Ehpad et porosité comment l’architecture peut elle sortir le résident de l’institution ?

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BARRAUD Emmanuel École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris la Villette Mémoire de Master 2 Séminaire thématique : architecture, projet urbain et sociétés Année universitaire 2016-2017

EHPAD ET POROSITÉ Comment l’architecture peut-elle sortir le résident de l’institution ?

Sous la direction de AMOUGOU MBALLA Emmanuel, DELAVAULT-LECOQ Thérèse, SAIDI SHAROUZ Mina, WACHTER Serge. 1


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Je remercie Sylvie Mroczek et Emmanuel Drouard qui ont pris de leur temps pour me recevoir, me parler de leur métier et me transmettre un peu de leur passion. Je remercie Monsieur et Madame W. ainsi que Madame B. qui m’ont reçu dans l’intimité de leurs appartements et ont accepté de me parler de leur vie au sein de leurs résidences respectives. Je remercie les équipes soignantes, les équipes administratives, qui ont toujours été bienveillantes envers moi, et tout spécialement l’équipe de l’animation de la résidence de l’Abbaye qui m’a permis de passer des moments privilégiés au sein de leur établissement. Je remercie mes parents, qui m’ont apporté un soutien considérable et à qui je dois beaucoup. Je remercie mes professeurs, Thérèse Delavault-Lecoq et Serge Wachter qui m’ont suivi et m’ont fait confiance pour ce mémoire. Et pour finir, je dédie ce mémoire à la mémoire de Marguerite Martinez, ma grand- mère.

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Sommaire

Introduction ...............................................................................................8 I. Vieillissement de la population et prise en charge par les institutions en France ............................................................................. 1. Vieillissement de la population et dépendance ................................. 1.1 Le vieillissement de la population ..........................................................11 1.2 La dépendance ...................................................................................13 2. Histoire et développement des établissements pour personnes âgées en France ....................................................................................... 2.1 Le maintien à domicile ........................................................................16 2.2 Des hospices aux Mapad .....................................................................17 2.3 Le Cantou ...........................................................................................18 2.4 De nouvelles approches plus centrées sur le résident ............................19 3. Les Éhpad .......................................................................................... 3.1 Qu’est ce qu’un Éhpad ? ......................................................................20 3.2 La convention tripartite, condition de l’Éhpad .........................................21 3.3 La remise en question du modèle unique, et la création des Éhpa ..........23 3.4 L’environnement politique, social et économique de l’Éhpad ...................25 3.5 La population des Éhpad .....................................................................26

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II. Dépendance et institution, la porosité comme thérapie ............. 1. L’entrée en Éhpad, la place du résident dans l’institution ............ 1.1 Habiter au sein de l’institution................................................................28 1.2 Le résident, un client ?..........................................................................30 1.3 La dialectique liberté, sécurité................................................................30 2. Limiter les effets de la dépendance et permettre l’épanouissement, le rôle de l’environnement architectural et urbain............................. 2.1 Un urbanisme adapté aux personnes âgées...........................................33 2.2 Connecter l’établissement à l’urbain.......................................................34 2.3 Les Éhpad, habitat communautaire ou machine à vivre ?........................38 2.4 Un logement dévoué à l’institution..........................................................42 3. Intergénérationnalité et interaction sociale................ 3.1 L’intergénérationnalité comme méthode thérapeutique............................45 3.2 L’intergénérationnalité au sein des établissements..................................46 III. Etudes de cas, deux Éhpad qui questionnent la porosité de l’institution............................................................................................. 1. Le projet.............................................................................................. 1.1 La résidence Huguette Valsecchi, l’Ehpad dans la ZAC...........................49 1.2 La résidence de l’Abbaye, le projet au service de l’expérimentation et de l’ouverture..................................................................................................52 2. Le rapport à l’urbain......................................................................... 2.1 Valsecchi, L’Éhpad et la densité.............................................................54 2.2 L’Abbaye, enclavée au milieu d’un site agréable mais peut adapté à la dépendance...............................................................................................57 5


3. Mixité programmatique..................................................................... 3.1 Valsecchi, une intergénérationnalité en devenir ?....................................60 3.2 L’Abbaye, un modèle d’intergénérationnalité aboutit................................62 4. Les espaces collectifs.......................................................................... 4.1 Valsecchi, l’institution ou la vie ?............................................................66 4.2 L’Abbaye, une institution comme une ville...............................................69 5. La chambre......................................................................................... 5.1 Valsecchi, la chambre, lieu de repos et de soin.......................................71 5.2 L’Abbaye, le projet de vie et la norme.....................................................72 Conclusion..............................................................................................75

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Introduction

Je pense que pour beaucoup de personnes qui s’intéressent à la question, tout part d’un souvenir, d’une expérience : ma grand-mère, seule, le regard perdu, assise à cette table, avec ce magazine fermé devant elle, qu’elle ne regarde même pas, au milieu de cet énorme salon hors d’échelle, une place couverte pour les résidents de cet Éhpad du Lot et Garonne. Si ma grand-mère a vécu cette expérience, c’est que des milliers de personnes âgées sont en train de la vivre en France. La grande majorité des résidents d’Établissement d’hébergement pour personne âgée dépendante (Éhpad), n’y entre pas par envie. C’est souvent un accident de santé, qui va plonger le retraité dans la dépendance et le pousser à accepter cette « prise en charge ». Les populations des pays occidentaux vieillissent. Nous vivons de plus en plus longtemps, 81 ans en moyenne aujourd’hui en France, 88,5 ans en 2060 d’après les prévisions de l’INSEE.1 Mais nous vivons mieux. La retraite représente une nouvelle étape de la vie qui dure maintenant plus longtemps que celle de l’enfance. Ainsi, les retraités restent indépendants, actifs et intégrés à la société très longtemps. La question de la prise en charge se pose avec celle de la dépendance ; dépendance des personnes âgées qui ont besoin d’une aide importante dans l’accomplissement des actes courants de la vie. C’est ici aussi qu’arrive la question de la préservation du lien à la société. Traditionnellement, ce sont les familles, et surtout les femmes, qui sont en charge de leurs vieux, mais l’évolution de la société et de la cellule familiale a fait glisser cette responsabilité vers la collectivité. En France, la deuxième moitié du 20eme siècle est le théâtre de nettes améliorations 1 Espérance de vie : peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ? Population et Société, INED, INSEE n°473, décembre 2010

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dans ce domaine. Le statut d’Éhpad est créé en 1997, afin d’unifier l’offre des établissements de prise en charge pour personnes âgées.1 Ce terme est donc volontairement générique. Pour accéder à ce statut, les établissements doivent mettre en place un « projet qualité », qui comprend deux volets, le projet de vie et le projet de soin. On comprend alors que, contrairement à nombre de ses prédécesseurs, l’Éhpad cherche à définir une philosophie globale, avec comme préoccupation centrale le bien-être des résidents. La loi comporte des recommandations quant à l’architecture de ces établissements, à l’aménagement, à la prise en charge, à la formation du personnel etc. Nous sommes ainsi passés des hospices, vastes salles communes extrêmement frustres, à des chambres individuelles avec salle de bain intégrée et de multiples espaces communs constituant l’édifice. Mais malgré ces évolutions remarquables, ces établissements possèdent une symbolique forte, ils sont la dernière demeure. On y séjourne en moyenne deux années.2 C’est très court. Dès lors, comment ces résidents, confrontés à leur propre finitude, observateurs privilégiés du théâtre des décès, peuvent s’approprier ces lieux, les habiter ? Eux, n’ont pas une grande marge de manœuvre, dans ces établissements, ce sont les normes, la sécurité et l’économie qui organisent bien souvent la vie de tous, habitants, aides-soignants, animateurs, familles, etc. et qui en dessine les espaces et leurs rapports. De plus l’Éhpad n’est ni l’hôpital, ni le logement, il est un espace de vie hybride au travers du quel se cristallisent un certain nombre d’oppositions ; la sécurité et la liberté, le privé et le public, l’intime et le social, le communautaire et le professionnel, le domestique et le thérapeutique. Néanmoins, pourrions nous imaginer que l’institution, représentée par la règlementation interne et nationale, l’économie, et la politique mise en place par la direction, permette une certaine porosité, laisse l’espace nécessaire aux résidents pour s’exprimer, pour importer un mode de vie et s’approprier les lieux ? D’autant plus qu’en grande majorité très dépendants, ces résidents n’ont que très peu le loisir de maintenir du lien social en dehors des murs de l’Éhpad, de pratiquer leur environnement extérieur. Quelles sont alors 1 Arrêté du 26 avril 1999 fixant le contenu du cahier des charges de la convention pluriannuelle prévue à l’article 5-1 de la loi no 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médicosociales. JORF n°98 du 27 avril 1999 2 DREES, 693 000 résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2011, Études et résultats, n899, décembre 2014

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les conditions permettant à la vie de la résidence de se rependre ? Et ne pourrions nous pas imaginer que cette porosité soit pensée dans les deux sens, c’est à dire que la vie extérieure s’invite à l’intérieure des murs ? La question qui se pose alors est la suivante ; comment mettre en place la porosité nécessaire au développement de la vie et de ses expressions au sein des établissements pour personnes âgées dépendantes ? Pour tenter d’y répondre sous l’angle de l’architecture, nous commencerons par prendre connaissance avec la réalité de ce que sont la vieillesse et la dépendance aujourd’hui en France, de l’histoire de leur prise en charge par les institutions jusqu’à la création des Éhpad. Il faudra alors expliquer et définir cette nouvelle réalité. Dans une deuxième partie, nous questionnerons de manière assez théorique la place du résident dans ces établissements, et les bienfaits d’une plus grande porosité physique et sociale des institutions. Pour finir, nous nous confronterons de manière directe avec la réalité de la question, en analysant cette potentielle porosité sur deux établissements ; la résidence de l’Abbaye, à Saint-Maur-desFossés, pionnière en France sur ces questions, et la résidence Huguette Valsecchi dans le quinzième arrondissement de Paris, un édifice très récent faisant partie d’un projet se caractérisant par sa mixité et son urbanité.

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I.

Vieillissement de la population et prise en charge par les institutions en France

1. Vieillissement de la population et dépendance 1.1 Le vieillissement de la population Il est indéniable que les sociétés des pays industrialisés sont vieillissantes. Cela s’observe par la diminution du taux de natalité et par l’augmentation de l’espérance de vie. En effet, les immenses progrès médicaux sociaux et culturels en cours depuis la fin du XVIIIe siècle ont produit un accroissement remarquable de la population des plus de 60 ans. L’espérance de vie moyenne qui, au milieu du XVIIIe siècle, était de 27,5 ans à la naissance, est passée en 2015 à 81 ans, et monterai jusqu’à 88,5 ans en 2060 d’après les prévisions de l’INSEE.1 Grace aux progrès de la médecine, et plus particulièrement aux progrès dans le domaine des maladies cardio-vasculaires depuis les années 70, l’allongement de la vie s’accompagne d’une amélioration des capacités.2 La vieillesse représente donc un nouvel âge de la vie, tout aussi long, voire plus, que celui qui va de l’enfance à l’âge adulte. Même si elle demande de s’adapter aux modifications physiologiques qui l’accompagnent, c’est à dire au déclin progressif des capacités physiques et à une plus grande vulnérabilité, la retraite est aujourd’hui un moment qui se caractérise souvent par une importante activité. De plus, grâce à la revalorisation des retraites et du minimum vieillesse depuis les années 60, le niveau de vie moyen des retraités équivaut à celui des actifs.3 Nous voyons une nouvelle consommation se mettre en place, avec entre autres de plus en plus de voyages. D’ailleurs, il est intéressant de considérer ce 1 Espérance de vie : peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ? Population et Société, INED, INSEE n°473, décembre 2010 2 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007 3 Ibidem.

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que Patrice Bourdelais explique dans son ouvrage, L’âge de la vieillesse, publié en 1997.1 Il y explique que la vieillesse correspond à un âge relatif selon les époques, « le principal écueil de la mesure traditionnelle du vieillissement provient de la fixité du seuil d’entrée dans la vieillesse. Car la réalité de l’âge a profondément changé ». Il utilise donc un indicateur d’entrée dans la vieillesse qui permet de prendre en compte l’état de santé des personnes, et la probabilité de survivre à 10 ans. On se rend alors compte que 60 ans ne correspond plus du tout au seuil d’entrée dans cette fameuse vieillesse.

Hommes Femmes

1825 59,6 60,4

1860 60,2 61,0

1900 59,2 62,4

1927 60,6 64,4

1947 63,7 68,0

1966 64,0 70,4

1985 67,4 71,9

1995 70 76,5

BOURDELAIS Patrice, L’âge de la vieillesse, Paris, Odile Jacob, 1997

Mais quoi qu’il en soit, la vieillesse fait peur, elle est perçue de manière négative. Et cette représentation sociale s’enracine dans notre inconscient collectif tout au long du XXème siècle. En 1928, Alfred Sauvy présente à la Société statistique de Paris une étude intitulée, La population française jusqu’en 1956, essai et prévision démographique, dans laquelle il décrit le vieillissement démographique comme « l’accroissement du nombre de vieillards à la charge de la collectivité. »2 Et il est intéressant de noter qu’en même temps que l’intérêt pour l’éducation et le droit des enfants grandit, et que la place de ses derniers est de plus en plus valorisée, la société française tourne le dos à ses vieux. Et de fait, la vieillesse est à l’opposé de ce que sont les valeurs attribuées à la société moderne dans laquelle la jeunesse est fortement valorisée. Celle-ci représente l’action, la beauté, l’utilité dans la sphère productive, etc. Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), parle d’âgisme, une vision du monde qui considère qu’une personne de 40 ans vaut plus qu’une de 50, qu’une personne de 60 ans en vaut plus qu’une de 70, et ainsi de suite. Il explique que c’est une discrimination qui existe, mais qui n’a simplement pas encore été repérée. En effet, nous 1 BOURDELAIS Patrice, L’âge de la vieillesse, Paris, Odile Jacob, 1997 2 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007

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pouvons affirmer ouvertement que le sort d’une personne de plus de 60 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer n’est pas vraiment important, sans aucun risque de poursuites judiciaires, alors que c’est bien évidemment, et heureusement, le cas lorsque l’on tient des propos racistes.1

1.2 La dépendance En 2007, la population des plus de 80 ans représentait 3 millions de français, ils seront 8,4 millions en 2016 d’après les prévisions de l’INSEE. Cet âge de plus en plus représenté pose néanmoins la question de la dépendance. Ce phénomène est relativement contemporain, et c’est en 1979 que le terme apparaît pour la première fois dans un rapport parlementaire. Arreckx Maurice dans L’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées dépendantes, propose des pistes de réflexion sur ce que pourrait être à l’avenir les moyens offerts aux personnes âgées dépendantes pour améliorer leur condition de vie.2 Le débat public s’ouvre petit à petit. Durant les années 80 et 90, voyant le nombre de personnes dépendantes augmenté de manière importante, on voit se développer et évoluer de plus en plus de réponses concernant les services d’aide à domicile et surtout la construction d’institutions spécialisées pour accueillir cette population. Ici encore, c’est quelque chose qui fait peur, qui a une représentation négative, alors que tout comme pour le handicap, cet état est compensable par des apports humains, techniques ou environnementaux, il s’agit alors de le considérer à temps pour y faire face de la manière la plus efficace possible. Et si le nombre de bénéficiaire de l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) augmente avec l’âge, cela ne veut pas dire que la majorité des personnes âgées sont dépendantes, la représentation sociale est en décalage avec la réalité. La majorité des personnes âgées ne souffrent pas de dépendance, y compris au grand âge. Il nous faut alors définir ce qu’est précisément la dépendance pour mieux la comprendre. C’est le besoin d’être aidé dans les actes du quotidien. Du point de vue de la législation européenne la dépendance est « un état dans lequel se trouvent des personnes qui, pour des raisons liées au manque ou à la perte d’autonomie physique, psychique ou intellectuelle, 1 Jean Christophe Francis, Du grain à moudre, Les maisons de retraite sont-elles des lieux de privation de liberté ? 11.03.2013, France Culture 2 ARRECKX Maurice : L’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées dépendantes, Paris, assemblée nationale, 1979

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ont besoin d’une assistance et/ou d’aides importantes afin de satisfaire des besoins spécifiques résultant de l’accomplissement des actes courants de la vie ».1 Ces actes sont variés, se déplacer, manger, faire sa toilette, s’habiller, faire les courses, préparer les repas, entretenir la maison, faire la lessive, utiliser un téléphone, gérer un budget ou signer un chèque etc. En France, depuis la loi du 24 janvier 1997 qui a institué la prestation spécifique dépendance (PSD), les politiques publiques relatives aux personnes âgées sont orientées vers la prise en charge de la dépendance, que le droit français distingue du handicap, ce dernier concernant les personnes de moins de 60 ans.

Âges

% de dépendants

+ de 60 ans

8%

+ de 75 ans

17%

À 85 ans

20%

À 95 ans

63%

RAHOLA Axel, Rapporteur du Comité interministériel de la dépendance : Synthèse du débat national sur la dépendance, Juin 2011. DREES

Pour jauger du degré de dépendance d’une personne, l’État a adopté la grille Autonomie gérontologique-groupes iso-ressources (Aggir). Celleci, élaborée par les médecins de la sécurité sociale et des gérontologues, définit un barème décroissant de « groupe iso-ressources » (GIR) allant de 1 à 6. Elle comporte 10 variables discriminantes : 1. Cohérence : Converser et/ou se comporter de façon logique et sensée par rapport aux normes admises par la société dans laquelle on vit. 2. Orientation : Se repérer dans le temps, les moments de la journée, dans les lieux. 3. Toilette : hygiène corporelle 1 Conseil de l’Europe, 6e conférence des ministres européens responsables de la Sécurité sociale (Lisbonne, 29/31 mai 1995), communiqué final, Strasbourg, MSS-6 (95)

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4. Habillage : Il comporte l’habillage, le déshabillage et la présentation. 5. Alimentation : Se servir et manger. 6. Elimination : assurer l’hygiène de l’élimination urinaire et anale 7. Transfert : se lever, se coucher, s’asseoir 8. Déplacement à l’intérieur de la maison 9. Dépendance à l’extérieur 10. Communication à distance : utiliser le téléphone, la sonnette… Chaque variable a trois modalités : A : fait seul, totalement, habituellement et correctement B : fait partiellement, ou non, habituellement, ou non, correctement C : ne fait pas.1 A l’aide de cette grille, le médecin évaluateur peut classer les patients dans 6 groupes : GIR 1 : personne confinée au lit ou au fauteuil qui nécessite une présence continue d’intervenant GIR 2 : personne confinée au lit ou au fauteuil qui nécessite une prise en charge pour la plupart des activités de la vie GIR 3 : personne âgée ayant conservé ses fonctions intellectuelles, mais qui nécessite, plusieurs fois par jour, une aide pour son autonomie corporelle GIR 4 : personne âgée qui n’assume pas seule son transfert, mais, qui, une fois levée, peut se déplacer seul ou personne âgée qu’il faut aider pour les activités corporelles ainsi que pour les repas GIR 5 : personne âgée qui a seulement, besoin d’une aide ponctuelle pour la toilette pour la préparation des repas et pour le ménage GIR 6 : toute personne qui n’a pas perdu son autonomie pour les actes de la vie courante. 1 Décret n°2001-1084 du 20 novembre 2001 relatif aux modalités d’attribution de la prestation et au fonds de financement prévus par la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie.

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2. Histoire et développement des établissements pour personnes âgées en France 2.1 Le maintien à domicile Si nous avons vu que vieillesse n’est pas égale à dépendance, et que beaucoup de personnes âgées sont très actives dans notre société, il ne faut pas négliger cette question pour autant. Dans les sociétés traditionnelles, quand une vieille personne perd son autonomie, elle est prise en charge par sa famille, c’est un modèle que l’on retrouve encore très présent dans les pays du sud de l’Europe, ou le Japon par exemple, mais l’évolution des modes de vie et les modifications de la structure familiale ont doucement fait glisser cette responsabilité vers la collectivité, c’est par exemple le cas de la France et des pays du nord de l’Europe.1 Trois solutions sont alors possibles, il y a tout d’abord, l’aide au maintien à domicile, la construction de logements adaptés aux personnes âgées, et enfin, la construction d’institutions spécifiques. En France, depuis les années 60, et le rapport Pierre Laroque qui insiste sur la nécessité d’intégrer les personnes âgées à la société, la priorité est faite sur le maintien à domicile. Approche qui fait d’ailleurs consensus au sein de la société internationale, et qui est largement relayée par les grandes institutions comme l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) ou l’Union Européenne.2 A cela se pose deux arguments majeurs, il répond aux attentes des personnes âgées, et représente une prise en charge à moindre coût. Au-delà du fait que ce dernier argument est à remettre en perspective avec une réalité relativement complexe, on constate en effet que même dans les pays qui ont mis en place une très forte politique d’offre d’hébergement collectif pour personnes âgées, les personnes de plus de 65 ans habitant ces établissement ne dépassent jamais les 8%.3 Mais parallèlement à cela, on observe qu’un 1 LE BOULER Stéphane : prospective des besoins d’hébergement en établissement pour personnes âgées dépendantes, premier volet : détermination du nombre de places en 2010, 2015 et 2025. Cahier du Plan n°11, septembre 2005. 2 LE BOULER Stéphane : prospective des besoins d’hébergement en établissement pour personnes âgées dépendantes, premier volet : détermination du nombre de places en 2010, 2015 et 2025. Cahier du Plan n°11, septembre 2005. 3 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007

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pays comme le Danemark qui avait tout misé sur le maintien à domicile est finalement revenu là-dessus et a repris la construction et la réhabilitation d’établissements. Ces deux approches sont bien complémentaires, le collectif correspondant de fait, aujourd’hui, principalement à la demande d’une population déjà lourdement dépendante. 2.2 Des hospices aux Mapad Pour mieux comprendre à quoi correspond cette proposition de prise en charge dans des établissements de logement collectif pour personnes âgées en France, nous allons ici tenter de définir les contours de leur développement et leur histoire, en s’appuyant principalement sur le travail qu’a fait Phillippe Dehan dans son ouvrage, L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer.1 Les premiers hospices voient le jour au XIX e siècle, ils accueillent les personnes âgées les plus pauvres et les installent dans de vastes dortoirs au sein d’établissements où se côtoient bien souvent handicapés, alcooliques, vagabonds et autres rebus de la société. Ces types d’établissements vont rester pratiquement inchangés pendant plus d’un siècle et demi. C’est dans les années 50 que les premières actions politiques sont lancées concernant le logement des personnes âgées, avec, en 1954, la création des foyerslogements (renommés plus tard logements-foyers pour insister sur le fait que ce sont bien des logements privés qui sont mis à disposition), ils sont principalement constitués de studios ou de deux pièces mais avec peu d’espaces communs. Puis en 1958, l’état créé les maisons de retraite publiques qui proposent une prise en charge collective, avec de très petites chambres, de 14 à 16m2, sans sanitaire intégré, mais avec de nombreux espaces collectifs, en particulier un espace de restauration. Les anciens hospices, eux, vont commencer à être réhabilité et « humanisé » à partir de 1975, mais c’est un chantier qui va prendre énormément de temps, et ne finir qu’à la fin des années 90. C’est également en 1975 qu’une loi permet l’ouverture de services spécialisés pour personnes âgées dans les hôpitaux et la médicalisation des logements sociaux et des logements-foyers. A partir des années 80, l’état cherche à agir directement sur la production des institutions. Le ministère de la santé va lancer un concours d’architecture autour des centres de moyens et longs séjours hospitaliers et les maisons 1 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007

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d’accueil pour personnes âgées (Mapa), modèle créé pour l’occasion. L’objectif était de mettre en place un important programme de réalisation qui donnerait naissance à un modèle de constructions industrialisées et baisserait ainsi les coûts de production. Malgré son ambition, basée sur des préoccupations malheureusement principalement économiques, qui très vite ne répondent plus aux orientations politiques prises par les différents gouvernements, les Mapa deviennent le modèle de référence et vont le rester longtemps. En 1986, voyant que les établissements actuels ne répondent pas à la prise en charge de personnes dépendantes, le gouvernement créé les maisons d’accueil pour personnes âgées dépendantes (Mapad). On adapte les normes des Mapa aux exigences qu’induit la dépendance et y intègre des unités spécialisées pour personnes désorientées. 2.3 Le Cantou En marge de ces tentatives du gouvernement pour donner forme à une politique de prise en charge des personnes âgées et de la dépendance, émerge un nouveau concept, le Cantou. C’est en 1977, dans l’esprit de Georges Caussanel directeur d’un foyer à Rueil-Malmaison, que ce nouveau modèle va naitre. Il reprend le terme qui vient en fait de l’occitan et qui signifie « coin du feu » et en fait un sigle : Centre d’animation naturelle tirée d’occupations utiles pour proposer une nouvelle forme de prise en charge des personnes âgées atteintes de démence sénile. Ce qui fait la grande nouveauté de sa proposition, et qui la rend réellement cohérente, c’est qu’il associe un nouveau concept d’hébergement, un concept spatial, à un nouveau mode de prise en charge. Pour ses résidents atteints dans leurs fonctions intellectuelles, Georges Caussanel pense qu’il est très important de permettre de recréer, ou de prolonger, un mode de vie « ordinaire ». L’échelle est dès lors très importante, il propose un habitat, qui s’inspire du type communautaire et familial, constitué d’une unité de vie de 12 à 15 personnes qui s’organise autour d’une pièce centrale qui est le lieu de la vie collective. Les tâches domestiques sont le lien qui permet de rassembler résidents et professionnels. Petit à petit, ce type de projet a été supplanté par les unités de vie thérapeutique. Elles semblent avoir perdu un peu de leur sens, car, d’après Colette Eynard et Didier Salon qui ont publié ensemble Architecture et Gérontologie – Peut-on habiter une maison de retraite ? les promoteurs de ce type de projet n’ont pas toujours compris, qu’ici c’était plus le mode de vie que le cadre qui constituait une 18


réelle avancée, et que le second n’entrainait pas tout seul le premier.1 2.4 De nouvelles approches plus centrées sur le résident En 1989, la politique du gouvernement prend une nouvelle direction. Les ministères des affaires sociales et de l’équipement, associés au plan construction et architecture (PCA) et au centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), mettent en place le secteur expérimental pour la programmation innovante de l’habitat des personnes âgées, SEPIA. Ils entendent mettre en place de nouvelles formes d’habitat innovantes en rupture avec le model des MAPA et MAPAD et leurs architectures fonctionnelles. Pour cela, SEPIA propose une méthode de travail interactive appelée la « programmation générative » qui associe les utilisateurs à la programmation et tend à inventer des solutions spécifiques à chaque problème. C’est l’usage plus que la fonction qui doit être mis en avant, les acteurs plus que les experts. Le programme architectural est élaboré avec tous les acteurs : maître d’ouvrage, gestionnaire, architecte, personnel et personnes âgées, à ce groupe déjà très important s’ajoute un auditeur conseil, souvent chercheur en science sociale, qui est là pour conserver la mémoire de la démarche, l’observer et l’alimenter. Le travail s’articule autour de nombreuses phases réparties sur différents groupes de travail. Cette démarche, bien que trop lourde pour devenir un mode de fonctionnement généralisé, a donné naissances à 17 opérations et a permis, par la suite, de développer une méthodologie participative et un climat favorable aux projets novateurs. Un autre modèle intéressant à relever ici est le développement des résidences Édilys, mises en place par le mouvement HLM en réponse aux lacunes des résidences-services. Ces dernières (les résidences-services), voient le jour dans les années 80 à l’initiative d’opérateurs privés. Ils proposent des logements indépendants qui s’organisent autour de services très développés ; mais ce modèle ne concerne qu’une population aisée, et de plus, dans la majorité des cas, les appartements ne sont pas adaptés à la grande dépendance. Les résidences Édilys proposent donc un modèle adapté à une population moins aisée. Ce sont des projets qui prennent place en centre urbain, avec des appartements adaptés à la dépendance, studios d’environ 30 m2 ou deux pièces, et qui s’organisent également autour de 1 EYNARD Colette, SALON Didier : Architecture et Gérontologie, Peut-on habiter une maison de retraite ?, Paris, l’Harmattan, 2009

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services avec le principe de service à la carte. De plus, les résidents ont la possibilité de rester quelque soit l’évolution de leur santé physique ou psychique, grâce, entre autre, à des Cantou intégrés.

3. Les Éhpad 3.1 Qu’est ce qu’un Éhpad ? A la fin des années 1990, avec la loi numéro 97-60 du 24 janvier 1997, l’état met en place une réforme de la tarification des établissements pour personnes âgées. Celle-ci cherche à améliorer la qualité de prise en charge des résidents, à accroitre le nombre de places pour faire face à une demande croissante, et à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par la mise en place d’une prestation spécifique à la dépendance. Le statut d’établissement pour personnes âgées dépendantes (Éhpad) est créé pour l’occasion. Ce terme se veut volontairement générique, car il doit concerner à terme tous les établissements existants et futurs. En 1999 et 2001, deux autres réformes importantes vont suivre et préciser ce statut.1 Malgré son caractère très générique, nous allons tenter ici de donner une définition de ce statut et de ce que sont ces établissements. Un Éhpad est un édifice de la catégorie ERP (Etablissement recevant du public) de type J (structures d’accueil pour personnes âgées et personnes handicapées), c’est à dire, un bâtiment d’hébergement répondant en tout point aux normes PMR (personnes à mobilité réduite), mais sans fluides médicaux. Ce qui impose néanmoins des mesures strictes de compartimentage relevant de la sécurité incendie, se basant sur le principe de « transfert horizontale » des personnes vers une zone protégée.2 Sur le site internet service-public.fr, le site officiel de l’administration française, une page est consacrée aux Éhpad, afin d’en proposer une définition et de donner des indications utiles aux usagers présents et futurs, 1 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007 2 Arrêté du 19 novembre 2001 portant approbation de dispositions complétant et modifiant le règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP type J). NOR: INTE0100689A. Version consolidée au 27 décembre 2016

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elle en donne la définition suivante : « Les Éhpad : - hébergent des personnes âgées à temps complet ou partiel, de manière permanente ou temporaire, - proposent et dispensent des soins médicaux et paramédicaux adaptés, des actions de prévention et d’éducation à la santé et apportent une aide à la vie quotidienne adaptée, - mettent en place avec la personne accueillie (et avec sa personne de confiance) un projet d’accompagnement personnalisé adapté aux besoins comprenant un projet de soins et un projet de vie visant à favoriser l’exercice des droits des personnes accueillies. Ces établissements doivent fournir à chaque résident au minimum les prestations suivantes : -

-

l’accueil hôtelier (mise à disposition d’une chambre individuelle ou double, accès à une salle de bain comprenant à minima un lavabo, une douche et des toilettes, éclairage, chauffage, entretien et nettoyage, accès à la télévision, à la téléphonie et à internet…), la restauration (accès à un service de restauration, fourniture de trois repas, d’un goûter et d’une collation nocturne), le blanchissage (fourniture du linge de lit et de toilette), l’animation et vie sociale (à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement), l’administration générale (état des lieux, document de liaison avec la famille, contrat de séjour…).

Les Éhpad disposent d’une équipe pluridisciplinaire comprenant au moins un médecin coordonnateur, un professionnel infirmier titulaire du diplôme d’État, des aides-soignants, des aides médico-psychologiques, des accompagnants éducatifs et sociaux et des personnels psycho-éducatifs. »1 3.2 La convention tripartite, condition de l’Éhpad Pour qu’un établissement puisse accéder au statut d’Éhad, il doit signer une 1 Service public, Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre), vérifié le 01 octobre 2016, https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F763

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convention tripartite avec le conseil général de l’Assurance maladie. Cette convention repose sur la tarification des trois composantes de la prise en charge des personnes âgées ; l’hébergement, la dépendance et les soins. A noter que les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes, c’est à dire répondant d’un Gir allant de 1 à 4, et avec un effectif de plus de 25 places, se voient dans l’obligation d’adopter ce statut.1 Il faut alors mettre en place un projet qualité, ou projet institutionnel, qui sera un préalable à la signature. Celui-ci comprend deux volets, le projet de vie et le projet de soin, qui traitent d’un champ de questions très large allant de l’hébergement à la formation du personnel, en passant par les soins et l’animation. Après quoi, l’Etat et le département pourront accorder à l’établissement les moyens nécessaires à la mise en place du projet présenté; réhabilitation d’un édifice, voire reconstruction de l’établissement si cela est jugé nécessaire, apport supplémentaire en personnel, formation du personnel etc. Ce projet, pour être validé, doit être conforme aux recommandations données par l’annexe I de l’arrêté du 26 avril 1999 qui fixe « le contenu du cahier des charges de la convention ».2 Contrairement aux modèles précédents comme les Mapa et Mapad qui s’intéressaient surtout à des questions de surfaces, d’équipement, et avec une visée principalement économique et fonctionnelle, on cherche ici à définir une philosophie globale de prise en charge et d’aménagement avec comme préoccupation centrale le bien-être des résidents. Cet annexe doit permettre de mettre en place un mode de fonctionnement pour les établissements et de développer une politique particulière adaptée à la prise en charge des personnes âgées, aux soins qui devront leur être prodigués, mais aussi à la bonne formation du personnel, et préciser « les objectifs d’évaluation de l’établissement et les modalités de son évaluation ».3 Concernant l’architecture, l’annexe prodigue des recommandations qui vont du dessin des espaces communs à l’appartement privé. Elle précise que celle-ci doit permettre de lutter contre la perte d’autonomie des résidents au travers de ses dispositifs et d’intégrer la dialectique « sécurité et liberté », question primordiale de la prise en charge des personnes présentant une détérioration intellectuelle et/ou physique. Elle donne une place importante à la sociabilité au sein de la résidence et recommande d’y intégrer des espaces collectifs pouvant 1 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007 2 Arrêté du 26 avril 1999 fixant le contenu du cahier des charges de la convention pluriannuelle prévue à l’article 5-1 de la loi no 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médicosociales. JORF n°98 du 27 avril 1999 3 Ibid.

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accueillir activités et animations, mais aussi des espaces de restauration, de repos… Il faut favoriser l’appropriation des lieux, que ce soit par le résident ou son entourage, et les appartements doivent pouvoir être en capacité d’être agrémenté du mobilier personnel de son utilisateur, au delà de simples tableaux accrochés aux murs, et d’y recevoir des invités. Une place importante est d’ailleurs donnée à la famille tout au long de ce texte. S’y ajoute des recommandations de surface minimum. Les logements doivent faire entre 18 et 22 m2 pour une personne, entre 30 et 35 m2 pour un couple.1 Il est obligatoire d’y intégrer un cabinet de toilette avec douche, lavabo et WC. Une kitchenette est recommandée. Pour les circulations, il est demandé de prendre en compte la déambulation, qui est un des moyens d’expression de certaines personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, voire la promenade, et bénéficier le plus possible d’un éclairage naturel. Pour ces résidents, il n’y a pas obligation de mettre en place une unité spécifique leur étant dévolue, mais il est par contre nécessaire de préciser le mode de prise en charge qui sera adopté à leur encontre. Le texte va jusqu’à prendre parti pour l’intergénérationnalité en évoquant l’intégration de salons d’esthétique ou de coiffure, de crèche ou encore de salle de réunion permettant de recevoir des personnes extérieures à l’institution. 3.3 La remise en question du modèle unique, et la création des Éhpa A l’origine de cette loi, la convention tripartite devait être signée par tous les établissements, ce qui les forçait ainsi à adopter une charte qualité s’appuyant sur un projet local adapté, et permettait d’unifier tous les types d’établissements en regroupant maisons de retraite, logements-foyers, Mapa, Mapad et unités de soins longue durée (USLD) sous le même statut d’Éhpad. Mais cette ambition a dû être remise en question. En effet, elle s’est avérée plus laborieuse que prévu, et ce pour différentes raisons. Il y a l’exemple des logements foyers, qui pour beaucoup manquaient d’espace pour développer les équipements collectifs nécessaires, ou encore le cas de projets datant des années 70/80 pour lesquels l’adaptation des appartements aux normes handicapé est rendue quasiment impossible de par le système structurel très rigide des murs de refend et de planchers 1 Arrêté du 26 avril 1999 fixant le contenu du cahier des charges de la convention pluriannuelle prévue à l’article 5-1 de la loi no 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médicosociales. JORF n°98 du 27 avril 1999 .

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béton, d’autant plus si les travaux doivent se faire en site habité. La mise en œuvre de cette réforme coûte donc très cher, et les financements publics ne suivent pas. Les échéances pour la signature de la convention tripartite se voient contraintes d’être repoussées à plusieurs reprises. Et finalement, en 2006, un article de loi vient répondre à cette situation en créant un deuxième statut, les EHPA, (établissement pour personne âgées), qui concerne donc les établissements qui n’ont pas été en capacité de signer cette convention, et qui ne peuvent donc qu’accueillir un nombre restreint de résidents dépendants (25).

Catégorie d’établissement et statut juridique

Nombre de structures 2007

Places installées

EHPAD

6 855

7 752

514 640

EHPAD privés à but lucratif

1 432

1 681

95 380

2011 592 9000 118 240

EHPAD privés à but non lucratif

1 952

2 271

136 090

162 100

115 980

108 340

EHPAD publics

2011

2007

3 800

Logements-foyers

2 330

2 233

312560

Logements-foyers à but lucratif

59

83

2 800

3 620

Logements-foyers à but non lucratif

624

612

31 010

29 680

1 647

1 538

82 170

75 040

Maisons de retraite (non EHPAD)

806

334

34 390

9 440

Maisons de retraite privées à but lucratif

277

104

8 740

2 710

Maisons de retraite privées à but non lucratif

331

180

11 460

5 190

Maisons de retraite publiques

196

50

14 190

1 540

Unités de soins longue durée

232

97

17 670

7 940

Logements-foyers publics

Autres

82

65

1 480

1 190

TOTAL

10 305

10 481

684 160

719 810

DREES, L’offre en établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2011, Études et résultats, n°877, février 2014

Les premières signatures de conventions tripartites se font dans l‘année 2000. Fin 2007, 6 850 Éhpad sont recensés, soit 67% de l’ensemble des structures d’accueil pour personnes âgées, c’est principalement d’anciennes maisons de retraite, entre 2007 et 2011 la progression se poursuit, puisqu’on recense alors 7 752 établissements qui ont signé la convention, ce qui représente 74% des établissements. Fin 2011, nous 24


constatons que c’est effectivement principalement les logements-foyers qui n’ont pas su s’adapter, car il en reste 2 233 en France, contre 334 maisons de retraite et 97 USLD.1 3.4 L’environnement politique, social et économique de l’Éhpad Nous allons maintenant tenter de définir l’environnement politique, social et économique des Éhpad, afin d’en comprendre les logiques parfois très complexes. En effet, en France, le monde de la prise en charge des personnes âgées et de la dépendance comprend une grande diversité d’acteurs, qui souvent fonctionnent avec leur logique propre. L’Etat pour commencer, bien qu’il ait beaucoup délégué au fil des années, endosse toujours le rôle de celui qui donne les grandes orientations politiques, qui donne un cadre au secteur. Et à une échelle locale, c’est au travers du travail des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRAAS) et des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) qu’il s’assure du respect des politiques qu’il a mis en place. Il a également un rôle d’analyse et d’information que remplit la DREES (Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques), un des services de la statistique publique. Les départements, leaders et coordinateurs des politiques gérontologiques, sont aujourd’hui responsables de la politique d’action sociale. C’est eux qui ont la charge de mettre en place un schéma gérontologique départemental (SGD), qui a comme objectif d’instaurer une politique locale. Ils ont également le pouvoir de délivrer ou non les autorisations de création d’Éhpad et d’Éhpa, qu’ils soient publics ou privés, à noter qu’ils financent bien souvent en grande partie les établissements publics. Les communes se trouvent souvent être les maîtres d’ouvrage et les gestionnaires des établissements qui se trouvent sur leur territoire. Le comité régional d’organisation sociale et médico-sociale (CROSMS), formé d’acteurs très divers ; des représentants de la caisse nationale d’assurance vieillesse, de l’assurance maladie de l’État et des collectivités locales, d’intervenants locaux divers et de représentants des usagers, est un organisme consultatif qui donne son avis sur la création, la transformation ou l’extension d’établissements médico-sociaux. Le secteur associatif joue un rôle important. Et il faut noter qu’il représente 1 DREES, L’offre en établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2011, Études et résultats, n°877, février 2014

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une part non négligeable de l’offre d’Éhpad en France, et qu’il est le lieu de nombreuses expérimentations très intéressantes de la prise en charge. Nous pouvons relever ici l’exemple d’Isatis qui possède 12 Éhpad, et qui en plus d’autres activités comme le service à domicile, a créé un bureau d’étude et de conseil qui accompagne les maîtres d’ouvrage, les collectivités locales et les organismes HLM dans leurs projets. Ou encore l’exemple d’Arepa qui possède 69 établissements. Enfin, le mouvement HLM qui a mis en place son offre de résidences services à visée sociale, Édilys, a utilisé le statut associatif pour ce projet au travers de l’association Anrespa.1 Pour ce qui est des financeurs, les principaux sont la Cnam et la Cnav, certains conseils régionaux, la Cnaf, mais aussi certaines caisses de retraite complémentaires, des mutuelles, et les assureurs privés dans le cadre des assurances dépendance. Les Éhpad se divisent en trois secteurs distincts, le public, le privé à caractère non lucratif, autrement dit associatif, et le privé commercial. Par rapport aux deux autres offres, le privé se caractérise par des offres plus spécifiques, alors que le public et l’associatif accueillent généralement un public varié. Les établissements à vocation commerciale proposent des offres ciblées, qui peuvent concerner par exemple une population aisée avec une proposition de services hauts de gamme, ou alors des établissements spécialisés dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. En 2013, les établissements du secteur public étaient les plus représentés, avec 43% de l’offre, le privé non lucratif représentait 31% et le privé commercial 26%. A noter, qu’en nombre de places disponibles, le secteur public est encore le plus important, en effet il représente 51% des places.2 3.5 La population des Éhpad Pour ce qui est de la population qui séjourne en Éhpad, d’après Philippe Jeger et Philippe Merle, tous deux architectes, « La dépendance est devenue le cas général et la raison d’être de ces établissements ».3 L’entrée en institution se fait le plus souvent à la suite d’un accident de santé qui entraine une perte d’autonomie de la personne. Et en effet, en 2013, d’après une étude de la CNSA, les résidents très dépendants, ayant un GIR 1 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007 2 CNSA, Les soins en Éhpad en 2013 : Le financement de la médicalisation et le bilan des coupes pathos, Juillet 2014. 3 D’A D’Architectures, Numéro 239, Octobre 2015, Éhpad : architecture du grand âge.

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allant de 1 à 2, représentaient 55% de la population de ces établissements.1 Toujours d’après cette même étude, 74,4% de la population des Éhpad était féminine, et l’âge moyen y était de 85,7, pour un séjour moyen de 2 ans.2 La situation familiale joue également un rôle important, en effet, la présence d’un environnement familial joue un rôle majeur dans le maintien à domicile des personnes âgées, la présence d’un conjoint permettant notamment, par l’aide qu’il apporte à la personne, d’éviter ou de retarder l’entrée en établissement de la personne âgée dépendante. Ainsi, la part des résidents sans conjoint vivant en établissements pour personnes âgées est de 90% en moyenne.3

2013 GIR 1 GIR 2 GIR 3 GIR 4 GIR 5 GIR 6

20 35 15,7 18,2 5,6 5,1

CNSA, Les soins en Éhpad en 2013 : Le financement de la médicalisation et le bilan des coupes pathos, Juillet 2014.

1 CNSA, Les soins en Éhpad en 2013 : Le financement de la médicalisation et le bilan des coupes pathos, Juillet 2014. 2 DREES, 693 000 résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2011, Études et résultats, n899, décembre 2014 3 LE BOULER Stéphane : prospective des besoins d’hébergement en établissement pour personnes âgées dépendantes, premier volet : détermination du nombre de places en 2010, 2015 et 2025. Cahier du Plan n°11, septembre 2005.

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II.

Dépendance et institution, la porosité comme thérapie

1. L’entrée en Éhpad, la place du résident dans l’institution 1.1 Habiter au sein de l’institution L’entrée en Éhpad est bien souvent perçue comme un échec, celui de ne pas avoir été capable de rester chez soi jusqu’à la fin. Et sa symbolique est très forte, il est la dernière des demeures, mais d’ailleurs, est-il vraiment une demeure ? De plus, nous avons noté précédemment que c’est souvent des suites d’un accident qui a entrainé la dépendance d’une personne âgée, que celle-ci se voit contrainte de s’y installer. Autre phénomène dont nous parlons peu, ce sont les entrées forcées en établissement. Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) lors d’un passage dans l’émission de radio de France Culture, Du grain à moudre, met cette question en avant.1 Bien que la loi précise qu’il est nécessaire de manifester son consentement pour entrer en Éhpad, notre société fait qu’il y a une pression sociale importante qui crée des situations qui contredisent la législation, et à laquelle les directeurs ont bien du mal à faire face. Dès lors, il est du travail de tous les professionnels du milieu de se demander comment ces résidents peuvent s’approprier ces lieux si lourds des symboles qu’ils portent, et y créer de nouveaux repères. D’après le Larousse ; un repère est une « marque ou objet permettant de s’orienter dans l’espace, de localiser quelque chose, d’évaluer une distance, une mesure, une valeur, etc. », et au sens figuré ; « chacun des éléments stables à partir desquels s’organise un système de valeur ». C’est donc ce qui va permettre au résident de se reconstituer un nouvel environnement familier, de s’approprier les lieux. Mais c’est une question bien difficile, les repères 1 Jean Christophe Francis, Du grain à moudre, Les maisons de retraite sont-elles des lieux de privation de liberté ? 11.03.2013, France Culture

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s’élaborent, se construisent sur toute une vie, et sont de fait très personnels, mais on ne passe que quelques années tout au plus dans un Éhpad. L’Éhpad est un type d’espace totalement nouveau pour ses habitants, qui n’a dans les faits pas grand-chose à voir avec l’espace du domicile privé connu auparavant. C’est une échelle toute nouvelle avec laquelle il faut composer, ainsi que de nouveaux rapports sociaux. Les salons sont des espaces semi publics, ou semi privés, selon l’intention que l’on veut y mettre. La cellule familiale ici n’existe plus. Mais il y a les « appartements », ou « chambres », qui sont censés représenter un espace privé, personnel. Le choix des termes empruntés ici est très important, dans l’annexe I de l’arrêté du 26 avril 1999 qui fixe les objectifs qualitatifs à atteindre pour les Éhpad, c’est le terme d’« appartement » qui est utilisé, et en effet, cela souligne l’ambition de ce texte, offrir un espace réellement privatif et appropriable aux personnes âgées résidentes.1 Une chambre, par contre, renvoie à la chambre à coucher au sein du logement familial, il est un sous-espace, une pièce dont la porte ne ferme généralement pas à clé. Il est l’espace où l’on dort, et même si on l’habite, se l’approprie de manière bien personnelle au travers de la décoration et du mobilier par exemple, légalement, ça n’est qu’un sous-espace de l’appartement. Le terme peut également renvoyer à la chambre d’hôpital, qui n’est ici qu’un espace qu’on habite temporairement, où l’on nous alloue un lit le temps de soins, mais certainement pas un espace privé que l’on habite. Colette Eynard et Didier Salon, dans leur ouvrage Architecture et Gérontologie, Peuton habiter une maison de retraite ? citent un exemple symptomatique de cette question. Ils discutent de l’espace de la « chambre » avec une équipe d’aides-soignantes d’un établissement ; « tout va bien tant que les gens ne sont pas chez nous, ils peuvent avoir leurs meubles ! ».2 Que signifie cette phrase ? L’équipe parle en fait des résidents qui ont perdu leur relative autonomie, qui sont trop lourdement dépendants, et qui, de fait, perdent en quelque sorte le droit à cet espace privé dont ils bénéficiaient jusque-là. Les meubles encombrent l’espace de soins, qui appartient désormais aux équipes soignantes, l’« appartement » devient « chambre » d’hôpital. Et d’après les deux auteurs, la « chambre » est « très rarement considérée comme le domicile privé de la personne qui l’occupe, si on entend par domicile privé le lieu où les étrangers ne rentrent que s’ils y ont été 1 Arrêté du 26 avril 1999 fixant le contenu du cahier des charges de la convention pluriannuelle prévue à l’article 5-1 de la loi no 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médicosociales. JORF n°98 du 27 avril 1999 2 EYNARD Colette, SALON Didier : Architecture et Gérontologie, Peut-on habiter une maison de retraite ? Paris, l’Harmattan, 2009

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invités. » Et ils soulignent que trop souvent, le fait de frapper à la porte est devenu un geste machinal pour les employés des Éhpad qui d’ailleurs n’attendent que rarement une réponse pour y entrer. L’espace, même s’il peut être privatisé et qu’il est en principe un espace dévolu à une personne, appartient à l’institution. 1.2 Le résident, un client ? Donc, quand une personne âgée quitte son logement personnel pour un Éhpad, on pourrait dire qu’il quitte en quelque sorte la sphère privée, et qu’il est remis entre les mains d’équipes diverses toutes très spécialisées. Il en est le souci permanent, et devient un « objet de soin ». Beaucoup de professionnels de l’aide et du soin semblent avoir l’habitude de contrôler, d’édicter ce que ces personnes âgées doivent faire. Pensant bien faire, ils leurs disent ce qui est bon ou pas pour eux, et veulent se faire obéir, comme on ferait avec un petit enfant que l’on éduque. Et d’après Sylvie Mroczek, responsable qualité des Éhpad des Bords de Marne, de l’Abbaye et de la Cité Verte dans le Val-de-Marne (94), et ancienne infirmière en maison de retraite, les résidents ont tendance à se dévaluer, à se considérer presque comme une « sous humanité » du fait du grand âge et de la dépendance, et ils sont de fait très, voire trop reconnaissant du travail des soignants.1 Comme s’ils voulaient s’excuser d’avoir cet âge, de se trouver où ils sont. Et elle fait à juste titre remarquer que lorsque nous sommes à l’hôtel, nous ne nous excusons pas d’y être, si nous remercions les employés c’est parce qu’ils nous proposent un service de qualité, mais tout en sachant que nous le payons, et de même lors d’un séjour à l’hôpital. Pourtant ces résidents payent eux aussi pour être logés dans un Éhpad et bénéficier de ses services. Les soignants doivent alors travailler à atténuer ce type de comportement, et, malgré la dépendance, laisser le plus d’autonomie possible, en accompagnant les résidents uniquement là où ils en ont vraiment besoin. Il faut aider sans jamais trop en faire. 1.3 La dialectique liberté, sécurité Si il est vrai que dans une certaine mesure, les espaces de liberté et de sociabilité donnés aux résidents peuvent être dangereux pour des personnes 1 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16

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trop lourdement dépendantes, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté et ancien président de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, considère que nous vivons dans une société très sécuritaire qui ne supporte plus qu’on prenne le moindre risque.1 La dialectique sécurité/liberté est une permanence dans la réflexion sur la prise en charge du grand âge et de la dépendance. D’après Sylvie Mroczek, certaines institutions donnent l’impression que le droit du citoyen disparaît à l’entrée.2 Et il semblerait que l’on trouve encore beaucoup de ces institutions, ou des résidents, privés de leur liberté, se trouvent attachés ou enfermés parce qu’ils tentent de sortir de l’établissement, ou bien qu’ils sont tombés ou simplement pourraient tomber. Quant aux unités Alzheimer, la majorité sont fermées afin de protéger les malades d’euxmêmes. Un directeur d’établissement qui laisse sortir des résidents atteints de la maladie d’Alzheimer se met en danger par rapport à la société qui se refuse à prendre ce type de risques. Il doit faire signer des décharges à la personne et surtout aux familles. Ne pourrions-nous pas considérer un droit au risque ? Les situations d’enfermements sont cause de stress et d’incompréhension pour les résidents, et ne font finalement qu’aggraver l’état des personnes qui les subissent. A l’opposé, au Danemark, les droits des citoyens sont exactement les mêmes pour tous, qu’ils soient résidents d’établissement pour personnes âgées ou non. Ainsi, les personnes désorientées sont libres de sortir quand bon leur semble. D’après Monsieur Champvert, c’est le manque de personnel au sein des Éhpad qui ne permet que très difficilement ce type d’approche en France.3 Cependant, il a réussi au sein de ses établissements de Saint-Maur-des-Fossés, de Bonneuil sur Marne et de Sucy en Brie, qui sont des Éhpad publics, à développer un projet de vie qui offre une liberté totale aux résidents. Il n’y a ainsi pas de limitation pour les heures de visites, les résidents ont le droit de venir s’installer avec leurs animaux de compagnie, tous sont libres de sortir de l’établissement, également les personnes désorientées. Sylvie Mroczek qui en est la responsable qualité, explique que les tentatives de fugue son très rares, et qu’elles disparaissent progressivement en même temps que la personne prend conscience de sa liberté. Il y a également des méthodes complémentaires, qui consistent par exemple à anticiper le besoin de 1 Jean Christophe Francis, Du grain à moudre, Les maisons de retraite sont-elles des lieux de privation de liberté ? 11.03.2013, France Culture 2 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16 3 Jean Christophe Francis, Du grain à moudre, Les maisons de retraite sont-elles des lieux de privation de liberté ? 11.03.2013, France Culture

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bouger en faisant descendre les personnes concernées pour prendre le petit déjeuner au rez-de-chaussée le matin, ou d’effectuer une promenade avec un but particulier.1 Pour illustrer cette problématique, Madame Mroczek parle d’un cas assez compliqué auquel ils ont dû faire face au sein de la résidence de Bonneuil sur Marne. Ils ont accueilli un résident qui devait aller à l’étage spécifique recevant des personnes désorientées. Il avait déjà fait trois quatre résidences qui n’avaient pas voulu le garder. Et, en effet, il a mis le feu à une poubelle le jour même de son arrivée. C’est en apprenant qu’ils avaient affaire à un ancien marcheur, que la solution leur est apparue. Si on ajoute le fait que les malades atteints de la maladie d’Alzheimer ont ce besoin important de déambuler, il paraissait alors évident que ce résident avait besoin de sortir, de marcher. La déambulation devient pour ces malades un moyen de s’exprimer, quand la pensée a du mal à s’élaborer, c’est le corps qui prend le relais. Ce résident était alors encore en capacité de comprendre comment sortir de la résidence sécurisée, en utilisant une clé pour déverrouiller l’ascenseur. Ce genre de dispositif est utilisé dans les unités réservées aux malades atteint de la maladie d’Alzheimer et affilié, afin de contrôler leur circulation sur leur capacité à effectuer cette action simple dans un but précis. On considère que dans ce cas, le résident pourra revenir de lui-même et ne pas se mettre en danger en sortant de cet espace protégé. Un résident n’étant pas capable de cette action pourrait, dans le cas où aucune sécurité n’est mise en place, sortir sans réellement comprendre ce qu’il est en train de faire, et de fait se mettre en danger. Revenons à notre marcheur, le personnel de l’Éhpad a tout d’abord commencé par suivre ce résident lors de ses promenades, afin de lui indiquer les lieux où il pouvait se promener, et qu’il se familiarise avec son nouvel environnement. Mais il est évident qu’il n’était pas possible de le suivre tous les jours dans sa promenade, et ainsi priver la résidence d’un de ses soignants. De plus, il ne supportait pas cette présence qui lui donnait l’impression d’être suivi, qui m’était de gros guillemets à cette apparente liberté qu’on lui autorisait. Après deux mois, cet homme était en état d’effectuer ses promenades tout seul, et il partait tous les matins les « mains dans le dos ».2 Ce résident a arrêté de poser problèmes à l’établissement, qui lui a réoffert sa liberté. Des démarches plus classiques et moins contraignantes pour l’institution auraient pu consister à lui donner 1 Dehan Philippe, L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et Unité Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007 2 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16

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des médicaments afin de le calmer, de l’abrutir, voire même à l’attacher. Tout porte à croire que ce type de pratiques n’auraient en aucun cas résolu les problèmes de ce résident, et aurait probablement accéléré son décès.

2. Limiter les effets de la dépendance et permettre l’épanouissement, le rôle de l’environnement architectural et urbain 2.1 Un urbanisme adapté aux personnes âgées Comme nous l’avons relevé précédemment dans ce chapitre, l’entrée en Éhpad est une étape délicate de la vie des résidents. Mais, elle peut également être l’occasion d’un nouveau départ, car le quotidien d’une personne dépendante peut s’y trouver facilité par la prise en charge que l’institution propose, mais également par des dispositifs architecturaux qui limitent les effets de cette dépendance. Ainsi, l’image que renvoie l’établissement, la place qu’il prend dans son environnement, impactera l’image que s’en fait le nouveau résident et impactera sa première impression, positive ou négative, qui risque d’être très importante sur sa capacité à accepter et s’approprier ce nouvel espace de vie. Que les résidents acceptent ou rejettent l’institution, l’environnement urbain est également un espace qui doit être considéré comme un espace où la vie de l’Éhpad doit pouvoir se répandre, où les résident doivent pouvoir se déplacer en sécurité, et profiter de manière autonome des espaces publics, des services, des commerces, de la vie sociale et de l’animation qu’il propose. Pour Luc Broussy, auteur du rapport L’adaptation de la société au vieillissement de sa population : France : année zéro, remis au premier ministre en mars 2013, il s’agirait de définir des « zones urbaine de bien vieillir ».1 Il explique, par exemple, qu’il est essentiel que des services publics, des commerces et des transports en commun se trouvent dans un rayon de 500 mètres maximum autour des lieux de vie des personnes âgées pour qu’ils puissent réellement utiliser l’espace urbain. Il explique encore que les villes sont devenues relativement frileuses quant à l’installation de 1 Sous la direction de CHAPON Pierre-Marie : Bâtir une ville pour tous les âges, La documentation Française, Paris, 2013, p.11.

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bancs étant donné l’utilisation qu’en font les SDF, mais ils sont également du mobilier primordial à l’utilisation de l’espace public par les personnes âgées. Afin d’encourager ce type d’approche, l’Etat pourrait officialiser le label « ville amie des ainées », démarche lancée par l’OMS en 2007. Portland est la première ville des Etats-Unis à avoir tenté l’expérience. De manière concrète, cela s’est traduit par un adoucissement des bords de trottoir, un renforcement de l’éclairage et l’installation de bancs et de ralentisseurs de trafic. De plus, les commerces adaptés à une population âgée sont labélisés Elders Friendly par une ONG de la ville qui recense les avis des utilisateurs. D’après Catherine Collombet et Virginie Gimbert, chargées de mission au Commissariat général à la stratégie et à la prospective, cette réflexion doit aller de pair avec celle sur la densification de la ville, en travaillant sur la création de nouvelles centralités adaptées au vieillissement de la population.1 2.2 Connecter l’établissement à l’urbain Cependant, la grande dépendance représente plus de la moitié de la population des Éhpad en France, ainsi, les résidents en capacité de profiter de manière autonome de la ville ne sont qu’une minorité. Il s’agit alors d’amener la vie de la ville si ce n’est dans l’établissement, au moins au pied de ce dernier. Dans leur ouvrage commun, Collette Eynard, gérontologue et Didier Salon, architecte, parlent de l’exemple d’un très vieil hospice se trouvant dans une commune de moyenne importance et dont la cour et le jardin étaient devenu un lieu de passage pour les habitants de la ville.2 Le site de l’établissement couvrait toute la largeur de l’îlot, en laissant les portes ouvertes, la direction permettait de connecter les deux rues parallèles qui le longeaient. L’hospice s’en voyait animé tout au long de la journée, et le passage des écoliers, ou celui des femmes qui allaient et revenaient du marché, permettait de créer des repères temporels et de rythmer la vie des résidents tout en évitant l’isolement de ces derniers. Un autre exemple allant dans ce même ordre d’idée, est l’Éhpad Arpage Antoine de Saint-Exupéry à Villejuif dans le Val-de-Marne (94), construit par l’agence d’architecture Naud & Poux en 2014.3 Ce projet qui se trouve 1 Sous la direction de CHAPON Pierre-Marie : Bâtir une ville pour tous les âges, La documentation Française, Paris, 2013, p.15 2 EYNARD Colette, SALON Didier : Architecture et Gérontologie, Peut-on habiter une maison de retraite ?, Paris, l’Harmattan, 2009, p.87 3 A’A’ L’Architecture d’Aujourd’hui, Numéro 405, mars 2015, Architecture thérapeutique

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dans une zone urbaine relativement délaissée et dont les voisins les plus proches sont une centrale EDF et l’hôpital universitaire Paul-Brousse, a pour ambition de tenter de renouer avec son urbanité, et s’y prend de différentes manières. Tout d’abord, il s’organise autour d’une rue plantée qui vient créer un prolongement du réseau viaire existant. Mais il le fait aussi par sa forme, le programme se répartit en 10 volumes distincts mais tous connectés et qui reproduisent la forme des résidences pavillonnaires avec leurs toitures à double versant, qui constituent une part importante du tissu de la ville. Ainsi l’Éhpad, au lieu de se définir comme une entité isolée, comme un petit monde insulaire protégé de ce qui l’entoure, cherche à faire partie d’un ensemble plus large qui est celui de la ville, à s’y fondre. Il s’agirait cependant de vérifier si ces intentions fonctionnent au-delà de la symbolique, dans cette zone qui semble très isolée. Les environs directs d’un Éhpad en fixent l’image aux yeux des habitants de la ville, mais aussi des résidents, ils dessinent ses accès, son caractère poreux ou opaque. C’est également un espace où les flux sont les plus susceptibles de se croiser, où les résidents vont pouvoir se mélanger à la vie urbaine, si urbanité il y a. Ainsi, dans l’ouvrage Alzheimer : les structures d’accueil, pour une meilleure qualité d’usage des bâtiments, un certain nombre de conseils sont donnés quant à ce que doit pouvoir offrir cet espace de voisinage et les liens que l’établissement doit entretenir avec la ville.1 Les résidents doivent pouvoir sortir seuls et profiter de ces espaces, s’y promener, attendre ou s’y reposer, observer le spectacle de la vie, et ce même en fauteuil roulant. Le confort de ces derniers doit alors y être pris en compte, que ce soit au travers du mobilier, avec l’installation de bancs par exemple, mais aussi en proposant des espaces couverts, ou avec des revêtements de sol adaptés. Il est aussi précisé qu’ils doivent pouvoir être en capacité de prendre un taxi ou un véhicule privé seul. L’établissement doit être accessible en voiture ou en transport en commun. Les auteurs vont jusqu’à préconiser le dessin d’une architecture très transparente, qui permet de profiter de ce qu’offrent à voir les alentours de l’établissement, et ainsi de préserver le lien avec la ville. Un autre projet des architectes Naud & Poux se définissant par son rapport à la ville, est la résidence Lasserre à Issy-les-Moulineaux. Le projet répond à une demande de la ville pour créer un Éhpad de 131 lits dont 43 en unités Alzheimer, un accueil de jour, 42 logements destinés au personnel

1 Sous la coordination de Jacques Tolleron : Alzheimer : les structures d’accueil, pour une meilleure qualité d’usage des bâtiments, Paris, Certu, 2013

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soignant de l’hôpital voisin Corentin-Celton, et 75 places de parking.1 D’après Luc Poux, l’agence a gagné le concours sur une idée, celle de placer l’Éhpad du côté de la rue principale, et les logements en retrait, face à l’hôpital, et d’aller à l’inverse de ce que proposait le programme d’origine. Et en effet, comme pour leur donner raison, les appartements de la résidence donnant sur la rue sont plus demandés que ceux donnant sur le jardin intérieur. Les salons et la salle à manger sont également placés coté ville, face à la cour de récréation de l’école qui se trouve de l’autre côté de la rue. Ce souci d’ouverture vers l’extérieur se ressent jusque dans les détails de l’édifice, pour exemples les hauteurs d’allèges dans les chambres sont plus basses que pour un logement classique, afin de s’adapter à la dépendance des utilisateurs dont le regard se trouve plus bas, et qui passent beaucoup de temps assis ou dans leurs lits.2 Bien que les logements et l’Éhpad fonctionnent de manière totalement indépendante au sein de l’édifice, le choix a été fait d’une même écriture architecturale avec une façade en pierre de Vals, la différence entre les deux programmes n’existe pas pour l’usager de la ville. Pour respecter les hauteurs sous plafonds réglementaires tout en aillant un volume unifié, l’Éhpad est en R+4 alors que les logements montent en R+5. Ainsi nous observons ici la volonté d’intégrer véritablement l’établissement dans la ville, au sein d’un édifice qui ressemble en tout point à un projet de logements classiques, en le fondant d’ailleurs avec du logement, et en offrant le plus possible des vues sur la vie urbaine qui l’entoure. Mais l’Éhpad reste un élément isolé au sein de son architecture, avec ses accès et ses circulations propres. Symboliquement, son architecture appartient à la ville, et il la regarde, mais dans la pratique, il en est coupé, tout comme il est coupé des locataires des logements qui habitent pourtant le même immeuble. A l’origine, un salon de coiffure et un kiosque étaient installés dans le hall, et étaient ainsi censés apporter la vie de la ville au sein de l’institution. Ils ont été fermés, faute de trouver une pertinence économique, apparemment, leur emplacement n’a pas encouragé les riverains à les utiliser. Nous avons là un bloc compact qui ne permet pas la porosité.

1 Les cahiers techniques du bâtiment, numéro 337, Novembre 2014 2 D’A D’architectures, numéro 186, novembre 2009

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Naud & Poux architectes, http://www.elisabeth-naud-et-luc-poux-architectes.com/Lasserre.html RĂŠsidence Lasserre, Issy-les-Moulineaux.

0

Plan masse, RĂŠsidence Lasserre, Issy-les-Moulineaux

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20m


Collette Eynard et Didier Salon parlent d’un établissement qu’ils ont visité et où les chambres étaient indépendantes vis-à-vis de l’institution.1 Situé en milieu rural, cet édifice ne comporte qu’un rez-de-chaussée, ce qui a permis de donner à chaque appartement un accès dépendant qui donnait directement sur le jardin de l’établissement, ou sur un patio. Ces portes vitrées étaient beaucoup plus utilisées que les portes donnant sur les couloirs, et donc sur l’institution. Les résident pouvaient ainsi sortir, aller faire des courses au centre-ville situé à proximité par exemple, sans avoir à traverser les espaces de l’institution, et donc en profitant d’une vraie indépendance. Il semble qu’une certaine solidarité s’était mise en place, les plus autonomes rendant service en achetant ce dont les moins valides avaient besoin par exemple. Les familles et visiteurs utilisaient aussi principalement ses portes extérieures. Le regret de la direction venait du fait que les espaces communs se remplissaient presque uniquement au moment des repas. Une autre problématique se pose également, celle des personnes les plus désorientés, mais l’observation a montré qu’ils se regroupaient d’eux-mêmes à proximité des lieux de travail du personnel, et ainsi, de leur propre chef, se m’étaient en quelque sorte « sous la protection » de ces derniers. Ici les modes d’utilisations de l’espace, ainsi que les liens sociaux sont choisis, se font dans une grande liberté, les contraintes imposées par l’institution sont considérablement réduites sur ce point. 2.3 Les Éhpad, habitat communautaire ou machine à vivre ? Au sein d’une architecture, ce qui va permettre de créer des repères, ce sont les objets, le mobilier, qui viennent ponctuer et restructurer l’espace, c’est les rapports qu’entretiennent les types d’espaces, les rapports d’échelle, les vues qui se dégagent ou se referment, et les mouvements, mouvements humains, du personnel par exemple, ou mouvement de la lumière du soleil, qui vient marquer le temps qui passe. On remarque d’ailleurs que bien souvent dans les résidences pour personnes âgées, des résidents habitent les espaces de circulation, qui sont d’importants lieux de repère dans le temps et dans l’espace en plus d’être des lieux du spectacle de la vie. Le hall est la première chose qu’un résident ou un visiteur verra en arrivant. Il doit déjà présenter l’établissement, l’incarner. Rendre lisible 1 EYNARD Colette, SALON Didier : Architecture et Gérontologie, Peut-on habiter une maison de retraite ?, Paris, l’Harmattan, 2009, p.121

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les liens qui se font entre les différents types d’espaces en s’ouvrant sur ces derniers ; les bureaux, le restaurant etc. Le simple fait d’y disposer un porte-manteau, en plus de marquer clairement l’entrée et de faire repère, indique que l’utilisateur peut s’approprier les lieux à sa manière. D’après Collette Eynard et Didier Salon, toutes ces dispositions doivent contribuer à structurer la vie des résidents et leur accompagnement selon plusieurs axes : « De l’intimité au social, du communautaire au professionnel, du domestique au thérapeutique, de la proximité à la technicité. »1 Malheureusement, beaucoup d’Éhpad s’apparentent à de véritables machines de la prise en charge des personnes âgées, organisée en « zones fonctionnelles ». A la différence des premiers Cantou par exemple, où la petite échelle permettait une véritable transparence sur le fonctionnement et la vie des lieux, dans les Éhpad, les services ont tendance à disparaître des yeux des résidents en en faisant des zones parfaitement abstraites. Pour exemple, les zones logistiques que l’on trouve bien souvent dans les sous-sols, ou à l’arrière des bâtiments, et où l’on peut trouver les locaux d’entretien et parfois même la cuisine, alors qu’ils sont tous deux des éléments primordiaux du fonctionnement d’un espace de vie collectif, et qui, à l’échelle du logement font partie intégrante des espaces de vie, la cuisine étant un espace social par excellence. Les résidents se trouvent privés des odeurs, du spectacle du travail qu’est la préparation d’un repas, les assiettes ou les plateaux sortent tout prêts, il n’y a plus qu’à consommer. C’est aussi dans ces zones cachées que les lingeries se cachent très souvent. Le linge sale est récupéré par le personnel dans les chambres, disparaît sur un chariot et revient propre. Le résident n’aura peut-être jamais rencontré la personne qui nettoie son linge. « Nous sommes l’ombre de la maison de retraite » dit une lingère à Colette Eynard et Didier Salon. Il semble ainsi facile de perdre ses repères, et de s’abandonner à un mode de vie minimum.

1 EYNARD Colette, SALON Didier : Architecture et Gérontologie, Peut-on habiter une maison de retraite ? Paris, l’Harmattan, 2009

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De Drie Hoven, Plan général du bâtiment

Dans son plan, l’établissement De Drie Hoven réalisé par l’architecte Herman Hertzberger à Amsterdam en 1964 cherche à reproduire une ville.1 Il intègre une place centrale éclairée zénithalement et ouverte sur deux niveaux, intégrant des boutiques, un coiffeur, une laverie, un bar, une bibliothèque et des espaces de théâtre et de concert. Les circulations qui distribuent les logements sont ponctuées de pas de porte et de petites placettes qui viennent structurer l’espace du public au privé, et favoriser la vie de voisinage. Les portes des appartements sont partiellement vitrées, ce qui permet de sortir les résidents de leur solitude lorsqu’ils restent chez eux. Le bâtiment s’ouvre sur les espaces extérieurs, jardins et terrasses, ainsi qu’un bassin. Une crèche est intégrée, et à la jonction des deux programmes, une « ferme » avec des poules, des chèvres et d’autres animaux permet de faire le lien et de créer de l’interaction. 1 Dehan Philippe, L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et Unité Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007

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De Drie Hover, circulation desservants les logements.

De Drie Hover, place centrale.

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2.4 Un logement dévoué à l’institution Le logement ou la maison participent à notre propre définition, ils représentent un mode de vie, peut-être un statut social, ils impactent notre façon de vivre. C’est le lieu de choix personnels, on l’aménage à notre image, on se représente, c’est en quelque sorte la projection de notre personnalité. « Habiter ne se résume pas à occuper un espace : il s’agit de vivre avec lui, à travers lui, d’être en phase avec notre « intérieur » et notre intériorité, à l’abri d’un monde extérieur qu’il rend ainsi supportable et attrayant ; c’est ce que l’on appelle alors un domicile. »1 Mais les appartements des Éhpad ont-ils les qualités nécessaires qui les feraient passer d’un lieu où l’on vit à un lieu que l’on habite, à devenir un domicile ? En effet, espace individuel ne va pas nécessairement de pair avec espace personnel. Même si la surface est censée être privatisée, on se rend vite compte qu’elle appartient en réalité à l’institution. Quand dans le logement classique, l’espace public est maintenu à l’extérieur, cette frontière est beaucoup plus complexe au sein d’un établissement, un couloir faisant directement face au logement, est-il privé ou public ? Comment se positionner par rapport à l’institution ? Et que ce passe-t-il lorsque la porte de l’appartement reste ouverte ? La vie privée se montre à tous les habitants de l’Éhpad, mais aussi aux employés et aux visiteurs, donc certainement de parfaits inconnus. Un autre point important à soulever est la question de la norme sur cet espace. La réglementation préconise une surface allant de 18 à 22 m2 pour les appartements individuels des Éhpad. Cette surface découle en grande partie de ce que les normes handicapées imposent à son dessin. Le lit se retrouve ainsi plus ou moins au centre de la pièce, avec une bande de 90 centimètres sur ses deux côtés latéraux, ainsi qu’en son pied, il faut prévoir une aire de manœuvre pour qu’un fauteuil roulant puisse effectuer une ellipse complète, elle se dessine par un cercle d’un diamètre d’un mètre cinquante. Il y a ensuite la salle de bain qui doit intégrer ce même aire de manœuvre, et une surface libre rectangulaire de 80 centimètre sur 1,30 mètre à côté du WC pour permettre le transfert latéral. On se rend compte qu’il faut approximativement 18 m2 pour satisfaire à ces normes. Que reste-t-il alors au résident comme surface disponible ? Le lit reste toujours à la même place, il remplit donc déjà l’espace, il est comme sa raison d’être. Après ça, le résident aura peut-être la chance de disposer 1 EYNARD Colette, SALON Didier : Architecture et Gérontologie, Peut-on habiter une maison de retraite ? Paris, l’Harmattan, 2009

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Extérieur

coin meuble perso télé

coin entrée

1.0 0.9

salle d’eau

0.9

0.9

coin fenêtre

coin nuit

Circulation

Façade

coin séjour

1.5

du petit mobilier après vérification et autorisation par l’institution. Il ne faut pas encombrer le passage, et le choix des rideaux par exemple, est ici aussi réduit car, ils doivent répondre à certaines normes anti-incendie, ce seront donc généralement les rideaux fournis qui resteront. L’apport d’un frigidaire, d’une multiprise ou de n’importe quel matériel électrique pas aux normes NF posera également problème. Il devient vite évident que cet espace est un espace entièrement régi par les normes, de son dessin à son habitation. Pour tenter de se rapprocher le plus possible du domicile, et pour structurer l’espace, nous avons utilisé la notion de « coin », le « coin » qui remplace la « pièce ». Nous avons alors le « coin » cuisine avec la kitchenette, le « coin » entrée, le « coin salon » sur un des côtés du lit où nous avons pu glisser un fauteuil etc. Mais il semble évident que cette notion, dans un espace si contraint et appréciable dans sa quasi-totalité en un seul regard, n’est qu’un artifice sémantique. Ainsi, le résident se trouvera, au mieux, dans la capacité de remplir l’espace, ce qui le structure étant la norme, et celle-ci semble si forte qu’elle ne permet que très difficilement de réellement cohabiter avec elle.

Chambre

Institution

1.5

1.3

0.8

Dans leur projet pour le centre d’hébergement de l’OCMW à Nevele en Belgique, l’agence 51N4E propose une nouvelle typologie d’appartements. Divisés en 2 volumes qui s’articulent autour de la salle d’eau, ils comprennent une chambre qui regarde vers la ville, et une pièce à vivre côté circulation qui permet de recevoir des invités, et qui fait tampon entre l’espace de l’institution plus public et l’espace privé du repos. La pièce à vivre comprend une large porte vitrée coulissante qui s’ouvre sur un 43


large couloir lui-même entièrement vitré s’ouvrant sur les alentours. De par ses dimensions, cet espace de circulation tend presque vers un lieu de vie sociale. Mais pour arriver à ce type de logement, il a fallu une surface de 25m2 sans compter la salle de bain, donc une trentaine de mètres carrés en tout, nous sommes ici loin des 18m2 minimum recommandés par la réglementation française.

5m

Plan centre d’hébergement de l’OCMW, Nevele, Belgique

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3. Intergénérationnalité et interaction sociale. 3.1 L’intergénérationnalité comme méthode thérapeutique D’après Sylvie Mroczek, responsable qualité des Éhpad de l’Abbaye à Saint-Maur des Fossés, de la Cité verte à Sucy en Brie et des Bords de Marne à Bonneuil sur Marne, il s’agit de démontrer que les Éhpad ne sont pas des lieux d’exclusion. L’intergénérationnalié participe de cette ambition, elle permet de créer de véritables lieux de vie. Dans la ville, dans la cellule familiale, dans la vie de tous les jours, les différentes générations se côtoient et vivent ensemble. Il devient alors difficile de faire la démonstration qu’un établissement n’est pas un lieu d’exclusion si on y trouve uniquement des personnes âgées et des employés en blouse blanche.1 Dans l’ouvrage Alzheimer : les structures d’accueil, pour une meilleure qualité d’usage des bâtiments, il est aussi très vivement recommandé d’offrir la possibilité pour les résidents de rencontrer et d’interagir avec la population du quartier.2 D’ailleurs, certaines villes comme Sarcelles ont créé un « conseil des retraités », qui a pour objectif de favoriser l’activité des personnes âgées et de leur permettre de s’impliquer dans la vie de la ville en participant activement à la vie associative, en aidant au soutien scolaire, en prenant part à l’organisation des fêtes de quartier, etc.3 Ce type d’initiatives permet de stimuler les personnes âgées, elles leur évitent de tomber dans l’inactivité et de s’exclure doucement de la société, comportement qui peut mener à la dépression ; c’est également le moyen de préserver des espaces d’autonomie pour les personnes dépendantes. Cela s’avère ainsi être une méthode thérapeutique efficace. D’ailleurs, l’observation montre que bon nombre de résidents d’Éhpad cherchent à être en contact avec la vie extérieure, nous avons précédemment précisé que les espaces de circulation comme les halls étaient très souvent habités par les personnes âgées qui profitent ainsi du spectacle de la vie ; ce phénomène s’observe également dans les espaces qui offrent des vues sur des équipements de la petite enfance par exemple, où sorties d’école et récréations sont des moments où la vie se donne en représentation. Pour 1 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16 2 Sous la coordination de Jacques Tolleron : Alzheimer : les structures d’accueil, pour une meilleure qualité d’usage des bâtiments, Paris, Certu, 2013 3 Dehan Philippe, L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et Unité Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007

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satisfaire à cette demande, les danois ont ainsi construit bon nombre de résidences à proximité immédiate d’écoles, de crèches, etc. 3.2 L’intergénérationnalité au sein des établissements La forme d’ouverture la plus pratiquée, est la mise en place d’animations ponctuelles faisant venir des associations ou des écoles pour partager des activités avec les résidents d’un établissement. Cependant, nous trouvons également des Éhpad qui intègrent directement des équipements annexes, ou des commerces et services ouverts au public. D’ailleurs, l’arrêté du 26 avril 1999 mentionne ce type d’approche en précisant que pour « répondre aux différents aspects du projet institutionnel, notamment intergénérationnels, des locaux spécifiques pourront parfois exister (crèche, etc.) ou, selon les besoins locaux : salon d’esthétique, de coiffure, salles de réunion permettant également de recevoir des populations extérieures à l’institution ».1 Nous trouvons alors des institutions qui ouvrent leur restaurant au public, avec par exemple la maison de retraite de Loudéac qui y accueille le personnel administratif, ou les Éhpad de Bourg-Archard et du Creusot dont le directeur a décidé de mettre en place un self-service qui accueille également les étudiants de l’université voisine, ou encore, dans un contexte différent, la résidence du quartier intergénérationnel de Sofiegarden à Vejle au Danemark, qui possède une cafétéria ouverte au public, et qui semble être un succès puisqu’on y trouve bien souvent les habitants du quartier. En Italie, la résidence de Cinque Torri à SettimoTorinese a ouvert ses portes en 1994. Elle prend place au milieu d’un jardin public, et s’organise autour d’un patio circulaire planté. Formé de 5 volumes distincts tournant autour de ce patio, elle ne comporte pas de couloir, que des salons. En rez-de-chaussée, se trouvent les espaces communs, l’accueil, un restaurant, un bar, une boutique, un salon de beauté, une chapelle, un auditorium et une bibliothèque, mais ce qui vient réellement différencier ce projet, c’est son centre de remise en forme intégré. Offrant aux résidents une petite piscine, des équipements de massage hydrothérapeutique, une salle de kinésithérapie et deux salles de sport, elle est également ouverte au public, qui doit emprunter l’entrée de l’établissement qui se trouve devant le restaurant pour y accéder. A l’origine uniquement prévue pour le 1 Arrêté du 26 avril 1999 fixant le contenu du cahier des charges de la convention pluriannuelle prévue à l’article 5-1 de la loi no 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médicosociales. JORF n°98 du 27 avril 1999

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public de la résidence, c’est la nécessité de rentabiliser économiquement cet espace qui a poussé la direction à en faire un lieu ouvert. Ça n’en n’est pas moins une réussite.1 Nous pouvons également citer le centre gériatrique Leo Polak Huis, à Amsterdam comme un exemple significatif d’intergénérationnalité. Cet édifice situé dans un quartier périphérique d’Amsterdam a fait l’objet d’un projet de réhabilitation et de reconstruction. Un bâtiment accueillant des logements pour personnes âgées dépendantes a été conservé, et un nouvel édifice destiné à recevoir une unité Alzheimer et des espaces de soins est venu s’ajouter. Entre les deux, se trouve le hall, dans lequel on peut trouver une cafétéria, une boutique polyvalente, un espace de méditation, des billards et un piano, le tout est ouvert au public. Dans ce quartier relativement excentré et sans commerce, cet établissement devient alors un réel espace de vie. Les personnes travaillant aux alentours comme les résidents de la résidence pour personnes âgées voisine viennent d’ailleurs y déjeuner. De plus, le jardin thérapeutique accolé à l’unité Alzheimer est également libre d’accès.2 Une pratique, qui fait bien souvent symbole, est l’intégration d’équipements de la petite enfance. Les premiers projets de ce type voient le jour dans les années 70 avec, entre autre, la résidence De Drie Hoven à Amsterdam. Mais en France ils apparaissent dans les années 1990. Pascal Champvert, dans son établissement de Bonneuil ouvert en 1995, décide trois ans plus tard d’intégrer une halte-garderie. Sa politique est claire là-dessus, « le principe de base est que tous les gens qui n’ont rien à faire dans l’établissement doivent y venir ».3 Il intègre également un salon de coiffure ouvert au public, et accueille la police municipale et les enfants du personnel dans le restaurant de l’établissement. Même si l’équipement petite enfance, n’ayant pas été pensé à l’origine du projet, se trouve à l’écart des espaces communs et de circulation de l’Éhpad, le projet de vie, très orienté vers l’ouverture sur l’extérieur et les interactions humaines, permet de véritablement intégrer les enfants à la vie de l’institution, au travers d’activités diverses comme la peinture, des sorties, des spectacles, mais aussi sur des moments de vie partagés, comme les repas, les petits 1 Dehan Philippe, L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et Unité Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007 2 Dehan Philippe, L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et Unité Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007. p.80 3 Ibid. p.78

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déjeuners, ou même des goûters d’anniversaire. Et les relations entre les enfants et les résidents se passent en général bien, car ils sont sans a priori ; si des résidents ne veulent pas fréquenter les enfants, ils en sont libres, et, comme l’explique Sylvie Mroczek, responsable qualité, s’ils veulent s’en plaindre, car trop bruyants ou autre, ils en sont libres aussi, et c’est ça la vie, c’est aussi comme ça qu’on existe.1

1 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16

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III. Etudes de cas, deux Éhpad qui questionnent la porosité de l’institution

1. Le projet 1.1 La résidence Huguette Valsecchi, l’Ehpad dans la ZAC L’Éhpad Huguette Valsecchi, dans le 15eme arrondissement de Paris est très récent, en effet, il a été livré en 2015. Il prend place dans le cadre d’un projet de ZAC décidé au conseil de Paris. Le site est une ancienne propriété de France Télécom qui possédait le sol et le bâti et où se trouvait un atelier désaffecté.1 L’opération démarre en 2005. Mixte, elle comprend trois ensembles bâtis, le premier avec 30 logements sociaux et un grand commerce, le deuxième avec 24 logements sociaux et une résidence sociale, et le dernier, l’Éhpad, une crèche qui devait initialement être une halte-garderie, et un centre d’accueil de jour pour personnes âgées. L’agence d’architecture à la maîtrise d’œuvre est TVK, alors que les plans d’urbanisme avaient été réalisés par l’agence LLTR. La ZAC est confiée à la société d’économie mixte la SemPariSeine qui est à la maîtrise d’ouvrage. Celle-ci confie la gestion du site au bailleur social Paris habitat dans le cadre d’une vente en l’état futur d’achèvement (vefa), c’est à dire une vente sur plan. La direction actuelle qui occupe les locaux n’est de fait que le locataire de Paris habitat.2 C’est un Éhpad public géré par un établissement public autonome ; le centre d’action social de la ville de Paris (CASVP). Le CASVP met en œuvre la politique municipale d’action sociale de la ville, mais propose 1 TVK, Dossier de presse, Rue de Lourmel, Paris 15e , 2015 2 Entretien avec Emmanuel Drouard par Emmanuel Barraud, Paris, 02.11.16

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également un certain nombre de prestations, il possède une quinzaine d’Éhpad, des résidences services, des résidences appartements, un centre d’accueil de jour pour personnes âgées, des centres d’informations, des clubs seniors etc.1 Sa directrice générale est directement nommée par la maire de Paris mais possède néanmoins une autonomie de fonctionnement. C’est Anita Rossi qui est à la direction de l’Éhpad Huguette Valsecchi, dont la direction est mutualisée avec l’Éhpad Anselme Payen qui se trouve également dans le 15ème arrondissement. On comprend alors qu’au milieu de ce flou administratif, l’actuelle direction n’a eu que très peu son mot à dire dans la conception du projet. Ils ont donné un certain nombre de préconisations en tant que futurs usagers et utilisateurs, mais Emmanuel Drouard, vice-directeur, déplore que celles-ci « n’ont pas forcément toujours été entendues ».2 Cet établissement fait écho à la fermeture pour travaux de l’Éhpad Belleville dans le 20ème arrondissement de Paris. L’établissement accueillait en priorité une population bénéficiaire de l’aide sociale, et était donc principalement composée d’ancien SDF, des résidents donc plus jeunes que dans les Éhpad dit classiques, souvent des hommes, plutôt autonomes sur le plan physique, mais avec des problèmes d’addiction ou d’ordre psychologique. La résidence Huguette Valsecchi conserve ce mode de fonctionnement, tout en s’ouvrant en accueillant des personnes habitant le quartier. La population se métisse, se féminise, et devient en même temps plus dépendante.

1 Paris, Le Centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP), mis à jour le 22 décembre 2016, http://www.paris.fr/casvp 2 Entretien avec Emmanuel Drouard par Emmanuel Barraud, Paris, 02.11.16

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axonométries de l’ilot Lourmel, TVK.

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1.2 La résidence de l’Abbaye, le projet au service de l’expérimentation et de l’ouverture

La résidence de l’Abbaye, à Saint-Maur-des-Faussés dans le Val-de-Marne (94), est un Éhpad public de 209 places. Il fait partie d’un ensemble de trois Éhpad dirigés par Pascal Champvert au travers du groupe ABCD94. Cet Éhpad intercommunal, en plus de l’Abbaye, comprend la résidence des Bords de Marne dans la ville de Bonneuil-sur-Marne, et celle de la Cité Verte à Sucy-en-Brie. ABCD94 regroupe également d’autres structures publiques ; des services de logements à domicile, un théâtre intégré au site de la résidence de l’Abbaye, un centre de formation pour aide-soignante, et deux accueils petite enfance. Les trois résidences proposent également de l’accueil de jour pour personnes âgées.1 L’établissement de l’Abbaye existe depuis 1969, il avait été construit sur un vieux modèle hospitalier, avec des chambres à quatre lits et des sanitaires communs.2 L’Éhpad de Bonneuil, qui a ouvert ses portes en 95, a été construit pour permettre la restructuration de l’Abbaye. Il accueille la moitié de l’effectif des résidents séjournant à Saint-Maur-des-Faussés, ce qui offre la possibilité de passer de chambres de quatre personnes à des chambres de deux. Bonneuil se voit alors le théâtre d’expérimentations sur l’intergénérationnel qui semblent être nées des échanges entre Pascal Champvert et Sylvie Mroczek, responsable qualité de l’établissement et ancienne infirmière. Cette dernière, avait l’idée d’ouvrir une école Montessori au sein même de l’édifice, mais ce programme s’est avéré trop ambitieux et complexe à mettre en place au sein d’un établissement public, c’est alors que l’idée de la halte-garderie voit le jour.3 En effet, les communes ont bien souvent besoin de places pour les enfants, ce programme était donc cohérent. Situé au rez-de-chaussée de l’édifice, l’équipement se trouve un peu isolé, d’autant plus qu’il possède une entrée indépendante ainsi qu’un jardin protégé par une clôture. Mais, grâce à un projet de vie dynamique qui tend à créer du lien entre les résidents et les enfants, ces derniers sont très bien intégrés à la vie de l’institution. Toujours dans cette optique d’ouverture intergénérationnelle, l’établissement accueille un salon de coiffure qui offre un service ouvert à tous facilement accessible aux résidents, quant au restaurant, il reçoit la police municipale ainsi que les enfants du personnel. En 1998, les travaux de la restructuration de la résidence de l’Abbaye 1 Abcd94, Mise à jour le 09/12/2016, https://www.abcd94.fr 2 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16 3 Ibid.

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commencent. C’est l’agence d’architecture AD Quatio qui travaille sur le projet. L’ensemble se compose de deux grands ensembles bâtis, les travaux s’effectuent alors en deux phases, une première entre 1998 et 1999, et la deuxième entre 2001 et 2002.1 Une des parties de l’établissement sera ainsi toujours habitée, l’autre moitié des résidents sont envoyés, durant le temps des travaux, dans un bâtiment loué pour l’occasion qui permet de les accueillir. C’est la direction de la résidence qui est à la maitrise d’ouvrage, l’architecture est donc pensée en fonction du projet de vie mis en place. Pascal Champvert décide de pousser plus loin les expérimentations mises en place à Bonneuil-sur-Marne. Une halte-garderie y est intégrée d’office, mais aussi des locaux pour accueillir une école d’aides-soignants, une rue commerçante dans un bâtiment neuf qui vient faire le lien entre les deux grands corps bâtis, ainsi que la réhabilitation du théâtre de l’Abbaye qu’il décide d’ouvrir au public.

Perspectives de la résidence de l’Abbaye, A.D Quatio. 1 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007

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2. Le rapport à l’urbain 2.1 Valsecchi, L’Éhpad et la densité Marqué par le principe de mixité, le projet dans lequel se trouve la résidence Huguette Valsecchi se compose de trois édifices aux expressions architecturales et à la programmation bien distinctes, et dessine une place publique végétalisée en cœur d’îlot. Le projet urbain, mené par l’agence LLTR, vise à réunir en un même lieu, sur cette place, des usagers aux modes de vie et aux pratiques différentes. Le premier bâtiment, au sud de l’îlot, dessine l’angle des rues Lourmel et de l’Église. Avec son revêtement en verre profilé et ses menuiseries en aluminium, il vient marquer l’entrée sur le site en se démarquant du tissu bâti environnant, pourtant lui-même déjà très hétéroclite. Il accueille trente logements sociaux et un grand commerce au RDC, mais qui est aujourd’hui encore vacant, en attente d’un locataire. Le deuxième bâtiment, avec son bardage bois en mélèze, se découvre en même temps qu’on pénètre dans ce cœur d’îlot ouvert. Il accueille 24 logements sociaux ainsi qu’une résidence sociale de 25 logements destinés aux femmes isolées. Le troisième et dernier des édifices est celui qui nous concerne le plus particulièrement ici. Recouvert d’une peau en verre émaillé plus laiteuse et opaque que l’immeuble de l’entrée d’îlot, il dessine un angle nord ouest qui vient contenir la place centrale. Accueillant un Éhpad de 101 chambres, un accueil de jour et une crèche associative, il est formé d’une superposition de bandes horizontales décalées les unes des autres créant des jeux de débord et offrant des terrasses aux utilisateurs. Cet Éhpad se situe dans un contexte urbain dense, en 2013, la densité de la population du quinzième arrondissement s’élevait à 27 962,3 habitants au km2.1 Pour ce qui concerne son environnement à l’échelle du quartier, il se trouve dans une zone principalement constituée d’immeubles de logement. Un nombre important de commerces et de services de proximité viennent néanmoins injecter de la vie. On trouve par exemple une supérette Franprix à environ 150 mètres de l’Éhpad, une boulangerie à environ 200 mètres, et de nombreux restaurants et cafés dont les résidents semblent profiter

1 Insee, Comparateur de territoire Commune de Saint-Maur-des-Fossés (94068), Paru le 29/09/2016, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=COM-75115

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d’après les dires du sous-directeur Emmanuel Drouard.1 Le square Violet, doté de très nombreux bancs, d’un espace de jeu pour les enfants et qui est placé sous la surveillance d’un gardien, se trouve lui à moins de 300 mètres de l’Éhpad. Pour ce qui est de l’accessibilité, nous pouvons noter que les trottoirs des rues Lourmel et de l’Église vont de 2 à 4 mètres de large quand le guide pratique d’aménagement urbain de la voirie publique et privée aux normes d’accessibilité des personnes handicapées préconise 1 mètre 80, pour que deux personnes en fauteuil roulant puissent se croiser.2 Au niveau des passages piéton, trottoirs et voies de circulation sont au même niveau et bien dotés de bandes d’éveil et de vigilance qui servent de repère aux personnes malvoyantes. Pour la rue Lourmel, trottoirs et voies de circulation sont au même niveau, ce qui permet une circulation piétonne plus fluide en évitant des différences de niveaux qui peuvent être peu pratique pour des personnes à mobilité réduite.

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1 Entretien avec Emmanuel Drouard par Emmanuel Barraud, Paris, 02.11.16 2 ABC équipements collectivités, Guide pratique d’aménagement urbain de la voirie publique et privée aux normes d’accessibilité des personnes handicapées, 2013.

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Des transports en commun sont également accessibles depuis l’Éhpad, les stations de métro Felix Faure et Charles Michels se trouvent à moins de 500 mètres de celle-ci, et quatre lignes de bus passent à proximité du site, dont la ligne 42 qui empreinte directement la rue Lourmel, et passe ainsi devant le site de l’établissement. Il apparaît donc que l’Éhpad Valsecchi est facilement accessible aux visiteurs, et que les résidents peuvent pratiquer la ville sans trop de difficultés, d’autant plus que la place publique autour de laquelle s’articule le projet créée un espace tampon entre un espace public calme, où l’on s’arrête, et qui semble plus ou moins leur être dévoué compte tenu de sa position en cœur d’îlot, et les trottoirs ou le rythme s’accélère et qui les fait sortir de cette zone de confort. Nous relevons cependant que les bancs de la place, d’épais blocs minéraux fondus dans le mobilier urbain qui dessine les espaces verts, ne comportent pas de dossier, ce qui semble être peu adapté à la population dépendante d’un Éhpad. Mais, un certain nombre de résidents utilisent malgré tout ce lieu de convivialité et de rencontre, et j’ai pu observer, à chacune de mes visites, des résidents sortant de l’établissement en direction de la ville, ou en revenant. L’Éhpad et ses habitants agissent donc sur leur environnement et apportent de nouveaux utilisateurs au quartier, ce qui peut parfois créer des situations étranges du fait de la population particulière que l’institution abrite. En effet, nous avons affaire à une grande partie d’anciens SDF qui séjournaient dans l’Ehpad de Belleville, qui a fermé quand celui d’Huguette Valsecchi a été créé, et où les résidents ont tous été transférés. Il arrive que certains résidents partent sans payer après avoir consommé dans un restaurant, ou bien même, le sous-directeur m’explique retrouver régulièrement une des résidentes en train de faire la manche dans la rue.1 Mais c’est justement cette population spécifique qui permet cette grande porosité, car nous avons ici des résidents relativement jeunes et peu dépendants sur le plan physique. Pour les résidents très dépendants qui ne sont plus en état de profiter de la ville par leurs propres moyens, il semble que l’établissement ne propose que très peu d’activités ouvertes sur l’extérieur. Madame Boutigny ne peut plus se déplacer seule, on la sort de son lit le matin pour la mettre sur son fauteuil roulant, et elle y reste toute la journée, elle ne sort de sa chambre que quand on vient la chercher pour les repas. Elle m’explique qu’il y a des sorties au « cinéma », mais le cinéma s’avère être une salle de l’Éhpad Anselme Payen qui se trouve à proximité. Ancienne habitante du 15eme arrondissement, elle ne se sent pas chez elle ici, et ne pratique pas son nouveau quartier. 1 Entretien avec Emmanuel Drouard par Emmanuel Barraud, Paris, 02.11.16

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2.2 L’Abbaye, enclavée au milieu d’un site agréable mais peut adapté à la dépendance

La commune de Saint-Maur-des-Fossés est une presque-île entourée par une boucle de la Marne. Elle se situe à l’est de Paris, dans sa proche couronne. Constituée d’un tissu urbain principalement pavillonnaire, elle présente une densité de population relativement faible si nous la comparons à celle du 15eme arrondissement de Paris, 6 589,6 habitants au kilomètre carré.1 La résidence de l’Abbaye se trouve au nord-ouest de la ville, dans le quartier du Vieux Saint-Maur. Elle s’organise entre le parc de l’Abbaye, dont elle semble former la continuité, et le prolonge jusqu’au Quai Beaubourg, et donc aux bords de Marne. En réalité, le site de l’Abbaye créé une continuité verte avec le parc, mais les deux sont physiquement déconnectés, séparés par des grillages. A environ 300 mètres de marche de l’institution, nous arrivons dans le centre historique de la ville, avec l’église Saint Nicolas et le marché qui se trouve juste en face d’elle, sur la Places d’Armes, un certain nombre de commerces de proximité, de cafés et de restaurants, et un grand lycée catholique privé. Cependant, malgré cette position avantageuse dans la ville, il semble important de noter que les déplacements peuvent y être compliqués pour des personnes d’un certain âge et dépendantes. En effet, entre les bords de Marne, et donc le niveau bas du site de l’Éhpad, et l’église Saint Nicolas, nous observons un dénivelé d’une quinzaine de mètres. De plus, la voirie n’est pas toujours bien adaptée au public d’un Éhpad, déjà parce qu’elle se trouve être relativement accidentée, fait accentué par des différences de revêtements importantes qui peuvent poser des problèmes lorsque l’on se déplace avec un chariot par exemple. Dans la rue de l’Abbaye qu’il est nécessaire d’emprunter pour accéder au vieux centre, sur certaines portions, le trottoir descend à moins d’un mètre cinquante de large. Monsieur W. est un résident aidant de l’établissement, c’est à dire qu’il est venu avec sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, mais que lui-même n’est pas dépendant. Il semble être une des rares personnes qui profitent encore un peu de la vie du quartier, et il va chaque samedi acheter une douzaine d’huitres au marché de la Place d’Armes. Il raconte qu’un autre résident comme lui se rend régulièrement au marché ; « il va tout seul avec son fauteuil acheter ses huitres. C’est méritoire hein ! Parce que bon, il a un fauteuil motorisé quand même, mais il faut le faire ! Moi je 1 Insee, Comparateur de territoire Commune de Saint-Maur-des-Fossés (94068), Paru le 29/09/2016, www.insee.fr/fr/themes/comparateur.asp?codgeo=com-94068

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me mets à sa place, je me dis ; un homme courageux. »1 Le parc présente de nombreux bancs, des jeux pour enfants et des espaces ou des retraités de la ville jouent régulièrement à la pétanque. Après renseignement auprès des équipes, il semble que les résidents de l’Éphad ne se joignent pas à ces retraités, et que s’ils jouent à la pétanque, c’est entre eux, sur le site même de la résidence. Le parc s’organise en deux niveaux de terrasses, et il est nécessaire d’emprunter des escaliers pour les connecter, à moins de contourner le parc pour utiliser ses différentes entrées. La promenade le long du Quai Beaubourg est aussi très peu large au niveau de l’Éhpad, un mètre cinquante de large. Pour y accéder, il faut traverser l’axe routier, et le premier passage piéton, après être sorti du site de la résidence, est encore à 90 mètres vers l’ouest. De plus, comme l’explique Mr W., il y a des vélos qui passent relativement rapidement et qui pourraient causer des chutes graves. Cette promenade linéaire a également le désavantage d’éloigner de la résidence, « il faut revenir, on ne se rend pas toujours bien compte. »2 Quant au site de la résidence lui-même, c’est en fait un parking planté. Aucune différence entre les circulations des piétons et des automobilistes n’est marquée. Ce n’est donc pas un vrai parc, cela dit, il permet une promenade agrémentée de nombreux bancs autour de l’édifice, ce qui offre une certaine sécurité, celle d’être vu en cas d’incident, et de pouvoir rentrer rapidement grâce aux différentes entrées disposées sur chaque corps de bâtiment. N’ayant pas eu la chance de visiter l’établissement sur des jours ou la météo permettait réellement ce type d’appropriation, il m’est difficile de juger si les résidents profitent des abords de la résidence. En tout cas, ça semble être la seule promenade que Mr W. s’autorise lorsqu’il est avec sa femme. Mais d’après Sylvie Mroczek, qui travaille sur différents Éhpad, de manière générale les résidents ne sortent que très peu, « c’est toujours surprenant » dit-elle, mais qu’il y ait un parc, qu’on soit en centre ville ou pas, ils semblent que ce ne soit qu’une minorité qui en profite réellement.3 Pour ce qui est des transports en commun, la gare de Saint-Maur Créteil desservie par le RER A, et d’ici 2022 par le ligne 15 du métro Grand Paris express, est à environ un kilomètre de la résidence, c’est ici que se trouve le nouveau centre de la ville. Le bus numéro 306, qui connecte Noisy le Grand Rer et la gare de SaintMaur Créteil marque un stop sur l’avenue de Condé, à 250 mètres de l’Éhpad. Le bus 316 passe lui à 550 mètres de la résidence et connecte 1 Entretien avec Mr et Mme W. par Emmanuel Barraud, Saint-Maur-des-Fossés, 03.12.16 2 Entretien avec Mr et Mme W. par Emmanuel Barraud, Saint-Maur-des-Fossés, 03.12.16 3 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16

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Nogent le Perreux à Créteil. Mais bien sûr, les résidents, d’après Mr. Weber, n’utilisent absolument pas les transports en commun. Mais ils permettent de rendre le site plus accessible aux visiteurs, que ce soit ceux venant des villes voisines, ou même en provenance de Paris. De la rue, la résidence de l’Abbaye n’est pas visible. Elle se cache derrière d’autres bâtisses, de grands arbres, ou un mur de menuiserie qui longe la rue de l’Abbaye. C’est seulement sur le quai Beaubourg qu’on peut la voir, elle s’ouvre entièrement sur la Marne, c’est ici que l’accès par voiture se fait. Les piétons peuvent également emprunter l’impasse de la Terrasse, ou celle de l’Abbaye au sud, accès beaucoup plus anonymes, et entrer sur le terrain de l’Éhpad.

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Le site est donc relativement enclavé, et à moins d’y être invité ou d’avoir quelque chose à y faire, les riverains ont peu de chance de s’y retrouver 59


par hasard. Une fois sur le site de l’établissement, on peut alors tourner autour de cet ensemble bâti en toute liberté. Nous découvrons alors une architecture très ouverte sur son environnement et sur elle-même. Elle est composée de deux ailes principales. Une, faite d’une barre bâtie orientée est/ouest et allant jusqu’au R+4, et une autre qui dessine un L et s’arrête en R+3. Les deux sont connectées par un troisième élément nord sud en R+1, dont la façade est presque entièrement vitrée, sa toiture offre une grande terrasse aux résidents et employés de l’établissement. Les deux grandes ailes comportent aussi de nombreuses petites terrasses. De l’extérieur, la vie s’observe déjà, sur les terrasses, au travers des fenêtres ou des grandes façades vitrées. L’entrée se fait entre l’aile ouest et un petit bâtiment qui s’en décolle, c’est le théâtre de l’Abbaye. S’il est vrai que les résidents ne semblent que très peu sortir seuls de l’établissement, l’institution elle, propose par contre un grand nombre de sorties qui sont proposées par les résidents eux-mêmes. Il y a des sorties au cinéma, au musée pour voir des expositions, au restaurant etc. Des voyages sont également organisés. « J’ai le souvenir d’un monsieur qui est parti avec nous au Maroc, qui a pris l’avion pour la première fois à 86 ans, et qui a sabré le champagne » raconte Sylvie Mroczek.1 Ces sorties sont favorisées par l’argent que rapporte la location des locaux commerciaux ainsi que le théâtre, car il est reversé à l’association des résidents. Certaines personnes n’ayant pas les moyens de payer un voyage par exemple, peuvent alors bénéficier d’un aide après vote des membres de cette association.

3. Mixité programmatique 3.1 Valsecchi, une intergénérationnalité en devenir ? Concernant la mixité programmatique au sein de l’édifice accueillant l’Éhpad Huguette Valsecchi, elle n’est à ce jour (l’établissement est encore très récent) pas encore exploitée, et aucunes activités spécifiques visant à créer de l’intergénérationnalité ou à encourager des rencontres n’ont été mises en place. La crèche, qui se trouve à l’extrémité sud de l’édifice est, mise à part ses locaux techniques, totalement indépendante vis à vis de l’Éhpad. Elle possède sa propre entrée et aucune porosité physique ou visuelle n’existe entre les espaces de vie des deux programmes. Par contre, 1 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16

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certaines chambres de l’Éhpad donnent sur le jardin de la crèche, ce qui a pu causer quelques problèmes quand des résidents ont commencé à y jeter leurs mégots de cigarette. La direction a dû interdire aux résidents de fumer dans les chambres, décision compliquée car n’allant pas avec le principe de liberté de ces derniers et l’idée qu’ils sont chez eux dans cette chambre. Le problème semble être plus ou moins résolu. Concernant l’accueil de jour, bien qu’il n’y ait pas encore de porosité au travers d’activités, il partage la même entrée que l’Éhpad. Il faut ainsi traverser son hall puis emprunter les mêmes circulations verticales que les résidents et le personnel de ce dernier utilisent. Ceci créé des flux qui animent l’institution, et permettent des rencontres, au moins entre personnels qui semblent se connaître et s’apprécier. Ils parlent d’ailleurs de la mise en place de futures activités en commun.

plan RDC

plan R+2

espace commun

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bureaux

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technique et ` fonctionnement

chambre

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Le parking en sous-sol est partagé par les logements sociaux et l’Éhpad et les relie, les visiteurs n’y ont par contre pas accès. 61


La direction a très envie d’ouvrir l’établissement sur la ville, d’utiliser la richesse programmatique qui caractérise l’îlot Lourmel et de créer de l’intergénérationnalité. Ils projettent ainsi de mettre en place des activités avec la crèche, comme c’est déjà le cas à la résidence Payen, ainsi qu’avec le foyer de femmes isolées. Pour exemple, la fête des voisins organisée par la direction, sur la place, a amené beaucoup de personnes et semble avoir été l’occasion d’un beau moment d’échange et de convivialité. « C’était vraiment super. Les enfants des femmes isolées avaient fait un spectacle, on a fait une crêpe party, ça a très bien marché, il y avait des animations, de la danse, et tout le monde a dansé, personnes âgées, enfants etc. »1 3.2 L’Abbaye, un modèle d’intergénérationnalité aboutit Le théâtre le long duquel se glisse l’entrée principale de l’Éhpad appartient à l’institution. Il est d’abord là pour les évènements qui y sont organisés, avec ou pour les résidents. Pour exemple, une nouvelle arrivante, Madame L. 92 ans, ancienne chorégraphe, a eu l’opportunité de monter une pièce qui retrace sa vie. Les acteurs étaient tous du personnel de l’Éhpad qui se sont engagés bénévolement dans ce projet. Cette pièce a permis de redonner de l’énergie à cette femme qui, après cette pièce, a décidé de s’investir dans la vie de l’établissement notamment en rejoignant le comité d’accueil pour les nouveaux résidents, elle a retrouvé « assez d’énergie pour donner à d’autres ».2 Les locaux permettent aussi d’organiser des conférences ou des projections pour les résidents. Mais la salle accueille également des événements extérieurs. Il a une programmatrice qui va au festival d’Avignon tous les ans. Ils proposent des résidences aux compagnies qui peuvent alors utiliser le théâtre pour répéter, et y jouent par la suite leur pièce. Il y a deux trois représentations par mois. L’entrée qui jouxte le théâtre est aussi celle utilisée par l’équipement petite enfance, constitué d’une halte-garderie et d’une crèche pour les enfants de la ville (18 mois à 3 ans). Ses locaux se trouvent au RDC de cette même aile, dans sa partie nord. Entourée de bureaux, d’un petit salon bibliothèque, et d’un accueil de jour à son extrémité, qui lui, possède une entrée indépendante. Les espaces de la petite enfance ne sont pas visibles depuis l’intérieur de l’édifice, ils se cachent derrière des cloisons et une porte opaque. 1 Entretien avec Emmanuel Drouard par Emmanuel Barraud, Paris, 02.11.16 2 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16

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Mais les enfants sont véritablement intégrés à la vie de l’institution, le matin ils prennent leur petit déjeuner avec les résidents dans les différents salons d’étage, où se trouvent les logements. C’est l’occasion de quelques mots échangés, d’un sourire ou d’un bisou. Ils s’occupent ensemble d’un jardin potager. Des activités et animations en commun sont également proposés aux retraités qui souhaitent y participer, peinture, cuisine, contes et poterie figurent, entre autres, à la liste de ces activités, quotidiennes ou hebdomadaires. Des sorties et voyages en communs sont aussi proposés. Mais en dehors de ces temps d’échange programmés par l’institution, les flux se croisent, les gens se rencontrent de manière inopinée, et les résidents sont d’ailleurs toujours bien venus à la halte pour passer du temps avec les enfants. La collaboration et la bonne entente des équipes est ici fondamentale au maintien de cette ouverture. Dans la partie sud de cette aile, de l’autre côté de l’accueil, se trouvent des logements, les seuls en RDC. Perpendiculairement à cette aile, en partant de l’accueil, une rue intérieure organisée comme une galerie avec des commerces et des locaux dédiés aux activités. Dans les espaces dédiés à l’institution uniquement, donc aux résidents et éventuellement à la petite enfance, on trouve une boutique qui vend des habits et des objets en tout genre pour « quatre sous ». Les résidents peuvent y passer commandes pour presque tout type de demandes, ce qui est très pratique pour des personnes dépendantes. Un café littéraire ou se déroule des clubs de lecture et autres activités liées à la littérature, et un atelier d’art où l’on pratique la peintre et la poterie. Mais cette galerie a aussi pour but de faire venir des gens qui n’ont absolument rien à voir avec l’Éhpad, on trouve ainsi un « espace sensoriel » qui est en fait un salon de massage, un salon d’esthétique et un salon de coiffure dans lesquels les résidents bénéficient de tarifs préférentiels, un espace de bien-être qui est loué pour des cours de yoga ou de qi gong entre autres, et un dernier local loué à l’association « Jumeaux et plus ». Mr W. qui utilise le coiffeur explique ; « les résidents viennent par le couloir central, ils viennent de l’intérieur. Et ceux qui viennent de l’extérieur arrivent bien sûr habillé ; manteau, parapluie quand il pleut. On sait que c’est des gens de l’extérieur. C’est comme ça qu’on peut les distinguer ». Les clients extérieurs de ces commerces ne semblent donc pas utiliser les espaces de circulations de l’Éhpad, et ce n’est pas non plus des lieux ou de vraies amitiés naissent, mais ça reste l’occasion de contacts courtois. Les résidents ne sont pas isolés. Au-dessus de cette galerie se trouvent les bureaux de l’administration. 63


plan R+1

espace commun bureaux technique et fonctionnement circulation verticale crèche, école d’aide soignante, accueil de jour chambre commerce ouvert locaux réservé à l’Éhpad

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plan RDC

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La galerie débouche sur l’aile est, on y trouve le restaurant qui vient se décrocher de la masse bâtie en une forme curviligne entièrement vitrée, mais avec une couverture en dur. Elle intègre également un bar ouvert toute la journée. On trouve ensuite la cuisine, des bureaux, des locaux techniques, la pharmacie de la résidence, mais aussi une école d’aide-soignante dont parfois les locaux sont loués pour des formations en ostéopathie. Les enfants déjeunent avec les résidents, ils ont leurs propres tables, mais les retraités peuvent s’y joindre. Les étudiants ainsi que le personnel de la résidence utilisent aussi le restaurant, mais à horaires décalés. Familles et invités peuvent eux aussi manger à la résidence, il suffit pour cela de payer à l’accueil. Les repas sont de fait, des moments privilégiés de convivialité et d’échange, de rencontre entre résidents, enfants, visiteurs et personnel. Dans les étages des deux ailes se trouvent les logements. Parfaitement intégrée dans l’ensemble des logements, on y trouve, une petite unité d’une dizaine de résidents pour personnes âgées handicapées. Ils ont leurs propres soignants, sont plus jeunes et donc moins dépendants dans un sens, ce qui leur permet de faire des activités que ne peuvent pas suivre les autres, comme la piscine. Mais ils déjeunent avec les résidents classiques, et partagent un grand nombre d’activités avec eux, apportant une énergie nouvelle. Au quatrième étage se trouve une unité d’hébergement renforcé (UHR) qui accueille des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée qui présentent des troubles sévères du comportement. Ce type d’unités accueille au maximum 14 personnes et cherche à vraiment intégrer les familles dans la vie quotidienne. Ces personnes ne supportent que difficilement le contact avec un grand nombre de personnes et réclament un certain calme. Ils se trouvent donc volontairement isolés. Au delà de ce service UHR, on se rend compte que tout est ici fait pour que les utilisateurs des différents programmes se croisent, se rencontrent, grâce à la répartition des locaux dans l’espace, et au partage des circulations et accès. De plus, l’administration et les équipes travaillent en étroite collaboration avec l’AFABEC (Association des familles de l’Abbaye, des bords de Marne et de la cité verte), ce qui permet d’intégrer encore plus les familles dans la vie de l’institution, et de faire rentrer la vie privée et l’histoire de chaque résident.

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4. Les espaces collectifs 4.1 Valsecchi, l’institution ou la vie ? Les parties communes du RDC sont entièrement vitrées et s’ouvrent de fait sur leur environnement. L’entrée se fait dans l’angle sud de l’équerre formée par l’édifice, nous arrivons dans un hall traversant, reliant la place publique et le jardin privé de l’Éhpad. Mais le jardin, plus large dans sa partie est, est ici très exiguë, seulement 7 mètres de profondeur avant de tomber sur le haut mur aveugle de la propriété voisine. En découle une impression d’écrasement et de déséquilibre peu engageante. Dans ce hall, on trouve l’accueil. Une rangée de chaises y fait face, ce qui fait penser à une salle d’attente, impression renforcée par la musique et la petite bibliothèque principalement remplie par des livres d’histoire et des romans. D’ailleurs, c’est là que les résidents attendent lorsqu’une activité extérieure est proposée, comme une sortie au « cinéma » par exemple. Cependant, c’est aussi un espace de vie, que tous les visiteurs et utilisateurs des lieux doivent traverser, et c’est ce qui le rend attractif pour un certain nombre de résidents. En effet, à chacune de mes visites, quelle que soit l’heure, j’y ai trouvé des personnes âgées, toujours les mêmes, qui sont là, assises, et qui peuvent ainsi observer le mouvement généré par cet espace de circulation et de rencontre. C’est, de plus, à ce même niveau que se trouve l’administration, autre générateur de vie. Mais, le couloir desservant les bureaux qui donnent directement sur le hall est fermé par une porte. Il y a le monde des résidents, et le monde administratif, cette porte vient marquer une frontière claire. Pourtant, le plan s’organise autour d’un bloc technique autour duquel on a envie de pouvoir circuler librement, ce qui éviterait de créer cet effet de zones cachées, zones de services, moteur de l’institution, et de créer un lieu plus communautaire où tous cohabitent. Séparée du hall par une large cloison vitrée, la salle à manger avec son « bar » s’ouvre visuellement sur le jardin et la place grâce à une façade entièrement vitrée elle aussi. Des rideaux blancs translucides ont été placés pour préserver une certaine intimité et se protéger des rayons du soleil. La salle d’animation s’ouvre également sur le hall et le jardin arrière. Ici aussi, l’espace s’organise autour d’un bloc technique, dans lequel on trouve entre autres des WC, et l’ascenseur qui vient connecter le sous-sol et donc les locaux techniques et la cuisine. Les plats principaux viennent 66


de l’Éhpad Payen, mais les entrées et desserts sont préparés sur place. Les chariots avec les plateaux arrivent ainsi par cet ascenseur, soulignant encore le zonage entre les différentes fonctions de la résidence, et donnant cette impression de machine à faire vivre les résidents, les plateaux partiront comme ils sont venus, dans ce sous-sol technique que les habitants de l’institution ne visiteront jamais. Le visiteur trouve difficilement sa place dans ces espaces communs. Il doit d’ailleurs commencer par signaler sa présence dès son arrivé en signant un formulaire dans lequel il doit indiquer son nom, son heure d’arrivée et la raison de sa visite. Procédure à répéter au moment du départ. Ce qui ressort de ces espaces pourtant très ouverts et poreux, c’est que l’institution y est très prégnante, ce qui vient probablement aussi du fait que le mobilier et la décoration y sont très impersonnels. Quelques autocollants de végétation collés au bas des cloisons vitrées, et du mobilier de catalogue qui se répète sans variations de modèle ou de couleur. Il manque ici de la sensibilité, le cœur qu’on peut mettre lorsque l’on décore son propre logement. Les décorations de Noël ont d’ailleurs, momentanément, apporté un peu de vie à ces espaces. Mais encore une fois, cet établissement est très récent, et cela est probablement amené à évoluer. Lors de mes visites, et durant les moments que j’ai passé assis dans ce hall, je n’ai vu aucun des résidents sortir profiter de la place. Par contre, un certain nombre d’entre eux sortaient pour une promenade dans le jardin, ou même pour s’y asseoir un moment. De la même manière que sur la place, les bancs qui y ont été aménagés ne possèdent pas de dossiers. Des chaises ont été disposées pour plus de confort, et elles sont utilisées. Dans les trois premiers étages se trouvent les chambres, trente-quatre au premier et deuxième étage, trente-trois au troisième. Chaque niveau comprend un salon d’un peu plus de 50m2 qui articule les deux ailes du bâtiment. Il est tourné vers le cœur d’îlot et sa place. En lien avec ce salon, un office alimentaire géré par les équipes soignantes, et un espace de soin. A ce grand salon s’ajoute un salon plus petit, fermé, où se trouvent des sièges et une télévision. Les espaces de circulation sont en majorité ouverts vers l’extérieur avec des fenêtres à leurs extrémités, qui cadrent des vues sur la ville. Cependant l’apport de lumière naturelle reste insuffisant et il faut des luminaires allumés en permanence. Un bloc technique se positionnant entre le grand salon et les chambres donnant sur le nord permet un mouvement circulaire dans les étages. C’est un élément particulièrement nécessaire dans le cas des résidents atteints de la maladie d’Alzheimer. En effet, à un certain stade de la maladie, les patients ressentent un important besoin de déambuler. « La déambulation 67


est le symptôme d’une anxiété, d’une tension passagère ou installée chez certaines personnes malades. La contraindre est générateur de fortes perturbations et de crises » nous explique Jacques Tolleron dans son ouvrage Alzheimer : les structures d’accueil, pour une meilleure qualité d’usage des bâtiments.1

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Coupe Huguette Valsecchi

Ici, tous les résidents atteints de la maladie d’Alzheimer et les autres démences qui lui sont affiliées sont réunis au R+1. L’entrée dans cet étage est libre, mais pour en sortir, il faut entrer un digicode. Bien sûr, les résidents qui y vivent ne le connaissent pas, ils ont donc besoin d’être accompagné pour toute sortie, que ce soit pour aller déjeuner ou diner au RDC (la moitié environ de ces résidents prennent leurs repas à l’étage, leur maladie rendant difficile le rapport aux autres), ou sortir de la résidence. Cette unité est donc particulièrement isolée puisque les circulations verticales ne présentent aucune ouverture visuelle sur ces espaces. D’une manière générale, les niveaux de logements sont, à l’image du RDC, assez froids avec un mobilier unifié toujours très impersonnel est une décoration inexistante. La vie de l’Éhpad semble être ici assez hermétique à la vie hors de l’institution. Seules des vues données par les baies et la terrasse nous permettent d’observer la ville, mais la position de l’Edifice en cœur d’îlot ne permet pas de cadrer sur des lieux de forte activité. Par contre, la circulation s’y fait de manière très fluide toutes les portes étant maintenues ouvertes avec un principe de ventouse, et ne se referment qu’en cas d’incendie. 1 Sous la coordination de Jacques Tolleron : Alzheimer : les structures d’accueil, pour une meilleure qualité d’usage des bâtiments, Paris, Certu, 2013

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4.2 L’Abbaye, une institution comme une ville. Une des choses qui frappe lorsque l’on visite la résidence de l’Abbaye, c’est la grande porosité de son architecture. A peine sommes-nous entrés que l’on se retrouve déjà projetés sur l’extérieur. L’accueil qui articule les deux niveaux de RDC qui suivent le terrain naturel intègre des circulations verticales ; des ascenseurs à double sens d’ouverture qui permettent ainsi de desservir des demis niveaux induis par la topographie du terrain, mais également des escaliers et une rampe qui suit la courbe d’une haute façade vitrée créant un vide sur 3 niveaux et regardant vers le parc de l’Abbaye. Ce vide permet également de lier visuellement ce hall avec des salons d’étages qui sont néanmoins fermés par une cloison vitrée créant un jeu d’intérieur extérieur. Après avoir emprunté la rampe ou les escaliers, et être donc au niveau du RDC haut, on accède d’abord à un salon que les résidents appellent l’atrium, puis à la galerie qui est ainsi également visible depuis les salons d’étage. Cette galerie est percée en son centre d’une large trémie dans le plancher du R+1, espace des bureaux de l’administration, et dont la toiture terrasse est à cet endroit percée, offrant une entrée de lumière naturelle et un éclairage zénithal. Son traitement n’est pas sans rappeler les passages couverts parisiens. De plus, les commerces et salles d’activité sont entièrement vitrés et sur l’intérieur, sur la galerie où se fait les accès des résidents, et vers l’extérieur, où se fait l’accès des utilisateurs. A l’autre bout de cette galerie, une placette circulaire organise les circulations et dessert le restaurant et l’aile est de l’ensemble bâti. Le restaurant, comme nous l’avons déjà précisé, se décroche de la masse bâtie et est entièrement vitrée. La large circulation qui part de la placette et marque la première partie du L de l’aile est, donne sur le parc de la résidence et l’aile ouest qu’elle regarde. Elle est agrémentée de sièges et de petites tables sur lesquelles se proposent des magazines. On trouve toujours des résidents qui s’y reposent. C’est aussi des lieux où les résidents peuvent se retrouver entre eux, ou avec des amis ou de la famille ; « La dernière fois nous avons été jouer aux cartes dans l’atrium. Et indépendamment de l’atrium, dans l’allée commerçante si on peut dire, il y des petits évidements avec une table deux chaises, trois chaises, vous avez pu voir. Et dans l’allée qui va vers l’autre bâtiment, il y a encore un grand passage avec une grande façade vitrée qui donne sur un très beau jardin d’ailleurs. Et là vous avez des tables avec des revues etc. Bon, on peut recevoir où on veut, quand 69


on veut, en toute discrétion, en toute tranquillité » raconte Monsieur W. 1 Néanmoins, nous retrouvons également des espaces plus traditionnels de la maison de retraite et des édifices médicaux sociaux, de larges couloirs encadrés de portes fermées. C’est d’ailleurs sous cette forme, qui a été induite par la structure bâtiment ancien et rénové, que s’organise tous les logements, autour des couloirs d’un mètre quatre-vingt de large qui les dessert. La plupart s’ouvrent en leur extrémité vers l’extérieur et accueillent parfois de petites terrasses, parfois ils sont aveugles, mais débouche sur un petit salon qui lui comporte une ouverture. Cependant, l’apport en lumière naturelle est insuffisant et nécessite l’utilisation de luminaires. Mais il est vrai que tous les salons d’étages qui séparent et articulent ces couloirs sont très ouverts sur l’extérieur et se prolongent souvent d’une terrasse. Un des éléments qui permet cette fluidité des mouvements et des regards qui caractérise la résidence de l’Abbaye, c’est que l’architecture évite le plus possible d’utiliser des portes pour séparer les différents espaces, et quand cela a été nécessaire, ce sont des portes coupes feu largement ouvertes, qui se ferment automatiquement en cas d’incendie, elles se font alors oublier. Il est ainsi possible, au R+1, de passer de l’aile est à l’aile ouest en traversant l’espace de l’administration sans jamais être arrêté. Le visiteur se sent libre de circuler librement dans ces lieux sans jamais se sentir de trop. Ainsi, à tous les niveaux, les vues se multiplient et les regards se croisent. Le plan, de par sa complexité et son dessin, avec des articulations dessinant des places plus ou moins grandes, avec ses recoins à s’approprier, et son échelle assez impressionnante fait penser à une ville couverte. Autre fait notoire dans l’appropriation de ces espaces communs c’est son mobilier et sa décoration. Le mobilier y est divers, on peut retrouver un modèle de chaise avec une certaine couleur un certain nombre de fois, et parfois trouver un banc qui fait pièce unique, « et puis vous avez à l’accueil quelque beaux spécimens de meubles qui ont peut-être été laissés par des gens, ça je ne sais pas. Mais il y a une petite commode, vous verrez en bas de l’escalier qui a 4 marches, elle irait bien chez Drouot ».2 Les couloirs des logements sont toujours ornementés de tableaux, et la peinture change de couleur à chaque étage. Nous pouvons trouver des pièces de décoration ou d’art posées là, dans un salon, ou un ours en peluche reposant sur une petite table. C’est l’éclectisme de ces éléments qui donne un caractère plus familier au lieu, qui lui donne vie. L’espace est personnalisé, on comprend 1 Entretien avec Mr et Mme W. par Emmanuel Barraud, Saint-Maur-des-Fossés, 03.12.16 2 Entretien avec Mr et Mme W. par Emmanuel Barraud, Saint-Maur-des-Fossés, 03.12.16

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que des gens habitent ici. Et d’ailleurs, aux deux entrées se trouvent les boites aux lettres des résidents, comme dans n’importe quel immeuble d’habitation.

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Coupe longitudinale, résidence de l’Abbaye.

Coupe sur la galerie marchande et les bureaux, résidence de l’Abbaye.

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5. La chambre 5.1 Valsecchi, la chambre, lieu de repos et de soin. Les chambres sont relativement petites mais dans la norme française. Elles vont de 20 à 22 m2, et comportent une salle de bain et une pièce avec un lit en son centre. Les résidents disposent tous d’une clé, ce qui permet de marquer le caractère privé de ce lieu. Ils sont autorisés à y apporter leur mobilier et à la décorer selon leurs gouts. Certains le font, mais cette initiative est relative au niveau de dépendance et à la vitalité mentale du retraité. La majorité garde une chambre très simple. De plus, la surface de 71

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ces petits appartements limite cette appropriation. Il faut pouvoir circuler librement d’après les normes PMR en vigueur, c’est donc sous la réserve de l’accord de l’adjoint technique que cet aménagement se fait. Il est par contre parfaitement interdit d’emmener son animal de compagnie. Chaque chambre possède une fenêtre, dont l’allège est plus basse que dans un logement classique, ce qui permet de s’adapter à la vue plus basse des résidents, souvent assis ou alors dans leur lit. Les chambres sont principalement des lieux de repos et de soin, il y est très difficile de recevoir des visiteurs de manière conviviale, car la place manque pour y installer table et chaises. Ce type de rencontre est alors renvoyé dans les espaces communs de l’institution. En discutant avec une résidente contrainte de passer ses journée dans sa chambre, assise sur son fauteuil roulant, celle ci m’explique qu’elle ne se sent pas chez elle ici, elle vit dans les locaux d’une institution. Notre entretien a d’ailleurs été écourté par des soignants qui sont venu toquer à sa porte, ils voulaient l’emmener aux wc, elle n’en avait pas envie, mais les plannings sont séré. J’ai quitté la chambre et sa résidente.

22.16 m2

5m

Plan de chambre type, résidence Huguette Valsecchi

5.2 L’Abbaye, le projet de vie et la norme. Le personnel de la résidence de l’Abbaye utilise tous le terme de « logement », et refuse l’utilisation du terme de « chambre ». Les logements, dont les surfaces vont de 24 à 26 mètres carrés, sont plus grands que ce qui est recommandé par la réglementation. Cela permet de libérer des « coins » plus agréables d’utilisation ; coin salon et coin kitchenette. A noter que dans bon nombre de cas, les résidents ont préféré ne pas garder la kitchenette, qu’ils ne considéraient pas vraiment utile. Ce qui leur permet de libérer un espace et une surface de mur à s’approprier avec du mobilier personnel. Chaque logement possède deux fenêtres, offrant des vues différenciées selon la place qu’on occupe dans l’espace. Ces baies descendent jusqu’au nez de dalle, offrant une large vue sur l’extérieur, 72


quelle que soit notre position. Chaque résident possède sa propre clé, et les employés de l’établissement toquent et attendent toujours une réponse avant d’entrer dans les appartements. Les habitants choisissent l’heure à laquelle on viendra faire le ménage chez eux, l’heure à laquelle ils se lèvent, et donc l’heure à laquelle les aides-soignants vont venir les voir etc. Autant de petites choses qui font que l’espace revêt son caractère privé, et tend à faire domicile.1 Mais sur la question du mobilier et de la décoration, du matériel que les résidents souhaitent apporter avec eux, l’institution et la norme reviennent. Tous les appareils électriques doivent répondent à certaines normes précises, l’électricien doit donner son accord ; « l’électricien est venu et il m’a dit « pas de ça ». Il a coupé le câble, « je ne veux pas voir ça ici », pour pas qu’on l’utilise. Alors ça surprend. » raconte Monsieur W.2 Son frigidaire a également été contrôlé quand il est arrivé avec sa femme. Les rideaux sont traités, « anti feu » et le revêtement mural de la salle de bain est hydrofuge, il est parfaitement interdit d’y percer un trou. Par contre, contrairement à la résidence Huguette Valsecchi, les animaux de compagnie sont acceptés, et on trouve effectivement régulièrement un chat qui se promène dans l’établissement, qui attend que quelqu’un utilise l’ascenseur pour l’emprunter lui aussi, j’ai également pu rencontrer un résident avec son chien. Malgré les normes qui peuvent être pesantes, et les surfaces qui restent contraignantes, tout est fait pour que les résidents puissent habiter cet espace du mieux qu’ils le peuvent.

26 m2

24 m2

26 m2

26 m2

5m Plans de chambres types, résidence de l’Abbaye

1 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16 2 Entretien avec Mr et Mme W. par Emmanuel Barraud, Saint-Maur-des-Fossés, 03.12.16

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Conclusion

Ce qui fait un Éhpad, ce qui le dessine, c’est la réglementation, les normes en vigueur, c’est l’économie du projet, mais c’est surtout les visions couplées d’une maîtrise d’œuvre et d’une maîtrise d’ouvrage. Quand le projet de la résidence de l’Abbaye voit le jour, c’est la direction de l’établissement qui est à la maîtrise d’ouvrage, on comprend alors que les ambitions qu’elle porte dessinent véritablement le projet réalisé par l’agence d’architecture AD Quatio. Pour Huguette Valsecchi, la situation est beaucoup plus complexe. C’est la SemPariSeine qui est à la maîtrise d’ouvrage, pour un site dont la gestion revient à Paris habitat dans le cadre d’une vente en l’état futur d’achèvement (vefa), et avec une direction qui n’est que locataire. L’origine des ambitions, en termes d’intergénérationnalité et d’ouverture sur la ville, que le projet porte est plus floue, et l’approche semble plus rhétorique. Nous avons bien un bâtiment qui accueille trois programmes distincts, mais dans le cas de la crèche, aucune porosité physique n’existe entre les deux programmes. Et dans les faits, les rencontres ne se font pas, une résidente confie même qu’elle ignorait l’existence de cet équipement. Anita Rossi, directrice de l’établissement ambitionne de mettre en place plus de porosité avec la crèche et les différents programmes de l’îlot Lourmel, comme l’accueil de jour ou le foyer de femmes isolées, mais ces projets prennent du temps. À l’Abbaye, les choses sont bien différentes. La halte garderie appartient, au même titre que l’Éhpad, au groupe ABCD94 dirigé par Pascal Champvert. Il en est de même pour l’école d’aide-soignante ainsi que l’accueil de jour qui prennent place dans cet édifice. De plus, la porosité physique est réelle puisque les accès sont les mêmes pour tous. Des activités et de multiples rencontres existent entre les personnes âgées et les enfants, et sont facilitées par la direction commune. 75


L’accès de l’Éhpad Huguette Valsecchi et de l’accueil de jour est tout de même partagé, ce qui permet aux flux de se croiser, mais l’accueil de jour possède son propre étage, ce qui sépare les deux programmes. Ces croisements fugaces, ces rencontres, même brèves, animent un établissement, et permettent de créer un véritable lieu de vie. Nous l’avons vu, la dépendance est la condition des Éhpad, 55% des résidents ont un GIR 1 ou 2, très peu de résidents peuvent d’eux-mêmes se confronter à la vie extérieure.1 Faire venir cette vie au sein des murs permet de donner naissance à un espace social complexe. Quand Huguette Vaslecchi est un espace qui finalement reste monofonctionnel, malgré les accès partagés avec l’accueil de jour ; la résidence de l’Abbaye tend à reproduire une ville à échelle réduite. On y trouve des équipements, des commerces, des places, des rues, des logements, des bureaux etc. Et comme la ville européenne, ces espaces sont complexes, poreux, nous pouvons passer de l’administration aux appartements, des espaces techniques aux restaurant, sans jamais rencontrer d’obstacles physiques. L’architecture offre une importante porosité, ainsi que des jeux de regards et de volumes complexes permis par les dimensions extrêmement généreuses du site. Beaucoup plus contraints par le volume que les dessins de l’agence d’urbanisme LLTR ont donné au projet, les architectes de TVK ont produit un établissement plus traditionnel, où les fonctions sont bien rangées : le sous-sol technique, les bureaux fermés et séparés du hall, le restaurant ouvert vers l’extérieur, et les chambres aux étages. Comme si la vie qui fait l’établissement était dissimulée au regard des résidents ; des résidents qui ne doivent plus que se contenter d’exister dans le cadre que l’institution leur octroie. Pour les chambres, dans les deux projets, on se rend vite compte que les surfaces relativement petites, et le poids de la réglementation, les rendent très durs à habiter. La place du lit est définie par les normes PMR, il se situe au centre de la chambre, les espaces disponibles restants, et appropriables à l’aide de mobilier, sont très restreints. Les techniciens des Éhpad doivent toujours valider les installations qui sont faites, contrôler les appareils électriques etc. L’institution est extrêmement présente dans ces espaces privés. 1 CNSA, Les soins en Éhpad en 2013 : Le financement de la médicalisation et le bilan des coupes pathos, Juillet 2014.

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Pascal Champvert, dans ses futurs établissements, travaille avec les architectes à obtenir des appartements de 28m2, pour cela, il faut faire des économies ailleurs, en réduisant les espaces du personnel par exemple.1 Si la porosité est bénéfique ; du personnel qui ne trouve plus d’espaces où se réunir, où s’isoler, cela pourrait poser problème. Colette Eynard et Didier Salon nous expliquent que dans certains établissements où les locaux du personnel sont entièrement vitrés, et placés au milieu des espaces de vie, les employés finissent bien souvent par les recouvrir entièrement de papier et d’affiches, cherchant ainsi à s’extraire du regard des résidents.2 Dans le cas de petites unités qui ne leur prévoyaient pas d’espace séparé et propre à leur utilisation, les employés éprouvaient le besoin de s’approprier de manière assez agressive des espaces comme des placards, dont ils refusaient catégoriquement l’accès aux résidents. Cependant, les expérimentions d’ABCD94 dans cette recherche d’équilibre de surface entre les espaces privés du logement, les espaces de travaille et les espaces communs seront peut-être le lieux de propositions innovantes et sont à suivre. Concernant l’environnement extérieur direct des Éhpad, et l’urbanisme de leurs quartiers, même s’il est vrai que dans la majorité de ces résidences, plus de la moitié des habitants sont lourdement dépendants et ne sortent donc pas seuls de l’établissement, il n’en reste pas moins qu’un certain pourcentage de ces personnes âgées sont encore dans la capacité d’en profiter de manière autonome, et que la qualité donnée aux espaces publics et à la voirie augmentera ce pourcentage. La moindre parcelle d’autonomie est précieuse pour une personne dépendante. En prenant en compte la dépendance mais aussi le handicap lors du dessin des villes, nous faciliterons la vie de beaucoup de monde. Une personne utilisant des béquilles de manière temporaire, ou une femme enceinte par exemple, en bénéficieront également, c’est ce que les anglo-saxons appellent la « conception universelle ».3 De la même manière, en créant des Éhpad plus ouverts, plus humains, ce n’est pas seulement les résidents qui en profiteront, mais aussi tous ceux qui y travaillent, créant une dynamique plus positive à tous les niveaux. 1 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16 2 EYNARD Colette, SALON Didier : Architecture et Gérontologie, Peut-on habiter une maison de retraite ?, Paris, l’Harmattan, 2009, p.87 3 DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007

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La porosité est une proposition riche en dynamique et en humanité qui a fait ses preuves, mais elle ne doit pas chercher à s’imposer en un modèle unique, elle est un des éléments du mieux-être qui peut se décliner selon la singularité des projets. Sylvie Mrozcek le dit bien en parlant de la résidence de l’Abbaye; « nous correspondons à des attentes de résidents, de familles. Mais nous ne pouvons pas répondre à certaines attentes. Des personnes qui veulent beaucoup de sécurité par exemple ; nous ne correspondons pas à leurs besoins. »1 Tout comme nos sociétés sont complexes, et les modes de vie qui s’y retrouvent multiples, la proposition de prise en charge de la dépendance doit l’être, permettant aux personnes âgées concernées de s’exprimer, en leur offrant la possibilité de faire des choix, de se positionner. L’architecte peut être au cœur de ce processus de réflexions, en être un des vecteurs : à lui d’ouvrir et de structurer les espaces pour que ce temps si fragile et délicat de la vieillesse garde sa dignité et son sourire.

1 Entretien avec Sylvie Mroczek par Emmanuel Barraud, Bonneuil Val-de-Marne, 18.11.16

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Bibliographie

Ouvrages et Rapports : ARRECKX Maurice : L’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées dépendantes, Paris, assemblée nationale, 1979 BOURDELAIS Patrice, L’âge de la vieillesse, Paris, Odile Jacob, 1997 Sous la direction de CHAPON Pierre-Marie : Bâtir une ville pour tous les âges, La documentation Française, Paris, 2013, p.11. DEHAN Philippe : L’habitat des personnes âgées, du logement adapté aux Éhpad, USLD et unités Alzheimer, Paris, Le Moniteur, 2007 EYNARD Colette, SALON Didier : Architecture et Gérontologie, Peut-on habiter une maison de retraite ?, Paris, l’Harmattan, 2009 FRANCIS Jean Christophe, Du grain à moudre, Les maisons de retraite sont-elles des lieux de privation de liberté ? 11.03.2013, France Culture LE BOULER Stéphane : prospective des besoins d’hébergement en établissement pour personnes âgées dépendantes, premier volet : détermination du nombre de places en 2010, 2015 et 2025. Cahier du Plan n°11, septembre 2005. RAHOLA Axel, Rapporteur du Comité interministériel de la dépendance : Synthèse du débat national sur la dépendance, Juin 2011. DREES Sous la coordination de Jacques TOLLERON : Alzheimer : les structures d’accueil, pour une meilleure qualité d’usage des bâtiments, Paris, Certu, 2013

Études : Espérance de vie : peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ? Population et Société, INED, INSEE n°473, décembre 2010, N° ISSN 0184 77 83 L’offre en établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2011, Études et résultats, n°877, février 2014, DREES Les soins en Éhpad en 2013 : Le financement de la médicalisation et le bilan des coupes 81


pathos, Juillet 2014, CNSA 693 000 résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2011, Études et résultats, n°899, décembre 2014, DREES

Revues : A’A’ L’Architecture d’Aujourd’hui, Numéro 405, mars 2015, Architecture thérapeutique D’A D’Architectures, Numéro 239, Octobre 2015, Ehpad : architecture du grand âge. D’A D’architectures, numéro 186, novembre 2009 Les cahiers techniques du bâtiment, numéro 337, Novembre 2014

Textes de loi : Arrêté du 26 avril 1999 fixant le contenu du cahier des charges de la convention pluriannuelle prévue à l’article 5-1 de la loi no 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales. JORF n°98 du 27 avril 1999 Arrêté du 19 novembre 2001 portant approbation de dispositions complétant et modifiant le règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP type J). NOR: INTE0100689A. Version consolidée au 27 décembre 2016 Décret n°2001-1084 du 20 novembre 2001 relatif aux modalités d’attribution de la prestation et au fonds de financement prévus par la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie.

Communiqués : Conseil de l’Europe, 6e conférence des ministres européens responsables de la Sécurité sociale (Lisbonne, 29/31 mai 1995), communiqué final, Strasbourg, MSS-6 (95)

Sites internet : Service public, Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre), vérifié le 01 octobre 2016, https://www.service-public.fr/particuliers/

vosdroits/F763

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Émissions de radio : Jean Christophe Francis, Du grain à moudre, Les maisons de retraite sont-elles des lieux de privation de liberté ? 11.03.2013, France Culture

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ANNEXES

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Entretien avec Emmanuel DROUARD, sous-directeur des l’Ehpad Huguette Valsecchi et Anselme Payen, par Emmanuel BARRAUD, Paris, 28.11.16

EB : Qui est à l’origine de ce projet, qui est à la maîtrise d’ouvrage ? ED : C’est un projet qui est assez ancien, puisqu’à l’origine, il y avait ici un garage de la poste avec peut-être même un musée de la poste. La poste était propriétaire du sol et des locaux qui étaient dessus, du bâti. En fait, il y a eu une opération immobilière avec une ZAC, une zone d’aménagement concerté, donc tout s’est décidé dans le cadre de votes au conseil de Paris. Il y a eu des temps un peu longs, je crois que le démarrage de l’opération doit dater de 2005. Cette ZAC a été confiée à la SemPariSeine qui était maîtrise d’ouvrage sur ce projet ; c’est une assez grosse société d’économie mixte, qui était donc à l’origine de ce projet de cœur d’ilot avec différents types de bâtis autour d’une rue et d’une place, mais une rue qui se présente plus, de fait, comme une impasse… EB : Je pensais en voyant les plans qu’il y avait plusieurs accès, mais en fait il n’y a qu’un seul accès. ED : Oui, il y a un seul accès, un seul et unique accès pour entrer et sortir. Voilà donc comment cela s’est décidé : La SemPariSeine a été maîtrise d’ouvrage, et a confié la gestion du site à Paris habitat qui est un bailleur social, un des gros bailleurs sociaux de France et en tout cas un des plus gros de Paris. Mais de fait paris habitat n’a pas eu de maîtrise d’ouvrage délégué. Paris habitat est le propriétaire dans le cadre d’une VEFA . EB : C’est quoi une VEFA ?

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ED : Une vente en l’état futur d’achèvement. Donc Paris habitat a acquis sur plan, dans le cadre d’une VEFA décidée par la SemPariSeine. EB : Le concours d’architecture a été organisé par la SemPariSeine du coup. ED : Oui, Paris habitat d’une certaine façon est arrivé sur la fin, c’est à dire qu’il n’y a pas eu de vraie maîtrise d’ouvrage déléguée. C’est important de savoir ça par rapport à nous, d’avoir ces éléments de contexte. Et de fait, si vous voulez Paris habitat s’est retrouvé parfois embarqué dans des opérations de travaux dont ils n’étaient pas à l’origine. C’est ça aussi qui a compliqué la donne ; qu’il y a eu différents lots, il y a eu des appels d’offres, marchés publics... Et il n’y a pas eu une entreprise générale qui était tout corps d’état et qui chapotait, enfin il y a eu bien-sûr les architectes qui chapotaient l’ensemble des travaux, mais il n’y a pas eu, je ne connais pas vraiment le mot exact, il n’y a pas eu une coordination globale au niveau des travaux. Et donc, de fait, les travaux ont été confiés, enfin il y a eu l’entreprise générale si j’ose dire c’est Vinci. Et Vinci a fait appel à différents prestataires pour les différents lots des différents corps d’état. Donc c’est comme ça que ça s’est passé, et du coup les commandes ayant plus ou moins été faites par la SemPariSeine, pour un projet qui a aussi vécu un certain nombre de modifications, entre le permis de construire d’origine et le permis de construire définitif il y a eu beaucoup de changements. Bref, Paris habitat s’est retrouvé parfois un peu en difficulté. Et nous, au travers de ce qu’on appelle la garantie de parfait achèvement on a connu un peu tous les affres de ces difficultés de fonctionnement entre la SemPariSeine maître d’ouvrage et Paris habitat propriétaire, sachant que nous, nous sommes client final, mais nous ne sommes que locataire de Paris habitat. EB : Donc, en aucun cas vous n’avez interagi avec les architectes pendant la construction. ED : On n’avait pas de droit à le faire. EB : Il n’y a pas eu de dialogue ?

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ED : Si… Enfin, on nous a proposé de donner ce que l’on appelle des préconisations, des préconisations en tant qu’usagers et utilisateurs. Mais elles n’ont pas forcément toujours été entendues EB : Ça a vraiment été très léger. ED : Très léger ; on en a de nombreux exemples au travers de la garantie de parfait achèvement. C’est à dire qu’un certain nombre de demandes n’ont pas du tout été prises en compte au moment de la construction même si on a pu formuler les choses en amont dans le cadre de ce qu’on appelle les documents de consultation des entreprises ou les avants projets dans le cadre des marchés publics EB : D’ailleurs, question stupide, j’ai remarqué que les bancs, qu’ils soient dans le jardin ou sur la place, n’ont pas de dossier. Ils sont vraiment utilisés ? ED : Ils sont utilisés, mais peu, oui. Il y a d’autres choses qui sont surprenantes. C’est vrai que ces difficultés, on les ressent encore aujourd’hui en tant que client et utilisateur final de ce bâtiment, on les ressent surtout dans ce que l’on appelle la garantie de parfait achèvement qui s’est terminé le 31. EB : Qu’est-ce que ça veut dire exactement ? ED : Quand vous livrez un bâtiment, à partir du moment de la livraison, la maîtrise d’ouvrage a un an pour solder toutes les réserves, c’est en quelques sorte les réserves de chantier… Mais c’est les réserves de chantier dans le temps de l’exploitation, c’est à dire que le bâtiment a été livré, les clefs ont été remises à l’exploitant, et l’exploitant a une année pour faire remonter au titre des garanties de parfait achèvement tous les disfonctionnements ou les mauvais fonctionnements ou les malfaçons, enfin tout ce qu’il estime ne pas être normal dans le fonctionnement du bâtiment. Le problème, c’est qu’à ces réunions de garantie de parfait achèvement (GPA), y assistait la SemPariSeine au titre de la maîtrise d’ouvrage et Paris habitat. Mais entre eux, on sentait bien qu’il n’y avait pas spécialement de communication. Et petit à petit, j’imagine que tous les entrepreneurs ont été payés, et du 87


coup maintenant, il est difficile de les faire revenir. On a par exemple un très bel outil qui nous permet de gérer informatiquement un certain nombre d’éléments du bâtiment, que ce soit l’électricité ou ce que l’on appelle le CVC (Climatisation ventilation chauffage), à partir d’un logiciel ou internet. On n’a jamais été formé à cet outil, il y a des capteurs à droite à gauche, ça gère même les ascenseurs, et ce n’est pas utilisé. Un truc qui vaut je ne sais pas combien, on ne va pas regarder les prix parce que sinon ça me ferait hurler. Alors ça fait partie des GPA, et c’est une GPA qui n’est pas soldée. Et il y en quelques-unes comme ça. Donc c’est vrai que, c’est là qu’on s’est retrouvé dans une difficulté, parce qu’on n’est pas partie prenante du projet en termes de construction. On se retrouve en dernière ligne alors que… EB : C’est un Éhpad public ? ED : C’est un Éphad public, géré par un établissement public autonome qui est le Centre d’action sociale de la ville de Paris, qui effectivement est un établissement public dont la présidente du conseil d’administration est la maire de Paris, mais qui a une autonomie de fonctionnement puisque c’est un établissement public autonome avec une directrice générale qui est nommée par la maire de Paris. EB : Mme Rossi. ED : Non, Mme Rossi est la directrice du groupe d’Éhpad, parce qu’il y a d’autres Éhpad appartenant au centre d’action sociale de la ville de Paris, il y en a 15 au total, qui sont d’ailleurs sur Paris ou région parisienne, voire même en province. Il y en a 1 qui est du côté de Compiègne. Mme Rossi est directrice de 2 Éhpad, celui-ci et un autre qui se trouve à 300 mètres d’ici. EB : D’accord. ED : Et avec une direction mutualisée. Et au-dessus de Mme Rossi, vous avez dans la hiérarchie du Centre d’action sociale un sous-directeur des services aux personnes âgées pour le Centre d’action sociale de la ville de 88


Paris, et une directrice générale dont je vais vous parler, qui est la directrice générale de l’établissement, de l’administration centrale qui gère ces Éhpad, plus des résidences services, plus des résidences appartements. Le CASVP est surtout tourné autour de la solidarité, des personnes âgées, des familles etc. Une grosse partie des aides sociales versées par le département de Paris passe par le centre d’action sociale. EB : Et donc cette idée de mixité, ça vient de la SemPariSeine, peut-être pour des questions économiques ? ED : Peut-être... Après je ne sais pas exactement. Là-dessus il faudrait peut-être que vous rencontriez notre interlocutrice pour la SemPariSeine, c’est une dame qui s’appelle aussi Emmanuelle, Emmanuelle Boiron. Elle a été chargée de secteur, et elle a tout suivi. Je me suis beaucoup appuyé sur elle. Mais à un moment j’ai aussi compris que c’était compliqué entre elle et Paris Habitat, et réciproquement, c’était compliqué entre Paris Habitat et elle. Mais sur le concept de mixité je ne sais pas à quel moment il a été introduit. EB : Après je pense qu’il y a des directives de la ville de Paris. ED : A priori oui. En plus c’est une société d’économique mixte de la ville de Paris, qui est à la maitrise d’ouvrage. C’est une ZAC décidée par le conseil de Paris. Donc effectivement il est possible que le souhait de mixité sociale et intergénérationnelle vienne de la ville. Il y a la petite enfance, les personnes âgées, il y a un foyer de femmes isolées, il y a des logements sociaux, etc. Donc après, dans la pratique, ça fait peu de temps que tout le monde est là. La crèche associative qui se trouve au pied de l’Éhpad a ouvert en septembre. Moi je suis là depuis 1 ans et 3 mois. Je suis arrivé après l’ouverture de cet Éhpad. Donc je ne peux pas vous dire à quel moment cette mixité a été souhaitée et mise en œuvre. Mais en tout cas, ce n’est pas si simple que ça. Madame Rossi a une façon de voir les choses d’une façon extrêmement ouverte sur la ville. Par exemple on a proposé, lors de la fête des voisins, à tous les voisins de venir. Et effectivement la mayonnaise a pris. Alors les voisins viennent. Il y a des voisins qu’on voit régulièrement. Après il y a aussi l’envers du décor, c’est qu’on a aussi des 89


voisins pas forcément sympathiques. Et là sur la résidence sociale juste en face, il y a de très grosses difficultés avec une famille. Du coup ça met une ambiance un peu délétère dans la résidence sociale mais qui a des répercutions ici parce que sans entrer dans les détails, cette famille est venue pourchasser d’autres résidents qui sont venus trouver refuge dans l’Éhpad, et ils ont commencé à s’en prendre à Madame Rossi. EB : Mais quel était le souci ? ED : Il y a des conflits de voisinage ; mais là, visiblement avec une famille qui a des problèmes d’ordre psychiatrique. C’est plus un appartement thérapeutique qu’une résidence sociale en face en fait. Parce qu’on se rend compte que toute la famille a des difficultés. EB : Par contre il n’y a pas de problèmes avec vos résidents ? ED : Non ! EB : Et, est-ce qu’ils utilisent la place ? Parce que j’ai vu qu’ils allaient dans le jardin, mais je n’ai vu personne sur la place. ED : Oui, ils utilisent la place. Globalement ils sont repérés par le voisinage. De ce côté-là il n’y a pas de soucis. Après, on a des résidents qui sont un peu particuliers par rapport aux autres Éhpad. C’est à dire que, c’est plutôt une population masculine. Et c’est surtout d’anciens SDF. Ils étaient auparavant dans l’Éhpad Belleville dans le 20eme. Et c’est majoritairement des hommes plutôt jeunes. Plutôt autonome sur le plan physique. Mais avec beaucoup d’addictions, et beaucoup de problèmes d’ordre psychologique. Donc on a une population un peu atypique par rapport à l’Éhpad Payen qui lui est plus classique dans sa sociologie. EB : Mais alors comment ça se fait ? Comment se fait-il qu’il y ait une population particulière dans cet Éhpad. ED : C’est en raison de l’origine du projet. Puisqu’il a été construit pour accueillir les résidents de l’Éhpad Belleville qui fermait pour travaux. Lui90


même était composé d’une grande partie d’anciens SDF. EB : Comment se fait-il qu’il était composé d’anciens SDF ? ED : Parce que, pour la plupart, ils sont suivis par ce qu’on appelle l’aide sociale. Et à l’origine, Belleville, comme d’autres Éhpad, a accueilli une population marginalisée ; il y a d’autres Éhpad du casvp comme ça. Alors qu’en générale la population des Éhpad est majoritairement féminine, plus âgée, mais beaucoup plus dépendante. Mais certains ont des difficultés avec l’alcool etc. Ils sont venus avec leur histoire et on les accueille comme ça, et on reste ouvert malgré tout. Et c’est vrai que par rapport à l’environnement, si vous voulez, on a je pense réussi à trouver notre place. Ça se passe bien avec le foyer de femmes battues. Ça se passe bien avec la résidence sociale. Avec la crèche on a dû mettre un peu le holà parce qu’on a des fumeurs qui ont pris la mauvaise habitude de … C’est interdit de fumer dans les chambres. La difficulté c’est que les chambres c’est à la fois le domicile privé de la personne âgée, mais c’est aussi un lieu de soin. Alors il faut trouver un équilibre. Et depuis le dernier règlement inter-Éhpad du centre d’action sociale, on a la possibilité d’interdire de fumer dans les chambres. Il y en avait certains qui malgré l’interdiction ne la respectaient pas, et jetaient des mégots dans le jardin de la crèche. Ça s’est beaucoup calmé. Cela arrive encore de temps en temps, mais on a une politique sociale, donc c’est compliqué de sanctionner un résident, c’est compliqué de mettre à la porte un résident, on ne l’a jamais fait. Il faut beaucoup de pédagogie. Mais globalement on est complètement accepté de l’environnement urbain dans lequel on s’insère. On est totalement intégré, reconnu dans le quartier. A l’origine, il y avait un problème de signalisation. La rue n’est pas toujours indiquée sur les GPS, la signalétique de l’Éhpad est récente, la rue n’est pas repérée sur les plans de quartier. Mais les occasions où il y a une réelle mixité ne sont pas si fréquentes que ça, il y a eu l’exemple de la fête des voisins ; on a des projets qui ont déjà été mis en place avec Payen, l’autre Éhpad, parce qu’il y a une crèche en pied d’immeuble, et il y a donc des rencontres qui se font. On a la même politique d’ouverture sur le site mais nous n’avons pas la même histoire, Payen a rouvert après restructuration en 2014, donc elle est déjà un peu plus insérée, un peu plus visible. 91


EB : Donc avec la crèche, il n’y aura pas de connexion ? ED : Si, madame Rossi est dans cette logique-là. EB : Mais ça n’a pas commencé. ED : Pas encore, mais on va essayer de le mettre en œuvre oui. Avec le foyer de femmes isolées on est aussi dans le souhait de partager un peu plus de choses qu’aujourd’hui. Les choses se font petit à petit. Mais oui la fête des voisins c’était vraiment super. Les enfants des femmes isolées avaient fait un spectacle, on a fait une crêpe party, ça a très bien marché, il y avait des animations, de la danse, et tout le monde a dansé, personnes âgées, enfants etc. EB : Les résidents ont participé à la préparation des crêpes ? ED : Non, on avait fait appel à un prestataire. Il y a eu des gâteaux qui ont été faits par les résidents. Enfin, par forcément par les résidents, mais par la cuisine de l’Éhpad. Les familles ont apporté des gâteaux. C’était un vrai moment de convivialité. Il y avait une belle énergie. EB : Est-ce que les résidents sont libres de sortir quand ils veulent de l’Éhpad ? ED : Oui. Le principe de base, c’est la liberté d’aller et de venir. Ce n’est pas une prison.

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Entretien avec Emmanuel DROUARD, sous-directeur des l’Ehpad Huguette Valsecchi et Anselme Payen, par Emmanuel BARRAUD, Paris, 28.11.16

E B : Vous m’aviez donné les organigrammes etc. Mais pouvez-vous m’indiquer le nombre de personnes par résidents aux différents moments de la journée ? E D : Sur Valsecchi, on a, a priori une décomposition de chaque niveau en deux unités, donc le premier étage c’est 34 lits, 34 le deuxième et 33 le troisième. Pour le premier étage dans les équipes du matin vous avez toujours, un infirmier, et trois aides-soignants et aso, donc un agent social. En fait, vous avez en soignants vraiment de terrain, 4 personnes. 3 personnes, pour le deuxième et 3 pour le troisième. Ça c’est pour les équipes du matin. Donc, il y a 2 infirmiers pour les 3 niveaux. 1 infirmier pour l’après-midi. Toujours un peu moins de monde l’après-midi. 3 soignants, dont deux aides-soignants et un aso pour le premier étage. Et au total 5 soignants dont 4 a-s et un aso pour le 2 et le 3. Ce sont des ratios qui en gros sont les suivants ; on est à 1 aso pour 10 résidents le matin, et un aso pour 12,6 l’après-midi. E B : D’accord, et la nuit ? E D : La nuit c’est un a-s ou un aso pour 33,7, pas du tout les mêmes chiffres. Au total il y a trois soignants la nuit, et un demi infirmier. Parce qu’en fait l’infirmier de nuit est sur les deux sites, Payen et Valsecchi. Alors, je ne vous ai pas non plus expliqué, pour les soignants… il y a une catégorie un peu particulière de soignant au premier étage qu’on appelle des AMP, agents médicaux psychologiques. D’ailleurs ça a changé de nom cette année. Ce sont des métiers beaucoup plus tournés vers le relationnel et les familles, et la dimension psychologique. Ils restent soignants, ils 93


font la même chose que les soignants, mais en plus, il y a cette relation avec les familles, soutien… Bon l’unité de vie protégée, c’est une unité particulière ici ; on n’est pas exactement une unité de vie protégée, compte tenu du nombre de résidents. Il y en a trop. Il aurait fallu faire deux UVP, mais on ne pouvait pas faire deux UVP parce qu’il fallait cloisonner, et on ne pouvait pas cloisonner en terme spatial au premier étage. Parce que la configuration du premier étage est la même qu’aux autres étages. E B : Mais du coup qu’est-ce qui change pour les malades ? E D : Ça ne change rien. E B : C’est juste une dénomination. E D : Oui, voilà. Ça ne change rien sur les personnels qui sont dans les effectifs minimums au chevet. Ça ne change rien sur les problématiques qui sont prises en charge dans ce secteur. Ça change d’intitulé. Et effectivement, l’ARS a considéré que ce n’était pas une UVP. E B : Mais alors, vos résidents qui sont au niveau 1, sont moins malades qu’un résident d’UHR par exemple ? E D : Ce sont des résidents qui ont des troubles du comportement, qui sont associés souvent à la maladie d’Alzheimer, mais qui peuvent aussi être associés à d’autres pathologies, d’autre maladies neurodégénérescentes, et qui peuvent aussi avoir d’autres problématiques associées, donc on est sur des résidents qui sont complètement désorientés. Majoritairement en GIR 1 et 2. E B : Ah quand même… Donc ils pourraient être en UHR. Mais comment se fait ce choix ? C’est le choix des familles ? E D : Oui des familles, où des personnes qui suivent ces personnes âgées, qui les ont orientées. Je ne sais pas si je vous avais expliqué, mais les personnes que nous accueillons, les familles ou les aidants, qui ont suivi la personne en question, ont, si vous voulez, initié une démarche 94


administrative auprès des sections locales du centre d’action sociale de la ville de Paris. Une fois que le dossier est initié à leur niveau, il est centralisé à Diderot, au siège. Et c’est ce bureau qui finalement va décider des affectations. Une fois que le dossier aura été complété, y compris le dossier médical. E B : Mais on peut faire une demande particulière pour un Éhpad en particulier ? E D : On peut faire une demande particulière, et on conseille surtout d’en faire plusieurs, parce que si l’Éhpad en question est plein, on retombe sur un autre. Sur le 15ème arrondissement on n’a pas de difficultés pour trouver des résidents qui sont demandeurs de nous rejoindre. On a beaucoup de demandes. Et on n’a des places que quand il y a un décès, ou quand il y a un départ, mais c’est plutôt rare. La grande majorité de nos turnovers sont liés à des décès de résidents. E B : Et il y a des résidents qui sont atteints de la maladie d’Alzheimer qui se trouvent à d’autres étages, mais qui présentent un GIR plus important. E D : Pas au-dessus de 4, parce qu’en Éhpad on prend à partir d’un GIR 4. Mais oui, il y a une question d’équilibre entre les résidents. Vous avez une sociologie particulière ici. On ne peut pas dire qu’il y a une typologie de résidents sur Valsecchi, y compris au premier étage. Il y a l’histoire qui veut ça. Les résidents de Belleville étaient plutôt jeunes, plutôt mobiles, plutôt hommes, par contre avec des problématiques d’addiction, des problématiques psychiatriques, enfin voilà. Mais pas la population, entre guillemets, classique qu’on peut trouver en Éhpad, de dames plutôt âgées, plutôt dépendantes. Donc, il y a aussi un équilibre à trouver dans les prises en charge qu’on accepte. Il faut voir cet aspect du suivi au niveau des soignants. Il y a des situations particulièrement lourdes qui peuvent monopoliser beaucoup de temps, beaucoup d’énergie. Et il faut donc peutêtre en parallèle, s’il y a une place libre au même endroit, trouver des situations plus faciles, entre guillemets, même si aucune situation n’est vraiment facile. Tout ça pour vous dire qu’effectivement au premier étage on a des personnes qui peuvent être des personnes âgées qui délirent, ou 95


des gens qui ont des suivis psychiatriques lourds, et aussi des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. On a aussi quelques personnes qui sont clairement grabataires, qui n’échangent plus parfois depuis bien longtemps. Donc là, par rapport aux soignants c’est facile ; ainsi il y a un juste équilibre à trouver entre les résidents. Même si par principe on fait en sorte que le premier étage soit essentiellement destiné aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, de parkinson et autres, et qui présentent des troubles du comportement important. E B : Quand les résidents entrent au premier étage, on leur donne le code de sortie ? E D : Non. On ne donne pas le code. Les résidents du premier étage, par principe, ne sortent pas du premier étage. Sauf, pendant les temps des repas, et sauf, s’ils sont accompagnés par une membre de leur famille, un ami etc. Là ça se fait, mais, c’est très rare. On a eu quelques situations particulières, à l’ouverture, où effectivement on avait des gens qui allaient plutôt bien, qui avaient leur tête et qui pouvaient sortir sans problème de l’Éhpad. Il n’y avait pas de prescription médicale en termes de droit d’aller et venir. Mais maintenant, quasiment toutes les personnes du premier étage ne peuvent pas sortir seules. E B : Souvent il y a un système de double action. Il faut par exemple appuyer sur un bouton et pousser une porte en même temps. Et on considère que si le résident est capable de le faire, alors il est capable de sortir sans se mettre en danger. E D : Là, même si on donnait le code, il n’y en aurait pas beaucoup qui pourrait s’en servir. E B : Et du coup ces résidents du premier étage rencontrent les autres résidents au moment des repas, et des activités. E D : Oui, parmi les 34 résidents du premier étage, il y en a quelquesuns qui déjeunent sur place. Il y a une salle à manger avec des offices. Et même des petits salons. C’est la moitié, je crois, qui reste. Parce que c’est 96


trop compliqué de les descendre. Et souvent les personnes du premier étage sont dans des phénomènes de déambulation, et vivent la nuit. C’est la nuit surtout qu’ils déambulent. Et les horaires de prise de repas ne sont pas forcément calés. Il y a aussi ça. On s’adapte. Enfin, on est un lieu de vie pour nos résidents. Nous travaillons chez eux quelque part. Nous sommes chez eux. Et donc on s’adapte à ces situations. Et donc il y en a effectivement quelques-uns qui descendent dans la salle à manger, accompagnés de soignants. Mais il y en a aussi qui restent. Parce que ça correspond plus à leurs besoins. E B : Pour les résidents qui vivent plutôt la nuit, comment ça s’organise pour leurs repas ? Ils mangent quand etc. E D : Il peut y avoir des collations la nuit ; il y a des possibilités de collations. Et puis voilà, on suit aussi leur poids, ce qu’ils vont manger. On trace ça. Ils ont des zapettes où chaque acte est suivi. On sait à quelle heure on a fait une toilette, à quelle heure on a fait un soin, à quelle heure la personne a mangé. Ça donne aussi des indications sur la prise en charge concrète. E B : Et pour tous les résidents, est-ce qu’il y a différents horaires auxquels ils peuvent manger, où c’est vraiment très fixe ? E D : Il y a une plage horaire au niveau du repas qui est entre 12h et 14h. Et si quelqu’un va demander quelque chose à 15h, on ne va pas lui refuser, mais peut-être qu’on ne l’a plus. E B : Et alors sur les plans des architectes, à la place des offices, il y avait écrit atelier cuisine. Mais il n’y en a pas ? E D : Non, il n’y a pas d’atelier cuisine. On est en train de réfléchir à une idée, faire au niveau du rez-de-chaussée, dans la salle d’animation, un petit atelier… crêpe…euh voilà, ça ne serait pas un atelier cuisine vraiment, mais on va acheter une crêpière, du matériel pour faire des gaufres, enfin voilà, des choses comme ça. Mais atelier cuisine stricto sensu, compte tenu des règles d’hygiène, c’est compliqué. 97


E B : Ah oui ? E D : Ah oui ! je ne sais pas si vous avez entendu parler des normes HACCP, c’est extrêmement contraignant. Il y a des choses qui sont bien, mais ça peut tuer certaines initiatives en termes d’activité, de prise en charge. Tout est très normé, pour des raisons évidentes de risque de transmissions de germes. E B : Et est-ce que vous continuez à recevoir d’anciens SDF ? E D : On a une politique sociale… Le centre d’action sociale de la ville de Paris. C’est à dire qu’on prend en priorité des bénéficiaires de l’aide sociale. Dans ces bénéficiaires de l’aide social, on a parfois d’anciens SDF. Je ne sais pas si c’est vraiment une politique. E B : Et est-ce qu’il y a des formations en interne qui sont organisées pour vos aides-soignants etc. E D : Oui, les formations c’est très important. On a des formations sur toutes les problématiques des soignants. On mise ici beaucoup sur des formations collectives sur site. Et on a demandé… on est en pleine finalisation de ce qu’on appelle les plans de formation. En fait, il y a une période donnée ou le site fait le recensement de tous ses besoins de formation, et les renvoie au siège. Donc ce plan de formation est en cours de validation. Et on fait en sorte que les soignants soient formés sur des problématiques comme la maladie d’Alzheimer, les problématiques de bientraitance, à l’accompagnement de personnalités atypiques, à l’agressivité… Et il y a toutes les formations obligatoires qui sont liées à la formation sécurité incendie. Donc il y a de quoi faire en terme de formation. E B : Ah d’ailleurs, toutes vos portes aux étages elles sont… E D : Elles sont maintenues ouvertes sur ventouse. Quand effectivement ça sonne, elles se referment. Pas toutes, mais dans les étages oui. Et vous avez une division du bâtiment en deux, et vous avez deux issues de 98


secours, parce que s’il y a un feu, le principe de base en Éhpad, c’est qu’on n’évacue pas à l’extérieur, mais on fait ce qu’on appelle de la translation. C’est à dire qu’on passe d’un compartiment limité par une porte coupefeu vers un autre. On translate les résidents vers l’autre compartiment. Les portes coupe-feu sont censées protéger deux heures, donc on a largement le temps pour que les pompiers arrivent et éteignent l’incendie. E B : Les visiteurs n’ont pas accès au parking souterrain, j’imagine ? E D : Non.

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Entretien avec Sylvie MROCZEK, résponsable qualité des Ehpad de l’Abbaye, des Bords de Marne et de la Cité vert, par Emmanuel BARRAUD, Bonneuil Valde-Marne, 18.11.16

E B : Il me semble que c’est la direction qui était à la maitrise d’ouvrage. Comment ça se passe, qui finance ? S M : Avec nos résidences nous sommes en lien avec les communes. Les communes achètent un nombre de lits. On a Créteil, Bonneuil, Saint Maur, Joinville. On est inter départemental. Et donc les quatre communes ont acheté un nombre de lits avec ce qu’ils estimaient devoir réserver. E B : Donc ça commence comment, c’est la commune qui fait appel au directeur, ou le directeur qui propose un projet ? S M : Il y a aussi tout l’organisme de la santé, les ARS et les conseils généraux, qui évaluent les besoins sur le territoire. Et qui lancent des projets. E B : Alors à quel moment une direction, une équipe arrive ? Et spécialement dans le cas de Saint Maur ? SM : Saint Maur existait avant, c’était une restructuration. Saint Maur existe depuis 1969, et a été restructuré en 99. C’était une ancien établissement construit sur le modèle hospitalier avec des chambres à 4 lits. L’accompagnement des personnes âgées a beaucoup évolué ces 10/15 dernières années. E B : Alors dans le plan, tout a changé ? S M : Oui, seuls sont restés les grands bâtis, entre les deux grands bâtiments 100


il y avait déjà un lien, mais il y a aussi eu des extensions au RDC. Ça a vraiment été une restructuration complète. Tout a été cassé. Bonneuil a été construit en vue de restructurer l’Abbaye, et pour que sur l’Abbaye les chambres multiples n’existent plus ; pour changer ses conditions d’accueil. C’était des chambres à 4, il y avait des wc communs, il y avait des lavabos, voilà comme on peut imaginer, entre deux logements... c’était un autre monde hein ! E B : Parce qu’en 99 il y avait des personnes logées là-dedans ? S M : En 1995, comme Bonneuil a été ouvert, on a libéré ces logements pour que ce ne soit plus des logements à 4, mais des logements à 2, en attente de la restructuration. Ce qui fait qu’aujourd’hui il n’y a plus que des logements individuels partout. Sauf pour les logements de couple. E M : Du coup, le projet de restructuration vient de la direction j’imagine ? S M : Non, parce que pour des restructurations comme ça, une direction est sollicitée, elle peut donner des avis… mais ce sont des fonds publics, donc des grandes décisions dans le médico/social. E B : D’accord, mais alors cette ambition d’integénérationnalité, cette idée d’intégrer une crèche, et même l’école d’aide-soignante, ça vient d’où ? S M : Ça, par contre, c’est notre projet en tant que direction. E B : Donc pour la restructuration il y a eu des débats, des tables rondes ? S M : Quand on a ouvert Bonneuil en 95, étant donné que c’était un lieu neuf, qu’il n’y avait aucune histoire etc… c’est ici qu’il y avait des possibilités. Alors mon envie, moi, c’était d’avoir une classe. J’aurais trouvé ça assez génial. J’étais très branchée Montessori alors… Mais quand on est un service public… C’est trop compliqué dans le cadre du service public de proposer quelque chose de trop innovant. E B : Ça c’est intéressant. Par contre dans le privé ça se fait ? 101


S M : Ça peut se faire. Je pense que si on était dans le privé on aurait une latitude plus importante. Là, vendre une classe Montessori (payante), avec quelque chose déjà un peu marginal par rapport au service public, c’était un peu compliqué. Donc quand j’en ai parlé au directeur il m’a dit que ce serait compliqué pour toutes ces raisons. Alors, on cherche un autre projet autour duquel on puisse sans difficulté rallier les communes. Donc on est parti sur l’idée de la Halte-garderie. Puisqu’on sait que sur les communes il y a souvent des besoins de places pour les enfants. On a donc fait cette première expérience ici. Bonneuil ça a été le démarrage de tout ce qu’on espérait mettre de différent dans notre projet. C’était compliqué sur L’Abbaye ; elle existait depuis 69, et les histoires comptent. Les trajectoires, les histoires … Les gens partent, les histoires restent. Les lieux qui ne changent pas sont porteurs d’histoires. Les gens qui y travaillent portent une histoire. Mais même quand il y en a un peu qui partent, les nouveaux n’ont pas cette capacité à enclencher quelque chose de différent. Et nous, en tant que direction, ont était très clair sur le fait qu’on voulait tout casser. Non seulement les murs mais aussi un vieux modèle hospiciel. C’était compliqué, parce qu’on avait énormément de résistance, soit passive soit active, sur le changement. Le changement ça fait peur à tout le monde. Par définition, l’être humain n’aime pas le changement. E B : Mais pour les résidents ou les équipes ?... Ah non les résidents, eux ils partaient… ou alors, c’était en site occupé en plus des travaux ? S M : Ce n’était pas en site occupé, il y a eu des opérations tiroirs. Il y a un bâtiment qui a été déménagé dans un autre bâtiment qu’on a loué le temps des travaux. C’était des travaux tellement énormes que ce n’était pas possible de rester sur le site. Par contre il restait la moitié, l’Abbaye avait toujours un bâtiment occupé parce qu’il avait soit déjà été restructuré, soit il était en attente. Donc, on a vite saisi qu’il nous faudrait des années pour opérer du changement. J’ai dit à Champvert : « Voilà, moi j’ai envie de tenter des trucs, il y a des choses qui vont réussir, d’autres qui ne vont pas réussir, mais en tout cas c’est un creusé de potentielles innovations. » Le bâtiment est ancien mais il reste relativement ouvert, moderne... Je 102


dirais un peu loin des idées qu’on se fait d’une résidence pour personnes âgées. Donc on l’a fait dans ce sens-là ; tant dans le mobilier que dans l’architecture même ; et on a essayé de se réinventer. E B : D’ailleurs, une parenthèse, je me suis rendu compte que le mobilier c’est quelque chose de super important. On trouve souvent du mobilier très unifié, très impersonnel. Et à Saint Maur des Fossés, j’ai pu voir qu’il y avait un travail là-dessus, de vraies différences de mobilier, parfois un banc unique etc. donc il y a eu une vraie réflexion là-dessus, j’imagine ? S M : Oui, on a tout fait pour ressembler le moins possible à une institution. Et le mobilier compte beaucoup. On est parti sur du mobilier d’hôtellerie, pas de restauration, d’hôtellerie. E B : D’accord, et c’est plus cher du coup, j’imagine ? S M : Pas forcément. Parce que tout ce qui est en lien avec le médical est très cher. Ce sont des tarifs plus élevés que pour des particuliers. Mais, même si c’était plus cher, c’est de l’investissement qui compte. Je pense qu’une idée, un projet, c’est un vrai guide et c’est très important. Mais le quotidien doit l’incarner chaque jour, chaque heure. Parce que les principes on ne peut pas les répéter tous les jours. Si on les répète tous les jours ils perdent leur sens. On ne va pas répéter sans arrêt aux résidents qu’il ne faut pas qu’ils se sentent dans une institution, qu’il faut qu’ils se sentent bien, qu’ils sont acteurs, qu’ils ne sont plus des locataires, que des personnes à qui ont fait l’honneur de les accueillir. Voilà, c’est aussi la question de comment on change leur propre perception, et comment, eux, on les aide à se placer différemment. Il faut que tout ça soit porté par tout, par l’architecture, par le mobilier, par le fait que les personnes n’ont pas de blouse, par le fait que chacun choisit à qu’elle heure sera son levé, à qu’elle heure son ménage va être fait, est-ce qu’on peut rentrer pour faire des travaux quand il est là, ou pas... Voilà, il y a des résidents qui sont d’accord, d’autres qui ne le sont pas. Je dirais que l’organisation, l’architecture, il faut y penser avant parce qu’on ne la change plus ensuite, je pense que c’est très important. Tous les détails doivent sans arrêt porter l’esprit du projet ; parce que, c’est bien qu’une direction soit au clair avec 103


son projet et aie de grandes idées, mais après, dans le quotidien la direction n‘est pas sur le terrain. Donc toute notre organisation, le mobilier, l’esprit du lieu, l’attention qu’on porte pour s’éloigner du modèle institutionnel d’un modèle trop lisse, qui en fait, porte en lui même à ce moment-là un esprit institutionnel - tout ça, ça compte, et c’est l’addition de ces éléments qui porte notre projet. Sachant que même quand on a tout ça, il ne faut jamais lâcher l’affaire parce que la routine, parce que les vieilles idées, parce que les symboliques sont très fortes. E B : Que voulez-vous dire par symbolique ? S M : La symbolique de la résidence pour personne âgée ? Eh bien, ce symbole de l’ordre de l’exclusion, du faire qu’on perd les choses, qu’on est assisté. Tout ça c’est fort. Je pense que c’est porté par nous tous, c’est comme ça, et la plupart des gens qui pensent à quand ils seront âgés, ne pensent pas : « chic je vais rentrer en résidence pour personnes âgées ». Personne, très peu… E B : Et pourtant c’est de mieux en mieux. S M : Oui, mais même, même si on se dit « c’est bien », et tant mieux… on se dit « mon envie c’est de rester chez moi ». Mais à un moment donné je pense que ça n’est pas porteur de rester chez soi. Alors j’espère qu’avec des institutions comme les nôtres, où on essaie de travailler sur la notion de communauté, de soutien, de solidarité, peut-être que ça fera un peu moins peur un jour. Comme un lieu qui n’est pas prédateur de droit. C’est à dire qu’il y a des institutions, dès qu’on y rentre, on a l’impression que tous les droits du citoyen disparaissent, et que le lieu va définir ses propres lois avec cette espèce de grande latitude, voilà je vais décider moi, ce qu’il me semble le mieux alors que le devoir c’est d’appliquer la loi qui s’applique à l’extérieur. E B : A propos de ça, j’ai vu que vous avez un service UHR… avec des malades qui sont atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade très avancé. Ils ne sont pas entièrement libres de mouvement, de sortir ? Ils sont un peu à part j’imagine ? 104


S M : Pour les UHR, les critères par eux-mêmes déterminent qu’il y a une sécurisation des lieux qui doit être un critère. L’UHR c’est un service à part. C’est un étage. E B : Mais l’UHR est quand même géré par la direction ? S M : Oui oui Bien sûr. Après, notre accompagnement, ce sont des orientations. Notre orientation, c’est clair, c’est comment on se dit que les murs de nos institutions sont des murs qui contiennent un esprit de soutien, de solidarité, de communauté, et comment nos murs ne sont pas des murs qui vont déterminer que les personnes qui rentrent ici ont moins de droits, moins de capacités de décision etc. E B : Mais comment vous mettez ça en place dans le cas d’un service UHR ? S M : En ce moment par exemple, suite à un incendie, les résidents ont été accueillis dans un établissement de Créteil. Et il s’avère que les familles ne sont pas satisfaites, que c’est un établissement qui fonctionne sur un modèle plus classique, et que les résidents ont du mal. Donc on a fait une réunion avec les familles, et les circonstances ont fait qu’on a eu un certain nombre de décès dans notre résidence de Bonneuil, plus des places d’hébergement temporaire qui sont disponibles, ce qui nous permettait d’accueillir 11 personnes, donc les familles ont préféré réintégrer l’établissement, et ils arrivent mardi prochain. Alors on est allé voir tous les résidents pour leur expliquer la situation, et pour recueillir leur adhésion. C’est à dire qu’on part du principe que, leur pathologie montre qu’ils ont de grands troubles d’anxiété, parfois d’agressivité, de désorientation, par contre jusqu’au bout, on dit qu’au-delà de leur pathologie qui existe, ils ont les mêmes droits que les autres résidents. Donc on les a consultés. Pour certains ça a été compliqué, pas forcément de comprendre, ça je ne peux pas le dire, mais de redonner un avis, d’autres ont été en capacité de, mais en tout état de cause chacun a été consulté comme étant partie prenante des grandes décisions.

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E B : Et alors dans ce service, comment cela se passe-t-il pour contrôler leur sortie ? S M : Il y a un bouton. Il faut appuyer sur le bouton et pousser en même temps. Dans nos institutions, nous n’avons jamais fait quelque chose de complètement fermée, mais il y a obligation d’enchaîner deux actions pour pouvoir sortir, et on part du principe que les personnes qui peuvent enchaîner ces deux actions pour sortir ont la capacité de ne pas se mettre en danger. Et de ne pas partir, pas avec l’envie de partir, mais en partant, je ne sais pas pourquoi je pars, mais devant ça s’ouvre, et que je ne pars pas par souhait de prendre l’air, mais parce que voilà, je m’en vais, et je ne sais pas pourquoi, et je ne saurai pas revenir. Après, c’est toute la difficulté de comment on accompagne dans le même esprit des personnes qui ont des besoins très différents. Et une personne qui arrive chez nous en GIR 6 - il n’y en a pas beaucoup mais il y en a quand même - c’est à dire très autonome, d’un autre coté s’il vient chez nous c’est qu’il a besoin d’assurance, de ne pas être seul, donc il y a aussi cette fragilité, ce besoin... Ce n’est pas le même accompagnement que pour quelqu’un qui est désorienté, qui doit être intégré à l’UHR, qui peut se mettre en danger parce qu’il ne va pas avoir la capacité d’enchainer des raisonnements pour se mettre en protection et qui pourrait, s’il est sorti et s’il est en grande difficulté, traverser la route sans regarder à droite ou à gauche. Donc il y a ça... Notre esprit, notre guide, on le garde pour tout le monde, l’accompagnement qu’on propose est différent. E B : Au quatrième niveau, au niveau de l’UHR, comment l’architecture s’adapte-t-elle ? Est ce qu’il y a plus de terrasses par exemple ? Parce qu’ils sont quand-même contraints dans cet espace-là. S M : L’idée de l’UHR c’est d’avoir maximum 14 personnes, c’est à dire des groupes beaucoup moins importants. Ce côté, accueil d’un groupe plus petit, favorise des interactions moins nombreuses, et donc un calme plus important, moins de sollicitations. Donc le lieu est plus petit, il fonctionne un peu plus comme un grand appartement que comme un grand service. C’est toute l’idée des lieux…

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E B : Un peu comme les Cantou ? S M : Oui voilà, c’est ça. Il y a une terrasse, il y a une salle à manger qui fait vraiment appartement, et ce côté je dirai, d’une grande proximité de vie avec les familles, les équipes et les résidents. E B : Alors revenons un peu en arrière. Moi ce qui m’intéresserait, c’est de savoir dans quelle mesure vous, les équipes, la direction, ont eu un impact sur la conception de l’architecture. S M : Dans les appels à projet, il y a un concours qui est lancé, et après il y a un choix de 3 projets, et il y a une commission qui siège et qui va, sur différents critères, choisir le projet le plus porteur et qui correspond à l’idée qu’on veut donner. Au moment du concours, il y a de grandes lignes qui sont données par la direction. Nous, nous ne sommes pas architectes. Il y a de grandes idées. Et il y a un moment où dans un projet on se reconnait plus, on reconnaît plus l’esprit qu’on veut donner au lieu et qui nous semble le plus porteur possible. E B : Mais donc, en dehors de ces grandes lignes, vous n’avez pas forcément retravaillé ensemble ? S M : Après on retravaille ensemble. C’est à dire qu’une fois que le projet est retenu, il y a des choses qu’on travaille avec l’archi. On ne refait pas le dossier, mais il y a quand même des choses que nous allons retravailler pour que tout corresponde beaucoup plus à ce que l’on souhaite. Voilà, c’est à dire que les grandes lignes nous conviennent et après on essaie de retravailler des détails qui nous semble importants. E B : Et alors, je sais que l’accueil petite enfance a directement été pensé au moment de la conception, est-ce-que ça a été la même chose pour la galerie commerçante, le théâtre, et l’école d’aide-soignante ? S M : Oui ça a été pensé dès l’origine. Par contre le théâtre existait déjà. C’était une création de l’ancienne Ehpad. C’était le théâtre de l’éhpad, nous, on l’a ouvert sur l’extérieur. 107


E B : Est-ce que vous pourriez me redire un peu quel type d’évènements extérieurs il reçoit ? S M : On est référencé comme théâtre sur la ville de Saint-Maur. Là, on a Clémentine Célarié qui est venue, Ivan le Bolloc’h qui tournait avec sa pièce qui est venu, donc oui ce sont des pièces normales. La programmatrice va au festival d’Avignon tous les ans, et travaille sur place pour voir les spectacles qu’elle va proposer, et traite avec les compagnies pour les intégrer dans son planning de l’année. E B : Mais il n’y a pas des représentations tous les soirs ? S M : Ah non non, ce n’est pas tous les soirs. Il y a à peu près 2/3 programmations par mois. E B : Et les résidents ont des tarifs préférentiels ? S M : Oui. C’est peut-être 5 euros. E B : Mais alors comment ça fonctionne économiquement ? S M : Déjà, on ne remplit pas avec les résidents, et on propose des résidences. Donc, quand les compagnies occupent le théâtre 8 jours pour monter leur spectacle, en contrepartie, on ne paye pas pour leur représentation. Ce qui permet d’avoir un modèle économique qui est viable. Parce qu’on n’est pas Paris mais c’est quand même accessible en RER et que ça intéresse les compagnies. E B : Et vous m’aviez parlé d’une résidente, ancienne chorégraphe, qui avait pu montrer une pièce. C’était ouvert au public ? S M : Oui E B : Mais alors là ; ce sont les familles qui viennent ?

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S M : Oui là c’est les familles, c’est les familles du personnel. E B : Et alors, c’est le personnel qui dansait ? S M : Oui oui, c’est tout le personnel. C’était de très bonne qualité. En fait, ils ont fait une rétrospective de l’histoire de cette femme ; ils ont fait des tableaux en lien avec l’histoire de cette dame. E B : Et par rapport à cette architecture très poreuse, dans quelle mesure les résidents s’y sentent bien, ne pourraient il pas s’y perdre ? Et vous, en êtes-vous satisfaite ? S M : C’est toujours compliqué de répondre à la place de. Mais paradoxalement, ici à Bonneuil, on n’a pas de couloir avec des logements de chaque côté, on a 4 ailes. Et après on a la barre transversale du H qui accueille toutes les parties communes. Je trouve ça plus sympa parce que ça ne fait pas long couloir un peu comme à l’Abbaye. Parce qu’à l’Abbaye ils ont été contraints par le lieu qui était déjà construit. Mais ici c’est plus compliqué de se retrouver au début, alors qu’à Saint Maur, c’est un peu plus simple parce qu’il n’y a qu’une aile. Je pense qu’il n’y a pas de lieu idéal. Mais l’intérêt c’est que ce sont des lieux agréables à vivre. On nous dit souvent que c’est plutôt sympa, qu’on ne fait pas maison de retraite, qu’on fait hôtel. C’est un peu l’esprit sur lequel ou voulait aller, donc on se dit qu’on n’a pas totalement faux. En même temps il y a aussi une réalité qu’on ne dépasse pas. On est quand même une institution. Il y a quand même ce côté institutionnel qui est aussi présent. E B : Pourriez-vous m’expliquer rapidement comment l’économie de l’Éhpad fonctionne vis à vis des commerces, si cela a un réel intérêt économique ? Dans quelle mesure vous créez votre propre économie... S M : J’ai envie de dire, on a une chance, on n’est pas dans le privé. On n’a pas le devoir de faire de l’argent pour répondre à la cotation en bourse. Donc, on reçoit des fonds, et avec ces fonds on essaie d’optimiser notre fonctionnement, l’argent qui va émerger des locations, ça va sur l’association des résidents. Donc il y a une association qui a été créé et qui 109


permet de financer des activités supplémentaires. E B : D’accord, par contre vous n’allez pas financer des travaux ou quelque chose comme ça avec ces fonds ? S M : Ah non, jamais. Non non, ça c’est surtout les fonds qui nous sont donnés par les ARS, le conseil général, l’assurance maladie. Donc ce financement-là ont le prend sur les fonds qu’on nous donne en tant qu’organisme public. E B : D’accord, mais parce que je sais que les Ehpad publics manquent de fond de manière générale. Ça va vous ne vous en sortez pas avec vos commerces etc. ? S M : Non, en tout cas ce n’est pas un modèle économique qui a été choisi. Puis c’est très peu. Pour le salon de coiffure, elle paye 250 euros par mois. C’est une bonne somme pour une association. Nous avec 2500 euros par an, on ne paye même pas une aide-soignante pour le mois. Donc c’est une bonne somme pour l’association des résidents, parce que ce cumullà permet d’avoir plus de moyens, d’acheter plus de spectacles, de faire plus... En même temps, dans nos fonds publics on a une attribution qui est faite à l’animation. Donc on ne part pas de zéro pour tout ce qui est animation, mais tout ce qui est généré par les locations, par… Là, par exemple, la semaine prochaine il y a un tournage. On loue les locaux pour des tournages de cinéma. Donc tout cet argent-là va dans l’association des résidents. C’est une association qui est gérée par des résidents qui sont élus et qui attribue des fonds, qui votent, qui sont trésoriers, secrétaires etc. Et l’argent va dans cette caisse-là, et les résidents décident quelle serait la meilleure attribution pour ces fonds. On organise des voyages aussi, de vacances, et il y a des personnes qui n’ont pas l’argent nécessaire pour partir. Donc on est parti du postulat, que ces personnes qui n’ont pas les moyens pour partir, l’association des résidents finance le sur-coup de leurs voyages. E B : Et vous savez si, malgré le prix très peu élevé qu’ils font payer aux résidents, par exemple pour le coiffeur, c’est quand même rentable ? 110


S M : Oui oui c’est rentable. E B : Parce que j’ai vu que les commerces ont quand même changé depuis la création de cette halle. J’ai vu qu’il y avait par exemple une banque… S M : Voilà, il faut que ça ait un lien. Qu’il y ait une petite base de clientèle sur la résidence. Donc là, le coiffeur a une base de client, mais elle ne vivrait pas qu’avec cette base-là. Mais il y a aussi les familles, le personnel, et après elle a une clientèle extérieure, donc le tout fait qu’effectivement économiquement, elle est là depuis l’ouverture. E B : Et donc vous n’avez pas plus de résidents qu’un Éhpad classique ? S M : A l’Abbaye il y a 210 résidents ; on a un effectif un peu plus correct que la moyenne française. E B : Et par rapport à vos chambres, elles sont plus grandes que ce que la réglementation française recommande. Est-ce que du coup, le prix pour les résidents est plus élevé ? S M : Par exemple là à Créteil, il y a une construction d’Éhpad qu’on va diriger, tous les logements sont entre 28 et 30 m2. E B : Mais du coup, ce sera plus cher ? S M : Non, c’est le même prix qu’ici. Mais à chaque fois qu’il y a une nouvelle construction, Monsieur Champvert est extrêmement vigilant làdessus. E B : Mais alors comment il s’en sort ? S M : Parce qu’on rogne sur les espaces des professionnels. Si vous voulez, ce qui s’est créé là-bas, c’est un Ehpad pour 90 personnes. Donc ce n’est pas nous qui décidons. C’est un projet lancé par l’ARS auquel nous on répond. Une fois que nous avons été retenus pour diriger cet Ehpad, nous 111


avons donné nos critères. Et donc le concept d’architecture a été fait sur cette base-là. Donc on rogne sur les espaces du personnel. Par exemple il n’y a pas de salle de repos du personnel. Il n’y a pas de salle à manger du personnel… E B : Pouvez-vous me dire le nombre de soignants que vous avez par rapport aux résidents ? S M : Nous avons un ratio de 0,7 tout confondu, de présence d’un personnel pour un résident. Nous avons une aide-soignante pour 10 résidents le matin. Et l’après-midi, c’est une aide-soignante pour 20. E B : Et la nuit ? S M : La nuit c’est 2 pour 100. E B : D’accord, et tous les résidents sont libres d’entrée et de sortie ? S M : Oui. E B : Et les familles signent des décharges ? S M : Pour les personnes qui sont logées dans les services spécifiques, oui. La liberté d’aller et venir, c’est un document oui. On y répète qu’on propose un accueil, qu’on est toujours vigilant pour les personnes qui ont des difficultés, que notre choix est de ne pas faire un lieu claque muret… la liberté d’aller et venir y est inclus. Liberté et prise de risque, moins on prend de risques, plus la liberté disparaît, elle devient sinon contrainte, absente. Et les personnes qui habitent chez nous n’ont pas été jugées par un tribunal comme devant être enfermées. On n’est pas dans un univers carcéral. On se rapproche donc le plus possible d’un univers de liberté sur l’extérieur. C’est à dire que dehors, personne ne vous empêche de sortir, et on trouverait ça inconcevable à l’extérieur, mais là, sous prétexte de pathologie, on peut aller beaucoup trop loin dans l’aspect sécuritaire. Moi, je travaille dans l’établissement depuis 78, donc j’ai connu des périodes compliquées, où il y avait même des gens qui étaient attachés. 112


E B : Ah vous avez vu ça ? C’est l’enfer ! S M : Oui, il y en a encore beaucoup des résidences où on attache les gens. Parce qu’ils s’en vont. Parce qu’ils sont tombés ou qu’ils pourraient tomber. Dans l’ancienne Abbaye ils mettaient des bâtons pour que les portes ne s’ouvrent pas. Les résidents devenaient fous. Ils devenaient fous de cette idée d’un enfermement inexplicable et qui ne s’arrête jamais. Un exemple qui était fort, dont moi je me souviens bien : on avait accueilli un résident sur l’étage spécifique à Bonneuil – on l’a su après, c’était quelqu’un qui avait en une année fait 3 ou 4 résidences, et comme c’était compliqué partout, tout le monde s’en ait débarrassé - bon on l’a su après, autrement on ne se serait peut-être pas mis sur le dossier de l’accueil parce que ça a été difficile. Le premier jour il a mis le feu à une poubelle. On a vite compris que ça serait un peu compliqué. C’est quelqu’un qui était un grand marcheur toute sa vie, qui faisait des kilomètres. On sait en plus que certaines démences créent ce besoin de déambulation ; c’est une manière de s’exprimer. Quand la pensée a du mal à s’élaborer, il faut que le corps élabore quelque chose, la déambulation devient alors un mode d’expression. Donc les deux confondus, on a vite compris que ce n’était pas possible ; ce monsieur avait besoin de sortir. Il avait, en plus, encore assez de capacités pour comprendre comment sortir, en mettant la clé dans l’ascenseur pour le déverrouiller. Donc j’ai dit aux équipes : « bon écoutez, le contenir ça ne marche pas, on va le faire devenir fou, on voit bien qu’il est agité, qu’il met le feu, qu’il est agressif, donc on va voir ce qu’on peut faire… » Ainsi quand on a appris qu’il adorait marcher, on a dit, on n’a pas le choix. Et ce qu’on a fait, mais ça a duré plusieurs mois, c’est qu’on s’est dit : comme il a encore des capacités d’élaboration, on va l’accompagner et lui apprendre. Il ne supportait pas qu’on vienne avec lui, il se sentait suivi, il se sentait contraint, il ne se sentait pas libre ; alors on lui a dit pendant x temps : « on va venir avec vous, parce qu’à partir du moment où vous ne connaissez pas les lieux, on ne vient pas pour vous fliquer mais pour bien vous montrer ou vous pouvez aller vous promener, et comment vous pouvez revenir en sécurité tout seul chez nous. Parce que quand ça ce sera fait vous serez 113


libre, et vous pourrez aller vous promener et on ne s’inquiètera pas et vous ne serez pas en danger. » Donc les équipes ont fait ça pendant deux mois. Et au bout de deux mois, c’est quelqu’un qui effectivement se promenait seul et revenait. On avait gagné, mais je dirai qu’on l’a fait parce que c’était une telle énergie qu’on ne pouvait pas le canaliser. Finalement ont n’avait pas le choix. Mais on aurait pu faire pire. On aurait pu lui donner des médicaments pour qu’il soit abruti, on aurait pu l’attacher, on aurait pu faire des choses qui n’auraient pas fonctionné, ou qui l’auraient fait mourir, lui. Parce que je pense que c’est quelqu’un qui aurait pu mourir de ne pas être libre et de ne pas pouvoir marcher. Donc tous les matins, il partait les mains dans le dos. Et il a vécu longtemps, et longtemps il a pu faire ça. E B : Et d’ailleurs à l’Abbaye, est-ce que les résidents sortent beaucoup ? Est-ce qu’ils utilisent la ville, vont au restaurant, utilisent les commerces, vont dans le parc … ? Parce que finalement, il y a beaucoup de choses dans la résidence même. S M : Il y a beaucoup de choses qui sont proposées à l’extérieur. E B : Par vous ? S M : Oui, par nous. Après il y a des résidents qui… Enfin après c’est toujours les capacités et les envies des résidents qui les guident. Mais il y a des résidents qui font leur vie et qui n’ont pas besoin de nous, c’est bien. Il y en a d’autres qui ont vraiment besoin de notre accompagnement pour pouvoir vivre à l’extérieur aussi. Mais je dirais qu’il y a plus de résidents qu’on accompagne, que de résidents qui font leur vie tout seuls. Mais enfin il y en a quand même qui font leur vie. Je me rappelle, j’étais rentrée dans le logement d’une dame pour un truc très technique, et puis je la voyais faire ses comptes. Et elle m’a dit « oh bah vous savez, ne vous inquiétez pas, j’ai plein d’appartements alors je fais ma comptabilité. » Elle avait une dizaine d’appartements. Et elle faisait sa comptabilité pour ses locations. Cette dame-là, c’est vrai qu’elle n’a pas vraiment besoin de nous. Alors, oui elle a besoin de nous puisqu’elle est rentrée dans l’établissement. Elle a besoin d’être en sécurité. Et elle avait décidé de rentrer dans notre établissement 114


avant d’être en difficulté. Elle n’a pas d’enfant, pas de famille proche. Donc probablement quand on n’a pas d’enfants on se prend en charge beaucoup plus. Donc on va de cette personne-là, à quelqu’un qui de par son histoire, sa maladie, doit avoir un soutient à 90% de notre part. Après, notre job c’est d’être juste une trame sur laquelle les résidents vont s’appuyer pour vivre le mieux possible. Donc il y a des gens qui vont nous utiliser très peu, mais qui vont par contre utiliser les services, ceux qu’on a créé pour eux, le resto, le pressing, etc. Et puis nous, bah après on se cale là-dessus. Notre métier c’est l’accompagnement. On n’accompagne pas de la même façon une personne comme cette dame que quelqu’un qui a un grand besoin de présence. Avec comme guide l’idée qu’on ne doit pas faire ressentir aux résidents qu’ils sont dépendants. Que par contre ils nous payent. Que ce qu’on leur délivre c’est des prestations, c’est des services. Des services payants. Voilà. Ils ne nous sont pas redevables. Il y a souvent l’esprit en maison de retraite « oh merci, merci beaucoup ». Enfin comme si être âgé c’était être dans l’impuissance. Mais on est payé. Et on fait notre métier avec un peu plus de sens etc. parce que je pense que si on n’aime pas, il ne faut pas rester dans cet univers-là, parce que c’est pas bon pour soi et pour les résidents qu’on accompagne. Mais en même temps ils sont clients. On est comme un hôtel. Ok quand on est dans un hôtel, les gens sympas, on les remercie ; mais on se sent profondément client. On ne les remercie pas de nous accueillir, on les remercie d’être souriant, d’avoir une prestation plutôt sympa. Mais on paye, et donc on est dans un rapport d’égalité. Je pense que le grand âge, ou le handicap physique ou psychique, peut malheureusement faire baisser l’estime de la personne, et elle se sent dans un rapport de dominant à dominé. Dominant parce que nous on est dans une période de notre vie où on est plus alerte, et on a des connaissances, un métier. Et la personne qui à ce moment-là se sent ou dominé, ou redevable de, elle perd profondément cette capacité à exister et à dire ce qui est bon pour elle, à nous remettre en question. Et je pense que le plus gros service qu’on a, c’est que les résidents doivent nous remettre en question. Et on les pousse à ça. Et si nos établissements sont comme ils sont aujourd’hui, c’est grâce à eux. Voilà. Parce qu’on avait des idées, des bonnes idées ok, on y croit, on aime nos métiers. En même temps c’est le client qui nous dit ce qui va ou ce qui ne va pas. Même si on imagine, on n’est pas utilisateur. On n’a pas leur 115


âge et on n’a pas leurs difficultés. Il y a des choses qu’on peut transposer. On a tous été enfant, ado ou jeune adulte, et on voit bien que ce sont des expériences sur lesquelles on comprend des choses puisqu’on les a vécues intimement. Le grand âge, la dépendance, on ne les a pas vécus. Donc il y a forcément des choses qu’on peut imaginer intellectuellement, mais je pense qu’entre l’imaginaire intellectuel et le vrai ressenti, et physique et émotionnel, c’est un vrai impact ; donc on a beaucoup à apprendre d’eux. E B : Et du coup, c’est par ce que c’est vous, les équipes qui communiquez beaucoup avec eux ; ou c’est une chose organisée par l’institution ? S M : Il y a la communication classique dans le quotidien. Mais après, on a des instances consultatives. Il y a le conseil des résidents. E B : La petite boutique c’est une brocante ? J’ai vu que la femme qui s’en occupe parle justement avec des résidents de leur vie ici. S M : Il y a des vêtements qui sont donnés parfois par des personnes extérieures. On vend les vêtements 5 euros, 10 euros. La boutique fonctionne comme une boutique où on trouve tout ce dont on a besoin en premier dépannage. Quand quelqu’un veut quelque chose qu’on n’a pas, c’est commandé et on l’a la semaine d’après. C’est des bénévoles qui vont faire des achats. Et oui, c’est une bénévole, donc elle communique beaucoup avec eux, et donc elle peut faire remonter des informations. On fait aussi un bilan une fois par an avec les résidents. Sur leurs projets, sur leurs envies. Savoir si on a répondu à leurs besoins, qu’est-ce qu’ils souhaitent, qu’est-ce qu’on peut faire pour qu’ils se sentent mieux. E B : Qui fait ça ? S M : Deux personnes, une animatrice et une aide-soignante, dans une rencontre d’environ 1h30. On dit symboliquement à la personne, on est là pour vous, vos besoins, votre histoire. Il n’y a que vous qui puissiez nous donner les informations nécessaires. Et sur ses indications, on pose des objectifs pour améliorer ça. Il y a des choses qui pour chacun sont essentielles ; et s’il ne les trouve pas, quelque part c’est l’énergie de vie qui 116


s’en va. Donc l’énergie de vie - en plus quand on a un certain âge - ou on la rallume, ou on fait en sorte de la conserver, ou elle peut vite s’éteindre. Quand tu dois partir, bah tu pars, on a tous une échéance ; mais quand tu pars parce qu’on n’a pas fait le nécessaire pour te donner envie de rester là, c’est un peu dommage. E B : C’est amusant, mais par rapport aux termes que vous utilisez, et à ce que vous me dites, vous avez du beaucoup vous intéressez aux courants alternatifs et à l’éducation j’imagine ? S M : Oui, tout ce qui est courant alternatif m’a toujours intéressé depuis très jeune. Et mes enfants ont fait Montessori. Et à un moment donné, j’ai failli partir pour devenir éducatrice Montessori. Champvert m’a dit « ne partez pas, ce serait dommage ». Moi j’avais fait 15 ans comme infirmière, j’avais l’impression d’avoir fait le tour de ce que je pouvais apporter, et puis j’avais envie de faire quelque chose de différent. Et c’est là où je suis passé cadre et j’ai ouvert Bonneuil. C’était la raison pour laquelle je voulais faire cette petite classe. Comme mon projet c’était de partir faire Montessori, je me suis dit, il y a un truc à créer. C’est à dire que si on dit symboliquement ce n’est pas un lieu d’exclusion, on ne met pas dans un coin pour ne plus les voir tous les vieux qui ne sont plus en forme. Donc quand les gens voient des petits enfants, ils se disent pas « ah ce n’est pas un lieu d’exclusion » … Ils ne vont pas jusque-là, mais je m’en moque. Parce que qu’il y a quelque chose qui fait qu’il y a une espèce d’échantillonnage de chaque âge de la vie qui est représenté. Donc c’est la vie tout court. Alors que si on ne voit que des blouses blanches et des vieilles personnes dans un coin, c’est plus difficile de démontrer qu’on n’est pas dans un lieu d’exclusion. Les symboles sont forts. Ils sont portés par tout, par les lieux, par les organisations, par tout ce qu’on voit. Et quelque chose qui est très important, c’est d’être fière de son travail et de ce que l’on fait. C’est le plus beau cadeau qu’on donne aux résidents. Parce que les lieux, l’architecture, l’organisation, tout ça c’est hyper important. Je dirais que ce qui donne du sens à tout ça, et qui va y mettre une vraie humanité, c’est quand je suis là avec vous, et que je suis bien. Je suis bien parce que je peux vous apporter quelque chose, et que ça me fait du bien. Les gens pensent souvent qu’être là c’est courageux, que c’est un sacerdoce de 117


s’occuper de personnes âgées. Et cette pensée, elle remet encore en sousestime la personne âgée : « Vous êtes tellement courageux de vous occuper d’une sous-humanité ». Et être âgée ce n’est pas une être sous humanité. Et les résidents s’excusent d’être vieux, d’être dépendants. Alors qu’à 25 ans on ne s’excuse pas quand on va à l’hôpital. E B : Vous m’avez dit que vous dispensez des formations supplémentaires à vos aides-soignants. Pouvez-vous m’en dire plus ? S M : On part du postulat que le plaisir au travail est un élément fort. Parce que l’aide- soignante qui n’est pas là-dedans, elle ne pourra pas - même si elle applique nos procédures - elle le fera de manière un peu désincarnée, un peu automatique, un peu sans âme. Et je pense que ça les personnes âgées peuvent en crever. Très sincèrement. Donc c’est être conscient aussi, qu’être la personne près de la personne âgée, c’est un engagement de soi très important. Voilà, au niveau énergétique. Donc on fait beaucoup de formation tous les ans. Des formations de développement personnel, des formations pour mieux comprendre la démence. Des formations sur l’humanitude. L’humanitude, ils ont travaillé sur comment garder ce lien entre humain avec des personnes qui sont atteintes de démence. Puisqu’on voit bien que les grands liens sociaux passent par le verbal, et que la démence fait que ça, ça s’efface. Donc, comment à travers les autres, le regard, le toucher, la position physique, pouvoir rétablir un lien de communication, et que la personne puisse se sentir comprise et en sécurité. Ce sont des formations de 3/4 jours. E B : Et dans le cadre de ces stages, vous travaillez avec des intervenants extérieurs ? S M : C’est beaucoup de l’AT, de l’analyse transactionnelle. E B : Et pour revenir un peu en arrière… parce que je ne vous ai pas encore demandé : par rapport à l’environnement urbain et même direct ; donc on dit que la résidence est au milieu d’un parc, mais c’est un parking vert en fait... Donc pour des personnes dépendantes, je pense que ça pourrait poser des problèmes. Et le vieux centre de Saint-Maur, c’est mignon, il y 118


a des commerces … Mais pour y aller il faut monter, le trottoir fait moins d’un mètre cinquante de large à un moment donné etc. Du coup, vous qui travaillez sur plusieurs résidences, est-ce que vous voyez des différences concernant l’utilisation de la ville. S M : Par exemple, là, la résidence service en construction, on fait construire des parkings en sous-sol, de façon à faire disparaitre au maximum. Et on fait toute une zone avec des plots et engazonnée où aucune voiture ne passera, pour que justement les résidents aient une zone où ils peuvent aller sans qu’il y ait de voitures. C’est sûr qu’à l’Abbaye c’est pas l’idéal. Bon après il faut savoir qu’il n’y a pas tant de personnes que ça qui utilisent le parc. Ça c’est toujours surprenant, mais c’est comme ça. E B : Ils ne sortent pas trop en général ? S M : Il y a quelques résidents, mais par rapport au nombre de résidents hébergés… E B : Quel que soit le contexte urbain ? S M : Oui oui. E B : D’accord, et dans quelle mesure les résidents de l’UHR sont en relation avec les autres résidents ? S M : Il faut savoir que les personnes qui sont hébergées dans les UHR ce sont des personnes qui sont dans des expressions de la démence qui sont quand-même très fortes, d’anxiété, d’agressivité. Ils sont extrêmement perturbés par les autres, par le monde, par le bruit. Ils supportent très peu de temps tous ces éléments-là. Ils sont de toute façon toujours accompagnés par le personnel. Et le personnel est très attentif à remarquer à quel moment ils commencent à être en difficulté. E B : Et j’ai vu qu’il y avait des résidents atteints de démence qui ne sont pas dans ce service UHR, à partir de quand quelqu’un entre au service UHR, est-ce qu’il y a un niveau de GIR minimum ou … ? 119


S M : Non il y a une grille avec ce qui s’appelle le NPI, qui est faite par des psychologues, et qui enregistre l’intensité d’agressivité, d’anxiété, de souffrance, qui est évalué comme étant haut, et qui alors correspond à un accueil UHR. Donc c’est des personnes qui dans le quotidien, sur un autre étage, vont avoir des troubles majeurs. E B : Par rapport au fait que vous avez un espace très ouvert sur le public, que vous avez des commerces etc. Est-ce que les résidents le vivent très bien, ou parfois certains se plaignent du fait qu’il y a trop de vie, que ce n’est pas assez calme, qu’ils ne se sentent pas en sécurité etc. ? S M : On a tout. Il y a des résidents qui n’aiment pas les enfants par exemple. Alors si tu veux, ce qu’on se dit : c’est que de toute façon, que chacun exprime ce qu’il aime ou qu’il n’aime pas, c’est bien. Celui qui n’aime pas les enfants, on ne le forcera jamais à faire des acticités avec les enfants. Voilà. Donc il va les croiser aux repas. Mais il ne mangera pas avec eux. Il ne fera pas d’activité aux étages avec eux. Bon, s’il y a un enfant qui crie, cela peut les agacer ; mais ce n’est pas très grave. Et on se dit que dire « j’aime » et dire « j’aime pas », c’est exister. Et que cet échantillonnage-là, c’est bien. Que nous, on a un projet qu’on emmène dans une certaine direction. Il y a des résidents qui ne sont pas bien chez nous, mais ça, profondément, il ne faut pas qu’ils restent chez nous. On n’a pas l’idée magique qui convient à tout le monde. On correspond à des attentes de résidents, de familles. Mais on peut ne pas répondre à certaines attentes de gens qui veulent beaucoup de sécurité etc. On ne correspond pas à leurs besoins. E B : Et les enfants mangent systématiquement avec les résidents, ou c’est certains enfants ? S M : Non les enfants mangent, et les résidents sont invités à manger avec eux. E B : A la même table ? Mais alors dans tous les cas ils mangent dans le restaurant ? 120


S M : Oui voilà. E B : Et le matin, tous les enfants prennent leur petit déjeuner dans les salons d’étages ? S M : Oui, tous les enfants. Avec l’idée que c’est sympathique, qu’on vit ensemble, qu’on les côtoie ; que les personnes âgées, que ça les arrange ou les dérange, ça les stimule. Que la vraie vie c’est d’avoir toutes les générations. C’est pour ça qu’on a un vrai projet de vie. Il y a les petits, il y a les un peu plus grands, et on a des projets qu’on mène avec des classes, on a des CE2 etc. Et après on accueille des stagiaires, donc dans la vingtaine, et après on accueille les professionnels, donc là ça va de 20 à 60 ans et après on a le grand âge. Et de toute façon tout le monde a besoin de râler. C’est dire « ça j’aime » et « ça je n’aime pas ». C’est se définir soit même. C’est dire je veux manger à midi et non à 13h, c’est dire je ne veux pas qu’on vienne faire des travaux chez moi quand je suis là. Et donc que l’institution ne soit pas trop lisse. Le grand âge fait qu’on s’abandonne vite, l’énergie vitale n’est pas la même. Et si l’extérieur est trop fort, on peut vite s’abandonner soit même. E B : Et est-ce que vous avez l’impression qu’étant donné qu’il y a des gens qui viennent se faire coiffer, les parents des enfants, est-ce que ça donne une place plus importante aux résidents dans la ville ; qu’ils existent dans la ville et pas que dans la résidence qui est en fait une petite ville en soit. S M : Je pense que les résidents peuvent se sentir encore profondément acteurs de la société. E B : Mais ce que j’ai constaté à l’Abbaye, c’est qu’il s’y passe plein de choses, que c’est comme une petite ville, et qu’on n’aurait pas besoin d’en sortir en fait. Mais est-ce que la vie de la résidence se répand aussi dans la ville, en sort. Est ce qu’il y a une porosité vers l’extérieur ?

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S M : La porosité vers l’extérieur c’est nous qui la créons. Après, il y a des choses qui se créent. Il y a des gens qui vont au marché, qui connaissent bien les exposants. Il y a des enfants pour qui l’adaptation a été difficile et il y a des résidents qui ont aidé des enfants à s’adapter, et qui ont eu un lien très proche pendant tout le temps ou les enfants étaient là, et qui ont grâce à ça noué des liens avec les parents, alors les parents venaient voir la personne âgée. E B : Mais parfois, vous ne vous dites pas que du fait que vous apportez beaucoup de vie dans l’espace de l’institution, les gens n’ont plus besoin de sortir ? Ou alors dans tous les cas - dans les institutions dans lesquelles vous travaillez et où il n’y a pas cet apport - les gens ne sortent pas plus ? S M : Oui, je pense qu’ils ne sortent pas plus. Je pense que pour sortir il faut de l’énergie. Il faut avoir de l’énergie de vie pour avoir cette capacité à aller vers l’extérieur. Donc, nous on la stimule, on la maintient. Et après on a quand même des gens qui partent en voyage, qui prennent l’avion, qui partent à l’étranger. J’ai souvenir d’un monsieur qui est parti avec nous au Maroc, et qui a pris l’avion pour la première fois à 86 ans, et qui a sabré le champagne. Il faut qu’on ait créé cette capacité à croire en soit. Pour reprendre l’exemple de cette dame qui a été au centre du montage d’un spectacle. C’est une dame qui a 92 ans, elle est rentrée, et je l’ai vu vraiment s’enrouler elle-même. Elle était plus penchée tous les jours. Je me suis dit, vraiment elle va mourir. Et pourtant elle avait un truc combatif en même temps. En tant que grande danseuse, elle disait je veux faire de la gym, de la rééducation. Parce qu’elle sentait qu’elle partait physiquement. Elle a eu des séances de kiné, elle a demandé des barres parallèles pour s’étirer et tout ça. Moi, je n’ai pas vu de changements notables. Et puis l’animatrice qui est venue me voir et qui m’a dit « bah tien, on a fait le projet personnalisé de cette dame, elle a été une grande danseuse, on sent que c’est important, je ferais bien un spectacle qui illustre toute sa vie, et on le fera avec le personnel qui travaillera bénévolement. » Et j’ai croisé la dame concernée, et aujourd’hui elle est droite comme toi et moi, alors que je la voyais partir et devenir grabataire. Je pense que ça a stimulé toute son énergie de vie. Elle a bossé jusqu’à 23 heure, parce que les répétitions se faisaient très tard. Qu’elle ne mangeait pas et qu’elle prenait un sandwich 122


parce qu’elle était là. Qu’elle a partagé, conseillé, fait répéter etc. Et après on s’est dit, il va falloir qu’on fasse gaffe parce qu’une fois le spectacle fait, faut pas qu’elle rechute. Donc, on avait déjà balisé, on lui avait dit on va faire une grande expo de vos photos de toute votre carrière et de ce que vous avez fait pendant le spectacle. En se disant, il faut qu’on la maintienne là-dedans. Il ne faut pas une chute brutale. Et en fait, là, je viens d’apprendre qu’on organise un comité d’accueil pour les nouveaux résidents ; mais un comité qui est fait par les résidents qui vivent déjà chez nous. Et madame L. est venue rejoindre le comité, alors qu’elle n’était jamais venue jusqu’à présent. Et je me suis dit, bah voilà, son énergie de vie sur laquelle tout le monde a soufflé un peu, elle se l’est réappropriée, et grâce à ça elle a pu l’appliquer ailleurs. Et donc elle retrouve du sens en dehors de la danse. Et pourtant, de façon concomitante au spectacle, son mari qui est 15 ans plus jeune qu’elle a été opéré du cœur, est à l’hôpital. Donc c’était un grand moment de fragilité pour elle. Cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas inquiète, mais elle a assez d’énergie pour faire face à ça. Et assez d’énergie pour donner à d’autre maintenant. Je ne sais pas si elle sortira, je ne sais pas si elle montera la côte qui est quand même très raide pour ses capacités. Mais qu’elle sorte ou qu’elle ne sorte pas, je pense que la liberté est intérieure. Et à la fin du spectacle elle l’a dit ; « j’ai eu une carrière qui m’a rendue profondément heureuse, mais je ne pensais pas qu’un jour je referais avec autant de plaisir, un si beau spectacle qui manifestement n’est pas dédié à ça. » E B : Mais ce qui est beau quand même c’est que vous avez des employés qui font ça bénévolement et qui restent eux aussi jusqu’à 23 heures. C’est incroyable… E B : Et par rapport aux chambres, elles sont plutôt grandes, il y a une kitchenette, ils peuvent emmener leur mobilier, ils ont les clés. Est-ce qu’ils reçoivent les familles dans ces espaces ? Est-ce qu’ils ont l’air de considérer ces chambres comme leurs logements ou ce n’est qu’une chambre dans un espace plus grand ? S M : Vraiment le logement c’est l’espace privé, et je pense quand même que … 123


E B : Mais est ce qu’ils reçoivent dedans ? S M : Chacun est différent, mais ils le font. Il y a des familles qui choisissent plus facilement de vivre vraiment dans les espaces communs. Ils descendent beaucoup. Il n’y a pas d’heure de visite des familles donc elles viennent quand elles veulent. E B : Et les kitchenettes sont vraiment utilisées ? S M : Pas beaucoup. Il y a beaucoup de résidents qui les ont fait enlever parce que justement ils trouvaient que ça prenait de la place et que ça n’était pas utile pour eux. E B : Bon, et là je sors de la chambre, mais alors, s’il y a des portes dans les lieux de circulation, elles sont ouvertes. S M : Oui, c’est des portes coupes feu, elles sont asservies. Dès qu’il y a une détection, elles se ferment.

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Entretien avec Mr et Mme W. par Emmanuel BARRAUD, résidents de l’Ehpad de l’Abbaye, Saint-Maur-des-Fossés, 03.12.16

E B : Alors, ce qui m’intéresse c’est de savoir comment est-ce qu’on vit ici, vous, et les autres résidents. D’ailleurs vous êtes arrivés il y a peu de temps, il me semble ? Mr W : Trois mois. Exactement trois mois, le premier septembre. Donc nous sommes venus à deux parce que mon épouse a des troubles de mémoire, je suis venu en tant qu’aidant. Pour qu’elle ne soit pas toute seule ici, et moi seul là-bas, dans la grande maison qu’on avait avant. Donc, on avait cette possibilité d’être ensemble et d’avoir des soins à disposition, sans avoir cette inquiétude de savoir si on va pouvoir venir nous secourir s’il y a un problème ou autre. Parce que précédemment nous étions dans une très grande villa, il faut le dire, au cœur de la ville ; on avait plusieurs étages. On se faisait aider par des femmes de ménage, des jardiniers etc. Mais à un moment ça devient trop. On se rend compte que là ce n’est pas équilibré. Et puis comme mon épouse avait des problèmes de mémoire et autre, il fallait trouver une solution. Donc, on est content d’avoir trouvé cette solution et d’avoir été admis ici. Nous avons trouvé exactement ce que nous cherchions. Et même, enfin, je ne dis pas au-delà, mais c’est plus que ce qu’on pouvait penser. Et nos amis qui viennent nous visiter, voisins ou amis ou famille, sont tous subjugués par l’accueil, le cadre, les possibilités de distractions, le soin… Non, globalement nous n’avons aucun reproche à faire… Véritablement, on le pense très sincèrement. Et trouver des personnes aussi dévouées parmi le personnel... une cuisine qui est vraiment bonne... Parfois on se demande si on est bien dans une maison de retraite. Quelques exemples, parfois il y a des apéritifs, il y a des plateaux d’huitres... Je ne connais pas de maisons de retraite autour de moi, dans mes amis, ma famille, qui ont ce genre d’accueil, de réception, et de soin pour les résidents. 125


E B : Vous habitiez dans cette ville avant ? Mr W : Non, non, nous habitions Le Raincy. Au cœur de la ville, entre l’église et la mairie. Une très grande propriété, très grande, trop grande d’ailleurs. Et on ne pouvait plus, ce n’était plus possible. Il y a un moment il faut se dire ; ce n’est pas possible, on ne peut plus continuer. D’autres personnes, qu’on a vu autour de nous, se cramponnent en disant « on ne veut pas quitter chez nous, on ne veut pas quitter chez nous, on ne veut pas quitter chez nous » ; on a eu des échos, ils sont pratiquement tous à l’hôpital, ils ont fait une chute, ils n’ont pas pu appeler parce qu’il n’y avait pas de dispositifs de prévu et… Je ne dis pas qu’ils ont eu que ce qu’ils méritaient, mais c’est pourtant des gens intelligents… Un médecin notamment, qui se cramponnait chez lui, je lui ai dit, « il est temps maintenant, la situation évolue, l’entourage évolue… » mais lui ; « non, non, non, non, non. » Puis bon, sa femme est tombée. Malheureusement elle est décédée, lui était seul, il est tombé… Je dis que c’était prévisible. Alors, même un médecin, vous voyez, et bien il ne pouvait pas comprendre… Cela me rappelle l’histoire du singe, vous la connaissez ? E B : Non. Mr W : Pour attraper un ouistiti, on met un vase, avec du riz, avec un col relativement petit. Lui, il vient, on le laisse venir, il voit le riz, il met la main dans le bocal, il prend une grosse poignée de riz. A ce moment-là ont vient pour le saisir, il n’a pas l’intelligence de lâcher le riz… il est là, il se cramponne, la main coincée dans le bocal. Eh bien les gens qui veulent rester chez eux, à partir d’un certain âge et qui, en plus, ont des possibilités financières de le faire. C’est un manque de réalisme. E B : Surtout que les Éhpad sont accessibles financièrement. Pour tout le monde. Si on n’a pas les moyens, il y a des aides. Mr W : Oui oui, mais les personnes que je vous cite, surtout le médecin, eh bien je ne comprenais plus, arrivé à la fin de sa carrière, il était obnubilé par sa maison. J’avais fait les plans, j’admets que ce n’était pas mal, sans 126


vouloir me jeter des fleurs (rire) ; mais il se cramponnait à sa maison, c’était sa raison de vivre. De vivre et de mourir, parce que là où il est actuellement, il est très très mal parti : erreur d’aiguillage. Bon, nous on a eu la chance de … nos enfants nous ont poussé. Moi j’étais partant, mon épouse était totalement contre, « on est bien chez vous, c’est notre maison »… Mme W : Je vous vois mal avec la lumière… E B : Vous voulez que je me déplace ? Je vais me mettre ici. Mme W : Ah oui ! c’est mieux ! Mr W : Merci ! Donc c’était un peu le schéma classique, on était bien tous les deux, grand salon, grande terrasse, grand jardin, mais c’était trop. Elle a fait quatre chutes, une du perron, une en allant ouvrir la boite du courrier dans une allée. L’hôpital, fracture du poignet, etc. Je me disais, ça commence à bien faire, il faut partir. « Nan ! On ne partira pas ! ». Et puis alors, après ça elle a eu des malaises, comment ça s’appelle… techniquement ça s’appelle une décompensation cardiaque. Cela ne vous dit peut-être pas grand-chose... C’est un signe important d’autre chose, c’est ce que j’ai appris par la suite. Donc j’ai dit, « là faut partir », « Non, non et non ». Puis alors la troisième fois, j’ai dit, « décidée ou pas, on s’en va ». Et nos enfants nous ont bien aidés pour la recherche. Ils ont fait plusieurs maisons de retraite aux alentours. Ce n’était pas enthousiasmant ; c’était fermé ; c’était verrouillé ; pas de circulation, pas d’espaces verts pour se promener, rien ! Ici, on a la libre circulation, des espaces verts pour se promener, en un quart d’heure vous prenez un bol d’air. Vous pouvez vous promenez sur les bords de la Marne, c’est merveilleux, ont a toutes les possibilités ici. E B : Vous y allez ? Parce que j’ai trouvé que par contre, ici, c’est assez difficile de sortir, si on a besoin d’un déambulateur ou autre, parce que les trottoirs sont très peu larges, parce que rien que pour traverser, pour rejoindre les quais de la Marne, c’est un peu délicat. Et d’ailleurs, la promenade le long de la Marne fait moins d’un mètre cinquante de large. 127


Mr W : Oui, puis il y a des vélos qui passent relativement rapidement. Donc, on fait toujours attention à ce qu’un vélo ne vienne pas nous bousculer. Mais on évite un peu maintenant. Surtout qu’après il faut revenir, on ne se rend pas toujours bien compte. Donc là, c’est plutôt dans le périmètre des espaces verts autour de la résidence. Et là, franchement on peut faire un tour ou deux, on peut s’attarder, surtout qu’il faisait très chaud quand on est arrivé. Il y a des bancs partout ; et des bancs bien entretenus, bien propres hein. Et on peut s’asseoir, se reposer, 5, 10 minutes, se reposer et repartir. C’est merveilleux. E B : Et une question que moi je trouve très importante. Est-ce que vous considérez que vous êtes habitants de Saint-Maur des Fossés maintenant ? Mr W : Oui ah oui, totalement. A tel point que mon épouse ne veut plus entendre parler de notre maison du Raincy. E B : Et quel est votre rapport à la Halte-Garderie ? Est-ce que vous voyez beaucoup les enfants, et est-ce que vous appréciez ça d’ailleurs ? Mr W : Ah oui Mme W : Oui les enfants Oui ! Mr W : Je vais en parler un petit peu, si tu veux, mais tu aimes bien les enfants. On les voit… Certains matins ils viennent à la salle du déjeuner, à 4 ou 5 autour d’une table. Au début quand on les a rencontrés, le matin au petit déjeuner, ils nous regardaient, on les regardait. Ils nous regardaient en essayant de comprendre, d’assimiler. La deuxième, troisième fois, ils nous faisaient des bonjours, et maintenant quand on passe ; « bonjour ! tu viens avec nous ? » tout ça, ils parlent. Mais au début ils étaient dans l’observation. Parce que les enfants ça enregistre. Donc les petits enfants - je réponds à votre question - on les aime bien. Et ici, il y a moyen de les contacter, de les voir, de parler avec eux. On les voit dessiner, etc. Et c’est un plaisir. 128


E B : Donc vous les connaissez un peu ? Mr W : Oui oui oui, oui on connaît 5 ou 6 têtes qui passent souvent. Mais, c’est toujours les mêmes pratiquement. Mme W : On aime bien leur faire un petit signe, quelque chose pour leur dire qu’on les aime bien. Mr W : Oui, ils font des bisous … Enfin, il y a du contact intergénérationnel pour prendre le mot à la mode. (rire) E B : Et les parents, vous les rencontrez ? Mr W : Non, jamais. Le seul moment où on peut les entrapercevoir, c’est quand il y a une réunion en bas, dans le grand restaurant. Souvent les enfants viennent, attachés à la queue leu leu, c’est mignon on dirait une cordée. Et quand les parents arrivent le soir pour les prendre, on en voit un qui part en courant « Maman ! Maman ! Maman ! » et ils se jettent sur leurs parents. Ça c’est amusant à voir. Non non, c’est très vivant ici. Ce n’est pas sclérosé hein ? E B : Non, du tout ! Et le théâtre vous l’utilisez beaucoup ? Mr W : Euh, je ne suis pas un fan… Mme W : Il y a un théâtre aujourd’hui. Mr W : Oui, dans la salle du théâtre, il y a une projection de film à thème sous-marin, au niveau, non pas des poissons, mais au niveau archéologique. Et c’est très intéressant. On y va, on est inscrit d’ailleurs, et là c’est bien. Mais le théâtre en lui-même, je ne suis pas théâtre, comme certain qui vont au théâtre régulièrement. Bon le théâtre genre théâtre de boulevard, quand j’étais jeune j’aimais assez, genre les Labiche tout ça, les classiques. C’est drôle ça fait rire. Maintenant je trouve le théâtre trop éthéré, dans des subtilités que je comprends mal, ou que je ne comprends pas. Je ne sais pas… il n’y a pas de contact, c’est trop décalé, ou alors c’est vraiment 129


vulgaire, c’est grossier, et là ça ne me plait pas beaucoup. E B : D’accord, oui mais parfois il est aussi utilisé pour des évènements internes à la résidence non ? La résidente avec qui vous déjeuniez a monté une pièce ici. Mr W : Une femme extraordinaire. Il faut la connaître, elle est extraordinaire. D’intelligence, de compréhension, et elle a fait le tour du monde. Elle a joué en Amérique, elle a joue à Las Vegas, mais elle a aussi fait l’Amérique du Sud, elle a été en Egypte, elle a monté une troupe... Elle a commencé, vous savez comment elle a commencé Malade L. ? Elle était petit rat de l’Opéra à 7 ans, je crois, elle est restée à l’Opéra, et puis à un moment donné, avec sans doute plusieurs danseurs qu’elle connaissait bien, elle a monté une troupe pour faire des tournées. Elle a mené ça de main de maître, et elle a fait le tour du monde, et elle est d’une discrétion… C’est merveilleux, elle reste simple. Elle a satisfait les gens avec qui elle a monté ce spectacle, elle s’est satisfaite elle-même, mais elle a donné beaucoup d’elle-même. E B : Et j’imagine que vous utilisez le coiffeur, les commerces du rez-dechaussée etc. Mr W : Oui. E M : J’imagine que tout le monde utilise un peu le coiffeur… Mr W : Alors je vais vous dire, nous on avait un coiffeur très bien au Raincy, très sophistiqué, il fallait attendre 3 semaines pour avoir un rendez-vous. Qui était quand même assez cher. Ici on a un coiffeur qui est moins sophistiqué, qui coiffe très bien, et qui prend des tarifs … Mais enfin ce n’est pas là-dessus que je juge un salon parce que c’est pas un problème pour nous. Mais il y a toujours du monde, ils sont très gentils, et ils coiffent très correctement. A tel point qu’il y a des gens de Saint-Maur, de la ville, qui viennent ici pour se faire coiffer. Ça veut dire qu’il y a une qualité qui est démontrée. E B : Et, est-ce que du coup vous rencontrez les gens de la ville ? Est-ce 130


que ça créé une espèce de proximité et de voisinage avec eux ? Mr W : Hmm non, parce qu’on a rendez-vous, alors on vient un peu en avance, et on voit arriver des gens. Les résidents viennent par le couloir central, ils viennent de l’intérieur. Et ceux qui viennent de l’extérieur arrivent bien sûr habillés ; manteau, parapluie quand il pleut. On sait que c’est des gens de l’extérieur. C’est comme ça qu’on peut les distinguer. Mais non, on ne leur parle pas spécialement. Chacun se met sous son casque. Après c’est du bavardage de coiffure, vous savez, on parle de choses et d’autres, pour parler. Il n’y a pas d’échange avec les gens de la ville, extérieurs, vraiment ce qu’on appelle des échanges. E B : Et, est-ce que vous pratiquez la ville, est-ce que vous sortez, pour utiliser les commerces (etc…) en dehors de ce qui est proposé par les activités et autres ? Mme W : Oh non. Mr W : Mon épouse a du mal à s’orienter, toute seule c’est difficile ; donc on sort toujours à deux. Et en ce moment elle est fatiguée parce qu’elle a eu une opération cardiaque il n’y a pas longtemps. Alors ce qui veut dire qu’on n’a pas beaucoup d’occasions de sortir tous les deux, pour des questions de fatigue et d’éloignement. Mais quand-même - là je parle pour moi - je me suis fixé un objectif, je l’ai fait ce matin, tous les samedis je vais acheter une douzaine d’huitres au petit marché qui est au-dessus, là, à la place d’Armes, près de l’église Saint Nicolas. E B : Ah donc vous allez au marché quand-même. Vous êtes le seul à faire ça ? Mr W : Non, je connais une personne qui est malheureusement en fauteuil roulant, qui est très sympathique. Un monsieur que j’appelle Jean-Pierre, c’est son prénom ; lui, il va tout seul avec son fauteuil acheter ses huitres. C’est méritoire hein ? Parce que bon… il a quand-même un fauteuil motorisé, mais il faut le faire ! Moi, je me mets à sa place, je me dis, c’est un homme courageux. Et en plus c’est un homme charmant ; très cultivé 131


; jeune encore. E B : Oui, donc il y a des gens qui utilisent encore la ville ? Parce que je me disais que comme il se passe tellement de choses ici, il y a quasiment un parc autour, il y a le coiffeur etc. on n’a pas envie de sortir. Mais c’est aussi important d’avoir une vie en dehors de l’Éhpad. Mr W : Mais on n’a pas le loisir de sortir malheureusement. L’établissement s’en est sans doute rendu compte parce qu’il propose des sorties extérieures. Nous sommes allés, par exemple, au musée de l’homme ; on est allé voir l’institut du monde arabe ; on a fait du bateau mouche... Il y a un tas de sorties qui est proposé par l’établissement. Et on ne peut pas y aller à tous parce que ça ferait beaucoup, mais dans le même temps il y a des animations qui se tiennent ici, concurremment, aux mêmes heures. Donc, on est très sollicité pour sortir, il faut le savoir. Et on a un choix, ce n’est pas « demain on fait ceci, on fait cela » ; vous avez le choix, choisissez. On s’inscrit, on réserve. On vient nous chercher, on nous ramène. C’est merveilleux. E B : Oui, on m’a dit ; « c’est le club med ». Mr W : Il y a un peu de ça. E B : Et alors, comment est-ce que vous et les résidents utilisez-vous l’espace ? Est-ce que vous passez d’un étage à l’autre pour aller voir des amis, et vous poser un peu pour discuter autour d’un café, dans le salon d’un autre étage, ou même dans l’autre aile. Est-ce que vous allez dans les appartements de vos amis etc. Enfin comment s’organise la vie ? Mr W : Eh bien, nous connaissons quelques personnes à l’étage, ici, qui ont eu la gentillesse de nous montrer leur intérieur, notamment une dame charmante qui est à notre table. Elle nous a montré son appartement, et puis nous lui avons montré comment nous étions, on a bavardé, on se prête des revues. On a des échanges quand-même sympathiques. Il y a des personnes qui ne recherchent pas, on le voit très bien, ils sont fermés ; ils disent à peine bonjour, ils sont introvertis au maximum. Bon, bah 132


là on ne cherche par le contact, on leur dit bonjour, il n’y a pas d’écho, bon on le sait. Mais nous quand on se déplace, on dit bonjour à madame Intel, on sert une poignée de mains, « comment ça va ? »… Mais il y a des personnes qui ont visiblement des difficultés ; on le ressent ; ce n’est pas pour ça qu’elles ne sont pas intéressantes. Je connais une personne qui vient au tir à l’arc avec nous ; un monsieur qui est toujours très droit, très rigide, il marche en regardant devant lui. Je me dis, ce monsieur il est curieux. On ne juge pas, mais il est curieux. Et puis après on a parlé avec lui, et maintenant il répond ; mais avant, il ne voyait pas, ou alors il faisait semblant de ne pas voir ce qui m’étonnerais… Non, il était ailleurs. Bon, il avait des pensées qui l’éloignaient de la réalité. Eh bien quand on arrive à franchir ce petit seuil, alors je ne dis pas qu’on s’embrasse, c’est pas la question, mais au moins il y a un contact. « Bonjour ça va ? », et il est tout content, il serre la main… Ici, il y a l’éventail complet de grabataires. On les voit des fois en passant. Et il y en a qui sont très alertes, même handicapés physiques, même en fauteuil roulant. Qui sont encore d’une conversation tout à fait sympathique et agréable. Et puis il y a les personnes qui sont physiquement bien et c’est l’inverse. Mais on trouve toujours quelqu’un pour converser. Même avec des gens des étages supérieurs, qui avant passaient sans rien dire. Maintenant on dialogue un peu, quand il y a des jeux de loto on bavarde. Les échanges se font. Mme W : Il faudrait qu’on parle un petit peu de nos jeunes hein ! De nos petits-enfants. Mr W : Non mais ça n’a rien à voir. E B : Bah cela dit, moi ce qui m’intéresse, c’est quand ils viennent vous visiter, est-ce que vous les recevez ici, ou est-ce que vous allez dans les salons ? Mr W : Alors on fait les deux ; ça dépend du nombre. On s’est retrouvé à six ici. Mais alors on n’a pas les sièges. S’asseoir sur le lit on peut le faire, mais ça va un moment. Alors dans ce cas-là, on reçoit des amis, on prend un verre, on a une bouteille de champagne qui est au frigo, on sort des 133


verres… Vous cherchez le frigo ? E B : Non, mais vous aviez une kitchenette normalement, non ? Mr W : Ah non, c’est interdit. Le frigidaire il y a le droit… et encore, quand on l’a apporté, l’électricien est venu vérifier s’il était aux normes. Il l’a déplacé pour voir la plaque et tout. C’est très contrôlé. On n’emmène pas ce qu’on veut. E B : Mais vous êtes certain ? Parce qu’on m’a dit qu’au début il y avait des kitchenettes, mais que souvent les résidents les avaient faites enlever parce qu’elles prenaient trop de place. Mr W : Ici il y avait un évier. E B : D’accord, c’est peut-être ça qu’ils appelaient kitchenette alors. Mr W : Parce que vous savez qu’il y a eu un incendie ici ? E B : Oui oui. Mr W : Vous savez pourquoi ? E B : Non, on ne m’a rien dit. Mr W : On ne sait pas officiellement, il y a eu une enquête mais je n’ai pas eu les suites. Pour autant que j’ai pu le savoir, et comprendre d’une façon logique, il y a une vieille dame âgée qui avait amené de chez elle un ventilateur. Est-ce qu’il était aux normes ou pas aux normes, je ne sais pas. Mais c’était la période de la canicule, et le ventilateur devait tourner en continu, je suppose, après on ne sait pas ce qu’il s’est passé. Mais c’était un élément qui n’appartenait pas à la résidence. Ça veut dire qu’on ne peut plus emmener n’importe quoi maintenant. Un exemple, on amenait des prises multiples, vous savez, comme on en trouve dans tous les magasins. Bon, l’électricien est venu et il m’a dit « pas de ça » ; il a coupé le câble, « je ne veux pas voir ça ici », pour pas qu’on l’utilise. Alors ça surprend. 134


Mais il faut l’appareil aux normes NF tel modèle etc. On l’a acheté, il est venu voir, il a contrôlé et il a dit « ça, ça va ». E B : D’accord. Donc, chez vous ça va parce que vous avez une grande chambre, mais pour les autres qui ont une chambre simple. Vous savez comment ça se passe ? S’ils invitent des gens chez eux etc. ? Mr W : Alors pour les autres personnes je ne peux pas répondre à leur place ; mais nous, quand des amis arrivent, on se met à l’aise, on bavarde... Bon, on était six, on est bien ; ils arrivent vers 11h, 11h30, on a réservé les couverts… D’ailleurs les invités sont très bien reçus, pas mieux que les autres, mais très bien reçus quand-même. Et après ça, on se promène. Et comme vous dites il y a des salons. La dernière fois nous avons été jouer aux cartes dans l’atrium. Et indépendamment de l’atrium, dans l’allée commerçante, si on peut dire, il y des petits évitements avec une table, deux chaises, trois chaises, vous avez pu voir. Et dans l’allée qui va vers l’autre bâtiment, il y a encore un grand passage avec une grande façade vitrée qui donne sur un très beau jardin d’ailleurs. Et là vous avez des tables avec des revues etc. Bon, on peut recevoir où on veut, quand on veut, en toute discrétion, en toute tranquillité. Mme W : On est très bien ici. E B : C’est ce que tout le monde m’a dit. J’ai eu de bons retours à chaque fois. Mme W : Mais regardez déjà la chambre. Mr W : Oui, et c’est suffisant ! Regardez la cuisine, c’est fait à part, comme si on sous-traitait. C’est indépendant. La blanchisserie fonctionne, on emmène notre linge, il faut mettre monsieur madame, ça c’est la seule obligation. On reçoit le linge, des fois c’est un peu long, ça dépend de la blanchisserie. Mais ça revient toujours. Donc on ne s’occupe pas du linge, euh, qu’est-ce qu’il reste à faire ? E B : Ah alors le linge comment ça ce passe, on vient le chercher ici ? 135


Mr W : Alors, pour les personnes disons, classiques, on vient prendre leur linge, on le ramène. Nous, comme on est valides et autonomes, j’ai demandé à être indépendant. De même que pour les médicaments. Les médicaments, il y a des médicaments à prendre à telle heure, telle heure. Tout est prévu par la résidence. Il y a plusieurs infirmiers, et aux repas ils passent aux tables, « ah monsieur Intel, prenez celle-ci, celle-là tout à l’heure » ; ils s’occupent de tout. Moi je peux le faire, donc je m’en occupe. Je vais à la pharmacie centrale. Il y a une très grande pharmacie. E B : Et du coup, votre linge vous le descendez directement à la blanchisserie vous-même ? Mr W : Alors le linge, il y a deux sacs légers, ça me fait une promenade. On y va des fois ensemble d’ailleurs. Et on dépose les sacs. On nous dit « attendez, il y a du linge qui est pour vous de retour », il y a du linge qui est rangé, pas repassé mais bien plié. Mais pas repassé. Alors des fois on a des chemises, c’est un petit peu… ce n’est pas comme on faisait avant. Mais quelle importance ? Le linge est propre, bien présenté, bien plié. Il revient et on fait l’échange. Qu’est-ce qu’il reste à faire d’autre ? Eh bien, se distraire. Alors, en plus, ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a des animations ici : on s’est inscrit aux gymnastiques, on s’est inscrit à la chorale, on s’est inscrit à un maximum de choses. Et bien on est là, il y a mon agenda, tout est noté. Mais 10 minutes avant, toc toc toc, « Madame Weber, vous avez telle séance à telle heure », « Vous venez ? » « Oui, on vient ! ». Vous vous rendez compte ? l’attention qu’on nous porte ; personnalisée. Ils ont la liste, ils savent que… Mais je vais vous dire, même quand on fait un jeu de loto, et bien tous les participants sont discrètement notés, pour savoir le degré de participation etc… Il y a un suivi. E B : Et alors, vous me disiez qu’il y a comme un parc autour, mais en fait, c’est un parking. Est-ce que parfois ce n’est pas dérangeant d’être entre les voitures. Mr W : Non du tout. Pas à notre niveau. Au Rez-de-chaussée, je ne sais pas. Mais au deuxième il n’y a aucune nuisance. 136


E B : Non, je veux dire quand on se promène. Mr W : Ah non non non. Ah les voitures roulent très doucement. E B : Et quand des amis viennent vous voir, ils peuvent se garer ici ? Mr W : Ah alors là, c’est des fois un peu difficile parce que les places de parking sont beaucoup occupées par le personnel, qui est très nombreux. E B : Bon, du coup, je pense que la première impression que vous avez eu en arrivant ici était plutôt bonne ? Mr W : On a eu une impression, mais une bonne impression. Euh, on a des amis qui ont dit ; « on a cru entrer dans un hôtel ». L’allée, les circulations, l’accueil, ils entrent ils voient des boutiques, ils se disent c’est pas le bon endroit, c’est pas possible. Mais si, ça existe. Mme W : Et vous voyez, on a de l’espace quand-même. E B : Ah oui, vous, vous êtes bien, d’ailleurs, c’est combien de mètres carrés ? Mr W : Euh, 35/40. E B : Et, qu’est-ce que vous pensez de la décoration et du mobilier ? Mr W : Bah alors, on a vu des lits médicalisés plus médicalisés, avec des leviers de levage et tout, selon l’état physique de la personne. Nous, comme on est relativement valide, on a un mobilier… bon un lit qui est quand même médicalisé : relève-pied, appui-tête, le niveau du lit est réglable. Mais ça ressemble à des lits classiques. Ce n’est pas des lits métalliques d’hôpital blancs. Non non pas du tout, on a vraiment l’impression d’être chez soi. Et même dans les étages, dans les salons etc. on a du beau mobilier, les sièges sont de bonne qualité, de bonne facture. Et puis vous avez à l’accueil quelque beaux spécimens de meubles qui ont peut-être 137


été laissés par des gens, ça je ne sais pas. Mais il y a une petite commode, vous verrez en bas de l’escalier qui a quatre marches, elle irait bien chez Drouot hein ? E B : C’est vrai. Donc vous, en journée, soit vous êtes ici, soit vous faites des activités, ou vous vous promenez. Mais vous n’allez pas trop dans les salons comme ça, sans raisons ? Parce que je me demande si les gens vivent plus dans leurs appartements, ou dans les salons. Mr W : Non, alors je vais vous dire, j’ai raccompagné plusieurs personnes, il y a beaucoup de femmes ici, le rapport est, je crois, de sept femmes pour un homme. Alors, j’ai eu l’occasion de ramener des dames ici, et notamment à l’autre bâtiment. Et la dame à peine rentrée elle me dit ; « oh non, je ne reste pas là, je veux aller à la réunion ; dans le salon… ». Et effectivement, je la sors de sa chambre, et il y avait un espace avec sept ou huit fauteuils avec des tables, où ils jouaient, ils parlaient, il y avait un salon… le salon où l’on cause. Alors, pour les petites chambres, je comprends que la personne, elle ne peut pas restée toute la journée enfermée, ça devient difficile, surtout quand on a encore toutes ses raisons de faire des échanges et de parler. Et bien, elle allait au salon et là ça correspond à votre demande, il y a des personnes, pas dans ce bâtiment, là je n’en ai pas vu, mais dans la salle de petit déjeuner que vous trouvez quand vous sortez de l’ascenseur, juste devant vous. L’après-midi, on voit beaucoup de personnes quand-même, qui viennent avec leur fauteuil roulant ou pas, et qui regardent la télévision. Donc, c’est un genre de salon. Et en plus on vous apporte un thé, des petits gâteaux. Mme W : Oui, il y a tout ce qu’il faut. E B : Oui, donc les gens utilisent quand-même ces salons. Mr W : Ah non, on a un art de vivre qu’on n’espérait même pas. On pensait perdre quelque chose, parce que quand on quitte quelque chose qu’on a depuis 30 ans, on se demande si on pourra trouver la même chose. Parce qu’on résonne par rapport à ce qu’on a, mais on a du mal à anticiper ce qu’on va avoir. Alors c’est différent, mais c’est bien. 138


Mme W : Puis-je montrer à monsieur tout ce que nous avons là ? Nous visitons la salle de bain. E B : Ah on dirait du papier peint mais ça n’en n’est pas. Mr W : Alors c’est un revêtement spécial hydrofuge, dans lequel on a interdiction de percer quoi que ce soit, même de planter un clou. C’est interdit par le règlement. E B : Ah d’accord. Mais par contre ici (dans la pièce à vivre), vous avez le droit. Mr W : Ah oui oui. On a demandé pour être sûr. On pose des crochets, et quand on est rentré, l’appartement avait été entièrement refait, parce que c’était un couple qui était là. Le monsieur est décédé, la dame était seule, pour des raisons… elle a du reprendre une chambre classique. On la connaît, une dame charmante d’ailleurs. Et tout avait été refait à neuf ; les rideaux tout… E B : Ah les rideaux ce n’est pas vous ? Mr W : Ah non, ils sont traités anti feu etc. E B : Mais vous pouvez choisir, vous avez un choix de rideaux ou pas ? Mr W : Euh non. Je ne me souviens pas. Je ne peux pas vous répondre, c’est mon fils qui a fait beaucoup de chose à l’époque. Peut-être qu’il y avait un choix entre deux couleurs, mais ça je ne saurais pas le dire. E B : D’accord. Et, quand vous sortez dans la ville, ce n’est pas plus loin que l’église ? Enfin, est-ce qu’il y a des résidents qui utilisent les transports en commun ? Mr W : Non non. Je n’ai vu personne le faire. 139


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