NOTE D’ANALYSE
21/01/2013
REMANIEMENT ET CENTRE DE GRAVITE DE L’ADMINISTRATION OBAMA EN POLITIQUE ETRANGERE Par Raphaël RAMOS, Chercheur associé à l’ESISC
Le second mandat du président Barack Obama, qui a officiellement débuté le 20 janvier 2013, lui offre une occasion sans précédent de remanier son équipe en charge de la politique étrangère et de sécurité nationale. En effet, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton avait fait savoir il y a plusieurs mois qu’elle ne souhaitait pas conserver son poste en cas de réélection de M. Obama. Le secrétaire à la Défense Leon Panetta a également exprimé son désir de quitter le Pentagone. Parallèlement, la démission inattendue du directeur de la CIA (Central Intelligence Agency) David Petraeus, en novembre dernier, a ajouté un poste supplémentaire à attribuer. Si l’ampleur du remaniement est notable, il faut rappeler que plusieurs des récents présidents américains ayant effectué deux mandats ont opéré des changements de ce type. Bill Clinton a en effet remplacé le diplomatique Warren Christopher par l’énergique Madeleine Albright à la tête du département d’Etat. De même, George W. Bush s’est séparé de Colin Powell, dont l’influence au sein de l’administration était des plus limitées. A sa place, il a nommé sa proche conseillère Condoleezza Rice. Dans ces deux cas, ces changements ont précédé une évolution de la politique étrangère du pays. Si ces modifications ne sont pas sans précédent, elles interviennent toutefois au terme d’un premier mandat du président Obama marqué par le rôle particulièrement important joué par la Maison-Blanche dans l’élaboration de la politique étrangère. Malgré une équipe expérimentée incluant, outre Mme Clinton, d’éminentes personnalités comme Joe Biden, Robert Gates, le général James Jones ou Richard Holdbrooke, le président et ses conseillers ont concentré les pouvoirs à un niveau rarement constaté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les ouvrages consacrés par Bob Woodward et James Mann au fonctionnement de l’administration Obama ont permis d’appréhender l’importance des conseillers présidentiels et la propension de ces derniers à contourner la bureaucratie traditionnelle1. Le remplacement de Mme Clinton par une personnalité de l’envergure de John Kerry et l’arrivée du républicain Chuck Hagel à la tête de département de la Défense confirment la volonté du président Obama de miser une nouvelle fois sur l’expérience. Toutefois, on peut se demander si cette forme de continuité augure d’une poursuite du fonctionnement « insulaire » de la Maison-Blanche ou si, comme certains de ses récents prédécesseurs, le
Bob Woodward, Obama’s Wars, New York, Simon & Schuster, 2010. James Mann, The Obamians: The Struggle Inside the White House to Redefine American Power, New York, Viking Penguin, 2012. 1
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président Obama entend s’appuyer sur ce remaniement pour opérer des changements dans la politique étrangère du pays. 1. Un second choix au département d’Etat Pour remplacer Hillary Clinton au département d’Etat, le président Obama a nommé le président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et candidat malheureux à la Maison-Blanche en 2004, John Kerry. En annonçant ce choix, M. Obama a insisté sur l’expérience et la connaissance de M. Kerry des affaires internationales, soulignant que « l’ensemble de la vie de John l’a préparé pour ce rôle2 ». Il est vrai que la politique étrangère a occupé une place centrale dans la carrière de ce démocrate du Massachusetts, en poste au Sénat depuis 1985. Ce fils de diplomate fut notamment marqué par son expérience au Vietnam où il servit dans la marine américaine à la fin des années 1960. En dépit des décorations militaires reçues, John Kerry devint, à son retour du Vietnam, une figure de proue du mouvement d’opposition à la guerre. En 1971, il témoigna devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat et interpella les parlementaires avec cette phrase devenue célèbre : « comment pouvez-vous demander à un homme d’être le dernier à mourir pour une erreur3 ? ». Au Sénat, où il siège à la Commission des Affaires étrangères depuis 1985, M. Kerry consacra beaucoup de temps aux affaires internationales et notamment à la question du sort des prisonniers de guerre américains au Vietnam. Ces travaux le rapprochèrent d’autres sénateurs ayant servi en Asie du sud-est comme les républicains John McCain et Chuck Hagel4. Fort de cette expérience, il se lança en 2004 dans une campagne présidentielle dominée par la politique étrangère et notamment l’intervention militaire américaine en Irak. Au terme d’une course à la Maison-Blanche qui mit en lumière ses contradictions sur le dossier irakien, il reconnut sa défaite avec élégance et se remit au travail au Sénat. Il se rapprocha de Barack Obama auquel il apporta son soutien dès la primaire démocrate de 2008. Un an plus tard, il succéda à Joe Biden en tant que président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et se révéla un fervent soutien de la politique étrangère du président Obama. Il est notamment crédité pour sa contribution à la résolution de différends entre Washington et les autorités afghanes et pakistanaises5. Durant la dernière campagne présidentielle, M. Kerry joua un rôle de premier plan, en étant un des principaux porte-parole du candidat démocrate sur le thème de la politique étrangère. Il aida également M. Obama à se préparer à affronter son adversaire républicain Mitt Romney durant les débats6. Malgré son curriculum vitae et sa loyauté à l’égard du président Obama, M. Kerry n’était à l’évidence pas le candidat favori du locataire de la Maison-Blanche. Ce dernier semblait en effet plus enclin à nommer Susan Rice, avec laquelle il a développé une relation de confiance Mark Lander, « Kerry Named for the Role of a Lifetime », The New York Times, 21 décembre 2012. http://www.nytimes.com/2012/12/22/us/politics/kerry-is-pick-for-secretary-of-state-officialsays.html?hp 3 Michael Kranish, « With antiwar role, high visibility », The Boston Globe, 17 juin 2003. http://www.boston.com/globe/nation/packages/kerry/061703.shtml 4 Douglas Brinkley, « Born on the Seventh Floor », Foreign Policy, 20 décembre 2012. http://www.foreignpolicy.com/articles/2012/12/20/born_on_the_seventh_floor 5 Ann Gearan, Karen DeYoung, « Chuck Hagel, John Kerry share similarities as expected Obama Cabinet nominees », The Washington Post, 15 décembre 2012. http://www.washingtonpost.com/world/national-security/chuck-hagel-john-kerry-share-similaritiesas-expected-obama-cabinet-nominees/2012/12/15/4e93565e-4630-11e2-9648a2c323a991d6_story.html 6 Karen DeYoung, « If confirmed, John Kerry could bring his face-to-face style of diplomacy to State Department », The Washington Post, 22 décembre 2012. http://www.washingtonpost.com/politics/ifconfirmed-john-f-kerry-could-bring-his-face-to-face-style-of-diplomacy-to-statedept/2012/12/21/ab6d2c58-4ade-11e2-b709-667035ff9029_story.html 2
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depuis son entrée au Sénat. Cette proche de l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright a en effet participé à la campagne présidentielle de Barack Obama dès 2007 et fut une des principales conseillères du sénateur de l’Illinois dans le domaine de la politique étrangère7. En 2009, elle intégra l’administration Obama en tant qu’ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies. En dépit d’une fonction moins prestigieuse que celle de Mme Clinton et la tenant également éloignée de la Maison-Blanche, Susan Rice se révéla une des personnalités les plus influentes du premier mandat du président Obama. Contre l’avis du secrétaire à la Défense de l’époque, Robert Gates, et du conseiller à la sécurité nationale Thomas Donilon, elle parvint notamment à convaincre le président américain d’intervenir militairement en Libye8. La proximité entre le président Obama et Mme Rice fit de cette dernière une des principales porte-parole de l’administration américaine, rôle qui entravera son accession au poste de secrétaire d’Etat. En effet, suite à l’attaque du consulat américain de Benghazi le 11 septembre 2012, Mme Rice expliqua à la télévision que cet incident, qui provoqua la mort de l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye et de trois autres Américains, était le résultat d’une manifestation spontanée ayant dégénéré. En réalité, cette attaque était une opération planifiée et exécutée par un groupe terroriste libyen. Dans le contexte de la campagne présidentielle, les propos de Mme Rice ont été exploités par le Parti républicain pour tenter de démontrer que l’administration Obama avait, par calcul électoral, cherché à induire l’opinion publique américaine en erreur. Consciente que cette polémique alimenterait une « bataille partisane durable » dans l’optique d’une éventuelle nomination au poste de secrétaire d’Etat, Susan Rice retira sa candidature le 14 décembre, ouvrant ainsi la voie à John Kerry9. L’arrivée de Mme Rice au département d’Etat aurait marqué une certaine rupture avec le fonctionnement de l’administration américaine durant ces quatre dernières années. La proximité d’un point de vue personnel mais aussi politique entre le président et sa secrétaire d’Etat aurait donné à cette dernière une influence plus importante que celle de Mme Clinton ou de M. Kerry. Cette relation aurait selon toute vraisemblance apporté à Mme Rice une liberté d’action comparable à celle dont bénéficia son homonyme Condoleezza Rice en tant que chef de la diplomatie du second mandat de George W. Bush. Le rôle que joueront M. Kerry et le département d’Etat dans la politique étrangère américaine devrait donc être beaucoup plus traditionnel, s’inscrivant dans la continuité de l’action de Mme Clinton. John Kerry mettra sa notoriété et ses contacts au service d’une politique définie à la Maison-Blanche et qu’il devra simplement appliquer. 2. Un républicain atypique au Pentagone Pour succéder à Leon Panetta au poste de secrétaire à la Défense, le président Obama a désigné l’ancien sénateur républicain du Nebraska Chuck Hagel. En annonçant sa décision le 7 janvier à la Maison-Blanche, le président Obama a insisté sur le patriotisme de M. Hagel, son expérience au Vietnam et la dimension bipartisane de cette nomination. « Chuck sait que la guerre n’est pas une abstraction. Il sait qu’envoyer de jeunes Américains pour combattre et être blessés dans la poussière et la boue est quelque chose que nous ne faisons que lorsque c’est absolument nécessaire », a précisé le président
James Mann, op. cit., pp. 77-78. James Traub, « The Point Guard », Foreign Policy, septembre-octobre 2012. http://www.foreignpolicy.com/articles/2012/08/13/the_point_guard 9 Susan Rice, « Why I made the right call », The Washington Post, 14 décembre 2012. http://www.washingtonpost.com/opinions/susan-rice-my-withdrawal-from-secretary-of-stateconsideration-was-right-call/2012/12/13/ad69b3fc-4578-11e2-9648-a2c323a991d6_story.html 7
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américain, ajoutant que M. Hagel serait le premier vétéran du Vietnam à diriger le Pentagone10. Comme John Kerry, la carrière politique de Chuck Hagel a été marquée par son engagement au Vietnam d’où il revint avec des décorations militaires et des éclats d’obus dans la poitrine. Si contrairement à M. Kerry, M. Hagel a soutenu cette guerre jusqu’à son terme, cette expérience eut des conséquences sur ces décisions en tant que sénateur. Il prit ses distances avec le Parti républicain et l’administration Bush à la suite de l’intervention en Irak de 2003 qu’il autorisa en tant que sénateur, non sans une certaine réticence11. La décision d’envoyer des renforts pour tenter de stabiliser le pays en 2007 fut décrite par M. Hagel comme la « bourde » la plus dangereuse depuis le Vietnam. Si ces prises de position l’ont marginalisé au sein de son parti, elles lui ont permis de se rapprocher du jeune sénateur qu’était à l’époque Barack Obama durant un voyage en Irak et en Afghanistan. Peu après son élection à la Maison-Blanche, le nom de Chuck Hagel fut d’ailleurs mentionné dans la presse pour les fonctions de secrétaire à la Défense et directeur de la CIA12. Il fut finalement désigné vice-président du Commission consultative présidentielle sur le renseignement (President’s Intelligence Advisory Board, PIAB). S’il permet au président de poursuivre une approche bipartisane dans le domaine de la sécurité nationale et de compléter son équipe avec quelqu’un qui partage sa méfiance à l’égard des interventions militaires, ce choix s’avère également risqué en raison de certaines prises de position controversées de l’ancien sénateur du Nebraska. Ce dernier est en effet perçu comme n’étant pas un fervent défenseur d’Israël. Certains de ses adversaires, notamment chez les néoconservateurs, vont même jusqu’à parler d’antisémitisme en référence à des propos tenu par M. Hagel sur le « lobby juif » en 200813. Si M. Hagel a rejeté ces accusations, reconnaissant toutefois certains écarts de langage, ces encombrants bagages pourraient lui être préjudiciables lors de l’audition préalable à une éventuelle confirmation par le Sénat. Ce combat, que le président Obama a voulu éviter en renonçant à nommer Susan Rice au département d’Etat, pourrait également être alimenté par les positions de M. Hagel sur l’Iran. Le candidat au poste de secrétaire à la Défense est en effet un opposant à la politique de sanctions visant Téhéran qu’il juge contreproductives14. Les doutes sur les positions de l’ancien sénateur sont toutefois atténués par le soutien que lui ont apporté d’éminentes personnalités du Parti républicain comme Colin Powell, Robert Gates, Brent Scowcroft ou Frank Carlucci15.
Remarks by the President in Nomination of Secretary of Defense and CIA Director, The White House, Office of the Press Secretary, 7 janvier 2013. http://www.whitehouse.gov/the-pressoffice/2013/01/07/remarks-president-nomination-secretary-defense-and-cia-director 11 Joseph Lelyveld, « The Heartland Dissident », The New York Times Magazine, 12 février 2006. http://www.nytimes.com/2006/02/12/magazine/12hagel.html?pagewanted=all&_r=0 12 Lolita C. Baldor, « Defense Secretary front-runner, GOP’s Chuck Hagel has strong Obama ties », The Associated Press, 17 décembre 2012. http://www.csmonitor.com/USA/Latest-NewsWires/2012/1217/Defense-Secretary-front-runner-GOP-s-Chuck-Hagel-has-strong-Obama-ties 13 Dana Milbank, « Neocons push against Chuck Hagel », The Washington Post, 19 décembre 2012. http://www.washingtonpost.com/opinions/dana-milbank-the-push-against-chuckhagel/2012/12/18/cfa2697e-495a-11e2-ad54-580638ede391_story.html 14 Scott Shane, David E. Sanger, « Obama’s Pick for Defense Is an Ally, and a Lightning Rod », The New York Times, 6 janvier 2013. http://www.nytimes.com/2013/01/07/us/obama-expected-to-selecthagel-for-defense-post.html?hp&_r=0 15 Mark Thompson, « The Hagel Choice », Time, 8 janvier 2013. http://nation.time.com/2013/01/08/the-hagel-choice/ 10
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3. Un homme de confiance à la CIA Le 7 janvier, Barack Obama a également dévoilé l’identité du nouveau directeur de la CIA. Il a choisi son conseiller en charge du contre-terrorisme John Brennan pour succéder à David Petraeus. Le président a loué le dévouement de M. Brennan, décrit comme « un professionnel du renseignement parmi les plus doués et respectés » que compte le pays16. Agé de 57 ans, John Brennan a passé la majeure partie de sa carrière professionnelle à la CIA qu’il intégra en 1980 en tant que spécialiste du Moyen-Orient. Plus tard, il dirigea notamment l’antenne de l’Agence en Arabie saoudite. Il s’occupa également de délivrer le briefing présidentiel quotidien à Bill Clinton puis travailla aux côtés du directeur de la CIA George Tenet entre 1999 et 2005, sous les administrations Clinton puis Bush. S’il se définit comme n’étant ni démocrate ni républicain, John Brennan a participé à la campagne du candidat Obama dès 2007, travaillant avec un de ses plus proches conseillers dans le domaine de la politique étrangère, Denis McDonough17. Une fois élu, M. Obama souhaita placer M. Brennan à la tête de la CIA. Le favori dut pourtant, à l’instar de Susan Rice quatre ans plus tard, retirer sa candidature car son association avec les activités de l’Agence sous l’administration Bush était risquée politiquement pour le président Obama au début de son mandat. M. Brennan fut toutefois nommé à un poste créé sur mesure : conseiller spécial pour le contre-terrorisme et conseiller à la sécurité nationale adjoint. A la Maison-Blanche, il disposa d’un accès au président plus important que le directeur de la CIA et d’une autorité sur la communauté du renseignement surpassant celle du directeur du renseignement national (Director of National Intelligence, DNI). Il a ainsi acquis une très grande influence dans l’entourage présidentiel où il est comparé à un « prêtre dont la bénédiction est devenue indispensable » pour M. Obama18. Autre signe de son poids, il fut le porte-parole de l’administration à l’occasion de l’attentat manqué de noël 2009 et de la mort d’Oussama Ben Laden en mai 2011. M. Brennan est par ailleurs le principal artisan du programme d’assassinats ciblés de chefs terroristes mené par les drones de la CIA au Pakistan, au Yémen ou en Somalie. Si cette initiative remonte à l’administration Bush, il convient de souligner qu’elle a pris une toute autre dimension sous la présidence de Barack Obama, devenant l’arme de prédilection de l’administration américaine dans la lutte contre le terrorisme. Entre janvier 2009 et avril 2011, les drones de la CIA auraient mené près de 200 frappes et tué environ 2000 personnes (terroristes et civils). A l’apogée du programme sous la précédente administration, on comptait environ une frappe par semaine19. L’identité du remplaçant de David Petraeus était la plus grande inconnue de ce remaniement. Jusqu’à la veille de l’annonce officielle de Barack Obama, plusieurs noms, dont celui de M. Brennan et du directeur par intérim de la CIA Michael Morell, circulaient dans la presse américaine. Pour autant, il est difficile de qualifier ce choix de surprenant au vu de l’influence acquise par M. Brennan au sein de l’administration Obama. Le président américain a justifié son choix en insistant sur la proximité entre les deux hommes et leurs liens d’amitié20. L’arrivé d’un homme de confiance du président à la tête de la CIA marque un retour vers « Obama taps Brennan as CIA director », CNN, 7 janvier 2013. http://edition.cnn.com/2013/01/07/politics/cia-director/index.html 17 James Mann, op. cit., pp. 103-104. Micah Zenko, « The Lethal Bureaucrat », Foreign Policy, 11 septembre 2012. http://www.foreignpolicy.com/articles/2012/09/11/the_lethal_bureaucrat 18 Micah Zenko, « The Lethal Bureaucrat », op. cit. 19 Raphaël RAMOS, Etats-Unis : Evolution du rôle de la CIA et du Pentagone dans la lutte contre le terrorisme, ESISC, 11 septembre 2011, p. 9. http://www.esisc.org/publications/analyses/etats-unisevolution-du-role-de-la-cia-et-du-pentagone-dans-la-lutte-contre-le-terrorisme 20 Siobhan Gorman, « CIA Choice Is Trusted Adviser on Terror », The Wall Street Journal, 8 janvier 2013. http://online.wsj.com/article/SB10001424127887323482504578227152762437278.html?mod=WSJ_ hp_us_mostpop_read 16
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un schéma traditionnel. Il convient en effet de souligner que la relation entre M. Obama et le précédent directeur de l’Agence, David Petraeus, était plutôt teintée de méfiance. La nomination de M. Brennan, si elle est confirmée par le Sénat, devrait donc renforcer la stature de la CIA au sein de la communauté du renseignement. Elle devrait également confirmer l’évolution du rôle de la centrale américaine dont la dimension paramilitaire a considérablement cru au cours des quatre dernières années. Cette perspective préoccupe une part de la communauté du renseignement qui redoute de voir l’Agence s’éloigner encore un peu plus de sa mission première : l’analyse stratégique. Pour d’autres, la nouvelle fonction de M. Brennan devrait lui offrir l’opportunité de prendre du recul sur la mission de cette institution qu’il connaît bien21. 4. Continuité à la Maison-Blanche Face à ces changements qui touchent l’ensemble de l’administration Obama, la MaisonBlanche se distingue par sa relative stabilité. Le premier cercle qui entoure le président américain devrait en effet rester inchangé. Si son nom a été évoqué pour le département d’Etat ou la CIA, le conseiller à la sécurité nationale Thomas Donilon devrait rester en poste. Successeur du général James Jones, M. Donilon s’est rapidement imposé dans cette fonction de conseiller et coordinateur du processus d’élaboration de la politique de sécurité nationale des Etats-Unis. Alors que le général Jones eut les plus grandes difficultés à s’adapter au fonctionnement et au rythme de l’entourage du président, M. Donilon se démarqua par son activisme et sa capacité à travailler de manière efficace avec M. Obama. Cet ancien directeur de cabinet du secrétaire d’Etat de Bill Clinton, Warren Christopher, a d’ailleurs été décrit par le vice-président Joe Biden comme « la personne la plus importante » dans le domaine de la politique étrangère22. Le maintien de ce rouage essentiel au cœur de l’appareil décisionnel américain apparaît donc comme un gage de continuité de la politique de l’administration sur les questions internationales et de sécurité. Il est toutefois à noter que M. Donilon, pourrait quitter son poste avant la fin du second mandat et être remplacé par Susan Rice23. Un autre membre clé du premier cercle présidentiel, Denis McDonough, devrait également demeurer un des principaux architectes de la politique étrangère du pays. Ce proche de l’ancien chef de file des démocrates au Sénat, Tom Daschle, intégra l’équipe du sénateur Obama en 2007 puis l’accompagna dans la campagne présidentielle et à la Maison-Blanche. Au fil du temps, ce spécialiste des affaires internationales, décrit comme un « confident » de M. Obama, est devenu un élément central de l’appareil de sécurité national américain24. Son importance pourrait encore croître puisque son nom est cité pour succéder à Jack Lew au poste de secrétaire général de la Maison-Blanche25. Cette promotion récompenserait évidemment la loyauté et la proximité de ce conseiller de 43 ans avec le président. Elle serait également un indice de la place que devraient occuper l’international dans le second mandat de Barack Obama. Scott Shane, Mark Mazzetti, « Choice to Lead C.I.A. Faces a Changed Agency », The New York Times, 8 janvier 2013. http://www.nytimes.com/2013/01/08/us/politics/counterterror-adviser-to-benamed-chief-of-cia.html?hp&_r=0 22 Peter Baker, « A Manager of Overseas Crises, as Much as the World Permits », The New York Times, 23 septembre 2012. http://www.nytimes.com/2012/09/24/us/politics/tom-donilon-a-manager-ofoverseas-crises.html 23 David E. Sanger, « Obama Expected to Name Kerry as Secretary of State », The New York Times, 16 décembre 2012. http://www.nytimes.com/2012/12/17/us/politics/obama-expected-to-name-kerry-assecretary-of-state.html?hp&_r=0 24 James Mann, op. cit., pp. 68-71. 25 Caren Bohan, « What Will the Pick of Chief of Staff Say About Obama’s Management Style? », National Journal, 9 janvier 2013. http://www.nationaljournal.com/whitehouse/what-will-the-pickof-chief-of-staff-say-about-obama-s-management-style-20130109 21
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Troisième pilier de l’équipe de conseillers de Barack Obama dans le domaine de la sécurité nationale, Ben Rhodes devrait également rester en fonction. Cet ancien assistant du parlementaire démocrate Lee Hamilton, qui a par ce biais participé aux travaux de la Commission du 11-Septembre et de l’Irak Study Group, est entré dans le giron du sénateur Obama dès 2007. Comme Denis McDonough, il a accompagné le candidat démocrate durant la campagne présidentielle et à la Maison-Blanche. M. Rhodes a servi en tant que plume du candidat puis du président pour la politique étrangère26. Ses nombreuses prises de parole depuis la réélection de M. Obama témoignent, en dépit de ses 35 ans, de son influence croissante à la Maison-Blanche à l’aube du second mandat présidentiel. Au vu du fonctionnement de l’administration américaine durant le premier mandat de Barack Obama, le maintien de ces trois conseillers dans l’entourage immédiat du président apparaît comme l’élément le plus révélateur du remaniement quant à l’évolution de la politique étrangère américaine. Ces trois individus – et plus particulièrement MM. McDonough et Rhodes – incarnent en effet l’essence de la pensée « obamienne » en termes de politique étrangère. Comme l’explique James Mann, cette vision du monde, marquée par l’intervention en Irak plus que par la guerre du Vietnam, s’articule autour d’un rôle plus modeste des Etats-Unis dans les affaires du monde27. Indépendamment de la personnalité et des positions des nouveaux entrants, elle devrait demeurer le fondement de l’action de Barack Obama au cours des quatre prochaines années. 5. Conclusion Alors que l’équipe en charge de la sécurité nationale mise en place par Barack Obama à son arrivée à la Maison-Blanche a souvent été décrite, en référence au cabinet d’Abraham Lincoln, comme une « équipe de rivaux », la nouvelle devrait se distinguer par sa cohésion et son homogénéité. Dans le domaine de la sécurité nationale – comme dans d’autres d’ailleurs – ce remaniement met en exergue la volonté du président américain de s’appuyer sur des personnes de confiance, partageant sa vision du monde, quitte à s’exposer à des critiques sur le manque de diversité de ses choix ou à des auditions de confirmation agitées. D’un point de vue organisationnel, ces remplacements consacrent le rôle central de la Maison-Blanche dans l’élaboration de la politique étrangère et de sécurité nationale des Etats-Unis. Alors que ce fonctionnement a engendré des tensions durant le premier mandat, les nouveaux entrants semblent beaucoup moins enclins à remettre en cause cette centralisation que le président Obama a poussé à un degré rarement constaté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. A ce sujet, M. Obama se démarque de prédécesseurs comme George W. Bush ou même Richard Nixon qui ont donné à leur secrétaire d’Etat plus d’autonomie durant leur second mandat. Sur le fond, ces changements augurent d’une plus grande cohérence de la politique étrangère américaine, axée autour de la stratégie dite de « l’empreinte allégée » (light footprint)28. Les positions de MM. Kerry et Hagel ainsi que les actions de M. Brennan à la Maison-Blanche plaident en effet en faveur d’une limitation de l’implication des Etats-Unis sur la scène internationale. La James Mann, op. cit., pp. 66-68. Ibid., p. 71. 28 David E. Sanger, « In Step of ‘Light Footprint,’ Nominees Reflect a Shift », The New York Times, 8 janvier 2013. http://www.nytimes.com/2013/01/09/us/politics/obama-nominees-in-step-on-lightfootprint.html?ref=global-home&_r=3&cid=nlc-dailybrief-daily_news_brief-link21-20130109& 26 27
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réticence de M. Obama à intervenir militairement à l’étranger, mise notamment en évidence par la position de son administration en Libye, ne devrait, à l’évidence, pas être remise en cause par le département d’Etat et le Pentagone. La décision du président Obama d’accélérer le retrait d’Afghanistan et le soutien limité apporté à l’intervention française au Mali confirment cette tendance29. En revanche, les actions discrètes et ciblées de la CIA ou des forces spéciales devraient demeurer l’outil privilégié du président Obama pour agir à l’étranger. Cette évolution, qui s’inscrit dans la continuité du premier mandat de M. Obama, pose toutefois la question de l’influence des Etats-Unis sur des dossiers internationaux de première importance comme l’Iran ou la Syrie. En effet, l’arrivée de M. Hagel au Pentagone ne va-t-elle pas réduire la marge de manœuvre et les moyens de pression de Washington vis-à-vis de Téhéran ? De même, comment cette réticence à intervenir va-t-elle être interprétée par Bachar al-Assad alors que le conflit syrien s’enlise ? Dans le domaine du renseignement, l’accent mis sur les activités paramilitaires de la CIA ne va-t-il pas entraver la capacité de l’Agence à fournir au gouvernement américain du renseignement stratégique et ainsi identifier les menaces de demain ? Face à des défis de cette ampleur, dont la gestion façonnera l’ « héritage » de Barack Obama, on peut se demander si le président américain n’a pas pris un risque en choisissant un cabinet dont l’homogénéité pourrait affaiblir les débats en les privant d’avis contradictoires et de points de vue dissonants. Le degré d’isolement de la Maison-Blanche sera à coup sûr un élément déterminant dans la perspective de ce qui est déjà présenté par certains observateurs comme un « désengagement30 » des Etats-Unis sur la scène internationale.
© ESISC 2013
Jennifer Epstein, « Obama speeds up transition in Afghanistan », Politico, 11 janvier 2013. http://www.politico.com/story/2013/01/obama-speeds-up-transition-in-afghanistan86066.html?hp=l8 . Adam Entous, Julian E. Barnes, « U.S. Set to Offer Limited Support for Military Effort », The Wall Street Journal, 14 janvier 2013. http://online.wsj.com/article/SB10001424127887324595704578240013743834182.html?mod=WSJE UROPE_hpp_MIDDLESecondNews 30 David Rothkopf, « The Disengagers », Foreign Policy, 7 janvier 2013. http://www.foreignpolicy.com/articles/2013/01/07/the_disengagers?page=full 29
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