses d’Europe avec laquelle il forme une seule entité depuis janvier 2012. L’OPL est particulièrement réputé pour l’élégance de sa sonorité. L’acoustique exceptionnelle de la Philharmonie Luxembourg, vantée par les plus grands orchestres, chefs et solistes du monde, les relations de longue date de l’orchestre avec des maisons telles que la Salle Pleyel à Paris et le Concertgebouw d’Amsterdam, des festivals tels que Musica à Strasbourg et Ars Musica à Bruxelles, contribuent à cette réputation. Mais c’est surtout l’alliage de musicalité et de précision de son directeur musical, Emmanuel Krivine, ainsi que la collaboration intensive de l’orchestre avec des personnalités musicales de premier plan (Evgeny Kissin, Julia Fischer, Jean-Yves Thibaudet, Jean-Guihen Queyras, etc.), qui lui assurent une place de choix dans le paysage musical. C’est ce dont témoigne par exemple la liste impressionnante des prix du disque remportés ces seules sept dernières années pour une vingtaine d’enregistrements. En accord avec son pays, le Grand-Duché du Luxembourg, l’OPL s’ouvre à l’Europe et sur le monde. L’orchestre avec ses 98 musiciens, affirme sa présence dans la Grande Région par un large éventail de concerts et d’activités. Invité régulier de nombreux centres musicaux européens, ainsi qu’en Asie et aux États-Unis, les tournées mèneront l’OPL en Espagne et Russie pour la saison 2013/14. Les concerts de l’OPL sont régulièrement retransmis par la radio luxembourgeoise 100,7 et diffusés sur le réseau de l’Union européenne de radio-télévision (UER). L’OPL est subventionné par le Ministère de la Culture du Grand-Duché, ainsi que par la Ville de Luxembourg.
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Of the members of the ‘Mighty Handful’ (Moguchaya Kuchka ), the group of five composers who assembled in the 1860s and 1870s under the leadership of the pianist and conductor Mily Balakirev (1837-1910), the two whose works were to achieve the greatest fame were Modest Mussorgsky (1839-81) and Nikolay Rimsky-Korsakov (1844-1908). Both men followed the advice of their group’s founder, Balakirev, and of its mentor, the critic Vladimir Stasov (1824-1906), and shared the same flat for a time, with Mussorgsky composing at the piano in the morning and Rimsky-Korsakov in the afternoon, while the two friends worked on joint projects in the evening. Their destinies, however, were to prove very different. Modest Mussorgsky, born into the middle ranks of the bourgeoisie, was a deeply solitary figure who never married; plagued by chronic depression and alcoholism, he died just after his forty-second birthday. He worked ‘in spurts but at frenzied speed’, 1 and always distrusted the European influence represented by the St Petersburg Conservatory. Nikolay Rimsky-Korsakov, appointed professor at that very Conservatory in 1871, a few months before his happy marriage to the pianist Nadezhda Purgold, made relentless efforts to grasp the secrets of counterpoint and the techniques proper to European art music. A prolific composer, he always worked at a constant rhythm. In the end, he was partly responsible for safeguarding the œuvre of Mussorgsky (six years his senior) for posterity, by correcting and completing the orchestration of several of his works. But there is no reason to be scandalised by this, for he was always careful to keep Mussorgsky’s originals intact, in order to ensure the original version could be heard at any time. He did not, however, orchestrate Pictures at an Exhibition; the first (partial) orchestral version was made in 1886 by his student Mikhail Tushmalov. Mussorgsky was raised amid Russian folk tales that made a strong impression on him and nourished the imaginative world of his early piano works, while also receiving the foundations of a European education that enabled him to shine in German, French, Latin, and History; he was deeply impressed by the grandeur of
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Moscow, which he discovered the year he turned twenty, but also admired European composers such as Franz Liszt. In 1856, at the age of seventeen, he joined the Preobrazhensky Regiment.2 Far from the famous portrait by Ilya Repin, painted shortly before his death, the young Modest was then an elegant dandy and excellent pianist with an ardent longing to become ‘a great composer’. 3 During this period he met Mily Balakirev with whom he founded the ‘Mighty Handful’, as they called themselves. When he wrote his Pictures at an Exhibition in 1874, the composer was at a point of equilibrium, before his physical decline accelerated, accompanied by ideas of failure and death and a profound solitude. The source of this work is the retrospective, a year after his death at the age of thirty-nine, of paintings and drawings by the architect and designer Viktor Hartmann (1834-73), some of which dated from during his journeys abroad between 1864 and 1868. The artist was close to the ‘Handful’ in the early 1870s, 4 and a friend of Mussorgsky, who lamented his death in several letters, recalling the talented architect who, like himself, promoted the idea of Russian art :
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‘O greatly suffering Russian art! . . . [And it happened] when Hartmann’s talent so gushed out that it was impossible to approach him. I remember (how can I ever forget?) my last talk with him: he was cheering me with a project for a building in Russian style, although adapted to the demands of the times, still a Russian style, as he loved to say – ‘well-bred’. He was already bringing his project to life, his brains were busy with plans for building a house in Russian style for Mamontov, in Moscow. Whether Hartmann finished this work – I don’t know.’ 5 It is curious to note that, among the drawings by Hartmann presented at this retrospective, nearly half of the works selected by Mussorgsky refer to foreign subjects. Français - Anglais
Mussorgsky composed this work with extraordinary rapidity, as he wrote to Vladimir Stasov: ‘Hartmann is seething . . . The concept and sounds have hung in the air; now I am ingesting them, and I am so gorging myself that I can scarcely manage the time to scribble them down on paper. . . I want to get it done as quickly and reliably as possible. My physiognomy is evident in the interludes. I consider it successful thus far . . .’ 6
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‘My physiognomy is evident in the interludes.’ There lies the originality of Pictures, which makes the work so touching to listen to. For what one hears is not a description of the pictures, but a musical transposition of the impression they make on the viewer. The different pictures are separated and connected by the ‘Promenade’ theme, which corresponds to the movement of the viewer from one to another. But they are themselves variations on this theme, which bestows great coherence on the whole edifice. This amazingly serene work allows us to glimpse the friendship between the two artists and the elevated conception the idealist Mussorgsky entertained of a value such as friendship. The work is composed of the following movements:7 Promenade
Allegro giusto, nel modo russico ; senza allegrezza, ma poco sostenuto
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I. Gnomus
Sempre vivo Intermezzo, wrote Mussorgsky, while specifying ‘the term intermezzo will not appear’8 A drawing representing a gnome walking clumsily on crooked legs’, according to Stasov.9 The picture ends with a short evocation of the ‘Promenade’.
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II. Il vecchio castello
Andante molto cantabile e con dolore Intermezzo, wrote Mussorgsky once more, adding ‘the term will not appear’ ‘A medieval castle with a troubadour singing in front of it’ (Stasov). Since the exhibition catalogue does not mention any such picture, the composer may have known it from elsewhere. The listener will note the Russian character of the song that emerges here. Promenade
Moderato non tanto, pesa[nte]mente III. Tuileries
Allegretto non troppo, capriccioso ‘Children quarrelling after playing’ (Mussorgsky) ‘An avenue in the Tuileries Gardens with a swarm of children and nurses’ (Stasov).
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IV. Bydlo10 and, right between the eyes, no.4’ ‘A Polish cart with enormous wheels, drawn by oxen’ (Stasov). Mussorgsky’s version begins fortissimo while Ravel has the orchestra start pianissimo, then creates a broad crescendo, thus changing the dynamic curve of the piece.
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Promenade
Tranquillo Interrupted by the following movement: V. Ballet of the Unhatched Chicks
Scherzino : vivo, leggiero – trio ‘A little sketch of a picturesque scene from the ballet Trilby ’ (Stasov) – Marius Petipa created this ballet, based on the story by Charles Nodier, in St Petersburg in 1871; Hartmann designed the sets and costumes. VI. ‘Samuel’ Goldenberg und ‘Schmuÿle’
Andante ‘I want to put in Vityushka’s [Viktor Hartmann’s] Jews’ Français - Anglais
Two Polish Jews, one rich, one poor (Stasov). According to Stasov, the two drawings, A rich Jew in a fur cap and A poor Jew from Sandomierz, were given to the composer by the painter in 1868.11
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VII. Limoges. Le Marché (La grande nouvelle)
Allegretto vivo, sempre scherzando‘ Frenchwomen arguing furiously on the marketplace’ (Stasov). Mussorgsky wrote on his manuscript a text of which these two versions are extant: ‘The big news: M. Pimpant de Pata-Pantaléon has just found his cow “Runaway”’; ‘Yes, “Ma’am”, it was yesterday.’ – ‘No, “Ma’am”, it was the day before yesterday.’ – ‘Well, “Ma’am”, the animal was roaming the neighbourhood.’ – ‘Well, no, “Ma’am”, the animal wasn’t roaming at all – etc. […]’ The second version: ‘The big news: M. de Puissangeout has just found his cow “Runaway”. But the good ladies of Limoges are not at all in agreement on the subject, because Mme de Remboursac has appropriated a fine set of porcelain dentures, while M. de Panta-Pantaléon still has his beetroot-red nose.’12 VIII. Catacombae (Sepulcrum romanum)
Largo A complete break with the character of the preceding piece: the Catacombs of Paris. ‘Hartmann depicted himself examining the Catacombs of Paris by lantern-light’ (Stasov).
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Mussorgsky mistakenly entitled the piece ‘Sepulcrum romanum’ although the true subject was the Catacombs of Paris.
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Cum mortuis in lingua mortua13
Andante non troppo, con lamento Mussorgsky added the note: ‘The creative spirit of the dead Hartmann leads me towards the skulls; he invokes them; slowly the skulls begin to glow.’ And perhaps their glow is suggested by this fragile, ghostly echo of the Promenade. IX. The Hut on Fowl’s Legs (Baba-Yaga)
Allegro con brio, feroce – Andante mosso – Allegro molto ‘Hartmann’s drawing depicted a clock in the form of Baba-Yaga’s hut, standing on fowl’s legs. Mussorgsky added Baba-Yaga’s flight in a mortar’ (Stasov). The music evokes the ride of the celebrated Russian witch and her flight through the air, which leads into the next number: X. The Great Gate of Kiev14
Allegro alla breve. Maestoso. Con grandezza ‘Hartmann’s sketch represented a project of a gate for the city of Kiev, in the old Russian monumental style, with a dome in the shape of a Slavonic helmet’ (Stasov). Français - Anglais
The gate had been commissioned from the architect by Tsar Alexander II to commemorate his recent escape (in 1866) from an assassination attempt Hartmann regarded the project as his masterpiece, but it was never built.
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One perceives in this piece the atmosphere of Russian Orthodox hymns, which Mussorgsky discovered when he was fourteen and which exercised a considerable influence on him. Although the work enjoys great success today, Pictures at an Exhibition was long neglected by pianists, who accused it of not ‘sounding’ or being ‘badly harmonised.’ It is difficult, though, to imagine that a pianist as distinguished as Mussorgsky, reputed for his piano transcriptions, was ‘incapable’ of writing the work as he wished. We should probably conclude that he refused to produce brilliant piano textures here and was looking for a different colouring in this tribute to a dead friend. Whatever the case, it is the transcription for orchestra by Maurice Ravel (1875-1937) that popularised the work. The orchestration was commissioned in 1922 by Serge Koussevitzky (1874-1951), the American conductor of Russian birth, well known as music director of the Boston Symphony Orchestra (1924-49) but also for his activities as a patron and his commissions to numerous composers. 15 The writer Roland-Manuel, friend and biographer of Ravel, recalled when the latter was working on the orchestration of Pictures during the summer of 1922: ‘ I had the privilege of being present at the orchestration of Pictures at an Exhibition. .. . From time to time he brought me Mussorgsky’s score and said: ‘What would you put there ?’ So I said to him: ‘A clarinet, perhaps?’ He replied: ‘A clarinet? That’s what’s needed.’ That’s what’s needed. Then he resumed his work, and he
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called me, saying: ‘Come and see.’ It wasn’t a clarinet, it was a saxophone ! I saw – and it’s a great privilege - I saw how he went about orchestrating. Naturally it wasn’t his own music, but it was still very interesting all the same. He carefully examined the bars he was working on; he wrote; he divided up the passage between the instruments, as any orchestrator would. Then, very often, he went to the piano and he isolated an instrumental group. He told me he needed to hear a group in relationship to all the rest. For example, he looked at what the four strings were doing and played it on the piano. He told me that he used the piano much more for orchestrating than for composing the first drafts of his works.’ 16 Another great orchestrator, Rimsky-Korsakov was ‘his own best student’ when, as someone who had always regarded himself as self-taught, he had to learn orchestration and composition in order to teach his students at the Conservatory. Born into a noble family, he cultivated music as a hobby – it would have been frowned on for him to become a musician – and joined the Imperial Navy. It was at the prompting of the other members of the ‘Mighty Handful’ and the musicians around him that he decided to compose. When he returned from a mandatory three-year journey around the world and his occupations as a shore officer left him with time on his hands, he devoted himself unremittingly to music. In 1884, through his pupil Alexander Glazunov, he met the musical patron Mitrofan Belyayev. The three men created the Russian Symphony Concerts in 1886, with the aim of introducing the works of national composers. It was at this time that Rimsky-Korsakov composed his finest works for orchestra. Moreover, eager to acquire thorough knowledge of every instrument of the orchestra, he began studying the violin with Piotr Krasnokutsky (1849-1900), to whom he dedicated a Fantasy on Russian Themes.17 The composer refers to this auspicious period as a time when ‘[his] orchestration had reached a considerable degree of virtuosity and bright sonority exempt from Wagner’s influence, within the limits of the usual make-up
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of Glinka’s orchestra’.18 The idea of an orchestral work on the subject of The Arabian Nights came to him during the winter of 1887-88, and the music was completed the following summer; it links several unrelated episodes from the famous oriental tales. Here is the programme as it appears in the first edition :
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I. The Sea and Sinbad’s ship (Largo e maestoso - Allegro non troppo) II. The Story of the Kalender Prince (Lento - Andantino - Allegro molto - Con moto) III. The Young Prince and the Young Princess ( Andantino quasi allegretto Pochissimo più mosso - Come prima - Pochissimo più animato) IV. Festival in Baghdad - The Sea - The Ship Goes to Pieces on a Rock Surmounted by a Bronze Warrior (Allegro molto - Vivo - Allegro non troppo maestoso) The guiding thread of these episodes is the solo violin, which recalls the voice of Scheherazade telling her stories to the formidable sultan. However, for Rimsky-Korsakov as for Mussorgsky, the objective is less to follow and illustrate a programme than to convey an impression. The narrative is merely the vector of an emotion : ‘ In composing Scheherazada [sic] I meant these hints to direct but slightly the hearer’s fancy on the path which my own fancy had travelled, and to leave more minute and particular conceptions to the will and mood of each. All I had desired was that the hearer, if he liked my piece as symphonic music, should carry away the impression that it is without doubt an Oriental narrative of some numerous and varied fairy-tale wonders and not merely four pieces played one after the other and composed on the basis of themes common to all the four movements. Why then, if that be so, does my suite bear the name, precisely, of Scheherazada ? Because this name and the title The Arabian Nights connote in everybody’s mind
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the East and fairy-tale wonders; besides, certain details of the musical exposition hint at the fact that all of these are various tales of some one person (who happens to be Scheherazada) entertaining therewith her stern husband.‘ 19
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Moreover, although Rimsky-Korsakov had given titles to the movements (Prelude, Ballad, Adagio, Finale), he subsequently abandoned them so as not to influence the listener. One should therefore not look for leitmotifs or assign themes to the sultan (as is often done with the initial theme, in the lower voices of the orchestra) or other characters. Apart from the solo violin, which represents the voice of Scheherazade,
‘. . . all these seeming Leitmotive are nothing but purely musical material or the given motives for symphonic development. These given motives thread and spread over all the movements of the suite, alternating and intertwining . . . Thus, for instance, the sharply outlined fanfare motive of the muted trombone and trumpet, which first appears in the Kalender’s Narrative (second movement), appears afresh in Movement IV in the delineation of the wrecking ship, though this episode has no connection with the Kalender’s Narrative. The principal theme of the Kalender’s Narrative (B minor, 3/4) and the theme of the Princess in the third movement (B-flat major, 6/8, clarinetto) in altered guise and quick tempo appear as the secondary themes of the Bagdad festival; yet nothing is said in The Arabian Nights about these persons taking part in the festivities. The unison phrase, as though depicting Scheherazada’s stern spouse at the beginning of the suite, appears as a datum in the Kalender’s Narrative, where there cannot, however, be any mention of Sultan Shahriar.’20
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The suite must therefore be understood as a ‘kaleidoscope of fairy-tale images and designs of oriental character’.21
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Hence, by losing themselves in tales of the Orient or in Hartmann’s pictures of Italy and Western Europe, both Mussorgsky and Rimsky-Korsakov create through their music and convey to the listener impressions of journeys dreamed and imagined. Bénédicte Gandois Translation: Charles Johnston
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1
Marcel Marnat, Moussorgsky (Paris: Seuil, Solfèges series, 1962), p.26. The Preobrazhensky Regiment was the oldest and most prestigious in the Russian Imperial Guard. 3 Marnat, op. cit., p.11. 4 Nikolay Rimsky-Korsakov, My Musical Life, tr. Judah A. Joffe (New York: Alfred A. Knopf, 1923; reprint London, Faber and Faber, 1989), p.134. 5 Letter of 26 July 1873 to Paulina Stasova, in Jay Leyda and Sergei Bertensson, eds. and trs., The Musorgsky Reader (New York : W. W. Norton, 1947), p.229. 6 Letter of 12 or 19 June 1874 to Vladimir Stasov, translated by David Brown, Musorgsky: His Life and Works (London and New York: Oxford University Press, 2006), p.131. 7 Following musical convention, the titles are given in the original languages used by Mussorgsky (French, Latin, Italian, German-Yiddish), aside from those in Russian, which are given in the standard English version. (Translator’s note) 8 All descriptions of the movements by the composer come from the letter cited in note 6. 9 Vladimir Stasov arranged for the score to be published after Mussorgsky’s death, and preceded each piece with a brief description of the Hartmann picture that had inspired the music. 10 ‘Bydlo’ (bydło in Polish) simply means ‘cattle’. (Translator’s note) 11 Michael Russ, Musorgsky, Pictures at an Exhibition (Cambridge: Cambridge University Press, 1992), p.42. 12 Arbie Orenstein, preface to the edition of Pictures at an Exhibition in the orchestration by Maurice Ravel (London: Eulenburg, 1994). [Texts newly translated from Mussorgsky’s original French for the present article – Translator’s note.] 13 With the dead in a dead language, i.e. Latin (Mussorgsky originally wrote Italian ‘con’ instead of Latin ‘cum’). (Translator’s note) 14 The Russian translates literally as ‘The Bogatyr’s Gate in the ancient capital Kiev’; the bogatyrs (knights errant) are the heroes of the medieval Russian epic poems. (Translator’s note) 15 He also commissioned Ravel’s Piano Concerto in G major in 1930, for the fiftieth anniversary of the orchestra. Igor Stravinsky’s Symphony of Psalms, Paul Hindemith’s Konzertmusik, and Albert Roussel’s Third Symphony op.42, among others, were written for the same occasion. 16 Excerpt from an interview given by Roland-Manuel at his home on 1 February 1966. Quoted by Orenstein, op. cit., p.v. 17 Rimsky-Korsakov, My Musical Life, p.282. 18 Ibid., p.296. 19 Ibid., p.294. 20 Ibid., p.293. 21 Ibid. 2
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EMMANUEL KRIVINE, MUSIC DIRECTOR ‘One of today’s greatest conductors’ (The Guardian) Born to a Russian father and a Polish mother, Emmanuel Krivine began a career as a violinist at a very early age. After his studies at the Paris Conservatoire and the Queen Elisabeth Music Chapel, he went on to further studies with a number of great teachers, including Henryk Szeryng and Yehudi Menuhin, before making a name for himself at international competitions. Emmanuel Krivine had always been fascinated by organ music and symphonic music; following a decisive encounter with Karl Böhm in 1965, he gradually came to concentrate on orchestral conducting. He was principal guest conductor at Radio France from 1976 to 1983 and music director of the Orchestre National de Lyon from 1987 to 2000. Since 2004, Emmanuel Krivine has been the principal conductor of La Chambre Philharmonique, a period-instrument ensemble with which he has presented a number of programmes, both in concert and on disc, including an acclaimed recent set of the complete Beethoven symphonies (Gramophone Editor’s Choice).
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Since 2006, Emmanuel Krivine has been Music Director of the Orchestre Philharmonique du Luxembourg. Both on tour and at the Philharmonie Luxembourg, the orchestra’s home base, he has undertaken a great variety of projects, in collaboration with many great soloists. In parallel with his work with those two ensembles, he has been the guest of the world’s finest orchestras. Emmanuel Krivine, who is very keen to pass on the cultural heritage, regularly conducts youth orchestras. His recent recordings with the Orchestre Philharmonique du Luxembourg include (on Timpani) a disc devoted to Vincent d’Indy (Poème des rivages, Diptyque méditerranéen, etc.) and two of orchestral music by Claude Debussy, as well as (on Zig Zag Territoires/Outhere) a disc of music by Ravel (Shéhérazade, Boléro, La Valse, etc.) . With La Chambre Philharmonique, on Naïve, he has released recordings of the music of Felix Mendelssohn Bartholdy (the «Italian» and «Reformation» symphonies), Antonín Dvorák (the ‘New World’Symphony), Robert Schumann (Konzertstück op. 86 ) , and Ludwig van Beethoven (complete symphonies, Gramophone Editor’s Choice).
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ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DU LUXEMBOURG Emmanuel Krivine, Music Director
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The orchestra of the Grand Duchy, the Orchestre Philharmonique du Luxembourg (OPL), represents a highly dynamic part of the culture of its country’s culture. Since its stunning debut in 1933 under the aegis of Radio Luxembourg (RTL), the orchestra has been present all over Europe. Publicly administered since 1996, the OPL has been, since 2005, in residence at the Philharmonie Luxembourg, one of the most prestigious concert halls in Europe. Since January 2012 both institutions have formed one and the same entity. The acoustics of its residence, praised by great orchestras, conductors and soloists all over the world, its long-standing connections with institutions like the Salle Pleyel in Paris and the Amsterdam Concertgebouw and with festivals like Musica (Strasbourg) and Ars Musica (Brussels) have contributed to making the OPL an orchestra renowned for the elegance of its sonority. Moreover, the precision and musicality of its music director, Emmanuel Krivine, and the orchestra’s close collaboration with first-rate musical personalities such as Evgeny Kissin, Julia Fischer, Jean-Yves Thibaudet and Jean-Guihen Queyras, have consolidated the orchestra’s reputation. Its standing has been confirmed by an impressive list of prizes awarded for some twenty CDs, all released in the last seven years. The Grand Duchy of Luxembourg and the OPL share a common spirit of openness towards Europe and the world. The 98 musicians are active throughout the Greater Region with numerous concerts and activities. Tours take the orchestra to many music venues in Europe as well as in Asia and the USA. The 2013/14 season will see the orchestra perform in Spain and Russia. OPL concerts are regularly broadcast by Luxembourg radio 100,7 and internationally by the European Broadcasting Union (EBU). The OPL is supported financially by the Ministry of Culture of the Grand Duchy and by the City of Luxembourg.
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ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DU LUXEMBOURG Emmanuel Krivine Directeur musical Konzertmeister Philippe Koch Haoxing Liang First Violins Fabian Perdichizzi Daniel Anciaux Michael Bouvet Yulia Fedorova Larry Francini Andréa Garnier Silja Geirhardsdottir Jean-Emmanuel Grebet Attila Keresztesi Na Li Darko Milowich Damien Pardoen Angela Münchow-Rathjen Fabienne Welter
Second Violins Osamu Yaguchi Andreas Stypulkowski Anatole Belikov Irène Chatzisavas Jorge Cruz Mihajlo Dudar Sébastien Grébille Marina Kalisky Slawomir Kostrzewa Jun Qiang Gisela Todd Xavier Vander Linden Rhonda Wilkinson Barbara Witzel Violas Ilan Schneider Dagmar Ondracek Kris Landsverk Pascal Anciaux Jean-Marc Apap Olivier Coupé Aram Diulgerian Claire Foehr
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Bernhard Kaiser Olivier Kauffmann Utz Koester Petar Mladenovic
Flutes Etienne Plasman Markus Brönnimann Hélène Boulègue Christophe Nussbaumer
Cellos Oboes Aleksandr Khramouchin Ilia Laporev Niall Brown Xavier Bacquart Vincent Gérin Sehee Kim Katrin Reutlinger Marie Sapey-Triomphe Karoly Sütö Laurence Vautrin Esther Wohlgemuth
Fabrice Mélinon Philippe Gonzalez Anne-Catherine Bouvet-Bitsch Olivier Germani Clarinets Olivier Dartevelle Jean-Philippe Vivier Bruno Guignard Emmanuel Chaussade
Double Basses Bassoons Thierry Gavard Dariusz Wisniewski Gilles Desmaris Gabriela Fragner André Kieffer Benoît Legot Isabelle Vienne
David Sattler Etienne Buet François Baptiste Stéphane Gautier-Chevreux
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Horns Miklós Nagy Kerry Turner Marc Bouchard Patrick Coljon Mark Olson
Simon Stierle Benjamin Schäfer
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Percussion Béatrice Daudin Benjamin Schäfer Klaus Brettschneider
Trumpets Harp Adam Rixer Simon Van Hoecke Isabelle Marois Niels Vind
Catherine Beynon
Trombones Gilles Héritier Léon Ni Arthur Topper Bass trombone Vincent Debès Tuba Csaba Szalay Timpani
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PHILHARMONIE LUXEMBOURG Symboles de la vitalité culturelle du pays, l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg (OPL) et la Philharmonie Luxembourg forment une seule entité depuis janvier 2012. La Philharmonie Luxembourg (Etablissement public Salle de Concerts Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte) a été inaugurée le 26 juin 2005. Conçue par l’architecte français Christian de Portzamparc, lauréat du prix Pritzker 1994, la Philharmonie accueille chaque saison environ 380 concerts dans ses 3 salles. Cooptée dès novembre 2005 dans la European Concert Hall Organization (organisation regroupant les 20 salles de concerts européennes les plus prestigieuses), la salle située sur le plateau du Kirchberg, reçoit depuis ses débuts, les plus grands noms de la scène musicale internationale, aussi bien dans le domaine de la musique classique, que du Jazz ou la Musique du monde. Le New York Philharmonic, le London Symphony Orchestra, Lorin Maazel ou Riccardo Muti sont des hôtes réguliers de la Philharmonie. En huit ans, la Philharmonie est parvenue à établir sa renommée internationale tout en stimulant activement la vie musicale du pays. Pour tout renseignement, veuillez visiter le site www.philharmonie.lu Symbols of the cultural vitality of the nation, the Orchestre Philharmonique du Luxembourg (OPL) and the Philharmonie Luxembourg have been a single entity since January 2012. The Philharmonie Luxembourg (Établissement public Salle de Concerts Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte) was inaugurated on 26th June 2005. Designed by the French architect Christian de Portzamparc, Pritzker prize-winner in 1994, the Philharmonie holds about 380 concerts per season in its three halls. In November 2005 the concert hall on the Kirchberg became a member of the European Concert Hall Organisation (ECHO) and since its foundation has been a recognised venue for the renowned international performers of all styles and genres, from classical to jazz and on to world music. Outstanding musicians and orchestras like the New York Philharmonic, the London Symphony Orchestra, Lorin Maazel and Riccardo Muti are regular guests at the Philharmonie. In just eight years the Philharmonie has become an international name and, at the same time, has done a lot to enliven the national music scene. For further information, please visit www.philharmonie.lu.
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© Eric Chenal
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RECORDED FROM 30 APRIL TO 5 MAY 2012 IN THE GRAND AUDITORIUM OF THE LUXEMBOURG PHILHARMONIE, ÉTABLISSEMENT PUBLIC SALLE DE CONCERTS GRANDE-DUCHESSE JOSÉPHINECHARLOTTE. RECORDING PRODUCER, SOUND ENGINEER AND EDITING: MICHAEL SEBERICH DIRECTOR OF PRODUCTIONS & ARTISTIC DIRECTOR OF ZIG-ZAG TERRITOIRES : FRANCK JAFFRÈS PRODUCTION AND EDITORIAL COORDINATOR: VIRGILE HERMELIN ARTWORK BY ELEMENT-S : PHOTO, MARIKEL LAHANA - GRAPHISME, JÉRÔME WITZ