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Trois petites maisons de montagne

Trois transformations chargées d’histoire

Comment transformer l’existant pour accueillir de nouvelles fonctions tout en préservant l’histoire du lieu ? Trois architectes ont relevé le défi avec trois projets typiques du paysage suisse.

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Salomé Houllier Binder

Un abri primitif

Dans le prolongement de l’histoire du bâti, cette petite cabane de 65 m2 située à 1000 m d’altitude dans la commune de Bex conserve la mémoire d’une écurie construite en 1935 et transformée en résidence secondaire dans les années 1960. en trop mauvais état, celle-ci a été entièrement démolie.

La nouvelle construction reprend néanmoins son implantation et son volume aux proportions harmonieuses. Tel un abri, la cabane s’intègre dans le paysage en s’installant sous les arbres qui filtrent le gain solaire selon les saisons. La position des ouvertures est quant à elle repensée afin de répondre aux besoins de lumière et de points de vue.

L’approche spatiale et constructive est claire, minimaliste et efficace. Dans un parcours quelque peu corbuséen, le projet propose un plan ouvert aux espaces différenciés et contrastés. Un bloc central qui contient la douche, le local technique et la cheminée articule l’espace. Un vestibule en antichambre conduit, en descendant une petite marche, vers la pièce principale ; cette dernière s’ouvre sur le grand paysage grâce à une baie vitrée orientée vers le lac et les montagnes.

La construction privilégie une matérialité et des artisans locaux ainsi qu’une mise en œuvre traditionnelle, à la main. Les bois de mélèze et d’épicéa sont déclinés sous différentes formes dans les murs, la toiture, leur revêtement et les menuiseries. Introduit en raison de son inertie, le béton est présent dans le noyau central et au sol avec une chape cirée. Son aspect brut contraste avec la délicatesse omniprésente du bois. Les avant-toits de la toiture en bardeaux de mélèze fendus et cloués, typiques de la région, accentuent le côté protecteur de l’abri.

La cabane fonctionne en autonomie complète. Une cheminée, des panneaux solaires, un fourneau potager pour la cuisine et l’eau chaude sanitaire, une source d’eau naturelle et une tranchée filtrante pour les eaux usées entraînent une élongation du temps et permettent de retrouver un rythme plus lent, sans pour autant compromettre le confort usuel. Confort qui est par ailleurs renforcé par le choix d’un mobilier intemporel, issu du mouvement moderniste des années 1920.

En questionnant les notions de simplicité, de temps et de confort, le projet prône un retour à l’essentiel. Sa forme atemporelle et universelle reprend l’idée d’un refuge primitif, ouvert sur le paysage. Par un processus de raffinement qui rationnalise chaque élément, l’objet devient à la fois singulier dans la production architecturale d’aujourd’hui et pourtant familier: il se réfère à des logiques presque intuitives de se rassembler autour du feu, en relation avec la nature et de prendre conscience de soi-même.

photos: Daniela Droz et tonatiuh ambrosetti

L’architecte

L’agence Cloux Architecture a été créé en automne 2021. À la tête de ce jeune bureau se trouve David Cloux, un architecte spécialisé en conservation du patrimoine. Ancré dans l’histoire, c’est cependant bien l’architecture contemporaine qui l’intéresse. En prônant un retour à l’essentiel, il cherche à résoudre l’illusoire contradiction entre la volonté de s’inscrire dans la démarche écologique et celle de conserver un mode de vie contemporain. Sa réponse est une architecture simple mais travaillée, efficace et belle, aspirant à une certaine universalité.

Dans l’épaisseur du temps

Situé dans le hameau de Satarma dans le Val d’hérens, ce petit mayen date de 1860. toujours en fonction, il accueille son propriétaire six mois dans l’année, lorsqu’il fait pâturer ses vaches. Le projet a pour objectif de préserver et faire perdurer le caractère du bâti existant tout en améliorant son potentiel d’accueil, d’habitat et de confort.

La construction d’origine est constituée de deux éléments. Le premier, un volume en bois massif de base carrée, comporte une seule pièce servant de séjour et chambre. Cet espace a été conservé tel quel ; toutefois le bois a été brossé et un escalier a été ajouté pour accéder à l’étage. En surélevant d’un mètre les combles un espace de nuit a pu être aménagé ; trois petites niches logent des lits doubles permettant ainsi d’accueillir jusqu’à six personnes. La surélévation est construite en bois massif, issu d’une petite forêt de mélèzes appartenant au propriétaire, dont les arbres ont été plantés à l’époque de la construction du mayen. Dans une démarche vernaculaire et pragmatique, le projet prolonge ainsi l’histoire du lieu, selon la responsabilité de l’architecte dont le travail s’inscrit dans l’épaisseur du temps.

Le second élément existant consiste en une partie minérale en brique située à l’arrière de la construction. Elle contient une salle de bain et une petite cuisine. Elle est remplacée par une nouvelle construction minérale en béton qui conserve le même programme et ajoute une cheminée ouverte ainsi qu’un petit espace d’entrée. Réalisée en double hauteur, elle ne reprend pas la forme d’origine. Elle épouse les courbes anguleuses de la falaise, sans entrer en confrontation avec elle. Leur subtil dialogue est renforcé par une même minéralité et une palette de couleurs communes, tel l’oxyde de fer de la roche qui se retrouve dans la menuiserie.

Ainsi, les deux parties du projet jouent sur les contrastes dans leur matérialité et leurs proportions, mais aussi par leur système de chauffage. En effet, le volume en bois massif, sans isolation, est chauffé lentement avec l’inertie du poêle d’origine en pierre ollaire, un moyen de chauffage ancestral typique de la région. Le volume minéral est quant à lui réalisé avec un béton isolant qui intègre directement la cuisine et la cheminée dans son épaisseur. La cheminée ouverte fournit, au contraire, une chaleur rapide et intense. La chaleur du feu et l’apparence froide et brute du béton amènent une nouvelle ambiance. Ensemble, ces divers contrastes font dialoguer le projet avec le lieu et son histoire.

photo : Joël tettamanti

Les architectes

Le bureau d’architecture Deschenaux Follonier Architectes a été fondé en 2016. En travaillant sur des petits projets, majoritairement domestiques, les deux architectes ont mis leur pratique au service du client. Ils portent une grande importance aux matériaux et à la construction afin de préserver et de révéler l’histoire. Contexte, lumière, espace, matérialité sont des éléments clés de leur pratique architecturale. Depuis 2019, Sarah Follonier et Valentin Deschenaux poursuivent leur carrière au sein de leurs nouveaux bureaux respectifs.

Une revitalisation vernaculaire

Cet ancien mayen situé au-dessus d’anzère dans le Valais date des années 1850. Le rez supérieur était dédié à l’habitation des paysans alors que le rez inférieur était occupé par le bétail. Le projet consiste à le transformer respectueusement pour en faire une résidence secondaire.

Le volume général du mayen reste inchangé. Au rez supérieur se développe désormais l’espace de vie avec un coin séjour, cuisine et repas. Au rez inférieur, une extension complètement enterrée à l’arrière accueille une salle de bain et un local technique. Les deux chambres prennent place au niveau de l’ancienne écurie dont le dallage de sol a été abaissé afin d’offrir une plus grande hauteur sous plafond.

Dans l’optique d’une intervention minimale et respectueuse du patrimoine local, les murs extérieurs ont été conservés autant que possible. Cependant, au niveau de l’étage supérieur, certaines portions étaient en trop mauvais état. Elles ont été entièrement démontées et refaites avec les pierres d’origine. À l’intérieur, une boîte en bois facilite l’isolation et le passage de la technique. Un revêtement en sapin recouvre l’intégralité des parois en contact avec l’extérieur (murs périphériques, plafond et sol). Une nouvelle dalle en béton ancrée dans les murs en pierre sépare les deux niveaux. Elle constitue le prolongement du mur de soutènement et de la dalle du local technique. Laissée apparente au rez inférieur, elle est revêtue de pierre naturelle au niveau supérieur pour faciliter l’entretien à cause du matériel de ski parfois salissant.

L’ouvrage possède trois ouvertures qui gardent leur emplacement d’origine. La porte d’entrée et celle de l’écurie sont conservées. Mais cette dernière est divisée en deux petites fenêtres destinées à chacune des chambres. Sur la façade sud, l’ancienne partie boisée typique des mayens de la région a été réinterprétée par un pan de verre fixe horizontal qui ouvre sur les montagnes. La toiture a été refaite à neuf avec une charpente en bois recouverte d’une tôle ondulée. En raison de la petite surface du mayen, l’espace à disposition a été optimisé. Par exemple, l’allège sous la fenêtre se prolonge pour former un banc en bois qui permet d’économiser de la place tout en offrant un espace dédié à la contemplation et à la convivialité.

Par la compréhension globale de la construction d’origine, la simplicité des espaces ainsi structurés et l’utilisation de matériaux bruts, cette réalisation revitalise le mayen tout en conservant les caractéristiques vernaculaires du patrimoine.

photo : Nicolas Sedlatchek photographie

Les architectes

Le bureau Cheseauxrey a été créé en 2008 par Olivier Cheseaux et Alexandre Rey. En 2021, il accueille Emanuel Amaral, Sébastien Vitre et Dario Zimmermann et devient Cheseauxrey Associés. De par son intérêt à travailler les différences d’échelles et de relations, le bureau opère sur un large panel de projets. Souhaitant ne pas se cantonner à leur savoir-faire déjà acquis, les collaborateurs adoptent une attitude de constante exploration afin de développer de nouvelles spatialités, méthodes constructives et matériaux. Chacun a ainsi la liberté de développer ses intérêts selon ses propres sensibilités.

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