jusqu’à ce que la nuit tombe
Elle avait fermé son ordinateur et s’était allongée dans son lit. Il était tard. Mais pas assez tard pour que le sommeil soit vraiment là. Elle s’était enfouie plus profondément sous la couette
Ou plutôt, sous les couettes. Un millefeuille duveteux où il était facile de se perdre. Elle ne laissait dépasser que sa tête, laissant la chaleur se diffuser doucement. Sa lampe de chevet répandait une lumière ambrée tamisée. Elle espérait que ça appelle le sommeil.
Son regard se posa sur une broderie tendue au mur. C’était sa grand-mère qui l’avait commencé. Quand elle était jeune,lui avait-on dit. Le motif était simple, un grand bouquet de fleurs sauvages. Camomilles, boutons d’or et achillées, ainsi que ces petites fleurs bleues communes
dont elle ne se rappelait jamais le nom. Sa grand-mère en avait brodé le tiers. Le reste du motif était resté vide et inachevé. C’était elle qui avait retrouvé le tissus. Encore sur son cadre. Rangé dans un sac dans l’ancienne chambre de sa soeur, devenue débarras.
un samedi d’octobre Je m’approche et m’assoit à côté d’elle sur le canapé. Le tissus vert est usé et taché. Ses mains ridées décortiquent méthodiquement une clémentine. Elle en a deux autres posées sur un torchon sur ses genoux. La peau et les filaments entassés en un petit tas bien propre. J’attrape une des clémentines et me met à l’éplucher. Je sais qu’elle ne me parlera sûrement pas. Elle ne parle quasiment plus maintenant. Son regard est fixé sur ce qu’elle fait, ses doigts bougeant avec rapidité et aisance. Elle ne sait plus qui je suis. Elle ne sait plus non plus qui elle est. Elle a finit d’éplucher sa clémentine, je suis à peine à la moitié de la mienne. Je suis fascinée, ce corps qui se souvient encore de tout malgré l’absence de l’esprit. Il fait encore chaud pour la saison. On a laissé les fenêtres ouvertes. Des pies se chamaillent dans le cerisier devant le bâtiment. Je relève les yeux pour les observer. Petits points noirs et blancs dans le feuillage. « Elles sont toujours persuadées que leur vie est une illusion, la réalité un rêve. » Je tourne la tête au son de sa voix. Elle observe les pies elle aussi. Ses mains se sont arrêtées. Elle prend ma main et la serre doucement entre les siennes. Elle me sourit. Le
vent fait danser ses cheveux blancs autour de son visage. Je lui sourit moi aussi. Et le temps de quelques minutes nous restons là, nos doigts entrelacés, et regardons le ballet des pies dans l’arbre. Bercées par l’odeur acidulée des agrumes.
pluie Tempête. J’ai l’impression que le vent va arracher l’immeuble. Ce n’est pas mon lit, je me tourne et me retourne. Il y a trop de bruit. Je m’endors. La pluie coule jusque dans mon rêve. C’est la fin d’un monde, un tsunami ravage tout. Les riches s’en sortent, comme toujours. Je me démène. Trop tard. Je me noie. Réveil brumeux. Toujours de la pluie. Toujours du vent. Je calcule mal mon temps pour prendre le train du retour. J’attends. La SNCF calcule aussi bien son temps que moi. J’attends encore. Un bébé crie pendant la majeure partie du voyage. Le train file au milieu des marais. Avec les inondations, je pourrais presque être dans le Voyage de Chihiro. Fin d’après-midi, je rappelle enfin ma mère. Elle ne va pas bien, je l’entend à sa voix. On déteste toutes les deux cette période de l’année. Elle pleure. Je pleure. Je raccroche mais la tristesse reste. Je prend une douche pour tenter de me calmer et cacher mes yeux rouges. Je ne veux pas qu’on me pose de questions en descendant. Je revêt le masque fade de la normalité. Ma gorge et mes yeux me piquent mais avec un minimum de semblant ils ne remarquent rien. J’entends mon chat qui miaule depuis
la buanderie. Je ne vois pas sa patte dans le creux de la porte et ouvre. Elle crie. Je m’excuse en pleurant. J’écoute The Cranberries. Le son à fond dans mon casque. La chanteuse s’est noyée il y a quelques années. Dehors, la pluie tombe toujours.
je n’aime pas noël Non je n’aime pas beaucoup Noël. Je n’aime pas entendre un mois durant des chants de noël partout où je vais. Je n’aime pas la frénésie consommatrice qui s’empare des gens. Je n’aime pas les entendre bougonner quand j’annonce chez qui j’ai choisi de passer le réveillon. Je n’aime pas qu’on me dise de faire un effort vestimentaire pour au final me dire que je suis trop habillée ou pas assez. Je n’aime pas les plats traditionnels du réveillon, les repas interminables et les grandes tablées. Je n’aime pas être soûle à 20h uniquement parce que je n’ai que ça à faire. Je n’aime pas qu’on me regarde avec exaspération quand je dis que non, je ne mangerai ni foie gras, ni escargots, ni fruits de mer. Je n’aime pas rester à table par politesse pendant des heures pendant que les autres se gavent. Je n’aime pas qu’on me dise que je ne parle pas assez alors que je sais que si j’ose donner mon avis on me rira au nez en me disant que je suis naïve, que c’est la jeunesse qui parle et que mes opinions ne sont qu’affaires de mode.
Je n’aime pas que sous prétexte de ma réserve on me traite comme une enfant. Je n’aime pas avoir à sourire poliment à une blague que je ne trouve pas drôle. Je n’aime pas avoir à réfléchir à quelle heure il est assez respectable de pouvoir dire que je suis fatiguée et que je vais me coucher. Je n’aime pas qu’on disent que les bonnes vieilles traditions se perdent et que c’est bien dommage. Je n’aime pas qu’on me presse et avoir à faire 5 repas de familles dans la même semaine. Je n’aime pas quand on s’offusque quand je dis que je trouve qu’on en fait trop avec cette fête.
je déteste les gens Rien ne va. Je tourne en rond. Mes dessins ne vont pas. Mes photos ne vont pas. Mes projets ne vont nulle part. Ma tête est vide et trop pleine à la fois. Je n’arrive pas à aligner mes idées. Le bus est en retard. Trente minutes de trajet en plus. Fermeture 16h30. C’est une blague. C’est pas du tout ce qui était marqué sur internet. Les gens marchent trop lentement. Ils prennent toute la place. Et surtout. Ils ne se poussent pas. Je déteste les gens. Tous.
contes Il était encore petit, assis, ses pieds ne touchaient pas le sol. Il avaient lu dans les livres, ceux accumulés dans le grenier chez son grand père, les récits du passé. Les contes sur les héros, les bêtes légendaires et les pays lointains remplis de trésors et de mystères. Lui aussi voulait en être un, pourfendre des monstres et voir ce que personne n’avait vu. Il s’était fabriqué un costume avec les vieux vêtements de son frère et partait souvent, des après-midis entiers, vers les bois, s’inventant des missions et des quêtes secrètes. Le monde changeait et se tordait mais au fin fond de la campagne rien ne change vraiment. Seul les regards soucieux et les messes basses des adultes indiquaient les malheurs à venir. Mais quand on a dix ans, tout ça, on ne le remarque pas
la sorcière Elle était arrivée juste à temps. Attendez moi, ne fermez pas ! avait-elle du crier. La gardienne avait rouvert la porte avec un long soupir. Je vois que vous n’avez toujours pas compris l’importance de la ponctualité, l’avait-elle sermonné. Elle s’était excusée rapidement et était repartie en courant vers le Grand Hall. Ses bottes résonnaient sur les dalles des couloirs déserts. Etre en retard pour l’Initiation. Elle n’avait pas pu imaginer pire. Elle voyait déjà les têtes se retourner quand elle ouvrirait l’immense double porte grinçante de la salle. L’attention d’une centaine de personnes rivée sur un seul élément, elle. Même sa magie commençait à s’agiter. Son appréhension se manifestait sous la forme de petits éclairs d’énergie bleutée, s’enroulant autour de ses doigts. Elle accéléra sa course et aperçu enfin la porte. Elle était encore ouverte. Elle remercia silencieusement les Aïeules pour ce petit miracle. Sa professeure d’Herboristerie tenait la porte. N’ayez crainte, lui dit-elle, chaque année voit son lot de retardataires, mais grâce à vous j’ai gagné mon pari. Son familier, un gros corbeau perché sur son épaule, avait émît un rire rauque. Mettez votre chapeau et respirez un grand coup, tout va bien se passer. La sorcière lui sourit. Les petits éclairs se dissipèrent. Elle épousseta sa robe et enfila son chapeau. Puis elle inspira et entra.
Un brouhaha fébrile remplissait la salle et presque personne ne remarqua son arrivée. Quelques éclats accidentels de magie traversaient occasionnellement l’assemblée. Elle trouva rapidement sa place et s’assit parmi les autres apprenties. Quelques minutes plus tard les portes se fermèrent et le silence se fit.
numéro 55 Tout se répète en boucle. Revivre les mêmes moments. Revoir les mêmes lieux, les mêmes personnes. A la lisière entre le flou et le net. Je ne sais plus pourquoi je suis ici. Je conduis, seule. Sur les bas côtés, des pins. Je me retrouve face à un choix. C’est toujours le même. Continuer à rouler et arriver jusqu’au rond point. En faire le tour. Retourner dans l’abysse. Soit tourner. Prendre la petite route qui s’enfonce dans la forêt et son obscurité. Et alors peut-être essayer de sortir de là. Ça c’est ce que je me dis. En vrai je n’en sais rien. Je ne sais plus rien. J’oublie au fur et à mesure. J’aperçois le bleu acide des panneaux de circulation. Je dois choisir. Maintenant. Je mets mon clignotant et tourne. La nuit est soudaine. Elle tombe le temps d’un battement de paupière. Mon rétroviseur ne reflète plus que le noir. Mon champ de vision est celui de mes phares. Je roule. Longtemps. La route est sans fin. Peut-Être que je me suis trompée. Peut-Être qu’on ne peut pas sortir. Que la répétition est infinie. Je cligne des yeux. Et soudain je les vois. Les faibles lueurs d’une ville au loin. Petits points ardents à l’horizon. C’est l’espoir. La certitude qu’au fond, j’avais raison.
Je ne sais pas encore sur quoi, mais je sais. La peur me rattrape. Et si c’était un mirage. Un appât pour me forcer à avancer. Un miroir alléchant. Malgré tout je continue. Et les lumières se rapprochent. La peur s’atténue. Plus elle s’éloigne et plus le monde devient clair. Les étoiles sont apparues. La Lune aussi. Elle se réfléchi dans l’océan en contre bas. Je suis sortie de la forêt. Le monde est revêtit du manteau bleu de minuit. Quelque chose à échoué. Tout semble s’être évaporé. Ou peut-être pas. Pas encore. Je suis de nouveau seule sur la route mais j’ai toujours mes souvenirs. C’est inédit. J’ai laissé la voiture. Je ne sais plus trop pourquoi mais il me semble l’avoir donné. Quelqu’un en avait plus besoin que moi. Car pour une fois, je sais ou je vais. Alors je cours. Les pins défilent dans le coin de mon œil. C’est long et éprouvant. Mais je cours. Je tourne et m’engage dans la foret. L’obscurité se fait. C’est plus dur d’avancer sans le halo des phares. Ma cadence ralenti. Mais cette fois ci je sais que la route mène quelque part. Je ne suis pas perdue.
sans écho Il n’y a rien à reconnaitre car rien n’est connu. Tout n’est qu’un amas de copies informes et saccadées tentant désespérément de combler l’absence. Derrière leur apparente banalité, elles s’entrechoquent. De vulgaires calques superposés. Elles se déforment révélant une faille gigantesque, abyssale et inconnue. Il n’y a pas de constance si ce n’est le vide. Les autres ne renvoient aucun écho familier. Étranges et incompréhensibles. Ce n’est pas un trouble mais la peur sourde et étouffante d’être perdue seule au milieu de sans-visages.
dans le canapé La petite passe ses doigts dans mes cheveux. Moi, assise au bord du canapé, elle, derrière. Ses doigts potelés essayant de démêler ma tignasse. Elle parle derrière moi, comme à une poupée. Je ne la comprend pas. Je sens qu’elle essaye de faire attention mais parfois, elle tire. Je lui pardonne, c’est une enfant. Je connais cette fascination pour les longs cheveux, j’avais la même. Une rare éclaircie illumine le salon d’un grand rayon de soleil. Alors pendant quelques minutes je ferme les yeux et me laisse bercer par ces petites mains d’enfant dans mon dos.
mièvre Quelques minutes de flottement. Elle lui dit, ses yeux vissés sur l’horizon, qu’elle aussi. Elle aussi, elle avait été amoureuse de lui. Elle n’osait pas le regarder. Cela lui aurait demandé une force que ce soir elle n’avait pas. Elle sentait son regard fixé sur elle. C’était le seul enfant qui était venu vers elle, à son arrivée. Il lui avait proposé avec la candeur directe que seuls ont les enfants, si elle voulait être amie avec lui. À l’arrivée d’Ida, la même scène s’était répétée. La maison avait toujours été intimidante et austère. L’amitié qui s’était formée entre eux trois avait adouci les lieux. Elle lui dit qu’Ida était sûrement encore un peu amoureuse de lui, ou en tout cas qu’une part d’elle devait l’être. Elle lui dit qu’il formeraient probablement un très joli couple. Qu’elle avait toujours pensé que cela finirait ainsi, depuis le moment où lui et Ida s’étaient rencontrés. Elle se souvenait de la fête de bienvenue, du jus de fruit et d’Ida, assise en face d’elle et dont les larmes formaient des cratères en tombant sur le sucre glace de sa part de gâteau. Elle lui dit que ce n’était pas grave, s’ils la laissaient derrière, qu’on ne peut pas tout garder du passer. Cela faisait maintenant un moment qu’il était silencieux. Elle avait beaucoup parlé
pour tenté de masquer sa gêne. Il triturait son briquet, ses yeux rivés au sol. Le vent avait soudain soufflé plus fort et elle avait serré plus fermement contre elle le col de son manteau. Il s’était raclé la gorge et lui avait demandé si elle aussi. Les mots furent à demi avalés par le vent. Après un instant, il avait relevé les yeux. Elle avait arrêté de regarder l’horizon. Puis il lui demanda si, elle aussi, elle était toujours un peu amoureuse de lui.
une terrasse vue sur mer Les enfants étaient retournés au pensionnat la semaine dernière. La grande était partie directement, presque sans un regard. Elle avait eu l’impression d’enlacer du vent. Le petit lui, avait tenu sa main jusqu’à ce qu’il monte dans le bus. Elle l’avait vu essuyer ses larmes avec sa manche après s’être installé. Discrètement. Le manoir était redevenu vide et silencieux. Assise devant la grande fenêtre du salon elle regardait le soleil se coucher derrière les haies du jardin. La fontaine avait changé son eau pour de l’or. Les employés étaient quasiment tous partis. Elle leur avait dit qu’il n’était pas nécessaire qu’ils restent tard juste pour elle. Elle s’était bien débrouillé toute seule pendant des années. Le majordome entra et lui annonça qu’on lui avait laissé un plateau pour le dîner. Posé sur les plaques de la gazière il devrait rester chaud pendant encore une heure. Elle le remercia et lui souhaita une bonne soirée. Le bureau de son mari avait appelé en début de soirée. On lui avait annoncé qu’il ne rentrerait pas ce soir. Un problème urgent à régler avec les futurs acheteurs du nouveau bâtiment de Tsim Sha Tsui. Il ne faisait même plus l’effort d’innover. C’était la troisième fois cette semaine qu’il sortait le même prétexte.
Après elle n’était pas étonnée, il n’avait jamais été créatif. Elle se servi un verre de vin et sorti sur la terrasse. Il faisait encore bon. Elle enleva ses chaussures et marcha jusqu’au bout du jardin. Le gazon avait bien poussé depuis la dernière pluie. Elle posa son verre sur la balustrade et regarda la baie en contre bas. Et pendant un long moment, elle regarda les bateaux filer à travers Sandy Bay. Pèlerins éphémères en plein tour du monde.
hier soir Il est 23h45. Assise sur mon lit. Je mange, à la cuillère à soupe, de la pâte à tartiner. À même le pot, évidement. Pour renforcer le cliché. C’est quand même vachement addictif ce truc. Le bar ferme. Commence alors, la lente remontée, via mes lattes de parquet, d’une odeur âcre de vieille cigarette. Et ce, jusqu’à ce que mon appart embaume la clope. Cocasse quand on ne fume pas. Je tend le bras vers le petit sac de lavande près de ma table de nuit. Je le malaxe plusieurs fois pour que les fleurs prennent le dessus sur la fumée. Et pour les trois prochaines minutes, mon appart sentira la Provence. Puis il faudra recommencer.
hier soir encore Il y a aussi le cas de l’isolation sonore. Ou plutôt de la non isolation. Déjà que j’ai l’impression d’avoir mon lit adossé au comptoir, pourquoi faut-il en plus qu’ils laissent constamment ouverte, la porte donnant sur la cour ? Car arrivent alors, à tour de rôle sous ma fenêtre, des bandes de fumeurs venus refaire le monde, rigolant bêtement, le ton alcoolisé. Ou bien encore des couples essayant de trouver un coin un peu à l’écart pour se lancer dans une énième crise. Certains pourraient trouver ça inspirant. Écouter. Espionner secrètement les déboires d’inconnus. Et bien moi non. Moi je n’en ai rien à foutre des inconnus et de leurs mystères. Moi ce que je veux c’est dormir. Avec pour tout fond sonore, le ronron lent et ennuyeux de ma ventilation.
de l’incapacité à être heureuse Le ciel est gris, la terre est meuble. Elle est en train de préparer le sol pour planter un arbre -c’est la meilleure saison, avant que tout ne soit détrempé- et je l’assiste. Elle me dit qu’une des plus belles choses qui soit pour elle, c’est de planter et voir pousser des plantes. Qu’à travers ça elle voit la magie du monde. Elle s’imagine vieille, parcourant des allées ombragées et récoltant des fruits. Mais elle dit que si elle devait mourir maintenant, elle pourrait regarder derrière elle et dire qu’elle a fait des choses qui l’ont rendu heureuse. Je sens que la conversation va dévier sur moi. Elle me demande ce que je désir. Ce qui j’aimerai faire, voir, accomplir dans le but d’être heureuse. Que si tout venait à s’arrêter demain, vers où iraient mes pensées. Je fixe le terre qui coulent au fond du trou qu’elle creuse. Les verres de terre qui s’agitent face à ce changement soudain. Je ne lui mens pas, aujourd’hui je n’y arrive pas, et je lui répond que je ne sais pas. Que j’ai beau chercher en moi, je n’y trouve qu’un brouillard épais qui ne présage qu’un grand vide. Je lui dis aussi que ça colle au personnage. Que mourir en ayant rien accompli, en ayant toujours été creuse, ne serait qu’un aboutissement logique. Une fin inaperçue, sans vagues.
Quelques minutes passent, je lui tend du sable pour drainer le fond. Elle me dit qu’elle aimerait savoir ce qu’elle à fait. Ou plutôt ce qu’elle n’a pas fait, quand j’étais enfant, pour que j’ai cette opinion de moi même. Qu’elle aurait aimé faire les choses différemment. Je lui dis qu’on ne change pas le passé et qu’elle a fait ce qu’elle a pu. Je change de sujet en lui passant l’arbre à planter. C’est un néflier. L’été prochain il donnera des fruits. Elle revient sur mon incapacité à être heureuse. Je sais que ça l’attriste. Elle m’enlace en me disant qu’elle croit en moi. Que les tunnels ne durent pas toute la vie. Je n’arrive pas à acquiescer, alors je me tais. Elle s’agenouille, tassant avec ses mains la terre autour du tronc. Et quand, par moment elle me regarde, je lui sourit. Mais je sais qu’elle sait. Que mon silence n’est là que pour l’épargner.
vingts-trois petits rectangles bleus Vingt-trois petits rectangles bleus alignés bien sagement devant mes yeux. « Choisis, lequel veux-tu ? – Hein ? – Le carrelage ? La salle de bain ? » Ah oui c’est vrai, c’est pour ça qu’on est là. Pour choisir le carrelage de la salle de bain. Je n’ose pas lui dire que je trouve ça cliché. Bleu. Du carrelage bleu parce que c’est une de salle de bain. Chaque couleur à sa fonction. Chaque chose à sa place pour une petite maison bien ordonnée. « Celui là, dis-je en pointant un tesson indigo, je veux celui là. – T’es sûre ? Ça va pas être trop sombre ? » Pourquoi me demander mon avis si c’est pour le remettre en question tout de suite après. « Ah… si t’aime pas cette couleur on peut en prendre une autre, ça me gêne pas. Faut que ça te plaise à toi aussi. – Non, non, indigo c’est très bien. – Indigo alors. » Il me serre brièvement la main et me souris. J’essaye de lui rendre son sourire mais j’échoue lamentablement. Je tourne la tête et fais semblant de m’intéresser aux robinets sur l’étagère d’à côté. Il ne remarque rien et
pars d’un pas léger à la recherche d’un vendeur. J’ai hâte de rentrer. Passer un samedi après-midi dans un magasin de bricolage n’a jamais fait parti de mes rêves. Mon regard se pose à nouveau sur les échantillons de carrelage. Le présentoir dans lequel il sont incrustés est vieux et abîmé. Si je le voulais je pourrais facilement décoller le petit bout indigo. Le glisser dans ma poche. Je suis tentée. Je passe mon ongle sur les bords, le bois s’effrite. Si je tire une fois et qu’il vient, je le garde. S’il résiste, tant pis. Je tire et me retrouve avec rectangle bleu dans la paume. Je le cache immédiatement dans ma poche. Ah. Il m’appelle, il a finit avec le vendeur. Direction le parking. « Tu veux conduire ou c’est moi ? – Vas-y, je commence a avoir mal à la tête. » Il démarre. On se dirige enfin vers la maison. Le paysage défile et dans ma poche, je triture mon morceau de carrelage. Indigo. Le bleu de la nuit. Celui que l’on voit moucheté d’étoiles quand on renverse la tête en arrière, on à l’impression qu’on va tomber dedans. La voiture s’engage sur la petite route côtière, filant à travers la lande. J’observe la mer en contrebas. Bleue elle aussi. Mais pas indigo. L’écume forme d’étrange silhouettes à la surface. On dirait des lapins blancs courant sur les vagues. Mon mal de tête s’estompe. L’air marin traverse l’habitacle par nos deux fenêtres ouvertes.
la galette Elles sont quatre. Quatre vieilles bourgeoises. Ou en tout cas elles s’en donnent l’air. Peroxydées et manucurées. Le pull beige en cachemire posé sur le sac en cuir. Je m’avance. Un sourire commercial et factice sur le visage. Elles m’écoutent à peine. Je dois répéter plusieurs fois pour arriver à prendre leur commande jusqu’au bout. Elles me regardent de haut. Jugent ma casquette et mon polo. Il faut toujours bien montrer aux prolétaires où se trouve l’argent. Je leur souris encore plus et les remercie d’un ton faussement jovial. En partant, je manque de trébucher sur un petit chien. Type chien de mamie. Je les vois qui m’appelle. Je me dépêche. J’ai envie qu’elles partent. Elles traînent et on manque de place. Le chien a vomit. Mon sourire commercial dégringole. La maîtresse a ramassé. Un peu. Elle a mis le tout dans un verre qu’elle me tend. « Il a vomit ». Pour elle ça s’arrête là. Le personnel nettoiera. Je tourne les talons et me dirige vers la plonge. Tenant le verre du bout des doigts. Ok. Maintenant, le vider. Je le tape contre le caoutchouc de la poubelle. Plog. Plog. Plog.
La bouillie grisâtre et visqueuse tombe. Je relève les yeux. Surtout ne pas regarder. Mais je ne peux pas empêcher l’odeur. J’ai des hauts-le-coeur. En retenant ma respiration je pousse le verre dans le lave vaisselle. Je me lave les mains. Une fois. Deux fois. Je n’arrive pas arrêter la nausée. Je sors et retourne à ma position derrière le bar. Je me penche et appuie mon front sur la vitre froide du frigo. Inspirer. Expirer. Aller, ça va passer. Elles viennent payer. Aucun pourboires.
the x-files Tu parles d’une entrée. Plutôt fracassante oui ! Ah ça, si je m’y attendais ! Francis agite les bras dans tout les sens. De l’autre côté de la table, Sam, les doigts en suspension au dessus de son clavier hausse un sourcil, l’air blasé. La soirée va être longue. Lui qui pensait pouvoir roupiller tranquillement la majeure partie de sa nuit de garde au commissariat. Là, c’était foutu. Donc, moi j’étais là. Tranquillement dans ma cuisine. En train de préparer le dîner pour ce soir. Tu dois le savoir, mais chez nous tous les jeudi, c’est spaghettis. Une tradition familiale tu vois ? Donc je suis là, la casserole de pâtes dans une main, la passoire dans l’autre et là, bam ! V’la la porte d’entrée qui s’ouvre en grand ! La bestiole qui entre comme une furie dans la maison. Elle crie à s’en décoller les poumons et s’met à courir vers moi, prête à m’attaquer ! Moi, reflex, j’lache la casserole. L’eau bouillante qui me tombe sur les pieds ! Ah j’te dis pas l’raffut. Bon du coup j’attrape le balais qui traînait à côté, pour me défendre, tu vois ? J’lui donne deux, trois coups pour la forcer à reculer. Tenace la bête mais bon ça finit par marcher. Du coup, j’en profite pour la regarder de plus près. Et là, j’me rends compte que c’est le petit roquet de Mme Legrand, celle qui habite la vieille bâtisse là, en bas d’la route. Alors, je savais le cabot agressif hein, c’est toujours des p’tits dont il faut s’méfier, mais là, elle
avait dû mangé un sacré truc la sale bête. Parce que, en plus d’aboyer à réveiller les morts, il émettait une sorte de lumière blanche tout autour de lui ! On aurait dit qu’il avait bouffé une ampoule ! Et puis soudain, il y a eu ce bruit, bon ça ressemblait plus à une sorte de mélodie en fait, comme une musique bizarre au loin et pouf ! Le cabot s’est barré ! Aussi vite qu’il était entré. Alors moi, j’ai couru jusqu’à la fenêtre pour voir d’où ça venait. Et là, c’est là que tu vas pas me croire, y avait ces satanées lumières dans le ciel ! De toutes les couleurs ! Exactement comme le p’tit Maunier l’a décrit l’autre semaine ! Tout pareil ! Non, en effet, Sam avait du mal à le croire.
le puits Il y a cette petite chapelle, perchée au bout du monde. Perdue au milieu de la bruyère et du granit, penchée au dessus de l’océan. Un peu plus loin, derrière les genêts, un vieux puits, engorgé de sable. Le toit, surplombé d’une croix de pierre. Les puits comblés me pince toujours un peu le cœur. Je me demande si la croix rend l’eau bénite. Une bénédiction enfouie sous des mètres de sable et de roche. Et si le vide avait encore été là, est ce qu’y tomber aurait fait de moi une sainte ? Un bouquet de fleurs fanées gît dans la niche au fond. Je tend la main et les tiges s’effritent entre mes doigts. Je me retourne et en confectionne un nouveau. Des petites fleurs sauvages et des pissenlits, flamboyants comme le soleil. C’est une offrande éphémère, bercée par le vent marin et le soleil de septembre.
les villes invisibles Les villes invisibles sont celles qui abritent les réparties dans les disputes où l’on a pas su quoi répondre. Celles qui hébergent les mots qu’on a sur le bout de la langue mais qui nous échappent quand même. Celles où sont parties se réfugier les amis imaginaires de l’enfance. Celles où tombent toutes les chaussettes perdues dans la machine à laver. Celles où vivent les amours passés et ceux encore inconnus. Bref, les villes où se croisent les choses qui ne sont là qu’à moitié.
La broderie avait longtemps trainé parmi ses décorations. Se baladant d’étagères en étagères. Ce n’était qu’il y a peu qu’elle avait choisi de la terminer. Sur un coup de tête. Elle n’avait jamais brodé, n’avait jamais eu la patience jusque là. Elle était allé acheter du fil.
Celui qu’on trouve dans les grandes boîtes en plastique à Emmaüs. Elle avait avait fait au mieux pour les couleurs. Elle les souhaitaient au plus proche des originales. Elle avait choisi un point facile. Un point de remplissage, trouvé sur un site internet. Et elle avait commencé.
la tresse
highway to heaven
mes cheveux
Le début avait été laborieux. Les points étaient inégaux. Trop espacés ou pas assez. Discordant vis a vis de l’original, avec ses couleurs harmonieuses et ses petits points serrés. Mais étonnamment, elle avait continué. Petit à petit. Elle avait appris d’autres points.
Pour créer variations. Des effets de matière dans les pétales des fleurs. Elle avait ajouté des formes. Abstraites. Qui se faufilaient entre les tiges par endroits. Elle avait manqué de fils aussi. Plusieurs fois. Elle avait racheté des bobines. Les nuances, de plus en plus éloignées.
Elle avait eu peur de ruiner quelque chose qu’elle n’avait pas commencé. Les teintes des fils formaient des strates de couleurs différentes. Les fleurs étaient devenues difficilement perceptibles. Entremêlées, elles s’enlacaient dans une danse insolite. Elle avait terminé
de broder il y a quelques jours, elle avait décidé qu’il n’y avait plus rien à ajouter. Elle avait sorti le tissus du cadre et l’avait accroché. Le rendu n’était plus si hétéroclite. Les irrégularités n’étaient plus si étranges. C’était inhabituel. Un hybride.
Elle s’était réchauffée. Sous les couettes, elle n’avait plus froid aux pieds. Elle sentait la torpeur paisiblement s’emparer d’elle.
Remerciements, bleu.quentin, moïra, amélie, die.final2.psd, fabiola, frank, jo_letaxi, juliette, marineee, oeufmollet,zaqiqu,zeal, anna, thierry, annie robine,ma mère et surtout,mon édredon en plumes d’oies
Anouk Madec Imprimé en 2021 Réalisé dans le cadre de l’Atelier de Recherche et de Création «Errances» EESAB –site de Rennes L’atelier Errances/ le blog: http://www.errances.fr/ Errances éditions: http://www. errances-editions.fr Typographie: Baskerville par John Baskerville et Miller par Font Bureau. Cette édition est née des dessins, textes et photographies apparus lors de mon errances. Elle a pris forme, principalment après le coucher du soleil, dans des conditions plus ou moins agréables et avec une constance plus ou moins stable.