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Alexis Georgacopoulos, directeur de l’ECAL
Exposition «ECAL Photography» à la Galerie Azzedine Alaïa, Paris en 2013.
L ’ ECAL A 200 Ans
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L’ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne célèbre son bicentenaire. Entamé en 2021, son programme d’événements et de festivités se poursuit jusqu’en juin 2022. Rencontre avec Alexis Georgacopoulos, directeur de l’école depuis 2011.
Alexis Georgacopoulos, directeur de l’ECAL
C’est un grand anniversaire pour l’eCal. vous avez Choisi de le Célébrer à votre manière. pouvez-vous préCiser Comment et pourquoi?
Pour des célébrations de ce type, surtout quand on évoque un centenaire ou un bicentenaire, il est tentant de créer un événement singulier ou de faire de grandes rétrospectives racontant les deux siècles à travers des archives, des témoignages, des images et tout le matériel à disposition. Or, durant ces 20 dernières années, l’ECAL s’est focalisée sur le futur dans une vision prospective. Nous avons donc opté pour une approche différente. On s’est concentrés sur ce qui pourrait constituer un état des lieux de l’ECAL, sur ce qu’est une école d’art aujourd’hui avec deux questions simples: où on en est et où on va. Comme une sorte d’arrêt sur image.
On l’a voulu en plusieurs volets afin de mettre en lumière toutes les disciplines enseignées au sein de l’ECAL, pas de manière identique mais en tenant en compte, pour chacune, de ses spécificités et de ses préoccupations. Et c’est dans ce sens qu’on a choisi de le faire à travers des projets d’étudiants d’aujourd’hui et des partenaires actuels.
est-Ce que Cet arrêt sur image donne une autre définition de l’eCal d’aujourd’hui?
L’ECAL est «toujours» une école d’art et de design. Une école qui a fait sa place au niveau national et international. Une école qui jouit d’une grande visibilité et qui a laissé son empreinte dans les différents domaines qu’elle a investis.
Et c’est une école qui est restée à «échelle humaine», je tiens à le préciser. On aurait pu suivre une croissance infinie, grandir ou encore élargir les domaines et disciplines que nous traitons. Mais on a opté pour maintenir notre structure et notre forme actuelle.
Cela étant, l’école reste en constante évolution, elle continue de se poser des questions et cherche constamment à se renouveler. Une école d’art et de design se doit d’être en perpétuelle évolution. Au sein des formations elles-mêmes, nous avons un renouvellement permanent. En somme, l’école est restée la même dans son ADN depuis 10 ans, mais ce qu’on y fait est totalement différent; dans la manière dont on aborde les projets et dans les thématiques elles-mêmes.
Aujourd’hui, on voit le résultat de cette évolution, de ce travail effectué sur les 20 dernières années. Et on peut mesurer l’importance d’une école et l’influence qu’elle peut exercer – selon moi c’est un indicateur très important – par le parcours de ses diplômés. L’ECAL aujourd’hui, c’est toute une génération de personnalités issues de ses rangs qui exercent une influence considérable en Suisse et à l’international; dans les domaines du design, de l’art et bien au-delà de ces disciplines et de ces formations elles-mêmes. Ce n’est pas seulement un ou deux diplômés sortis du lot, comme on l’avait vu par le passé.
le suCCès se mesure aussi par les Collaborations et les projets engagés, non?
Beaucoup d’écoles établissent des collaborations, font des recherches et des ateliers transdisciplinaires. Inversement, beaucoup de marques cherchent à travailler avec des écoles. Mais ce qui compte pour nous, c’est ce qu’on en fait et ce que cela nous apporte.
Il y a 10-15 ans, quand on travaillait avec une marque, l’objectif était que la marque en question puisse sortir des objets sur le marché ou monter une exposition. C’était intéressant et enrichissant, mais ce qu’on cherche aujourd’hui ce n’est plus produire encore de nouvelles choses; c’est plutôt de challenger, de réfléchir, de questionner ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Si ça peut s’inscrire dans un registre commercial tant mieux, mais ce n’est pas notre but ultime.
On a la chance aujourd’hui de pouvoir être sélectifs, de choisir non seulement «qui» ou «quoi» mais aussi «comment». Et notre vision, notre voix est entendue, prise en compte. Le fait de questionner le «pourquoi du comment» est aussi une plus-value. →
Tables antisismiques, prix du meilleur stand du SaloneSatellite, Milan 2001.
Vous éVoquez souVent cette Volonté de questionner les domaines et les champs que Vous inVestiguez…
Je parle de notre volonté de questionner en permanence, d’une manière critique et prospective, notre écosystème éducatif. Ceci étant, nous sommes une école qui réfléchit mais nous sommes aussi une école qui «fait».
Nous sommes dans la culture du «faire». Est-ce en Suisse en général ou à l’ECAL en particulier, je ne sais pas. Mais à l’ECAL, on développe des compétences dans le but de réaliser, formaliser, matérialiser un objet, une photo, une œuvre, un film…
La majorité des métiers qu’on enseigne s’inscrivent d’une manière ou d’une autre dans le champ de la communication, du design d’objet en passant par la photo, le graphisme, le cinéma, etc. Dans ces domaineslà, réfléchir – et créer – doivent se traduire par réaliser. Et je ne parle pas des enjeux formels ou esthétiques.
Aujourd’hui pour répondre aux différents enjeux, les disciplines ont évolué non seulement en leur sein mais par capillarité, perméabilité entre elles. Une forme de transdisciplinarité est à l’œuvre.
Nos étudiants sont amenés à faire des projets ensemble, ils sont amenés à confronter des domaines et des outils qui ne sont pas forcément les leurs. Une des grandes évolutions des disciplines de l’art et du design c’est l’effacement des frontières entre ces domaines. On ne peut plus prétendre «je ne suis que designer».
Nos étudiants aujourd’hui sont invités à empoigner la question «du sens des choses». Pour aborder des problématiques larges et transversales, il faut leur donner des outils, des compétences; pour aller au-delà de la forme, il faut leur apprendre l’ouverture, la curiosité, pour avoir une vision, un regard critique autant endogène qu’exogène.
Pour trouver une solution ou répondre à une demande, avant d’y répondre de manière tangible, il faut questionner la demande elle-même, avoir l’esprit critique de manière à l’interroger à tous les niveaux. Si le savoir et le savoir-faire restent très importants, une dimension supplémentaire exige aujourd’hui d’inculquer à nos étudiants, ou du moins de cultiver chez eux, une forme d’intelligence consistant à savoir travailler à partir de leurs propres ressources et, le cas échéant, à savoir chercher les bonnes ressources ailleurs pour mener à bien leurs projets.
aujourd’hui, peut-on parler de l’ecal sans éVoquer l’héritage de pierre Keller?
Sous la direction de Pierre Keller, l’ECAL est devenue l’une des écoles les plus influentes du monde dans les domaines du design et de l’art. Cela nous a ouvert énormément d’horizons. Pierre Keller nous a permis d’avoir les moyens, la notoriété, les réseaux, les partenariats dont on dispose aujourd’hui. Depuis, nous évoluons sur un terrain qui dépasse de loin les frontières de la Suisse. La force de Pierre Keller a toujours été de voir bien au-delà, d’avoir une vision. Mais de cette période à aujourd’hui, les enjeux ne sont plus les mêmes.
A l’époque, l’école devait se faire connaître. Et dans le contexte social et culturel de la fin des années 90 et début 2000, on avait envie de découvrir de nouvelles choses, de nouvelles formes, de nouveaux langages. Une créativité débridée régnait sur le monde du design. Si ce qui se faisait à l’époque avait sa pertinence et son intérêt, cela avait surtout de la valeur au niveau de la communication.
Cette envie, ce besoin de postérité n’est plus un enjeu pour nous. Le monde a changé. Les histoires des Bouroullec ou des Campana à la une des médias intéressent moins les jeunes. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus ce besoin, cette envie de figures qui les inspirent, comme Jasper Morrisson ou Patricia Urquiola. Par exemple, aujourd’hui le domaine du mobilier ne suffit plus pour faire rêver les étudiants. Ils cherchent autre chose. C’est plus intéressant pour eux de dessiner une couveuse pour prématurés en Afrique subsaharienne qu’un tabouret en bois pour une marque italienne.
← Discours de Pierre Keller, directeur de l’ECAL de 1995 à 2011, lors de la tournée de l’exposition «Swiss Design Now» en Chine entre 2005 et 2007.
↑ Diplômes 2021 à l’Espace Arlaud,
Lausanne.
→ «Delirious Home» remporte le Milano Design Award de la meilleure exposition au
Salon du meuble de Milan 2014.
Moments forts et souvenirs Alexis Georgacopoulos
1 → Le SaloneSatellite En 2001, l’ECAL participe pour la première fois au SaloneSatellite (dédié aux jeunes designers) au Salon du meuble de Milan. Dans le cadre d’un atelier dirigé par Christophe Marchand, Martino D’Esposito a dessiné trois tables antisismiques en acier rouge, des objets «manifestes». Pour faire une scénographie très minimale et mettre en valeur les tables, Pierre Keller et moi n’avions pas prévu de chaises. Pour tenir le stand, nous sommes donc restés debout durant les quatre jours de l’exposition. Cette année-là, on a reçu le prix du meilleur stand du SaloneSatellite.
2 → Swiss Design Now à Shanghai En 2003-2004, Pierre Keller est curateur de l’expo Swiss Design Now à Shanghai, Pékin, Guangzhou, Valence et Martigny. À Shanghai, elle est organisée dans un musée privé, un bâtiment magnifique mais avec un personnel peu qualifié pour ce genre d’événement. On a dû tout faire nous-mêmes. Comme on ne pouvait travailler que de 10h du soir à 6h du matin, on nous a enfermés dans le musée. Au moment de nettoyer les traces de colle de l’exposition on s’est aperçus qu’il n’y avait pas de produit. On l’a fait avec de la vodka trouvée dans le restaurant du musée. Et au matin, pour sortir, on a dû escalader des murs et des barrières. Comme quoi, on était prêts à tout pour le design! 3 → ECAL Photography En 2013, l’ECAL présente l’exposition «ECAL Photography» dans la galerie du célèbre couturier Azzedine Alaïa à Paris. Dans une scénographie spécialement créée par le designer Adrien Rovero, l’exposition propose une sélection de travaux réalisés par de jeunes talents lors de leur cursus en Bachelor Photographie à l’ECAL. La commissaire d’exposition Nathalie Herschdorfer a choisi les images en collaboration avec Milo Keller et moi-même. Intitulé «ECAL Photography», le livre édité pour l’événement est publié chez Hatje Cantz, éditeur reconnu pour son catalogue de publications sur la photo.
4 → Delirious Home Cette exposition a gagné le Milano Design Award 2014 pour la meilleure exposition présentée au Salon international du meuble de Milan. «Delirious Home» met en scène les travaux réalisés par les étudiants en Bachelor Design Industriel et en Media & Interaction Design de l’ECAL. Un projet transdiciplinaire dirigé par Alain Bellet et Chris Kabel. Cette série d’objets propose une interprétation ludique du concept de «maison intelligente». Plusieurs projets ont ensuite été acquis par le Victoria & Albert Museum à Londres pour sa collection permanente, une marque de reconnaissance absolue! 5 → Retour à l’Espace Arlaud De septembre à novembre 2021, le temps d’une exposition unique, l’ECAL revient à l’Espace Arlaud. Depuis ses débuts et pendant plus d’un siècle, c’est là que l’ECAL fut hébergée. Quel meilleur endroit trouver pour démarrer les célébrations de son bicentenaire? L’exposition présente des projets de diplômes Bachelor et Master 2021. Une occasion unique de découvrir les talents de demain par le biais de réalisations en arts visuels, cinéma, design industriel, graphisme, media & interaction design, photographie et typographie. En parallèle, un programme d’activités variées a été proposé, telles que des visites guidées, des performances, des workshops, etc.