DADI magazine

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DESIGN YOUR LIFE / CHF 9 / € 7.20 / $10 Printemps 2012 - CHF 9 / € 7.20 / $10 WWW.DADIMAGAZINE.CH

DESIGN / ART & ARCHITECTURE / DÉCORATION / INTÉRIEUR

DESIGN SUISSE NOUVELLE GéNéRATION | ACHETER VINTAGE | ENZO MARI

La nouvelle génération du design suisse

TOUT SAVOIR pour acheter vintage Couleur: mode et meubles sur tous les tons Enzo Mari designer indigné



EDITO

IMPRESSUM

DA D I

No 1, printemps 2012 Un supplément de L'Hebdo et de Boléro. Ce numéro est offert à des abonnés de L'Hebdo et de Boléro. www.dadimagazine.ch

Parutions Abonnement

Suisse : Etranger :

Emmanuel Grandjean RéDACTEUR EN CHEF

comme Daddy Cool. Alors oui dans l'esprit. Ou comme l’acronyme de Design, Art & Architecture, Décoration et Intérieur. DADI c’est surtout un tout nouveau magazine publié quatre fois par an, en lien étroit avec l’Hebdo dont il rejoint la constellation éditoriale. C’est aussi un défi, une grande aventure helvétique. D’abord parce qu’il existe en deux langues, en français et en allemand, avec le même contenu rédactionnel rédigé par deux équipes de journalistes, basées en Suisse romande et en Suisse alémanique. Ensuite parce qu’il veut proposer une nouvelle manière de parler des objets avec lesquels on vit. L’univers de la forme n’est pas seulement circonscrit au mobilier et au produit. C’est un champ infini qui va de l’automobile à la céramique, de la typographie à l'horlogerie, du textile à la technologie. Et puis dans ce domaine du beau, l’art contemporain et l’architecture tiennent aussi des places de choix. Géographiquement, DADI s’intéresse principalement à ce qui se passe en Suisse. Grâce à ses hautes écoles, à ses entreprises, à ses centres d’art et à ses galeries, à ses designers, ses artistes et ses architectes notre pays est une gigantesque machine à talents qui turbine bien au-delà de nos frontières. De la même manière qu’il attire les créateurs internationaux qui trouvent ici les moyens, le savoir-faire et les désirs de leurs réalisations. De tout cela, DADI parlera, en racontant par le texte et l’image celles et ceux qui inventent et fabriquent des objets qui servent aussi à faire réfléchir. Car DADI n'est pas seulement un magazine qui veut donner à voir, c'est aussi un magazine qui veut donner à lire, qui veut être à la fois pointu et accessible, technique et élégant. Bref, qui veut mettre de l'intelligence dans l'esthétique d'aujourd'hui. Sans oublier de prendre son lecteur par la main. Vous avez des envies de design, d’art contemporain ou d'architecture ? Bonne idée, mais par où commencer ? Facile, demandez à DADI !

4 numéros par an Case postale 7289, 1002 Lausanne-Suisse tél. +41 (021) 331 71 48 1 an : Fr. 30.- (frais de port inclus) 2 ans : Fr. 55.- (frais de port inclus) 1 an : 25 Euros (+ frais de port selon pays) 2 ans : 45 Euros (+ frais de port selon pays)

RÉDACTIOn

Rédacteur en chef Emmanuel Grandjean Responsable rédaction alémanique Johanna Rickenbach

DADI Case postale 7289 1002 Lausanne – Suisse Tél + 41 21 331 70 00 Email : dadimagazine@ringier.ch

Ont participé à ce numéro Tonatiuh Ambrosetti, Laurence Bonvin,

Correction Traduction DA + Conception graphique Marketing ÉDITIONS RINGIER ROMANDIE Directeur: Rédacteur en chef L'Hebdo: Directrice de la publication DADI: Directrice marketing: Directeur publicité:

Luc Debraine, Mireille Descombes, Daniela Droz, Christian Geissbuhler, Rebekka Kiesewetter, Alban Kreiss, Benjamin Luis, Samuel Gross, Christiane Nill, Sandrine Oppliger, Ariana Pradal, Florence Schmidt, Emilie Veillon, Annik Wetter, Cédric Widmer

Julie Ducret Béatrice Aklin, Sabine Droeschel, Gian Pozzy Enzed - Nicolas Zentner, Mathieu Moret Coordination: Sandrine Boehm 3, pont Bessières, CP 7289, 1002 Lausanne - Suisse Tél. + 41 21 331 70 00, fax + 41 21 331 70 01 Daniel Pillard Alain Jeannet Claire Kappert Faridée Visinand Patrick Zanello

PUBLICITÉ

Suisse romande 3, pont Bessières, CP 7289, 1002 Lausanne Tél. 021 331 70 00, fax 021 331 71 21 publicite@ringier.ch www.go4media.ch Key account manager: Emilio Pescio Administration: Denise Burnier Suisse alémanique Brühlstrasse 5, 4800 Zofingen Tél. 062 746 31 11, fax 062 746 37 84 AnzRomandie@ringier.ch www.go4media.ch Key account manager: Emilio Pescio Administration: Doris Greber Publicité Italie Blei Spa Via degli Arcimboldi 5, Milan 20123 Milan (MI) Italy http://www.bleispa.com/ Phone: +39 0272 251 224 Fax: +39 0272 251 251 Publicité internationale (autres pays) Dufourstrasse 23, 8008 Zurich Tél. +41 44 259 66 20, fax +41 44 259 63 39 sales@ringier.ch www.go4media.ch Directeur: Daniel Strassle

IMPRESSION

Swissprinters Lausanne SA, Renens

ISSN 2235-5103

Notification des participations importantes au sens de l’art. 322 CP: Betty Bossi AG, Energy Schweiz Holding AG, Energy Bern AG, Energy Zürich AG, ER Publishing SA, Eventim CH AG, Geschenkidee.ch GmbH, Good News Productions AG, Goodshine AG, GRUNDY Schweiz AG, Infront Ringier Sports & Entertainment Switzerland AG, Investhaus AG, JRP Ringier Kunstverlag AG,

2R MEDIA SA, media swiss ag, Original S.A., Previon AG, Presse TV AG, Qualipet Digital AG, Ringier Africa AG, Ringier Studios AG, Rose d’Or AG, Sat.1 (Schweiz) AG, SMD Schweizer Mediendatenbank AG, SMI Schule für Medienintegration AG, Teleclub AG, The Classical Company AG. Ringier Axel Springer Media AG, Ringier France SA (Frankreich), Ringier Publishing GmbH (Deutschland), Juno Kunstverlag GmbH (Deutschland), Ringier (Nederland) B.V. (Holland), Ringier Kiadó Kft. (Ungarn), Népszabadság Zrt. (Ungarn) Ringier Pacific Limited (Hongkong), Ringier Print (HK) Ltd. Hongkong), Ringier China (China), Ringier Vietnam Company Limited (Vietnam), Get Sold Corporation (Philippinen)

Daniela Droz et Tonatiuh Ambrosetti

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SOMMAIRE

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022

038

014 022 028 030 032 034 036

Edito DADIFace Contributeurs Icône Markus Persson, Master Mine

DADIcool News Variations Born to be fold

Police story Une brève histoire de l'Univers Radar Les Balkans dans le vent Biblio Lu et approuvé Passage Beaux objets, bonnes galeries

DESIGN

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Auto Porsche 911, la théorie du neuf

10 designers suisses Portraits d'une nouvelle génération de créateurs qui cultivent l'intelligence intérieure

Photo: © Annik Wetter

Equation Les dents de la mort

Actuel La nouvelle génération du design suisse

056 060 064

Photo de couverture: Veste, top et bermuda, Felipe Oliveira Baptista Ceinture cuir, Paul Smith Sandales, Marni Fauteuil « Fahy », design Nicolas Le Moigne pour Atelier Pfister

Interview Enzo Mari, designer indigné Epoque Le design des tyrans

060 Annik Wetter / Cédric Widmer / DR

004 010 012


SOMMAIRE

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DESIGN

Shooting Cooler Couleur

066 076 Lexique 082 Les mots du design Cottage 086 Le mobilier prend l’air du temps Décodage 092 La raison de l’amphore Style 094 Design Your Life Intérieur 102 L'esprit des lieux Conseils V comme Vintage

110 116 120

066

ART CONTEMPORAIN Portraits La nouvelle scène alémanique Artiste A propos de Damián Navarro JRP | Ringier Luigi Ghirri, Project Print

ARCHITECTURE

Postcard Un OVNI à Cornavin

122 126

Bureau Conzett, Bronzini, Gartmann, les jeteurs de ponts

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Extérieur Christian Dupraz, architecte sur cour

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DESTINATION

Architecture Au cœur de Genève, l'histoire d'un atelier construit dans un mouchoir de poche

Vade-Mecum Guide de Survie de la Foire de Milan

136 140 Adresses Savoir 146 Un mythe dans votre quotidien

Annik Wetter / Laurence Bonvin / DR

076

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DADIFACE

CONTRIBUTEURS

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Christian Geissbuhler et Sandrine Oppliger Ils sont architecte et architecte d’intérieur à Carouge, en couple à la ville comme au bureau ! Lui n’aime plus son meuble « Boby » Joe Colombo, elle n’aime plus sa commode de Raymond Loewy. Lui aime toujours sa table « Macaone » d’Alessandro Mendini, elle, son lustre « 2097 » de Gino Sarfatti…. In : « Posséder une pièce exceptionnellement rare plutôt que 10 pièces moyennes, le vintage brésilien, les coloris « nature » : beige, brun, orange, vert, taupe…. » Out : « Les meubles en plastique des années 70, les meubles mous, le minimalisme en général. »

Rebekka Kiesewetter Rebekka Kiesewetter a étudié l’Histoire de l’art à Zurich où elle vit. Journaliste spécialisée dans le design, elle travaille pour Annabelle, Hochparterre et The Weekender. Son sujet de prédilection : les portraits de designers, architectes ou producteurs de design qui s’impliquent dans leur métier. In : « Etre. » Out : « Paraître. »

Ariana Pradal Elle a appris le design industriel avant de se tourner vers le journalisme et l’organisation d’expositions. Ariana Pradal vit et travaille à Zurich où elle écrit sur le design et l’architecture pour divers magazines ainsi que pour des publications muséales. Elle offre également son expertise technique auprès de plusieurs institutions politiques et culturelles. In : « le design qui met en relation le futur et le passé. Le design réfléchi, séduisant et intelligent. » Out : « le design qui ne sert qu'à mettre en avant son auteur et son propriétaire. »

Annik Wetter Formée à l’école des arts appliqués de Vevey et à la Head de Genève, elle est photographe indépendante depuis 2005. Elle aime l’art contemporain et les chaussures à très hauts talons. Pour DADI, elle cultive son goût pour la mode et le design dans le shooting color-pop « Cooler Couleur ». In : « comme inutile, invraisemblable, incongru, intemporel, intergalactique .» Out : « comme outrancier, outragé, outrecuidant. »

Cédric Widmer Photographe indépendant depuis 1996, il a étudié à l'Ecole de photographie de Vevey et enseigne à l'Ecal depuis 2002. Adepte de la précision et de la dérision, Cédric Widmer envisage la photographie comme un immense terrain de jeux, sur lequel il aime ponctuellement s'amuser avec d'autres créatifs, qu'ils soient photographes, designers, graphistes ou chimistes... In/Out : « Difficile à dire. J’observe simplement des tendances, des va-et-vient de formes et de matières dont l'issue est parfois incertaine. Et puis soudain arrive le miracle de l’objet unanimement beau et qui fonctionne ! »

Emilie Veillon Après quelques flâneries londoniennes, Emilie Veillon a posé sa malle remplie de mobilier vintage à Lausanne. Un pied dans le design, l'autre dans l'architecture, elle écrit pour plusieurs titres romands. In : « les belles essences de bois, les têtes de lits, les barbes des designers. » Out : « le blanc laqué, les angles droits. »


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ICÔNE

SUJET : Emmanuel Grandjean

Master Mine

Le Suédois Markus Persson a créé « Minecraft », le jeu vidéo dont vous êtes l’a rchitecte. Un phénomène de design gaming qui fédère 4 millions d’a mateurs.

S

es amis l’appellent « Notch ». « Notch » pour quoi ? « Notch » pour rien, pour le pseudo de Markus Persson, 33 ans, développeur génial de jeu vidéo indépendant. Un Suédois, comme son nom l’indique, tombé dans le code informatique à l’âge de sept ans en tripotant le Commodore 128 de son père. Persson est surtout le créateur de Minecraft, jeu vidéo en ligne où il s’agit de construire un univers en empilant des cubes de un mètre sur un mètre, à l’échelle du jeu. « J’ai conçu Minecraft pour être aussi vaste que possible de sorte de pouvoir y faire exactement ce que l’on veut. J’ai toujours préféré les jeux qui laissaient libre le joueur d’intervenir. Inventez le monde dans lequel vous voulez jouer, telle est ma devise », explique le game designer qui ne sort jamais sans son chapeau noir vissé sur la tête. Après deux ans de développement et une version non-définitive téléchargée par 16 millions de

fidèles, le jeu dont vous êtes l’architecte est finalement sorti le 11 novembre 2011 sur Mac et PC ainsi que dans un format de poche baptisé Minicraft pour miner jusque sur son Smartphone. Une version dédiée à la Xbox 360 devrait également voir le jour quelque part en 2012. En attendant, 4 millions de personnes ont déjà rejoint la communauté contre 15 euros, mettant ainsi Markus Persson à l’abri du besoin. Mieux qu’un carton, un phénomène.

Au contraire de Sim City et de son avatar sociabilisant Les Sims, dans Minecraft il faut mouiller la chemise pour produire les ressources indispensables à la construction de son chez-soi. Couper du bois, chasser, creuser, élever des cochons, extraire du métal, rythment les journées du Minecrafter qui se planque, la nuit tombée, pour éviter de finir boulotté par les zombies (en mode de jeu « Survival », le mode « Creative » écartant toutes

formes de danger). Ici, pas d’épate graphique en haute définition, on reste dans l’esthétique LowFi du Pixel Art qui fait galoper l’imagination. Comme chez Lego, dont il s’inspire, Minecraft c’est une histoire de briques où seuls le talent et l’inventivité imposent leurs limites. Et dans le genre, il y a quelques artistes. On ose à peine calculer le nombre d’heures passées devant leur écran par ces joueurs qui reproduisent avec une fidélité ahurissante les grands monuments de l’histoire humaine (de Notre Dame de Paris à l’Empire State Building) et les décors de fiction de la culture geek (Le château élisabéthain de Poudlard dans Harry Potter, l’Etoile de la Mort de Star Wars, les robots géants de Gundam). Youtube regorge des créations de ces gamers designers dont la titanesque visite d’un Titanic Minecrafté en 3D avant son funeste naufrage reste l’un des grands moments. www.minecraft.net, 15 euros


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NEWS

SUJET : Emmanuel Grandjean

DADICOOL Ormond Edition Wallpaperisé Comme chaque année, le magazine Wallpaper a décerné ses bons points au professionnels de la forme. Dans la catégorie « Meilleur lancement 2012 », c’est l'éditeur genevois de design Frédéric Ormond qui remporte le premier prix avec une collection dessinée par le designer français Stéphane Parmentier. Baptisé de noms de volcans (Etna, Stromboli) ou des lunes de Star Wars (Tatooin, Naboo, Endor), fabriqué en lave, bois (laqué argent ou pas) et marbre, ce mobilier à la limite de la scuplture est disponible en édition très limitée. Prix sur demande, www.ormond-editions.com

Le bureau cocon

© DR / Luxproductions.com

Skate art Le skate objet d’art ? Et pourquoi pas. N’est-ce pas finalement un panneau de bois comme un autre, juste un peu plus oblong. Un support original – à la fois en volume et en plan – qui se plie à toutes les expériences. A la tête de Mekanism, fabricant de skateboards made in France, Fred Maechler collabore depuis quelques années avec la fine fleur de l’art contemporain. Olafur Elliasson, Josh Smith, Anselm Reyle ont ainsi chacun produit leur board artistique, pièces hautement collector tirées en nombre d’exemplaires très limités. Fred Maechler ayant du flair, il finissait 2011 avec Wade Guyton et Kelley Walker. Les Newyorkais décidaient de faire board commun avec une planche glissée dans une imprimante à jet d’encre. Mekanism démarre 2012 avec une nouvelle carte blanche accordée à David Reed, artiste américain actif depuis les années 80 qui étudie le rapport entre peinture abstraite et cinéma. D’où cette série de 10 skates peints, coupés en deux et montés sur chassis à la manière d’un « cut ». Deux planches, deux styles avec un début et une fin. Car lorsqu’un film se termine, un autre commence. 6400 euros, www.mekanismskateboards.com

Travailler mieux pour se sentir mieux. Bonne idée. Lista Office lance donc son nouveau concept LO Mindport (littéralement abri pour l’esprit). Soit toute une gamme de solutions pour augmenter le bien-vivre au travail. Couleur douce, siège extralarge extraconfortable, cocon vitré et ultra connecté pour bosser en toute tranquillité, les bulles à boulot sont fabriquées en Suisse sur un design imaginé à Zurich par le studio Greutmann Bolzern spécialiste dans la création de bureau. www.lista-office.com


NEWS

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DADICOOL On the Rocks

Urs Fischer, Sérenissime François Pinault adore son côté dada accumulatif et ses associations bizarres qui interrogent le métier de l'art. Au point d’avoir largement contribué à faire de l'artiste zurichois, l’un des mieux cotés de notre pays, voire très au-delà. Urs Fischer, donc, aura droit à une expo personnelle au Palazzo Grassi de Venise - propriété du milliardaire français - situé juste en face de La Dogana où le patron du groupe PPR, acheteur frénétique d’art contemporain, expose le reste de sa collection. L’artiste suisse, mais travaillant à New York, inaugure là un cycle d’accrochage monographique organisé par Caroline Bourgeois, curatrice de la François Pinault Foundation. Madame Fisscher, du 15 avril au 15 juillet 2012, Palazzo Grassi, Venise, www.palazzograssi.it

Trois roues pour l’enfer Un design de Spitfire du bitume, un moteur « green friendly » de 2 litres à double cylindre en V, un poids de 500 kilos. Bref, une vraie voiture folle pour le fun qui développe gentiment 115 chevaux sous son capot-sarcophage. Voici le nouveau « 3 Wheeler » du constructeur britannique Morgan qui, en 2011, relançait sa production historique de tricycle motorisé. Installé en 1910 à Malvern, passé à la fabrication de voiture à quatre roues en 1932 seulement, l’entreprise appartient toujours à la famille de son fondateur, Harry Frederick Stanley Morgan. Chaque véhicule étant fabriqué à la main, la chaîne de montage du fabricant ignore les cadences infernales. D’où une disponibilité de la machine prévue quelque part en 2013. A partir de 40'000 francs. Rens. sur www.morgan3wheeler.co.uk. Pour la vente en Suisse se renseigner chez Abt Automobile AG à Liestal (www.morgan-swiss.ch) ou chez Autobritt à Genève (www.autobritt.ch)

© Urs Fischer. Courtesy of the artist.. Photo: Mats Nordman / Francesco Mattuzzi / www.autogaleria.hu

Installé à 2835 mètres sur le glacier Fréboudze, pile en face du Mont-Blanc et des Grandes Jorasses, on imagine la vue imprenable depuis le hublot central de cet abri spectaculaire. Commandé par la section turinoise du Club Alpin Italien, le refuge Nuova Capanna Gervasutti a été construit par les architectes italiens LEAPfactory spécialistes dans le bâti en conditions extrêmes. Fabriqué avec des matériaux standards, la cabanetube s’autogère grâce à l’énergie solaire captée par son réseau de cellules photovoltaïques. Renseignements : www.caitorino.it


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NEWS

DADICOO L B&O concours de custom

Les Bouroullec pimpent ton lavabo

La marque de matériel audio super design lance un concours mondial. But de la compétition ? Donner un nouveau look aux deux grosses oreilles de Mickey qui servent de haut-parleur à sa station BeoSound 8. Désigné par les internautes, le gagnant se vera offrir une base dessinée par ses soins. Il aura également l’insigne honneur de voir sa création produite en éditon limitée et distribuée partout dans le monde. Adressez vos projets jusqu’au 18 mars 2012. Règlement et infos sur www.bang-olufsen.dk/facebook

Une envie de jouer dans la salle de bain ? Axor lance le lavabo qui se customise. Évier, robinetterie, tablette et même le meuble qui va avec : vous assemblez ce que vous voulez comme vous voulez. La marque allemande qui travaille avec le top du design international (Patricia Urquiola et Jean-Marie Massaud) a mis au point cette nouvelle collection avec Erwan et Ronan Bouroullec, les deux frères bretons qui, au sujet de l’eau, en connaissent un rayon. Axor Bouroullec Composer sur www.hansgrohe.com

A la fin de l’année, l’homme Vuitton portera une flèche. En boucle d’oreille ou en broche, accrochée à son manteau ou fichée sur le côté de ces bérets vus au défilé des collections automnehiver 2012-2013. Une flèche, donc, attribu de cupidon et de Saint Sébastien, mais aussi élément récurrent dans l’œuvre d’Antonio Lopez, illustrateur de mode, star du fashion design disparu en 1987. Un hommage piquant rendu par Kim Jones, le directeur du style masculin auprès du malletier parisien, sous l’égide de son directeur artistique toujours au poste, Marc Jacobs. www.vuitton.com

© Louis Vuitton, Brett Lloyd / DR

Vuitton en flèche


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NEWS

DADICOOL OsCar Tuazon se livre D’Oscar Tuazon, on connait ses installations monumentales, bricolages géants en pierre, en bois ou en béton qui réactivent l’idée de l’abri primitif et du retour à une certaine vie libre et sauvage. On sait moins que l’artiste américain note scrupuleusement le déroulement de fabrication de chacune de ses pièces. D’où ce livre d’artiste, Working Drawing, publié par le Centre d’édition contemporaine de Genève. Pour suivre le processus créatif de l’un des artistes contemporains les plus courus du moment. Working Drawing, Livre d’artiste, reproduction de 210 dessins et d’un texte d’Oscar Tuazon, tiré à 130 exemplaires signés et numérotés. Les 20 premiers sont réhaussés de dessins originaux. Rens : www.c-e-c.ch

Mirax, tissu max Il porte un nom de DJ de l’espace qui changerait de couleur selon la lumière. Mirax évolue du vert au bordeau, du blanc au rose bonbon. Il brille, certes, mais ne fait pas de musique. Du moins, pas encore. Mirax, c’est l’un des tout nouveau tissus développés par Création Baumann. L’entreprise de Langenthal spécialisée dans la fabrication textile sort en 2012 sa nouvelle collection de produits technologiques. Intitulée NEW CYBER II – CYBER I date de 2000 – la famille des matières du futur compte aussi Vilar, le tissu en relief, Evita celui qui imite les paillettes ou encore Ecolor, le tissu qui, en se froissant, tient tout seul, comme une sculpture. www.création-baumann.ch

© DR / ©Oscar Tuazon et Pierre-François Letué. Courtesy Centre d’édition contemporaine, Geneva

Miam Art « Making stuff happen with little time and energy ». C’est le mantra tout simple et un peu flemmard du Low-Commitment Projects, concept artistique qui chaque lundi met en ligne un mini happening. L’année 2012 a démarré avec les Sandwich Artist inspirés d’œuvres célèbres par l’Américaine Britanny Powell. On vous laisse deviner quel toast ressemble à qui. On a quand même relevé un léger anachronisme dans la version Piet Mondrian, le peintre qui vouait le vert au gémonie. lowcommitmentprojects.com/


variations

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SUJET : mireille descombes PHOTOS : CÉDRIC WIDMER

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Birdy Touring

P

lus qu'une simple mode, le vélo pliant incarne une nouvelle philosophie. Grâce à lui, c'est tout notre rapport à la ville, au déplacement et aux objets qui se trouve modifié. Quelques secondes, et le voilà transformé en un véhicule performant prêt à défier les pires embouteillages. Arrivé à destination, quelques gestes élégants suffisent pour le retransformer en gros animal inerte et docile, simple bagage à glisser entre deux banquettes de train ou sous un bureau.

Bien sûr, la plupart des vélos pliants sont un peu courts sur pattes. Mais rien à voir avec les minis poussifs d'autrefois. Ceux d'aujourd'hui défient vaillamment n'importe quelle pente et ne déméritent pas si leur propriétaire se lance dans une frénétique course poursuite avec l'un ou l'autre de leurs grands frères. En outre, cela n'aura pas échappé aux esthètes, ces petites merveilles d'astuces sont de véritables sculptures mouvantes qui, entre pliage et dépliage, épousent les formes les plus insolites.

Les vélos du constructeur allemand Riese und Müller se caractérisent par leur double suspension. Leurs formes libres et fluides lui confèrent un look spécial, peutêtre un brin plus sportif. Très confortables, les modèles de la marque se veulent un vélo à part entière, et notamment un vélo de route offrant selon les modèles jusqu'à 24 vitesses. 1890 francs


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Brompton S2L X (2 vitesses, titanium) Cet anglais à la silhouette bien particulière a ses inconditionnels qui, pour rien au monde, ne lui feraient quelque infidélité. Il est vrai que son pliage est très ingénieux et le résultat des plus compacts. Parfait donc pour la ville et les trajets combinant bicyclette et transports en commun. Le complice idéal des pendulaires. 1980 francs

GoBike Moins répandu chez nous que ses confrères, c'est le Canadien de l'équipe. Il se caractérise par un cadre aux lignes biomorphiques, une mono-fourche et des freins à disques. 1250 francs


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Dahon Mu SL Firme américaine fondée en 1982, Dahon est le plus grand constructeur mondial de vélos pliants. Il propose un grand choix de types de roues, et notamment des vélos pliants de la taille d'un vélo normal. Relativement compacts, stables, ces modèles sont présentés comme idéaux pour un usage quotidien. 1749 francs Nos plus vifs remerciements à Bikes2Fold à Carouge et à Sulpiz Boisserée, www.bikes2folds.com

éloge

SUJET : Emmanuel Grandjean


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équation

SUJET : Emmanuel Grandjean

Damien Hirst Les dents de la mort Un requin tigre, un aquarium et 1000 litres de formaldéhyde. Et hop, voici l’une des sculptures contemporaines les plus chères du monde, propriété de Steve A. Cohen, depuis que le milliardaire américain l’acheta, en 2004, 8 millions de dollars au milliardaire anglais Charles Saatchi, publicitaire et « Artoholic » assumé (il en a même tiré un bouquin) inventeur des Young British Artist (YBA) au début des années 90. Symbole de ces années folles, The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living de Damien Hirst annonce toute une série d’animaux plongés dans le formol par l’artiste britannique, dont une vache entière et son veau coupé en deux. Reste à savoir dans quelles eaux fraie ce squale figé en pleine action. Une métaphore carnassière du marché de l’art ? Presque trop facile. Une critique de l’art conceptuel, le poisson flottant dans une structure comparable à celle de Sol Lewitt, l’artiste américain pour qui l’idée primait sur l’objet ? Peut-être. Ou juste un gros mangeur d’homme posé dans un aquarium, Vanitas contemporaine signée d’un artiste obsédé par la mort ? Pour Damien Hirst, à qui Saatchi laissa, à l'époque, carte blanche, il s’agissait surtout de trouver « quelque chose d’assez grand pour vous bouffer ». La première version de 1991 ayant fini par pourrir, c’est la seconde, celle de 2006, que la Tate Modern exposera dès le 4 avril à l’occasion de la première grande rétrospective de l’œuvre du Britannique qui fête ses 20 ans de carrière et dont la cote de l’œuvre a passablement souffert de la crise.

Damien Hirst and Science Ltd. All rights reserved. DACS 2011. Photographed by Prudence Cuming Associates

Damien Hirst, du 4 avril au 9 septembre 2012, Tate Modern, Londres, www.tate.org.uk

« The Physical Impossbility of Death in the Mind of Soemone Living », 1991


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POLICE STORY

SUJET : Emmanuel Grandjean

Une brève histoire de l’Univers Vous les lisez sans savoir d’où elles viennent. Découvrez le caractère caché des lettres.

Adrian Frutiger reprend une police de 1898, l’Akzidenz Grotesk, qu’il modernise. Surtout, il travaille en fonction d’une nouvelle technologie venue bouleverser les arts graphiques. L’avènement de la photocomposeuse permet l’impression par procédé photographique. Fini le temps où chaque caractère devait être fondu dans le plomb séparément. Ce qui permet au typographe d’Unterseen d’inventer une famille de lettres complète, avec italique et graisse, disponible en 21 tailles différentes. A la lutte avec l’Helvetica créée la même année, Univers remporte bientôt son pari commercial. Elle tourne sur les boules des machines à écrire électriques IBM, organise la circulation à l’aéroport d’Orly à Paris, s’impose sur les affiches des Jeux Olympiques de Munich en 1972 et anime les touches des claviers des premiers MacBook. L’arrivée des ordinateurs portables new look d’Apple en 2007 changera la donne. La mode est aux objets soft et aux caractères ronds. La firme à la Pomme abandonne le lettrage du Bernois pour VAG Rounded, police tout en courbe à l’origine développée pour la société Volkswagen. Mais l’univers, c’est bien connu, n’arrête jamais son expansion. En 1997 Adrian Frutiger retravailla le rythme de sa fonte en collaboration avec le fondeur américain Linotype, actuel propriétaire de l’Univers.

DR

Octobre 1957, les Soviétiques satellisent Spoutnik sous le nez des Américains qui enclenchent leur programme de vol habité. Pendant que les deux blocs s’écharpent dans l’espace, l’humanité voit des étoiles partout. Les groupes de rock jouent sur la lune et les voitures affectent des designs d’engins intersidéraux. A Paris, Adrian Frutiger colle à l’esprit du temps. Le typographe bernois baptise Univers la police de caractères qu’il vient de créer pour le fondeur Deberny & Peignot. Plus qu’une nouvelle typo, une machine de guerre. Univers doit définitivement mettre sur orbite Futura, la fonte allemande omniprésente mais dont la robuste neutralité accuse, trente ans après sa mise sur le marché, un sérieux coup de mou.


SUJET : emilie veillon

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radar

Plateaux-boîtes Les Croates Maša Milovac, Mia Bogovac et Dora Đurkesac revisitent le bon vieux plateau de service dans une version table de salon. Porthos empile ainsi cinq modules, du plus étroit au plus large, et du plus clair au plus foncé grâce à différentes finitions de bois d’érable. Chaque élément de la table peut ainsi devenir un plateau ou une boîte de rangement, suivant sa position dans l’espace.

Tapis-puzzle De loin, on dirait un tapis au crochet. De près, le Coil Carpet de la Croate Maja Mesić révèle son dessin complexe taillé dans un caoutchouc recyclé, utilisé d’ordinaire dans la couverture des aires de jeux. De la même manière que les pièces d’un puzzle, les éléments se connectent les uns aux autres et agrandissent cette carpette circulaire. « J’ai développé sept typologies de pièces pour construire l’ensemble du motif sphérique. Avec ce système, le diamètre du tapis peut être dimensionné en fonction de l’espace à disposition. Cet objet évolue ainsi en fonction des changements de vie ». Grâce à ses qualités isolantes et ses propriétés non poreuses, le Coil Carpet convient aussi très bien aux terrasses brûlées par le soleil des Balkans.

Les Balkans     dans le vent

Inventive et énergique, autonome et pragmatique, la scène design balkanique s’émancipe. Une vraie découverte en quatre objets fantastiques.

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ans la section Satellite du Salon du Meuble de Milan, rayonnaient l’année dernière les objets des onze lauréats des « Young Balkan Designers ». Onze talents venus de BosnieHerzégovine, Bulgarie, Croatie, Grèce et Serbie, sélectionnés par un jury présidé par le designer Konstantin Grcic. Leurs points communs ? Une même recherche d’ergonomie, de rationalisation des coûts et de production éco-compatible. Le tout animé d’une formidable énergie dans une région aux ressources limitées et où les débouchés industriels locaux restent quasi inexistants. Petite sélection d’objets balkans bluffants. www.mikser.rs

Lampe-phare

Table-métatable

Dans l’idée de créer des objets autonomes et identitaires, Dimitrios Stamatakis s’est inspiré des phares élevés sur les bords de la mer Egée pour inventer cette lampe-totem. Avec son piètement en bois naturel clair et son tube en verre Borosilicate hyper résistant à la chaleur, Lighthouse et ses 170 cm de hauteur diffusent à 360 degrés une puissante lumière. « La présence énigmatique et fonctionnelle de ce luminaire habite l’espace en lui procurant une note particulière, tout comme un phare qui, en brillant seul dans la nuit, influence son environnement », explique le designer grec qui tente le contraste entre la fragilité d’une matière semblable à la céramique et la durabilité du bois. Lighthouse est une pièce grandiose, narrative et rare, éditée à une douzaine d’exemplaires.

Un plateau. Quatre pieds. Séparés, ils existent en tant qu’objets indépendants à usage limité. Ensemble, ils forment une table d’appoint, ni trop basse, ni trop haute, légère et sobre. Ce processus de transformation qui confère sens et fonctionnalité au design inspire régulièrement le travail de l’architecte Jelena Pančevac, basée à Belgrade. Avec Tisch, elle propose un meuble fonctionnel, facile à transporter et à ranger, les quatre pieds se dévissant en un tour de main. « Tisch est juste une table. Réalisée avec des matériaux industriels bon marché - bois d'érable, contreplaqué et linoléum de finition - elle n’a pas la prétention de se dissimuler derrières des effets spéciaux ni de délivrer de messages subliminaux. C’est dans cette sincérité qu’elle trouve sa beauté », précise la designer qui a réalisé son premier prototype à la Zürcher Hochschule der Kunste.


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BIBLIO

SUJET : Mireille Descombes, Johanna Rickenbach

Gigon Guyer Architects

Atelier Oï

D’un bel orange, il a la taille et l'embonpoint d'un petit Larousse. Consacré aux projets des dix dernières années - la fameuse Prime Tower y figure en bonne place – cet ouvrage se distingue agréablement des encombrantes monographies jusque-là consacrées au grand bureau d'architectes zurichois. Lieux d’habitation, d’apprentissage, de travail ou d’exposition, les projets y sont regroupés en fonction de leur usage. Une façon de se démarquer de toute notion de style et de mettre l’accent sur l’unicité de chaque intervention, sur ses liens étroits avec l’histoire et la spécificité du site. MD « Gigon Guyer Architects, Works & projects 2001-2011 ». Textes de Gerhard Mack, Philip Ursprung, Arthur Rüegg, entretien des architectes avec Martin Steinmann et Patrick Gmür. Disponible en anglais et en allemand. Lars Müller Publishers, 607 p., 65 francs.

Tous ceux qui suivent avec sympathie l'aventure de l'Atelier Oï attendaient avec impatience un livre offrant enfin une vision d'ensemble des multiples activités des trois designers (et architectes) de La Neuveville. Le voilà donc, il est trilingue et forcément un peu particulier. S'y côtoient meubles, petits objets et bâtiments. Intitulé Manuel d'atelier, il met l'accent sur la singularité de l'atelier Oï et la spécificité de ses méthodes: travailler, parfois avec les mêmes formes, à différentes échelles et utiliser les anciens projets comme levain de ceux du futur. MD « Workshop guide. Atelier oï ». Introduction de Renate Menzi. Trilingue (français, allemand, anglais). Avedition, 224 p., 53,90 francs.

Mathieu Lehanneur Le designer français Mathieu Lehanneur aime travailler l’invisible : l’air, la lumière et le son en leur donnant une forme vivante. D’où une production en interface avec l'objet et la science. Ses œuvres intelligentes et esthétiques lui ont valu en peu de temps une jolie renommée. Cette première monographie déroule le fil de ses recherches empiriques qui débouchent chaque fois sur des projets de design et d'art visionnaires qui tirent, parfois, vers le sacré. JR « Mathieu Lehanneur ». Textes de Ross Lovegrove, Paola Antonelli, Cécile Fricker-Lehanneur, Hans Ulrich Obrist. En anglais. Die Gestalten Verlag, 192 p., 46.90 francs.

Le design de Trix et Robert Hausmann pour Röthlisberger L’ouvrage retrace l’histoire de l’étroite collaboration entre le fabricant d'ameublement Röthlisberger et le célèbre couple de designer Trix et Robert Haussmann. Conçues dans l'Allgemeine Entwurfsanstalt, l'institut de design des deux créateurs, les pièces expérimentales et exigeantes de la Röthlisberger Kollektion sont ici présentées à l’aide d’esquisses, de photos et de textes. Et retracent ainsi une période faste dans l’histoire des formes de notre pays. JR « Die Allgemeine Entwurfsanstalt mit Trix und Robert Haussmann – Möbel für die Röthlisberger Kollektion“. Textes de Peter Röthlisberger, Alfred Hablützel, Trix et Robert Haussmann. Trilingue (allemand, français, anglais). Niggli Verlag, 80 p., 48 francs.

Hannes Wettstein Certains se souviennent avant tout de ses montres Ventura. D’autres de sa chaise Juliette ou de son système d’éclairage Metro, si souvent copié. D’autres encore penseront à ses aménagements intérieurs, à ses stylos ou à son curieux vélo. Toutes ces réalisations, et des centaines d’autres, se retrouvent dans ce livre. Une monographie sobre et élégante qui est aussi un hommage. Car le designer zurichois Hannes Wettstein, né en 1958 à Ascona, est décédé du cancer en 2008. Entre objets et croquis, de nombreux témoignages évoquent aussi l’homme, intense et complexe, passionné de musique, de belles voitures, et de téléphones portables. MD « Hannes Wettstein. Seeking Archetypes ». Textes de Max Küng, Thomas Haemmerli, Barbara Hutter et Volker Albus. Trilingue (anglais, allemand, italien). Lars Müller Publishers, 291 p., 70 francs.

The Complete Designers’ Lights 1950-1990 Que la lumière soit! Un bouquin maousse pour une collection de luminaires mondialement connue. Celle que Clémence et Didier Krzentowski, fondateurs de galerie de design Kreo à Paris, ont nourri au fil des ans. Une abondante documentation présente cet ensemble immense et lumineux qui s’achève avec la présentation des lampes spécialement créées pour la galerie Kreo par des designers contemporains. JR « The Complete Designers’ Lights 19501990 ». Textes d’Alex Coles, Pierre Doze, Didier Krzentowski, Constance Rubin. En anglais. JRP/Ringier Kunstverlag, 400 p., 119 francs,


PASSAGE

Zurich : Waldraud

SUJET : Emmanuel Grandjean, Johanna Rickenbach

Berne : Matte Puce

Genève : Ribordy Contemporary

Genève : Graff-Mourgue d’Algue

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Beaux objets, bonnes galeries

En 2010, Stéphane Ribordy passait de l’autre côté du miroir. Comprenez que dans une autre vie, le galeriste a d'abord collectionné l'art contemporain avant de choisir d’en vendre. Le voici donc devenu marchand dans son espace sur deux étages du boulevard d’Yvoy où il accroche à ses cimaises son goût pour la peinture newyorkaise pointue (David Malek, Bozidar Brazda, Erik Lindman) et les talents d’ici (Pierre Vadi, Damián Navarro, Benjamin Valenza, Harold Bouvard). EG Ribordy Contemporary, 7b bd. D’Yvoy, 022 321 75 63, www.ribordycontemporary.com

Juste à côté de Ribordy Contemporary, c’est le nouveau spot de l’art contemporain à Genève. Installé à deux pas du Quartier des Bains, le bloc de Plainpalais dédié à la création d’aujourd’hui, Graff Mourgue d’Algue a ouvert ses portes en novembre 2011. Association entre une curatrice (Jeanne Graff, cofondatrice de l’espace 1m3 de Lausanne) et un artiste (Paul-Aymar Mourge d’Algue, vit et travaille à Genève) la galerie dessine une programmation qui alterne signatures internationales (Charles Irvin) et créateur du cru (Vittorio Brodmann). Avec parfois un détour par l’objet comme la récente exposition de Stéphane Barbier-Bouvet, designer de Marseille installé sur les hauts de Lausanne. EG Graff Mourgue d’Algue, 7 bd d’Yvoy, 079 533 46 67, www.graffmourguedalgue.com

En face de la Fosse aux ours, le long de l’Aar, dans le quartier bernois de la Matte, se cache une malle aux trésors remplie d’objets et de meubles vintage. Dans cette brocante aux locaux inondés de lumière, plusieurs marchands et collectionneurs proposent à la vente leurs plus belles pièces. On y est accueilli par Roberta Kramer, l'accorte maîtresse des lieux, qui raconte comme personne les origines de sa marchandise. On aime l'endroit pour son atmosphère amicale et détendue, idéale pour découvrir des créations originales et indémodables du design moderne. JR Matte Puce, Wasserwerkgasse 5, 079 654 80 50, www.matte-puce.ch

A la jonction entre le Kreis 4 et un Kreis 5 en plein développement, le Concept Store Waldraud propose un design original et de grande qualité. Les trois jeunes fondateurs – Ann, Daniel et Lorenz – sont aussi cosmopolites et ouverts sur le monde que leur magasin. Des objets jusqu’à l’agencement des lieux, tout est imprégné de style, proposé en petites séries, produit dans le respect de l’environnement. Ici, chaque objet paraît raconter sa propre histoire, à l’instar du tricot japonais ou des expérimentations lumineuses hollandaises. JR Waldraud, Josef strasse 142, 044 554 60 50, www.waldraud.com

Photos: annik Wetter, graff-Mourgue d'algue, Matte Puce, linda giezendanner

Modernes ou contemporaines, dédiées à l’a rt ou au design, les meilleures adresses en Suisse pour trouver son style


DADI | 39 SUJET : Emmanuel Grandjean, rebekka kiesewetter PHOTOS: ANNIK WETTER

ACTUEL Designers suisses,

régénération

I

ls sont suisses, français, slovaques, belges ou suédois. Certains sont connus sur cette scène internationale où d'autres apprennent à se faire un nom. Certains se la joue collectif, d’autres mènent leur carrière en solo. Mais tous partagent le même point commun : celui d’être designer et de répondre à la sursaturation de produits en créant des objets justes et pas juste des objets. Dégagée des contingences marketing qui peuvent plomber la création, cette nouvelle génération partage aussi un soin pour la production de très haute qualité en favorisant le savoir-faire artisanal et la fabrication 100 % helvétique. Nous avons choisi dix de ces nouveaux talents qui mettent de l’intelligence dans le quotidien. Dix créateurs, à peu près équitablement répartis entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, qui nous parlent de leurs projets en cours, de leurs inspirations, de leurs idées et parfois des difficultés à les concrétiser. Le design, c’est tout une histoire…


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Nicolas Le Moigne – lausanne –

Impossible d’être passé à côté du Trash Cube de Nicolas Le Moigne. En 2011, on a vu le tabouret le plus lourd du design contemporain publié et exposé à peu près partout. Objet malin et étonnant, à la marge entre la production industrielle et la pièce de collection (chaque bloc est unique) mais vendu à prix d’ami, le Cube est fabriqué en Eternit à partir des chutes de production de l’inventeur du béton mou. On a beaucoup raconté l’histoire de son auteur, son arrivée en Suisse avec son père, coach de l’équipe nationale suisse d’escrime pour les JO de Séoul, et son choix de la voie du design plutôt que celle de l’épéiste. Diplômé de l’Ecal, où il occupe toujours le poste de chargé de production, Nicolas Le Moigne a, en peu de temps, multiplié les collaborations durables, notamment avec Eternit. Son style ? Un goût pour les courbes et une esthétique à la limite du minimalisme. « Mon approche du design est radicalement pragmatique. J’aime la recherche, trouver des solutions pour fabriquer des objets faciles à produire », explique le designer qui réussit le mixe entre la création d’articles courants (ses bougeoirs magnétiques, tables et fauteuils produits dans le cadre de l’Atelier Pfister) et les pièces de galerie, comme sa collection Podium en métal, bois, céramique, pierre et verre soufflé éditée par les Berlinois de Helmrinderknecht. Ou encore de sa Slip Lamp à qui Libby Sellers à Londres vient de consacrer une expo solo. www.nicolaslemoigne.ch

« UNIT», module à tout faire « 2012 verra émerger l’un de mes projets favoris, la création de UNIT pour Dadadum, une jeune maison d’édition suisse créée par Demian Conrad. Ce module de rangement aussi radical, graphique que technique permet de créer différentes fonctions à partir d’un objet. Accessoirisé d’un piètement et / ou d’un fond, il permet de varier l’utilisation des modules sous forme d’étagère, de sideboard ou de séparateur d’espace. Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous avons renoncé à réaliser les accessoires en bois, car ils coûtaient bien plus cher à produire qu’en métal ! UNIT est issu du savoir-faire suisse et inspiré de l’héritage culturel que perpétuent des marques telles que Lehni, USM ou Wogg. Il a été développé et produit en collaboration avec l’entreprise zurichoise Schätti, spécialisée dans le métal pour le mobilier et divers domaines de précision. Le détail que j’affectionne particulièrement : les vis apparentes, fines mais assumées qui renforcent l’aspect technique du produit. Le développement de ce projet a duré plusieurs mois, impliquant de nombreuses remises en question et incertitudes qui, au final, nous ont permis de prendre le temps nécessaire pour cerner les paramètres clés du projet… et nous focaliser sur l’essentiel. »

Moritz Schmid – ZuRICH –

Il y a encore deux ans, tous les articles consacrés à Moritz Schmid évoquaient le « jeune talent prometteur ». Les espoirs n’ont pas été déçus. Le designer, deux fois lauréat du Design Award fédéral, travaille pour des grandes maisons (Atelier Pfister et Röthlisberger), pour des entreprises plus petites et collabore avec le Museum für Gestaltung de Zurich. Pour les uns, Moritz Schmid est un designer de scénographies, pour les autres, il dessine des tables, des chaises, des luminaires et des contenants. Moritz Schmid est Bernois. Il a appris la profession de dessinateur-architecte avant d’étudier à Bâle le design de produits et d’être embauché par Alfredo Häberli à Zurich. C’est là qu’il a travaillé jusqu’en 2008 avant de devenir indépendant en ouvrant son propre atelier sur la Langstrasse. « Je trouve mon équilibre dans la nature », admet celui qui reste un designer industriel même après avoir fermé la porte de son studio. Lui qui se rêvait inventeur est aujourd’hui un observateur, un leveur de lièvres, un créateur qui s’interroge à la fois sur son environnement et sur lui-même. « Car comme je travaille seul, je m’observe et m'autocritique. » www.moritz-schmid.com

Les Belles ? Belles, belles ! Avant de poursuivre votre lecture, répondez à cette question : qu’est-ce que Moritz Schmid observe ici ? Un parapluie, un lampion, un volatile  ? «  Pour un dessinateur industriel, la fonction, la manière et la situation dans lesquelles un produit est utilisé sont essentielles. Les commanditaires viennent de l’industrie, ils produisent en série. Mais quand le galeriste Martin Rinderknecht m’a demandé un projet, j’ai longuement réfléchi à ce que je devais concevoir, car les conditions sont très différentes dans le contexte d’une galerie. J’ai alors décidé de laisser de côté pour une fois la fonction pratique. J’ai montré à Rinderknecht une collection de quelques beaux objets, des récipients, des balles, des parapluies… Il a dit : « Chouette, faisons-les. » Mais je ne voulais pas proposer quelque chose d’existant, je préférais créer du neuf. C’est pourquoi j’ai fondu plusieurs objets en un. » Et comme Moritz Schmid n’est pas artiste mais designer, il s’est surtout préoccupé de la matérialité, de l’émotion créée, de l’effet produit sur l’espace. « Le fait qu’il n’y avait aucune fonction pratique à laquelle je puisse me raccrocher était nouveau. Il n’était question que de force d’expression. » Baptisés Les Belles, les trois objets ont été créés en bois de poirier et en lin avec des ajouts en sérigraphie et en reliure. Alors oui Les Belles portent bien leur nom. Et si on leur trouve un air de famille, c’est aussi qu’après tout, chacune contient une petite part des objets qui plaisent à Moritz Schmid. Inutile d’ailleurs de chercher à les ranger dans une typologie précise. « Les Belles agissent par leur forme, leur force expressive et l’imagination du regardeur. »


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Loris & Livia – LONDON –

« Boll » à l'anglaise « Quand on débarque dans une ville, on remarque tous les jours des choses auxquelles les habitants ne prêtent plus attention », racontent Loris Jaccard et Livia Lauber. « C’est pourquoi, peu après notre arrivée à Londres, nous avons réalisé un projet sur ces objets que personne ne remarque, comme une sorte d’hommage à la culture anglaise. Prenez les poteaux qui bordent les trottoirs. A Londres, ils ressemblent souvent à des bittes d’amarrage. » Inspirées par ces grosses bornes en fonte au look de Culbuto, les deux designers ont dessiné un support d’éclairage mobile. Baptisée Boll, la lampe doit pouvoir être installée au plancher ou au plafond. Elle doit être stable, sculpturale tout en restant déplaçable. Pour la réaliser, Loris et Livia ont choisi deux sortes de tôle d’alu: perforée pour laisser passer la lumière et pleine pour la coiffe. «Nous avions prévu de fabriquer tous les éléments à l’aide du même procédé, le repoussage au tour, sans être certaines que la tôle perforée supporterait ce traitement. C’est pourquoi nous nous sommes directement adressées à un producteur avec qui nous avons effectué les tests pour voir ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. A l’aide d’une technique légèrement modifiée, nous avons fabriqué un prototype, sur lequel nous avons testé l’emplacement idéal de l’éclairage. La forme exacte que nous souhaitions n’a pas encore été réalisée dans cette version. Pour l’instant, nous nous employons à développer le modèle à l’aide d’esquisses, de dessins 3D et de modèles 1:1. »

« Loris & Livia » in London. Ça sonne bien, ça claque international. Ça fait surtout mieux que Hans et Fritz en Argentine, ce roman des années 40 où deux jeunes Suisses partaient chercher fortune outre-mer. Livia Lauber parle le dialecte haut-valaisan teinté d’un léger accent anglais very charming. Rien d’étonnant : voilà six ans qu’elle vit dans sa nouvelle patrie. C’est à Londres que cette native de Brigue, diplômée de l’Ecal a rencontré la Vaudoise Loris, qui elle a étudié à La Chaux-de-Fonds. L’une était employée par les designers Barber & Osgerby, l’autre suivait un stage chez Tom Dixon. Un simple projet commun s’est alors mué en collaboration permanente. « La question de savoir où nous voulions être basées ne s’est jamais posée. Pour l’instant, l’énergie de Londres nous plaît. » Les deux femmes s’échangent des projets, s’assistent mutuellement. « Loris est plus douée dans le lancement de projet. Moi, j’apporte mon expérience dans le développement du produit », explique Livia. Jusqu’ici, leurs productions, à l’exception de la chaise Alfred fabriquée pour la société Covo, ont été éditées en petites séries « parce que le temps nous manquait. Désormais, nous nous attelons à intensifier nos contacts avec l’industrie. »


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Tomas Kral – lausanne –

Quand on vient d’une famille d’architectes, on a forcément grandi avec une sensibilité particulière pour l’espace et le bâti. Sans pour autant vouloir à tout prix commuer la tradition en dynastie… « Moi, j’ai décidé de travailler à une échelle plus petite. Collectionner des objets curieux et comprendre leur fonctionnement, voilà ce qui m’attirait. A partir de là, je me suis lancé dans la formation de designer ». Diplômé de l’Ecal en 2008, bénéficiaire du premier Master en design et produit de luxe délivré par l’école lausannoise en 2009, Tomas Kral enseigne dans le programme Master en design produit, « en parallèle de mon travail personnel que j’exerce comme indépendant depuis quatre ans. Je cherche à insuffler un peu de surprise, d’humour et de fraîcheur dans mes productions ». Comme Terracotta, lampe en terre cuite produite pour la marque espagnole PCM dont les corps trapus et les abatjour coniques donnent à ces objets des looks de pingouins lumineux. « Mobilier, luminaire, accessoire, je n’ai pas de préférence. Je porte surtout un soin attentif aux matériaux, aux procédés de fabrication et au savoir-faire artisanal. » D’où les collaborations du designer slovaque avec des top éditeurs tels que Kreo à Paris, Libby Sellers à Londres et Krehky à Prague. www.tomaskral.ch

« Under the hat », lumière-chapeau « Under the hat est le fruit de ma collaboration avec Mühlbauer, une manufacture traditionnelle viennoise de chapeaux. C’était l’année dernière dans le cadre de la Vienna Design Week qui met en contact à chacune de ses éditions des designers internationaux et des artisans locaux. Très vite je me suis demandé quel serait le résultat d'un partenariat entre un designer industriel et une manufacture d'accessoires de mode. J’ai imaginé mixer les matériaux et les techniques traditionnelles de la chapellerie - moulage du feutre et de la paille - avec des supports en céramique. Comme souvent dans mon travail, j’ai cherché à détourner la fonction protectrice du couvrechef avec humour. Under the hat est donc une série de lampes qui ressemblent à des personnages dont les visières servent à diffuser la lumière. Le modèle recouvert d’un chapeau fait comme une boîte qu’il faut soulever pour l’utiliser, imitant ainsi le geste de saluer. »


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Sibylle Stoeckli – lausanne –

Elle explique son nouveau projet, installée dans un cocon-lecture de la librairie de l’Epfl. Tabula Rasa est un texte théorique, une remise en question du métier de designer de produit. Suivit d’une enquête globe-trotter intitulée « Global Design Research » qui dressera l’inventaire des objets les plus indispensables et les plus intéressants à travers le monde. Et dont la tête de liste serait… « la poubelle, essentielle à la consommation », ironise Sibylle Stoeckli qui ignore où ce trip dans l’univers des formes va la conduire. Pas grave. « C’est très important d’accepter ce risque, pour rencontrer d’autres cultures, d’autres manières de fonctionner avec le mobilier et le corps. » Histoire de voir ailleurs pour mieux rebondir ici. « Je ne design pas une collection d’objets nouveaux, j’en désigne une avec des objets existants », précise la designer qui travaille à son compte depuis sept ans. « Après l’Ecal, j’ai passé trois mois chez Barber & Osgerby à Londres. Là-bas, j’ai compris que c’était le concept qui m’importait vraiment et que de travailler pour quelqu’un sans maîtriser jusqu’au bout la matérialisation de mes projets ne m’intéressait pas. » Sibylle Stoeckli, designer sans compromis. Son premier objet édité ? Airfork One, une fourchette-avion en silicone qui parle de la relation parent-enfant. Ensuite ? Les étagères Dully pour Atelier Pfister. Et puis les objets textiles autoédités par Louise Blanche – « traité de la même manière que des objets de design. Un projet qui se développe petit à petit depuis six ans » - sans oublier son dernier travail : la lampe cloche créée avec le souffleur de verre franco-bâlois Matteo Gonet, actuellement en développement en différentes variantes. www.sibyllestoeckli.com

Le sens des fibres « Je collabore aujourd'hui avec la Fondation HorizonSud qui travaille avec des personnes atteintes de schizophrénie. Les différents sites sont placés dans la belle région de la Gruyère, entre monts et vallons, entourés par les montagnes. Les trois ateliers principaux sont, le papier, le tissage et le bois. Mon rôle est de redessiner une collection d'objets en bois et de redéfinir l'ensemble des objets produits. Ajouter du sens... Donner du sens à ce que l'on fait, c'est gagner en qualité de vie ! L'objet doit être pensé pour son utilisateur, mais avant ça, il doit être pensé également pour celui qui le crée, étape par étape. J'aime ce projet pour ça, parce qu'il inclut vraiment tous les acteurs de l'objet. Après avoir visité le parc des machines, je suis maintenant dans une phase de réflexion. Le domaine de l'art de la table est un domaine sur lequel j'ai beaucoup fait de recherches ces dernières années. Je trouve que le bois est un matériau très agréable au toucher, surtout au petit déjeuner lorsque démarre la journée. J'aime cet instant ou tout est encore possible et qui fera que la journée sera plus ou moins ensoleillée ! »


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Andreas Saxer – ZuRICH –

Dessinateur-architecte ou menuisier : voilà les métiers qu’indiquent les designers industriels quand on leur demande la profession qu’ils exerçaient avant. Andreas Saxer, lui, a étudié la création de mode. Il était donc couturier pour dames. « Pendant mes études déjà, mon intérêt se portait sur des processus de création plus variés, reposant sur des modes de fabrication différenciés et des matériaux multiples. » Né en 1975 au Pérou – ses parents travaillaient alors en Amérique latine – Saxer s’est inscrit deux ans après sa formation de fashion designer en design industriel à la ZHdK de Zurich où il est resté après son diplôme, abstraction faite d’un long séjour en Asie qui l’a profondément marqué. Aujourd’hui. Andreas Saxer enseigne à la Haute école zurichoise ainsi qu’à Lucerne et produit des objets et des meubles en série ainsi que des scénographies. Chaque projet qu’il développe met en avant sa parfaite maîtrise de la couture. Logique. La légèreté, le côté ludique et la fonctionnalité de ses objets montrent sa grande familiarité avec les tissus. « Au centre de mon design, il y a l’homme, avec son vécu culturel et les choses qui l’entourent, qui améliorent, confortent ou compliquent son existence. Pas le produit à créer. Ce que je fais doit être original, durable, intelligent. L’originalité est mise en valeur par le concept et l’expression, la durabilité par l’usage et l’utilité, l’intelligence par l’innovation. » www.andreas-saxer.com

La théorie du pli « Ces modèles de papier et de carton sont des essais de formes qui m’ont appris comment on peut, à partir d’une surface plane, fabriquer à l’aide de plis et de replis un récipient solide parfaitement utilisable. Ils naissent de dessins réalisés à la main ou en CAD (Computer Assisted Design) avant d'être testés, affinés et, finalement, mis au point. Il est toujours difficile de figurer la représentation d’une forme tridimensionnelle à partir d’un modèle découpé et pliable en 2D. Ces modèles fonctionnent comme bases d’une série de quelques récipients et formes peu complexes qui sont aussi faciles à construire qu’à produire. Ces études en papier et en carton, et d’autres qui leur sont apparentées, sont applicables à divers domaines : on peut en faire des récipients, des abat-jour, et même des meubles. Ce genre de réflexion me préoccupe sans cesse. Elle est même à la base de certains de mes travaux. Car un processus de création qui a pour référence la prise en compte fondamentale d’une technique (ici, plier, agencer, cintrer) et qui explore les opportunités et les limites, constitue la trame de produits très différenciés et bien pensés. »


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Florian Hauswirth

Big-Game

« Take your pleasure seriously », conseillait le designer Charles Eames à ses élèves. Florian Hauswirth aussi. « Prendre son plaisir au sérieux, voilà ce que je voudrais vivre moi-même et que je transmets à mes étudiants de la Haute école d’art de Kassel. J’essaie de poser les bonnes questions et d’expérimenter les choses de façon très précise mais aussi de procéder librement, spontanément. Je me suis toujours intéressé à la manière dont les choses fonctionnent. C’est pourquoi j’ai d’abord suivi un apprentissage de maquettiste technique avant de travailler chez Vitra dans la construction de maquettes et de prototypes. De là, je suis finalement arrivé au design. » Parler avec les gens, poser des questions, sont d’autres aspects qu’il juge essentiels pour son métier. « Au moment du projet, je me réfère sans cesse aux informations et aux conseils que je reçois de toute sorte de personnes. J’aime communiquer », continue le designer qui vit et travaille à Bienne. « On dit que c'est un trou. Pas du tout. C'est même tout le contraire. Ici vous êtes au centre du pays. Du moins géographiquement. Toutes les villes importantes de Suisse alémanique et de Suisse romande se trouvent à une heure de route. » Au niveau de sa production, Florian Hauswirth voudrait continuer à travailler manuellement tout en développant des nouvelles techniques pour pouvoir expérimenter les matériaux de manière plus efficace et directe. « Ce qui, la plupart du temps, ne vas pas dans le sens de l’industrie qui manque parfois d’inspiration. Je travaille beaucoup avec mes mains et très peu avec un ordinateur. Dans mon travail, son utilisation revient à faire comme un détour sur un chemin. Même si, bien sûr, je dépends de l’informatique, pour contrôler une maquette ou mettre un projet à l’échelle. » www.florianhauswirth.ch

BIG-GAME, à la fois un nom et une déclaration d’intention. Un motjeu qui contient les initiales des trois fondateurs de ce studio basé à Lausanne : A comme Augustin (Scott de Martinville, Parisien, né en 1980), G comme Grégoire (Jeanmonod, Lausannois, né en 1978), E comme Elric (Petit, Bruxellois, né en 1978). Tous les trois se sont connus sur les bancs de l’Ecal où ils enseignent aujourd’hui. Au fait, pourquoi sont-ils devenus designers industriels ? Augustin ? Pour pouvoir créer ces objets de la vie courante qui le fascinent. Grégoire ? Parce qu’il a toujours préferé le dessin au travail. Elric, à vrai dire, voulait étudier l’architecture et puis s’est dit que le design industriel était plus facile. « Ce qui était une erreur de jugement », admet-il. Quand les trois designers de BIG-GAME parlent, on ne sait jamais très bien s'il faut les prendre sérieux. Cela fait sûrement partie du « Grand Jeu ». Il faut dire que chez BIG-GAME, on cultive un esprit hâbleur dissout dans une bonne dose d’autodérision et d’humour. Leurs produits ne sont pas non plus franchement effacés. Bien que quelques travaux récents se fasse un peu plus discrets, les objets dessinés par le trio sont le plus souvent voyants et très colorés. Plus par clin d’œil que pour en mettre plein la vue. Il y a là des chaises, des portemanteaux, des tapis et des luminaires édités par des fabricants internationaux comme Moustache et présentés en galeries, comme chez Kreo à Paris. Manière de dire qu’Augustin, Grégoire et Elric ont dépassé le stade où ils devaient se battre pour gagner la reconnaissance internationale de leurs pairs. Cette guerre-là, ils l’ont déjà remportée. www.big-game.ch

– BIENNE –

– L AU SA N N E –

Naissance d'un canard C’est un canard que l’on dirait sorti du bain. Mais en beaucoup plus grand. « Woodsduck est un objet que j’ai conçu pour la galerie Helmrinderknecht. Il s’inspire des anciens animaux à bascule pour enfants. » Problème : un animal à bascule c’est très rigolo, mais pas toujour très beau, surtout dans un salon. D’où l’importance d’envisager l’objet au-delà du simple jouet marrant. C’est tout le travail du designer. « Ces animaux vont influer sur l’atmosphère de la pièce où ils sont censés fonctionner à la fois comme meuble et comme jouet. Au début de mon travail, j’ai fabriqué un petit modèle avec des bandes de papier. Ensuite, j’ai réalisé un projet grandeur nature en carton. Sans ordinateur. Il m’importait de juger en vrai de la légèreté du volume et de rendre visible le travail du papier. Suite à ces observations, j’ai choisi du frêne de la région pour le placage. Quatre couches de bois sont assouplies dans l’eau et collées ensemble pour faire un ruban. Le tout est ensuite mis en forme à l’aide de serrejoints et de moules. Le procédé de finition, qui emprunte aux techniques de construction navale, est plutôt exigeant mais tellement passionnant. »

Poignée d'enfer C’est l’un des objets les plus sujets aux attouchements. Rares sont ceux que l’on utilise aussi souvent qu’une poignée de porte sans même y penser, sans en prendre conscience. A moins d’être affligé d’un TOC panique face aux bactéries, vous n’avez sûrement jamais chercher à savoir si la poignée tenait bien en main, si elle était agréable à saisir ? Ou si elle donnait une sensation de froid ou de chaleur ? Dans le cadre d’un travail de recherche de l’EPFL+ECAL Lab, BIG-GAME s’est donc intéressé à la création d’une poignée de porte. « Nous essayons de transposer les informations techniques d’un ingénieur dans un produit réalisable et utilisable. Pour l’heure, nous expérimentons encore le matériau qui est fait de bois densifié. Pour sa fabrication nous utilisons une variété tendre, du pin par exemple, qui est ensuite chauffé à la vapeur et pressé dans un moule. Le bois conserve sa veinure mais sa structure s’en trouve modifiée. Le matériau qui en résulte devient aussi solide qu’un polymère, mais est plus chaleureux et plus agréable à empoigner. En plus, il est aussi robuste que du bois dur et plutôt durable. Donc très approprié dans la fabrication de poignées de porte.» Les premiers prototypes ont été présentés au Designworld du Design Museum Helsinki. Ils seront également montrés lors de l’exposition BIG-GAME IDEAS au prochain salon du meuble de Milan. « Il ne nous manque plus qu’un fabricant », concluent les trois designers.


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Un matériau, six outils, Swiss Made à 100%. Et basta. Plus qu’un statement, une marque de fabrique. Celle d’A C E comme les initiales des prénoms de ses trois membres fondateurs : Arnault Weber, Camille Blin et Emmanuel Mbessé. « On a tous les trois fait l’Ecal. Tous les trois dans la même classe. Quelques mois après notre diplôme, en 2009, on a naturellement eu envie de continuer à travailler ensemble », explique Camille. Pour l’instant, la première collection dessinée par le A C E Design Team compte six pièces en bois réalisées en collaboration avec des artisans de la région vaudoise. Reste cette question : comment faire du design à plusieurs ? « On est très complémentaire. En fait, tout dépend de l’objet. La chaise est un vrai projet commun, Emmanuel est arrivé avec l’idée des pieds profilés, Arnaud avec celle de l’assise circulaire et moi avec le dossier extralarge », continue le designer qui poursuit, par ailleurs, une carrière solo. Pour l’instant A C E fait du A C E. A l’avenir, le trio ambitionne de produire du design fait par d’autres « mais en respectant toujours nos critères de départ. » Comme l’utilisation du bois de frêne local, « parce qu’il est très contemporain, souple et d’une qualité extraordinaire », précise Arnault. Et l’histoire des six outils ? « Perceuse, scie à ruban, dégauchisseuse, le design sur bois utilise un nombre limité de machine. Le nôtre aussi ». Les meubles A C E sont pour l’instant uniquemment disponibles via le site internet du collectif. Cette année, les lauréats du Swiss Federal Design Award 2011 travaillent à la diffusion en boutique de leur production. www.A-C-E.ch

La journée d'A C E « Emmanuel arrive le matin très tôt à l’atelier, il doit contacter les fournisseurs avant que la journée de travail ne commence parce qu’une commande doit être livrée (deux lampes, deux tables basses). Et puis ce sont Arnault et Camille qui arrivent. A C E se retrouve donc sur la table de réunion, chacun une tasse de Volluto remplie jusqu’à mi-anse dans la main. Arnault énonce l’ordre du jour : c’est une journée de travail consacrée à la nouvelle Low chair qui va venir compléter la première collection, mais il faut aussi préparer le futur changement d’atelier, envoyer des feedbacks aux designers avec lesquels A C E collabore en ce moment, et enfin préparer ce mandat d’aménagement d’intérieur. La Low chair est déjà assez bien avancée. Le concept est là mais beaucoup de détails restent à développer. Emmanuel fait part de ses idées pour les assemblages des différents tasseaux qui constituent la structure, certaines propositions d’Emmanuel déplaisent fortement à Camille qui ne supporte pas qu’on vienne modifier la forme du dossier. Arnault quant à lui émet beaucoup de critiques au sujet de la stabilité de l’ensemble. Sur les coups de midi, une première maquette en balsa au 1:5ème est finie; s’ensuit, pendant l’heure du déjeuner, une discussion infinie sur le diamètre des pieds. »


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HIT LIST NICOLAS LE MOIGNE Tabouret « Slip Stool » produit par Gallery Libby Sellers.

Moritz Schmid Chaise « Eriz » éditée par Atelier Pfister

A.C.E

« Collection 1 » produit par A C E Design Team

Tomas Kral

Lampe « Terracotta »

Sibylle Stoeckli – neuch âtel –

On adore sa série de plateaux en verre posés sur des piétements inspirés des pylônes électriques. Sauf que ces tables, Linn Kandel les a bloquées au stade de prototype. « C’était un projet développé pendant mes études avec Jörg Boner. Le but était de travailler une technique de production, le métal en l’occurrence. Elles auraient besoin d'être simplifiées pour mieux répondre aux techniques de production industrielles. Dans l'état, elles seraient réalisables en série limitée », admet leur auteur, née en Suède mais arrivée en Suisse toute petite. Entrée à l’Ecal en 2006 – « Le design m’a toujours intéressée. Ma culture suédoise m’a sans doute pas mal influencée » - Linn Kandel en sort diplômée quatre ans plus tard. Direction la Scandinavie où elle embraie avec un stage décroché chez Form Us With Love, le studio de Stockholm qui cartonne. De retour en Suisse, elle fonde La Vague avec Dimitri Bähler, Anurag Etchepareborda, Anne Julmy et Charlotte Talbot. La plateforme regroupe des designers «mais tous indépendants. Chacun doit rester libre de faire ce qu’il veut. Le projet de La Vague est aussi d’inviter d’autres créateurs à éditer leurs travaux. » Genre ? Des objets assez petits, ni trop lourds, ni trop encombrants et tous fabriqués en Suisse. Dans le cas de Linn Kandel, des sacs et Sfumato une horloge qui donne l’heure à travers un faux brouillard. « Elle faisait suite à mon travail de diplôme sur des jeux de transparence et d'opacité avec du verre soufflé. L’horloge fonctionne sur le même principe avec une impression en dégradé sur une plaque de plexiglas. » www.linnkandel.com

Linn graphique « Je m’intéresse beaucoup à la photo et débute souvent un projet par ce média. Mes recherches peuvent ainsi s’articuler autour d’une série d’images abstraites à partir desquelles je tente de dégager des détails que je ne percevrais certainement pas en temps normal. Je passe par ailleurs pas mal de temps à dessiner. Ce processus a, je l’imagine, une conséquence assez graphique sur mon travail. Je n'ai pas d'objet que j'aimerais absolument développer. J'ai avant tout beaucoup de plaisir à pouvoir expérimenter des matériaux, une technique de production, un savoir-faire avec lesquels je n'ai pas encore eu beaucoup l'occasion de travailler. A Neuchâtel, je partage avec deux autres designers un bureau situé dans l'ancienne fabrique Suchard. Là, j'y développe des projets, tant de mon côté qu'avec eux, et j'essaye de me faire une place en participant à différentes expositions et concours. L’un de mes projets a récemment été nominé pour Cinna, le concours des jeunes créateurs. Il s’agit d’un rangement extensible pouvant être placé sur une table. Le tissu qui le recouvre est tendu sur une structure en métal qui lui confère ainsi une tension idéale. Une poche placée à l’intérieur de celui-ci vient accueillir des objets qui, par leur poids ou leur forme, modifient l’aspect de la poche intérieure créant un jeu de transparence et de superposition. »

Florian Hauswirth Chaise « MWC 1 »

Loris & Livia

Paravent « Screen », collection Assemblage

Big-Game

Trophée « Moose » édité par Vlaemsch

Andreas Saxer Penderie « Chop Stick » éditée par Studio Domo

Linn Kandel Horloge « Sfumato » pour La Vague

Daniela Droz et Tonatiuh Ambrosetti / Charles Nègre / DR

Linn Kandel

Etagères « Dully » éditées par Atelier Pfister


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SUJET : luc debraine

la théorie du neuf

C’est un cas unique dans l’au tomobile sportive : depuis 1963, le modèle phare de Porsche ne cesse d’évoluer tout en conservant sa ligne si caractéristique. Explications avec l’ingénieur responsable de la conception de la nouvelle 911, Michael Schätzle.

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u récent Salon de la haute horlogerie de Genève (SIHH), le patron d'une grande marque de montres parlait de la nécessité, mais aussi de la difficulté de bien faire évoluer ses modèles traditionnels. « Comme une Porsche 911 ! » a soudain ajouté le CEO, heureux d'avoir trouvé ce qui était pour lui la référence du « changement dans la continuité », fameux oxymore s'il en est. Difficile de lui donner tort. Le coupé 2+2 de Porsche est l'un des rares symboles des années de la Guerre froide à encore tenir la route, dans tous les sens du terme. Chaque nouvelle génération de la 911 - une demidouzaine depuis 1963 – doit remplir un cahier des charges stylistique un rien contradictoire : « Etre instantanément reconnaissable, mais aussi instantanément ressentie comme nouvelle », comme le résume Michael Mauer, responsable du design de la dernière mouture de la voiture sportive. La 911 a bien vieilli pour plusieurs raisons, à commencer par son parti pris de simplicité, le weniger ist mehr cher au Bauhaus. L'auteur du coup de crayon originel en 1963, Ferdinand Alexander Porsche, notait qu'un « Design doit être fonctionnel, de manière évidente, sans dépendre d'artifices qui nécessitent d'être expliqués ».

Une Porsche 911, c'est d'abord un ensemble d'invariants. Un volume fluide à la recherche constante du meilleur rapport dynamique entre hauteur et largeur. Une absence totale d'arêtes. En revanche, d’abondantes transitions de surfaces concaves et convexes. Un avant d'autant plus effilé qu'il ne propose pas de grille de refroidissement. Et pour cause : le moteur s’obstine à être placé à l'arrière, derrière l’axe des roues, comme la Volkswagen imaginée dans les années 1930 par Ferdinand Porsche. Des ailes plus hautes que le capot. La « flyline » caractéristique du toit arquée vers l'arrière. La découpe non moins caractéristique des fenêtres latérales, intouchée depuis un demi-siècle. A l'intérieur, le volant bas placé, presque entre les genoux. Le contact à la gauche du même volant. La position de conduite parfaite. Les cinq compteurs du tableau de bord placés dans l'axe du regard. La voix rocailleuse du moteur six cylindres à plat, juste derrière les vertèbres. Sur la route, la différence de masse entre la lourde poupe et la proue légère qui se ressent, un rien encore, sur les bosses. Cette impression, unique, de faire corps avec la machine. Un plaisir de conduire qui résiste aux aides électroniques, aux réglementations routières, à l’époque davantage portée sur les facebooks que sur les roadbooks. Reste que la nouvelle Porsche 911, lancée fin 2011, est selon Michael Schätzle « une voiture très différente » de sa devancière apparue en 2004, et plus encore des générations précédentes. Michael Schätzle est l’ingénieur qui a dirigé la conception de la récente 911, s’occupant de tout, de la boîte manuelle à sept vitesses (une première mondiale) au commutateur qui permet d’amplifier le bruit du six cylindres dans l’habitacle. Il vient de passer cinq années sur la réalisation de la nouvelle Porsche 911, et planche déjà sur la prochaine génération, avec sans doute 2016 comme horizon. L’ingénieur de Stuttgart prend l’exemple de l’empattement du coupé, c’est-à-dire la distance entre l’essieu avant et l’essieu arrière. Cet empattement est désormais plus long de 10 cm. Ce qui assure à la 911 une meilleure stabilité à haute


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Une esquisse préparatoire. Les designers ont rejeté au maximum les phares ronds de la 911 à l'extérieur de la carrosserie pour donner une plus grande impression visuelle de largeur.

« Une seule portion de la voiture nous a donné du fil à retordre, poursuit Michael Schätzle : l’arrière. Pour améliorer le comportement de la 911, nous voulions un aileron plus large. Mais le changement signifiait une hausse significative des coûts. Nous avons passé beaucoup de temps à trouver une solution meilleur marché, mais tout aussi efficace. Au passage, nous avons supprimé quelques lignes à l’arrière, si bien que l’ensemble est désormais plus propre, plus équilibré, plus dynamique aussi ».

De même, l’accentuation du dynamisme visuel est passée par des optiques avant repoussées à l’extérieur, par le raccourcissement des porte-à-faux (toutes les pièces qui débordent des zones délimitées par les essieux avant et arrière), ainsi que par une quantité de détails infinitésimaux qui, se conjuguant les uns aux autres, dessinent une voiture de sport qui repose encore plus solidement au sol. Au final, le modèle ne partage que 10 % d’éléments communs avec son prédécesseur. La progression est tout aussi marquée en termes de consommation. Le modèle Carrera de 350 chevaux équipé d’une boîte de vitesse automatique à double embrayage consomme désormais 8,2 litres au cent et rejette moins de 200 g/km de Co2, une première chez Porsche. L’emploi massif d’aluminium dans la carrosserie, la modification du châssis, de la traction et du système électrique ont en outre permis de gagner une soixantaine de kilos par rapport à la génération précédente. Ce qui permet au coupé de se conformer au premier des principes sportif posés par Ferdinand Porsche dans la première partie du XXe siècle : la légèreté.

vitesse sur les Autobahnen. L’allongement donne également une ligne plus athlétique au coupé, d’autant que la voie avant a été élargie (56 mm), et la hauteur de la voiture a été abaissée (entre 7 et 11 mm selon les endroits).

Cette modification a une autre explication : « Depuis 1963 et la première 911, la taille moyenne des êtres humains a augmenté, explique Michael Schätzle. En nous intéressant à la question, nous nous sommes aperçus que cette croissance était plus marquée du côté des jambes que du tronc. L’agrandissement de l’empattement nous a ainsi permis de gagner 25 millimètres sur le réglage longitudinal des sièges. Comme le réglage en profondeur du volant a également gagné 10 mm, les personnes de grandes tailles se sentent plus à l’aise dans l’habitacle. D’autant que la garde au toit est elle aussi généreuse, même lorsqu’un pilote porte un casque sur circuit ». Pour Michael Schätzle, la clé de l’évolution lente, mais toujours pertinente de la ligne du coupé sportif est « l’expérience. Pour ma part, et mon cas n’est pas du tout isolé, je travaille depuis douze ans sur le modèle 911. Contrairement aux autres marques, nos designers et ingénieurs ne changent pas constamment de projets. Ils restent concentrés sur une gamme précise, ce qui leur permet d’accumuler de l’expérience, d’avoir du recul, de prendre des décisions qui recueillent le plus souvent l’assentiment rapide de leurs collègues. Les choix de modification des proportions de la 911 ont été pris très tôt dans le processus de développement. Nous avons réalisé deux modèles en argile, mais il n’en pas fallu davantage : nous étions tous d’accord sur les directions à prendre ».

Ferdinand Alexander Porsche, petit-fils du fondateur et designer de la première 911 en 1963.

Les stylistes de Porsche ont en revanche ajouté une ligne périphérique au dessus des nouvelles optiques arrière pour accentuer l’effet de largeur. Celui-ci est amplifié par l’affinement des optiques LED, ainsi que par des ailes plus bombées qui protègent des roues de plus grandes dimensions. Avec la « flyline » du pavillon qui s’infléchit vers les ailes, le regard est amené naturellement à l’endroit où une 911 transmet sa puissance à la route.

Au musée Porsche de Stuttgart, une animation montre l'évolution de la ligne de la 911.


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Enzo Mari interview

SUJET : Emmanuel Grandjean Portrait : Jouko Lehtola

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Ses colères sont homériques, son talent immense. L’un des derniers grands designers italiens encore vivant parle de sa vie et de l’avenir d’un métier soumis aux lois du marché. Rencontre avec un designer très indigné.

« Je suis en guerre contre le monde »

Enzo Mari sur sa chaise Sedia. En 1974, Enzo Mari lance sa série « Autoprogettazione ». Il fournit les plans des meubles, l’acheteur construit. Il est ensuite invité à envoyer une photo de sa création au designer. La chaise est aujourd'hui éditée chez Artek.

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l pourrait avoir une tête de patriarche cool. Barbe blanche, sourcil broussailleux, visage profondément ridé, Enzo Mari porte beau ses 81 ans. Sauf que pour le cool, on pourra toujours repasser. Le designer milanais aurait d’ailleurs en horreur de lire son nom accolé à ce dernier. Tant pis, on prend le risque. Déjà parce qu’il ne parle qu’italien. Même s’il connaît sans doute plusieurs langues, il refuse d’en pratiquer d’autres de sa voix grave et rugueuse. Ensuite parce qu’Enzo Mari c’est un tempérament, un caractère entier aux colères légendaires qui compare le design actuel à de l’art déco, à de l’art pompier. Bref, à pas grand chose, pour ne pas dire pire. En conférence, Enzo Mari ne montre jamais ses projets. Il parle de son métier en passant à son auditoire un savon mémorable. Comme si la perte de la culture dans nos sociétés exclusivement tournées vers le profit et la promotion individuelle à toute berzingue incombaient à tous. Même si on décèle un petit côté showman derrière le designer furibard. En interview, d’ailleurs, le Milanais s’apaise. Même s’il reste toujours en guerre contre le monde, un petit cigare Garibaldi coincé entre

les doigts. Enzo Mari, le phénomène. Designer pédagogue – un puzzle animalier figure parmi ses pièces les plus connues – mais aussi artiste et écrivain, graphiste et libre penseur, il a produit, pour Danese notamment, des séries d’objets qui appartiennent à l’histoire du design industriel. Attaché à la tradition et à l’artisanat, déçu par la tournure mercantile qu’a pris la discipline, il assume sa nostalgie de l’âge d’or, lorsque design envisageait la vie du futur et pas seulement ses retours sur investissement. L’un des derniers grands designers italiens encore vivant - avec Alessandro Mendini, Andrea Branzi et Angelo Mangiarotti – se fâche et s’engage. Un côté indigné qui parle à toute une génération de designer qui lui voue un véritable culte. En conférence, vous ne parlez jamais de ce que vous faites ou des objets que vous avez produits. Vous savez, lorsque j’assiste parfois aux conférences de mes collègues, je les trouve très ennuyeuses. Ils présentent leurs projets et tout le monde regarde ces objets qu’ils ont imaginé. Du coup, les étudiants veulent faire la même

chose sans avoir compris pourquoi ces designers les avaient dessinés. Vous ne montrez rien. En revanche, vous donnez des conseils… Etudier la tradition, regarder les œuvres et les chefs-d’oeuvre. C’est comme dans l’amour, il faut tomber amoureux d’une œuvre. Pas pour la copier, mais pour comprendre son niveau de qualité et se demander comment son auteur est arrivé à ce résultat. Et puis comme dans l’amour, il faut parfois aller de l’avant, découvrir de nouveaux horizons. Alors on retombe amoureux d’une autre œuvre tous les cinq ou six ans. L’unique école véritable pour moi, c’est celle-là, c’est de circuler là où se trouvent les œuvres. Allez dans les musées, allez voir les œuvres ! Et j’espère que vous trouverez celle qui fera battre votre cœur. Vous fustigez les écoles qui forment au design actuel que vous comparez à de l’art déco voire, pire, à de l’art pompier. Il faut pourtant bien des institutions pour enseigner ?


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Jeu « Animali », édité par Danese, 1957

L’école est capitale. C’est elle qui transmet le savoir et l’héritage. Avoir conscience de l’histoire, c’est avoir conscience de ce qui s’est passé. Connaître l’histoire, c’est éviter de se répéter. Que font les écoles d’art ? Exactement le contraire. Les étudiants en design passent leur temps à copier ce qui existe déjà à des millions d’exemplaires et à produire de la marchandise qui va plaire au marché. Et vous, comment avez-vous appris le design ? Très tôt dans ma vie, j’ai dû subvenir aux besoins de ma famille en acceptant des petits boulots. Je n’ai donc pas suivi de grandes écoles. J’étais pauvre à un point qu’aucun jeune d’aujourd’hui ne peut imaginer. A 8 ans, je lisais les textes grecs que me donnait mon père parce que chez moi, il n’y avait ni télé ni poste de radio. En 1949, j’ai finalement pu m’inscrire à l’Académie des Beaux-arts de Milan qui acceptait les étudiants sans diplôme. J’ai eu de la chance parce qu’à mon époque, il y avait très peu d’inscrits dans la section design. En Italie, dans les années 40, on en comptait peut-être une dizaine. Comme on n’était pas beaucoup, lorsque Achille Castiglioni vous disait que vous étiez prometteur vous deviez être meilleur que les autres. Et quelle leçon avez-vous tirée de son enseignement ? Que la qualité c’est de se libérer de ce qui est banal. Le banal c’est très subtil, c’est très compliqué. Le projet c’est justement la négation du banal. Sauf que pour vous, la banalité a gagné. Le problème c’est que tous ces objets que l’on faisaient jadis, on ne sait plus les faire. Du coup, tout le monde refait les mêmes choses.

Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus personne pour assurer la transmission de la tradition. Aldo Rossi a écrit un livre très juste où il dit que l’architecture est un symbole, un moyen de communication, un langage collectif. Je suis tout à fait d’accord avec lui. Du moins si on ne regarde pas son travail. Lorsqu’il cite les colonnes du Parthénon, il les construit droites, alors qu’elles sont évasées afin de supporter la charge du toit. Il n’a rien retenu, n’a rien transmis.

On vous sent profondément déçu par la tournure qu’a pris le monde. Vous assumez votre part de nostalgie ? Bien sûr. A Milan, à la fin des années 40, j’ai vécu dans une ambiance sociale incroyable. Une effervescence fabuleuse qui a maintenant totalement disparue. Cela me manque. Dans ces années-là, j’étais communiste, mais pas dans le sens du parti avec qui j’étais parfois en désaccord et dont je ne comprenais pas grandchose. Moi, je voulais juste participer au renouveau de l’être humain. A la fin des années 60, j’étais au cœur de l’action. On disait que j’étais quelqu’un de confus, que le monde était foutu que le discours moral ne tenait plus. Et ça a donné quoi ? Des Craxi, des Berlusconi pour qui le plus important c’est de gagner. J’aimerais vivre encore suffisament longtemps pour voir quel Berlusconi on va encore nous inventer. Pour savoir comment tout cela va se terminer. Oui, l’état du monde actuel me désespère. Vous avez connu l’utopie de l’aprèsguerre. Vous vouliez construire un monde nouveau pour une vie meilleure. Et cela ne s’est pas réalisé. A la fin des années 40, Milan était alors la ville du design. Elle symbolisait la modernité retrouvée. Comment l’expliquer ? La ville avait été détruite à 70%. Il fallait donc la reconstruire, faire une cité nouvelle pour

une société nouvelle bâtie sur les cendres du fascisme. Les gens venaient de toute l’Italie pour réaliser ce grand projet. C’était la ville la plus riche, la plus moderne de toute l’Italie. Tout le monde voulait prendre part à cette renaissance. La Suisse, à l’époque, représente un cas d’école. Le laboratoire de la ville moderne. Vous a-t-elle inspiré ?

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Chaise pour « La Maison » d'Hermès, 2011

C’était un pays où les villes étaient propres et les trains fonctionnaient. En Italie, rien ne marchait et c’est ce qui me plaisait dans le fond beaucoup. Ceci dit, il fallait quand même penser aux moyens d’améliorer les choses. En Suisse, le résultat ne me plaisait pas énormément. Je trouvais que la manière dont tout était organisé rendait les villes trop mortes. Je le dit pour bien savoir à quelle ville moderne on devait penser. Pour vous dire aussi à quel point il était important de construire une ville moderne. Le problème ce ne sont ni les choses ni les moyens, ce sont les gens. On sent chez vous un profond amour des gens. C’est bien ce qui me désole. Aujourd’hui, les gens ne pensent plus qu’à eux, qu’à la réussite individuelle. Les religions monothéistes ont édicté des règles simples : le jeûne, ne pas voler, ne pas convoiter la femme de l’autre. Même pour moi qui suis athée, les dix commandements sont des points essentiels. Les religions, même si elles posent parfois problème, ont édictés des règles de vie. Alors que les règles de la société, que disent-elles ? Que l’homme est libre, qu’il peut ne penser qu’à lui. Ce sont les pires qui soient. Pour vous cet individualisme est la cause de tout. C’est lui qui a mis l’argent au pouvoir, encore lui qui permet aux riches d’imposer leurs (mauvais) goûts… Dans l’histoire de l’architecture, construire a toujours coûté cher. Les pauvres n’y ont pas accès. Seuls les nantis peuvent se le permettre. Si on regarde l’architecture de l’entre-deux guerres, les constructions des riches sont horribles, dépourvues de systèmes linguistiques probant. Je préfère des constructions plus modestes, qui se regardent encore très bien au-

Table « Frate », éditée par Driade, 1974

jourd’hui. Pour le reste… Prenez le quartier de la Défense à Paris. Il est né de la volonté politique. Du coup c’est une architecture totalement inintéressante que la vie a complètement déserté. La vie n’est plus dans la ville. A la place, on a construit des projets monstreux où les rues sont devenues comme mortes. Aujourd’hui, les archistars sont des personnes ignobles qui honorent les banques et le pouvoir de l’argent. Ce ne sont pas des architectes, mais des designers du pouvoir dont les créations sont censées durer des milliers d’années. Vous dites aussi que l’échec du socialisme, c’est que tout le monde veut désormais sa part de luxe dont le design fait partie… Le design est né à la Révolution française lorsque les pauvres ont vu ce que le roi possédait et qu’ils ont voulu la même chose. Les artisans n’avaient plus de travail, vu que la plupart de la noblesse

« En Suisse, je trouvais que la manière dont tout était organisé rendait les villes trop mortes. » avait filé sous la guillotine. Ils ne pouvaient pas proposer au peuple les mêmes produits parce qu’ils étaient trop chers. On a donc inventé l’industrie pour fabriquer les mêmes choses, plus vite et meilleure marché. J’ai vu le brevet de la première machine textile. Il est écrit « cette machine peut faire en un jour un travail qui nécessite trois mois à un artisan. Elle est tellement simple d’utilisation qu’on peut en confier la tâche à un enfant de 8 ans. » Le problème du design aujourd’hui c’est que tout le monde veut un trône mais que ce n’est pas possible. Justement, que pensez-vous du design d’aujourd’hui ? Pas grand chose on s’en doute… Tout le monde va au salon du meuble de Milan voir ces horreurs dont on ne sait plus quoi faire. Où est le salut dans tout ça ? Je l’ignore. Moi, je viens de l’école radicale de Castiglioni où on était loin d’être des anges. Ceux qui me connaissent savent que toute ma vie j’ai cherché à travailler avec cette difficulté de voir mes propres créations absorbées dans le marché. Aujourd’hui, rien n’existe plus au-delà de la production et de la rentabilité. Pourtant vous continuez à produire des objets. En 2011, vous avez dessiné des chaises pour la nouvelle collection Hermès La Maison.

Disons que j’essaie. Pour moi le design représente un projet collectif qui implique tout le monde. Comme à l’époque gothique où les mécènes et les tenants du savoir-faire portaient ensemble un grand projet. Le design c’est la même chose : un dialogue où interviennent à la fois des artisans et des industriels. Bref, c’est une affaire de compagnonnage. J’ai connu ce genre de complicité avec Danese dans les années 50-60. Actuellement c’est une idée difficile à faire passer. Pour vous le bon design c’est… ? Une manière de comprendre le monde étape par étape. J’y ai pensé toute ma vie. J’espère en avoir compris au moins une petite partie. En 2009, vous organisiez avec le designer Gabriele Pezzini une exposition intitulée « Que fare », (que faire) à la galerie Alain Gutharc de Paris. Sommes-nous arrivés au bout des objets ? Au bout du design ? Ce n’est pas une question. Vous avez remarqué : il n’y a pas de point d’interrogation. En cela « Que fare» est un constat. L’avenir du

design est incertain parce que le projet commun n’existe plus, parce que la puissance du marché a remporté la bataille. J’ai été en guerre contre le monde toute ma vie. Je suis un soldat et j’ai besoin d’alliés. Mais je n’en ai aucun, même si, dans le fond, les gens m’aiment bien.

Ne proposez pas un café à Enzo Mari. Ou alors tiré d’une vraie cafetière italienne. Petite leçon de design appliqué : « La cafetière vénitienne est en alu. Elle est pleine de petits défauts, de bulles d’air, qui la rendent difficile à nettoyer. C’est justement ça qui donne à son café un caractère unique. Parce qu’elle garde toujours en mémoire le goût et l’odeur du café précédent. »


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n g i s de U TE U O D TS Û O G LES

SUJET : Benjamin Luis

ed s

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Dégoût et des couleurs : le plafond peint façon « Chapelle Sixtine » de Saddam Hussein, le revolver en or de Kadhafi, Hosni Moubarak et son fameux costume aux lignes tissées des lettres de son nom, Bokassa en hermine impériale et le sofa-sirène en or du Guide libyen dont le visage représente celui de sa fille, Aisha.

s n a r ty

saddam hussein

Mouammar Kadhafi

hosni moubarak

jean-bedel bokassa

S O L GA é M X DES DIRIGEANTS

Architecture, décoration, habillement… En matière de design les dictateurs déchus du printemps arabes partageaient un même goût pour le clinquant et le supervoyant. Explication.

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usque là, le printemps arabe aura surtout annoncé l’automne des dictateurs et de leur faste. Les récentes révolutions ont ainsi montré au monde l’envers du décor : intérieur clinquant, garde-robe effarante, objets à l’e sthétique aberrante. A leur culte personnel, les tyrans déchus ajoutaient donc celui d’un flagrant manque de bon goût. Passons sur les palais de Saddam Hussein tapissés de toiles « pompiers » à caractère érotique pour s’intéresser à Hosni Moubarak, prince

de la sape dont certains costumes portaient, brodés en minuscule, les lettres H.O.S.N.Y M.U.B.A.R.A.K. Coût du complet à la gloire du Fregoli mégalo ? Entre 10’000 et 25’000 dollars, selon les sources.

Au palmarès du mauvais goût, c’est bien sûr Mouammar Kadhafi qui arrive en tête. Sa mégalomanie sans limite sévissait dans chaque domaine de l’apparence. Des meubles aux costumes, en passant par les voitures et les armes à feu (en or, générale-

ment). Chez le Guide, tout était personnalisé, tout était trop. « Dans le centre de Tripoli, une de ses résidences ressemblait à un palais des Mille et Une Nuits, version kitsch », racontait Bastien Bonnefous, envoyé spécial du Monde dans la capitale libérée. « La demeure regorgeait de statues d'inspiration gréco-romaine et de mobilier au goût incertain, comme ce canapé en or en forme de sirène à l'effigie d'Aïcha, une des filles du colonel. Les lits étaient King Size, les coussins en plumes d'autruche, les bars en marbre de Carrare, les jacuzzis et les piscines surdimensionnés et le tout démultiplié. Même les niches des chiens du maître étaient équipées d'air conditionné. »

Au chapitre mobilité, l’ancien dictateur balancait entre la mini-voiture simple et le bo-

photos: CAFP/Karim Sahib, AFP/ Hrvoje Polan, AP/Sergey Ponomarev, AP/Manu Brabo

Mouammar Kadhafi

lide grotesque. Il possédait une Fiat 500 électrique cabriolet, finition vert, sable et or. Un modèle unique. évidemment. A l’autre bout du spectre, il conduisait aussi The Rocket, (230 chevaux, 2 millions de dollars, 5 mètres 50 au garrot) dont les contours rappelaient étrangement un fer à repasser. Une création de Kadhafi lui-même pour fêter les 40 ans de « sa » révolution.

Le pouvoir isole, c’est bien connu. Empêcherait-il aussi la zone esthétique du cerveau de raisonner ? Pour Gianni Haver, sociologue de l’image à l’université de Lausanne, difficile d’avancer des explications. « Où se situent le bon et le mauvais goût ? » contextualise-t-il d’emblée en avançant toutefois quelques pistes : « Le goût des tyrans

pour la surenchère, notamment en matière de design et de style, est clairement ambivalent. Tout en voulant paraître proche de leurs peuples à l’extérieur (Kadhafi et sa tente de Bédouin, par exemple. ndlr), ils s’en éloignent par l’apparence de leurs intérieurs généralement fastueux et ultra-confortables, voire pour certains avec leur garde robe. » Selon l’expert, ce goût du kitsch et du cher serait avant tout lié à un facteur psychologique : « A partir d’un certain niveau de richesse, les hommes de pouvoir – et pas seulement politique, cela s’observe aussi beaucoup chez les capitaines d’industrie – sont complètement déconnectés. Leur rapport à l’argent devient caricatural et leurs échelles de valeurs ne correspondent plus du tout à celles d’un citoyen lambda. »

Alors pourquoi toujours plus de brillant ? « Cette fascination pour le clinquant et l’or, dans les pays arabes notamment, vient souvent du fait que les nations en question ont un passé colonial important. Et que leur dictateur ont généralement connu la période qui a précédé la colonisation. On peut imaginer qu’ils cultivent une sorte de complexe. Le « sacre » de Bokassa en 1977 était une caricature de celui de Napoléon 1er. Les palais de Saddam ou de Ben Ali eux, rappelaient Versailles. » On insiste. Oui mais et les voitures de super luxe ? Les AK-47 en or massif ? Le sociologue tempère à nouveau : « On se focalise sur des tyrans comme Kadhafi ou Ben Ali car leur intimité folle a été exposée aux médias. Mais si on ouvrait les placards d’un Berlusconi ou d’un Sarkozy, je crois qu’on serait certainement très surpris... »


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COOLER

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Photos : ANNIK WETTER DIRECTION ARTISTIQUE : Emmanuel Grandjean & NICOLAS ZENTNER Modèle : Ruta Scoutmodelagency STYLISME : CAROLE matray hair & make-up : julie monot

COULEUR Débardeur en soie, Vertigo Jupe plissée, Cos Ceinture cuir, Paul Smith Sandales, Casadei Lampes de table «AJ», design Arne Jacobsen pour Louis Poulsen «Table S.A.M. Tropique», design Jean Prouvé by G-Star RAW pour Vitra


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Top et short en soie imprimée, Sandro Sandales, Casadei Bracelet clouté, Hélène Zubeldia Chaises «Wogg 50», design Jörg Böner pour Wogg

Chemise soie, Pringle of Scotland Jupe en néoprène, Felipe Oliveira Baptista Sandales, Barbara Bui Sofa, «Alcove Highback», design Ronan et Erwan Bouroullec pour Vitra


Chemise en soie froissée, Paule Ka Short en soie jaune, Hakaan Sandales, Marni Collier métal sous le col de chemise, Hélène Zubeldia «Fauteuil Direction», «Chaise Standard» et «Fauteuil Cité», design Jean Prouvé by G-Star RAW pour Vitra


Débardeur soie, Joseph Pantalon cuir et sandales, Marni Pochette, Celine Manchette, Elie Saab Lampadaire «Callimaco», design Ettore Sottsass pour Artemide


Top en cuir, Phillip Lim Jupe en soie imprimée, Anne Valerie Hash Escarpins, Versus Fauteuil «Munich Lounge Chair», design Sauerbruch Hutton pour ClassiCon Lampadaire «AJ», design Arne Jacobsen pour Louis Poulsen

Nos plus vifs remerciements à Teo Jakob Genève qui a gracieusement mis à notre disposition les pièces de mobilier publiées dans cette série

Top néoprène imprimé, Versace Pantalon coton jaune, Sportmax Sandales, Casadei Manchette, Helene Zubeldia Armoire « Brosse », design Inga Sempé pour Edra «Tabouret no. 307», design Jean Prouvé by G-Star RAW pour Vitra


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conseil

Le mobilier sixties c'est très beau, parfois très rare et donc souvent très cher. Tout ce qu'il faut

SUJET : Emmanuel Grandjean

comme Vintage

savoir pour se meubler avec style.

Vous connaissez l’histoire du type dont les parents, en 1983, balançaient sur un bout de trottoir une salle à manger entière signée Hans Wegner ? Un ensemble de six chaises et une table en pallissandre et cuir qui s’échangerait aujourd’hui contre un bon gros treizième salaire. Vous connaissez donc le drame de ce mobilier vintage dont tout le monde se débarassait il y a vingt ans mais qui depuis six ans excite les appétits des collectionneurs et des marchands. Au point d’atteindre des prix au-delà du raisonable. Justement. Comment s’y retrouver dans cette jungle du style, ou internet et les rééditions viennent semer le bazar ? Conseils et bons plans de deux couples de collectionneurs passionnés, l’un de Genève, l’autre de Zurich. Christian Geissbuhler et Sandrine Oppliger, architectes et collectionneurs Bois, tissu, plastique, béton : le meuble vintage le plus risqué ? Les meubles en tissu. Soit parce qu’ils sont déjà usés et tachés, soit parce que les mousses de rembourrage sont complètement cuites. Du coup, ce sont souvent des meubles qui ont été restaurés, et pas toujours dans les règles de l’art. Il y a aussi une affaire de goût. Il y a dix ans, personne ne voulait acheter certaines chaises de Charles et Ray Eames de couleur verte ou brune. Les gens les ont donc recouvertes et, en les transformant, les ont endommagées. Ceci dit, l’écueil d’une mauvaise restauration est aussi valable pour le cuir. On s'est retrouvé avec un fauteuil Elda de Joe Colombo de 1963 dont un tapissier avait refait le coussin et les accoudoirs mais en le recousant avec les mauvais points. A l’arrivée on avait acheté une sorte de meuble hybride, mi-original, mi-retapé. D’où l’importance de bien se renseigner avant d’acheter... Les gens ne savent pas toujours à quoi ressemble exactement la pièce originale. Pour éviter de faire un mauvais achat,

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Photos : annik wetter, vera hartmann

il faut se préparer, bien se documenter, chasser les infos sur internet, consulter la littérature de l’époque, feuilleter les ouvrages de référence. En cela, les catalogues de vente aux enchères sont généralement extrêmement bien documentés. Surtout, il faut rester attentif aux détails. Et si on a ni ouvrages de référence, ni catalogues de vente sous la main ? Entrez en contact avec des connaisseurs éclairés. Le mieux dans la région c’est de parler aux exposants dans «les puces du design». Souvent, ce sont des passionnés qui pratiquent des prix moins élevés qu’en galerie. Et qui partagent volontiers leur savoir et leurs expériences. Il y a aussi le problème entre la pièce originale et sa réédition. Au-delà de la différence de prix, laquelle choisir ? Il faut savoir que certains de ces meubles n’ont jamais quitté le marché de l’édition. Et qu’il y a des différences parfois minimes entre les tout premiers modèles fabriqués il y a plus de 40 ans et ceux qui sortent aujourd’hui des ateliers. Le fauteuil Elda de Joe Colombo par exemple, est produit par la même usine dans le même cuir et la même coque ABS qu’à l’époque de sa création. Tout comme la lampe Spider, du même designer, qu’Oluce continue à fabriquer avec des pièces d’origine provenant de ses stocks et selon un assemblage rigoureusement identique. Là encore, il faut bien se renseigner. Ceci dit, il existe parfois des différences importantes entre le meuble d’origine et sa version actuelle. Alors oui, il faut se méfier des rééditions. Prenez le fauteuil LC2 dessiné par Le Corbusier, Jeanneret et Perriand. A l’origine les coussins qui étaient rembourrés de plumes débordaient sur les côtés. Cassina, qui réédite cette pièce, a décidé de rigidifier les coussins. Ce qui lui donne un look moins mou, très différent du postulat de départ. Lequel look s’est petit à petit imposé dans la tête des gens qui veulent cette forme tota-

De gauche à droite : Lampe « Mante religieuse », design Rispal, années 50, est. 2000-3000 dollars. « Sunflower Clock », design George Nelson & Associates pour Howard Miller 1958, est. 2000-3000 dollars. Table et quatre chaises intégrées, Collection « Ollo », design Alessandro Guerriero & Alessandro Mendini, pour Studio Alchimia 1988, est. 3500 dollars. Bahut « type Société Générale Brazzaville », design Jean Prouvé, années 50, est. 25’000-35'000 euros Bureau et chaise « Action Office » design George Nelson et Robert Propst pour Herman Miller Action Office, 1960, est. 7500 dollars.

lement imaginaire par rapport à celle du projet original. Pour moi, c’est carrément un autre objet. Oui mais si je veux acheter une chaise Prouvé originale, j’en trouve en galerie à 5000 francs alors que sa réédition ne coûte que 1000 francs... Dans ce cas, mieux vaut choisir l’original. Acheter une réédition Prouvé ce n’est pas très intéressant. Mettez plutôt vos 1000 francs dans une chaise italienne des années 50. Ou dans plusieurs. Le prix actuel d’une belle chaise vintage tourne aux alentours de 400 - 500 francs. Il existe aussi des pièces beaucoup moins chères, celui des meubles non signés qui intéressent moins le marché… De manière caricaturale, le marché du design considère les objets non signés comme ayant beaucoup moins de valeur. Du coup, on trouve, chez les brocanteurs ou au marché aux puces, des tables extraordinaires pour une bouchée de pain. Des objets qui ne sont ni moins beaux, ni moins intéressants qu’un meuble de designer connu. Il faut aussi y aller au coup de cœur, cultivez sa curiosité et ne pas rester obnubilé par l’effet « signature ». Ah oui, et aussi réfléchir en terme d’usage. Ce n’est pas parce que c’est vintage qu’il ne faut pas l’utiliser. On est suffisamment envahi d’objets qui ne servent à rien. En clair, il faut être curieux, viser l’originalité et pas uniquemment les grands noms.

Exactement. Achetez du vintage c’est une perpétuelle découverte, c’est prendre le temps de bien se documenter et de s’intéresser à ce domaine de la forme. Il y a des objets fabuleux sur lequel le marché ne se penche pas ou disons pas encore. Comme les appareils Braun dessiné par Dieter Rahm qui sont extrêmement recherchés en Allemagne, beaucoup moins ici. Ou encore des plats à gratin designé par Massimo Vignelli pour le fabricant Heller qui sont esthétiquement splendides et qui ne coûtent pratiquemment rien. Remarquez, il y a toujours Internet. En achetant sur Internet, il faut avoir une grande tolérance entre ce que l’on voit sur l’écran et ce que l’on reçoit, même si certains vendeurs, notamment les Américains, sont extrêmement pros, fournissent des descriptions détaillées et répondent tout de suite aux demandes de renseignements. Ah oui! et savoir que la notion de « parfait état » varie entre la Suisse et des pays moins regardant comme la France ou l’Angleterre. Et vous, qu’est-ce que vous achetez ? On s’intéresse à des objets dessinés pour un lieu en particulier. Je pense aux fauteuils de l’Aéroport de Cointrin, par exemple, qui n'ont jamais été édités. Si vous êtes le premier à vous y intéresser vous pouvez acquérir pour pas très cher des ensembles incroyables et historiques. Sauf que, marchands et collectionneurs tirant sur la même corde, découvrir ce genre d’objets est de plus en plus rare, non ? Il faut bien chercher c’est vrai, se lancer dans une sorte d’archéologie contemporaine, ce qui est passionnant. L’astuce est d’arriver au moment où l’objet a perdu de son intérêt et qu’il devient encombrant. Il y a quelques années, on nous proposait d’acheter pour rien la terrasse du Café Beaubourg à Paris. Soit une cinquantaine de chaises en tube d’acier de Christian De Portzamparc qui étaient complètement passées de mode. Elles n’étaient pas forcément très jolies mais elles racontaient une histoire. On assiste au retour des objets des années 80, à des objets comme ceux produits par Memphis ont atteint des prix stratosphériques il y a quelques années. 1980 c’est le vintage des années 2010 ?


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conseil

Les éditions originales en bon état sont difficiles trouver. Les objets des années 80 sont en général moins bien construits. On est déjà dans un mouvement d’hyper consommation. Une chaise qui ne plaisait plus à l’époque, on la basardait, on n’allait surtout pas la garder à la cave en attendant qu’elle revienne à la mode. Ce qui fait que cette production n’a pas été conservée de la même manière et avec le même soin que celle des années 50-60. C’est une production beaucoup plus rare. Et parfois aussi, il faut le reconnaître, beaucoup plus moche.

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Tuyaux de pros Le Repertorio, ouvrage des années 60, rarissime pour ainsi dire introuvable. Le tout premier répertoire du mobilier italien d’après-guerre. Hyper complet. La Bible des passionnés de design vintage. Wright20.com, le site internet de référence pour le mobilier vintage et contemporain. Vente aux enchères et vente directe. Koller Auktionen, la maison de vente aux enchères organise des ventes de mobilier vintage deux fois par an à Genève, en mai et en novembre. www.kollerauktionen.ch

Joan billing et Samuel Eberli. Elle est designer et chasseuse de tendance, lui est architecte. Tous les deux sont collectionneurs et fondateurs du salon Design + Design, foire pointue de mobilier vintage organisée chaque année à Zurich. Entre un meuble vintage original et sa réédition, que choisir? Une pièce originale possède une histoire que l’édition n’a pas. L’authenticité, pour nous, joue un rôle très important. Certes, les rééditions de Acheteriez-vous un bijou à votre meubles vintage montrent à quel point ce mobilier femme sur Internet ? Il faut qu’il y ait ce exerce toujours un immense pouvoir d’attraction. petit effet « Breakfast at Tiffany ». Malheureusement, il faut aussi reconnaître qu’elles sont souvent moins bien réalisées, parce que le savoirfaire de l’époque a été perdu et parce que les conditions de production ne sont plus les mêmes. Le fai-main coûte aujourd’hui très cher. Mais si on a pas les moyens d’acheter une pièce d’époque, sa réédition c’est aussi très bien, non? Tout dépend de la manière dont elle est fabriquée. Si la pièce est produite exactement de la même manière qu’à l’époque de sa création, allez-y ! S’il y a des différences au niveau des détails, dans les proportions, si le matériau utilisé n’a pas la même qualité, mieux vaut l’éviter. C’est aussi une question de prix. Entre l’édition récente et son modèle d’origine, le meuble n’est-il pas rigoureusement le même… Alors oui, une table reste une table, une chaise reste une chaise. Il faut savoir ce que vous préférez : une chaise Monobloc en plastique à 7,90 francs ou un tabouret en bois original à 900 francs. Les prix ne sont bien sûr pas les mêmes. Le plaisir non plus. Une chaise Monobloc ce n’est pas très intéressant. Il n’y a guère que des designer comme Martin Gamper pour réussir à en faire quelque

chose de nouveau. Lorsque vous achetez un meuble original, vous savez qu’il résistera au temps et que vous le garderez peut-être toute votre vie. Ces pièces ne perdent jamais de leur valeur. Vous pouvez les utilisez et les revendre sans problème au même prix que vous les avez achetés. Vous imaginez la même chose pour une voiture ou un ordinateur? Et sur Internet, le vintage n’est-il pas meilleur marché? Il est faux de croire que le vintage sur Internet est moins cher que dans une galerie. Internet est un excellent moyen d’obtenir des informations intéressantes sur l’évolution des goûts du marché, sur la valeur de certaines pièces. Pas pour y faire ses achats. D’autant que la plupart du temps, acheter sur Internet est une expérience assez décevante. Les meubles sont souvent en mauvais état et les photos montrent les objets sous leurs meilleurs angles. En galerie évidemment vous évitez ce genre de désagréments. Nous, nous préfèrons clairement acheter nos meubles chez un marchand. Parce que nous pouvons voir l’objet sous toutes les coutures, nous pouvons discuter avec le vendeur et parce que nous aimons l’atmosphère particulière qui règne dans ce genre d’endroits. Posez-vous aussi cette question: acheteriez-vous un bijou à votre femme sur Internet? Il faut qu’il y ait ce petit effet «Breakfast at Tiffany». Allez en galerie, c’est une manière d’entrer dans une ambiance et de voir des objets extraordinaires. Même si nous ne pourrons jamais nous les acheter. Et vous, quelle sorte de mobilier vintage achetez-vous ? Nous aimons les meubles qui nous correspondent et qui s’intègrent bien dans notre appartement. L’idée est aussi que nous allons «grandir» avec eux. Un peu comme on le ferait avec les membres d’une famille. Nous privilégions aussi des pièces qui portent en elles les traces de leur vécu, cette sorte de patine qui fait toute la différence. Nous n’achetons que des meubles que nous pouvons utiliser. A quoi faites-vous attention lorsque vous achetez des meubles vintage ? A l’état du meuble, au feeling que nous avons avec lui, à son originalité et à son prix. Dans cette ordre de priorité. Quels derniers conseils donneriez-vous à ceux qui veulent acheter vintage ? Regarder la provenance de l’objet que vous voulez acheter. Entendez par là, étudiez le travail du designer qui l’a créé. Ceci dit, on peut aussi avoir un coup de cœur pour une pièce dont le créateur est complètement anonyme. Regardez surtout la possibilité de construire une sorte de relation avec l’objet que vous convoitez. Dans tous les cas, choisissez un meuble qui possède une histoire riche qui vous rendent fier d’en être le propriétaire.


argus : christian geissbuhler, sandrine oppliger

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Original Vintage, la cote actuelle de quelques classiques

Osvaldo Borsani Fauteuil « P40 » 1955, Tecno, 3'500 à 6'000 francs. La 1ère édition a un piètement en tube d’acier cylindrique, ensuite un tube de section carrée

Mies van der Rohe Chaise « Barcelona » 1929, Knoll, 1'800 à 3'000 francs. On préfèrera les Knoll vintage aux autres éditions (copies).

Charles & Ray Eames

Le Corbusier / Charlotte Perriand

Chaise de repos « LC4 », design 1928, Embru Werke, Wohnbedarf, Thonet, Cassina 2'000 à 20'000 francs. Plus l’édition est ancienne, plus c’est rare et cher !

Charles & Ray Eames Chaise « RAR » 1945, Herman Miller, 1'500 à 3'500 francs. Coque en fibre de verre, les couleurs chaudes sont les plus rares ; le piètement doit être d’origine également.

Marco Zanuso Fauteuil « Lady » 1951, Arflex, 1'500 à 2'000 francs. Vu dans Spirou… le tissu doit être d’époque…

Harry Bertoia Chaise « Diamond » 1952, Knoll, 800 à 1'500 francs. Doit avoir son coussin d’assise d’origine.

Jean Prouvé Chaise « Antony » 1950, Atelier Jean Prouvé, 10’000 à 15’000 francs. Aujourd’hui réédité par Vitra mais la patine de l’assise en contreplaqué moulé d’origine fait tout le chic.

Willy Guhl « Garden Chair » 1954, Eternit AG, 1'500 à 2'000 francs. La forme de la version actuelle comporte deux rainures sur l’assise, bien moins pur que l’originale.

La chaise Eames, de la parabole au marché de masse La Side Chair de Charles & Ray Eames, c’est un peu la chaise bateau du vintage. Une pièce produite depuis plus de 60 ans à tour de bras mais qui conserve intacte son attraction magnétique sur les amateurs de design. Problème : il en existe plusieurs éditions (Herman Miller ou Vitra, selon qu’on se trouve aux Etats-Unis ou en Europe) et plusieurs versions. Il y a celle en fibre de verre qui n’est officiellement plus produite (trop chère) et celle en plastique injecté qui n’a ni la patine, ni le touché de la première. Clairement moins intéressante. Les prix s’affichent en fonction de ces critères entre 200 et 350 francs. Il y a ensuite la question de la couleur. Les oranges seventies, les violets psychés et les verts bizarres arrivent en tête des pièces les plus cotées. La chaise Eames étant aussi un meuble démontable, on la trouve parfois avec une coque d’époque mais un piétement récent. Le piétement justement. Il y en a de plus remarquables que d’autres. Le modèle « Tour Eiffel » en particulier avec son système à croisillon qui donne au meuble un air de derrick chic. Il y aurait donc des bonnes chaises Eames et des mauvaises. Le collectionneur averti recherchera l’une des toutes premières pièces réalisée par le couple de designer américain en 1948. Des chaises devenues rarissimes avec leurs coques moulées par Zenith Plastic of Gardena qui participa à l’effort de guerre en fabriquant des paraboles de radars. Pour reconnaître cette Eames historique c’est très simple: elle a été produite en seulement trois couleurs (gris, noir et vert militaire) et est quasi introuvable.

« 670 lounge chair and 671 ottoman » 1956, Herman Miller, 3'500 à 6'000 francs. La version d’époque à une coque en palissandre.

Arne Jacobsen Fauteuil « Egg » en cuir 1957, Fritz Hansen, 8'500 à 10'000 francs. Le piètement original, cruciforme, est fait d'une pièce d’aluminium. Le coussin d’assise doit être original

Joe Colombo Fauteuil « Elda » 1963, Confort, 3'500 à 5'500 francs. Les coussins en cuir doivent être d’origine

Pierre Paulin Fauteuil « ruban » 1966, Artifor, 1'500 à 2'500 francs. Une pièce iconique du design français des années 60.

Verner Panton Chaise « Panton » 1968, Vitra, 600 à 1'200 francs. En fibre de verre, la version de couleur violette est très rare.

Ron Arad Chaise « Rover » 1981, One Off, 3'000 à 5'000 francs. Produit par l’atelier de Ron Arad à Londres.

Philippe Starck Fauteuil « Richard III »1985, Baleri, 1'200 à 1'500 francs. Une pièce à garder des années 80.


LEXIQUE

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No 14 Soit le numéro de la chaise Thonet vendue à plus de 50 millions d’exemplaires entre 1859 et 2010. Le best-seller de la maison autrichienne fondée en 1851 par Michael Thonet, ébéniste allemand, inventeur d'un système capable de courber des tiges de bois assemblé. Un siècle et demi plus tard, l’une des plus anciennes fabriques de mobilier industriel en main familiale depuis cinq générations laisse désormais le design contemporain revisiter ses modèles iconiques (lire Produit).

LES MOTS DU DESIGN

BéTON

o

n 14 à Usage, de

............. art L’art et le design même combat ? Le débat fait rage depuis des lustres (si l’on ose dire). Avec d’un côté les artistes designers (Franz West, Xavier Veilhan, Tobias Rehberger) et de l’autre les designers artistes (Nacho Carbonell, Studio Job, Pierre Charpin). Beaucoup de bruit pour rien, alors que les frontières de la création s’e stompent. Et que les designers, comme les artistes, lèvent le nez du meuble et investissent toujours davantage les champs du théâtre, du cinéma et de la fiction. Bref, tout se mélange. Et c’e st très bien.

Sir Henri Cole à John Armleder, un petit lexique pour mieux comprendre les nouveaux objets du désir, d’hier et d’aujourd’hui.

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dESIGN « Le design doit viser à l’association harmonieuse entre la fonction, la décoration et l’intelligence ». C’est Sir Henri Cole qui l’écrit dans le Journal of Design and Manufacture qu’il dirige et dont il est le cofondateur. Pour la première fois dans l’histoire, le terme design est imprimé. C‘était en 1849. Le concept n’a pas changé.

............. Le béton c’est brutal. Le béton, c’est du lourd. C’est surtout très pratique pour du design soumis aux aléas de l’extérieur. En 1954, Willy Guhl roule une bande de ciment Eternit. Le designer suisse invente le fauteuil-ruban qui va prendre la mousse dans tous les jardins helvétiques. Trente ans plus tard, Ron Arad coule une platine de DJ et ses haut-parleur dans un bloc de béton surarmé. On est en 1983, année punk. Avec le temps, le matériau de la modernité gagne en noblesse et rentre dans les maisons. Brossé, verni, coloré, il devient le socle de la Chair One de Konstantin Grcic, sert de nichoir à oiseaux (Birdy de Vladimir Jaccard) et se transforme en pouf faussement mou chez Tejo Remy & Rene Veenhuizen, les deux fondateurs de Droog.

............. De la chaise bistro

De gauche à droite: Andrea Branzi, Alessandro Mendini, Ettore Sottsass, Michele de Lucchi

SUJET : emmanuel grandjean

cRITICAL DESIGN Il faut bien le reconnaître : dans le design contemporain tout se ressemble. Et la crise ne va pas arranger les bidons, les marques attendant de laisser passer le souffle du boulet avant d’investir dans l’innovation. Face à ce marché attentiste, inféodé à l’économie, certains designers proposent une alternative. Le Critical Design n’invente pas d’objets en vue de leur commercialisation mais spécule sur le rôle de la production d’objet dans le quotidien, au rapport entre le design, la société et les technologies. En clair, le Critical Design donne plus à réfléchir, qu’à acheter. Les Anglais Dunne & Raby ont lancé le mouvement à la fin des années 90. Profs au Royal College of Arts de Londres, ils créent des robots sensibles, des montres qui décomptent les instabilités politiques et des objets spécialement destinés aux malades phobiques.

FIBRE DE VERRE Matériau magique de l’après-guerre, la fibre de verre a été peu à peu remplacée par le plastique injecté. Pour des raisons essentiellement économiques, le second étant largement meilleur marché à produire que la première. Moins cher, d’accord, mais aussi moins joli à regarder. La fibre de verre en veillissant se patine, tandis que le plastique injecté, lui, se salit. Et puis, il n’y a pas à tortiller : une chaise Panton en fibre de verre, c’est quand même autrement plus chic au toucher que sa version en plastique qui rend la caresse assez toc.

.............

FURNITURE SCULPTURE Memphis

En 1979, John Armleder signe sa première Furniture Sculpture. Il associe alors des meubles des années 50-60 trouvé chez Caritas et Emmaüs avec des tableaux dont il est l’auteur. Dans l’idée qu’une toile abstraite, dans le fond, se retrouve toujours à devoir s’accorder avec un canapé. Pièce maîtresse qui traverse toute l’œuvre de l’artiste genevois, les Furniture Scuplture fonctionnent aussi avec du mobilier récent au gré des collaborations avec le designer zurichois Alfredo Häberli.

Le nom évoque à la fois Elvis et les pharaons de la Ve dynastie. Memphis comme les racines du rock blanc et du roi Ménès. Mais aussi comme celles d’un groupe de designers milanais qui choisit la ville du Tennessee en souvenir d’un tube de Bob Dylan (Stuck Inside of Mobile with the Memphis Blues Again). Fondé en 1981 par Ettore Sottsass, dispersé en 1987, Memphis comptera parmi ses membres les Italiens Alessandro Mendini, Andrea Branzi et Michele de Lucchi mais aussi l’Allemand Hans Hollein, le Japonais Shiro Kuwamata et l’Américain Michael Graves. Leur idée ? Rompre avec le formalisme de l’époque qui impose depuis 50 ans sa vision orthogonale et blanche du monde. Memphis réactive le peps du pop art et le kitsch de l’art déco, va chercher l’inspiration dans

les cartoons et la science-fiction. Mouvement design phare du post-modernisme, Memphis dessine des lampes-jouet, des canapés-bd et des bibliothèques-totems à pois, zébrée ou couleurs pastels. Le design qui ne se prenait pas au sérieux est aujourd’hui la coqueluche des collectionneurs et des ventes aux enchères.


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LEXIQUE

gALERIE

Helvetica

Le marché de l’art a ses galeries. Idem pour celui du design. Plus jeune que son homologue, plus risqué aussi (le coût de la production en design n’a rien à voir avec celui de l’art) la galerie de design édite et expose des pièces uniques ou tirées en nombre limité. A Paris, la plus célébre est la galerie Kreo, éditeur, entre autre, de Martin Szekely, des frères Bouroullec, de Pierre Charpin, d’Andrea Branzi et des Suisses Adrien Rovero et BIG-GAME. En Suisse, le galeriste design est une espère en voie d’extinction. La galerie Edward Mitterrand + Cramer produisait jusqu’en 2010 les objets de Marteen Baas, Jurgen Bey, Tom Dixon, Arik Levy et Studio Job. Désormais elle travaille uniquemment sur demande.

Le point comme entre les logos de Microsoft, Skype, Panasonic, Tupperware et Toyota ? Ils sont écrits en Helvetica, peut-être la police de caractères la plus utilisée au monde. A tout le moins l’une de celle que l’internationale graphiste préfère. Une foultitude de marque l’adoptent pour sa simplicité, sa neutralité et son harmonie optique optimale. Pile le pitch du typographe Max Miedinger et du graphiste Eduard Hoffman, les deux créateurs zurichois de la fonte en 1957.

............. Green Design Le monde est green. Le design aussi. La preuve ? Le plastique que l’industrie plébiscitait il y a encore trente ans, a complètement disparu. Même le marché du Vintage s’en désintéresse après en avoir fait la promotion ad nauseam. Aujourd’hui, le design roule pour les matières durables, issu de la chaîne du recyclage (PET, papier, etc.) et des recherches technologiques eco-friendly.

.............

Konstantin Grcic Designer allemand au patronyme redoutable, Konstantin Grcic appartient au top 10 des designers contemporains qui comptent. Créateur fin et cultivé, il allie minimalisme et technologie, brutalisme et ingénieurerie. Le designer munichois peut aussi s’avérer déroutant. En 2012, il éditait avec la galerie parisienne Kreo une série de tables inspirées du custom des Formule 1. Du vrai design de compétition.

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couture (Fendi, Versace, Ralph Lauren) s’augmentent naturellement d’un département Home. Et que certains couturiers (Jean Paul Gaultier pour Ligne Roset, Karl Lagerfeld pour Baccarat) tombent parfois la veste pour investir de nouvelles beautés intérieures.

............. Prototype

............. Milan

C’est LA ville du design. Là où chaque année depuis quarante-cinq ans, multinationales du meuble et petits éditeurs indépendants lancent leurs nouveautés sur le marché dans une ambiance survoltée de festival pop. Au point que le Salone Internazionale del Mobile possède désormais sa foire-off (Zona Tortona, de plus en plus in, de moins en moins intéressante) et, depuis 2010, son nouveau quartier réservé à la jeune création « Ventura Lambrate », l’endroit des vraies découvertes.

............. Mode

La mode s’inspire du design, le design s’inspire de la mode. Bref, voilà un couple qui fonctionne depuis longtemps. Au point que certaines grandes maisons de

L’objet avant l’objet. Parfois juste une idée qui n’a même pas été commercialisée. Le prototype possède le charme de l’esquisse qui porte en elle les traces du créateur qui tatonne. Du tatonnement qui peut parfois rapporter gros. En mai 2010, Phillips de Pury & Company adjugeait 2’100'000 dollars, le modèle de la Lockheed Lounge du designer australien Marc Newson. Pour la première fois dans l’histoire du style, un objet design franchissait la barre du million de dollars. Depuis, tout le monde regarde son canapé autrement.

Jean Prouvé

Usage

Aurait-il aimé voir le prix de ses chaises s’envoler à 5000 francs la pièce ? Pas sûr que Jean Prouvé, chef d’entreprise humaniste et premier patron à accorder le congé-payé à ses ouvriers, aurait franchement approuvé. Ingénieur brillant, formé à la ferronerie, il se lance en 1931 dans la fabrication de meubles et d’éléments d’architecture en métal, voire dans la réalisation de maisons lègères. Régulièrement associé à Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret, il préside le jury qui confiera à Renzo Piano et Richard Rogers la construction du Centre Georges Pompidou. Depuis le boom du design de collection, sa cote ne cesse de grimper au point de devenir le designer du XXe siècle le plus cher du marché. En 2011, Vitra s’associait avec la marque de jeans G-Star pour rééditer certains modèles iconiques de l’industriel de Nancy disparu en 1984.

Qu’est-ce qui distingue l’objet design de l’objet d’art? Sa valeur d’usage. L’objet design a donc une fonction, que l’objet d’art ignorerait. Ce qui revient à dire que la réflexion, la contemplation, l’émotion ne serviraient à rien. Alors oui bien sûr, on peut s’asseoir sur un fauteuil Ron Arad mais pas sur une peinture de Jean-Michel Basquiat. Quoique, on n’a jamais essayé.

Solid Surface Regroupe toute la famille des matériaux increvables, non poreux, qui résistent à tout (aux températures extrêmes, aux chocs violents et aux enfants.) Utilisé principalement dans la fabrication de mobilier soumis à rude épreuve, comme celui de la cuisine, les membres de Solid Surface s’appellent Corian (créé par DuPont en 1967), Méganite (développé par LG Group), Staron (Samsung) ou encore Marlan (de la firme néerlandaise Polylac Holland).


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COTTAGE

SUJET : Emilie Veillon

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Lampes « Clover » par Bysteel Version outdoor du sofa « LC3 » de Le Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret édité par Cassina

Le mobilier prend

l’a ir du temps Aluminium ultra résistant, bois increvables et mousses qui laissent passer l’eau: le design extérieur profite des dernières avancées technologiques pour coller à l’esprit des meubles d’intérieur. Il fait beau dehors.

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eux canapés LC3 beiges. Entre eux, la table en verre LC10 et le lampadaire Superarchimoon de Flos. Au sol un tapis bleu roi crocheté par Paola Lenti. C’est beau, dehors. Même sous un orage d’été. Depuis que les jardins sont considérés comme un prolongement de l’espace intérieur, le mobilier extérieur se pavane dans l’air du temps. Editeurs, designers et architectes cherchent à composer ces nouveaux espaces avec des éléments qui célèbrent un mode de vie ultra convivial. Le mobilier se veut hybride, capable de répondre à une triple exigence d’esthétisme, de confort et de résistance. Dans cette quête de style, les innovations techniques et design donnent le ton des collections toujours plus nombreuses. Formes, matières, couleurs l’offre est presque aussi vaste que celle du mobilier d’intérieur. Et de plus en plus d’accessoires contribuent au charme de ces pièces à vivre au grand air, des cheminées aux pergolas en pas-

sant par des tapis ou du luminaire. Pourtant, l’idée de vivre dehors autrement qu’autour d’une table ou sur une chaise longue est toute récente.

A partir des années 1950, le jardin devient un lieu de plaisir et de détente, notamment grâce à la démocratisation des piscines privées. Les transats à toile et les chaises à lattes colorent balcons et terrasses pendant les décennies suivantes, avant d’être dépassés par le mobilier en plastique, puis par la vague du teck dans les années nonante. Propices à des déclinaisons confortables, rehaussés d’épais coussins, les meubles en bois exotique ne sont-ils pas les prémices de l’ambiance lounge en vogue sur les terrasses d’aujourd’hui ? « Probablement. Ils nous ont donné envie de grandes tablées conviviales, de lire au soleil l’après-midi en relevant les pieds sur la chaise en face, d’acheter toutes les pièces d’une collection pour harmoniser les différents espaces extérieurs, du coin


Ensemble « Sit » par Bivaq Lampe « Tripo » par Bysteel

Jacuzzi à la zone repas », analyse Urs Lüscher, architecte et co-associé de Batiplus, à Lutry. Reste que la déferlante des salons extérieurs, c’est à Kartell et Dedon qu’on la doit. Au mobilier traditionnel de jardin, Philippe Starck et Kartell opposent, grâce au principe du rotomoulage, le Bubble Club en 2001. Sorte d’archétype du divan, il est réalisé en polyéthylène teinté dans la masse et doté d’une gouttière pour l’évacuation de l’eau de pluie. Premier de la longue série de meubles de salon à installer dehors, il est suivi, trois ans plus tard, par la collection culte « Lounge » de Dedon. Avec ces éléments cubiques modulables en résine tressée, couverts de coussins

« Jusqu’en 2008, le monde ne demandait que du tressé synthétique. Le marché s'est retrouvé asphyxié par les copies chinoises. » bien taillés, la marque allemande propose alors des variations de canapés, fauteuils et méridiennes sur lesquels s’étendre autour d’une table basse accordée. « Les autres éditeurs ont collé au mouvement. Jusqu’en 2008, le monde ne demandait que du tressé synthétique. A tel point que le marché a été asphyxié par les copies chinoises et les produits bas de gamme », observe André Guggenheim, agent de plusieurs belles marques par le biais de Paka SA.

Face à cette overdose, les fabricants cherchent depuis à se positionner différemment. L’enjeux ? Devenir le prochain précurseur en termes de matériaux et d’innovation technique. La priorité est donnée aux composants qui résistent aux assauts de la météo et ne nécessitent que très peu d’entretien, comme l’aluminium, l’acier inox ou thermolaqué. « Ils existent depuis longtemps et ont fait leur preuve. A l’inverse du plastique qui vielli mal, ce sont des matières qui durent et qui peuvent être repeintes pour retrouver une seconde jeunesse », note Urs Lüscher. La plupart des meubles en acier sont disponibles dans une large palette de couleurs. Ego Paris propose vingt laques, du bleu Navy au caramel en passant par le bronze ou l’ambre. « De fabrication française, elles possèdent d'excellentes performances mécaniques et une résistance aux UV ainsi qu'aux intempéries », assure Jean Sommereux, l’un des trois frères fondateurs de la marque. En acier ou aluminium, les structures se font minimalistes et discrètes, les piétements fins et élégants, à l’image de celles des canapés intérieurs. Le retour à des formes et des matériaux inspirés par la nature, qui marquent la scène du design depuis trois ans, s’immiscent jusque dans les jardins. En hommage au mobilier tressé en rotin, la gamme « Crinoline » de Patricia Urquiola pour B&B, marquée par de hauts dossiers est tissée de fibres en polyéthylène. En parallèle, l’aspiration écologique pousse certains éditeurs à tabler sur le développe-

ment durable. Le fabricant italien Bysteel s’engage à n’utiliser que des aciers recyclables et minimiser au maximum les déchets de fabrication. D’autres revisitent les matériaux naturels, notamment le bois, indigène si possible. Grâce à des traitements thermo-chauffés, les structures des essences européennes peuvent être modifiées et stabilisées plus longtemps. « Belles et résistantes aux intempéries, elles sont une bonne alternative au teck et autres bois tropicaux pas toujours issus de forêts certifiées FS répondant à des normes d’exploitation écologique et de développement durable », continue Urs Lüscher. Le bois est aussi sublimé sur de grandes pergolas à lattes contemporaines chez Paola Lenti, B&B ou Bleu Nature qui travaille le chêne brut non traité de forêts françaises.

Le succès du mobilier outdoor tient évidemment à la qualité des textiles toujours plus confortables et étanches. «Les fabricants ont fait d’immenses progrès ces trois dernières années. Les coussins rigides inspirés du mobilier nautique sont remplacés par des modèles qui se rapprochent des modèles intérieurs en plume et en coton», relève André Guggenheim. Chaque fabricant vante les mérites du touché soyeux et de la grande résistance de ses matériaux. La fabrique milanaise Paola Lenti colore tapis, fauteuils et pouf avec ses tissus composés de fils recyclables à base de polyoléfines, les fils Rope de corde tressée Cord ou le textile éponge Luz. La marque es-


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pagnole Bivaq mise sur la toile vinytex à base de polyester et PVC pour habiller la très belle collection « Sit ». Ego Paris, quant à elle, recouvrent ses coussins de tissus réalisés à partir de fils 100 % acrylique teintés dans la masse ou de vinyle enduit de PVC. « Le toucher reste agréable et frais même en plein soleil. En cas de pluie, l’eau longe les coutures et est évacuée par le cannage en dessous », précise Jean Sommereux à la tête d’Ego Paris. L’application de mousses à cellules ouvertes au mobilier extérieur permet d’expérimenter de nouvelles formes. Les pièces courbées du Puzzle d’Ego Paris sont composées d’un sandwich de mousses de différentes résiliences enveloppées d’un tissu 100% acrylique teint dans la masse, anti-moisissure, déperlant à l’eau et aux graisses. Ailleurs, les mousses sont laissées nues pour laisser traverser l’eau et l’air. Les matelas des lits de jour Sakura de Sifas sèchent en trente minutes grâce à leur structure de fils en polyester, réunis en surface par une résille en nid d’abeille.

Grâce à ces matériaux et textiles performants, le mobilier fait fi des contraintes extérieures pour explorer de multiples typologies. Comme le Nest de Dedon, cocon monumental qui vous donne soudain des ailes. Un style « fait comme l’oiseau » audacieux et qui a beaucoup plu. « La marque s’attendait à une vingtaine de commande, elle en comptait déjà 200 à la mi-été », se souvient le directeur de Paka, distributeur de la marque en Suisse. La multi fonctionnalité est une autre tendance forte des dernières collections. Avec Kama, Ego Paris parvient à proposer trois types d’aménagements. Le canapé classique se pro-

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Cocon suspendu « Nest » par Dedon Chaise longue « Tokyo » de Charlotte Perriand adaptée pour l'extérieur par Cassina

longe en chaise longue et la table basse peut être relevée le temps d’un repas. D’autres éditeurs font carrément prendre l’air aux icônes du 20e siècle pour profiter de ce marché en plein essor. Serralunga revisite la Barcelona Chair de Ludwig Mies Van der Rohe. Magis décline le fauteuil royal Proust d’Alessandro Mendini en version polyéthylène rotomoulé. Et Cassina réédite les plus belles pièces des maîtres du Mouvement moderne: Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand. Mise en scène lors du dernier Salon du Meuble de Milan dans des conditions climatiques extrêmes, sous la pluie et la glace, la collection incarne parfaitement tous les progrès technologiques mentionnés plus haut. La structure des LC2 et LC3 Outdoor est réalisée en acier inoxydable brossé, très résistant à la corrosion, mais dont la brillance rappelle celle des tubes chromés des modèles originaux. Les sangles élastiques sont rempla-

cées par une suspension tendue en fil de polyester. Les coussins en polyuréthane drainant et rembourrage en fibre naturelle assurent un confort d’assise optimal tout en empêchant la stagnation de l’eau et en séchant rapidement. Deux types de textiles sont disponibles en cinq coloris : soit un fil de polyester à haute résistance recouvert de PVC ou un fil d’acrylique traité anti-tache. Portés par l’engouement général pour la vie hors des murs, les éditeurs vont continuer à nourrir le marché avec des nouveautés enchanteresses. « On a encore beaucoup à faire », reconnaît Jean Sommereux. « C’est un secteur très agréable, parce que les clients sont demandeurs de créativité et très ouverts à des typologies moins conventionnelles que celles qu’ils choisissent pour leur intérieur ». Peutêtre parce que la terrasse n’est pas une pièce au sens strict. Et qu’elle devient la scène privilégiée des meilleurs moments d’une journée, le temps d’une saison.


décodage

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SUJET : Emmanuel Grandjean

La raison de l’amphore Nos ancêtres aussi réfléchissaient aux formes des objets qu’ils utilisaient. Petite étude de design archéologique.

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n savait les Romains plutôt futés. On doit ainsi à la civilisation des Augustes quelques brillantes illuminations: le ciment, la république, le livre, le spa. Et puis le bug: l’amphore, objet peu pratique – essayez de la faire tenir debout – et fort encombrant. L’Empire n’avait-il donc aucun moyen d’inventer un autre contenant, au bol la bouteille par exemple? Remarquez, si le gros vase à double anses affecte ce design fuselé et replet, c’est forcément pour une raison. Laurent Flutsch, archéologue et directeur du Musée romain de Vidy à Lausanne explique pourquoi l’amphore romaine n’avait pas le cul plat.

Les amphores étaient des « emballages perdus », en cela comparables à nos barils métalliques. Elles pouvaient contenir une trentaine de litres de liquide (vin, huile et sauces de poisson surtout). Elles étaient fabriquées sur les lieux de production de ces denrées, puis stockées et transportées dans des navires, manipulées par des « dockers », acheminées ensuite par chariot jusqu’aux consommateurs. Compte tenu de ces conditions, leur forme apparaît parfaitement idoine. La résistance du matériau à la pression du contenu est renforcée

par la forme ovoïde et par l’absence d’angle entre un fond plat et la panse, angle qui aurait constitué une ligne de fracture. La protubérance du fond agit comme un renfort, notamment lors des manipulations et de la dépose. Là encore, un fond plat serait plus fragile et l’angle serait un point faible. Enfin, la forme fuselée et le fond en pointe sont parfaits pour un stockage serré, en couches imbriquées, dans la coque concave d’un navire. Les épaves que nous avons retrouvées montrent bien ce type de chargement par demi-niveaux enchâssés. Avec des fonds plats, les amphores du dessus ne pourraient pas se « ficher » entre celles du dessous, d’où perte de place et instabilité de l’ensemble. Ces paramètres combinés (résistance à la pression, résistance mécanique aux chocs, empilement) expliquent à mon sens la forme des amphores, qui toutefois varie selon le contenu et la région d’origine, un peu comme nos bouteilles. A noter qu’il existe tout de même des amphores à fond plat. Ce sont des récipients à vin de Gaule du Sud, qui sans doute n’étaient pas exportés très loin par voie maritime mais remontaient le Rhône sur des embarcations hâlées. Ces amphores-là sont de capacité nettement moindre, peut-être une quinzaine de litres. Cette exception pourrait donc bien confirmer la règle…


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Sélection : emmanuel grandjean

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DESIGN YOUR LOUNGE 1. « Allumette », design Atelier Oï pour Roethlisberger Kollektion, à partir de 3823 francs 2. « Box Sofa », design Autoban pour De La Espada, 5418 euros 3 . « Cape », design Konstantin Grcic pour Established & Sons, 2860 euros 4. Canapé 50’ retapissé, Chic Cham, 2900 francs 5. « Aster Papposus », design Fernando et Humberto Campana pour Edra, prix sur demande 6. « Sled », design Rodolfo Dordoni pour Cassina, à partir de 3345 euros 7. « Basket », design Ronan et Erwan Bouroullec pour Cappellini, 3740 euros

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Casque audio « VEKTR » design Monster pour Diesel, 215 euros « Radiocubo TS525 », design Richard Sapper et Marco Zanuso pour Brionvega, radio DAB et station audio pour iPod, 549 euros 3. Casque audio « Capital », design KiBiSi pour AIAIAI, prix non communiqué 4. « Hohrizontal 51», design Bernd Brockhoff, étagère station audio pour iPod, 450 francs 5. Revo « Heritage » Audio, radio DAB et station audio pour iPod, 295 euros

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1. « Humming Bird », design Alexander Mc Queen pour The Rug Company, prix sur demande 2. « Firmship », diam 350 cm, design Studio Job pour Moooi, 1956 euros 3. « Volcano », design Klaus Haapaniemi & Mia Wallenius pour Established & Sons, 5600 euros, sur commande 4. « Flat Surgery », design Mathieu Lehanneur pour Carpenters Workshop Gallery, prix sur demande 5. « Font », 200 cm x 200 cm, design Stéphane Dafflon pour Atelier Pfister, 980 francs 6. « Pantheon », design Studio Job pour Nodus, édition limitée, prix sur demande

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4 DESIGN YOUR TIME 1. « Ceramic Clock », design George Nelson, Réédition Vitra, 214, 10 euros 2. « New Gent », Swatch, 75 francs 3. « Neko », design Atelier Saana pour Alessi, 115 francs 4. Braun « BN10 », cadran et bracelet acier, 599 euros 5. Pendule de table 1956, design Angelo Mangiarotti, rééditée par Klein & More, 195 euros 6. Bell & Ross « BR 01 Horizon », édition limitée à 999 pièces, 4500 francs

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1. Plats « Hallau », design Olaf Breuning pour Atelier Pfister, à partir de 99 francs 2. Machine à café Otto Espresso, design Tiller + Tiller, 799 dollars australiens (780 francs environ) 3. Couteaux « Meeting », design Mia Schmallenbach pour Deglon, 405 euros 4. Verre «Tipsy», design Loris & Livia pour DesignMarketo, 65 £ (95 francs environ) les 6 pièces, www.lorisetlivia.com 5. Ustensiles « Hang Around », design KiBiSi pour Muuto, 29 euros 6. Couverts « Knifeforkspoon », design John Pawson pour When Object Works, 319 euros les 24 pièces Renseignement et contact dans page Adresses


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SUJET : Florence schmidt/mc2

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Photos : Cédric Widmer/mc2 production & stylisme : christiane nill/mc2

L'esprit des lieux A Lausanne, ce loft modulable conjugue architecture contemporaine et mobilier vintage. Visite guidée dans les quartiers de l’a rtiste Karim Noureldin et de sa famille.

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essiné par le cabinet al30 architectes (www.al30.ch), c’est un bâtiment moderne en PPE harmonieusement adossé à une maison ancienne de 1930. La nouvelle aile est habillée de pans décorés de lamelles de bois qui coulissent, tantôt pour révéler de larges baies vitrées, tantôt pour devenir des volets. Ces parties modulables, et ces grands balcons aux airs de patios, évoquent le style « Case Study House », ce projet d’architecture domestique qui visait à construire des maisons modernes mais économiques dans l’Amérique d’après-guerre. Dans l’allée de l’immeuble, les murs indigo annoncent la couleur de l’architecture contemporaine. L’ascenseur panoramique qui s’élève au-dessus du parc de Valency, à Lausanne, mène au 3e étage dans le « loft à cloisons » de l’artiste Karim Noureldin. Conçu autour d’un noyau central composé de la cuisine et de la salle de bain, cet appartement de 100m2 est cerné d’un couloir puis d’un salon, côté sud, avec vue sur les rives du Léman. Au nord, deux chambres donnent sur le parc, tandis que les balcons, de 45m2 en tout, courent tout autour de l’habitation.

A gauche : L’artiste Karim Noureldin avec à 11h une «Ball Clock», George Nelson (Vitra) et à 14h, l’acrylic sur toile « 404 » (2007), une œuvre de l’un de ses anciens étudiant de l’Ecal Sacha Roulet.

A droite : L’angle ouest du salon s’ouvre sur une seconde terrasse qui fait office de salle à manger en été. Au mur, « MISR » (2009, Courtesy Galerie von Bartha) une séries de photos signées Karim Noureldin. Sofa « Forum » du designer anglais Robin Day (1962).


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A gauche : Dans l’épaisseur de la façade, se superposent l’encadrement en bois de la baie vitrée, l’habillage de lamelles de bois et le pan en bois qui fait office de store. Dessin encadré, oeuvre de Karim Noureldin, « EVO », (2008) crayon couleur sur papier (Courtesy Galerie von Bartha). A droite : Lors des beaux jours, la terrasse ouest fait office de salle à manger. Les terrasses de 45m2 en tout viennent ainsi agrandir l’espace à vivre de cet appartement de 100m2.

Chassé croisé de deux couvertures traditionnelle écossaise et égyptienne, comme un clin d’oeil aux origines de l’artiste. « Nelson Table », George Nelson, (Vitra, 1960). Œuvre « Sans titre » (2009) acrylic sur toile, de l’artiste Emma Terna, étudiante à l’Ecal.


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Le jour, toutes les cloisons s’ouvrent : depuis le salon, au travers de la cuisine, jusqu’à la chambre d’enfant. « Ball Clock », George Nelson (Vitra).

Une fois la paroi du salon fermée, chaque pièce redevient intime et l’appartement prend une toute autre apparence.

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Page de gauche : L’œuvre murale « Aya », 2010 acrylic, Karim Noureldin (Courtesy galerie von Bartha), a, ici, vocation de marquer la séparation entre l’espace jour et l’espace nuit des deux chambres. Dans la chambre de Zélie, on trouve le lit Andreas Christen, années 60 et une sérigraphie de Francis Baudevin, édition, 2005. Dans le couloir, « Moonlamp » de Verner Panton, (1960). Ci-dessous : Les larges baies vitrées entourées d’un discret encadrement de bois donnent l’impression que la frontière entre l’intérieur et l’extérieur n’existe pas. En majesté, dans le salon, le tabouret Jacob Müller, « G59 Hocker » (Eternitwerke, 1959), un icône de la marque suisse (dont une collection vintage décore la terrasse).

La spécificité de cette structure ? Elle est dépourvue de portes. A la place, de larges panneaux coulissants séparent les pièces, donnant à l’appartement, lorsqu’ils s’escamottent, des airs de loft. Effet de contraste, la décoration, elle, est résolument vintage, avec une prédilection pour le mobilier sixties et le design suisse. L’agencement est pensé avec précision, à la limite de l’installation contemporaine. Et ce n’est pas un hasard. Cet art maîtrisé d’esthétique intérieure est pratiqué par le maître des lieux. Installé avec sa compagne, Virginie, danseuse contemporaine, et sa fille Zélie, Karim Noureldin vit à Lausanne où depuis dix ans il enseigne à L’Ecal. Le couple collectionne les objets classiques du design. La majorité de leurs pièces se ressemblent : teintes brunes, pieds noirs et lignes scandinaves. « Chaque acquisition nous rappelle une histoire, un voyage, une époque et des souvenirs liés à un lieu où nous avons vécu : New York, Londres ou Rome, énumère Karim Noureldin. Nous avons commencé à acquérir nos premières chaises Charles et Ray Eames éditées par Herman Miller, quand nous vivions sur la cote Est des Etats-Unis. Elles n’étaient pas aussi prisées que maintenant. » La période qui les intéresse ? Elle concerne une quinzaine d’années de l’histoire du design.


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Page de droite : Dans la chambre, les jouets anciens Brio ou en bois et les chaises d’école enfantine typiquement suisse des années 60. Petit toile, Luc Aubort, « Sans titre », 2003 et grand peinture de Sacha Roulet, « Sans titre », 2005.

série de photos de rideaux métalliques et de devantures commerciales prisent au Caire par l’artiste.

avons opté pour du blanc et de l’inox partout, même sur le profil des tiroirs. Il n’était pas non plus question que l’espace high tech de la table de cuisson soit noir. Nous voulions une unité pour délimiter clairement l’espace. » Karim et sa compagne poussent le purisme jusqu’à leur mini téléviseur Brionvega, une réédition d’un modèle conçu dans les années 1960. Un écran plat dernier cri jurerait trop dans un tel décor. Les prochaines étapes de ce couple très stylé ? Aménager en chambre d’ami le local que Karim et Virginie viennent d’acquérir au rezde-chaussée de l’immeuble. Juste à côté du garage où l’artiste range sa Porsche orange… vintage, forcément.

S’ils affectionnent particulièrement la fin des années 50 et le début des années 60, c’est « pour l’angularité prononcée du mobilier de cette époque. Les meubles représentent alors des « solutions pour l'espace ». Nous les considérons comme des sculptures. »

Né à Zurich en 1967, d’un père égyptien et d’une mère suisse, l’artiste a vécu aux EtatsUnis, en Italie et en Angleterre sans perdre son accent du züridütch. Au fil de sa pratique créative, Karim Noureldin a expérimenté différents médiums : photographies, maquettes, sculptures, installations, avec une prédilection pour le dessin aux dimensions imposantes, voire les peintures murales. Son intérieur met en lumière sa fascination pour les savoir-faire artisanaux et les tissus (comme ces couvertures traditionnelles écossaises et égyptiennes qui servent de couvre-lit) « Je n’aime pas particulièrement le rétro, en soi, mais tout ce qui a une beauté éternelle, actuelle. Ce qui m’a toujours frappé, c’est le paradoxe des artistes qui aiment créer dans de vieux ateliers ou d’anciens entrepôts pour faire émerger de l’art contemporain. Chez moi, j’aime que ce soit les objets du passé qui produisent ce contraste sur mon travail inspiré à la fois du présent et du futur. Les œuvres que nous accrochons sur nos murs sont d’ailleurs rangées en trois catégories : celle des artistes classiques (Victor Vasarely, Henry Matisse), celle de mes étudiants, amis et collègues de l’Ecal, et mes travaux. » Le plus marquant ? Peut-être sa peinture murale qui reprend des éléments de l’histoire de l’immeuble en recyclant des échantillons de peinture prélevés chez tous les autres propriétaires du bâtiment. Et MISR,

Ci-dessus : Dans cet appartement de 100m2, chaque objet a une place déterminée. Le bureau vintage de la marque Rebetez Basel, une pièce de collection chère à Karim Noureldin, vient parfaitement épouser l’espace prévu initialement pour une garde-robe, dans le couloir. Etagère suisse Victoria (Victoria Werksdesign ’60s) et photo signées Karim Noureldin, « MISR » (2009, Courtesy Galerie von Bartha).

Ici, chaque détail compte. Comme dans une galerie d’art, l’appartement ne possède aucune plinthe, histoire de ne pas rompre la verticalité des murs. De la même manière que dans le living room, on ne trouve pas de suspension qui tombent du plafond. L’éclairage se fait uniquement par des sources de lumière indirecte. Quant à la cuisine, elle a été dessinée par les propriétaires : « Nous avons peaufiné l’aménagement. A la fois dense et minimaliste, l’espace est optimisé comme dans un yacht. Nous

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PORTRAITS

SUJET : Samuel gross

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projet d’art dans l’espace public lancé par le canton pour la zone nord de Bâle. Nous avons eu envie de nous mettre dans le contexte particulier de ce quartier en complète transformation, pour voir ce qu'on pouvait y faire de l’intérieur. Quand on ouvre ce genre d’espace

Elle cultive le réseautage et la convivialité, préfère multiplier les expériences internationales que de courir après un plan de carrière local. Portrait d’une nouvelle scène artistique vue du côté alémanique avec Daniel Baumann, cofondateur de New Jerseyy, l’espace d’art contemporain bâlois qui monte.

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aniel Baumann a 43 ans, a étudié l’histoire de l’art à Genève et affiche un CV impressionnant de curateur multipistes. Directeur de la Fondation Adolf Wölfli à Berne depuis 1996, conseiller artistique de la section Frame organisée pendant la Frieze Art Fair de Londres jusqu’en 2010, codirecteur de la prochaine Carnegie International de Pittsburgh (ce sera en octobre 2013), il écrit aussi pour les revues Parkett, Mousse, Spike et Flash Art. En 2008, il cofonde avec deux artistes et un graphiste l’espace d’art contemporain New Jerseyy situé dans le quartier de Volta au Nord de Bâle, au pied du campus Novartis. Et découvre une nouvelle manière d’envisager l’art, les artistes et l’exposition. Vous êtes l’un des quatre membres fondateurs de New Jerseyy, comment a débuté cette histoire ? Je trouvais que Bâle ne bougeait pas beaucoup, qu'on s'y ennuyait. Avec deux très jeunes artistes Tobias Madison, Emanuel Rossetti et le graphiste Dan Solbach nous avons ouvert un petit espace d’art contemporain en 2008 que nous avons appelé New Jerseyy. Très vite, j’ai découvert que Tobias, Emanuel et Dan appartenaient à une scène beaucoup plus large, ce qui a rapidement fédéré pas mal de personnes autour de ce projet. Après quelques vernissages, nous nous sommes retrouvés au centre de ce qu’on a commencé à appeler la nouvelle jeune scène bâloise et zurichoise. En quoi cette nouvelle scène est-elle différente de ce que vous avez connu ? Disons que j’avais l’impression que beaucoup d’artistes de ma génération menaient surtout

« Ces artistes ont grandi dans le monde d’après 1989 où tout semblait possible, disponible et accessible. » off, c'est avec la volonté d’être présent dans un endroit précis qui se pose en alternative à des lieux moins spécifiques. Circuit et 1m3 à Lausanne en sont de bons exemples tout comme Hard Hat ou Forde à Genève.

des projets de carrière. Alors que ces jeunes artistes bâlois n'y pensaient pas du tout. Leur but principal n’était pas de décrocher une expo personnelle dans une Kunsthalle, mais de s’organiser en réseau, de voyager « low cost », de rencontrer des gens, d’organiser des soirées,… bref, de faire des choses.

Le nom New Jerseyy sonne pourtant davantage comme une généralité… C’est vrai. Même si dans le fond le nom ne signifie rien de concret. Cela nous plaisait bien. Et puis notre espace, tout comme le New Jersey sur le territoire américain, est excentré, à la fois du centre de la Suisse et du centre de Bâle.

Comment expliquer ce changement d’état d’esprit ? Intellectuellement, ma génération a pris conscience de la dissolution des blocs suite à la fin de la Guerre froide et à l’échec des utopies. Contrairement à moi, ces artistes ont grandi dans le monde d’après 1989 où tout semblait possible, disponible et accessible. En même temps, ils ont compris très vite comment la société et le monde culturel fonctionnaient et en ont instinctivement maîtrisé les codes. Certains d’entre eux ont connu l'univers très codifié du graffiti. En arrivant dans celui de l'art, ils entraient juste dans un autre milieu, peut-être plus simple, qu’ils ont du coup pris peut-être moins au sérieux. D’où l’absence, parfois chez quelques uns, de ce que ma génération appelait, avec un certain idéalisme, le contenu. Récemment, Fabrice Stroun, l'actuel directeur de la Kunsthalle de Berne, constatait à quel point la généralisation de l'anglais permettait de briser les barrières linguistiques. Il y décelait un indice d'explosion de la notion de scène artistique locale, autorisant les jeunes artistes à imaginer des structures plus mobiles et diffuses. Il n'y a effectivement plus de scène locale. Ou alors elle prend une autre forme, plus bâtarde. En tout cas, il n’est plus possible de parler, comme avant, de tissu qui rattache des gens à un langage, à une formation et à des

Le lieu existe depuis trois ans. Que va-t-il devenir ? Dès le début, nous nous étions fixé une échéance à trois ans. En analysant les parcours d’autres centres autogérés, j'ai observé que c’est la durée de vie de ce type d’expérience. Cela correspond à l'énergie disponible pour travailler gratuitement. Malgré tout, nous avons pris la décision de continuer une quatrième année. Voire une cinquième, car avec le temps, New Jerseyy est aussi devenu un projet plus vaste qui nous permet d’aborder beaucoup d’idées et de points de vue. Personnellement, j'encourage les gens à inventer ce genre de structures. C’est drôle et enrichissant. Il faut créer et multiplier les petites scènes. expériences communes à un même endroit. D’autant qu’en Suisse, tout est proche. Il suffit de 50 minutes pour aller de Zürich à Bâle, de Bâle à Berne. Il est devenu indifférent de savoir où l'on vit. Certes les jeunes artistes peuvent suivre une école, mais ils s'informent différemment, bougent différement. En cela, Easy Jet et Internet ont profondément changé leur rapport à la mobilité et à la mise à disposition de la connaissance. Ils sont mus par le désir de découvrir des films obscurs, des artistes oubliés, des musiciens étranges, des publications hors du commun comme s’il fallait opposer un savoir d’initié à l’uniformisation générale.

Courtesy New Jerseyy

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Il y a en Suisse une situation étrange dans laquelle la vie artistique investit par alternance des villes qui semblent légèrement périphériques, comme peuvent l'être les agglomérations du New Jersey. Ces micro-centres ont été aussi divers que Lucerne, Berne, Lausanne... et maintenant Bâle. Lorsque je suis arrivé à Bâle, j’ai constaté que tout le monde quittait la ville pour Zurich ou Berlin. C'est à ce moment-là qu’est apparue l’idée de créer New Jerseyy, notamment grâce au soutien du Nordtangente-Kunsttangente que je dirigeais à l’époque. Il s’agissait d’un

Etes-vous surpris du nombres de lieux qui se sont inspirés dernièrement du vôtre et qui font bouger la Suisse alémanique ? C'est ce dont j'avais rêvé. Dès qu'il y a trois lieux qui se répondent, tout devient plus intéressant. Je ne pense pas que nous ayons été le seul élément déclencheur de cette émergence. Après avoir cru trop longtemps pouvoir tout déléguer aux structures existantes et dominantes, je crois que les gens se sont finalement réveillés. Avec cette envie de reprendre les choses en main. New Jerseyy n’a été que l'expression d'un Zeitgeist, plutôt que le début d'un mouvement.

«Multiplex», 2011

Emanuel Rossetti (né à Bâle en 1987) produit des espaces simples. Il utilise le médium informatique lié à la photographie pour façonner des structures quasi-primitives. Dans ses photographies de pierres, la lumière décompose le sujet et bouscule le rapport d'échelle des blocs de granite. De la même manière que dans ses variations sur un motif géométrique rappelant le donut, les textures apparemment sans qualité s'avèrent inspirées de structures minéralogiques. L'artiste construit aussi sur ordinateur de potentiels espaces d'exposition en 3D. Des espaces inventés, réduits à leur dessin le plus essentiel, qui semblent en attente des oeuvres censées les occuper. Emanuel Rossetti est l'un des fondateurs de New Jerseyy. Il travaille actuellement à Bâle et est représenté par la galerie Karma International à Zurich.


« Manuel Scheiwiller collection, Cresta accessoires , Spring/ 2009 »

« Passage(S) » (avec Kim Seob Boninsegni), 2011

« Schiddu und Niugip präsentieren das 16er-Spiel », 2008

Hannah Weinberger

Reto Pulfer

(née à Filderstadt en 1988) crée des installations sonores et des performances musicales. Elle investit l’espace avec des instruments de musique qui apparaissent lors d’événements auxquels l’artiste est associée et dont elle détourne, pour un temps, les participants. Suivant un protocole simple, des artistes amis ou un public choisi se retrouvent ainsi à former un orchestre éphémère et hérétoclite qui associe violons et percussions, accordéons et ordinateurs. Un rythme et un point d’harmonie sont ensuite rapidement trouvés qui entraînent l'auditeur dans une rêverie hypnotique. L'artiste réinvestit ainsi un moment de l'histoire culturelle récente qui envisageait la pratique créatrice commune comme un moyen de voir le monde autrement.

(né à Berne en 1981) semble s'immerger dans la couleur. Il crée de grands environnements dans lesquels les teintes flottent et se dissolvent. Ses récentes expositions sont des expériences sensorielles qui se jouent des champs traditionnels des beaux-arts. La peinture devient voile, surface murale agitée, les objets s'éparpillent comme des notes sur un journal intime. Ce système précis paraît pourtant pouvoir être bouleversé à tout instant, au risque de disparaître. Souvent, au centre de cette constellation, l'artiste présente des performances envisagées comme le coeur vivant de son activité. Dans celles-ci, il déploie une jouissive fulgurance. Une manière de surjouer cette étrange énergie libératoire qui prévaut à chaque création. Et nous rappelle ainsi la fragilité des murs peints que notre imagination peut suffire à faire s’écrouler.

Hannah Weinberger vit actuellement entre Bâle et Zurich. Elle expose jusqu'au 18 mars à la Kunsthalle de Bâle

Après avoir été résident à la villa Suisse à Rome, l'artiste vit à Berlin. Il est représenté par la galerie Balice Hertling, à Paris.

« Untitled (corrective detention) », 2011

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Manuel Scheiwiller (né à Bâle en 1984) a conservé de sa formation de danseur l'idée que le corps peut aussi être un outil. Dans l’une de ses vidéos, cinq hommes nus réalisent dans les salles vides d'un musée des poses plus ou moins acrobatiques composant et décomposant des groupes de sculptures. L'histoire de l'art s’y lit en filigrane à travers la douceur et les tensions des mouvements. L'artiste bâlois utilise et détourne également les codes de la mode. On l’a vu monter en bijoux des objets trouvés et diffuser ensuite les spots publicitaires de ces étranges « collections ». Dans un décor velouté et vaporeux se mêlent là encore des corps. Une forme légère d'érotisme enivre les scènes tandis que l'amour filtre à travers les images. Sans malice, mais non sans décalage, Manuel Scheiwiller pense et vit l'art comme une zone de contacts. Manuel Scheiwiller est un des lauréat du prix suisse de la performance 2011. Il travaille à Bâle et à Stuttgart.

Kaspar Müller (né à Schaffhouse en 1983) ne se contente pas de produire des objets, il insuffle de la poésie à des éléments suffisamment anodins pour appartenir à notre quotidien. Comme ces boules décoratives en verre soufflé enfilées sur des cordes que l’artiste tend à travers ses expositions comme autant de perles géantes. Ou encore ces boîtes percées, sorte d'armoire vide, servant de socle à des objets tout simples. Adepte d’un désenchantement ludique où pointe une certaine

nonchalance, Kaspar Müller met en jeu les attentes du spectateur face à la nature de l'objet d'art et du rôle propre de l'artiste. Il s'affirme aussi dans une participation récurrente à des projets de collaboration artistique. L'art semble pour lui un espace dans lequel il prend plaisir à tisser toutes sortes de liens, qu'ils soient formels ou plus simplement encore humains. Kaspar Müller travaille actuellement à Zurich. Il est représenté par la galerie Francesca Pia.


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Ana Roldán (née en 1977 à Mexico City) développe une conscience historique avec finesse et délicatesse. L'artiste a hérité de ses études d'histoire, menées à Mexico, un engagement propre à la connaissance d'un récent passé violent. Dans plusieurs de ses oeuvres, elle fait ainsi usage de documents relatifs aux massacres de jeunes étudiants dans l'effervescence du Mexique de 1968. Si elle peut s'attacher à un événement précis, elle se laisse aussi le droit de proposer une lecture poétique de l'histoire culturelle commune de l'Amérique du Sud. Comme, par exemple, en pliant des drapeaux des nations voisines du Mexique, exprimant un contexte politique sensible en délicates compositions abstraites. Ana Roldán travaille à Zurich. Elle est représentée par la galerie Annex14 à Berne.

« Latinamerican Flags Séries (Brazil, Chile, Colombia, Mexico, Uruguay, 2009-2010 ».


« sculpture parentale n°3 », 2006 « sculpture parentale n°2 », 2006

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l n’a pas d’atelier et ne cherche pas à en avoir. « J’aime bien l’univers domestique. Travailler en appartement m’oblige à réfléchir à des pièces forcément assez modestes. D’où le fait aussi que la plupart de mes dessins respectaient jusqu’à peu le format d’une feuille A4 ». Damián Navarro, 28 ans, lauréat 2011 du premier prix décerné par Caran d’Ache à un artiste contemporain, bosse donc dans son deux pièces et demi de Lausanne. En 2007, il décroche son diplôme à la Haute Ecole d’Art et de Design (Head) de Genève. Un Lausannois qui n’a pas fait l’Ecal ? Original. « Genève, c’était l’endroit où je passais mes week-end. Toute la famille de ma mère habite là-bas. Et puis je trouvais intéressant et formateur de suivre un enseignement dans une ville qui n’était pas celle où je vivais ». Dans l’œuvre de Damián Navarro, il y a d’abord les Sculptures Parentales. Un ensemble d’objets

ARTISTE

SUJET : Emmanuel Grandjean portrait : Daniela Droz, tonatiuh ambrosetti

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A propos de Damián Navarro objets n’importe où juste pour raconter une fiction. » De la vraie-fausse enquête d’identité, le projet est rapidement devenu une affaire de famille. « Mes parents se sont pris au jeu. Ils me proposent spontanément des objets que je décide ou non d’intégrer à la collection. Ensuite on négocie entre ma mère, mon père et moi vu que l’accord de toutes les parties est une condition indispensable. Alors oui, c’est une forme de contrainte. Mais échanger des points de vue avec des gens qui ne viennent pas de l’art est aussi très rafraîchissant. De mon côté, cela implique d’intégrer des références qui ne sont pas artistiques. Du leur, de porter désormais un autre regard sur l’art contemporain ». Ceci dit, chez les Navarro, on évite de faire trop de publicité autour de cette œuvre collective. « Même si mes parents y participent, ils tiennent à rester en retrait. D’autant que, fondamentalement, la sculpture parentale ultime c’est peut-être moi ».

L’a rtiste lausannois est le premier lauréat du Prix Caran d’Ache. C’était en 2011. Rencontre avec Damián Navarro dont les œuvres parlent d’histoire de l’a rt, de littérature, du cinéma fantastique. Et un peu de lui, aussi. quotidiens réquisitionnés par l’artiste chez ses propres parents et ensuite exposés en centre d’art. A la fois sculpture – le bol avec son chiffon percé posé dessus fait comme une sorte de petit masque – et pièces à conviction, ces indices personnels cherchent à savoir pourquoi Damián Navarro exerce le métier d’artiste.

L’anamnèse par l’autoportrait. Le readymade au service de la biographie. Mais une biographie dont le spectateur ignore les éventuels arrangements avec la réalité. « Je laisse planer le doute. J’aurais très bien pu inventer toute cette histoire et prendre ces

L’énigme, les faux-semblants et les associations d’idées nourrissent aussi w, Fog as the architecture of the invisible, dont le titre rappelle un film de John Carpenter « où des zombies émergent d’un épais brouillard ». Un intitulé hommage qui indique aussi que dans la nuée, lorsque les repères s’annulent, chacun face à cette œuvre peut échafauder son propre scénario. Une manière aussi d’animer un esprit curieux, qui s’intéresse aux champignons et à la littérature, à la nourriture et au cosmos, au cinéma fantastique et à l’histoire des images en combinant deux techniques: le dessin et la photo. « A l’origine,

photos: Carl June

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De haut en bas et de gauche à droite : « marge-cadastre (w, Fog as the architecture of the invisible, part III) », 2011 « cuisine-Cointet (w, fog as the architecture of the invisible, part III) », 2011 « semaforos (w, Fog as the architecture of the invisible, part II) », 2010 « sans titre (w, Fog as the architecture of the invisible, part I) », 2009 « cuisine-Cointet II (w, Fog as the architecture of the invisible, part III) », 2011 « Steven Parrino, Blinky, J.M.A., cercles. », 2006, 191 dessins

j’ai suivi les cours de photographie à la Head. Mais j’étais plus à l’aise avec le dessin que je trouvais plus rapide et plus juste pour exprimer ce que j’avais en tête. » Une œuvre organisée en chapitres « un peu sur le modèle des cercles dans la Divine Comédie de Dante » et qui se déroule comme une sorte de voyage. Avec une ouverture aérienne où les vues spatiales de la NASA

« Echanger des points de vue avec des gens qui ne viennent pas de l’art est aussi très rafraîchissant. »

Damián Navarro exposera ce printemps à l’espace d’art contemporain lausannois 1m3 (www.galerie1m3.com) ainsi qu’à Genève, en septembre, à la galerie Ribordy Contemporary (www.ribordycontemporary.com)

photos: Carl June, Annik Wetter

ressemblent à des papiers marbrés, et les papiers marbrés à des images de l’espace profond. Et un élément récurrent: la lettre W à qui Damián Navarro a déjà dédié une autre série et que l’on retrouve ici, dessinée au crayon léger, dans la trame de presque chaque dessin. « Elle porte plusieurs significations. C’est une lettre qui était rarement employée dans les pays méditerranéens, jusqu’à ce qu’Internet la rende incontournable. Dans ce W, je vois aussi mon parcours. Les diagonales exprimant les aller-retour de quelqu’un né en Suisse mais dont les deux parents sont issus de l’immigration. » Pour l’heure, Damián Navarro ouvre le chapitre 4 de son grand œuvre. Le thème ? Le monde souterrain inspiré par des photos des égouts de Paris prises par Nadar entre 1861 et 1864. « C’est intéressant. Que fait Nadar juste après avoir réalisé les premières photos aériennes de l’histoire à bord d’un ballon? Il va dans les tréfonds photographier le réseau des eaux usées. » De tout en haut à tout en bas. Une histoire de distance qui traverse finalement toute l’œuvre de l’artiste lausannois. Distance biographique, distance géographique. «Et puis dans ces dessins vous ne voyez pas la même chose selon que vous vous trouvez à 5 mètres ou posé juste devant. »


Milano 1989-90, série « Studio di Aldo Rossi », project print, 5.5 x 7 cm

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SUJET : JRP/Ringier

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Luigi Ghirri Milano 1989-90, série « Studio di Aldo Rossi », project print, 5.5 x 7 cm

Cervia 1989, série « Paesaggio italiano », project print, 8 x 10 cm

Caserta 1987, série « Un piede nell’Eden », project print, 8 x 10 cm

Project Prints En partenariat avec JRP|Ringier, DADI présente un nouvel ouvrage publié par l'éditeur suisse spécialisé dans l'art contemporain.

Milano 1989-90, série « Studio di Aldo Rossi », project print, 5.5 x 7 cm

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u début des années 70, le photographe Luigi Ghirri (1943-1992) approfondit l’idée fondamentale du rôle de la photographie dans l’art contemporain. La structure de ses premières séries adopte souvent la forme de « maquettes », ce qui lui permet alors une visualisation optimale de son travail. Dans les premières années de 1980, alors qu’il avait orienté ses recherches sur l’expression du paysage, Ghirri commenca à produire de plus grands négatifs. Pas pour la beauté du geste technique, mais pour ainsi pouvoir « entrer » littéralement dans ses sujets avec davantage d’intensité. Grace à ces « masters », Ghirri tira d’excellentes planches contacts qu'il put ensuite découper, classer et ordonner à l'envi. Les images de ses archives pouvaient également être reprises, sans cesse remises ensemble dans un jeu de combinaisons infinies. Ces petites photographies avec lesquelles Ghirri travailla entre les an-

nées 80 et jusqu’à sa mort en 1992 forment le corpus du « Project Prints ». Publié à l’occasion de l’exposition de l’oeuvre de Luigi Ghirri au Castello di Rivoli à Turin, l’ouvrage inclut environ 250 photographies, un essai par Elena Re, des interviews avec Paola Ghirri, Massimo Minini et Andrea Bellini, ainsi qu’un extrait des écrits de Luigi Ghirri. Ce livre retrace un parcours à travers l’œuvre d’un artiste italien capital qui travailla comme photographe pendant plus de vingt ans, de 1970 à 1992, et offre un aperçu unique au coeur de son processus créatif.

Luigi Ghirri - Project Prints, curated by Elena Re, 250 images couleurs, textes de Andrea Bellini, Luigi Ghirri, Paola Ghirri, Massimo Minini, Elena Re. Anglais, italien. Editions JRP | Ringier, 180p., 52 francs. Sortie printemps 2012

©Luigi Ghirri Estate

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Archi

Ovni A quelques encablures de la gare de Genève Cornavin, entre la rue Voltaire et le bas de la rue de la Servette, se niche une des œuvres les plus marquantes de l’architecte Pascal Häusermann. La permanence de Cornavin, appelée communément par les habitants «la soucoupe volante» détonne et assume encore aujourd’hui son statut d’architecture expérimentale. Il faut remonter aux années 70, et plus exactement à 1972, pour voir se bâtir en quelques mois un bâtiment quelque peu singulier. Pascal Häusermann, jeune architecte, connaît à l’époque une reconnaissance en France après avoir construit, alors qu’il est encore étudiant à l’école d’architecture de Genève, une maison de weekend pour ses parents à Grilly. En quelques années il se taille une réputation d’architecte organique et applique de manière systématique la technique du béton projeté qui lui assure une recherche de formes variées et des réalisations à faibles coûts en optimisant le ratio matière-espace. De ses années d’études, il garde en mémoire l’enseignement au Little Titchfield Street Polytechnic où il apprend le calcul statique graphique, source de nouvelles formes structurelles. «Quand vous voulez créer une enveloppe qui soit la plus économique possible, vous arrivez à la bulle, un ellipsoïde de révolution. Ce volume, comme la sphère d’ailleurs, a le moins de sur-

SUJET : Alban Kreiss photos : laurence bonvin

Délaissées, Des architectures de l’expérience expriment des tentatives propre à leur Époque. Les regarder aujourd’hui c’est leur rendre hommage et comprendre la vitalité de notre histoire. La permanence de Cornavin à Genève, 1973, Pascal Häusermann, architecte

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face extérieure par rapport au volume intérieur». Avec la médiatisation de ces diverses tentatives, il incarne à cette époque l’architecte désinhibé, joueur et concepteur d’une architecture prospective où l’angle droit semble banni et remplacé par des formes et des espaces libérés du carcan moderniste. Son architecture se révèle être un jeu et un plaisir partagé également par l’ensemble de ses clients et lui assure un rayonnement ré-

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gional de premier ordre. Aujourd’hui encore, découvrir par exemple la réalisation du centre de loisirs - le balcon de Belledonne – à SainteMarie-du-Mont au dessus de Chambéry reste une expérience étonnante.

Lorsque Pascal Häusermann réalise la permanence de Cornavin, il expérimente depuis quelques années avec Antoine Gaudet et l’appui de l’architecte d’intérieur Patrick Le Merdy, les Domobiles. «Maison-œuf, habitation de l’homme de demain» comme l’annonce la presse de l’époque, et pensées en grande série grâce à l’application du polyuréthane et du polyester armé, fortement industrialisé dans ce que l’on peut appeler «les années plastiques». Les Domobiles sont des architectures bulles, autonomes, modulaires et combinatoires détachées du sol, adaptées aux besoins de l’acquéreur qui vit une mutation sociale et un désir d’indépendance, une autre relation au monde. Les expériences menées à Wichita (Kansas, USA) deux décennies auparavant par R. Buckminster Fuller avec la Dymaxion House confirment, auprès de nombreux architectes, que la maison

« Quand vous voulez créer une enveloppe qui soit la plus économique possible, vous arrivez à la bulle. » industrialisée peut devenir un produit de consommation comme un autre. Il faut donc comprendre la réalisation de la Permanence de Cornavin ainsi que ses choix expressifs et techniques comme une œuvre charnière entre les premières tentatives organiques faites d’une matérialité rugueuse et approximative et ce qui semble devenir l’enjeu pour Pascal Häusermann, à l’instar d’une jeune génération émergente, une architecture autonome et manufacturée. Construite entre deux immeubles du faubourg genevois, la permanence de Cornavin se joue des contraintes. Ce projet obtient une autorisation de construire alors que les enjeux urbains aux abords de la gare de Cornavin sont tels que plusieurs études prévoient la destruction partielle voire totale du quartier voisin, les Grottes. La permanence est réalisée dans un contexte où tout semble incertain, où le mar-


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ché immobilier impose une rentabilité bien loin de l’expérience édifiée par Häusermann. La réalisation profite de cette opportunité ainsi que du contexte et impose son principe d’indépendance et d’autonomie par l’identité même de son architecture. Détachée du sol à l’aide d’une coque renversée et appuyée sur quatre jambes en béton projeté, cette stratégie constructive, voire animalière, lui permet d’offrir les places de parking sous la réalisation en contrebas et ainsi s’éviter la réalisation coûteuse d’un sous-sol. La coque principale, le corps du bâtiment, s’exprime par l’assemblage de segments sphériques de plaques convexes en polyester isolés et teintés, formant une carapace protectrice. Ici les espaces d’attentes s’articulent sur un plan circulaire avec les salles de consultation en son centre. Au delà de la forme particulière de l’édifice, proche d’un crustacé près à s’enfuir, entrer dans ces espaces, observer ces volumes c’est vivre une expérience d’un autre temps. Le patient, client du moment, a certainement d’autres préoccupations ne lui permettant pas d’observer son environnement dans de bonnes conditions, mais le choix des matières, la mise en scène de l’attente et du parcours et l’aboutissement aux salles de consultation s’approchent plus d’un embarquement pour un voyage interplanétaire que du protocole convenu que nous avons tous d’une séance chez son médecin.

La récente disparition de Pascal Häusermann coïncide au moment où l’ensemble des architectures expérimentales de la deuxième partie du XXe siècle réinvestissent notre mémoire et nos souvenirs d’enfance et nous donnent, à la façon d’une madeleine de Proust ou d’un marshmallow coloré de nos années «molles», une tendresse pour ce qui nous apparaît maintenant comme une période libérée. Genève, ainsi que la région Rhône–Alpes, demeure un des lieux de ces expériences. Plusieurs architectes, en marge du courant dominant, cherchent par des réalisations réinventées les moyens d’offrir une alternative aux formes cartésiennes d’une architecture moderne à bout de souffle et valorisent, par cette quête, l’individu face au collectif. Aux aurores de la postmodernité architecturale et de la crise pétrolière de 1973 qui viendra mettre un terme à ces expériences étonnantes, Pascal Häusermann, Claude Costy-Häusermann, Jean-Louis Chanéac, Daniel Grataloup, Christian Hunziker et quelques autres seront les acteurs locaux d’une expérience hors du commun. Si la permanence de Cornavin reste un édifice surprenant et atypique, elle exprime par son autonomie, son identité seventies très marquée, l’engagement pour une architecture prospective. Loin d’imposer ses principes comme un nouveau modèle absolu, elle a gagné aujourd’hui son droit à la différence. C’est essentiel.

Pascal Häusermann, biographie Pascal Häusermann est né à Bienne le 19 novembre 1936. Architecte et ingénieur, formé à Genève et à Londres, il construit sa première maison bulle en 1959 à Grilly, France. En 1966 il adhère au GIAP (groupement international d’archi tecture prospective) fondé par Michel Ragon, Yona Friedman, Antti Lovag. Après de nombreuses réalisations et le début de la commercialisation des Domobiles, la crise pétrolière de 1973 est fatale au développement de ses expériences. La difficulté d’obtenir les permis de construire lui impose une nouvelle orientation, il développe alors plusieurs projets de promotion et de rénovation, ouvre un restaurant, voyage… Il décède le 1er novembre 2011 à Madras, Inde L’ensemble du fonds d’archives de ses recherches (maquettes, dessins) fait partie de la collection du Frac Orléans, France.

Ambiance vaisseau de l'espace à l'intérieur de la permanence-bulle. Le choix des matières, la mise en scène de l’attente et du parcours et l’aboutissement aux salles de consultation vous donnent l'impression d'embarquer pour un voyage interplanétaire.


BUREAU

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Conzett Bronzini Gartmann les jeteurs de ponts

L

e bureau d’ingénieurs Conzett Bronzini Gartmann, à Coire, est très demandé. Pour ses propres projets d’ingénierie de construction et comme partenaire d’ateliers d’architectes vu qu’ils ont calculé la statique de bon nombre de grands immeubles publics et de petites maisons privées. Mais dans ces projets leurs noms apparaissent souvent après ceux des architectes – à tort, leur influence sur la construction étant tout autant primordiale. Reste qu’auprès du public, Conzett Bronzini Gartmann sont des architectes de ponts. Bien qu’ils en aient construit dans toute la Suisse et à l’étranger, leurs ouvrages les plus connus se trouvent dans les Grisons. Avec ses massifs montagneux, ses parois rocheuses et ses gorges profondes, le canton exige des solutions inédites. Une topographie spectaculaire qui sert de décor féérique à leur réalisation. C’e st ainsi que les images de la première et de la seconde passerelle sur la Traversina ou de celle du Pùnt da Suransuns, toutes situées au-dessus de la Via Mala, ont été largement publiées dans la presse spécialisée du monde entier. Mais ces ouvrages d’ingénieurs ne sont pas seulement extraordinairement photogéniques, ils font également peuve de solutions techniques particulièrement innovantes.

Cette année, le bureau planifie de nouvelles passerelles dans les Grisons. Dans la station de Flims, par exemple, où une série de six ponts devrait voir le jour à la fin de

SUJET : Ariana Pradal Photos : Wilfried Dechau

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Les Grisons construisent des passerelles partout dans le monde. Focus sur deux projets d’un bureau qui rend le vide beau.

l’été, au-dessus du torrent Trutg dil Flem. La future randonnée en surplomb de la rivière bouillonnante entend valoriser le tourisme estival de la région, afin que les montagnes attirent les foules même lorsque la neige fait défaut. Le projet prévoit six types d’ouvrages et différents modes de construction, selon leur localisation. Les ponts seront tantôt de bois, tantôt de pierre ou de béton. De la même manière, la localité de Samedan verra s’achever un autre projet : une passerelle tout en courbes à cinq travées de béton précontraint permettra bientôt aux promeneurs une nouvelle traversée de la rivière Inn. Bref, rien que des projets passionnants dans une scénographie alpine à couper le souffle. Ceci dit, deux des ponts récemment achevés par Conzett Bronzini Gartmann ne se situent pas dans les reliefs montagnards. Ils se trouvent sur ce Plateau qui, avec ses multiples rivières, passe pour être le château d’eau de la Suisse. Comme leurs cousins d’altitude, ces passages suspendus sont destinés à un transport « doux » et respectueux de l’environnement. Ils se situent dans une zone hydrologique protégée du canton d’Argovie et jettent des ponts, au propre comme au figuré, entre plusieurs communes. Ils ont chacun été distingués l’automne dernier par le Prix 2011 de la Société cantonale des ingénieurs et architectes. Une de ces réalisations est l’Aaresteg Mülimatt, qui relie les communes de Windisch et de Brugg. Elle s’étire comme un long ruban étroit au-dessus de l’Aar, entre le Centre

de formation sportive de Mülimatt et l’île de Geissenschachen. Long de 183 mètres, l’ouvrage relie depuis l’été 2010 le nouveau centre de formation aux sports des Hautes écoles argoviennes avec les installations en plein air, bâties sur l’autre rive. En outre, le pont aux courbes élégantes sert de nouvel axe de déplacement pour le trafic régional des promeneurs et des cyclistes. Oeuvre de l’architecte tessinois Livio Vacchini, le centre de formation de Mülimatt forme avec sa passerelle un ensemble qui enthousiasme pros et profanes de l’architecture.

La structure choisie pour ce pont caténaire à plusieurs travées est tendue de piles en culée et soutenue par trois supports intermédiaires d’acier en forme de selle. Elle consiste en une ossature plus ou moins suspendue, à la manière d’une corde tendue, faite de câbles et de mailles d’acier, unie par un fin plateau de béton servant de tablier. Ce mode de construction relativement léger autorise de longues portées avec très peu de matériel. Pour qu’une telle structure soit réalisable, l’ancrage aux deux extrémités est déterminant. Econome en matériaux, la superstructure de ce type de pont doit reposer sur de solides supports et être fortement ancrée, ce qui n’est possible que si le terrain répond à certaines propriétés. Dans le cas de l’Aaresteg, une molasse résistante à partir d’une profondeur d’une dizaine de mètres rend le concept réalisable. Les piles qui laissent libre le cours de la

rivière et intègrent les sentiers littoraux existants génèrent des portées de 35, 78, 35 et 35 mètres. Cela permet à l’ouvrage – le plus long pont caténaire de Suisse – de s’insérer délicatement dans le paysage sensible du bassin de l’Aar. L’avantage d’une telle structure est qu’elle peut se passer de soutien provisoire. C’est ainsi qu’un robuste câble porteur muni de brides a été tendu audessus de la rivière, les tôles d’acier ayant été soudées sur place les unes aux autres avant d’être halées jusqu’à l’autre rive. Le coffrage et le ferraillage pouvaient dès lors s’opérer directement sur les feuillards. Le tablier large de trois mètres a pu être bétonné très rapidement, en deux heures seulement. Pour finir, il a encore fallu monter les garde-fous en lattis munis d’éclairages LED à intervalles réguliers. Ce qui, de nuit, confère à l’ouvrage une atmosphère irréelle. Et lui donne un tout autre visage.

L’autre projet des ingénieurs de Coire concerne les deux passerelles de l’Aar entre Auenstein et Rupperswil. Dans le cadre du parc de protection des plaines alluviales argoviennes, l’Aar a été élargie en vue d’en dynamiser les activités. Pour compléter ce domaine de détente et de loisirs de proximité, deux cheminements littoraux se sont révélés nécessaires. Le Département argovien des constructions, des routes et de l’environnement a chargé le

bureau Conzett Bronzini Gartmann d’une étude préliminaire. Laquelle a finalement été mise en œuvre.

terrain. Ce type de pont offre un double avantage : optiquement, il s’intègre avec discrétion dans le paysage de la plaine alluviale. Physiquement, il met le promeneur en contact étroit avec la surface de l’eau. www.cbg-ing.ch.

Pour les passerelles, il a fallu trouver une solution qui ne mette pas en danger les oiseaux des cours d’eau et n’empiète pas sur la rivière. Un pont caténaire léger s’est avéré le seul moyen susceptible de répondre à ce strict cahier des charges. Les ingénieurs ont vite éliminé les systèmes à câbles du genre ponts suspendus ou haubanés, car les oiseaux ne voyant pas les attaches s’y heurtent mortellement. Les structures des garde-fous et du tablier ont permis de limiter les oscillations du pont. Les deux feuillards d’acier constituent l’élément porteur et servent en même temps de sangles au treillis en losange qui rigidifie la superstructure contre le vent et les balancements latéraux. Pour les piedsdroits (culées et piles), le bureau grison a opté pour des joints d’acier inoxydable au lieu des supports en forme de selle. Une solution possible car, pour le passage des piétons, une inégalité du tablier n’est pas en soi dérangeante. Les joints sont séparés du reste de la construction d’acier par des plaques de matière synthétique pour éviter toute corrosion de contact entre l’acier inoxydable et l’acier de construction. Les deux passerelles sont certes identiques, chacune reste adaptée aux conditions du

Jürg Conzett donnera une conférence le 20 avril à 18h30 à Genève dans le cadre de son exposition « Landscape & structures un inventaire personnel de Jürg Conzett photographié par Martin Linsi », jusqu'au 31 mai 2012 Bâtiment Sicli, 45 route des Acacias, Genève, www.ma-ge.ch

Aaresteg Mülimatt-Windisch Concours : 2005 Fin des travaux : 2010 Longueur hors-tout : 183 m Longueurs des travées : 35-35-78-35 m Largeur du tablier : 2.70 m Hauteur des garde-fous : 1.20 m Charge utile : 4.0 kN/m2

Aarestege Auenstein-Rupperswil Etude préliminaire : 2008 Fin des travaux : 2010 Passerelle Auenstein : longueur hors-tout 85.5 m Travée entre les joints : 53.3 m Passerelle Rupperswil : longueur hors-tout 105.0 m Travée entre les joints : 74.0 m Largeur des tabliers : 1.20 m Charge utile : 4.0 kN/m2


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SUJET : Mireille Descombes Photos : Laurence Bonvin, Thomas Flechtner, esther laan Portrait : annik wetter

Architecte sur cour Comment créer le maximum d'espace en occupant le minimum de place ? Au coeur de Genève, l'a rchitecte Christian Dupraz a construit un immeuble et son atelier dans un mouchoir de poche.

Caroline Context, 17c, rue Caroline – Genève

Page de droite : Fruit d’une collaboration éclairée entre Christian Dupraz et Jopel SA, « Caroline Context », associant une réhabilitation, la construction d’un immeuble de logements et un atelier d’architecture, répond subtilement aux exigences d’un quartier en pleine mutation, les Acacias à Genève.

C

onstruire son propre atelier est un rêve d'architecte. Celui d'aller au bout de son questionnement et de mettre sa quête à l'épreuve du vécu. Ce rêve, Christian Dupraz l'a réalisé. A la rue Caroline à Genève, dans le quartier populaire des Acacias, il a imaginé pour son bureau d'une dizaine de personnes une petite maison rectangulaire en bois et béton peint couleur café au lait installée dans une cour intérieure jusque-là délaissée. Une apparition insolite et séduisante, avec de grandes ouvertures décalées et, le jour de notre passage, de la fumée qui s'échappait de la petite cheminée sur le toit. Une sorte de maison de conte de fées abstraite du XXIe siècle.

« Une belle histoire effectivement », reconnaît l'architecte en nous invitant à jeter un œil par la fenêtre. Si l'atelier a pu voir le jour, c'est en effet qu'il s'inscrit dans un projet plus vaste baptisé Caroline Context. Outre le bureau, celui-ci comprend un mince immeuble de logements (trois appartements dont un triplex) venu se glisser dans la dent creuse entre deux maisons donnant sur la rue. Il intègre également la réhabilitation et la

surélévation d'un troisième bâtiment d'habitation (quatre logements) qui borde la cour. « Ce fut un chantier très complexe, l'espace étant extrêmement restreint, se souvient l'intéressé. Il a fallu construire ces trois objets dans un mouchoir de poche. Pour y parvenir, nous avons donc imaginé une rocade, mais une fois la grue installée, la cour était si pleine qu'il fut même impossible de prendre des photos. » Tout ce travail, pas financièrement très rentable, pour sept appartements et un bureau de 155 m2 ? « Aussi petit soit-il, ce chantier m'a passionné et fut très enrichissant. Même pour cinq appartements, il aurait fallu le faire », insiste l'architecte. A sa façon, Caroline Context relève donc du manifeste et défend une vision du métier chère à Christian Dupraz. Il rappelle que, pour densifier la ville, il faut savoir tirer parti de la moindre parcelle et construire dans des endroits parfois ardus et peu gratifiants, sans parler des contraintes liées aux autorisations de construire. Mais de ces imbrications intelligentes des volumes peuvent naître des merveilles. Les Japonais l'ont prouvé, et avant eux les habitants de nos anciennes cités médiévales.

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Plan de situation : Les trois bâtiments du projet « Caroline Context », dans le quartier populaire des Acacias : un mince immeuble de logements inscrit dans une dent creuse entre deux maisons, l'atelier et le petit immeuble rénové et surélevé.

Coupe transversale : Les trois étages (dont un sous-sol) reliés par l'escalier, à la fois point d'ancrage, colonne vertébrale et bibliothèque. A noter, les ouvertures rondes sur le toit plat qui augmentent l'apport de lumière.


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Plan du rez-dechaussée : A droite le grand bureau, un lieu notamment destiné aux tâches administratives, et à gauche la salle de conférences avec sa grande fenêtre inscrite dans un encadrement de bois qui contient aussi une porte.

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Mais revenons à la maison dans la cour. Un lieu dévolu au travail, et qui pourtant évoque l'habitat. Conçu pour une petite équipe, l'atelier de Christian Dupraz se situe aux antipodes des lofts et des locaux industriels de certains de ses confères. A l'extérieur, du béton peint, économique, simple et sobre. A l'intérieur, des parois en épicéa lasuré blanc, du béton blanc pour les autres murs et du mauve clair pour les sols. De dimensions relativement modestes, les pièces sont belles et fonctionnelles et surtout très lumineuses grâce à des ouvertures dans le toit et de vastes fenêtres qui, cadrant le paysage, contribuent à agrandir l'espace. On y ressent surtout un grand calme, apaisant mais inhabituel en pleine ville. « Cette sérénité, l'idée du refuge où se retirer un peu à l'écart pour travailler sont pour moi essentielles, explique l'architecte. J'en ai besoin, comme de la lumière. Notre objectif de base était aussi de réussir à créer, sur trois étages, six pièces distinctes dévolues à des fonctions particulières. » Le cœur de la maison, son point d'ancrage et sa colonne vertébrale, c'est l'escalier. « Une

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espèce de tour intérieure qui distribue l'ensemble du bâtiment et contient tout ce qu'on a bien voulu y mettre, les livres, les différents objets qui nous intéressent. » Avec ses marches mauves qui esquissent une géométrie élégante et pensée, l'escalier tournant fait donc office de bibliothèque. Christian Dupraz, qui fut ébéniste avant de devenir architecte et qui a créé pratiquement tous les meubles du bureau, a donc aussi dessiné les rayonnages de bois clair qui s'insèrent dans l'espace comme une doublure chaleureuse. Ce lieu de passage, du coup, se prête à de multiples usages. Par endroits, on peut même s'y asseoir pour bouquiner comme dans un cocon. Le rêve ! Christian Dupraz n'a pas peur des mots. S'il se revendique d'une certaine « phénoménologie de la couleur » afin d'expliquer sa préférence pour les teintes mélangées, voire salies, il parle aussi volontiers de recherche d'atmosphères et de confort. « Sans tomber dans une démarche trop mystique », précise-t-il. Un puits de lumière creusé dans le sol permet ainsi aux deux espaces du sous-sol - l'atelier maquettes et le « local impression » - de béné-

Les contraintes du site ont nécessité un respect rigoureux des gabarits offrant paradoxalement une grande richesse d’interaction avec la parcelle voisine. Ouvert sur la verdure, le premier étage, baigné d’une douce lumière, joue avec les textures, les couleurs et la matière de cette architecture.


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On y ressent surtout un grand calme, apaisant mais inhabituel en pleine ville ficier de l'éclairage du jour et donc de bonnes conditions de travail. Cette sorte de patio, que l'on se plaît à imaginer en jardin minéral, assure en outre une bonne ventilation: il fonctionne comme un grand puits canadien qui amène de l'air frais en été.

« Et quand il fait chaud, on travaille Logé dans une dent creuse de 14m long par 5m de large, le nouvel immeuble devient également un passage abrité donnant accès à l’atelier d’architecture et à une cour verdoyante.

avec toutes les portes ouvertes », renchérit l'architecte. Mais quelles portes? Aucune des pièces n'en a. En revanche, il en existe plusieurs en façade dont l'une, au premier étage, donne sur le vide (rassurez-vous, il y a une petite balustrade). Et cette porte s'inscrit plus largement dans un grand encadrement de bois soigneusement dessiné qui, tel un vêtement d'intérieur, inclut aussi le rideau et la fenêtre dont il forme à la fois le socle et

Le cœur du projet, la cour, est un véritable espace d’échange mais aussi un formidable prolongement extérieur du bureau dès que la saison le permet.

la corniche. Un jeu de cadres et d'inclusions, une cohabitation du bois et du béton que l'on retrouve dans le traitement extérieur de la façade comme si, avec une certaine élégance, la maison exposait aux yeux de tous sa logique constructive. Pas de doute, Christian Dupraz aime les expériences et les chemins de traverse. Ce n'est donc pas un hasard s'il lui arrive de collaborer avec des artistes, comme il l'a fait en 2009 avec Pierre Vadi pour son exposition au Mamco à Genève. Une perception très large de l'architecture qu'il essaie de transmettre également à ses élèves de la Head (Haute Ecole d'art et de design – Genève). « J'ai conçu cet atelier un peu comme une réflexion sur moi-même, conclutil. Et j'y trouve exactement la sensation que je recherchais. » Cela ne l'empêche pas de vivre bien dans l'architecture des autres. Il avoue aussi adorer les ruines, ces constructions dont ne subsistent plus que les structures et l'essentiel, « où tout ce qui était fragile ou superflu a disparu au fil du temps ». www.christiandupraz.ch

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Vade Maecum Vade-mecum

SUJET : Emmanuel Grandjean

le guide de survie

MILANO La plus grande foire du mobilier contemporain du monde ouvre le 17 avril à Milan. Que voir et où aller quand on n'a que deux jours pour tout visiter ?

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ne pléthore d’expositions, au moins trois quartiers entiers dédiés au design. Et du monde absolument partout. Comme chaque année, le Salon international du meuble de Milan, attire la grande foule du style. En cela, la capitale lombarde reste la Mecque indétrônable, indétrônée du mobilier contemporain. Là où est née, dans l’immédiate après-guerre, l’idée du design moderne, où tous les créateurs historiques (Sottsass, Castiglioni, Colombo, Mari) sont passés et les pontes de l’industrie (Cassina, B&B, Cappellini, etc.) se sont installés. Bref, ce salon du meuble vous aimeriez bien y aller. Seulement voilà, vous n’avez que deux jours pour tout visiter. Premier problème, le logement. En vous y prenant maintenant, vous trouverez de la place dans les hôtels pour le dernier weekend de la foire, et encore à des prix qui ne connaissent pas la crise. A moins d’actionner le système D, en toquant chez les amis des amis ou en dénichant l’adresse confortable et pas chère qu’on se refile entre initiés. Là, on ne peut rien pour vous. Deuxième problème : l’organisation. Que voir, où et comment parmi les centaines de présentations éparpillées à travers une ville qui circule en rond. Et lesquelles éviter. Allez zou, on vous dit tout.

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Le sésame : le guide Interni

Les showrooms : visite tranquille et découverte de la ville

Première chose à faire en arrivant à Milan : se procurer le guide gratuit publié par le magazine italien Interni. Un mini mag au format de poche mais épais comme un bottin mondain qui dresse la liste exhaustive des événements, cocktails, concerts et vernissages organisés pendant la foire et situe les dizaines de showrooms disséminés dans le centre ville. Pour le trouver c’est très simple, n’importe quelle boutique, lieu d’exposition l’offre à ses visiteurs. Indispensable. Une version smartphone du guide existe, forcément. Gratuit, certes, mais attention au roaming en consultant la carte interactive. www.interni.it

LE bon plan pour se mettre au courant des nouveautés sans avoir l’impression de se retrouver embarqué dans les soldes de janvier. Chaque grande marque de design qui expose à Rhô, présente aussi ses modèles de l’année dans le centre de Milan. Soit dans les boutiques leur appartenant, soit dans des lieux spécialement aménagés pour l’occasion. On garde ainsi un souvenir impérissable de l’exposition des nouveautés de la marque anglaise Established & Sons dans les 920 mètres carrés du Brera La Pelota, le stade de pelote de Milan ou celle du lustre Arnolfini de Studio Job dans le palais renaissance du Musée Bagatti Valsecchi. Une manière originale de concilier découverte design et visite de la ville.

Le salon officiel : y aller ou pas ? A Milan il n’y a pas une foire, il y a des foires. Le Salone Internazional del Mobile, la plus importante, déploie ses centaines de stands dans le centre d’exposition de Rhô, maxi paquebot situé à l’extérieur de la ville. De l’éditeur prestigieux au label déco surkitsch, toutes les marques y sont présentes - autant dire qu’il y a à voir et à jeter ainsi que la jeune scène du design international regroupée dans la section Satellite. Ce qui fait beaucoup de monde dans des travées où circulent surtout des professionnels (marchands et revendeurs). Pour s’y rendre, on peut prendre le métro. Mais évitez les heures de pointe, l’underground milanais accusant un taux de saturation rapide. Alors le Salon, y aller ou pas ? Choix cornélien. Disons que si vous n’avez que deux jours à disposition, la visite est hautement dispensable. D’autant qu’il y a une autre solution. Lisez ci-dessus. www.cosmit.it


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Vade-Maecum

Milan, shopping city Bonne nouvelle : les boutiques milanaises restent ouvertes le dimanche. Un truc pousse-au-crime qui vous remet dans le train, le portefeuille à plat. Circuit classique : Via Montenapoleone, la rue d’over luxe milanais, où s’encognent toutes les marques de fringues chics. Circuit branché : déroutezvous au 10 Corso Como, l’adresse de la boutique du même nom, inspiratrice de la parisienne Colette. Tout y est affreusement cher et totalement exclusif. Le rez-de-chaussée c’est le domaine de la mode et de la cosmétique. A l’étage celui des livres et des multiples d’artistes. La galerie Carla Sozzani complète l’offre en organisant des accrochages d’art contemporain, de photographie et de design. Allez-y juste pour le plaisir des yeux et pour boire un Capuccino dans un décor de serre exotique. 10 Corso Como, www.10corsocomo.com

Spazio Rossana Orlandi : The place to be Elle a transformé une petit usine désaffectée en galerie de design. Un poil faible. On reprend. Elle a transformé une petite usine désaffectée en une référence mondiale du design contemporain. Un endroit magique, fait de coins et de recoins, de sous-sols et de cortiles remplis de plantes où le chaos est créatif et les créateurs forcément à la pointe. Rossanna Orlandi, 68 ans, a d’abord été styliste avant d’arbitrer les élégances intérieures. Le Spazio Rossana Orlandi expose les designers en vogue et ceux dont tout le monde parlera demain. La visite s’impose d’autant que l’endroit fait aussi resto-bar. Spazio Rosanna Orlandi, www.rossanaorlandi.com

MOST, la foire du plus ou la foire en plus ?

Pendant le salon, des quartiers entiers de Milan basculent dans le design. Le premier, l’historique, établi dans le quartier de Tortona où la foire s’organisait autrefois. Foire off, la Tortona Design Week est devenue avec le temps très on, très fourre-tout, très bazar. Comprenez très bof. Au point que l’un des plus importants éditeurs qui faisait le buzz de Tortona – l’Anglais Tom Dixon - opère en 2012 un radical déménagement en organisant carrément sa foire perso, la première édition de MOST (lire ci-contre). Plus arty, plus expérimental, visez Ventura Lambrate, le district design fondé en 2009 à l’initiative de deux néerlandaises, Margriet Vollenberg et Margo Konings. Designers indépendants, petits éditeurs et grandes écoles profitent d’exposer dans des galeries, des bureaux d’architectes et sous d’immenses halles une production dégagée des contraintes purement commerciales. Un souffle frais et bienvenu. Tortona Design Week : www.tortonadesignweek.com Ventura Lambrate : www.venturalambrate.com

photos: DR, Sébastien Agnetti

Lambrate in, Tortona out

C’est la grande nouveauté de 2012. Personne ne sait donc ce que donnera ce MOST installé dans les 40'000 mètres carrés du musée des sciences de Milan. A part que l’événement voit visiblement grand et que l’initiative en revient au designer Tom Dixon en collaboration avec un casting de blockbuster : Ambra Medda, fondatrice et ex-patronne de Design/Miami, et Martina Mondadori, héritière du tycoon italien de la presse. L’idée ? Réunir divers acteurs du design (designer, styliste, nouveau média, technologie) pour exposer et réfléchir sur la forme aujourd’hui. Une plateforme qui se veut davantage basée sur la réflexion que sur le marketing. Du moins sur le papier.


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artemide.ch ClassiCon www.classicon.com Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; Meubles & Cie, rue du Perron 27, 022 31 17 050, www. meubles-cie.ch - Lausanne, Wohnshop Projecto, rue Neuve 8, 021 323 12 17, www.wohnshop-projecto.ch; Jean-Pierre Goumaz, rue Saint-Martin 11, 021 323 01 14, www.jpgoumaz. ch - Bâle, Domizil, Elisabethenstrasse 19, 061 225 99 00, www.domizil.biz; Wohnbedarf, Aeschenvorstadt 48, 061 292 90 90, www. wohnbedraf.ch; Alinea, Kirschgartenstrasse 5, 061 690 97 99, www.alineabasel.ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www.teojakob.ch; Intraform, Rathausgasse 76, 031 312 06 06, intrafrom. Ch - Lucerne, Buchwalder Linder, Am Mühlenplatz 2, 041 41 08 108, www.buchwalder-linder.ch; Wohnidee Luzern, Metzgerrainle 6, 041 41 03 727, www. wohnidee.ch - Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob. ch ; Neumarkt 17, Neumarkt 17, 044 254 38 38, www.neumarkt17.ch; Wohnbedarf, Talstrasse 11, 044 215 95 90, www.wohnbedraf.ch; Hugo Peters, Schifflände 32, 044 265 11 00, www.hugo-peters.com Louis Poulsen www. louispoulsen.com Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www. teojakob.ch; Détail, rue Etienne-Dumont 16, 022 310 78 05 - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www.teojakob.ch Lucerne, Sphinx Lichttechnik, Bundesstrasse 20, 041 210 25 35 www.sphinx-licht.ch - Bâle, Wohnbedarf, Aeschenvorstadt 48, 061 292 90 90, www.wohnbedraf.ch; Boutique Danoise, Aeschenvorstadt 36, 061 271 20 20, www. boutiquedanoise.ch; Gopf !einrichtungen, Rebgasse 54, www.gopf.ch; raum49, Birmangasse 49, 061 272 60 40 - Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob. ch ; Wohnbedarf, Talstrasse 11, 044 215 95 90, www.wohnbedraf.ch; Hugo Peters, Schifflände 32, 044 265 11 00, www.hugo-peters.com; Pablo Design, Stauffacherquai 54/56, 044 291 57 00, www.licht.ch; Holm, Brandschenkestrasse 130, 044 201 44 05, www.holmsweetholm. com Vitra www.vitra.com Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; Prismart, rue Kleberg 12, 022 738 64 92, www.prismart.ch; Structure 17, rue du Vieux-Billard 3A, 022 807 12 70, www.structure17.ch; Line Office, avenue Pictet-de-Rochemont 16, 022 707 40 20, www.line-office.ch – Lausanne, Lumière et objets, place du Tunnel 4, 021 312 66 16, h ; www.lumiere-et-objets.ch; Uniquement Vôtre, avenue de Sévelin 54, 021 626 06 06, www.uniquementvotre.ch - Morges, Moyard, , Grand-Rue 83-87, 021 801 62 4, www. moyard.ch - Yverdon, Loft, Pecheurs 7, 024 42 61 314, www.loft-design.ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www. teojakob.ch - Bâle, Alinea, Kirschgartenstrasse 5, 061 690 97 99, www.alineabasel.ch; Wohnbedarf, Aeschenvorstadt 48, 061 292 90 90, www. wohnbedraf.ch - Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob.

ch ; Neumarkt 17, Neumarkt 17, 044 254 38 38, www.neumarkt17.ch; Wohnbedarf, Talstrasse 11, 044 215 95 90, www.wohnbedraf.ch; Hugo Peters, Schifflände 32, 044 265 11 00, www. hugo-peters.com Wogg www.wogg.ch Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; Lausanne, Wohnshop Projecto, rue Neuve 8, 021 323 12 17, www. wohnshop-projecto.ch; Jean-Pierre Goumaz, rue Saint-Martin 11, 021 323 01 14, www.jpgoumaz.ch; Batiplus, route de Lavaux 103, 021 796 60 60, www.batiplus.ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www. teojakob.ch; Anliker Bern, Bubenbergplatz 15, 031 328 55 55, www.anlikerdm.ch; Meer, Weissensteinstrasse 2B, 031 385 05 05, www.meer. ch - Bâle, Wohnbedarf, Aeschenvorstadt 48, 061 292 90 90, www.wohnbedraf.ch; Möbel Rösch, Güterstrasse 210, 061 366 33 33, www. roesch-basel.ch - Lucerne, Wohnidee Luzern, Metzgerrainle 6, 041 41 03 727, www.wohnidee. ch; Buchwalder-Linder, Am Mühleplatz, 041 410 81 08, www.buchwalder-linder.ch - Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob.ch ; Neumarkt 17, Neumarkt 17, 044 254 38 38, www.neumarkt17. ch; Wohnbedarf, Talstrasse 11, 044 215 95 90, www.wohnbedraf.ch; Hugo Peters, Schifflände 32, 044 265 11 00, www.hugo-peters.com; Zingg-Lamprecht, Am Stampfenbachplatz, 044 368 41 41, www.zingg-lamprecht.ch; Zona Zurich, Grossmunsterplatz 8, 044 261 90 40, www.zona.ch

............. Cottage

(Le mobilier prend l’air du temps, p. 86-90) Bivaq www.bivaq.com BySteel www.bysteel.it Cassina www.cassina.com Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; Arcadia, rue des Eaux-vives

20, 022 700 13 60, www.arcadiameubles.ch - Lausanne, Jean-Pierre Goumaz, rue SaintMartin 11, 021 323 01 14, www.jpgoumaz.ch; Lumière et objets, place du Tunnel 4, 021 312 66 16, www.lumiere-et-objets.ch - Morges, Moyard, Grand-Rue 83-87, 021 801 62 4, www. moyard.ch - Yverdon, Loft, Pecheurs 7, 024 42 61 314, www.loft-design.ch - Bâle, Domizil, Elisabethenstrasse 19, 061 225 99 00, www.domizil. biz; Alinea, Kirschgartenstrasse 5, 061 690 97 99, www.alineabasel.ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www. teojakob.ch- Lucerne, Zona Luzern, Habsburgerstrasse 34, 041 210 44 70, www.zona.ch/ zona-luzern - Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob. ch, Zingg-Lamprecht, Am Stampfenbachplatz, 044 368 41 41, www.zingg-lamprecht.ch; Zona Zurich, Grossmunsterplatz 8, 044 261 90 40, www.zona.ch Dedon www.dedon.de Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; Artopia, rue Versonnex 2, 022 786 80 02, www.artopia.ch; Variations, rue des Rois 4, 022 820 00 60, www. variations.ch; Bo & Zin, rue Verdaine 1, 022 31 04 300 www.boandzin.ch- Lausanne, Uniquement Vôtre, avenue de Sévelin 54, 021 626 06 06, www.uniquementvotre.ch - Fribourg, Mobilis, zi d’In-Riaux 25, 026 411 36 76, www.mobilis. ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www.teojakob.ch - Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob.ch, Zingg-Lamprecht, Am Stampfenbachplatz, 044 368 41 41, www.zingglamprecht.ch Ego Paris www.egoparis.com Genève, Variations, rue des Rois 4, 022 820 00 60, www.variations.ch; Domiciles, rue du Rhône 67. 022 840 36 20, www.domiciles.ch; Pergola – Dupin, avenue de Champel 22, 022 3437 89 47, www.maison-dupin.ch - Lausanne, Uniquement Vôtre, avenue de Sévelin 54, 021 626 06 06, www.uniquementvotre.ch - Zurich, D-Sein-Werke, Brunaustrasse 71, 044 481 02 58, www.d-sein-werke.ch

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Design Your Lounge (Design Your Life, p. 95-100) Edra www.edra.com Established & Sons www. established&sons.com Genève, Bo & Zin, rue Verdaine 1, 022 31 04 300 www.boandzin.ch; Meubles & Cie, rue du Perron 27, 022 31 17 050, www.meubles-cie.ch; Arcadia, rue des Eauxvives 20, 022 700 13 60, www.arcadiameubles. ch; Variations, rue des Rois 4, 022 820 00 60, www.variations.ch - Yverdon, Loft, Pecheurs 7, 024 42 61 314, www.loft-design.ch - Bâle, Domizil, Elisabethenstrasse 19, 061 225 99 00, www. domizil.biz; Alinea, Kirschgartenstrasse 5, 061 690 97 99, www.alineabasel.ch - Lucerne, Zona Luzern, Habsburgerstrasse 34, 041 210 44 70, www.zona.ch/zona-luzern - Zurich, Artiana, Nuschelerstrasse 31, 044 211 56 66, www.artiana. ch; Zingg-Lamprecht, Am Stampfenbachplatz,


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Design Your Room The Rug Company www.therugcompany.info Moooi www.moooi.com Established & Sons (lire ci-dessus) Carpenters Workshop Gallery, www.carpentersworkshopgallery.com Atelier Pfister www.pfister.ch Nodus www.nodusrug.it 044 368 41 41, www.zingg-lamprecht.ch; Neumarkt 17, Neumarkt 17, 044 254 38 38, www. neumarkt17.ch; Pablo Design, StauffacherQuai 54/56, 044 247 72 72, www.licht.ch; Zona Zurich, Grossmunsterplatz 8, 044 261 90 40, www.zona.ch Cappellini www.cappellini.it Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; Arcadia, rue des Eaux-vives 20, 022 700 13 60, www. arcadiameubles.ch - Lausanne, Jean-Pierre Goumaz, rue Saint-Martin 11, 021 323 01 14, www.jpgoumaz.ch; Lumière et objets, place du Tunnel 4, 021 312 66 16, www.lumiere-et-objets.ch - Morges, Moyard, Grand-Rue 83-87, 021 801 62 41 -Yverdon, Loft, Pecheurs 7, 024 42 61 314, www.loft-design.ch - Bâle, Domizil, Elisabethenstrasse 19, 061 225 99 00, www.domizil. biz; Alinea, Kirschgartenstrasse 5, 061 690 97 99, www.alineabasel.ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www. teojakob.ch - Lucerne, Zona Luzern, Habsburgerstrasse 34, 041 210 44 70, www.zona. ch/zona-luzern - Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob. ch, Zingg-Lamprecht, Am Stampfenbachplatz, 044 368 41 41, www.zingg-lamprecht.ch; Zona Zurich, Grossmunsterplatz 8, 044 261 90 40, www.zona.ch Cassina www.cassina.com Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; Arcadia, rue des Eaux-vives 20, 022 700 13 60, www. arcadiameubles.ch - Lausanne, Jean-Pierre Goumaz, rue Saint-Martin 11, 021 323 01 14, www.jpgoumaz.ch; Lumière et objets, place du Tunnel 4, 021 312 66 16, www.lumiere-etobjets.ch - Morges, Moyard, Grand-Rue 83-87, 021 801 62 4, www.moyard.ch - Yverdon, Loft, Pecheurs 7, 024 42 61 314, www.loft-design. ch - Bâle, Domizil, Elisabethenstrasse 19, 061 225 99 00, www.domizil.biz; Alinea, Kirschgartenstrasse 5, 061 690 97 99, www.alineabasel. ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www.teojakob.ch- Lucerne, Zona Luzern, Habsburgerstrasse 34, 041 210 44 70, www.zona.ch/zona-luzern - Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob.ch, Zingg-Lamprecht, Am Stampfenbachplatz, 044 368 41 41, www.zingg-lamprecht.ch; Zona Zurich, Grossmunsterplatz 8, 044 261 90 40, www.zona.ch Roethlisberger Kollektion Gümligen, Sägeweg 11, 041 319 50 21 40, www.roethlisberger.ch De La Espada delaespada.com Genève, Meubles & Cie, rue du Perron 27, 022 31 17 050, www.meubles-cie.ch - Zurich, Roomdresser, Stauffacherstrasse 37, 043 317 11 44, www.roomdresser.ch Chic Cham 021 691 89 03, www.chicham.com

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Design Your Time Alessi www.alessi.ch Swatch www.swatch. ch Vitra www.vitra.com Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; Prismart, rue Kleberg 12, 022 738 64 92, www.prismart.ch; Structure 17, rue du Vieux-Billard 3A, 022 807 12 70, www.structure17.ch; Line Office, avenue Pictet-de-Rochemont 16, 022 707 40 20, www.line-office.ch – Lausanne, Lumière et objets, place du Tunnel 4, 021 312 66 16, h ; www.lumiere-et-objets.ch; Uniquement Vôtre, avenue de Sévelin 54, 021 626 06 06, www.uniquementvotre.ch - Morges, Moyard, , Grand-Rue 83-87, 021 801 62 4, www. moyard.ch - Yverdon, Loft, Pecheurs 7, 024 42 61 314, www.loft-design.ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www. teojakob.ch - Bâle, Alinea, Kirschgartenstrasse 5, 061 690 97 99, www.alineabasel.ch; Wohnbedarf, Aeschenvorstadt 48, 061 292 90 90, www. wohnbedraf.ch - Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob. ch ; Neumarkt 17, Neumarkt 17, 044 254 38 38, www.neumarkt17.ch; Wohnbedarf, Talstrasse 11, 044 215 95 90, www.wohnbedraf.ch; Hugo Peters, Schifflände 32, 044 265 11 00, www. hugo-peters.com Bell & Ross www.bellross.com Genève, Les Ambassaseurs, rue du Rhône 62, 022 318 62 22, www.lesambassadeurs.ch; Pastore-Nicolet, rue du Mont-Blanc 7, 022 732 47 81, www.pastore-nicolet.ch ; Airbijoux, rue du Marché 16, 022 311 66 86, www.airbijoux. com ; Kunz Chronometrie, rue du Mont-Blanc 1, 022 738 16 00, www.chronokunz.ch – Lausanne, Ouranos, Grand-Chêne 7, 021 311 11 88, www.ouranos-palace.ch – Bâle, Mezger, Uhren und Juwelen, Freierstrasse 101, 061 206 99 55, www.mezger.ch – Zurich, Les Ambassadeurs, Bahnhofstrasse 64, 044 227 17 17, www.lesambassadeurs.ch Klein & More www.kleinundmore.de Braun www.braun-clocks.com

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Design Your Sound Diesel www.diesel.com Brionvega www. brionvega.it AIAIAI www.aiaiai.dk Hohrizontal 51 www.hohrizontal-51.de Genève, Digistore, rue de la Coulouvrenière 21, 022 329 22 88, www.digistore.ch; Photo Verdaine, place des Eaux-Vives 6, 022 840 13 63, www.photo-verdaine.ch; rondrouge, rue Ancienne 6, 022 823 26 80, www.rondrouge.ch; La 3eme main, rue

Verdaine 10, 022 310 56 66, www.la3main.ch Lausanne, TéleClinique, rue Haldimand 15, 021 312 86 07 – Berne, CMX, Rathausgasse 46, 031 311 02 76, www.cmx-switzerland.com - Zurich, Wyss Digital, Fraumünster 13, 044 211 95 60, www.adiwyss.ch; Bettgeschichten, Bleicherweg 7, 044 280 62 65, www.bettgeschichten. ch; Musik Hug, Limmatquai 28-30, 044 269 41 91, www.musikhug.ch; Seeholzer + Co, Löwenstrasse 20, 044 211 11 97, www.seeholzerhifi. ch; Globus, Schweizergasse 11, 044 226 60 60, www.globus.ch; K55, Universitästrasse 13, 044 252 23 72, www.k55.ch; Klangwandel, Viadukstrasse 61, 044 440 00 77, www.klangwandel.ch Revo www.myrevo.ch

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Design Your Food Atelier Pfister www.pfister.ch Otto Espresso www.ottoespresso.com Deglon www.deglon. fr Muuto www.muuto.com Genève, Teo Jakob Tagliabue, place de l’Octroi 8, 022 342 23 23, www.teojakob.ch; tip’s, Grand-Rue 19, 022 810 40 00, www.tips-geneve.ch ; Les enfants terribles, rue Prévost-Martin 24, 022 321 85 10, www-lesenfants-terribles.ch – Lausanne, Uniquement Vôtre, avenue de Sévelin 54, 021 626 06 06, www.uniquementvotre.ch; Wunderschön, rue de la Mercerie 16, 021 312 47 04, www.wunderschoen.ch ; Batiplus, route de Lavaux 103, 021 796 60 60, www.batiplus.ch – Morges, Moyard, , Grand-Rue 83-87, 021 801 62 4, www.moyard.ch - Yverdon, Loft, Pecheurs 7, 024 42 61 314, www. loft-design.ch - Berne, Teo Jakob, Gerechtigkeitsgasse 25, 031 327 57 31, www.teojakob.ch - Lucerne, Wohnidee Luzern, Metzgerrainle 6, 041 41 03 727, www.wohnidee.ch - Zurich, Zurich, Teo Jacob Colombo, Seefeldstrasse 231, 044 421 18 18, ww.teojacob.ch ; Roomdresser, Stauffacherstrasse 37, 043 317 11 44, www.roomdresser.ch; Einzigart, Josefstrasse 36, 044 440 46 00, www.einzigart.ch When Objects Work www.whenobjectswork.com


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SAVOIR

Le point commun entre une machine à coudre Elna et une bouteille de Coca-Cola ? Raymond Loewy, le père du design industriel.

A

u milieu des années 60, alors que le monde s’ouvre à la grande consommation, la société Tavaro, qui fabrique depuis 1940 à Genève les machines à coudre Elna, veut moderniser son produit, le rendre plus ergonomique, davantage dans le vent. L’entreprise se tourne vers le designer franco-américain, Raymond Loewy et sa « Compagnie d’Esthétique Industrielle ». En 1968, Tavaro met l’Elna Lotus sur le marché. Le résultat est innovant. Ses volets rabattables – comme les pétales d’une fleur de lotus – sont à la fois un plan de travail une fois baissés et un emballage de transport une fois relevés. Hormis l’ingéniosité de la construction et des détails fonctionnels – boutons encastrés, poignées rétractables Raymond Loewy donne à la carrosserie une nouvelle esthétique, pure, douce, élégante, directement issue des lignes aérodynamiques du « Streamlining » qui caractérise l’ensemble de ses créations. L’Elna Lotus, si chère à nos mamans, devient dès lors un objet mythique, voire un objet d’art qui rejoint la collection du Musée d’art moderne de New York.

SUJET : christian geissbuhler, sandrine oppliger

Un mythe dans votre quotidien Il faut dire que la carrière de Raymond Loewy (1893-1986) symbolise à elle seule l’histoire du « design industriel » dont il contribuera pendant 50 ans à donner un essor mondial en alliant enfin, ingéniosité technologique et création esthétique. Suivant en cela son crédo. « La laideur se vend mal », écrivait en 1963 le designer dans un livre éponyme. Dès les années 30, passionné par les moyens de transports, Loewy modernise la ligne des locomotives, des bateaux et des voitures, dont la Studebaker Avanti, avec ce style fluide et chic, qui invite à la vitesse. Son nom devient synonyme de modernité. Des dizaines de sociétés font appel à lui. Loewy touchera à tout: appareils ménagers, machines, emballages, mobilier, graphisme, intérieur… C’est aussi lui qui amincit la bouteille Coca-Cola en 1955, crée les logotypes de Shell et de BP en 1970, dessine l’emballage des biscuits LU. Et pour les fans de la série Mad Men, c’est encore lui qui inscrit le motto « it’s toasted » dans le disque rouge d’un produit de consommation addictive très courante…


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