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Villa Vauban – Musée d’Art de la Ville de Luxembourg,  Les paysages du Kairos

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Arendt House

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ARTISTE

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HOLGER TRÜLZSCH, DOMINIQUE AUERBACHER

COMMISSAIRES

PAUL DI FELICE (CAFÉ-CRÈME ASBL)

EN COLLABORATION AVEC GABRIELE GRAWE (VILLA VAUBAN)

LES PAYSAGES DU KAIROS

HOLGER TRÜLZSCH, DOMINIQUE AUERBACHER

Dominique Auerbacher et Holger Trülzsch poursuivent

depuis plusieurs années une réflexion sur le paysage comme

en témoignent leurs œuvres respectives.

Dans l’installation «Les paysages du Kairos», ils associent et

font dialoguer leurs visions et évocations du paysage.

DE LUXEMBOURG MUSÉE D’ART DE LA VILLE VILLA VAUBAN

« Les photographies de Holger saisissent l’apparition de paysages dans les traces du sol maculé de son atelier ou d’autres ateliers, ainsi que dans les coulures fugaces des couleurs renversées. Par ailleurs, sur ses polaroïds peints (imprimés en grand format), les traces de peinture évoquent les structures végétales d’une nature luxuriante et ouvrent un autre espace, celui d’un paysage onirique » (D. A) Les tableaux des entrelacs de phrases de la série «Reliefs» de D. Auerbacher, mêlent d’après la forme littéraire du centon, des extraits de textes provenant d’origines diverses (littéraire, mythologique, ethnologique, scientifique, artistique…) pour former, à partir de reliefs (au sens de restes, de traces), un ensemble d’images mentales du paysage. Paul di Felice : Créer une installation photographique pour le jardin/parc de la Villa Vauban dans le cadre de la 8e édition du Mois européen de la photographie dont le thème est Rethinking Nature/ Rethinking Landscape est certainement un défi comme chaque œuvre in situ mais en même temps n’est-ce pas une autre façon pour vous de penser la représentation paysagère à partir d’une recherche artistique déjà bien entamée depuis des années. Les références artistiques, littéraires et philosophiques ne manquent pas dans vos « paysages reconstruits » qui sont aussi une sorte de mise en abyme et de distanciation du genre mais qui nous transposent aussi dans un imaginaire surprenant.

Dominique Auerbacher : « Les paysages du Kairos » évoquent et d’une certaine manière convoquent la Nature, le Paysage, et le Jardin dans leurs relations aux beaux-arts, à la littérature, à la mythologie…

En l’occurrence, le petit dieu du Kairos, qu’on ne peut saisir que par les cheveux quand il passe à toute vitesse, est au rendez-vous. Il a incarné pour nous l’inattendu susceptible de surgir, l’instant fugitif et décisif d’un à-propos propice. Notre installation essaye de jouer avec la perception du proche et du lointain, de penser les lieux en fonction de l’agencement du jardin et des possibilités de déplacements et de haltes pour les visiteurs, ce qui nous ramène à l’interrogation de Henry Maldiney, Sommes-nous « devant » ou « dedans » le paysage ? Il me semble qu’un jardin est à la fois ce lieu de la nature, de l’artifice et de la mythologie où on s’imagine apercevoir des personnages des Métamorphoses d’Ovide sous la forme d’un rocher, d’un arbre ou d’un animal. On retrouve dans cette installation, Arachné, la jeune mortelle de Lydie qui fut transformée en araignée par la déesse Minerve pour l’avoir défiée et surpassée dans l’art du tissage et surtout avoir osé représenter sur sa tapisserie des dieux qui assouvissent leurs désirs en recourant à des métamorphoses pour abuser de leurs victimes. Je pense à la phrase de Jean-Pierre Vernant « La mythologie, c’est une vision de soi face au monde, elle marque une prise de distance par rapport à ce qui, aujourd’hui, nous semble évident ».

H. Trülzsch : Le jardin et le parc sont peut-être les derniers refuges qui nous permettent de réfléchir à la nature en tant que culture du paysage. Dans le jardin du musée Vauban, notre installation d’images et de textes s’organise sur trois lieux qui, situés sur le cercle de la pelouse centrale, forment un triangle. La déambulation circulaire semble être appropriée à la réflexion, à la méditation ; par exemple dans le parc d’Ermenonville, le chemin (aujourd’hui partiellement disparu) tracé autour du lac où se trouve le cénotaphe de Jean-Jacques Rousseau, passait aussi devant les ruines du temple, la maison du philosophe, le tombeau du poète inconnu et la pyramide. «Ce n’est donc ni en architecte, ni en jardinier, c’est en Poète et en Peintre qu’il faut composer les paysages, afin d’intéresser tout à la fois l’œil et l’esprit». Cette citation est de René-Louis de Girardin, ami de Rousseau, seigneur d’Ermenonville et créateur de ses jardins.

Paul di Felice : Plusieurs expressions se superposent dans ce travail très complexe où le paysage peut devenir une interface de démarches artistiques et littéraires dont la visualisation conceptuelle est le résultat d’une pensée sensible et intelligible. En partant de la peinture et de la gestualité d’un côté, de la philosophie et de la littérature de l’autre, vos mises en image paysagères dépassent la photographie pour devenir une installation voire sculpture photographique dans le cadre du jardin/parc de la Villa Vauban.

H. Trülzsch : Quand le visiteur est assis ou allongé sur la pelouse, il peut contempler les trois images (d’un format horizontal de 3m x 2m), qui sont chacune une photographie d’une apparence du paysage ou de la nature sur le sol d’un atelier : une averse, un relief vallonné ressemblant à une gravure de Hercules Seghers, une formation liquide d’un éden. En marchant autour de la pelouse, le visiteur découvre à l’arrière de chacune de ces trois images, un centon composé des élements de Reliefs ( au sens de restes) de la mémoire du paysage auquel est associée une image agrandie d’un Polaroïd “overpainted” ou une photographie d’un sol taché de craies de couleur qui évoque les paysages méditerranéens d’Albert Camus dans Noces à Tipasa ou dans L’Eté.

D. Auerbacher : Les images de textes sur le paysage font partie d’une série intitulée Reliefs (au sens de restes, de traces). Les couleurs et les polices des caractères composent un ensemble textuel pictural constitué de vers, de phrases et d’extraits de textes provenant de divers auteurs. J’utilise le genre littéraire du centon pour re-contextualiser ces appropriations et ces détournements en les entrelaçant dans une trame polysémique du paysage. Il y a aussi les supercheries ingénieuses du centon comme celle de Blaise Cendrars qui révèle que les poèmes de son recueil Kodak (Documentaire) ont été « taillés à coups de ciseaux » dans le roman d’aventures, Le Mystérieux docteur Cornélius, de son ami Gustave Lerouge et qu’il s’agit d’un collage « monté comme un court-métrage poétique » ; il écrira « ces poèmes, que j’ai conçus comme des photographies verbales, forment un documentaire ».

Esquisse pour LES PAYSAGES DU KAIROS, 2021

Dominique Auerbacher, Holger Trülzsch, détail, LES PAYSAGES DU KAIROS, 2021, 190 x 300 cm

Quant au lettriste Gil J Wolman, il développera l’art de la citation dans son Art scotch après l’avoir expérimenté dans son récit détourné J’écris propre dont il dira qu’il est écrit « aux ciseaux et à la colle » avec des phrases découpées dans des livres et que le titre lui-même est un détournement du slogan publicitaire pour le stylo Bic. Les spolia dans l’architecture ont aussi quelque chose du centon par leurs remplois dans une construction nouvelle de matériaux et d’œuvres d’art provenant d’une construction ancienne ou de ruines. Ainsi de nos jours, le couple d’architectes chinois Wang Shu et Lu Wenyu inscrivent le savoir-faire traditionnel chinois dans la ville contemporaine notamment en ayant recours à la technique millénaire dite « wa pan » qui utilise une mosaïque de matériaux de récupération pour reconstruire les murs des maisons détruites par les typhons. H. Trülzsch : Quand je prends une photo, dans un premier temps, mon regard reste concentré sur l’écran LCD de l’appareil photo, j’examine les structures du sol maculé d’un atelier… il arrive qu’un détail se différencie dans des taches ou des traces liquides de peinture … à cet instant et à cet endroit là, le cadrage met en évidence ce que je reconnais comme un paysage. La surface laisse apparaître le non-visible. Il ne s’agit pas d’une peinture photographiée et pas non plus d’une peinture gestuelle. L’image qui se produit résulte de ce procédé de capture photographique sans lequel elle n’adviendrait pas.

José María Sert, Tree Study, c. 1910-1920, Silver gelatin print, Courtesy Archive of Modern Conflict

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