Le dessin, dans la genèse du projet d’architecture ESSAI SUR L'ARCHITECTURE

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Le dessin, dans la genèse du projet d’architecture ESSAI SUR L’ARCHITECTURE

Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de master en architecture. Experte : Joëlle Houdé Année académique 2016 - 2017 UCL - Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme : architecture Saint-Luc Bruxelles



Je ne remercierai jamais assez Joëlle Houdé, qui fit naître, dès ma première année en architecture, un profond intérêt pour les pratiques graphiques et m’offrit, à cette occasion, la possibilité de forger l’outil qui me semble être le plus précieux de l’architecte, le dessin. M’apportant constamment des réponses solides, elle m’a permis de mener à bien ce travail, qui ne représente pas moins, que l’aboutissement de 5 années d’architecture. Je tiens également à remercier Christine Fontaine, Gérald Ledent et Cécile Chanvillard, pour leurs conseils éclairés, qui ont su me guider tout au long de cette année de master. Enfin, je souhaite remercier ma famille, les personnes qui me sont chères, en particulier ma mère qui n’a eu de cesse de croire en moi durant toutes mes années d’études.



Table des matières

Introduction

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I. Le dessin dans la phase analytique

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1.1 La Pensée visuelle 1.2 Une vision statique du lieu 1.3 Une vision dynamique du lieu 1.4 Les prémices de la phase conceptuelle

II. Le dessin dans la phase de conception

2.1 La conception 2.2 L’image mentale 2.3 Le dessin : moyen d’explorer les problèmes et d’avancer vers une solution 2.4 Un processus rythmé par les itérations 2.5 Une production convergente

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III. Le dessin comme outil de communication et de représentation

3.1 Intelligibilité du dessin 3.2 Importance du choix de représentation

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Conclusion

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Bibliographie

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À

toutes pratiques professionnelles, est associée une série d’outils variés, servant à clarifier et apporter une réponse à une situation initiale. Ces outils sont associés à une série de phases successives, qui, chacune à leur échelle, présente un intérêt dans la résolutions des problèmes. Plus particulièrement, dans le domaine de l’architecture, on distingue communément trois grandes phases, qui, au sein du processus de conception apportent une lecture et une compréhension à chaque fois plus poussées de l’objet en cours de projetation. Ce triptyque, repris par les trois axes principaux de cet écrit, est composé dans un premier temps, de la phase analytique, qui permet une première lecture du site pour prendre conscience de ses potentialités qu’il s’agira de faire émerger. Dans un second temps, la phase de conception, qui, loin d’être encore comprise dans son intégralité, représente le cœur du travail conceptuel et fera l’objet d’un plus ample développement qui permettra d’en comprendre ses multiples caractéristiques. Dans un troisième temps, il s’agit de communiquer le projet, qui, dans le cadre d’une mission d’architecte offre au commanditaire ou tout autre personne impliquée dans le processus, d’en comprendre rapidement les enjeux, et le sens profond du projet, en vue de son acceptation. Dans la pratique, chacune de ces phases est systématiquement accompagnée par une trace écrite ou graphique, la plupart du temps sous forme de dessins ou annotations diverses, qui sont une aide précieuse à la mémoire, et un outil de recherche non négligeable. Nous verrons donc comment, à travers les différentes phases du processus de projetation, le dessin, dans sa forme informatisée ou non, permet de dégager des enjeux majeurs, qui formeront le corps du projet, et conduiront à la création d’une proposition architecturale réfléchie. Pour se faire, nous poserons l’hypothèse que la pratique du dessin durant les différentes phases du processus de conception, peut être assimilée à une forme d’intelligence à part entière, dans la mesure, où celui-ci sert d’outil au sens large, à une pratique professionnelle, qui tente d’apporter des réponses à des situations complexes. En plus d’apporter une vision détaillée de la pratique du dessin dans chacune des phases qui ponctuent le projet, ce travail propose d’offrir, une seconde lecture en diptyque, qui permettra de confronter simultanément la théorie et la pratique. En effet, afin de rendre le propos intelligible, il est apparu utile de scinder cet écrit en deux entités distinctes. D’une part, dans une partie SUR l’architecture, on retrouvera les grands concepts développés par les théoriciens de l’architecture, qui seront la base de la réflexion menée autour du dessin. Dans un second temps, dans une partie EN architecture, cette base théorique sera parallèlement juxtaposée à la mise en application directe d’un projet d’architecture réalisé dans la ville de Naples. Le point de rencontre de ces deux parties SUR et EN architecture constitue l’enjeu même de ce travail.



I. Le dessin dans la phase analytique « Le dessin pour l’architecte n’est pas seulement un moyen d’expression adéquat à son objet, c’est un rapport presque physique au réel et à l’imaginaire : là où l’écrivain ressent et cherche à communiquer la beauté d’un spectacle ou le sens d’une idée à travers une formulation verbale, l’architecte perçoit et exprime cette beauté ou cette signification par la médiation du dessin. La pensée-dessin résulte évidemment d’un apprentissage et d’un talent formé par l’école, elle évolue et se perfectionne tout au long de la carrière de l’architecte, mais elle repose vraisemblablement aussi sur une disposition « naturelle » et originaire à substituer aux ressources immédiates de la pensée verbale un recours raisonné aux données fondamentales du schéma corporel. »1

DE BIASI, Pierre-Marc, Pour une approche génétique de l’architecture, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, Paris, ITEM-CNRS, 2000, p. 28. 1

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1.1 La Pensée visuelle DE LATTRE, Alain, L’univers de la perception et ses dimensions chez Maurice Merleau-Ponty, Presses Universitaires de France, 1974.

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BERTHOZ, Alain, Concevoir l’architecture : entre complexité et simplexité, Collège de France, Paris, 2014, p. 54.

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Lors de la phase analytique, l’une des composantes essentielles est la relation existante entre le corps et l’espace. L’architecte attentif, prend conscience de ce qui l’environne traduisant ses perceptions visuelles grâce au contact de sa main sur la feuille, prenant les dimensions de ce qui l’entoure. La perception doit être vue comme une relation dynamique entre l’homme et son environnement qui passe par tous les sens et plus particulièrement par la vue. Merleau-Ponty disait à ce sujet que : « Mon oeil est pour moi une certaine puissance de rejoindre les choses et non pas un écran où elles se projettent. La relation de mon oeil et de l’objet ne m’est pas donnée sous la forme d’une projection géométrique de l’objet dans l’oeil, mais comme une certaine prise de mon oeil sur l’objet, encore vague dans la vision marginale, plus serrée et plus précise quand je fixe l’objet. »2 La relation entre le corps et l’espace fait certes appel à des notions symboliques, qui puisent toute leur cohérence dans la pratique du dessin. À me-

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sure que l’observateur déambule dans le site, son œil se promène dans l’espace en même temps que sa main reproduit ce qu’il voit, renforçant toujours plus le lien entre le corps et la main, entre l’espace réel et l’espace de la feuille. C’est d’ailleurs ce que nous fait comprendre Alain Berthoz lorsqu’il dit que, « dessiner c’est être là, omniprésent et être habité d’Espaces »3. Cette synergie entre corps et espace se rapporte à la pédagogie du « corps présent », où le corps se fait médium et producteur (de sens, d’images) et constitue une ressource dans la recherche de connaissances. Le dessin physique, permet à tout moment de prendre du recul sur une production personnelle en pleine action. Ce sont d’ailleurs précisément ces instants d’arrêts qui ont la faculté de faire évoluer la vision du concepteur, et suscitent chez lui un questionnement.


Les études réalisées par Jean Piaget4, nous mènent à reconnaitre que les phénomènes perceptifs relatifs à la vision possèdent un caractère cognitif essentiel. Ces avancées ont d’ailleurs conduit Rudolf Arnheim5 à affirmer l’existence d’une « pensée visuelle » lorsque nous regardons un objet. Le fait de voir physiquement l’objet devant nous, masque donc une sorte de conscience cachée, qui est à l’origine d’une compréhension plus poussée de l’objet observé et amène l’observateur à entrer dans une démarche analytique vis à vis de ce dernier, pour le replacer dans un contexte, l’appréhender, le simplifier … Cette pensée visuelle est donc d’une importance capitale dans la compréhension d’un site complètement nouveau, où l’observateur actif comprend les relations complexes qui se tissent entre les éléments, et entre les différents espaces qu’ils composent. En conséquence, la perception doit être vue comme un puissant pouvoir de lecture du monde, et trouve un lien étroit avec la notion de représentation. En effet, ces actions sont concomitantes en architecture, dans la mesure où l’architecte dessine pour voir et pour comprendre.

À cet égard, on distingue plusieurs types de représentations variant selon ce que l’on souhaite montrer. Il faut d’ailleurs comprendre les modes de représentation comme des outils dont dispose l’architecte et qu’il peut utiliser pour lire, comprendre et analyser les objets qui lui sont présentés sous les yeux, mais aussi ultérieurement en vue de communiquer les concepts relevés.

PIAGET, Jean William Fritz, Psychologue et biologiste suisse connu pour ses travaux en psychologie du développement. 4

ARNHEIM, Rudolf, Théoricien de l’art, Écrivain, psychologue, professeur d’université (1904 - 2007)

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Figure 1

1.2 Une vision statique du lieu Figure 1 : Élévations du Palais de Louveciennes projeté par Ledoux en 1773, représentant le côté de l’entrée et du jardin. Site : http://peregrinations-architecturales-de-michael-mendes. over-blog.com/architecturen%C3%A9o-classique-en-francele-pavillon-de-musique-de-louveciennes (25-05-17) 6 ESTEVEZ, Daniel, Dessin d’architecture et infographie, L’évolution contemporaine des pratiques graphiques, CNRS Édition, 2001, p. 19. 7

DEFORGE, Yves. 1981, p. 202.

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Parmi les différents types de représentations graphiques, on retrouve le dessin technique d’architecture qui a pour objectif de décrire les édifices, de façon mesurable. On différencie à cet égard deux dispositifs du « dessin technique » ayant tous deux pour but de maîtriser les dimensions, à savoir : la projection parallèle et l’échelle de représentation. La projection parallèle (en géométral et en axonométrie) offre la possibilité d’appréhender et de contrôler les dimensions d’un objet/bâtiment en vue planaire. Elle se trouve être un outil très efficace notamment lorsque l’on souhaite comprendre la structure d’un lieu ou d’un bâtiment. Ce passage de l’espace physique (multidimensionnel) à l’espace de la page blanche (bidimensionnel) oblige l’observateur actif à déconstruire le lieu pour le géométriser sur un support. Il s’agit d’une démarche purement analytique, dans la mesure où l’oeil observe pour déconstruire tout en transmettant l’information à la main qui reconstruit ces perceptions sur un support. Le second dispositif développé par D. Estevez6 sou-

ligne l’importance de l’échelle de représentation, qui facilite et clarifie le rapport proportionnel existant entre l’objet physique et l’objet représenté. Le dessin technique n’a donc pour but de représenter un objet qu’à l’aide de droites et de courbes qui correspondent aux limites intrinsèques de cet objet. Comme le soulignera Yves Deforge7, la qualité du géométral tient en premier lieu dans la « mesurabilité de l’objet », il devient dès lors un outil excessivement intéressant lors de la visite d’un site pour rendre compte des dimensions véritables des bâtiments. Il est communément avoué qu’il faut mettre à plat les problèmes dans le but de les résoudre ! C’est littéralement ce dont il est question, lorsque l’on re-présente l’objet en projection frontale, car l’oeil n’est plus diverti par des effets de perspective mais est au contraire confronté à une lecture bidimensionnelle, évidente et immédiate. Il s’agit bien alors de montrer les caractéristiques singulières du bâtiment.


Figure 2

Parmi les différents dessins techniques, on retrouve aussi l’axonométrie qui, à l’inverse de la projection frontale, est un moyen d’appréhender le volume dans sa globalité. Ces deux techniques ne sont cependant pas à considérer de façon autonome mais plutôt complémentaire. En effet, l’un des intérêts majeurs de la vue axonométrique (cavalière, militaire …) est qu’elle met en interaction les informations relatives en plan et en élévation. Quiconque s’étant déjà prêté à l’exercice s’est rapidement aperçu que pour construire un tel dessin, il faut partir de la projection en plan en montant progressivement les arrêtes du volume, puis en y appliquant ultérieurement les façades en élévation. Une telle représentation qu’elle soit réalisée à la main ou à l’ordinateur permet de rapidement mettre en relation plusieurs volumes pour entrer dans des questions de composition de l’espace tout en gardant l’avantage de la mesurabilité que nous évoquions ciavant. À la différence de la perspective qui est plutôt de l’ordre d’une observation dynamique d’un lieu (jeu de rétrécissement et d’agrandissement le long de lignes de fuite, coefficient de réduction à mesure

que les distances s’allongent …), l’axonométrie a pour objectif de faire entrer dans une analyse plus rigoureuse et plus mathématique du site. L’apparition de la géométrie descriptive en est d’ailleurs un parfait exemple qui selon le théoricien Alberto Perez-Gomez est : « une étape cruciale dans l’achèvement d’une mathématisation systématique de la praxis ; elle a assujetti les arts et les métiers aux buts de la technologie et a eu un rôle instrumental dans la genèse et le développement de la construction rationnelle et industrialisée, pendant le XIX° siècle. »

Figure 2 : CHOISY, Auguste, Axonométrique plafonnante dessinée, représentant le plafond du Palatin , L’art de bâtir chez les Romains, Planches d’illustration, Paris, Ducher et C.ie, 1873. Site : http://www.augustechoisy2009. net/fr/laminas.php?id_nav=5&id_ pub=-1 (25-05-17)

Ces dessins techniques ne doivent cependant pas être vus comme des outils figés mais exigent au contraire d’être appropriés et adaptés à ce que le concepteur souhaite montrer. Ainsi, l’axonométrie, communément perçue comme une vue en plongée, fut réinventée par Auguste Choisy au XIX° siècle dans le but de montrer un autre aspect de l’objet représenté, en changeant simplement le point de vue de l’observateur. 13


ESTEVEZ, Daniel, Dessin d’architecture et infographie, L’évolution contemporaine des pratiques graphiques, CNRS Édition, 2001, p. 67.

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C’est d’ailleurs à partir de cette période que l’on a vu se développer, une série d’axonométries plafonnantes. On comprend progressivement que le dessin est un outil de représentation d’une idée précise de l’objet que l’on a l’intention de communiquer. Ce dernier est lui-même modulable dans un but d’observation, il s’agit simplement de savoir ce que l’on souhaite dire, pour adapter sa méthode graphique en conséquence. C’est donc par une mise à distance, prenant physiquement de la hauteur par rapport à l’objet dessiné, que nous pouvons le voir de façon autonome et ainsi en comprendre le fonctionnement intrinsèque. Avant même de parler de projet, il s’agit de lire et de comprendre le site sur lequel le projet va s’implanter. Cela passe en premier lieu par une analyse méticuleuse du contexte, dans le but de tirer parti des potentialités du site. Cette retranscription ne peut cependant se faire qu’en vivant le lieu et en se

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forçant à le dessiner comme nous l’avons évoqué plus haut. Car dessiner c’est comprendre ! C’est décomposer le lieu pour le recomposer sur un support dans le but d’en faire une description globale et qualitative, révélant la fonction descriptive du dessin 8. Il existe d’une part, un rapport d’ordre visuel lors de l’observation du site et physique lors de sa re-présentation sur un support. Dans le mot « représentation », le préfixe « re » indique déjà une volonté de présenter à nouveau. Autrement dit, par la « représentation » on « rend présent » ce que l’on voit.


Figure 3

1.3 Une vision dynamique du lieu La perspective est quant à elle l’un des principaux moyens de représentation d’un lieu en architecture depuis la Renaissance. Nous soulignons ci-avant la nécessité de représenter le lieu à l’aide du dessin prescriptif, dans le but d’avoir un premier contact avec ce dernier ; cependant, cette mise en forme de tous les éléments qui composent un site peut aussi se faire à l’aide de la perspective, l’un pouvant servir d’appui à l’autre. C’est ce que souligne, Henri Gaudin9, dans son écrit « Pour trait » : « Ce n’est pas qu’il faille rejeter le mode d’écriture de la projection usuelle par plan, façade, et coupe, mais plutôt inventer des formes en utilisant d’autres moyens. À cette fin, j’use de perspectives, je fais des esquisses de volumes, que je représente ensuite avec les moyens de projection usuels. J’inverse donc le processus normal et c’est tout un registre de figures nouvelles qui m’apparaît ! La « composition » n’est plus celle que l’on connaît, elle devient une création libre, dégagée tout du moins de celle apprise par le biais de la projection et de la représentation usuelle. En me servant

d’emblée d’esquisses perspectives, c’est parfois un nouveau parler qui m’apparaît, une langue que je n’aurais pu employer spontanément. Avec bonheur, je vois se disposer lignes, points, courbes selon des agencements inconnus et dont le sens est validé par l’existence en amont de volumes, de formes que les perspectives multiples m’ont permis d’imaginer. »

Figure 3 : Perspective à point de vue central, réalisée par Jan Vredeman de Vries, 1604. Site : https://alfiusdebux.tumblr. com/post/129379473999/jan-vredeman-de-vries-perspective-1604 (25-05-17) GAUDIN, Henri, Architecte praticien Français. 9

La perspective (sous sa forme informatisée ou non) nous offre, à la différence des techniques précédemment citées, la possibilité de s’immerger au coeur du lieu, d’en comprendre ainsi les rapports perceptifs de hauteur, ainsi que de retranscrire une atmosphère. Cette technique apparait donc comme la charnière entre le mesurable et l’apparent au sein d’un site. C’est donc par l’usage de la ligne d’horizon et des points de fuite, que l’observateur du dessin se voit directement projeté dans l’espace du site, ce qui lui permettra par la suite de développer la phase de projetation qui fera l’objet d’une seconde partie. 15


Figure 4

Figure 4 : Vue du Château de Versailles du côté de Paris réalisée par Jean-Aimar Piganiol de La Force, 1669-1753. Site : http://environnement.ecole. free.fr/2bgal/disp_img.php?id_ img=5586&titreimg=paris-chateau-de-versailles.jpg (25-05-17) 10 ESTEVEZ, Daniel, Dessin d’architecture et infographie, L’évolution contemporaine des pratiques graphiques, CNRS Édition, 2001, p. 77.

Nous devons cependant distinguer l’outil de la perspective dans son usage traditionnel (Renaissant), tout à fait rationnel et mathématique, illustré par une multitude d’exemples tels que La Città ideale de Piero Della Francesca, La Veduta di città ideale de Francesco di Giorgio Martini, de même que les perspectives beaucoup plus intuitives qui illustrent de plus en plus de livres d’architecture contemporaine. Ces dernières relevant plus du croquis d’observation visant l’émotion et le ressenti du site que de l’aboutissement d’une perspective dûment menée, ayant pour unique but d’être le manifeste éloquent d’une certaine manière de structurer l’espace. On observe donc depuis un certain temps déjà, une mutation des pratiques graphiques et une tendance à l’appropriation des modes graphiques dans le but de re-présenter un lieu. Cependant cet état de fait n’a pas toujours été de rigueur, comme le souligne la rationalisation du regard au travers de la perspective instaurée par la Renaissance, qui a conduit à une volonté toujours plus accrue de géométrisation de l’espace

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architectural et de maitrise de ce dernier. Ce qui, au XVII° siècle est devenu avec la monarchie absolue de droit divin menée par Louis XIV un moyen de propagande d’une toute puissance, où tous les projets reflétaient l’image d’une société strictement maîtrisée. On soulignera notamment l’importance de la perspective avec un point de vue central depuis la chambre du roi, sur la totalité de la ville de Versailles, qui se trouve être en parfaite adéquation avec la façon de penser de l’époque, où l’usage volontaire d’une vision statique et centralisée, mène à une mise en scène de l’espace10. Ce qui n’était auparavant qu’un outil de communication devient de nos jours un puissant outil de représentation au service d’un production architecturale. Les pratiques graphiques ont un intérêt indéniable dans le but de transmettre les valeurs et idées d’une époque et doivent en conséquence être vues comme de puissants moyens de communication. Comme évoqué par ailleurs, la pratique du dessin en architecture a particulièrement évolué en sauts discontinus jusqu’à nos jours et nous plonge actuel-


lement dans une époque où la figuration de l’espace construit est synonyme d’une dimension subjective de la représentation, qui expliquerait l’usage de plus en plus généralisé de croquis perspectifs dans les différentes phases qui ponctuent le projet. Cependant, avec l’arrivée des outils informatiques, les modes de représentations ont tendance à se scinder en deux catégories distinctes : d’un côté nous retrouvons cet aspect du dessin sensible, « picture » et de l’autre un dessin qui empreinte de plus en plus les outils techniques de l’ingénieur, « count »11.

perspective. » Cette réflexion s’adresse dans notre cas aux dessins de conception, qui sont réalisés en réponse à une commande propre au contexte particulier et non aux dessins d’exécution et de communication sur le chantier.

Notions développées par David Vanderburgh dans son écrit, Drawing in the grey zone. 11

C’est donc dans ce contexte, que nous devons nous positionner en tant qu’architecte. Etant donné la fracture qui commence à émerger, Hubert Damisch estime que « si l’on veut pouvoir comprendre et maitriser les modes de représentation de l’architecture actuels procédant de la perspective (relevant du simple croquis jusqu’au DAO tridimensionnel), on doit d’abord et avant tout connaitre les propriétés spécifiques - mais également les principales limites - du mode de représentation en 17


1.4 Les prémices de la phase conceptuelle 12

«Its purpose is to take all the elements that go to create the environment : buildings, trees, nature, water, traffic, advertissements and so on, and to weave the together in such a way that drama is released. For a city is a dramatic event in the environment.» CULLEN, Gordon, Townscape, The Architectural press, Londres, 1961.

On comprend dès à présent, que le dessin devient pour l’architecte une extension de ses yeux, de sa pensée, de sa sensibilité. Il est un véritable moyen d’expression qui lui permet de pointer les problématiques du site qu’un simple regard n’aurait pas relevé. Ces croquis oscillent toujours entre les préoccupations et les observations objectives du site, de ses usages et de sa structure, aux références sensibles beaucoup plus subjectives. L’architecte « dessine ce qu’il voit en vrai ou pas, accumulant, articulant ce qu’il sait d’expérience, de mémoire avec ce que chaque situation a de particulier et d’inédit.» (Machabert, 2007). Toutes les recherches effectuées durant la phase analytique ont pour intérêt de faire germer les idées du concepteur dans le même temps qu’il prend conscience du contexte dans lequel il travaille. Cela permet par ailleurs, d’effectuer des groupements qui feront naître des relations et procureront comme le souligne Gordon Cullen un plaisir visuel qui serait inexistant si les éléments avaient été pris séparément.

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« Son but est de prendre tous les éléments qui crée l’environnement : bâtiments, arbres, nature, eau, trafic, publicité, etc. et de les tisser ensemble de manière telle que le spectacle apparaisse. Car une ville est un évènement spectaculaire dans l’environnement. »12 D’un autre côté, on retrouve Le Corbusier, qui adopte une vision qui semble quelque peu incomplète quant à la réalité d’une telle pratique. « Lorsqu’une tâche m’est confiée, j’ai pour habitude de la mettre au-dedans de ma mémoire, c’est à dire de ne me permettre aucun croquis pendant des mois. La tête humaine est ainsi faite qu’elle possède une certaine indépendance : c’est une boîte dans laquelle on peut verser en vrac les éléments d’un problème. On laisse alors « flotter », « mijoter », « fermenter ». Puis, un jour, une initiative spontanée de l’être intérieur, le déclic se produit ; on prend un crayon, un fusain, des crayons de couleur (la couleur est la clef de la démarche) et on accouche sur le papier : l’idée sort, l’enfant


Figure 5

sort, il est venu au monde, il est né. »13 À l’image d’une inspiration divine qui viendrait éclairer subitement l’esprit du concepteur, ce dernier semble faire totalement abstraction de la réalité du métier d’architecte. Il s’agit bien ici, de prendre du recul par rapport à cette citation qui fait passer l’architecte pour un être doué d’une faculté divine. Il y a certes une sorte d’intelligence que les architectes doivent développer pour essayer de spatialiser des intentions et inventer dans l’espace mais qui ne relève pas du génie créateur pour autant. Cependant, Le Corbusier met ici en évidence plusieurs attitudes quant à la façon d’aborder le projet. Là où certains se lanceraient précipitamment dans la phase de conception, lui au contraire, nous fait comprendre que c’est par la maturation du projet dans la tête du concepteur que le projet voit le jour. Passant d’une réflexion inconsciente, où l’interdit du dessin est de rigueur pour fabriquer une substance qui sera plus tard déterminante dans la production de projet, succède l’apparition spontanée du dit dessin reflétant la présence indéniable de la pensée du

concepteur. Cependant, comme le souligne D. Estevez, dans une époque où tout évolue très vite, et où la concurrence entre les cabinets d’architecture est de plus en plus rude, il n’est que très rarement possible (voire impossible) de s’octroyer un temps de « réflexion » trop important pour laisser « mijoter » le projet, sous peine de voir le projet devancé par d’autres. Cette idée première qui guide le concepteur durant les différentes phases de la conception n’est formulable que par le mode graphique ; son émergence, constitue comme nous le développerons dans la seconde partie l’essence même du projet. Elle est, comme le définit clairement P.M. De Biasi, « l’expression immédiatement aboutie d’une faculté synthétique a priori de représentation spatiale »14, ce qui explique pourquoi les premiers dessins d’un architecte ont la capacité d’évoquer un état qui semble déjà presque définitif du projet. Il ajoute, que la main délivre un objet graphique entièrement élaboré par les ressources mentales qui ont construit un lieu idéal, rejoignant en un sens le point de vue de Le Corbusier.

Figure 5 : CULLEN, Gordon,

Séquence de dessins illustrant la vision sérielle d’un observateur traversant une ville, extrait de son livre : The concise townscape. Le Corbusier cité par P-M de Biasi, Pour une approche génétique de l’architecture, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, Paris, FRANCE, ITEMCNRS, 2000, p.28, issu des Textes et dessins pour Ronchamp, éditions Forces vives, p. 66.

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Ibid. , p. 29.

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II. Le dessin dans la phase de conception 2.1 La conception HERBERT, Alexander Simon, Économiste, psychologue, personnalité politique, sociologue, professeur d’université et informaticien, s’est d’abord intéressé à la psychologie cognitive et la rationalité limitée (Bounded Rationality) qui constitue le cœur de sa pensée. 15

16 PROST, Robert, Conception architecturale, une investigation méthodologique, Paris, l’Harmattan, 1992, cité par CLAEYS, Damien, Architecture et complexité : un modèle systémique du processus de (co)conception qui vise l’architecture, p. 137.

CONAN, Michel, Concevoir un projet d’architecture, L’Harmattan, 1990, p. 97.

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Le mot conception équivaut selon Herbert A. Simon15 (1969) à l’expression de la résolution de problèmes, « résoudre un problème » signifie le représenter autrement, c’est-à-dire « le représenter de façon à rendre sa solution transparente », nous avons vu dans la précédemment que l’une des façons de résoudre un problème est de passer par une multitude de représentations, qui ont pour objet de modifier la perception même de ce problème, dans le but de le voir dans sa globalité et surtout sous différents points de vue. Une grande partie de l’effort de résolution du problème par le concepteur consiste donc à re-structurer le problème différemment. R. Prost souligne quant à lui l’importance d’énoncer le problème car selon lui, définir le problème revient à répondre en partie à y répondre.16 On peut définir la conception comme « un processus dirigé vers un résultat qui n’existe pas encore » : c’est une action réfléchie qui correspond à la création de quelque chose de nouveau. Comme on peut le comprendre si l’on revient au sens premier

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de la conception « maternelle » : la conception étant le commencement d’une nouvelle existence. En se référant à la définition du Dictionnaire Larousse, concevoir signifie aussi : « Élaborer quelque chose dans son esprit, en arranger les divers éléments et le réaliser ou le faire réaliser » ou encore « Se représenter par la pensée quelque chose de telle manière, en avoir telle idée, telle interprétation ; envisager quelque chose ». Le sujet désigne en tout premier lieu un être pensant : le concepteur ; où l’accent est mis sur la faculté d’abstraction de l’esprit. La conception concerne donc toute création intellectuelle originale et se manifeste dans tous les domaines d’expression humaine. H. Simon a défini la conception en opposition à la science, selon lui, la science étudie les lois de la nature et son but est d’accroître la connaissance sur la réalité, par contre la conception agit sur les artefacts humains et a pour finalité le contrôle sur cette réalité, qui passe par une triade de démarches élémentaires de la pensée qui sont indissociables : percevoir, envisager, enformer.17


Figure 6

Cette triade évoque tout d’abord la perception dont il était question dans la première partie de cet écrit, et de la présence d’une pensée visuelle qui servent de support à la représentation. Par ailleurs, envisager fait ici référence aux champs des possibles qu’il est désormais plausible d’espérer aux vues de multiples dessins perceptifs dont il était question juste avant. Enfin, enformer fait référence à l’acte physique de concevoir : le concepteur agit à la résolution d’un problème en passant par une série d’étapes qui s’affineront à mesure que les dessins afflueront. Cependant, la conception doit être vue comme un processus de résolution dit heuristique, dans lequel les stratégies de résolutions « divergentes », basées sur les essais et erreurs ainsi que sur le raisonnement par cas, sont prédominantes. Un tel processus est nécessairement séquentiel et itératif, car il procède à travers des approximations successives qui convergent en boucle vers la solution finale.

de la représentation concrète qu’il en faisait en couchant ses observations sur le papier. Ceci n’est en réalité rien de plus que les prémices de la phase de conception elle-même. Cette phase représente un enrichissement permanent qui tend vers une solution qui se verra modelée par l’esprit du concepteur. Cet échange n’est pas le fruit du hasard mais bien une remise en cause continue et répétée faite d’insistances sur l’essentiel afin de mener le projet à maturation.

Figure 6 : ESCHER, Maurits Cornelis, Relativité, 1953, lithographie sur papier vélin crème, 39.3 × 40.3 cm, Musée des Beaux-Arts du Canada. Site :http://www.beaux-arts.ca/ escher/images-ludiques/50.htm (29-05-2017)

Nous parlions dans la première partie de l’échange existant entre la pensée visuelle du concepteur et 21


LEBAHAR, Jean Charles, Le dessin d’architecture, simulation graphique et réduction d’incertitude, France, Parenthèses, Presse Universitaire de France, 1983, p. 126. 18

Ce n’est qu’après avoir donné une première définition du terme conception que nous pouvons désormais développer d’avantage ses caractéristiques. Comme le formulera F. Blondel dans son cours d’architecture, les dessins architecturaux constituent « pour le concepteur une espèce de modèle qui lui fait juger si l’idée qu’il en a conçue lui offre celle qu’il était en droit d’espérer. » La fonction de conception du dessin en architecture réside alors dans sa valeur pré-figurative, qui lui donne à la fois le rôle d’outil de création et d’outil de contrôle visuel de l’objet. Il s’agit donc de vérifier graphiquement la pertinence des solutions par le dessin. Le dessin a donc pour fonction de simuler un objet qui n’existe pas encore et peut dans cette mesure être considéré comme un générateur , un activateur d’idées. « Savoir dessiner », pour un architecte, doit s’entendre comme « savoir concevoir ».18

22


Figure 7

2.2 L’image mentale Selon Vasari19, « le dessin est l’expression sensible, la formulation explicite d’une notion intérieure à l’esprit ou mentalement imaginée par d’autre et élaborée en idée » ; il est la projection de la « première pensée » du peintre.» Ceci sous-entend qu’avant même le début de la phase de conception, le cerveau préfigure une image ; une sorte d’idéal que le concepteur se doit de travailler, manipuler, et explorer à l’aide des outils dont il dispose : axonométrie, coupes, plans afin de pouvoir examiner le projet sous tous ses angles. C’est donc par une recherche active et consciente que le projet se façonne. À l’origine de tout projet, on rencontre la notion essentielle d’image mentale longuement développée dans les études de J. Piaget. Cette dernière doit être comprise comme ce que le concepteur « avait dans la tête » avant même d’envisager le projet. Il représente ce « déjà-là » de tout concepteur. Agissant comme une immense banque de données dont la logique nous échappe, on y voit par la suite, surgir en sauts discontinus une profusion d’informations

que l’architecte doit vérifier avant de les appliquer dans le projet. Parfois agissant comme des générateurs d’idées qui viendront alimenter le projet, elles peuvent aussi venir parasiter l’esprit du concepteur et par la même bloquer le processus de conception. Ces images à haute « valeur mentale » doivent être systématiquement remises en question pour éviter de mener un projet vers des « images » qui n’auraient en aucun cas la faculté d’être traduites de façon réaliste. Cette image mentale apparait donc dans la tête du concepteur comme une image idéalisée qui inhibe certaines caractéristiques réalistes à la manière d’une photographie épurée où seul le substrat essentiel en est présent. Edgar Poe20 a décrit ces « laborieux et incertains enfantements de la pensée, les vrais desseins compris seulement à la dernière minute, les innombrables éclairs d’idées qui n’atteignent point la maturité de la pleine lumière, les imaginations pleinement mûries et rejetées pourtant par désespoir de le mettre en œuvre, les choix et les rejets longuement pesés, les ratures et additions si pénibles », comme

Figure 7 : HOKUSAI, Katsushika, Le Guerrier sur un cheval cabré, esquisse, campée à l’encre de Chine sur papier fin doublé, daté vers 1830. Site : http://www.katsushikahokusai. org/Dessin-Guerrier-Sur-Un-ChevalCabre.html VASARI, Giorgio, peintre architecte et écrivain, Le Vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architettori, Florence, 1568, «Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes», trad. fr. A. Chastel (dir.), Berger- Levrault, 1981-1989, 12 vol.

19

20 POE, Edgar, Romancier, nouvelliste, poète, critique littéraire (1809-1849)

23


CHANGEUX, Jean-Pierre, Du vrai du beau du Bien une nouvelle approche neuronale, Odile Jacob (p. 143)

21

22

Ibid.

ESTEVEZ, Daniel, Dessin d’architecture et infographie, L’évolution contemporaine des pratiques graphiques, CNRS Édition, 2001, p. 125. 23

24

faisant partie des premières étapes du processus créateur une « expérience mentale » au caractère darwinien évident. 21 La majorité des projets commence effectivement par une « image-idée » dans la tête du concepteur, cette dernière est à l’origine des premières esquisses et trouve sa présence dans ce que beaucoup qualifie de « boîte noire ». Il semble que cette dernière renferme un nombre incalculable de données, accumulées au cours de la vie du concepteur réaffirmant la présence d’un « déjà-là ». Plus qu’un a priori, cette image trouve une logique qui prend son sens dans un contexte particulier. Paradoxalement, cette première pensée vigoureuse, se retrouve dans les différentes phases du processus de conception empruntant des caractéristiques mouvantes que nous pourrions qualifier de « floues ». Ce terme n’est ici pas à prendre négativement, car c’est justement par ces caractéristiques encore indéterminées que le concepteur peux envisager le champ des possibles et débuter le processus de conception avec un spectre de solutions le plus large possible.

Cette notion de zone floue dans le dessin comporte un intérêt particulier car elle offre au concepteur la possibilité d’avancer à tâtons, multipliant les essais successifs afin d’apporter une réponse appropriée à un problème posé. Léonard de Vinci parle d’ailleurs du pouvoir des formes confuses, comme « nuages ou eaux boueuses, pour stimuler l’esprit d’invention. » 22 Le concepteur devra donc faire appel à des images et des représentations mnémoniques pour faciliter son travail. D’après D. Estevez, le croquis est pour l’architecte « un moyen de simplifier la réalité pour illustrer une intention en allant à l’essentiel » 23. Ce dernier suit la pensée de l’architecte, lui permet de sélectionner les traits qu’il va considérer comme importants et de les remettre en cause par leur observation. Il souligne par ailleurs, que le mot « trait » est dans la langue française porteur de deux sens : le trait de crayon et le trait au sens de caractéristique. Le choix de ces caractéristiques, les itérations et hésitations se font par la sélection et superposition des traits du dessin.


Figure 8

2.3 Le dessin : moyen d’explorer les problèmes et d’avancer vers une solution Grâce à cette première étude de cas, nous comprenons bien que les dessins remplissent trois fonctions principales qui sont de suspendre le jugement, d’éviter de se lancer prématurément dans une solution et d’élargir les représentations immédiates du problème à résoudre. Il représente par ailleurs trois aides à la conception que M. Conan définit de la façon suivante : 24 - Une trop grande familiarité avec le type de problème posé. - Une grande admiration pour des solutions apportées à des problèmes semblables. - Un attachement personnel à certaines formes. Deux sources de blocage peuvent être réglées par la pratique du dessin : la peur de faire une erreur ou de prendre un risque, à laquelle on peut remédier en dessinant des idées invraisemblables en réponse aux questions posées. Dessiner apparait dès à présent comme un acte libérateur qui décomplexe le concepteur, qui peut

alors explorer des possibilités qu’il n’avait pas encore envisagées jusqu’à présent. Si la pratique graphique n’est pas considérée comme une fin en soi, il est intéressant de se demander alors, à quoi servent tous ces dessins, ces calques, ces ébauches de volumes que nous retrouvons communément dans les livres d’architecture. Seraient-ce des travaux sans importance ? Dans ce cas, on ne comprendrait pas qu’ils se présentent comme les traces d’une évolution des idées de l’architecte ! Ils représentent simplement des étapes dans le processus de recherche de la solution reposant en partie sur une externalisation des images construites par la pensée.

Figure 8 : SIZA VIEIRA, Álvaro Croquis de recherche, Casa do Pego, Sintra, Portugal, 2002-2007. CONAN, Michel, Concevoir un projet d’architecture, L’Harmattan, 1990, p. 138.

24

« Les idées et les dessins s’entremêlent, et nous alignant sur les récentes recherches en matière de représentation, nous considérons ce dispositif non seulement comme désignation de la matérialité d’une solution mais comme modalité de réflexion, de production de connaissance. » Hewitt, 1985. 25


Les dessins et autres formes d’expression n’ont pas pour unique intérêt de présenter le projet mais s’inscrivent dans une logique et une façon de penser le dit projet. On peut les considérer comme des outils servant à l’organisation des connaissances de l’architecte et de ses représentations qui en déterminent pour partie le contenu. C’est un véritable dialogue entre l’état conscient et inconscient du concepteur qui est amené à structurer, ordonner et organiser des données. C’est donc bien à la fois dans et par les modes d’expression auxquels se rattache, la représentation graphique, que non seulement se manifestent mais aussi s’opèrent les manières de faire.

26


Figure 9

2.4 Un processus rythmé par les itérations Par itération on entend l’action de répéter un processus dans le but d’arriver à une solution souhaitée. On peut considérer qu’en pratique, le projet n’est pas un processus linéaire mais itératif, fait d’allers-retours, où conception et communication interagissent. Les multiples composantes du projet sont mises en relation grâce au concepteur soulevant de nouvelles questions et menant ainsi à de nouvelles solutions. Cependant, le concepteur n’est pas le seul acteur du projet, en effet son commanditaire et plus particulièrement le dialogue qu’il entretient avec lui permet d’affiner le spectre de recherche des solutions et amène à des « sauts » dans le processus de conception qui peuvent avoir des effets rétroactifs. Comme le souligne Robert Prost, « La relation entre un problème et une solution n’est jamais de type linéaire et bien que l’énoncé du problème soit une partie intégrante du processus de conception, il ne peut le déterminer entièrement. Un énoncé de problème demeure un système ouvert, et c’est seulement dans une dynamique avec les énoncés de solutions qu’il peut trouver sa cohérence et sa pertinence. »25

Comme l’a défendu Damien Claeys dans sa thèse de doctorat, le processus de conception est non linéaire et quelles qu’en soient les caractéristiques utilisées pour désigner les composantes, on « n’épuise pas une composante pour passer à la suivante », chacune d’entre elles s’ajuste et se positionne par sa confrontation aux autres. Articulations multiples, bouclages, itérations confèrent ainsi progressivement une cohérence à l’énoncé qui peut se constituer à partir de n’importe quel point de départ, « l’essentiel étant dans la complexité du parcours et non pas dans la hiérarchie suivant laquelle chacune des composantes intervient » (Cf.25).

Figure 9 : HECKER, Zvi, Croquis de la Spiral house, 68,8 x 49,2 cm, 1931. Site : http://www.zvihecker. com/artwork/heinz_ galinski_ schule-228-1.html#17 (27-05-2017) 25 PROST, Robert, Conception Architecturale une investigation méthodologique, p. 31-32.

Ainsi, le nombre d’itérations varie tout au long du processus de conception augmentant la quantité d’informations, complexifiant et enrichissant ainsi les recherches du concepteur et son parcours en vue d’arriver à une solution cohérente. Cependant, les bouclages ne peuvent être effectués indéfiniment, tant pour des raisons pratiques que théoriques, et après un certain nombre d’itérations, 27


CONAN, Michel, Concevoir un projet d’architecture, L’Harmattan, 1990, p. 58.

26

27 CLAEYS, Damien, Architecture et complexité : un modèle systémique du processus de (co)conception qui vise l’architecture, p. 157.

l’énoncé tendra à se stabiliser. On parlera alors de processus de saturation, où des modifications mineures, à moins que de nouvelles variables externes ne soient introduites dans le modèle (par exemple modification de stratégies financières, de localisation, etc...) ne changeront pas le sens global du projet.

concepteurs modifient le but qu’ils se donnent en fonction des informations critiques et des intuitions créatrices. (processus non linéaire) 2. Ils visent en fait à trouver une réponse acceptable. (réponse à un problème posé) 3. Le processus s’accomplit selon une succession de cycles convergents vers le domaine acceptable.

Trois facteurs dans le comportement du concepteur énoncés par Zeisel peuvent être à l’origine de ces « sauts » qui dynamisent le processus : 1. Les concepteurs font marche arrière à certains moments et s’éloignent parfois de la solution. 2. Ils répètent une série d’activités, encore et encore, en résolvant de nouveaux problèmes à chaque répétition. 3. Tous ces mouvements en apparence multi-directionnels se joignent en un seul mouvement plus global dirigé vers une seule solution.

À chaque instant de ce processus, le concepteur fabrique une image du projet en cours de conception, par le biais du dessin ou de tous autres moyens de représentation (maquette, croquis, etc.). La formation d’image qui peut être considérée comme une « image-idée» est alors une opération cognitive fondamentale du concepteur. « Des «cognitive leaps» (sauts cognitifs) provoquent des «décalages conceptuels» et permettent à l’architecte de passer d’un domaine, d’une dimension ou d’une échelle du projet à l’autre. Le processus hélicoïdal est donc parsemé d’ «éclairs conceptuels» menant à des sauts cognitifs qui dynamisent le processus ».27

M. Conan définit quant à lui ces trois points de la manière suivante : 26 1. Le but recherché varie par sauts discontinus : les 28


Ces images sont le support de l’activité créatrice du concepteur, grâce à elles, ce dernier à la possibilité de remettre en question les choix qu’il pose, en les confrontant à une certaine réalité graphique impartiale. Comme évoqué par ailleurs, dessiner c’est comprendre ; ce qui souligne l’importance d’insister sur la nécessité de pratiquer une activité graphique continue tout au long du processus de conception qui agira comme un fil conducteur logique. D’une part pour extérioriser ses idées, et d’autre part, les confronter à un jugement objectif. Les retours en arrière font partie intégrante du processus de réflexion et nourrissent le projet.

29


2.5 Une production convergente Il est donc évident que la conception en architecture est marquée par des « stades » qui correspondent chacun d’entre eux à la résolution d’un problème, ou groupe de problèmes. La pratique de simulation graphique permet à l’architecte de pouvoir transformer l’environnement « dans sa tête » avant que le projet n’ait vu le jour. La pratique graphique est comme le souligne J-C Lebahar « un puissant moyen de résolution de problème et un tout autant puissant moyen de production », il va d’ailleurs jusqu’à dire qu’« à chaque problème son dessin », ce qui souligne qu’une bonne majorité voire l’intégralité des problèmes en architecture peuvent être régler par le biais du dessin. À mesure que les choix se posent, ce dernier prend de plus en plus de précision augmentant ainsi la quantité d’informations nécessaires à la future réalisation du projet. C’est par la prise en compte des problèmes soulevés dans les phases précédentes que s’enrichissent toujours plus les dessins à venir, dévoilant de nouvelles solutions qui convergent vers la solution. C’est donc par un détour aux formes floues que le projet puise ses traits les plus essentiels en 30

début de processus et par une mise au net progressive que le projet se concrétise. La géométrie deviendra à mesure que les dessins affluent une composante qui viendra ordonnancer et structurer le tout, pour traduire un langage encore vague en une information précise et définitive. Pour atteindre la finalité, le concepteur doit donc multiplier les essais, les dessins, pour n’extraire que l’essentiel. Il apparait alors une cohérence logique un tout dans la tête du concepteur, comme une sorte de révélation, la découverte de la solution d’un problème « illumine » (Hadamard) la pensée du concepteur. D’après R. Prost, la relation entre un problème et une solution ne doit pas être vue comme un processus linéaire car bien que l’énoncé du problème soit une partie intégrante du processus de conception, il ne peut le déterminer entièrement. « Un énoncé de problème demeure un système ouvert », et c’est seulement dans une dynamique avec les énoncés de solutions qu’il peut trouver sa cohérence et sa pertinence. Il souligne également qu’« un énoncé de problème ne peut prétendre à une


opérationnalité complète, c’est à dire contenir de façon explicite l’ensemble des choix qui donneront corps à la solution. » Ainsi, entre l’énonciation du problème et l’énonciation de la solution, il existe une transformation des mots vers les choses ou plutôt des idées vers des choix. C’est donc dans l’articulation dynamique (non linéaire) entre ces deux formes d’énoncés que peut se saisir la question de l’opérationnalité. La formulation du problème par rapport à la formulation de la solution se nourrissent l’une de l’autre. 28

PROST, Robert, Conception architecturale, une investigation méthodologique, Paris, l’Harmattan, 1992, p. 31. 28

31


III. Le dessin comme outil de communication et de représentation 3.1 Intelligibilité du dessin 29 SCHUITEN, Luc, architecte praticien, Belge, lors d’une conférence donnée à l’Université Catholique de Louvain à Bruxelles.

Comme nous avons tenté de l’illustrer au cours de cet écrit, le dessin en plus de toutes ses caractéristiques au service de la phase de conception, est à voir comme un outil graphique de communication qui s’avère être utile lors de toutes les phases du processus de conception : - En phase analytique de relevé, il représente un outil indispensable pour compléter l’observation et la compréhension de la situation existante (topographie, contexte …). - En phase de projetation, il permet de faire avancer le processus de conception de par le dialogue qu’il met en place entre le concepteur et le dessin luimême, tout en permettant de vérifier rapidement l’impact des diverses manipulations sur la composition de l’espace, le jeux des volumes, etc. - Lors de la communication avec le commanditaire, il permet une meilleure intelligibilité du projet et permet d’expliquer de façon plus claire les documents graphiques conventionnels (plans

32

et coupes) qui ne sont pas forcément compréhensibles pour le client. - Lors de la rédaction des documents d’entreprise (cahier spécial des charges, métrés, etc.) il permet une compréhension plus rapide de l’entrepreneur, qui lui évitera de décrypter les documents conventionnels en deux dimensions. - Lors de la réalisation des ouvrages, sur chantier, la simplicité du dessin éclaire les ouvriers quant au travail à réaliser, il permet aussi de matérialiser la situation existante tout en rendant évidentes les décisions prises dans le cadre des procès-verbaux de chantier. Luc Schuiten disait que le dessin a d’intéressant qu’il peut être compris instantanément par n’importe qui, ceci lui conférant un puissant pouvoir de communication.29 Cet état de fait soulève des questions intéressantes quant à certaines caractéristiques fondamentales du langage. Partant du principe que d’un continent à l’autre, les langues


Figure 10

parlées diffèrent, des problèmes de communication entre deux interlocuteurs étrangers vont rapidement se poser et conduiront indubitablement à une incompréhension mutuelle. Cependant, avec ce que nous livre L. Schuiten, il semble que le dessin possède de par ses caractéristiques intrinsèques une universalité, qui le rend intelligible par tous, sans exception. Ces notions de langage ne faisant cependant pas partie intégrante de cet exposé, ne feront pas l’objet d’un plus ample développement. Dans la pratique professionnelle de l’architecture, des explications sur l’intelligibilité du dessin peuvent quant à elles être apportées. Le dessin architectural doit être considéré comme langage projeté qui, la plupart du temps, est une évocation projetée d’un objet absent, où existe un rapport Signifié (ce que l’on souhaite exprimer) / Signifiant (comment on l’exprime). L’architecte doit donc choisir précisément les outils qui lui sont nécessaires pour apporter une meilleure intelligibilité dans la façon de communiquer le projet. Tant pour lui, lors de la phase de conception que pour son

interlocuteur. Le choix de la technique d’expression qu’il utilise est importante pour rendre compte de l’intention qu’il souhaite communiquer, soulignant que le signifié puisse avoir différentes significations en fonction du moyen utilisé. Comme nous le montre ici Le Corbusier, l’usage de l’analogie pour transmettre un concept est un moyen de communication excessivement puissant, qui permet en un coup d’œil d’en saisir le sens.

Figure 10 : Le Corbusier, Musée à croissance illimitée, daté vers 1934. Site : http://arts-plastiques.ac-rouen. fr/grp/architecture_musees/architecture_xxe.htm (29-05-2017)

Le dessin aide donc à structurer la pensée du concepteur, fixant ainsi l’image mentale et donnant une part de concrétude au projet. Par des évocations, le dessin apporte une image très claire et synthétique qui permet une compréhension immédiate du sujet représenté.

33


3.2 Importance du choix de représentation G. Monnier s’est en particulier intéressé au phénomène d’“intrusion de la peinture dans le dessin du plan” favorisant l’assimilation de la représentation architecturale à la représentation picturale dans les pratiques graphiques académiques à la fin du XIXè et au début du XXè siècle. Il a étudié plus particulièrement un ensemble de dessins de concours réalisé par des étudiants des Beaux-Arts dans les années 1930, il met ainsi en évidence les conséquences produites par l’ensemble des dispositifs et procédés graphiques transformant les représentations en géométral, issues des normes intellectuelles de la descriptive comme représentation technique, en “mises en scène imaginaire”. L’architecture en France, une histoire critique, 1918-1950 : architecture, culture, modernité, Paris, Ph. Sers-Vilo Diffusion, (p. 231-238)

30

34

Malgré son puissant pouvoir de communication, il faut tout de même garder à l’esprit que le dessin n’est pas la réponse à tous les problèmes qui apparaissent tout au long du processus de conception. Comme l’a montré G. Monnier, une représentation esthétique du projet, en privilégiant le « rendu » et en faisant porter l’attention sur l’image elle-même, peut conduire à la dissolution du projet dans sa représentation.30 Le dessin est dès lors considéré par son interlocuteur comme un « objet d’art » qui perd toute valeur d’exploration et d’analyse. En présentant l’image la plus figurative possible, l’observateur se trouve dans une situation de malaise, qui peut conduire à deux types de problèmes : - Au niveau de la phase de conception, le concepteur se trouve lui-même dans une situation de blocage, car il a du mal à s’extraire de cette image réaliste et trop figée, c’est pourquoi nous avons insisté sur l’exhaustivité nécessaire des dessins de recherches pour éviter de tomber dans de tels écueils.

- Au niveau de la phase de communication entre architecte et commanditaire, l’échange est quant à lui brouillé, car ce qui n’est censé être qu’un dessin de présentation apparait alors comme une solution à part entière. L’interlocuteur, devant une image tellement « évidente », est incapable d’en faire abstraction (problème que pose les dessins trop figés/ définitifs), de prendre du recul, et sera par voie de conséquence, en mesure d’invalider le jugement de ce dernier qui considère alors cette image comme définitive. Les recherches de F. Pousin soulignent quant à elles, qu’une même forme de représentation peut remplir plusieurs fonctions, de même qu’une fonction peut être assumée par plusieurs types de représentations ; en ce sens, c’est l’appropriation des formes de représentation et l’usage qui en est fait, qui détermine leurs fonctions. Nous comprenons donc maintenant la nécessité de toujours remettre en question d’une part le dessin représenté, ainsi que l’outil de représentation lui-même. Nous faisions part lors de cet exposé de la nécessité de


Figure 11

réinventer les formes de représentation au cours du processus de conception pour arriver à trouver l’exacte représentation qui véhicule au mieux une idée. Même si le croquis architectural est la plupart du temps assimilé à une exploration, on retrouve entre autre, Le Corbusier qui, dans les années 20, a su lui ajouter de nouvelles fonctions et l’adapter à la diversité des nouvelles activités de l’architecte.

énoncé est précis, plus la quantité d’informations au sein de la représentation augmente, complexifiant cette représentation, et provoquant un risque d’incompréhension chez le récepteur : S’accorder sur des généralités, étant plus aisé que de le faire sur des détails.

Figure 11 : LEROY, Eva, Encre sur papier, 90 x 65 cm, Vision du futur quartier de l’École Polytechnique Palaiseau. Illustration du masterplan de Paris-Saclay pour Xaveer De Geyter Architects, XDGA Site : http://www.eva-le-roi.com/ index.php/project/saclay/ (29-05-2017)

Enfin, nous avons bien insisté sur le fait que la représentation tient un rôle principal dans la phase de communication du projet, les dessins, en vue d’être transmis au commanditaire, se doivent d’être suffisamment complets pour susciter chez lui une première forme d’assertion. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que l’on assiste à une forme de paradoxe qui est étroitement liée à la stratégie de représentation du projet. En effet, pour l’architecte, plus une représentation est précise, plus elle lui permet de maîtriser sa connaissance sur l’objet représenté. Tandis que pour son interlocuteur, plus une représentation est précise, plus les chances de voir un rejet de ce dernier augmentent. Ainsi, plus un 35



P

ar la présentation des différentes phases qui ponctuent le travail de l’architecte, nous avons pu mettre en évidence certaines caractéristiques du dessin, qui apparait dès lors comme un véritable support créatif, et un outil précieux dans la pratique de l’architecture. Avant même le début du travail de conception, le dessin permet lors de la phase analytique, de prendre la mesure de ce qui existe, conscientisant ainsi l’observateur attentif sur les caractéristiques du lieu. Ce premier contact avec le site, par le biais de la page blanche, permet, d’une part d’en comprendre le fonctionnement, et d’autre part, d’en faire émerger des potentialités de projet. Ces dessins d’élaboration, trouvent leurs finalités en vue de la phase de conception, apportant un support de travail concret pour mener à bien le processus. Grâce à la pratique du dessin lors de la phase de projetation, l’architecte est en mesure de poser des choix réfléchis, qu’il a pu remettre en question, grâce à un nombre incalculable de dessins de recherche, de croquis, qui ont vu le jour. Cependant, à certains moments donnés du processus, ce dernier éprouvera la nécessité de clarifier tous ces dessins en les mettant au net. C’est à ce moment précis, que l’usage du dessin en mode assisté trouve sa plus grande efficacité. De par son côté encore peu intuitif, l’outil informatique ne semble pas permettre ce foisonnement d’idée, car, il n’est à l’heure actuelle, pas encore parfaitement en adéquation avec la façon de concevoir le projet. Comme si l’esprit du concepteur n’arrivait pas à se plier aux nouvelles formes de penser le projet avec l’outil informatique. Cependant, grâce à son pouvoir de clarté, le dessin assisté permet de faire une sorte d’état d’avancement impartiale du projet, qui s’avère être très utile pour lui permettre de valider ses choix. Il est donc intéressant de se demander, comment l’outil informatique modifie la façon de concevoir le projet d’architecture. Dans un monde où ces pratiques se généralisent, il semble important de commencer à penser cette transition entre outil manuel et outil informatique, qui conduira certainement à de nouvelles formes d’architectures.

Nous posions comme hypothèse de départ, le fait de savoir si la pratique du dessin pouvait être assimilée à une forme d’intelligence en architecture. Après avoir décomposé l’intégralité du processus de conception, il apparait un élément majeur qui nous permettrait d’apporter une réponse à cette interrogation. En effet, il est désormais incontestable de dire que le dessin représente le support de l’activité créative, dans la mesure où il accompagne phase après phase, le travail de l’architecte. Il est donc un moyen de connaissance sur un objet absent, où tout le travail de conception évolue progressivement vers une connaissance de plus en plus approfondie de cet objet fictif. Le dessin en lui même se fait conjointement support de recherche et objet de résolution. Il rythme toute la genèse du projet, et lui apporte finalement sa réponse. Alvaro Siza, disait à ce sujet, qu’un projet n’était abouti que lorsqu’il apparaissait comme évident. Le dessin semble donc trouver une série de résonances dans la tête du concepteur qui le mène à poser des choix intelligents, car réfléchis. S’opère alors, une cohérence logique, un tout dans la tête du concepteur, comme une sorte de révélation. La découverte de la solution d’un problème « illumine » la pensée du concepteur. Une certaine logique voudrait donc que «les dessins réclament une lecture qui les confronte aux desseins.» (R. Prost) Le dessin serait par la même la trace d’une forme d’intelligence, ou, pour reprendre les termes de R. Arnheim théoricien de l’art d’une pensée visuelle et spatiale, rendant possible l’extériorisation des images mentales qui n’auraient autrement pas vu le jour.



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