La science de l’éducationPartie 2B: La conscience de la mathématisation

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La science de l’éducation Partie B: La conscience de la mathématisation

Caleb Gattegno Traduit de l’anglais par Christian Bastian, Maurice Laurent, Allen Rozelle

Educational Solutions Worldwide Inc.


Première publication en anglais aux Etats-Unis en . Version française publiée en . Copyright © – Educational Solutions Worldwide Inc. Auteur: Caleb Gattegno Traduit de l’anglais par Christian Bastian, Maurice Laurent, Allen Rozelle Tous droits réservés ISBN - - - -

Educational Solutions Worldwide Inc. nd Floor University Place, New York, NY -4 www.EducationalSolutions.com


Remerciements de l’auteur pour la version anglaise Le manuscrit de ce volume a été confié à Dick Tahta, mon ami de longue date, afin qu’il en fasse un livre lisible et intéressant pour les professeurs de mathématiques de tous niveaux. C’est ce qu’il a fait et je voudrais lui exprimer mes remerciements, ainsi que ceux des lecteurs de cette œuvre. La préparation du texte pour l’impression a été assurée par Madame Lisa Wood, qui avait déjà

traité la partie , et le Dr D. E. Hinman, dont

l’habitude de rendre les livres attrayants par les titres et les sous-titres se manifeste une fois de plus dans ce volume. A ces deux personnes, j’exprime mes remerciements et mon estime pour leur dévotion et leurs attentions.

Remerciements pour la traduction et l’édition en français Christiane Rozet a transféré la version initiale sur ordinateur. Olivier Laurent a fourni les photos et les dessins, Corinne Putzu, Felice Putzu et Clermonde Dominicé ont relu, Christiane Laurent a effectué la mise en pages. U.E.P.D. les remercie sincèrement du temps qu’ils y ont consacré, afin que cette dernière contribution écrite de Caleb Gattegno à l’enseignement des mathématiques soit disponible en français.



Les traducteurs de la Science de l’éducation Partie 2B : La conscience de la mathématisation Français, né en 1940, M. Laurent rejoint l’Ecole Internationale de Genève en 1970. Il y enseigne jusqu’en 2000 les mathématiques dans les premières classes du secondaire.

M. Laurent a rencontré

Caleb Gattegno en 1969. Inspiré par ses propositions dans le domaine de l’éducation, il a participé à de nombreux séminaires dirigés par ce pédagogue. Depuis plus de trente ans, il conduit lui-même des sessions de formation pédagogique, essentiellement pour l’enseignement des mathématiques et du français. Sur la base d’une première traduction assurée par Christian Bastian – qui avait suivi auparavant de nombreux séminaires de didactique des mathématiques sous sa direction – Maurice Laurent a mis au point le texte définitif, assisté de Allen Rozelle, un professeur d’histoire et d’anglais ayant comme lui travaillé avec C.Gattegno pendant de nombreuses années.



Contenu

Préface ........................................................................ Chapitre Débuter en mathématiques ....................... Introduction............................................................................ Le langage de la numération ................................................ Les nombres dans l’ordre ..................................................... Compter ................................................................................ La complémentarité.............................................................. Addition et soustraction ....................................................... Les nombres..........................................................................

Multiples et inverses ............................................................. Algorithmes de la multiplication et de la division ............... Récapitulation....................................................................... Chapitre Au-delà des entiers : algèbre et langage... Introduction.......................................................................... L’algèbre en tant qu’opérations sur des opérations ............. Additionner et soustraire des fractions................................ Opérer avec les fractions ...................................................... La division des fractions ..................................................... Nombres rationnels ............................................................

Décimaux: un nouveau langage..........................................


Une fraction utile : le pourcentage ..................................... Ensembles infinis................................................................ Récapitulation..................................................................... Chapitre L’éducation de tout le cerveau............... Introduction........................................................................ Perception et action ............................................................ Animer l’espace................................................................... Les cercles dans le plan ...................................................... Le continuum...................................................................... L’étoile................................................................................. Récapitulation..................................................................... Quelques références bibliographiques.....................


Préface

Les trois chapitres qui constituent cette seconde partie des applications de la Science de l’Education sont consacrés à un nouveau regard sur les mathématiques, un sujet vénérable cultivé depuis l’antiquité par de nombreuses civilisations. Parce que les mathématiques sont reconnaissables mais difficiles à définir, nous les avons remplacées par un processus ou des processus qui peuvent être rendus plus tangibles et que nous avons appelés « mathématisation ». De là le titre général de ce volume, LA CONSCIENCE DE LA MATHÉMATISATION. Jusqu’à maintenant, on laissait au hasard le soin de produire le nombre de mathématiciens dont le monde avait besoin. Nous pouvons aujourd’hui travailler délibérément et diligemment à augmenter leur nombre : nous savons maintenant comment donner à chacun les occasions qui vont fournir les critères qui lui permettront de nous dire : « J’aime passer mon temps à cette sorte d’exercices mentaux et je continuerai à suivre ces lignes d’activités ». Chaque individu sera capable de décider si le fait de devenir un

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

mathématicien professionnel lui convient, ou si, après avoir goûté à cette nourriture intellectuelle, il préfère s’engager ailleurs de façon plus permanente. Un tel choix n’a jamais été mentionné par le passé parce que l’on considérait que le don des « Maths » était rare et difficile à faire apparaître chez ceux qui n’en faisaient pas preuve spontanément. Ce volume tente de montrer comment l’on peut faire au moins les premiers pas dans cette entreprise. *** Personne ne s’étonne du fait que partout, la plupart des jeunes enfants apprennent à parler, ignorant que les exigences de cet apprentissage sont bien plus grandes que celles de l’étude des mathématiques scolaires. Si vraiment nous nous étonnons, et si nous étudions l’acquisition d’une première langue, nous découvrons que les esprits humains sont équipés pour accomplir des actes mentaux qui ressemblent à ce que font les mathématiciens dans leurs propres laboratoires mentaux. Il s’ensuit qu’une nouvelle piste est disponible pour le pédagogue qui, pratiquant la Science de l’Education, se préoccupe de former des mathématiciens : commencer avec la langue, devenir conscient de son développement, et en retirer autant d’aide que possible afin de spécialiser certaines structures mentales déjà à l’œuvre de façon à leur donner certains des attributs mathématiques.

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Préface

Le chapitre est là pour montrer comment. Une fois que toutes ces structures mentales mathématiques sont clarifiées et abordées systématiquement, d’autres prises de conscience peuvent être utilisées pour augmenter la récolte et la faire s’intégrer au programme des mathématiques scolaires élémentaires. Le chapitre est consacré à cette tâche. Bien que nous recueillions beaucoup dans les pages de ces deux chapitres, nous pouvons y remarquer que l’auteur a laissé de côté d’autres attributs de l’esprit que les mathématiciens utilisent de manière routinière et systématique dans leur recherche et qui se voient dans leurs découvertes. Ces attributs ont été écartés, non par ignorance de leur importance, mais afin d’assurer la maîtrise de ce qui était présenté. Le chapitre montre qu’ils peuvent être relevés séparément et qu’ils font plus que de donner davantage d’entrées dans les mathématiques. Les attributs appartiennent à l’éducation de tout le cerveau vu comme le serviteur et l’allié de l’esprit. Sous cet éclairage, une bien plus grande quantité de mathématiques est rencontrée, reconnue, connue et appréciée, mais toujours avec la même qualité d’être spontanément inventée par chaque étudiant qui joue aux jeux dans lesquels on lui donne ce petit peu qu’il est peu probable qu’il découvre, mais qui mène à beaucoup. Cette quantité qui couvre des années d’étude dans le programme traditionnel ne demande plus maintenant que quelques mois.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Economiser du temps, donner du plaisir, dégager de grandes perspectives, tout cela suit la rencontre quotidienne avec cette conscience de la mathématisation. Comme produit de la Science de l’Education, ceci mérite d’être largement connu et étudié dans l’intérêt de la prochaine génération. Caleb Gattegno Juin

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Chapitre Débuter en mathématiques

Introduction Ce chapitre de La science de l’éducation établit un programme pour les mathématiques élémentaires et décrit les moyens de forcer les prises de conscience chez les élèves. Il peut répondre à toutes les demandes reconnues légitimes pour les jeunes de à ans partout dans le monde, et en même temps peut être la source d’une connaissance opérationnelle des mathématiques qui satisferait le point de vue professionnel de n’importe quel mathématicien. Avec cette approche, les gens découvriront qu’ils peuvent apprendre

aussi

naturellement

que

dans

leurs

autres

apprentissages spontanés, acquérir des habiletés qui peuvent être rappelées instantanément, et devenir des mathématiciens dans le domaine qu’ils étudient. Cette révolution remarquable a 5


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

été rendue possible par quelques découvertes essentielles de la Science de l’éducation. Certaines des plus importantes sont brièvement exposées à grands traits ici. • Les enfants qui commencent les mathématiques scolaires ont déjà atteint un niveau d’évolution mentale qui est illustré, parmi d’autres choses, par leur remarquable maîtrise de la langue parlée. • Beaucoup d’activités que pratiquent les enfants requièrent

une

organisation

des

opérations

mentales qui ne peuvent être décrites autrement que de façon algébrique. • Il y a des composantes verbales sous-jacentes aux notations des mathématiques ; donc, la maîtrise de la langue parlée signifie qu’il est possible de fonder les mathématiques sur le langage. • Derrière chaque problème arithmétique il y a un arrière-plan algébrique, qui représente la conscience du

processus,

alors

que

l’aspect

numérique

représente le contenu concret particulier qui y est donné. Il y a donc beaucoup moins d’algèbre à assimiler qu’il n’y a de relations numériques à prendre en compte. Dès lors, on devrait mettre 6


10 Débuter en mathématiques

l’accent sur l’algèbre chaque fois que cela est possible. • Les traditions de l’enseignement – programmes, méthodes, manuels scolaires, cahiers d’exercices, et ainsi de suite – ont trouvé leur place dans les écoles et dans l’éducation des professeurs sur la

base

d’une opinion exprimée autoritairement, sans recherche

convenable

de

ce

que

sont

les

mathématiques, ni de manières de travailler qui puissent mettre les mathématiques à la disposition de tous ; en particulier, on ne s’est pas demandé si la « mathématisation »

ne

concerne

que

les

mathématiciens professionnels, mais est aussi accessible à tous ceux qui s’y essaient de façon disciplinée. • Les idées brillantes ne sont pas suffisantes, bien qu’elles puissent aider parfois. Ce qui est nécessaire, en

revanche,

c’est

une

subordination

de

l’enseignement à l’apprentissage et un examen critique de ce que les enfants font avec leur esprit dans leurs activités spontanées – comme celle d’apprendre à parler – ainsi qu’une étude de ce qui,

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

dans l’enseignement traditionnel, joue un si grand rôle dans l’échec des enfants en mathématiques. Une illustration de l’importance à mettre l’accent sur l’algèbre apparaît dans le développement de l’usage des réglettes colorées. Georges Cuisenaire a montré au début des années cinquante que des élèves qui avaient reçu un enseignement traditionnel et qui étaient classés « faibles », faisaient de très grands progrès lorsqu’ils passaient à l’utilisation de ce matériel. Ils devinrent « très bons » en arithmétique traditionnelle quand il leur fut permis de manipuler les réglettes. Il fut alors démontré, dans nombre de pays à la fin des années cinquante, que les progrès des enfants venaient du fait que les réglettes agissaient en tant que modèle algébrique – pour l’algèbre de l’arithmétique – ce fait rendant possible de commencer par l’algèbre au lieu du comptage. Cela avait du sens pour les élèves. Ils faisaient attention aux attributs perceptibles et avaient très peu à mémoriser. Ils pouvaient par conséquent réinventer, facilement et à toute occasion, ce qu’il fallait pour résoudre un problème. Ils n’avaient pas à s’inquiéter de faits à retenir dans leur mémoire et qu’ils risquaient d’oublier. Quand on découvrit que les réglettes jouaient le rôle d’un modèle algébrique, il devint possible, non seulement d’améliorer l’enseignement en débutant par l’algèbre, mais aussi de chercher d’autres fondements des mathématiques que ceux qui étaient

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10 Débuter en mathématiques

disponibles dans la littérature sous les signatures prestigieuses de Frege, Peano, Cantor, Hilbert, etc. Ces autres fondements furent trouvés là où personne ne les cherchait : dans la capacité universelle

des

bébés

à

acquérir

la

langue

de

leur

environnement. Voir l’étude des mathématiques comme fondée sur les pouvoirs utilisés par les jeunes enfants pour acquérir la langue peut avoir sur l’enseignement des mathématiques un impact bien plus grand que celui permis par les réglettes. Car celles-ci ne nous ont rien dit des pouvoirs des enfants pour apprendre. Traitées comme des aides à l’enseignement, elles ont été liées à priori à des théories comme celle de Montessori ou de Piaget. On n’eut besoin d’aucune théorie de ce genre quand il devint évident que les enfants disposaient des pouvoirs mentaux adaptés à la résolution

d’un

problème

humain

aussi

complexe

que

l’apprentissage de la langue maternelle. Une fois ces pouvoirs connus, il ne restait plus qu’à élaborer une nouvelle approche qui apportât à la conscience des jeunes enfants ce qui précisément était demandé afin de transformer leurs structures mentales spontanément acquises en structures mentales mathématiques. Au cours des vingt dernières années, cette nouvelle approche a été constamment ciselée et raffinée en un programme complet accompagné de méthodes de travail qui sont facilement adaptables à n’importe quelle classe d’enfants, par n’importe

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quel professeur. Le reste de ce chapitre décrira à grands traits cette proposition.

Le langage de la numération Dans les livres de grammaire, les numéraux sont des déterminants. Il est donc légitime de considérer la numération comme une partie de la langue avant de regarder ses aspects mathématiques. Chaque langue traite la numération différemment en choisissant quels mots ou quelles combinaisons de mots doivent être utilisés pour dire combien il y a d’objets dans un ensemble donné. Dans cette section, nous ne nous occuperons pas du processus d’attribution d’un nombre à un ensemble donné : il sera étudié ultérieurement. Ce avec quoi nous commençons ici est un problème de langue : nommer les nombres dans la langue de chacun de façon qu’ils puissent faire partie du vocabulaire de cette langue et être appris et retenus comme tous les autres mots. Une fois cet aspect maîtrisé, il sera disponible pour d’autres usages, et en particulier comme fondement des mathématiques. Des langues différentes ont des façons différentes de nommer les nombres. Le fait qu’il n’y ait pas de manière universelle de le faire nous dit que chaque culture a eu un choix en la matière. Ainsi, c’est un défi linguistique et non mathématique. Puisqu’il 10


10 Débuter en mathématiques

n’y a pas qu’une seule façon de nommer les nombres, les lecteurs peuvent être obligés d’examiner pour eux-mêmes comment adapter le traitement qui va suivre de la numération anglaise pour qu’il convienne à une autre langue. Ceci a déjà été fait pour certaines dans les tableaux de numération qui font partie de l’approche Silent Way1 pour enseigner les langues étrangères. La première tâche est de trouver un moyen d’amener les étudiants à la maîtrise de la numération ordinaire dans la langue d’apprentissage utilisée à l’école. Cela doit être fait pas à pas, systématiquement, pour assurer une rétention complète, en toute compréhension et dans le temps le plus court. Cela veut dire utiliser le plus petit nombre de ces unités d’énergie requises dans le domaine linguistique – dans ce cas précis – pour retenir quoi que ce soit d’arbitraire, unités que nous avons appelées des ogdens. Ce qui peut être moins évident, c’est que ce défi doit être pris strictement pour ce qu’il est : apprendre à lire et à écrire les nombres dans la langue utilisée et pas encore dans d’autres buts, tel que compter. Nous serons alors libres d’être guidés par l’apprentissage requis plutôt que par d’autres considérations qui trouveront leur place plus tard. Puisque nous devons choisir un 1 N.D.T. Silent Way est le nom donné par C. Gattegno à son approche pédagogique de l’enseignement des langues « étrangères » : le principe général en est que ce sont les élèves qui doivent s’exprimer pour apprendre et qu’en conséquence le maître doit se taire chaque fois que c’est possible. Pour chaque langue, le matériel collectif pour la classe comprend des tableaux de mots : l’un d’entre eux, consacré aux nombres, structuré en fonction de la manière dont la langue considérée traite la numération, permet au maître d’y faire travailler rationnellement les élèves.

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déroulement particulier pour la matière en question, ceci peut sembler être un absolu. Mais il y a des options possibles, par exemple l’ordre dans lequel certains noms sont introduits, qui permettent des alternatives dans cet absolu. Les lecteurs devraient chercher de telles variations et décider de la présentation qu’ils préfèrent. *** Pour la langue anglaise, nous avons choisi de commencer par nous assurer que les ogdens soient payés pour maîtriser les nombres à un chiffre. Il y en a neuf dans le système ordinaire.

Qu’ils soient ou non introduits dans l’ordre, la chose qui compte est que chacun des signes déclenche des sons, les sons traditionnels, et réciproquement. Neuf ogdens sont engagés à cela (peut-être dix-huit, si l’on considère que la réciproque nécessite une rétention distincte). La maîtrise peut demander jusqu’à une demi-heure. Après cela, il va falloir un ogden supplémentaire pour engendrer un nouvel ensemble de signes. Ceux-ci sont écrits en plaçant le signe à la droite de chaque signe unité, et nommés en disant le mot hundred après chaque 12


10 Débuter en mathématiques

son unité. Nous pouvons maintenant engendrer quatre-vingt-un nombres de plus en lisant dans l’ordre n’importe laquelle des centaines suivie de n’importe laquelle des unités, par exemple six hundred three ou one hundred nine, et en acceptant de télescoper les deux signes en un seul. Par exemple, , en , ou , en . Réciproquement, n’importe quelle chaîne semblable avec un au milieu déclenchera les sons requis. Lorsqu’elles sont rendues explicites, ces conventions sont facilement acceptées et pratiquées. Jusqu’ici nous avons exigé dix ogdens (ou vingt si l’on compte séparément les formes parlées et écrites ; les lecteurs sont priés de faire cette possible distinction pour eux-mêmes dans les cas qui se présenteront). Pour le coût de ces ogdens, nous forçons la prise de conscience que tout ce qui est appris ne doit pas être mémorisé, seul ce qui coûte un ogden doit l’être. De plus, il y a place pour l’initiative de la part des apprenants qui, en conséquence, découvrent qu’ils peuvent être inventifs dans ce secteur d’étude et qu’ils peuvent produire beaucoup plus que ce qu’on leur a demandé de mémoriser. A partir de là, ils sauront les nouveaux nombres plutôt que de s’en souvenir par l’exercice et la répétition. Qui plus est, derrière « l’écriture condensée » des nombres à trois chiffres, il y a quelque chose qui va bientôt faire partie de l’aspect « position-valeur » de la numération. Lorsqu’on dispose simultanément au tableau les séquences introduites jusqu’à maintenant, on laisse un espace entre les

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rangées d’unités et de centaines sans explication car aucune n’est nécessaire. On va maintenant remplir cette rangée vide comme suit. Le signe est écrit entre et et appelé forty ; on écrit maintenant entre et et, si ça ne vient pas spontanément des élèves, on l’appelle sixty ; de même pour , , . De même que les nombres de deux rangées avaient été télescopés, comme précédemment décrit, il est maintenant possible d’utiliser les trois rangées pour produire des nombres à trois chiffres, à condition d’utiliser les rangées dans l’ordre en commençant par la rangée des centaines.

Ainsi, en anglais, un seul ogden supplémentaire pour le ty engendre beaucoup plus de nombres des deux formes, écrite et parlée ; par exemple, , , forty-one, one hundred eightytwo, et ainsi de suite. Pour différencier les nombres à trois chiffres avec un au milieu ou à droite, il suffit de tester quelques paires comme et en les nommant et en demandant leur écriture ou l’inverse. Il suffit de donner quelques exemples pour que tous les nombres maintenant disponibles soient inventés avec confiance par analogie. Une telle créativité, n’utilisant que les quelques ogdens que les élèves ont dû payer afin de retenir ce qu’ils n’auraient pu inventer eux-

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10 Débuter en mathématiques

mêmes, représente un rendement remarquable. De plus, cela permet de rencontrer la « position-valeur » et de la pratiquer jusqu’à ce quelle devienne une seconde nature. Pour compléter la numération jusqu’à

, il nous faut introduire et intégrer les noms « irréguliers » qui complètent la rangée du milieu. Ainsi, l’écriture entre et ne s’appelle pas fivety mais fifty. Les écritures et sont appelées thirty et twenty, chacun de ces deux nombres ne demandant qu’un ogden supplémentaire et rien d’autre. Le dernier cas, celui de , dans la rangée du milieu, demande un traitement spécial en anglais. Le nom ten n’est utilisé que seul ou accouplé à des nombres de la rangée des centaines : par exemple, , ou , , … . Quand ten est couplé aux unités, il y a trois cas qui demandent qu’on force des prises de conscience nouvelles et distinctes. Dans les couples , , , , , le nom habituel est conservé pour les unités, mais le ten devient teen. Les couples et sont nommés de la même façon mais en utilisant pour et les formes utilisées dans la rangée du milieu ; cela donne thirteen, fifteen. Enfin, pour et , il nous faut deux nouveaux ogdens pour produire les noms eleven et twelve. On a montré que l’intégration de ten dans la numération en anglais demandait quatre nouveaux ogdens, pour ten, teen, eleven et

twelve,

en

acceptant 15

que

tous

les

autres


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

teens commencent par les nombres de l’unité avec et modifiés en « empruntant » les ogdens payés pour l’emploi de et de . En tout, nous avons engendré nombres pour le prix de ogdens. *** Dès qu’il est possible de lire et d’écrire des nombres à trois chiffres, il devient très facile d’étendre ce pouvoir, puisque le langage de la numération ne demande qu’un ogden de plus pour qu’on puisse lire et écrire des nombres comprenant jusqu’à chiffres, en appelant thousand un espace ou une virgule à la gauche du chiffre des centaines : par exemple, ou , … les deux lus : one hundred twenty three thousand four

hundred

fifty-six.

De

même,

le

million et

le

billion américains seront des noms qui demandent deux ogdens de plus pour les espaces ou les virgules à gauche du sixième et du neuvième chiffre. Cela étend le pouvoir de lire et d’écrire des nombres, jusqu’à des chaînes de douze chiffres, pour le coût total de ogdens. Notez que la rangée des unités contenait neuf chiffres mais que, pour écrire tous les nombres, un chiffre supplémentaire, à savoir , était utilisé sans que nous ayons dû lui donner un nom. C’est « zéro », mais il est prononcé par un silence lorsqu’il apparaît dans une chaîne de chiffres : par exemple, , est lu one 2

N.D.T. L’espace est généralement utilisé par les francophones, la virgule par les anglosaxons.

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10 Débuter en mathématiques

thousand et , est lu one thousand twenty-four. De plus, une chaîne de trois zéros précédant une virgule entraîne que cette virgule n’est pas prononcée. Par exemple, , , est lu one million. La pratique de divers exemples contenant des zéros aidera à rendre claires ces conventions, elles ne demandent pas d’ogden supplémentaire. Il peut être nécessaire de forcer la prise de conscience selon laquelle, en incluant dans la ligne des nombres à un chiffre, nous avons tout ce qu’il nous faut pour écrire et donc lire n’importe quelle chaîne de chiffres. *** A ce stade, nous avons le choix d’introduire la notion d’une base de numération. Le groupe de trois rangées peut être utilisé pour tester si une telle notion est accessible aux apprenants. Si on trace une ligne verticale entre deux colonnes adjacentes de nombres dans le groupe, alors tout ce qui a été fait précédemment peut être répété mais en n’utilisant que la partie du groupe qui est à gauche de la verticale et en abandonnant complètement les nombres de droite.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

C’est cette restriction dans l’utilisation des éléments du tableau pour produire des nombres à trois chiffres, suivie de l’utilisation des virgules pour produire des chaînes plus longues, qui engendre le langage des nombres dans les diverses bases. La lecture et l’écriture des nombres dans n’importe quelle base inférieure à ne demande rien de plus que ce qui a déjà été fait. Pour nommer la base dans les termes du système ordinaire, nous choisissons la première unité à droite de la verticale. Par exemple, avec la verticale entre et , le groupe restreint donnera les nombres en base . Nous pouvons étendre le système de numération en ajoutant des lignes supplémentaires, par exemple des lettres, à la rangée des unités. Si l’on choisit X comme signe après , on peut aussi dire sans inconvénient avec les romains, que notre système ordinaire est en base X. *** Certains des avantages qu’il y a à commencer notre enseignement des mathématiques aux jeunes enfants par la langue, avec la lecture et l’écriture des nombres, peuvent être énumérés comme suit : • Des déclencheurs sont utilisés pour obtenir des sons ou des signes écrits et nous savons exactement combien en nécessite l’ensemble du travail ; ces 18 18


10 Débuter en mathématiques

déclencheurs rejoignent ceux, nombreux, que les enfants ont utilisés pendant des années quand ils ont appris leur langue maternelle. • L’accent mis sur la langue nous rend libres d’allonger les chaînes de chiffres, sans presque aucun

coût

supplémentaire,

et

d’éliminer

le

sentiment que ces chaînes produisent des notions plus difficiles, au delà de ce que les enfants peuvent saisir à cet âge ; les chaînes ne deviennent pas « plus dures », seulement « plus longues ». • Le tableau des rangées utilisé pour engendrer les nombres contient implicitement dès le début la variable que nous appelons la base de numération ; cela peut se déduire de façon très simple. • L’approche peut être menée à bien dans n’importe quelle salle de classe disposant d’un tableau noir sur lequel le groupe de rangées peut être présenté suivant la description précédente ; un pointeur peut être un instrument utile pour inciter les élèves à utiliser eux-mêmes le groupe de rangées.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Les nombres dans l’ordre Il est possible que les lecteurs, à qui la suite des nombres entiers est familière, n’aient pas remarqué que rien du travail précédent ne demandait d’autres notions que celles présentées. Par exemple, les nombres que nous avons introduits ne nécessitaient pas de structure d’ordre pour exister. Donc, si nous voulons de l’ordre, nous devons l’introduire délibérément. Nous tous, à l’école, avons rencontré les sons des « entiers » ou « nombres entiers » insérés dans une suite où l’ordre joue un rôle dès le début : il s’agit là de « comptage », vu comme exercice verbal. L’ordre peut être rendu explicite dans un développement du groupe de rangées utilisé dans la section précédente. Dans l’utilisation de ce groupe, l’ordre quelconque dans lequel les éléments étaient nommés n’était pas une caractéristique de la présentation, même si on employait l’ordre normal. En choisissant cet ordre normal et en le rendant explicite, nous forçons la prise de conscience qu’il peut être créé. Nous pouvons même lui donner un nom, en l’appelant un ordre « de gauche à droite » ; un autre ordre peut être indiqué aussi facilement et appelé un ordre « de droite à gauche ». Plus tard, nous pourrons les appeler « ordre croissant » et « ordre décroissant », mais ces noms impliquent d’autres notions qui deviendront claires dans les sections ultérieures.

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10 Débuter en mathématiques

Nous pouvons maintenant produire un tableau de rangées bidimensionnel

dans

lequel

les

premiers

nombres

apparaîtront sur rangées et colonnes. Nous commençons par une première rangée d’unités, avec un vide en première position ; on continue alors la première colonne avec les dizaines de à . Ces éléments peuvent être couplés comme dans la section précédente bien qu’ici on puisse le faire systématiquement pour compléter le nouveau tableau.

*

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Un ordre est imposé à ce tableau, à savoir l’ordre de lecture de haut en bas, chaque rangée étant lue de gauche à droite, comme dans la lecture usuelle d’un texte en anglais. Aucun nouvel ogden n’est demandé pour cela, rien que de la pratique. Par exemple, en commençant par n’importe quel nombre dans le groupe, nous pouvons soit « aller en avant » jusqu’à ou « en arrière » jusqu’à , en nommant et en touchant chacun des nombres dans la séquence. Bien sûr, nous sommes aidés par la conscience d’une certaine régularité dans les noms et nous pouvons nous donner des clés pour savoir quelle place appartient à chacun des nombres. Quand les enfants peuvent réciter de telles séquences, nous disons qu’ils peuvent compter. Compter a habituellement deux sens. On devrait garder présent à l’esprit que le sens introduit ici fait partie de l’entraînement à la langue. Ce « compte ordinal » prépare davantage les enfants à entrer dans les mathématiques. On le considère séparément de la lecture et de l’écriture des nombres parce que les mathématiciens ont choisi l’ordre comme une structure distincte et fondamentale de leur science. Compléter la mise en ordre des nombres jusqu’à ne demande rien de nouveau ; cela prend seulement plus de temps et les cent rangées suivantes prennent plus de place. Mais il n’est pas nécessaire d’y rester longtemps, car cela n’engage qu’une extension d’une prise de conscience bien établie. Dans ce cas, la pratique peut être ressentie comme fastidieuse et ne doit donc

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10 Débuter en mathématiques

pas être imposée. Dès que les nombres à trois chiffres ont été ordonnés, c’est une chose simple que d’étendre l’ordre aux nombres plus grands qui ont été introduits dans la section précédente.

Compter Dans cette section nous nous adressons au deuxième sens de compter, celui qui est appelé par la question : « combien ? ». Nous nous engageons dans cet aspect de compter quand nous avons en face de nous des ensembles d’objets discrets, qui peuvent être séparés de façon perceptible, et quand nous voyons que l’activité de compter ne continue pas indéfiniment mais s’arrête à un certain stade. Quand un ensemble fini est donné et qu’on nous demande combien il contient d’éléments, nous utilisons les notions suivantes : • Nous possédons le premier sens ordinal de compter, le déroulement dans l’ordre de l’ensemble des nombres. • Nous pouvons toucher, pointer, ou alors faire attention aux éléments de l’ensemble d’objets en les considérant chacun à leur tour.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

• Nous pouvons synchroniser deux actions : faire attention aux éléments de l’ensemble et, en même temps, prononcer l’un des nombres dans l’ordre en commençant par « un ». Le passage de l’énoncé d’un nombre de la séquence au suivant doit coïncider avec le passage de notre attention d’un objet à l’autre. • On fait attention à tous les objets, mais à chacun une fois et une seule. Le dernier nombre exprimé lorsqu’on a porté l’attention sur le dernier objet est appelé le « cardinal » de cet ensemble. C’est la réponse à la question : « Combien y a-t-il d’objets dans cet ensemble? ». Un cardinal est aussi un nombre ; tous les nombres peuvent devenir des cardinaux quand ils sont associés à des ensembles de la façon décrite plus haut, mais on peut les considérer pour eux-mêmes comme dans les deux sections précédentes. Nous pouvons trouver certaines propriétés des cardinaux en accomplissant l’acte de compter les éléments de différents ensembles et en observant ce qui se passe. Ainsi on trouve que le choix de l’élément par lequel on commence à compter est sans importance, n’importe lequel fait l’affaire. L’élément sur lequel le compte se termine est également sans importance. Cela signifie qu’à un quelconque ensemble donné on ne peut associer 24


10 Débuter en mathématiques

qu’un seul cardinal. Nous pouvons dire que les cardinaux associés à des ensembles sont « invariants » eu égard aux différentes façons de les trouver ; ils sont indépendants de l’ordre dans lequel on fait le compte. Bien sûr, de nombreux ensembles peuvent avoir le même cardinal, auquel cas nous disons qu’ils ont autant d’éléments ou qu’ils sont équivalents3. Par exemple, en général, la plupart d’entre nous ont autant de doigts et d’orteils que les autres, nous utilisons ce fait constamment quand nous comptons sur nos doigts. Parce que nous pouvons changer la base de numération quand nous comptons oralement, nous pouvons devenir conscients qu’il y a plusieurs façons de nommer le cardinal d’un ensemble. Par exemple, le même ensemble de doigts sur nos deux mains peut avoir les cardinaux suivants : , , , , , , , , , selon que le dernier chiffre à gauche de la verticale du premier tableau est , , , , , , , , , respectivement4. Bien que ceci soit une prise de conscience importante, il n’est pas nécessaire de la forcer chez les élèves qui ont seulement besoin d’avoir en eux la notion qu’il existe des bases de numération et que ces bases changent le nom des cardinaux.

3

N.D.T. autrement dit équipotents. N.D.T. Par exemple, si, dans le tableau de la page , une barre verticale est placée entre le et le , nous compterons ainsi nos doigts : un, deux, dix, onze, douze, vingt, vingt-et-un, vingt-deux, cent, cent un. Ainsi, en base , dans laquelle nous ne disposons que des chiffres et , nous pouvons dire que nous avons doigts.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

La complémentarité Traditionnellement, les opérations d’addition et de soustraction sont nettement séparées. Quand on introduit un algorithme écrit, chacune est traitée en deux étapes : sans, puis avec retenue, en reportant dans le cas de l’addition, en empruntant dans le cas de la soustraction. Bien que les nombres soient toujours lus et écrits de gauche à droite, comme il est d’usage pour un texte en anglais, l’addition et la soustraction sont souvent effectuées de droite à gauche, d’où les complications du report et de l’emprunt. Dès que nous nous demandons s’il y a une façon commune de regarder ces deux opérations, une source commune à leur définition, nous trouvons que ces complications disparaissent, que certaines méthodes traditionnelles n’ont été utilisées que parce qu’on ignorait comment manier l’addition et la soustraction simultanément. Il est clair qu’il est raisonnable d’unifier ce domaine des mathématiques élémentaires si on peut le faire. Cela rend le travail des enfants beaucoup plus facile, le laisse davantage sous leur contrôle et leur permet de le couvrir plus vite. La principale perception requise pour cette unification est qu’un ensemble quelconque peut être subdivisé en deux sousensembles qui, pris ensemble, forment l’ensemble originel, et qui sont tels qu’aucun d’entre eux ne contient un élément de 26


10 Débuter en mathématiques

l’autre5. Chaque sous-ensemble est alors appelé le complément de l’autre dans l’ensemble originel. La complémentarité est la nouvelle prise de conscience que nous voulons forcer chez les débutants. Elle sera une source commune pour le traitement subséquent de l’addition et de la soustraction. *** Nous pouvons considérer la complémentarité très facilement sur l’ensemble des doigts de nos deux mains, en utilisant le fait de plier les doigts comme l’action qui subdivise l’ensemble originel en deux sous-ensembles distincts. Dans la base de numération habituelle, l’ensemble de nos doigts a éléments. Mais les doigts sont différents les uns des autres. Cela nous enseigne que pour le travail que nous allons faire ici nous n’avons pas encore besoin de la notion d’une unité. Elle sera introduite plus tard pour amener de nouvelles prises de conscience qui peuvent fournir un fondement aux mathématiques. En attendant, si nous plions un ou plusieurs doigts, nous pouvons engendrer des sous-ensembles dont les cardinaux peuvent être reliés dans des affirmations qui sont immédiatement évidentes. Par exemple, si nous plions un de nos doigts et que nous comptions les éléments dans les deux sousensembles ainsi formés, nous trouvons que va avec ou que N.D.T. Par exemple, dans l’ensemble des nombres entiers, le sous-ensemble des nombres pairs et celui des nombres impairs sont complémentaires : aucun nombre pair n’est impair et inversement.

5

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

va avec . Si nous utilisons une certaine notation formelle pour traduire nos perceptions en affirmations, nous pouvons nous rapprocher d’une façon de décrire exactement ce que nous avons perçu ; un tel processus est une marque distinctive des mathématiques. Ainsi la perception de la complémentarité cidessus peut s’exprimer par ( , ) ou par ( , ). De même, nous trouvons que va avec et que va avec , ( , ) et ( , )… et ainsi de suite. ( , )

( , ) ( , ) ( , ) ( , )

( , )

( , ) ( , ) ( , )

Ces paires décrivent les compléments dans l’ensemble complet des doigts dans lequel aucun n’est plié. A cet « aucun » nous affecterons le signe qui a déjà été appelé « zéro ». Nous avons donc maintenant deux paires supplémentaires : ( , ) quand aucun doigt n’est plié et ( , ) quand tous les doigts sont pliés. Avec la conscience que l’ensemble tout entier est présent dans chaque paire, nous pouvons dire que ces paires exposent toutes les possibilités de complémentarité dans l’ensemble des doigts. Nous pouvons dire que ces paires sont des façons différentes de montrer que l’ensemble des doigts peut être remplacé par deux sous-ensembles complémentaires, chaque paire indiquant combien de doigts sont levés et combien sont baissés. D’autre part, nous pouvons également dire que toutes les paires sont

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10 Débuter en mathématiques

équivalentes, en utilisant le signe ~ lu « …équivalent à… » ou « …est une autre façon de dire… ». ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) Avec ces onze paires équivalentes trouvées sur nos mains par les opérations de plier ou de déplier les doigts, nous rencontrons la notion fondamentale de paires ordonnées à partir desquelles on peut maintenant développer l’arithmétique élémentaire. *** Un premier développement est dans la prise de conscience que puisqu’il n’y a pas d’obstacle à donner le nom de doigt à chacun de nos doigts, nous pourrions les nommer par l’un quelconque des mots que nous avons rencontrés en nous déplaçant d’une rangée du groupe de nombres à la suivante par l’introduction de cent ou mille. Par exemple, en utilisant cent comme nom pour chaque doigt, l’ensemble complet s’appellerait dix cents et les sous-ensembles un cent, deux cents et ainsi de suite. Cela donne

onze

paires

équivalentes,

telles

que

( , ),

( , )… et ainsi de suite. De la même façon, en utilisant ante comme nom pour chaque doigt, l’ensemble complet serait dixante et les sous-ensembles unante, deuxante et ainsi de suite, donnant onze nouvelles équivalences telles que ( , ), ( , )… et ainsi de suite.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Bien sûr, il y a d’autres noms en français pour unante, deuxante et ainsi de suite. Nous introduisons ici des notions arithmétiques en utilisant un langage uniforme. Cela entraîne l’introduction d’un petit nombre de mots particuliers mais réguliers. Mais nous pouvons aussi rappeler aux élèves que les noms usuels sont employés dans d’autres contextes6. Nous pouvons créer davantage de cardinaux en utilisant plus d’une paire de mains à chaque fois. Par exemple, les doigts d’une paire de mains sont appelés cent et ceux d’une autre paire sont nommés ante. Les paires sont alors reliées en substituant un doigt de la première paire, par exemple un pouce, par un ensemble appelé dixante, représenté par la seconde paire de mains. Les quatre mains sont tendues sur un rang, avec un pouce de la première paire plié en permanence, afin de concrétiser sa substitution par la seconde paire. L’ensemble complet peut maintenant être lu neuf cent dixante.

Différentes manières de montrer quatre.

6 N.D.T. En Français, il revient au maître de faire opérer aux élèves les transformations phonétiques nécessaires pour parvenir, in fine, à ce que les Français disent.

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10 Débuter en mathématiques

Deux manières de montrer quatrante-sept ou quarante-sept.

Des sous-ensembles complémentaires peuvent maintenant être produits en pliant certains doigts. Les noms de ces sousensembles peuvent facilement être lus : par exemple, six cent sixante (soixante) pour les doigts levés, trois cent quatrante (quarante) pour les doigts baissés. Ces compléments, dans les neuf cent dixante avec lesquels nous avons commencé, pourraient s’exprimer par ( , ). On pourrait tendre une troisième paire de mains et la relier avec les deux autres d’une façon semblable. Ainsi, en pliant en permanence un pouce de la paire centrale et en lui substituant l’ensemble dix représenté par la troisième paire, cela nous donne un ensemble complet neuf cent quatre-vingt dix dix. Ici aussi, en pliant certains doigts, nous pouvons engendrer deux sous-ensembles complémentaires auxquels on peut attribuer leurs cardinaux respectifs : par exemple ( , ). L’activité effective consiste à percevoir combien de doigts sont levés – ou baissés – sur chaque paire de mains tour à tour. En commençant par la plus éloignée sur la gauche et en vous déplaçant vers la droite, regardez d’abord ceux qui sont levés,

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

nommez le cardinal correspondant et écrivez la chaîne de chiffres correspondante. Faites alors la même chose pour les doigts qui sont baissés. Nous ne pouvons pas plier plus de neuf doigts sur chaque paire de mains, excepté celle de l’extrême droite, parce que nous avons retiré un pouce à ces paires pour pouvoir les relier à la paire sur leur droite. Ainsi les compléments dans chacune des neuf paires seront des compléments dans neuf. ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) Il n’est pas nécessaire de mémoriser ces compléments dans neuf, ni ceux dans dix. N’importe quelle paire engendre toutes les autres en changeant un doigt à la fois, levé ou baissé, ou inversement. Il est important de s’assurer que les débutants ont cette conscience : cela les aide à être indépendants de la mémoire et cela met l’accent sur la perception qui n’exige pas le paiement d’ogdens. *** Un autre développement de la conscience que nous venons d’évoquer va fournir un moyen d’écrire immédiatement le complément d’un cardinal, quel que soit le nombre de ses chiffres, dans un cardinal formé de suivi d’autant de zéros que comporte de chiffres le nombre dont on cherche le complément.

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10 Débuter en mathématiques

Par exemple, pour trouver le complément du nombre dans , nous considérons chaque chiffre en partant de la gauche et nous écrivons son complément dans neuf, excepté pour le dernier chiffre sur la droite pour lequel nous écrivons le complément dans dix, ce qui donne dans notre cas : . Comme autre exemple, notez la collection suivante de compléments dans arrangés dans un tableau à deux dimensions. ( , ) ~ ( ,

) ~ ( , ) ~ ( , ) ~… ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~… ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~… … Les enseignants suivant le programme décrit jusqu’à maintenant doivent s’attacher à forcer les prises de conscience concernées. L’avantage d’agir ainsi deviendra plus clair dans la prochaine section qui est consacrée à l’addition et à la soustraction. Il sera également nécessaire, avant d’aller plus loin, de déterminer avec les élèves quelle est la pratique dont chacun d’eux aura besoin pour que la complémentarité devienne seconde nature.

Addition et soustraction En commençant par la langue, nous pouvons donner aux élèves une connaissance profonde de l’ensemble des nombres exprimés dans la base ordinaire (ou une autre). La langue peut être

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

étendue davantage par le comptage et la complémentarité, jusqu’au stade où nous pouvons faire le pas important d’introduire les nombres associés à une algèbre, une première entrée dans les mathématiques en tant que telles. Les nombres sont des mots parce qu’ils apparaissent à notre conscience comme des adjectifs7. Ils gagnent la propriété que nous avons appelée « cardinale » par la conscience simultanée que leur association avec des ensembles d’objets quels qu’ils soient, sera désormais toujours présente. Ainsi, les cardinaux sont ici compris comme des nombres associés à des ensembles discrets. Pour engendrer les nombres dans le sens utilisé par les mathématiciens, il nous faut ajouter de nouvelles prises de conscience. Celles-ci proviennent d’un autre regard sur la complémentarité, pour voir maintenant quelque chose qui était déjà présent depuis longtemps, mais que nous avions délibérément reporté afin de pouvoir forcer la prise de conscience plus profondément. C’est clairement un changement de conscience qui nous dit que, dans un ensemble donné des doigts des deux mains où tous, quelques-uns ou aucun doigt n’est plié, alors, respectivement, aucun, ou quelques-uns, ou tous, vont être dépliés. Nous pouvons voir les deux sous-ensembles aussi bien que l’ensemble entier, même si ces perceptions sont qualitativement différentes. 7 N.D.T. Anciennement appelés adjectifs numéraux cardinaux, ces mots sont considérés aujourd’hui comme des déterminants, et plus particulièrement comme des déterminants quantifiants.

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10 Débuter en mathématiques

Maintenant, si nous percevons les deux sous-ensembles dans l’ensemble entier, nous pouvons dire qu’ensemble ils forment l’ensemble total, et nous pouvons appeler cette perception addition. Pour rendre ceci plus concret, nous introduisons une nouvelle

notation,

en

remplacement

des

paires

entre

parenthèses avec lesquelles nous avons précédemment nommé les sous-ensembles complémentaires. Le signe + est employé pour caractériser notre nouvelle conscience et désormais il sera le signe de l’addition. Nous pouvons maintenant transférer tout le travail effectué dans la section sur la complémentarité en termes d’addition. Mais il y a une autre prise de conscience tout aussi aisément disponible, quand nous voyons les doigts pliés comme ayant été « retirés » de l’ensemble complet. Dans ce cas, nous mettons l’accent sur la relation entre le sous-ensemble plié et l’ensemble complet. Cette conscience diffère clairement de celle de l’addition : nous l’appelons soustraction. De l’ensemble complet nous avons « soustrait » le sous-ensemble plié, qui n’est désormais plus perçu comme partie de l’ensemble complet. ***

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Bien que l’addition et la soustraction soient des consciences tellement différentes de la même situation, elles sont liées par une source commune, celle de la complémentarité. Nous pouvons donc dire que c’est seulement une question de conscience qui nous fait accentuer l’addition ou la soustraction dans une situation donnée. Par exemple, quand nous observons les deux sous-ensembles, nous pouvons remarquer que nous avons un choix pour nommer les paires, soit que nous commencions par l’ensemble plié ou par le déplié. Nous pouvons aussi sentir qu’il n’y a pas de raison de commencer avec l’un plutôt qu’avec l’autre. Une fois qu’une telle indifférence est devenue un fait de conscience, on peut la qualifier : nous disons, en employant un terme technique employé

par

les

mathématiciens,

que

l’addition

est

commutative. Cette conscience s’exprime dans une écriture comme A + B ~ B + A, où A et B sont les noms des deux sousensembles, et notre indifférence apparaît dans le signe ~ qui, ici aussi, peut se lire « est une autre façon de dire ». Evidemment, tel n’est plus le cas lorsque nous mettons l’accent sur la conscience qui conduit à la soustraction. Car alors nous mettons en contraste l’ensemble des doigts pliés avec l’ensemble complet, et là, il n’y a aucun choix. Ainsi, tous les débutants peuvent comprendre que nous ne pouvons pas dire que la soustraction est commutative parce qu’elle ne l’est pas. Mais il y a un autre aspect sur lequel nous pouvons attirer l’attention. Si

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10 Débuter en mathématiques

nous écrivons A pour le sous-ensemble des doigts pliés, B pour celui déplié, et X pour l’ensemble complet, alors B représente aussi « ce qui reste quand A est retiré ». Nous pouvons exprimer cette conscience par B ~ X–A. En raison de notre indifférence en ce qui concerne les deux sous-ensembles qui forment X, la dernière affirmation peut aussi en suggérer une autre : A ~ X – B. Nos prises de conscience jusqu’à maintenant peuvent se résumer dans les expressions suivantes : X ~ A + B ou X ~ B + A et A + B ~ B + A A ~ X – B ou B ~ X – A Ces expressions peuvent être pratiquées aussi longtemps que cela semblera nécessaire en utilisant les cardinaux des ensembles impliqués. Par exemple, à partir de ~ + , nous pouvons également dériver ~ + , ~ – , ~ – , et ainsi de suite. Cette façon de travailler élimine entièrement le besoin de « rabâchage » pour mémoriser les soi-disant faits de l’addition ou de la soustraction. Quand les élèves comprennent comment la notation découle de leur perception et comment les cardinaux employés sont liés les uns aux autres, ils savent qu’ils peuvent générer les affirmations qu’ils font au lieu de se les rappeler. Cette sorte d’indépendance et d’autonomie fait naître la responsabilité. *** 37


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Notre étude de la complémentarité et des deux « opérations » d’addition et de soustraction s’est servie de nos mains parce qu’on les a tout le temps « sous la main » et qu’on ne les oublie jamais. Mais si nous passons à un ensemble quelconque d’objets, tels que des points sur du papier, des grains de riz, ou n’importe quels autres objets séparables qui peuvent être comptés, nous pouvons encore facilement forcer la prise de conscience de l’ensemble complet et des très nombreuses façons dont

on

peut

le

subdiviser

en

deux

sous-ensembles

complémentaires. C’est cette conscience qui peut être traduite en relations générales où les nombres sont remplacés par des lettres. Ces lettres ne sont pas des nombres « généralisés », bien qu’un jour elles pourront apparaître ainsi. Leur apparition dans les expressions écrites sert à changer la focalisation, à passer des nombres qui varient aux opérations impliquées, et ainsi à forcer la prise de conscience de l’algèbre derrière ces relations. Le travail avec les élèves peut maintenant s’orienter ou bien vers la dynamique mentale générale qui produit de nouvelles prises de conscience, ou bien vers certains exemples particuliers qui peuvent être obtenus en utilisant les relations impliquées. Les élèves seront alors capables de générer pour eux-mêmes des ensembles complets de cas particuliers, par exemple les tables spécifiques contenant les « faits » d’addition ou de soustraction, plutôt que de les recevoir comme un savoir donné par

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10 Débuter en mathématiques

l’enseignant. Il est possible que les élèves n’aient pas effectivement besoin d’écrire les ensembles complets, car les mathématiques appartiennent à l’esprit : tout ce qui est exigé est une compréhension de la manière dont des faits particuliers peuvent être engendrés quand c’est nécessaire. Nos élèves deviennent alors des mathématiciens plutôt que des champions de la mémoire.

Les nombres Comme une illustration supplémentaire de ce que l’on peut maintenant facilement tirer des nouveaux fondements que nous avons établis, considérons toutes les paires équivalentes de compléments dans divers nombres cardinaux que nous pouvons produire, comme nous l’avons fait pour les compléments dans : par exemple, les compléments suivants dans , et ainsi de suite jusqu’à … ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ( , ) ~ ( , ) ~ ( , ) ( , ) ~ ( , )

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

… et les mêmes lus dans l’autre sens. Dès que de tels ensembles de paires sont produits, on peut les intégrer dans des relations existantes pour produire une nouvelle conscience. En utilisant la notation pour l’addition que nous venons d’introduire, nous pouvons écrire toutes les façons dont un cardinal particulier, par exemple , peut être exprimé comme une addition de deux autres. Par exemple + , mais notons maintenant que le dans cette dernière expression peut être remplacé par l’addition équivalente + . Cela donne une expression supplémentaire + + équivalente à . Ces additions équivalentes sont appelées des partitions, dans le cas présent, celles de . Comme illustration de notre nouvelle conscience, considérons l’ensemble complet des partitions de chaque cardinal jusqu’à . Cela sera suffisamment typique pour permettre aux élèves qui le désirent, d’aborder les ensembles plus encombrants pour de plus grands cardinaux. Le cardinal n’a que lui-même pour partition. Le cardinal a partitions : lui-même et + . Le cardinal a quatre partitions : , + , + et en remplaçant le par sa partition + , nous obtenons la nouvelle partition + + . Nous pouvons alors trouver partitions pour et seize partitions pour de la même façon.

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10 Débuter en mathématiques

Chacun de ces ensembles complets de partitions forme une nouvelle entité que nous appellerons un nombre. Nous emploierons ce nom pour signifier que nous sommes conscients d’une classe d’additions équivalentes, une classe d’équivalence en ce qui concerne l’addition, qui fournit une richesse de relations qui peut être évoquée selon les besoins.

+

+

+ +

+

+

+ +

+ + +

+

+ +

+

+ +

+

+ +

+ + +

+

+ +

+ + +

+

+ +

+ + +

+

+ +

+ + +

+ + + +

+ + + + Quand nous écrivons le signe , nous nous occupons d’un numéral isolé. Quand nous associons ce numéral à des 41 43


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

ensembles, alors devient un cardinal, le cardinal des ensembles. Quand nous sommes sûrs que peut déclencher n’importe laquelle de ses partitions à tout moment, alors il est devenu un nombre, parfois appelé de façon plus spécifique un nombre entier ou un entier. Dans cet usage, les entiers sont des façons abrégées de se référer à des entités compliquées. Les entiers sont des classes, des ensembles complets de partitions. Ces classes sont engendrées successivement en remplaçant les partitions dans les classes précédentes par les additions équivalentes de toutes les façons possibles, comme on l’a illustré plus haut. Notons que les remplacements doublent le nombre des partitions dans chaque ensemble complet successif. Ainsi, pour les entiers, une grande partie de ce qui est impliqué reste latent : nous sommes dans un nouvel état d’esprit, celui où les relations potentielles sont maintenant implicites. Il n’y a aucun besoin de rendre ces relations explicites, sauf pour avoir accès à leur totalité et être alors capable d’aller à celle dont on a besoin pour un quelconque défi particulier. Cet état d’esprit est celui qui caractérise les mathématiciens. Ainsi, nous avons fait beaucoup pour les élèves à l’aide du petit peu qui a été traité dans ce chapitre. Ce beaucoup et ce peu sont tous deux des prises de conscience, comme le sont les relations entre elles. *** 42


10 DĂŠbuter en mathĂŠmatiques

Les partitions sont fondÊes sur l’addition ; nous considÊrons maintenant ce qui se passe quand nous permettons à la soustraction d’être en même temps prÊsente à nos esprits. De chaque addition de la forme A + B ~ X nous pouvons produire deux soustractions, A ~X – B et B ~ X – A. D’oÚ, à partir de notre ensemble de partitions, qui sont des additions Êquivalentes, nous pouvons produire des soustractions Êquivalentes. Par exemple, de ~ + nous pouvons dÊriver : ~ – et ~ – et ainsi de suite indÊfiniment.

Les tables de partitions, si grandes soient–elles, demeurent limitĂŠes, nous pouvons dire finies. Les sĂŠquences de paires de soustractions ne finissent jamais, il est d’usage de dĂŠcrire cela en disant qu’elles sont infinies, bien qu’il semble plus appropriĂŠ de les appeler indĂŠfinies Ă ce stade de conscience. Tout entier implique maintenant une classe d’Êquivalences de soustractions, indĂŠfinie, autant qu’une classe d’Êquivalences d’additions, finie. Ce qui importe ici c’est que nous avons ĂŠnormĂŠment augmentĂŠ les contenus des esprits de nos ĂŠlèves, sans craindre la confusion, car nous avons ĂŠtĂŠ très attentifs Ă distinguer les

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

objets séparés produits par la conscience des prises de conscience. Les fondements des mathématiques reposent sur les prises de conscience qui vont finalement devenir des « axiomes » et des « termes logiques ». Nous n’essayons pas ici de produire un système axiomatique parce que nous avons déjà son équivalent en termes de prises de conscience qui sont aussi complexes pour le débutant que pour les mathématiciens sophistiqués au travail. C’est une tâche particulière et distincte que de remplacer la dynamique vivante qui remplit les esprits des apprenants par un système formel, rigide, a priori, qui serait apprécié pour des raisons culturelles, et non pour la lumière qu’il pourrait apporter sur le fonctionnement de l’esprit quand il fait des mathématiques. *** Nous allons consacrer le reste de cette section à voir comment rendre les élèves certains que lorsqu’on leur demande d’additionner ou de soustraire une paire d’entiers, ils savent précisément quoi faire et sont capables de le faire vite et sans aucune possibilité de se tromper quand ils restent présents au problème. Pour obtenir la réponse à un problème – tel que additionner a à b, ou soustraire a de b, nous devons respecter les étapes suivantes :

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10 DĂŠbuter en mathĂŠmatiques

• Inspecter le problème pour savoir exactement ce qu’il demande. • Nous retenir de donner une ÂŤ rĂŠponse Âť, Ă moins qu’elle

ne

soit

ĂŠvidente

et

qu’elle

vienne

immÊdiatement comme, par exemple, lorsqu’on trouve des complÊments. • Transformer

le

problème

par

les

moyens

disponibles – les Êquivalences – en une forme oÚ la  rÊponse  puisse être lue à vue. Puisque

les

simultanĂŠment

nombres conscients

sont des

impliquĂŠs, classes

nous

sommes

d’Êquivalence

des

additions et des soustractions. La transformation par Êquivalence modifie la forme donnÊe jusqu’à ce qu’elle donne une rÊponse par examen immÊdiat. Ainsi, quand la forme donnÊe est une addition, nous passons de l’un des nombres à ajouter – appelÊ terme de la somme – à un composant qui pourrait former avec l’autre terme de la somme, un nombre avec autant de zÊros que possible. Par exemple, pour + , nous choisissons un changement du second terme tel que le premier devienne . Ce changement – de – donne la forme + , et, par un autre changement Êvident, cela devient + , d’oÚ nous pouvons lire la rÊponse : .

45 47


La science de l’Êducation Partie La conscience de la mathÊmatisation

Il y a bien d’autres transformations possibles que nous aurions pu choisir. Nous n’avons pas Ă choisir celles qui satisfont simplement nos goĂťts ou nos prĂŠjugĂŠs. L’examen de la paire donnĂŠe va dĂŠterminer si les deux nombres doivent ĂŞtre changĂŠs, ou ni l’un ni l’autre, comme ce serait le cas s’ils ĂŠtaient dĂŠjĂ des complĂŠments ĂŠvidents d’un certain nombre. L’expĂŠrience de telles paires complĂŠmentaires aide Ă choisir des changements utiles quand il faut les faire. L’addition peut alors ĂŞtre effectuĂŠe en commençant par la gauche de sorte que les nombres impliquĂŠs puissent demeurer entiers sans utiliser ÂŤ la technique du report Âť qui est demandĂŠe dans l’addition par la droite. Dans le cas de la soustraction, deux possibilitĂŠs nous sont offertes. Dans la première, nous modifions la paire de nombres en ajoutant ou en soustrayant la mĂŞme quantitĂŠ aux deux nombres, de façon que le plus grand nombre n’ait plus que des zĂŠros après le chiffre de gauche. La rĂŠponse est alors lue comme le complĂŠment du plus petit dans ce dernier. Par exemple : - ~ -

~ - ~ -

~

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10 Débuter en mathématiques

La seconde transformation possible pour la soustraction est de modifier la paire en voyant le plus grand nombre comme formé de deux termes, l’un avec seulement des zéros après le chiffre de gauche et l’autre formé par les chiffres restants. La réponse est alors lue en ajoutant ce reste au complément du plus petit nombre dans celui avec les zéros. Par exemple : – ~ + – ~ + ~ Toutes ces transformations peuvent être écrites, évidemment, sous forme verticale, ceci ne demandant que d’accorder davantage d’attention à un moyen d’indiquer quelle opération est en cause. Par exemple : –

+ –

+

Multiples et inverses Dans cette section, nous considérons les prises de conscience qui seront nécessaires à ceux qui ont assimilé le contenu de la section précédente pour aborder la multiplication des entiers. La section suivante va remplir cette tâche, tout en introduisant la division dans le même cadre.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Lorsque nous avons introduit les entiers, il ne fut pas alors nécessaire de comprendre une certaine propriété, sur laquelle nous voulons maintenant attirer l’attention des lecteurs. Puisque les « numéraux » sont des mots, cela n’a pas beaucoup de sens de dire que chacun d’entre eux est constitué « d’unités égales ». Dans une structure d’ordre induite dans les « numéraux », cela a un sens de dire que vient après lorsqu’on compte « en avant » à partir de , ou même que vient après lorsqu’on compte « à l’envers ». Mais cela n’a pas de sens de dire que est « plus grand » que ou que est « plus petit » que . Mais quand nous nous déplaçons des « numéraux » aux nombres cardinaux, de façon que les ensembles soient tangibles, le mot « après » peut en effet être remplacé par « plus grand » et « avant » par « plus petit », parce que les éléments auxquels se réfèrent les « numéraux » sont des objets réels. Bien que ceux-ci n’aient pas à être égaux car les doigts, les grains de riz, les pommes… sont tous différents, la perception spatiale nous assure qu’il y a « plus d’objets » dans un ensemble de que dans un ensemble de et « moins » quand nous retournons l’affirmation. Ce qui signifie, également, que nous pouvons uniquement soustraire un nombre plus petit d’un plus grand. Quand nous écrivons a – b, nous impliquons que a est plus grand que b, ce qui s’écrit a > b, ou que b est plus petit que a, ce qui s’écrit b < a.

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10 Débuter en mathématiques

Passer aux entiers n’est possible que si nous introduisons la notion d’une unité et que si nous exigeons que les unités dans toutes les partitions soient égales, ou des répliques de l’une d’entre elles. Ainsi, nous pouvons avoir un nombre indéfini de , tous égaux en ce sens qu’on ne peut les distinguer les uns des autres, sauf par l’ordre dans lequel ils apparaissent dans une quelconque forme écrite. De même, nous pouvons avoir un nombre indéfini de , de et ainsi de suite. Ceux-ci nous permettent d’écrire des expressions telles que + , + + , + + + et ainsi de suite. Cette conscience de l’existence d’unités égales donne aux nombres certaines propriétés auxquelles il n’est pas fait appel lorsque nous utilisons les numéraux ou les cardinaux en tant que tels : nous serons donc capables de faire plus avec les nombres qu’avec les numéraux ou les cardinaux, par exemple, les engager dans des opérations algébriques. *** Appelons (N) l’ensemble des entiers obtenus en comptant à partir de et en avant. Bien que le travail suivant puisse être fait dans n’importe quelle base de numération, nous limiterons notre discussion au système ordinaire. L’ensemble (N) peut être produit comme une séquence d’additions successives d’une unité au terme précédent. De telles additions deviendraient vite encombrantes à exprimer, puisque par exemple le quatrième

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

terme devrait s’écrire (( + ) + ) + . Nous pouvons indiquer la génération de la séquence plus facilement en utilisant une flèche « » surmontée du signe « + » pour signifier ajouter et en écrivant les résultats des utilisations successives de cette opération. (N) Ici et ailleurs, les trois points indiquent que la séquence continue indéfiniment. L’ensemble indéfini (N) peut s’écrire simplement et plus succinctement comme suit : (N)

En partant de (N), nous pouvons dériver une autre séquence appelée ensemble des entiers impairs et désignée par (Ni) commençant par et en sautant un terme sur deux : (Ni) … Le complément de cet ensemble dans (N) est appelé ensemble des entiers pairs et désigné par (Np). (Np)

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10 Débuter en mathématiques

Tous deux, (Ni) et (Np), ont la propriété que n’importe quelle paire consécutive d’entiers diffère de deux unités, unités qui restent égales pour des paires consécutives ; ainsi tous deux pourraient être engendrés par des additions successives de deux unités, en commençant respectivement par et par . Si nous comparons (Np) et (N), nous trouvons que pour tout élément a de (N), il y a un élément correspondant de (Np) qui équivaut à a+a. Nous écrirons aussi cela comme a en l’appelant le double de a, ou deux fois a, ou deux a, de sorte que l’ensemble des entiers pairs soit vu aussi comme formé des doubles des éléments de (N) ; si bien que nous écrirons aussi (Np) comme ( N). Le changement de conscience de (Np) à ( N) donne une entrée à de nouvelles relations qui peuvent être gardées à l’esprit, conjointement et séparément, selon les demandes d’un quelconque défi particulier. De cette façon, nous enrichissons nos esprits sans alourdir notre mémoire. En plaçant (N) et ( N) l’un sous l’autre, nous pouvons mettre en évidence la relation du doublement qu’il nous faut maintenant distinguer pour la considérer tout particulièrement. La relation peut être exprimée par une flèche vers le bas avec le signe « », lu multiplié par . Les éléments de ( N) sont appelés multiples de . Ces expressions seront aussi utilisées plus tard avec d’autres nombres.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

( N)

(N)

Nous pouvons maintenant regarder n’importe quel nombre et son double pour découvrir que les numéraux démontrent avoir une propriété qui nous aide à trouver le double de n’importe quel entier directement, sans avoir à dérouler la séquence entière depuis le début. Ainsi le double de est , où le double peut être trouvé en doublant les chiffres séparément. Il y a évidemment bien d’autres exemples de cette sorte, mais il y a certains nombres qui ne peuvent être doublés de cette façon et qui nécessitent une nouvelle prise de conscience. Cette nouvelle prise de conscience nous ramène à ce que nous avons fait quand nous avons télescopé des numéraux tels que , et pour créer la forme . Dans le cas des nombres, nous créons un effet semblable en additionnant les nombres composants, de sorte que nous pouvons doubler le nombre en considérant les composants plus facilement doublés : , et . ~ ( + + ) ~ + + ~ + + ~ + ou + ~ 52


10 Débuter en mathématiques

Nous pouvons trouver le double de n’importe quel nombre de cette façon. Mais notons que quand nous écrivons une chaîne de plus de deux termes comme dans , et , nous devons distinguer nettement une commodité d’écriture de la nécessité d’accomplir l’opération d’addition pas à pas. Exprimer l’opération effective dans une écriture qui ait un sens exige des parenthèses et des parenthèses dans les parenthèses; cela peut devenir fastidieux et malcommode comme dans les expressions suivantes : ( ( ( ( + ) + ) + ) + ) ~ ( + ( ( + ) + ( + ) ) ) Ces expressions rendent compte, de façon complexe bien que correcte, de la manière dont les additions doivent s’effectuer. Mais lorsque nous ne sommes pas concernés par l’ordre particulier dans lequel les additions doivent être effectuées pas à pas, nous pouvons nous dispenser des parenthèses par un « abus de langage ». Le sentiment d’un abus peut être adouci grâce à un accord : celui de ne plus exiger que l’écriture d’une addition ne comprenne que deux termes, bien que ceci soit la façon dont nous devons toujours les effectuer8. Nous exprimons cet accord en disant que l’addition est une opération associative. *** 8 N.D.T. La somme ( ) + comprend deux termes, la parenthèse et le , comme la somme + ( ) comprend le et la parenthèse. Même si nous nous accordons à supprimer les parenthèses, effectuer la somme exige que nous commencions à associer deux termes, puis au résultat obtenu le troisième.

53


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Dès que nous pouvons comprendre comment doubler n’importe quel entier, un développement possible qui entraîne une nouvelle prise de conscience est de considérer l’inverse de doubler, que nous appelons diviser par deux. Nous nous y référerons aussi en disant « trouver la moitié de », ou « multiplier par

», et en écrivant «

».

(N)

( N)

Il peut être utile de demander aux débutants de regarder à nouveau les séquences (N) et ( N). Au lieu de nous déplacer des éléments de (N) aux éléments correspondants dans ( N), nous commençons par un élément de ( N) et nous demandons l’élément correspondant de (N). Nous pouvons considérer «

» et «

» – que l’on dit inverses l’un de l’autre –

comme des opérateurs capables de faire quelque chose et auxquels on trouve un sens très précis. Ici, l’acte est de se déplacer d’une séquence à l’autre, « vers le bas » ou « vers le haut ». Les deux opérateurs sont intimement liés, de sorte qu’aucun n’est plus difficile que l’autre : les employer simultanément peut devenir une seconde nature.

54


10 Débuter en mathématiques

On peut donner des exercices à trois niveaux : • Choisir un élément quelconque de (N) ou de ( N) puis déterminer l’élément correspondant, soit en doublant soit en divisant par . Par exemple, doubler , prendre la moitié de . • Choisir deux éléments, l’un dans (N), l’autre dans ( N), et déterminer leur relation : cela peut entraîner une addition ou une soustraction, suivie d’un doublement ou d’une division par selon les choix

effectués,

ce

qui

synthétise

tous

les

apprentissages précédents. Par exemple, relier et : une solution pourrait être : ajouter à pour faire et maintenant diviser par . • Choisir un seul élément, soit dans (N), soit dans ( N), et exprimer sa relation à un élément de l’autre séquence. Cet exercice fournit la base de la résolution des équations linéaires dans l’ensemble des entiers. Par exemple, trouver le nombre qui correspond à doubler , puis ajouter . De tels exercices peuvent être rendus très attrayants pour de jeunes enfants, particulièrement sous forme de jeux sur micro ordinateur, où la partie verbale de notre discussion précédente 55


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

peut être avantageusement ignorée : par exemple, en animant l’écran comme dans le logiciel Visible and Tangible Maths9. *** Un autre développement possible est d’itérer les opérations comme le doublement ou la division par en les répétant sans cesse. Cela ne demande pas de nouvelle prise de conscience mais nous fournit vraiment un matériau nouveau sur lequel travailler. Nous doublons la séquence (N) pour obtenir ( N). Si nous itérons le doublement, nous passons de la séquence ( N) à une séquence que nous pouvons appeler ( N) puis à ( N). Nous n’avons pas besoin d’aller au-delà en termes de ce qui est nécessaire pour les mathématiques élémentaires scolaires, mais évidemment, il n’y a pas de fin aux nouvelles itérations que nous pourrions faire. (N) ( N) ( N) ( N)

… … … …

Dès que ces séquences sont disponibles, une pratique prolongée, avec le genre d’exercices que nous avons suggéré précédemment, fournira aux élèves une bien plus grande 9 N.D.T. Si ce didacticiel reste pédagogiquement valable, il n’est plus disponible: cf. disque , modules , et 4 dans didacticiel d’origine. Notons qu’une partie en a été reprise dans le cédérom Développer la numération, disponible en français chez U.E.P.D.

56


10 Débuter en mathématiques

expérience des multiples et de leurs inverses – ,

,

,

,

,

– et des équations, pour les amener à une

familiarité avec les nombres rarement offerte à ce niveau. Bien que le progrès important réside dans la conscience de l’algèbre derrière tout cela, il est en même temps également possible de faire acquérir des éléments de connaissance tels que les « tables de multiplication » – jusqu’à maintenant pour , et – qui sont considérées comme importantes dans les écoles primaires.

Quand un nombre a dans la première ligne des rangées cidessus est multiplié par n’importe quel nombre b de la première colonne, nous dirons que

est une multiplication, qui donne

un nombre appelé produit, et qui sera situé à l’intersection de la ligne et de la colonne concernées. Les produits dans la table ci-dessus peuvent être regardés de trois façons, et celles-ci peuvent fournir des exercices, par exemple pour des élèves inventant leurs propres défis en équipes de deux. •

~ ? en lisant la réponse à une intersection;

57


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

• ?

~ en lisant la réponse dans la première

ligne; •

? ~ en lisant la réponse dans la première

colonne. Cette récolte est restreinte comparée aux autres, considérables, que nous avons engrangées jusqu’à présent, mais c’est celle que les tests de connaissances demandent le plus souvent : ici, elle est facilement obtenue au passage. Notez que dans notre pratique jusqu’à maintenant,

est

« b… fois a ». Mais ce terme de (bN) est aussi le résultat d’additions successives de b, c’est-à-dire « a… fois b », qui est représenté par

, d’où

~

, une symétrie qu’on peut

avoir déjà remarquée par exemple dans ~ ~ . Nous exprimons cette symétrie en disant que la multiplication est commutative. Dans notre pratique, cela veut dire que les multiples de a sont aussi des multiplications par a. *** Le doublement a été choisi en premier pour illustrer l’itération à cause de sa fécondité. L’étape suivante dans l’étude des multiples et des inverses peut être choisie en raison de sa facilité.

58


10 Débuter en mathématiques

Les multiples de , et en vérité de tous les nombres écrits avec le chiffre suivi d’un certain nombre de zéros, sont obtenus facilement. Un nombre quelconque multiplié par dix équivaut à ce même nombre de dizaines, que l’on écrit en faisant suivre les chiffres du nombre d’un zéro. Par exemple,

. Itérer

l’opération multiplier par dix un certain nombre de fois signifie alors simplement écrire avec ce nombre de zéros. Les exercices peuvent être menés à bien d’abord en écrivant, puis en lisant ces numéraux : ~ ou « six mille », ~ ou « trois mille cinq cents », et ainsi de suite.

L’itération des opérations comme

,

,

,

, présente

la même algèbre appelée exponentiation, qui est un nouveau domaine de conscience qui peut être développé dans une branche séparée de l’arithmétique avec son propre déroulement ultérieur. Mais ce que nous voulons faire ici est de rendre les élèves capables de développer la façon dont ils regardent les problèmes qu’ils rencontrent pour qu’ils apprennent à résoudre chacun d’eux par l’approche ad hoc la plus simple. Par exemple, puisque nous savons que

, nous pouvons remplacer chaque

multiplication par par les deux opérations

et

, qui ont

déjà été maîtrisées. Une telle transformation algébrique d’un

59


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

problème donné révèle immédiatement une remarquable extension de la conscience : un nombre quelconque ne contenant que des chiffres pairs, multiplié par , donne un nouveau nombre dont les chiffres sont obtenus en divisant par ceux qui sont donnés et en plaçant un zéro à droite de la chaîne. Par exemple, , et il n’y a rien d’intimidant à traiter des chaînes de chiffres pairs plus longues, cela prendra simplement plus de temps. L’algèbre a produit un nombre indéfini de multiples de , tous aussi facilement obtenus que dans l’exemple ci-dessus. Quand les chiffres d’un nombre sont un mélange de pairs et d’impairs, un examen de la séquence peut aider à trouver la forme de sa multiplication par . Puisqu’un nombre pair peut être vu comme un double, il peut être représenté sous la forme a. Donc, un nombre impair peut être représenté sous la forme a+ , ce qui fait qu’un nombre impair multiplié par finira par un . Demander aux élèves de considérer un nombre impair comme « un nombre pair plus » leur fera voir qu’un quelconque nombre impair multiplié par est obtenu en divisant par le nombre pair et en plaçant un à sa droite ; par exemple : ~ ( + ) ~ + ~ + ~ . Ainsi, tous les multiples de peuvent maintenant être obtenus. ( N)

*** 60


10 Débuter en mathématiques

Ensuite, nous considérons les multiples de , qui peuvent être trouvés en ajoutant deux fois un entier à cet entier. Puisque nous avons déjà les séquences (N) et ( N), nous pouvons, par une simple addition, obtenir la séquence ( N). On obtient par doublement ( N) et en doublant encore ( N).

( N)

( N)

( N) Deux nouvelles séquences, celles des multiples de et de , peuvent être obtenues en prenant les éléments de (N) et en les soustrayant de, ou en les ajoutant aux éléments correspondants dans ( N).

( N)

( N)

Des exercices peuvent être faits avec ces lignes, semblables à ceux proposés pour les lignes précédentes, qui pourraient inclure un travail sur les inverses :

61

,

,

,

et

.


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Pour compléter les lignes de multiples jusqu’aux multiples de , il nous reste à produire les multiples de . Nous pourrions trouver l’ensemble indéfini ( N) en utilisant (N) et ( N). Mais au lieu de cela, nous pourrions attirer l’attention des élèves sur les septièmes entrées dans les lignes déjà établies, qui vont contenir certaines multiplications de . Par exemple, ~ . Puisque la multiplication est commutative, celles-ci seront aussi les multiples recherchés de . Par exemple,

x

.

*

Nous pouvons insérer l’entrée manquante en calculant comme + ou - , l’un et l’autre donnant . Cela complète la traditionnelle « table de ». *** En vérité, nous avons maintenant tous les éléments de la table de produits, dite de Pythagore, jusqu’à . Produire cela est une partie très mineure, presque triviale, du riche foisonnement mathématique gagné en utilisant la séquence (N) et celles de ses multiples successifs, obtenus par le doublement et d’autres opérations.

Les

mathématiques

que

nous

avons

faites

remplacent le besoin de mémoriser, qui prévaut tellement dans les écoles primaires, par une activité mentale qui est toujours au niveau des élèves et qu’ils peuvent pleinement comprendre.

62


10 Débuter en mathématiques

L’introduction des « inverses » ou des « équations » et des exercices qui aiguisent le regard mathématique des élèves augmente énormément l’étendue et la profondeur du programme traditionnel. Le fait que nous ayons été capable de le faire indique que mettre l’emphase sur la prise de conscience est beaucoup plus efficace qu’aucune approche qui l’ignore complètement.

Algorithmes de la multiplication et de la division Il a été implicite dans certains des calculs donnés dans la section précédente que les nombres peuvent être exprimés par des additions de certains composants qui sont écrits comme des éléments du tableau de numération de la première section. Ceci nous permet de voir tout nombre comme une séquence ordonnée de produits, chacun composé d’un nombre à un chiffre multiplié par « une puissance de ». Par exemple : ~ + + . La phrase « une puissance de » est une autre façon de décrire un nombre qui s’écrit avec un suivi d’une chaîne de zéros. Ainsi, au lieu de qui a trois zéros nous écrirons aussi « troisième puissance de » ou « à la puissance » et nous écrirons

. Quelques exercices

montreront que tout cela est assez clair, par exemple : ~ ?, ~ ?, ~ ?, et ° ~ , cette dernière expression étant

63


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

une extrapolation des autres dont on peut considérer pour le présent qu’elle n’a de sens que comme pure notation. Une séquence d’additions de multiples de puissances s’appelle un polynôme. Pour obtenir la forme polynomiale d’un nombre quelconque, nous prenons le numéral correspondant et nous le lisons comme une séquence des éléments des rangées du tableau de numération. Par exemple : est lu comme , , , . Nous récrivons alors la chaîne en utilisant des signes + puis des puissances de .

est lu « , , , » ~ + + + ~ + + +

Nous avons déjà utilisé subrepticement cette forme polynomiale dans la section précédente, par exemple quand nous avons doublé un nombre en doublant les chiffres séparément. Ceci est maintenant exigé explicitement, afin d’être capable de multiplier chaque entier par un autre. Ceci entraîne une nouvelle prise de conscience que les mathématiciens ont appelé la loi de distributivité. En fait, une deuxième prise de conscience s’ensuit aussi, l’inverse de la première, appelée la mise en facteurs ou factorisation. Il est important de ne pas reporter cette opération inverse, parce qu’en mettant l’accent sur le langage et l’algèbre, 64


10 Débuter en mathématiques

nous

pouvons

traiter

toutes

les

opérations

inverses

simultanément, comme nous l’avons déjà fait dans le cas de l’addition et de la soustraction, ou des multiples et des inverses. Mais comme nous n’avons pas besoin de l’inverse dans le contexte actuel, nous nous concentrons ici sur la loi de distributivité. Nous pouvons employer différentes approches. Nous pouvons utiliser les réglettes colorées, comme cela a été montré dans diverses publications spécialisées, telles que Mathematics With Numbers in Color, livres à . Quand les équipements appropriés

sont

disponibles,

nous

pouvons

utiliser

les

graphiques sur ordinateur comme dans Visible and Tangible Mathematics10, et cela est préférable car il est alors plus facile de forcer la prise de conscience. Dans l’un et l’autre cas, nous représentons un produit par la surface d’un rectangle, mais notez que nous n’employons les surfaces que pour fournir un support intuitif à une certaine conscience algébrique en mathématiques, nous ne prenons pas la notion de surface comme une notion première. Avec les réglettes, nous commençons par faire un « train » de réglettes

de

différentes

couleurs

pour

communiquer

instantanément que l’une des dimensions du rectangle qui va représenter un produit est une somme de longueurs. En plaçant N.D.T. Voir note N° : cf. disque , programme . ., dans didacticiel d’origine. 10

65


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

un certain nombre de répliques du train côte à côte, on élargit le rectangle, ce qui le rend plus perceptible. Celui-ci peut alors être vu comme composé de rectangles plus petits, tous ayant une dimension commune qui peut être représentée par la longueur d’une réglette.

+

+

En désignant la dimension commune par p et les longueurs des réglettes du train par a, b, c, etc., notre perception peut s’écrire comme suit :

A gauche, le signe + représente une addition de longueurs alors qu’à droite il représente l’addition des surfaces. Cela ne doit pas prêter à confusion, puisqu’à la fois les longueurs et les surfaces sont des nombres dans le travail que nous faisons ici. Il est clair que p a été distribué à a, b, c : cela nous indique pourquoi la loi de distributivité est ainsi nommée. D’autre part, une lecture algébrique dans l’autre sens peut être vue comme le choix d’un « facteur commun » p.

66


10 Débuter en mathématiques

Si nous utilisons plus d’une réglette pour représenter la seconde dimension – la largeur – de notre grand rectangle de réglettes, alors nous remplaçons p par p+q, et les produits de droite de l’équivalence

ci-dessus

peuvent

être

remplacés

par

« distribution »

On peut adopter une approche semblable en se servant des graphiques sur l’ordinateur. Dans l’un et l’autre cas, la « distribution » est vue comme le remplacement d’un produit originel qui peut être difficile à calculer par une chaîne de produits qu’il peut être plus facile de calculer. *** Evidemment, de nos jours, les « longues » multiplications peuvent s’effectuer de façon moins fastidieuse à l’aide de calculatrices. Mais si nous n’en avons pas ou si, pour une raison quelconque, nous désirons nous en passer, nous pouvons toujours utiliser un arrangement à deux dimensions, dit « notation verticale » qui nous aide à traiter les produits distribués concernés. Traditionnellement en arithmétique, les opérations ont été effectuées en partant de la droite. Mais la lecture et l’écriture des polynômes, et l’action de la loi de distribution, se font par la

67


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

gauche. Donc, nous développons d’abord une routine de multiplication par la gauche ; et ensuite, pour satisfaire à la tradition, nous réorganisons l’arrangement pour que les élèves puissent aussi travailler par la droite. Les diverses étapes nécessitées, illustrées par un exemple détaillé, sont énumérées ci-dessous : • Etre conscient de la distribution effectuée sous sa forme horizontale de gauche à droite comme vu plus haut.

+ + + + + + + + + + +

• Transformer en une forme verticale (voir plus loin) avec les produits partiels calculés alignés et ordonnés, en commençant par le plus grand, c’est-àdire le premier à gauche dans la forme horizontale. • Minimiser le nombre de produits partiels en additionnant tous ceux qui ont le même nombre de zéros à droite. • Additionner les produits partiels pour obtenir le produit unique demandé.

68


10 Débuter en mathématiques

• Récrire la procédure entière en inversant l’ordre vertical des produits partiels ; ceci est équivalent à multiplier maintenant par la droite.

69


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

• Abréger les calculs écrits en ignorant tous les zéros à droite qui indiquent la puissance de dans chaque produit partiel mais en s’assurant que les chiffres restant,

dits

« significatifs »,

qui

peuvent

comprendre des zéros, sont alignés correctement. Cette routine, appelée algorithme de la multiplication dans un programme traditionnel, peut être pratiquée avec les élèves jusqu’à ce que soient bien clairs le sens et les étapes de chacune d’elles, particulièrement pour la dernière forme abrégée. *** Nous pouvons considérer la division comme le processus inverse de la multiplication. Pour tout entier n appelé diviseur, nous nous demandons par quel nombre il faut le multiplier pour obtenir un entier N donné plus grand, appelé dividende. La réponse, appelée quotient, est également dite : le nombre de fois que le diviseur n « va dans » le dividende. En général, le quotient n’est pas un entier, mais nous commencerons en choisissant n et N de façon qu’il le soit. Pour développer un algorithme de division nous forçons la conscience d’une nouvelle lecture des séquences de multiples. Considérons (N) l’ensemble ordinaire des entiers, et (nN) l’ensemble des multiples d’un certain diviseur n.

70


10 Débuter en mathématiques

(N) (nN)

n

n

n

n

n

n

…?… …?…

Nous pouvons explorer la seconde rangée (nN) jusqu’à ce qu’apparaisse le dividende N. Le quotient demandé est alors l’entier qui est au-dessus de lui dans la première rangée (N) alignée. Avec des choix convenables de n et N, il est toujours possible, par cette procédure claire, mais lente, de trouver le quotient de la division de N par n que nous écrirons N÷n, (ou en anglais,) ou

en français.

La façon la plus aisée de réduire la longueur de la procédure décrite ci-dessus serait d’utiliser des multiples de n qui puissent déjà être connus, par exemple : n . Dès que les élèves savent que le défi est maintenant de raccourcir la procédure, ils vont suggérer leurs propres « quotients partiels ». Ils peuvent alors n’écrire que ces entiers de (N) et de (nN) qui vont les rapprocher de plus en plus de N. (N) (nN)

… …

x n

x n

… …

… …

?

Mais puisqu’ils connaissent N et n qui sont donnés, ils peuvent économiser du travail en réduisant N, en lui soustrayant les multiples de n qu’ils connaissent et trouvent faciles à utiliser. Cette conscience leur permet de retenir de (N) et (nN) uniquement ces entiers qui sont des « quotients partiels réels »,

71


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

qui correspondent à une partie de N que nous pouvons soustraire par avance. Ceci peut être illustré par un exemple, disons, ÷ .

(N) ( N)

+ +

+ +

?

Ici, le dividende a été approché par les multiples , puis , qu’on a utilisés deux fois. On ne retient que leur somme dans (nN). Nous avons ~ , de sorte qu’il ne nous reste plus qu’à nous occuper des dans le dividende et cela peut se trouver d’une manière semblable, de sorte qu’à la fin nous avons ÷ ~ + + ~ . (N) ( N)

Ce qui est important ici, c’est que les élèves utilisent ce qu’ils connaissent et qu’ils ont maîtrisé ; que chaque étape remplace une division par une autre dans laquelle le dividende est plus petit et peut être plus facile à traiter, et que, bien qu’il n’y ait

72


10 Débuter en mathématiques

qu’une seule réponse, il y aura différents chemins individuels vers elle. - - -

- -

(quotients partiels)

L’enregistrement en notation verticale peut rendre la conscience plus aiguë. L’apparition du zéro à la fin de la division en notation verticale est le signe que le choix de n et N était tel qu’il y a un quotient entier q tel que n q~ N. Clairement, si le choix du dividende avait été, disons, plus grand d’une unité, la dernière soustraction donnerait . Tout entier qui vraiment subsiste à la fin est appelé le reste, habituellement indiqué par r ; ainsi pour

÷ nous obtenons à nouveau comme quotient mais nous avons un reste de et nous écrivons :

÷ ~ r .

73


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Dans la routine traditionnelle, les enseignants insistent pour que les élèves trouvent les « meilleurs » quotients partiels en utilisant la plus grande puissance possible de dix à chaque fois. Dans l’exemple ÷ ce meilleur premier quotient serait ; on a l’habitude de ne retenir que le à la place appropriée audessous du diviseur, dans ce cas au-dessous du , et le quotient partiel suivant serait .

De toute évidence, cela demande des quotients partiels et la même séquence d’opérations que précédemment. Mais c’est un fardeau inutile pour l’élève que d’avoir à chercher le « meilleur » pour le « premier ». Simplement, par l’abandon de cette exigence, l’algorithme dit « longue division », retrouve quelque bon sens et peut être maîtrisé en un temps relativement court – très court pour certains élèves.

74


10 Débuter en mathématiques

Récapitulation Ce chapitre a été écrit pour des mathématiciens qui savent déjà tout, mais peuvent n’avoir jamais pensé qu’un nouveau fondement de leur science pouvait s’établir sur le langage. Il a été aussi écrit pour les enseignants des classes élémentaires qui sentent qu’ils sont loin de tout savoir, mais qui aimeraient tant aider leurs jeunes élèves, en particulier les aider à dominer les quatre opérations sur les entiers, à trouver un sens aux divers algorithmes et à cesser de se sentir frustrés et dépendants au point d’être paralysés. Le fondement sur le langage qui est proposé ici n’aurait jamais pu être préféré aux autres tant qu’on n’avait pas trouvé les moyens de rendre les élèves conscients que certaines choses leur sont données mais que c’est principalement leur responsabilité que de croître en conscience et en capacité d’accomplir toutes les opérations correctement. C’est pourquoi il était nécessaire de produire un programme strictement établi, fournissant les détails indispensables, mais aux prolongements évidents laissés aux lecteurs. Ce programme, résumé dans les différents sous-chapitres, a l’air vraiment très différent du programme traditionnel. Mais il satisfait pourtant les besoins des enseignants de l’école élémentaire, car rien de ce qu’ils s’emploient couramment à enseigner n’a été négligé.

75


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

En commençant par la langue, nous tirons avantage de tant d’apprentissages et de tant de façons d’apprendre qui sont manifestement à l’œuvre dans la capacité des élèves à parler leur langue maternelle. En révélant la réalité de la numération comme un défi linguistique, nous donnons aux élèves la chance de prendre le contrôle de ce gros morceau de leur langue et d’atteindre un niveau de compétence égal à celui de n’importe quel adulte instruit. En étendant la numération aux nombres à plusieurs chiffres, jusqu’à quinze, nous forçons la conscience que cela peut être fait facilement et pour un très petit coût en ogdens. En étendant la numération à des bases différentes, nous forçons la conscience qu’il y a des conventions que l’on peut changer facilement. Il n’est pas nécessaire que nous développions ce sujet de façon exhaustive. Il semble important que les jeunes élèves deviennent sensibles aux différentes façons de travailler de leurs esprits. En conséquence, nous invitons les élèves, de temps en temps, à faire ce qui leur semble accessible, même si cela ne leur est pas présenté systématiquement à ce stade. Ceci s’applique non seulement aux bases de numération mais aussi à « la position valeur », à la « transformation » et à « l’équivalence » dont nous savons que les jeunes enfants les rencontrent naturellement dans leur usage de la langue. En plaçant la « structure d’ordre » là où nous le faisons, nous mettons l’emphase sur le fait qu’il n’est pas nécessaire de s’en

76


10 Débuter en mathématiques

soucier dans l’étude de la numération et que cela nous conduit à « compter » au sens oral du terme, qui est une conscience linguistique. L’autre sens de compter, « compter les éléments d’un ensemble », est une activité bien plus complexe et cela justifie qu’on la diffère. Ceci constitue une différence spécifique entre notre fondement de l’arithmétique et les autres. Le second aspect de compter ajoute une nouvelle dimension aux nombres, et donc nous les appelons maintenant « cardinaux ». Un développement en est la « complémentarité » qu’il est facile de présenter en utilisant l’ensemble des doigts de nos mains. Ceci nous donne une remarquable occasion de montrer que la complémentarité est le fondement de l’addition et de la soustraction, chacune d’elle correspondant à une conscience particulière du sous-ensemble des doigts créé en pliant certains d’entre eux. C’est seulement quand l’addition et la soustraction deviennent la source de nouvelles prises de conscience que nous avons besoin de penser que les éléments des ensembles mis en cause montrent une nouvelle propriété, celle d’être liés par leur connexion à une « unité ». Cela signifie que de nouvelles chaînes d’équivalences peuvent apparaître comme d’ « autres façons de dire » ce qui a été dit avant. A ce stade nous avons une « théorie du nombre ». On peut faire des affirmations qui sont vraies à l’intérieur

d’un

certain

univers

d’expérience,

celui

des

« entiers » ; par exemple que chaque entier est équivalent à la

77


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

classe de ses partitions. Celles-ci enrichissent notre conscience du « nombre » au delà de leurs connexions avec les nombres numéraux ou les nombres cardinaux. Les calculs avec les nombres mettent en cause des transformations du donné, de telle sorte qu’il est possible de dire quelque chose au sujet de ce donné en utilisant la dynamique de l’esprit appelée « équivalences ». L’une de ces transformations appelée « trouver la réponse » est très importante à l’école. Mais évidemment ce n’est qu’une partie momentanée du travail de l’esprit, un moment passager, même s’il est parfois le dernier. Une grande partie de ce que l’on pourrait ajouter à ce stade est laissé de côté afin d’introduire une autre paire d’opérations : la multiplication et la division. Ici, nous sommes guidés par la conscience linguistique. Dans un autre programme publié entre et , nous forcions une conscience différente, qui était aussi

valable

pour

l’enseignement

que

celle

proposée

maintenant mais pas aussi rigoureuse mathématiquement. L’ensemble des entiers est regardé d’une façon spéciale pour donner de nouveaux ensembles. Les doubles, doubles de doubles, nous permettent d’appeler les relations mises en cause des « multiplications » et leurs opérations inverses des « inverses » qui deviendront plus tard des diviseurs et des fractions. Seule une très petite partie de ce processus est exigée

78


10 Débuter en mathématiques

pour prendre soin des liens multiplicatifs accentués à l’école sous le nom de « tables de multiplication ». Notre approche conduit aussi à l’appropriation de parties de l’algèbre scolaire dont l’étude est habituellement différée pendant plusieurs années. L’algèbre est un autre nom pour la conscience

de

la

dynamique

mise

en

cause

dans

les

transformations des structures mentales accessibles à tous. Par conséquent, ce programme ne reporte pas à plus tard ce qui peut amener de nouvelles prises de conscience, la simple raison étant que cela n’a pas été fait de cette manière auparavant. Les équations linéaires utilisant les quatre opérations trouvent une place légitime à ce stade, quelques années avant leur introduction traditionnelle. Une autre caractéristique distinctive du programme développé dans ce chapitre est son emphase centrale mise sur la loi de distribution et son inverse, la mise en facteur, qui est exigée pour s’assurer que la multiplication est vue dans toute sa complexité, c’est-à-dire telle qu’elle est affectée par la forme polynomiale des nombres. On peut alors en dériver facilement et sans mystère l’algorithme classique de la multiplication. Le traitement de la longue division rend aussi amicale cette opération souvent redoutée, permettant l’exercice de l’imagination et de la prudence.

79


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Le

cours

pour

micro

ordinateur

Visible

and

tangible

mathematics contient un traitement semblable de la matière de ce chapitre, mais il a l’avantage de montrer comment l’utilisation de l’ordinateur force la conscience sans qu’un mot soit prononcé et laisse les élèves libres de décider de combien de pratique ils ont individuellement besoin pour maîtriser un sujet quelconque.

80


Chapitre Au-delà des entiers : algèbre et langage

Introduction Dans le chapitre précédent, nous avons transformé les numéraux en cardinaux puis en nombres appelés entiers. Dans certains des exercices concernant l’opération de multiplication, nous avons trouvé que l’« inverse » d’un entier pouvait facilement devenir une partie de la langue accessible aux débutants avec un sens clair, celui de la lecture inverse d’une relation entre entiers. Les inverses ont semblé apparaître naturellement dans ces contextes et il n’y avait pas de raison de différer leur introduction. Aussi longtemps qu’il y avait beaucoup à faire avec ces « opérateurs » en tant que tels, nous pouvions porter un regard plus attentif sur la notation pour voir quelles nouvelles prises de conscience elle pouvait suggérer. Mais maintenant 81


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

nous pouvons nous demander, par exemple, si le dans le signe /n pourrait être remplacé par quelque autre entier. Les notations utilisées pour décrire la relation entre, par exemple, les séquences (N) et ( N) sont récapitulées ci-dessous. • De (N) à ( N), l’opérateur est « multiplié par », écrit

; pour tout élément n de (N) l’élément

correspondant de ( N) est « deux fois n » écrit n. Ainsi, il y a deux notations équivalentes :

~

.

• De ( N) à (N), l’opérateur est « multiplié par la moitié », écrit

; pour tout élément n de ( N)

l’élément correspondant de (N) est n. Ainsi, ~ . Mais notons que nous pouvons aussi voir l’élément correspondant de (N) comme « la moitié de » n et nous remplacerons plus tard le « de » par (~fois). La notation s’étend de la même façon aux autres multiples et inverses. Notons que, en général, les multiples sont nommés par « tant de fois », comme dans « fois », à part pour les formes irrégulières comme « le double », ( ), et « le triple »,( ). Qui plus est, les inverses sont généralement nommés en attachant le suffixe « ième » au nom de l’entier correspondant, comme dans

82


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

« le sixième de », excepté pour les formes irrégulières, la « moitié de »,

, le « tiers de »,

, et le « quart de »,

.

Cela fait partie du travail que nous pouvons faire avec ces opérateurs que de découvrir qu’il y a une algèbre qui permet de substituer à deux ou plus de deux opérateurs consécutifs, un seul opérateur. Par exemple peut être remplacé par . Et peut être remplacé par

comme nous l’avons fait en et

formant ( N). De la même façon, à la fois peuvent

être

remplacés

par

et

ainsi

de

suite.

Réciproquement, nous pouvons transformer une opération donnée en une chaîne d’opérations agissant successivement. De plus, nous pourrions traiter des chaînes mixtes de multiplication peut être

et d’inverses de la même façon. Par exemple : remplacé par

et

peut être remplacé par

équivalences suggèrent la possibilité de récrire les nouvelles notations

et

83

. Ainsi,

et

. Ces avec

agit sur les


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

éléments de ( N) pour donner les éléments correspondants de (N) et

agit dans la direction inverse.

(N)

n

( N)

n

En général, donc, nous remplaçons par

et

par

, pour

n’importe quel n. Cela signifie que les expressions et peuvent être représentées par des ensembles infinis de paires d'entiers. Nous pouvons forcer cette conscience nouvelle dans les équivalences suivantes, qui sont écrites sous forme « verticale » :

Toutes les paires d’entiers dans chaque rangée sont des « noms » interchangeables et peuvent toutes être utilisées aussi bien pour nommer les opérateurs ; par exemple,

84

~

. Il y


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

aura des équivalences semblables pour et

et ainsi de suite.

Dans chaque cas, la première rangée introduit une autre façon de regarder un entier, nommément comme une classe de paires ordonnées équivalentes. Pour garder cela à l’esprit nous utilisons un nouveau nom pour la classe elle-même, en l’appelant un nombre rationnel. Cela amène un aperçu plus profond du développement des entités qui sont écrites à l’aide d’un signe, mais qui portent des prises de conscience différentes. Qui plus est, la nouvelle notation force une nouvelle prise de conscience : puisque la seconde rangée ci-dessus est aussi une classe de paires ordonnées équivalentes, nous pouvons aussi l’appeler un nombre rationnel. Ainsi les signes

,

,

et ainsi

de suite, qui ne sont pas encore apparus par eux-mêmes, sont maintenant pris aussi pour désigner des nombres rationnels. Une fois habitués à cette nouvelle notation, nous pouvons laisser tomber le mot « rationnel » et parler simplement de nombres, jusqu’au moment où il se peut qu’une autre conscience demande un qualificatif supplémentaire temporairement. Par exemple, à la fin de ce chapitre, certains nombres seront davantage distingués

comme

n’étant

pas

rationnels

et

donc

« irrationnels ». Notons que les noms utilisés traditionnellement ici signifient « avec ratio » ou « sans ratio » et ne se réfèrent pas au sens de tous les jours, « raisonnable » ou « déraisonnable ».

85


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Dans certains contextes, les ensembles de paires ordonnées d’entiers sont aussi appelés fractions. Bien que nous allions continuer à utiliser ce mot pour préciser le genre de nombres qui nous concerne, quand nous le ferons ce ne sera pas par référence à l’étymologie qui met l’emphase sur le fait que ces nombres sont d’abord apparus lorsqu’un tout et un fragment de ce tout étaient considérés simultanément. Tant de confusion dans l’étude des fractions, rencontrée dans les classes élémentaires, et même plus tard, peut être imputée à la difficulté de faire fonctionner « un morceau de quelque chose » comme un opérateur.

L’algèbre en tant qu’opérations sur des opérations Dans le chapitre précédent, nous avons trouvé que l’addition et la soustraction peuvent être utilisées ensemble aussi bien que séparément, comme solution à certains problèmes arithmétiques. Nous avons aussi trouvé que la multiplication pouvait se fondre avec l’addition, la soustraction et l’inversion pour produire des « équations linéaires ». Dans chaque cas, deux opérations ont été remplacées par une seule et réciproquement ; nous avons opéré sur des opérations. Cet aspect était présent dans les esprits des fondateurs de cette branche des mathématiques appelée historiquement algèbre

86


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

mais il était rarement utilisé consciemment. La racine arabe du mot se réfère au saut d’un certain nombre d’un côté de la relation à l’autre. Il ne subsiste rien de cette intuition dans notre présentation. Dans la science de l’éducation, qui est fondée sur la conscience, nous prenons l’algèbre comme se référant à une activité mentale plutôt qu’à son contenu strictement historique et mathématique. Les intellects humains manipulent de nombreuses notions et peuvent produire de nouveaux aspects qui, lorsqu’ils sont isolés, peuvent devenir des notions autres, peut-être nouvelles. Si, au lieu de regarder ces aspects, nous devenons conscients des dynamiques derrière eux, alors nous accentuons quelque chose qui est présent dans l’esprit, qui peut être ressenti comme les dynamiques qui soutiennent le processus mental. Nous disons que nous devenons conscients de l’algèbre, ou des algèbres, qui compose(nt) ces dynamiques mentales. Ainsi, pour nous, l’algèbre est une autre façon de parler des dynamiques mentales nécessaires pour transformer un certain donné mental en une autre forme mentale, qui est maintenue en relation avec la première. L’algèbre va apparaître dans les mathématiques, qui sont une activité mentale, à côté d’autres activités mentales comprenant des nombres, des images, des ensembles pour des entités complexes perçues comme des totalités appelées structures. L’algèbre, comme les dynamiques de l’esprit, devient alors, et peut être vue dans des objets

87


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

spécifiques comme les équations, les polynômes, les tableaux organisés et ainsi de suite. Ces nouvelles réalités que l’on peut aisément distinguer et qui peuvent être reliées les unes aux autres par des moyens créés par les esprits qui les entretiennent sont appelées des entités algébriques. Il y a un grand avantage à étendre le sens du mot « algèbre » de façon à être capable d’accentuer le fait qu’il concerne principalement des dynamiques mentales, plutôt que seulement des opérations mathématiques. Cela remet les mathématiques dans leur contexte correct, qui est mental et concerné par des relations entre prises de conscience. D’autre part, cela nous permet de trouver l’algèbre où qu’elle soit, par exemple dans les processus qui conduisent à la production de la langue, ou à la maîtrise de la lecture, qui ne semblent pas à priori avoir grand chose à voir avec l’algèbre prise dans son sens traditionnel. Mais, plus que tout le reste, cela change les nouveaux arrivants en mathématiciens. Ceci est une notion nouvelle en éducation et nécessite un peu d’élaboration. Les mathématiciens sont des spécialistes ; ils comprennent parfois très peu de ce dont parlent les autres mathématiciens. Cependant, il ne s’ensuit pas qu’ils ne puissent pas faire du bon travail dans leur domaine particulier d’intérêt et d’activité. Si nous acceptons que cela est vrai pour chacun, nous devrions être capables de regarder leur capacité à travailler et la qualité de leur engagement, dans un domaine

88


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

particulier, et de juger si chaque personne est indépendante, autonome et responsable dans ce domaine. De ce point de vue, les professeurs de mathématiques peuvent dire si tel ou tel élève est aussi bon qu’eux dans un champ particulier. Puisque le travail, grâce à la conscience, mène à la maîtrise à chaque pas, si petit soit-il, les professeurs peuvent dire encore et encore : « Là, vous êtes aussi bons que moi ». En fait, notre préoccupation mettra les apprenants face à leur propre activité, en réduisant la mémorisation au minimum, à savoir à ce qui ne peut être inventé, en donnant autant d’exercice que chaque élève en a besoin, et en permettant une étude complète d’un domaine de travail au sujet duquel les élèves sauront parler avec aplomb, mais seulement de ce qu’ils savent et qu’ils sont sûrs de savoir. Par exemple, dans notre étude de l’addition, nous avons forcé la conscience que lorsqu’un problème est donné, sa forme peut être modifiée en une forme d’où la réponse est simplement lue. Les transformations qui le permettent sont des opérations mentales comme pour les mathématiciens. Ces opérations mentales

comprennent

plus

que

les

quatre

opérations

traditionnelles de l’arithmétique, l’addition, la soustraction, la multiplication et la division. Nous avons déjà rencontré l’itération qui mène à l’exponentiation et la réciproque ou inversion qui mène aux fractions. De plus, nous avons vu

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

comment les expressions équivalentes du langage de tous les jours mènent à « l’équivalence » et de là aux « classes d’équivalence » qui sont l’épine dorsale du calcul. Quand l’équivalence jaillit spontanément dans l’esprit, cela nous autorise à dire qu’en effet, l’algèbre est un autre nom pour les dynamiques mentales. Rendus sensibles à l’équivalence par l’utilisation de la langue, tous les élèves se sentiront à l’aise avec notre insistance sur le fait que les entités que nous rencontrons dans nos cours de mathématique ne sont, pour notre perception, que des éléments isolés. Ceux-ci déclenchent aussi les classes d’équivalence qui les contiennent de telle sorte que la forme correcte exigée par un défi particulier puisse être facilement retenue. Par exemple, / est une chose quand on le voit comme des marques sur du papier, mais c’est une autre chose quand on le voit comme une famille d’équivalences dont chacune des formes est facilement prête à l’emploi. Cela signifie que nous offrons à nos élèves une éducation de leur conscience dans laquelle les changements de focalisation font partie d’une façon très naturelle de travailler. Le donné n’est pas sacro saint, ce n’est qu’un déclencheur pour d’autres formes, peut-être plus appropriées. Ceci est précisément ce que font les mathématiciens, et ce que nos élèves pourraient faire dès le début. Une fois qu’on a compris que l’algèbre est la combinaison, la fusion des opérations – en d’autres termes consiste en des

90


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

opérations sur les opérations – l’approche à adopter face à des élèves confrontés à quelque défi mathématique spécifique semble planifiée pour nous, leurs enseignants.

Additionner et soustraire des fractions Comme exemple d’une telle approche nous considérons brièvement l’addition et la soustraction de fractions. Deux fractions données sont représentées par les paires

et

.

Notre perception ne voit que ces deux formes, mais nos esprits peuvent s’arranger pour évoquer instantanément les deux classes

d’équivalences

auxquelles

elles

appartiennent

respectivement. Avec cette richesse à l’esprit, nous disons à nos élèves qu’afin de faire l’addition et la soustraction, nous devons examiner le sens de ces opérations. Quiconque utilise correctement la langue saura que cela n’a pas de sens d’additionner des objets qui sont désignés d’une façon qui les différencie.

Par exemple, des pommes et des poires

peuvent être réunies en tant que fruits par une opération mentale, mais cela nous oblige à ignorer ce qui les différencie et à les concevoir toutes les deux comme des fruits ; la langue est adéquate à réunir des êtres différents dans une classe plus large que celle établie par chaque composant distinct.

91


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Sans une telle opération mentale, nous ne pouvons pas commencer à considérer l’addition, qui est basée, depuis le résultat du comptage des éléments d’un premier ensemble, sur la poursuite de ce comptage en considérant maintenant les éléments du second ensemble. C’est la langue qui exige que nous trouvions d’abord « un nom commun » aux éléments des deux ensembles avant de procéder à l’addition. Ainsi c’est la langue, et non l’arithmétique, qui nous dit que si nous voulons additionner

et

, il sera nécessaire de trouver d’abord un

nom commun – il peut y en avoir plus d’un – puis de remplacer les formes données par des expressions équivalentes qui rendent l’addition possible. C’est l’addition qui oblige à cela, non les fractions en tant que telles. Nous pouvons donner des noms aux fractions en nous rappelant comment elles sont issues de fusions d’opérations. Par exemple, peut être remplacé par

et la forme

peut être vue

comme « le double » ou « deux de » quoi que ce soit qui est représenté par

. Ainsi, la deuxième partie de la paire

ordonnée, sous la barre horizontale dans la forme « verticale », nomme l’objet considéré ; nous l’appelons le dénominateur. La première partie, au-dessus de la barre, « énumère » alors combien on prend d’objets nommés par la deuxième partie, elle est donc appelée le numérateur.

92


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

Une fois nommées, les fractions peuvent être additionnées ou soustraites. La première étape est de regarder la classe d’équivalence de chaque forme donnée.

L’étape suivante est de rechercher un multiple de b qui ait le même « numéral » qu’un multiple de d. Notons que nous avons ici fait appel aux numéraux plutôt qu’aux nombres, en accord avec la conscience linguistique qui nous guide, bien que le nombre eut été plus correct dans le contexte d’opérations. Nous pouvons trouver beaucoup de telles paires de multiples, mais nous sommes certains d’en remarquer une, nommément et . La paire de fractions initiale peut maintenant être remplacée par

et

. Puisque

(ou

)

est un dénominateur commun, les deux formes peuvent maintenant être additionnées comme demandé. La soustraction peut être traitée de la même façon.

Notez que le travail avec les lettres au lieu de nombres exclut un réel calcul numérique, de sorte que nous mettons l’accent sur les

93


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

opérations seules. Ainsi, nous pouvons rester avec l’algèbre de la situation. Les lettres empêchent la réalisation de l’addition et forcent la conscience de ce qui est fait ; ceci est de l’algèbre puisque l’accent est mis sur les opérations. Tout ceci montre comment éduquer la conscience dans le cas de l’addition ou de la soustraction de fractions, ou comment utiliser certaines prises de conscience pour savoir ce qui doit être fait et pourquoi. Plus tard, on pourra donner à ce travail un aspect plus formel afin qu’il apparaisse davantage comme un système axiomatique. Les mathématiciens connaissent toutes les étapes ci-dessus et préfèrent une présentation logique, mais ici il est plus approprié de mettre l’accent sur la conscience et la maîtrise en opposition à l’acceptation et à la mémorisation. De toute évidence, la fraction équivalente à la somme ou à la différence de deux fractions est aussi une classe d’équivalence avec un nombre infini de formes. C’est alors un nouveau problème que de trouver lequel des éléments de cette classe sera retenu et appelé la réponse à l’opération donnée. On considère parfois « faux » de prendre n’importe quel nombre de la classe pour

réponse.

Une

étape

supplémentaire

appelée

la

« simplification » de la fraction peut alors être exigée. Cela consiste à trouver une forme où a et b ne sont pas tous deux multiples d’un certain entier N autre que , auquel cas on dit

94


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

qu’ils n’ont pas de « facteur commun » ; par exemple, être « simplifié » en le remplaçant par l’équivalent

peut

.

Il faut une oscillation11 pour remplacer un objet perçu par sa classe d’équivalence. Son inverse l’accompagne, dans lequel nous voyons une classe représentée par n’importe lequel de ses membres, plus particulièrement la forme dite simplifiée. Ceci fait tout simplement partie du comportement du mathématicien que nous pouvons, et peut-être devons, donner à nos élèves. Cette section nous a effectivement tous conduits au-delà des entiers et nous a montré pourquoi il est de première importance dans l’éducation de nos élèves, de forcer la conscience de l’algèbre comme étant des opérations sur des opérations, et de rester en contact avec la langue et avec les dynamiques de l’esprit, si nous voulons faire le travail aussi bien que les jeunes enfants le font dans leurs apprentissages spontanés : c’est-à-dire faire les choses une fois, bien et pour toujours.

Opérer avec les fractions Les séquences d’entiers (nN) ont fourni une façon naturelle d’introduire les fractions comme des opérateurs. Elles sont apparues d’abord comme des inverses de multiples, ou 11

N.D.T. Il faut un léger déplacement de conscience peut être considéré comme équivalent.

95


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

réciproques, et elles sont ensuite devenues des entités propres quand nous avons trouvé, dans un nouvel examen de la manière dont ces opérateurs étaient produits que, comme les entiers, ils formaient des classes d’équivalence :

était commode et

pouvait être utilisé extensivement pour exprimer certaines des relations entre les séquences de multiples. L’extension de la notation à la forme

, où a et b sont tous deux des entiers, est

survenue grâce à la fusion de deux opérateurs pour établir une relation unique entre deux séquences. Par exemple, être remplacé par

a pu

qui opère sur, disons, des éléments de ( N)

pour donner des éléments correspondants de ( N). Puisqu’une fraction a une infinité de formes équivalentes, elle est, par dessus tout, une classe d’équivalence infinie. Cette notion importante est déjà apparue dans le cas des entiers où ceux-ci étaient vus comme équivalents à une infinité de soustractions. Un entier est aussi, évidemment, une classe d’équivalence d’additions mais celle-ci est une classe finie. Mais maintenant, un entier peut être représenté par une autre classe d’équivalence infinie, provenant de l’inverse qui correspond à l’entier, par exemple les équivalences suivantes pour .

96


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

La multiplication par un entier, suivie de la multiplication par son inverse, ou inversement, est équivalente à une relation « identique », un opérateur qui conserve les choses telles qu’elles étaient ; par exemple,

.. Ceci signifie que

l’opérateur reliant un entier à lui-même, comme dans les paires , peut être lu de deux façons, en produisant de nouvelles prises de conscience. Ainsi,

peut être lu comme équivalent à

qui est un multiple de…, ou « n de …»,

. Mais il peut

aussi être lu comme « un nième de » n. Notez que les signes « » sont ici lus comme « de ». De plus, nous pouvons aussi lire comme « n divisé par n », une pure convention linguistique qui peut s’écrire sous la forme que nous avons déjà utilisée, n÷n. Ces formes peuvent toutes être étendues aux fractions générales où a et b sont des entiers quelconques. Ainsi

peut être lu :

« a de un bième », « un bième de a » ou « a divisé par b » et être écrit sous les formes suivantes :

~a

~

a ~ a ÷ b

Ici, nous étendons notre langage. Chaque nouvelle expression verbale correspond à une nouvelle prise de conscience, pas nécessairement une nouvelle notion, mais une compréhension 97


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

différente de ce qui a déjà été rencontré. De cette façon nous savons que nous restons en contact avec les pouvoirs mentaux qui ont permis la remarquable évolution de la langue dans la prime enfance. Nous pouvons nous attendre à ce que, dans ces circonstances, devenir un mathématicien soit une réalité, mais aussi avec des résultats grandement améliorés. Cela peut signifier que l’on fasse à l’école, en une année, un travail qui, actuellement, en demande plusieurs, et qu’on le fasse vraiment mieux. *** Nous n’avons pas présenté la multiplication comme une addition répétée bien que dans un sens elle soit une telle itération. Un avantage qu’il y a à ne pas le faire, est que nous pouvons encore multiplier par ce qui n’est certainement pas une addition répétée. Multiplier par est une opération « identique », qui laisse les choses telles qu’elles étaient. Ceci est une conscience très différente de celle d’un opérateur qui produit un changement. Dans le chapitre précédent nous avons aussi rencontré une opération « identique » quand nous avons fait de zéro un nombre aussi bien qu’un « teneur de position » utilisé avec les numéraux. Ajouter ou soustraire zéro étend les notions de ces opérations en laissant les choses inchangées, mais en imaginant encore qu’une addition ou une soustraction a eu lieu. Le « rien »

98


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

de l’expérience quotidienne a reçu un nouveau nom zéro et a été écrit , de sorte que nous pouvions écrire l’équivalence : a+ ~a. Laisser les choses inchangées peut aussi être considéré comme une opération « itérable ». Cela ne prend que le temps de le penser, mais ne produit pas d’effet perceptible. En d’autres termes, des expressions telles que et ont une certaine réalité pour nous, car nous pouvons entretenir la notion d’aucun changement, bien que peut être pas aussi facilement que la notion de changement, parce que vivre se situe dans le temps et que le temps s’écoule et peut être perçu comme s’écoulant. Qui plus est, la multiplication n’a pas été perçue comme un « agrandisseur » puisqu’elle a été appliquée dès le début aux inverses qui, en fait, font le contraire. L’addition répétée est un agrandisseur et les élèves sont parfois confondus puisqu’ils doivent multiplier et se retrouver avec quelque chose de plus petit que ce avec quoi ils avaient commencé. De même, la division comme soustraction répétée semble suggérer une diminution ; pourtant, diviser par une fraction peut mener à un accroissement, par exemple : dans ÷ évite

ces

confusions

tout

en

. Notre approche

préservant

le

contenu

mathématique reconnu. Ce que nous avons présenté, c’est qu’il y a toujours plus à lire dans une relation qu’il n’y paraît à première vue. Par exemple l’équivalence ~ peut suggérer bien d’autres lectures : 99


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

• ~ ou ~ (exprimant que la multiplication est commutative), • ~ ou ~ ( en lisant l’opération dans l’autre sens, puisque, en langage technique, l’équivalence est une relation symétrique), •

ou

(en renversant

et

,

nommément en inversant la multiplication)… et de même également de nouvelles lectures par symétrie et par commutativité, •

et

(la notion de la division

représentant une nouvelle conscience que

ou

peuvent être lus respectivement comme divisant par ou divisant par ). Si nous nous assurons que nos élèves voient tous ces faits de conscience chaque fois qu’ils regardent l’un quelconque d’entre eux, nous avons à nouveau fait d’eux des mathématiciens tout au moins pour certaines parties du programme scolaire. ***

100


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

La multiplication d’une fraction par une fraction est mieux comprise si nous demandons : quelle fraction est-elle équivalente à une fraction d’une fraction ? Cela mène à une nouvelle classe d’équivalence pour les fractions. Nous savons déjà que

n est une opération « identique ». Nous savons

aussi que chaque fraction a un nombre infini d’expressions équivalentes. En mettant ensemble ces deux consciences, nous obtenons la séquence d’équivalences suivante, dans l’écriture desquelles certaines multiplications ont été abrégées par juxtaposition, par exemple

pour

.

Ici, le « » a différents sens de chaque côté de l’équivalence : à gauche il représente « de », à droite il représente la multiplication d’entiers. Une fois qu’on a compris comment ces remplacements sont effectués, il n’y a pas de danger à changer le langage qui les décrit. Ainsi, nous pouvons maintenant dire que

101


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

le « produit » de deux fractions est une autre fraction dont le numérateur est le produit des numérateurs et dont le dénominateur est le produit des dénominateurs. Cela veut dire que

peut maintenant représenter une multiplication de

fractions aussi bien que d’entiers. Une « chaîne » de fractions, liées par « de », peut être résolue pas à pas en fusionnant des paires consécutives de fractions en une fraction, de la façon que nous venons juste de démontrer. Par exemple, « la moitié d’une moitié de moitié » peut être exprimée par

qui est équivalent à

~

. En

renversant le processus, nous pouvons dire que n’importe quelle fraction est équivalente à un nombre infini de chaînes de fractions.

De telles chaînes de , , fractions sont produites grâce à l’opération « identique », en s’assurant que lorsqu’on insère un entier en dénominateur on l’insère aussi en numérateur de façon à « annuler » l’effet de la première insertion. Les différents mots « produit », « multiplication », « de », se réfèrent à des prises de conscience qui peuvent être reliées entre

102


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

elles mentalement de la façon dont les mots peuvent être reliés dans la langue de tous les jours. Nous utilisons l’un ou l’autre mot au gré des besoins particuliers. Ce pouvoir rend l’équivalence essentielle en mathématiques. Cela permet l’activité mentale « d’être avec » en même temps que cela permet les déplacements de conscience. Transférer cette notion depuis la langue, la placer sous le puissant éclairage de la conscience, et trouver qu’elle peut fonctionner dans un nouveau contexte, font partie de la conscience de la dynamique des relations, c’est-à-dire, celle des mathématiques. Eduquer le mathématicien en tous les élèves, c’est les forcer à de telles prises de conscience. Cela règlera le problème des contenus du programme qui ne sont que des listes de sujets reliés entre eux et engendrés par des prises de conscience spéciales. De là, il y a de grands avantages à se concentrer sur les activités mentales qui embrassent délibérément de nombreuses prises de conscience et qui peuvent mener à une nouvelle prise de conscience. Quand une telle conscience nouvelle s’affirme dans les mots, ou dans des notations, nous pouvons la considérer comme un sous-produit de ces activités. De tels sousproduits sont traditionnellement vus comme les produits principaux, alors que pour nous, les activités qui peuvent éduquer les élèves sont effectivement le produit essentiel, celui de l’éducation.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Les lecteurs peuvent voir maintenant que dans la science de l’éducation, l’approche utilisée pour faire des élèves des mathématiciens doit mettre l’accent sur les activités mentales donnant des sous-produits qui constituent la connaissance des mathématiques, recherchée par tous les enseignants, mais pas toujours vue comme telle par les élèves. Des affirmations générales comme celle ci-dessus ne sont pas nécessairement l’effet d’une quelconque vertu spéciale de la multiplication des fractions. Elles pourraient avoir été suggérées par d’autres sujets, mais ce sont les fractions qui ont fourni le contexte dans lequel elles ont été établies ici. La conscience peut être éduquée, et nous essayons de montrer comment, chaque fois que c’est possible.

La division des fractions Un autre exemple qui illustre l’importance de l’emphase mise sur la langue quand nous forçons la conscience mathématique est la division des fractions, que nous allons présenter ici indépendamment de leur multiplication.

La première conscience est que l’équivalence lue : « il y a deux demis dans un ».

104

peut être


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

Ceci répond à la question : « Combien y a-t-il de demis dans un ? ». Ceci s’écrit comme précédemment en notation verticale. Nous pouvons maintenant extraire autant que nous pouvons de cette conscience. D’abord, nous pouvons maintenant demander combien il y a de demis dans deux ou dans trois, dans dix-sept, dans n ; ainsi il y a quatre demis dans deux, n demis dans n. Nous pourrions alors demander combien il y a de tiers dans ; il y en aura puisque

~

~ et cela peut s’étendre à trouver

combien de tiers il y a dans les autres entiers. Finalement nous pouvons étendre ceci aux inverses de tout entier. De manière générale, nous pouvons demander combien de fois « va dans » b, la réponse étant a b ou ab. Cette conscience n’est pas une « formule » à se rappeler mais une perception du défi et de la manière dont on peut y répondre instantanément, parce qu’on a compris l’algèbre derrière la question : « combien y a-t-il de demis dans un ? ». Si la question est posée sous d’autres formes, par exemple : « b divisé par b par

» ou «b ÷

», « divise

» cela fait alors partie de la nouvelle

conscience que ces questions sont aussi traitées plus facilement

105


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

et avec compréhension lorsqu’elles sont transformées dans la forme « va dans… ». *** La division des fractions demande deux nouvelles prises de conscience sur lesquelles nous devons continuer à travailler. Premièrement, nous considérons ce qui arrive quand le b de b÷

est remplacé par une fraction, disons

. Puisque

prendre un exemple spécifique, est aussi

, pour

et que l’inverse

est lu avec le suffixe « ième » comme faisant partie de son nom, alors

se lit « cinq septièmes ». De même,

nièmes ». Si nous demandons : « Combien de

se lit « m va dans

? »,

avec une forte emphase sur le numérateur, et avec un chuchotement pour le dénominateur, alors nous entendons : « combien de

va dans m nièmes ?» et la réponse est « ma

nièmes ». Ceci peut s’écrire

et de deux autres façons

équivalentes correspondant aux formes « va dans » et « divisé par ».

106


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

÷

~

Une seconde prise de conscience apparaît maintenant quand nous remplaçons aussi

par une fraction générale. Cette prise

de conscience peut nous apprendre beaucoup sur la façon dont l’esprit doit être utilisé pour rester avec une question. Donc cela nécessite un déchiffrage plus explicite dans ce contexte. Nous

commençons

« combien de

avec

un

autre

exemple

spécifique :

vont dans ? ». Nous savons que

plus, puisque est la moitié de nous savons aussi que moitié de

~ . De est la

. S’il y a tiers dans il y a aussi un tiers et deux

tiers. Le « et », ici, peut être lu à volonté soit comme une conjonction, soit comme une addition. Ainsi, y a en effet un

dans qui laisse un reste de

+

~

~ . Il

. Si, comme on

l’a vu plus haut, nous lisons ce reste comme la moitié du alors nous pouvons voir que

,

« va dans une fois et demie ».

En travaillant grâce à un certain nombre d’exemples spécifiques, pour assurer la conscience du passage d’une conscience à l’autre, nous pouvons voir que nous avons résolu le problème de la

107 109


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

division des fractions sans avoir à « fractionner » quoi que ce soit pour produire les fractions. La conscience de la langue est suffisante pour résoudre tous les obstacles et les subtilités qui surgissent dans ce contexte. La division des fractions peut s’exprimer de deux façons : « combien de

dans

? » ou «

deux donnent la même solution :

divisé par

? » mais toutes

. Ainsi, il y a toujours une

fraction équivalente à « une fraction divisée par une autre » et sa classe d’équivalences peut être utilisée pour lui donner autant de formes que l’on veut. Traditionnellement, la division des fractions est reliée à la multiplication. Cela tient pour acquis que chaque opération est l’inverse de l’autre dans le cas des fractions aussi bien que dans celui des entiers. Mais nous trouvons, quand nous gardons les opérations distinctes, que le « produit » d’une fraction par l’inverse d’une autre est équivalent au « quotient » de la première par la seconde et, inversement, que le quotient de deux fractions est équivalent au produit de la première par l’inverse de la seconde.

108


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

Nombres rationnels Le développement des quatre opérations sur les fractions rend clair que nous devons travailler avec des nombres rationnels, nommément des classes d’équivalences et que nous devons faire passer notre conscience d’un centre d’intérêt à un autre, en les reliant dans nos esprits. Nous pouvons unifier le champ des fractions et des entiers en montrant que les entiers peuvent être considérés comme des fractions avec l’unité au dénominateur : tout entier a est équivalent à

. Ceci est une nouvelle conscience et une nouvelle

notation à part le cas Puisque

qui faisait partie du traitement de

comme fraction peut aussi s’écrire :

.

et que

peut s’écrire , alors nous obtenons les équivalences suivantes :

Les quatre opérations peuvent être combinées et fusionnées en accord avec les algèbres des deux paires, addition et soustraction, multiplication et division. Une cascade, comme celle donnée ci-dessous, va simplement prendre plus de temps pour être « simplifiée » quand les fractions sont en lettres plutôt

109


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

qu’en entiers : l’algèbre va être la même bien que l’écriture des équivalences successives soit différentes.

Finalement, pour compléter l’unification des fractions et des entiers, nous devons considérer la mise en ordre des fractions. Pour trouver laquelle de

et

est la plus grande, nous

choisissons deux fractions qui ont le même dénominateur dans chacune des deux classes d’équivalence. Les fractions peuvent maintenant être ordonnées par leurs numérateurs. Ainsi, nous utilisons la langue pour nous faire choisir deux formes linguistiquement comparables. Par exemple, si nous prenons bd pour commun dénominateur, alors les deux numérateurs sont et

et ils peuvent être ordonnés comme des entiers. ***

Jusqu’à maintenant, les fractions ont été soit des opérateurs soit des paires d’entiers ordonnées. Cela correspond à deux consciences linguistiques qui ont différentes connotations mathématiques. Un opérateur est une véritable entité algébrique qui nous permet de faire quelque chose comme de produire un nombre en partant d’un autre, par exemple :

de ou

de

. Une paire ordonnée nous donne une classe d’équivalence qui peut être sollicitée dans d’autres circonstances, par exemple : 110


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

additionner

et

nécessite la sélection de fractions

équivalentes avec le même dénominateur. Le mathématicien dans chaque élève saura lequel de ces aspects est exigé dans un contexte particulier.

Quand nous écrivons

pour une fraction, ce que sont a et b est

laissé libre. La structure d’ordre des entiers nous donne trois possibilités : a est plus petit que b, égal à b ou plus grand que b. Parfois, c’est seulement dans le premier cas,

, que

est

appelé une fraction, en tenant la notion de fraction comme « une portion de quelque chose ». Mais ici tous les cas sont permis. Ainsi nous appelons

une fraction car c’est la forme

d’un « opérateur identique ». De plus, nous incluons aussi le troisième cas, fraction que

, de sorte que, disons,

est autant une

. Dans ce cas nous pouvons écrire

, ceci étant équivalent à

comme

, appelé un « nombre mixte »

et traditionnellement récrit en juxtaposant l’entier et la partie fractionnaire

. Cette forme n’est qu’une relique de la notion

d’une fraction comme une partie d’un tout, un aspect historique qu’il n’est pas nécessaire de retenir.

111


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Décimaux : un nouveau langage Quelqu’un a eu l’idée, il y a des siècles, de proposer de lire et d’écrire les fractions ayant au dénominateur d’une nouvelle façon. Cette proposition a été universellement adoptée, même si ce ne fut pas avec les mêmes mots et les mêmes notations partout. Ainsi nous pouvons la donner aux jeunes élèves, d’abord comme un exercice de traduction. Les « décimaux » ne sont pas de nouvelles fractions mais ils ont des attributs qui les rendent plus utiles dans certains contextes. C’est une caractéristique du côté humain d’un mathématicien que de choisir toute façon d’économiser du temps et des efforts, et les décimaux le permettent. On apprend le nouveau langage d’abord par un ensemble d’exercices dans lesquels nous nous concentrons sur les mots et sur la notation. Nous remplaçons la fraction

par la forme

« , » que nous lisons « zéro virgule un ». De même qu’on lit « zéro virgule deux » et ainsi de suite pour des fractions semblables jusqu’à

. Les fractions dont le dénominateur est

mais dont les numérateurs sont plus grands que sont exprimées

sous

forme

« mixte ».

Par

exemple :

qu’on écrit habituellement sous la forme

112


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

« , »,

condensée

lue

~

« un

virgule

un ».

De

même,

et ainsi de suite. En

conservant cette forme, les fractions dont les numérateurs sont plus petits que sont parfois écrites, surtout en anglais, sans zéro à gauche de la virgule, la virgule devenant le point, par exemple :

.

Une fois que ces traductions et leurs correspondances sont devenues une seconde nature, l’addition et la soustraction de ces nouveaux décimaux est relativement simple. En voici quelques exemples :

De tels exemples forcent la conscience que lorsque l’addition ou la soustraction sont écrites en notation verticale, il est nécessaire d’écrire les décimaux en alignant leurs virgules. Dans ce cas, les opérations peuvent être effectuées exactement comme avec des entiers. 113


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

, + ,

, + ,

, – ,

, – ,

,

,

,

,

Les centièmes, les millièmes et toutes les autres fractions qui ont des puissances de au dénominateur peuvent être traitées de la même façon dès que sont donnés les nouveaux noms et les nouvelles notations. Ainsi zéro un » et

s’écrit , et se lit « zéro virgule

s’écrit , et se lit « zéro virgule zéro zéro

un ». On peut aussi les écrire, comme en anglais,

sous les

formes alternatives . et . qui peuvent aider dans certains exercices, puisqu’elles maintiennent le même nombre de zéros dans chaque cas. Lorsqu’on aligne les décimaux pour l’addition ou la soustraction, cela peut quelquefois aider de récrire les décimaux en plaçant un certain nombre de zéros à droite du dernier chiffre ou à gauche du premier chiffre. Par exemple, pour additionner , / , / , et , , cela aide de récrire les décimaux sous la forme verticale suivante :

114


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

02,400 +00,007 +14,015 +09,900

*** La multiplication des décimaux est dérivée de la multiplication des fractions correspondantes dont les dénominateurs sont des puissances de . Considérez l’exemple précis suivant :

La procédure de calcul peut clairement être condensée. D’abord, remplacez la multiplication des décimaux par la multiplication d’entiers, trouvée en omettant les virgules. Dans l’exemple donné, le second décimal donne qui est écrit sous la forme plus simple , ainsi le produit demandé est x = . Maintenant, insérez une virgule dans le produit de telle sorte que le nombre de chiffres à droite de la virgule soit le nombre total de chiffres à droite des virgules dans les deux décimaux originaux. Dans cet exemple, la virgule est insérée de façon qu’il y ait (

) chiffres à sa droite.

115


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Pour la division, nous multiplions un décimal par l’inverse de l’autre. Cela signifie que la procédure de calcul devrait être de diviser d’abord les numérateurs des fractions correspondantes comme une division normale d’entiers. Alors, insérez une virgule de façon que le nombre de chiffres à sa droite soit maintenant la différence du nombre de chiffres à droite des virgules dans les deux décimaux originaux. Par exemple, pour diviser , par , divisez d’abord par ce qui donne le quotient , puis insérez la virgule de façon qu’il y ait ( - ~ ) chiffre à sa droite, ce qui donne , . Nous n’avons pas considéré « l’exponentiation » dans ce chapitre ni dans le précédent, et nous n’avons pas non plus introduit les « puissances négatives ». Cela signifie que nous devons laisser la description des procédures de calcul ci-dessus à un certain niveau de conscience. Il n’y a pas de réelle difficulté à étendre ces consciences à de nouvelles notations et cela a été fait dans la série de manuels Mathematics With Numbers in Color. Mais dans le contexte de ce livre, nous ne faisons qu’esquisser un programme. Plutôt que de montrer comment chaque partie des mathématiques élémentaires peut être traitée, nous préférons nous concentrer sur les thèmes centraux : éduquer la conscience mathématique et faire agir les élèves en mathématiciens. ***

116


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

Jusqu’à maintenant, seules certaines fractions ont été écrites sous forme décimale. Nous savons déjà, par le travail précédent, qu’il y aura d’autres fractions différentes qui seront équivalentes à des fractions dont les dénominateurs sont des puissances de .

Dans l’exemple précédent, les fractions dont les dénominateurs sont des puissances de ou des puissances de ou des produits de puissances de et de peuvent toutes être remplacées par des fractions dont les dénominateurs sont des puissances de . Mais qu’en est-il de toutes les autres fractions, celles dont les dénominateurs ont d’autres facteurs premiers que ou ? Ce défi présente de l’intérêt pour nous parce qu’il mène facilement à d’importantes nouvelles consciences mathématiques.

Pour commencer, nous notons que la notation

peut être

étendue pour inclure le cas où a est une fraction. Par exemple, si a est

nous pouvons écrire

en forme verticale, en le lisant

117


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

« vingt tiers sur dix ». Cela signifie que nous pouvons remplacer n’importe quelle fraction par une forme dont le dénominateur est . Par exemple,

peut être remplacé par les formes

équivalentes suivantes :

Le dernier terme dans l’exemple ci-dessus peut maintenant être récrit

comme

une

fraction

équivalente

dénominateur, son numérateur étant alors

avec

au

. Cette fraction

peut alors être traitée d’une façon semblable.

Le processus peut être répété encore et encore aussi longtemps que nous le voulons en additionnant les termes en résultant pour donner une forme décimale à la fraction originelle.

Les trois points de suspension utilisés dans la première équivalence indiquent que nous pouvons continuer à ajouter de nouvelles décimales avec davantage de zéros à droite de la 118


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

virgule suivis par un 6 ; et dans la seconde, que nous pouvons continuer à écrire des 6 à droite. On peut aussi l’indiquer en n’écrivant qu’un seul 6 avec un tiret au-dessus de sorte que

~

, qu’on lit « zéro virgule six barre ». La forme décimale de ne contient que des 6 mais en nombre infini. De cette forme nous pouvons dériver celle de

,

et

.

Les étapes successives dans le calcul de la forme décimale d’une fraction comme

peut être récrite sous forme condensée qui

suggère les étapes d’une routine de division.

119


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Ces étapes peuvent être fusionnées dans une procédure dont les étapes sont écrites en notation verticale comme celle de la division des entiers dans le chapitre précédent.

~

~

,

,

Les étapes de la division, disons

~…

, peuvent être disposées de la

même façon. Ici, nous nous arrêtons au reste parce que nous pouvons sentir que le processus va se répéter puisque nous avons commencé avec comme dividende.

~

~

, ,

120

~…


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

Mais les décimales sont sans fin et peuvent être étendues aussi longtemps que nous le désirons. ~ … Le groupe de chiffres répété indéfiniment s’appelle la période du décimal. Une forme semblable à celle trouvée pour

est

également « périodique », mais dans ce cas il n’y a qu’un chiffre dans la période. De plus, la période peut ne pas apparaître tout de suite après la virgule. Par exemple,

, qui a une partie

« irrégulière », ici le seul chiffre , avant que n’apparaisse la période. Nous utilisons comme notation pour la période dans le cas des périodes plus longues une barre au-dessus d’elles. Par exemple,

.

La nouvelle façon d’écrire des fractions avec des dénominateurs qui sont des puissances de a été faite de manière à la rendre compréhensible, même quand elle est étendue à d’autres fractions. Cela a entraîné de nouvelles prises de conscience : que la forme décimale de n’importe quelle fraction peut être dérivée par une routine de division, que certains nombres décimaux apparaissent sans fin, qu’ils ont des chiffres périodiques ou périodes, que de telles périodes ne commencent pas nécessairement après la virgule.

121


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

L’étude élémentaire que nous avons faite sert à illustrer la manière dont la conscience mathématique est éduquée : d’abord comme conscience de la langue, et d’une notation correspondante, ensuite comme une occasion de poser des questions, à la fois sur la langue et la notation, pour voir jusqu’où on peut les étendre. Articuler la conscience fournit de nouvelles ouvertures mathématiques à la fois pour les élèves et pour les enseignants. Nous avons maintenant un nouveau type de nombres sous la forme de nombres décimaux périodiques illimités. Mais nous avons aussi une autre occasion d’étendre ces nombres plus loin, simplement en oubliant la condition qu’il devrait y avoir une période « récurrente » dans la séquence illimitée. Il peut ne pas nous venir à l’esprit de faire cela. Mais il peut arriver que quelqu’un qui rêve à ces chaînes infinies de chiffres se demande si cela aurait un sens quelconque de seulement suggérer que ces séquences soient totalement aléatoires, de se demander si de tels « monstres » existent déjà mais ne sont pas encore reconnus. Il peut devenir plus facile de faire cette sorte d’extension après qu’on a compris que chaque nombre décimal périodique peut être retraduit en forme de fraction dont le numérateur est la période et dont le dénominateur est le nombre écrit avec une chaîne d’autant de qu’il y a de chiffres dans la période. Par exemple, le nombre décimal

122

est équivalent à la


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

fraction

. Nous n’avons pas établi cette séquence ici

mais nous l’avons fait dans le livre de la série Mathematics With Numbers in Color 12: il contient toutes les étapes nécessaires qui mènent à cette conscience profonde. Elle est profonde parce qu’elle va préparer les élèves à ce qui est progressivement

devenu

clair

pour

les

mathématiciens

professionnels au cours des cent dernières années, à savoir qu’il y a une classe de nombres qui comprend tous les nombres décimaux périodiques illimités possibles. Ce que nous avons étudié jusqu’à maintenant n’est qu’élémentaire, à savoir la partie qui n’exige pas, chez les mathématiciens, les changements fondamentaux requis par la théorie dite « des ensembles ». Nous ne développerons pas cela davantage ici, sauf pour mettre l’emphase sur le fait qu’il semble possible de donner un nouveau fondement à l’éducation mathématique sans avoir à en répéter le développement historique. En ignorant ce développement, nous pouvons aller directement, par la langue et la conscience, à la façon dont l’esprit travaille quand il pose des questions sur ce avec quoi il s’est rendu familier. Quand nous acceptons d’examiner les nombres décimaux comprenant un nombre illimité de chiffres, nous rencontrons la 12

N.D.T. Pour l’édition française, voir pour cette étude le manuel 9, Algèbre et Géométrie pour les écoles primaires, 4ème partie, Progressions arithmétiques et progressions géométriques.

123


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

manière par laquelle les mathématiciens se sont arrangés pour remplacer une tâche impossible – celle de voir simultanément un nombre infini d’entités – soit par un procédé comme la « périodicité », soit par la pensée « inexprimée » qu’on n’a pas réellement besoin de connaître chaque chiffre et que, à la place, il nous suffit de rester conscient qu’il n’y a pas de fin à la séquence. La classe des chiffres est en quelque sorte comme n’importe quelle classe d’objets qui ne sont pas connus et cependant, lorsque l’un d’eux apparaît, il est immédiatement attribué à la classe, comme pour les verres, les chaises, les maisons, où effectivement la classe est représentée par un nom quelconque. Le transfert de cette conscience, d’une classe associée à un concept, à la séquence de chiffres dans un nombre décimal, peut être un exercice très utile. Si nous oublions qu’à chaque mot correspond toujours un concept et donc une classe, nous pouvons sentir que les séquences illimitées de chiffres sont des obstacles insurmontables. Mais les mots, quand ils sont appris depuis le début, sont conçus par les bébés comme des classes ouvertes, indéfinies. Il peut être opportun de tirer avantage de cela dans l’éducation mathématique des jeunes élèves. Un autre exercice utile possible est d’exprimer les nombres décimaux connus pour avoir une forme avec peu de chiffres en une forme équivalente avec un nombre illimité de chiffres. Par exemple, , n’a qu’un seul chiffre mais on peut l’écrire ,

124


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

avec un nombre infini de zéros ou, plus dramatiquement, avec un nombre illimité de puisque

~

. Ceci peut forcer

la conscience que nous avons un moyen simple d’exprimer tous les nombres décimaux comme des séquences illimitées. Nous pouvons étendre les nombres décimaux de cette façon comme objets de pensée. Dans le calcul, cependant, nous devons éviter tout ce qui peut rendre le travail impossible : garder une infinité réelle comme centre d’intérêt dans ce cas est l’un des obstacles insurmontables. Les mathématiciens ont inventé « les approximations » pour surmonter de tels obstacles. Seul un petit nombre de chiffres sont retenus pour que les calculs soient possibles. Mais une conscience supplémentaire est alors demandée pour estimer la divergence entre le résultat obtenu de cette façon et la réponse « inconnaissable », inconnaissable parce que le calcul exact ne peut être fait. Puisque

est une autre façon d’écrire , , nous pouvons

forcer la conscience que si nous ne prenons que deux chiffres c’est-à-dire , nous pouvons calculer la divergence entre , qui est équivalent à , , et , , à savoir , . Si nous prenons trois chiffres, , est « court » de , de , ; , est « court » de , de , et ainsi de suite. Le mot « court » est clair et est un des sens du mot « approximation ». A chaque pas dans les calculs ci-dessus, nous avons rendu la différence entre , et le nombre décimal choisi de plus en plus petite puisque . Faire une approximation signifie 125


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

se rapprocher. Nous pouvons rattacher un nombre à cette notion de « se rapprocher de » car les nombres , … , … , ont « mesuré » la divergence ou différence. Cela nous permet

de

forcer

la

conscience

de

« meilleures »

approximations. Un traitement plus détaillé de ces matières est donné dans Mathematics with Numbers in Color, livre . Celui-ci montre comment de jeunes enfants peuvent apprendre à remplacer des tâches impossibles par des tâches « possibles », avec un sens précis donné pour cette substitution qui est appelée « estimation ». La connaissance exacte est bien plus rare que la connaissance approchée. Il est donc utile de savoir et de rendre explicite quelle sorte de connaissance nous recherchons et pourquoi, plutôt que de laisser les enfants croire que la connaissance exacte est la plus commune et l’autre une nuisance. Notre étude des nombres décimaux a ajouté une autre chose à l’éducation de notre conscience. Cela nous a amené plus près de la réalité de ces pouvoirs mentaux qui sont utilisés dans les activités de la vie quotidienne, où nous devons juger si nous pouvons agir alors que nous sommes satisfaits d’avoir à faire avec l’imperfection, l’acceptant comme si c’était ce qui est demandé. Par exemple, des demi-pommes ne peuvent pas être réellement des moitiés mais nous savons comment nous contenter du fait que ce que nous voyons est « assez bon », et, ce

126


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

faisant, nous acceptons notre « moitié ». Une autre illustration peut être trouvée dans la façon dont nos yeux font des estimations immédiates pour faire face à un défi qui se présente : lorsque nous visons une cible, une bille, une personne qui court, un avion ennemi… une visée exacte signifie « celle qui suffit pour toucher ».

Une fraction utile : le pourcentage Notre préjugé en faveur de la conscience linguistique signifie que cette section peut être très courte. Les pourcentages sont principalement valables dans les applications telles que l’économie, mais nous considérons ici qu’ils expriment une conscience de certaines fractions, celles dont le dénominateur est , pour lesquelles un langage a été proposé et trouvé utile.

N’importe quelle fraction

peut s’écrire a% et se lire « a pour

cent ». En fait, chaque pour cent ou pourcentage est un nombre décimal, « , a », mais une nouvelle notation est justifiée par le grand nombre de situations qui sont mieux décrites de cette façon-là. Par exemple, les taux d’intérêt payés sur l’argent emprunté sont habituellement donnés en pour cent. « Un taux de , % » n’est pas une somme d’argent mais il en devient une quand on l’applique à une somme spécifique. Ainsi l’intérêt de

127


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

, % de unités monétaires est

~ , unités de

cette monnaie, le pourcentage agissant comme opérateur. Comme opérateurs, les pourcentages peuvent être ajoutés ou soustraits dès lors que l’on comprend qu’ils sont appliqués à la même entité. Ainsi, % + % = % en ce sens que . Les pourcentages peuvent aussi être multipliés ou divisés tant qu’ils restent des opérateurs et qu’ils donnent des pourcentages. Ainsi,

. Parfois, une fraction

d’un pourcentage est exigée de sorte que, bien que nous utilisions deux langages, nous opérions comme pour des fractions et appelions le résultat un « pour cent ». Par exemple, « la moitié de % » ~ (

de )% ~ %. Ici, la moitié était un

opérateur, le un objet, et le résultat est un objet ou un opérateur selon que le « pour cent » lui-même est appliqué à un objet. De ceci nous apprenons que c’est le climat mental que nous associons à un problème qui détermine si nous fusionnons les différentes façons de décrire les choses en une entité, en les regardant d’une certaine façon, ou si nous accentuons leur caractère distinct pour servir à des buts différents. Nous devons donc rester vigilants pour être sûr que le passage d’un climat à

128


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

l’autre est permis, des opérateurs aux objets, des fractions aux nombres décimaux ou aux pourcentages. Nous considérons ceci comme la véritable éducation que nous offrent ces occasions. Le savoir faire pour utiliser les pourcentages est un sousproduit. Les défis à notre conscience sont le plus important, certains d’entre eux sont indiqués dans les exercices suivants : • Lire divers entiers comme des pour cent, par exemple : • Lire divers nombres décimaux comme des pour cent, par exemple :

;

.

• Lire diverses fractions avec des dénominateurs qui sont des puissances de comme pourcentages, par exemple, • Lire

diverses

autres

fractions ou

par

exemple :

alternativement

Parce que les pourcentages sont surtout utiles en arithmétique appliquée, ils nous donnent une occasion 129


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

d’éduquer les jeunes élèves dans des aspects de la vie économique qu’ils ne rencontrent généralement pas à l’école. Dans mon pays, les impôts sont payés à des taux différents selon une formule : par exemple, , % d’ de mon revenu puis % des

suivants et enfin %

du reste. Quel pourcentage de mon revenu me reste-til ? Selon une autre formule, je paie % d’ revenu, % des

de mon

suivants et % du reste. Cela a-

t-il encore un sens de demander quel pourcentage me reviendra ? Pourrait-on utiliser cette formule dans quelque pays que ce soit ? Pourquoi pas ?

Ensembles infinis Traditionnellement, les éducateurs ont été guidés par les développements historiques, comme s’il y avait une correspondance entre la croissance mentale des jeunes d’aujourd’hui et celle des penseurs mathématiciens du passé, comme si la matière ancienne devait être une matière plus facile. En fait, c’est juste le contraire. Au cours des cent dernières

130


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

années, les mathématiciens ont repensé la totalité des mathématiques et en ont simplifié une grande partie. Il est donc possible de refondre les programmes au bénéfice des étudiants de tous les niveaux. Ils vont donc être capables de rejoindre les rangs des mathématiciens puisqu’ils connaîtront le sens de la mathématisation dans de nombreux domaines. Nous allons considérer un autre de ces domaines en prenant comme exemple un sujet « moderne » qui a une signification profonde mais qui est assez simple pour que de jeunes étudiants puissent le comprendre et y prendre plaisir. Nous savons déjà que la séquence (N) peut être séparée en ensembles d’entiers : les impairs (Ni) et les pairs (Np). Il est évident qu’il y a « autant » de nombres dans (Np) que dans (N) puisque pour chaque n de (N)

il y a un n de (Np) et

réciproquement. Une autre conscience nous fait aussi savoir qu’il y a « autant » d’impairs que de pairs puisque tous les deux ont été obtenus à partir de (N) en ne retenant qu’un nombre sur deux. Si nous commençons par (Ni) et que nous doublons chacun de ses nombres, nous obtenons un ensemble (P ) d’entiers qui sont tous pairs mais qui ne contiennent pas tous les pairs : par exemple, il manque . (Ni)

…….

(P )

…….

131


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Si nous doublons les nombres de (P ) nous obtenons un autre ensemble (P ) de nombres pairs. Ici aussi il est clair qu’il y a des nombres pairs qu’on ne trouve ni dans (P ) ni dans (P ) : par exemple, et . Doubler à nouveau va donner un autre ensemble (P ) et ce processus peut être clairement répété. (P )

……

(P )

…….

Diverses observations surgissent d’un examen de ces ensembles de nombres pairs. • L’indice affecté à chaque lettre P qui nomme l’ensemble indique le nombre de fois que (Ni) a été doublé pour obtenir l’ensemble : une fois pour (P ), deux fois pour (P ) et ainsi de suite… • La différence entre deux nombres consécutifs est dans (P ), dans (P ), dans (P ) et ainsi de suite… • Quand nombres

nous de

écrivons chaque

les

quelques

séquence,

nous

premiers savons

comment continuer, mais nous ne le faisons pas parce que, si nous le faisions, nous nous perdrions dans l’infinité… 134 132


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

• Une fois que nous savons que doubler chaque nombre d’une séquence précédente nous donne le prochain ensemble d’entiers, nous voyons qu’il n’y a pas de « fin » à ce processus. Ainsi, nous prenons conscience que l’ensemble des entiers (N) est fait d’un nombre infini d’ensembles infinis, chacun d’eux ayant « autant » d’entiers qu’il y en a dans (Ni) ou (Np). Cette nouvelle conscience peut être une expérience révélatrice, surprenante,

mais

c’est

aussi

un

exemple

d’un

fait

mathématique qui ne demande pas d’autre connaissance que ce qui a déjà été vu dans le chapitre précédent. Le premier contact avec ce qu’on appelle « un infini dénombrable » peut apparaître à certains professeurs comme un fait mathématique isolé sans signification immédiate. Mais pour ceux qui sont concernés par l’éducation de la conscience, cela va fournir une merveilleuse occasion d’élargir la vision des élèves dont les esprits sont si ouverts à l’expérience nouvelle, mais qui, cependant, ont été si souvent dans le passé embrigadés et soumis à un régime mathématique rebutant. D’habitude, on trouve la réponse à la question « combien ? » en comptant. Nous ne pouvons pas réellement compter ces ensembles infinis ; mais nous pouvons répondre de façon satisfaisante à la question en disant « une infinité », ou parfois, comme nous l’avons déjà fait, « un nombre infini ».

133


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Compter effectivement exige qu’un nombre soit « fini », ce qui veut dire que l’ensemble peut effectivement être compté. Ceci est une définition circulaire, il y en a beaucoup en mathématiques. Mais elle n’est pas circulaire en terme de conscience, car « compter réellement » signifie que l’action peut en fait être accomplie, même si cela devait prendre longtemps, alors qu’en mathématiques, « compter réellement » est remplacé par une opération « virtuelle », celle qui permet de répondre « oui » à la question « cela peut-il être fait ? ». Les opérations réelles doivent devenir virtuelles à cause de la présence de l’infini dans chaque pensée mathématique. En définissant les numéraux comme des déterminants, les cardinaux comme des « dénombreurs » d’ensembles, les nombres comme des classes d’équivalence finies ou infinies, nous remplaçons le réel par le virtuel. Nous agissons en mathématiciens qui sont aussi engagés dans les demandes de la vie et conscients des limites pratiques. Comme eux, les élèves peuvent parvenir à savoir si un composant additionnel, l’infinité, fait partie de leur pensée ou s’ils ne sont concernés que par les opérations et les opérations sur les opérations. Nos élèves méritent que leur soit donnée la chance de se prouver à euxmêmes qu’ils peuvent se comporter en mathématiciens même si leur principal souci du moment n’est pas de produire des théorèmes.

134


11 Au-delà des entiers : algèbre et langage

Récapitulation Ce chapitre a été un développement du précédent, bien que tous deux visent à forcer la conscience que la mathématisation est une façon d’être spéciale, ouverte à tous. N’importe quel programme alternatif peut encore être traité comme un corps de connaissances qui doit être transmis. Mais nous insistons sur le peu qui doit être donné par les enseignants et sur le beaucoup que les élèves peuvent inventer par euxmêmes une fois que leur conscience a été forcée et qu’on leur a donné suffisamment de pratique pour qu’ils sentent qu’ils ont le contrôle. Avec la conscience vient la certitude, car les élèves reconnaissent maintenant qu’il y a des critères pour décider des choses et pas seulement une quantité d’activités d’apparence arbitraire. Ils sauront ce que sont ces critères et peuvent être guidés par eux pendant qu’ils progressent dans leur étude des mathématiques. Il est en fait raisonnable, et également important, de rendre les élèves indépendants de leurs maîtres, et de les rendre autonomes dans leur travail pour qu’ils puissent apprécier leur propre initiative et la voir à l’oeuvre à chaque étape, et responsables de tout ce qu’ils font, ceci étant une conscience séparée qui se développe à partir des deux autres.

135


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Les mathématiciens parviennent à ces aspects de leur activité après beaucoup de travail sur eux-mêmes et en collaboration avec leurs pairs dans des domaines particuliers. Nous pouvons faire mathématiser les élèves encore et encore plutôt que de leur enseigner les mathématiques. Ayant vu comment cela peut être fait dans de nombreux domaines nous pouvons dire, avec une signification précise, que nous faisons de nos élèves des mathématiciens. Ce faisant, nous restons en contact avec ces parties des mathématiques classiques qui sont encore retenues dans le programme traditionnel mais nous y injectons beaucoup de nouveaux aperçus, de sentiments et de prises de conscience. C’est dans cet esprit que nous invitons les professeurs de mathématiques élémentaires à examiner soigneusement nos propositions.

136


Chapitre L’éducation de tout le cerveau

Introduction Nous nous sommes concentrés sur la langue et l’algèbre dans les deux derniers chapitres et, jusqu’à maintenant, nous avons délibérément évité toute référence à la dynamique des images ou à ce qu’on appelle l’espace. Ici, dans ce chapitre, nous nous préoccuperons de ces dimensions mentales avec la perception et la géométrie. L’éducation scolaire a toujours été principalement verbale. Quand la géométrie était un sujet du programme, de nombreux élèves ne pouvaient pas s’y mettre facilement et développaient le sentiment que cela n’était pas pour eux. Lorsque, il y a de cela une vingtaine d’années, les savants commencèrent à se référer aux différentes fonctions des deux hémisphères du cerveau et à la domination, pour la plupart des gens, de l’un des deux, il 137


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

sembla alors qu’il y avait là une explication pour le manque d’intuition géométrique chez tant d’élèves, bons par ailleurs. Une emphase excessive sur les pouvoirs verbaux et logiques de l’esprit au détriment des autres signifierait en effet que tout sujet faisant appel à des pouvoirs négligés serait jugé difficile et trop exigeant. Il y a un certain aspect créatif de la géométrie qui demande tout de soi-même. Pour être géomètres, les élèves doivent être inventifs, par contraste dans une certaine mesure avec l’algèbre qui, une fois maîtrisée, peut être rendue mécanique et ainsi ne sollicite qu’une partie du Moi. Une grande partie de notre géométrie scolaire a été héritée des anciens Grecs. Ils se mirent à la géométrie comme à un moyen était un de traiter le défi des « nombres irrationnels », dont spectre inquiétant. Mais en agissant ainsi ils ont donné à la géométrie un déroulement formel, syllogistique, à partir de définitions et d’axiomes vers les théorèmes. Cette approche a dominé la pensée mathématique pendant siècles. Le fameux traité d’Euclide est resté un modèle pour le traitement rigoureux d’une science exacte pendant tout ce temps. De plus, il fut accepté pour quelque temps que les mathématiciens présentent des résultats géométriques d’une façon logique qui était très différente des méthodes plus « intuitives » et non décrites, qui étaient utilisées pour établir les résultats.

138


12 L’éducation de tout le cerveau

Plus tard, les mathématiciens continuèrent à essayer de trouver des approches systématiques à la géométrie. Au ème siècle, Descartes développa la « géométrie analytique ». Celle-ci était un moyen de traiter les problèmes géométriques en manipulant des équations algébriques. Ses idées furent immédiatement acceptées parce qu’il y avait une différence vraiment évidente entre des solutions purement géométriques qui semblaient exiger quelque chose proche du génie, et cette nouvelle approche qui pouvait être rendue mécanique. Ce n’est que relativement récemment que l’on a ressenti ces présentations classiques de la géométrie comme trop étroites. De nouvelles propositions sont venues de certains esprits émancipés qui ont voulu sauver ce qui avait une valeur éducative dans la géométrie en en intégrant autant qu’ils pouvaient à d’autres développements. L’un de ces développements est la topologie, une branche florissante des mathématiques qui s’est bien développée au cours de ce siècle. En général, les mathématiciens ont tendance à travailler dans certaines branches préférées des mathématiques. Ceux qui sont plus à l’aise avec la manipulation d’opérations sont appelés des « algébristes » ; ceux qui sont plus à l’aise avec la manipulation d’ensembles sont appelés des « topologistes ». Plus récemment, certains mathématiciens ont été capables d’intégrer naturellement les deux approches et ils sont appelés des « analystes ». Il peut y avoir une base dans le tempérament pour

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

de telles distinctions ; en d’autres termes, il se peut que ce soit le soma et le cerveau qui soient des facteurs décisifs pour que quelqu’un devienne un mathématicien professionnel. Quand nous considérons de telles questions, nous allons clairement au-delà de la vue classique qui est que, en raison de leur nature particulière, les mathématiques ont une existence absolue per se, indépendante des esprits humains. Nous pouvons maintenant les voir comme composées des nombreux produits de différents esprits. Les gens ont des esprits différents à cause de leur constitution, et à cause de ce qu’ils font d’euxmêmes à partir de la conception. Ils sont affectés par la façon particulière dont ils acquièrent leur expérience du monde et d’eux-mêmes, et découvrent inconsciemment que cela entraîne bien d’autres choses que les composants intellectuels des mathématiques. Certains aspects humains concernés sont : le tempérament, qui décrit la constitution physique, y compris le cerveau qui est la création unique in utero de chaque être humain ; l’affectivité, qui comprend le goût, le plaisir et la motivation à poursuivre ses engagements dans certaines directions de certaines manières ; l’ambition, qui indique la projection de soi dans la société, pour accomplir tout ce qui semble possible avec ses dons ; et bien d’autres choses, toutes agissant entre elles dans le déroulement de sa vie. Les mathématiciens mathématisent ; c’est une activité générale qui engage autant d’aspects de soi-même qu’il en est. Ces

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12 L’éducation de tout le cerveau

« choses » doivent être découvertes et étudiées afin de donner la connaissance qui peut aider à produire l’éducation mathématique convenable pour tous les écoliers. Car tous les mathématiciens ont été des enfants, et leur propre éducation spontanée, peu connue de leurs parents ou de leurs éducateurs, était dans leurs propres mains. Par eux-mêmes, ils ont choisi des prises de conscience qui sont restées avec eux, même quand elles ont été oubliées. Ces prises de conscience les ont guidés dans leur choix de la manière de consumer le temps de leur vie et, à un certain stade, dans leur choix de quel genre de mathématiciens ils voulaient être. *** Notre expérience est loin d’être aléatoire, bien que de nombreux impacts imprévus y trouvent leur place. Notre expérience est structurée, à la fois en refusant la place à certaines des choses qui nous atteignent, et par le fait que certaines expériences doivent en précéder d’autres dans le temps, comme la station debout doit précéder la marche, et la marche doit précéder la course. Cette séquenciation nécessaire, hiérarchique, se trouve, par exemple, dans la présence ou l’absence d’intérêts exprimés par tous les enfants quand ils s’engagent ou s’abstiennent de s’engager dans diverses activités à certains âges. On peut trouver un développement plus détaillé de ce thème dans les livres The Universe of Babies et Know Your Children As They Are. Mais on en a dit assez ici pour indiquer que la 141


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

perception est un « absolu » pour nous tous quand nous sommes de très jeunes enfants. Celle-ci est bientôt assistée par l’action de sorte que notre « besoin de connaître » l’environnement autour de nous puisse être poursuivi et satisfait. L’action devient alors l’absolu suivant ; elle est maintenant assistée par la perception, nous permettant de connaître nous-même-dans-le-monde. Ceci s’achève quand l’action

est

étendue

pour

devenir

« virtuelle »,

et

en

conséquence devient une base pour les pensées et les idées, qui peuvent former un absolu en elles-mêmes, l’absolu de l’intellect, puissamment développé chez les mathématiciens et les philosophes. Mais cet engagement dans l’intellect ne prend place qu’après les années que chacun d’entre nous passe à connaître sa vie intérieure, tissée de la substance subtile des sensations et des sentiments, fondée sur les émotions. L’absolu de l’adolescence intègre tout ce que nous avons fait plus tôt afin d’extraire les ingrédients des pouvoirs mentaux qui permettent aux êtres humains de transcender les contraintes de n’importe quel environnement pour atteindre l’univers intérieur personnel caractéristique de chaque individu. Pour comprendre l’une quelconque des nombreuses formes que le « besoin de savoir » prend dans les vies des êtres humains autour de nous, il nous faut une compréhension convenable de la structuration temporelle de l’expérience. Son importance est

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12 L’éducation de tout le cerveau

soulignée par la façon dont nous essayons d’atteindre, dans ce chapitre, une éducation convenable de tout le cerveau. Nous faisons cela en fournissant des expériences naturelles à l’intérieur de chaque absolu successif et en terminant par les moyens d’intégrer ces expériences sous une forme spécifique, celle montrée par les mathématiciens qui sont analystes. Ce que ceci signifie, c’est que les algébristes peuvent aussi facilement être des « topologistes » et réciproquement, parce que leur éducation a forcé la conscience des pouvoirs mentaux qui devaient être utilisés pour atteindre des buts spécifiques et de ce qui peut les rendre aussi forts que possible. Dans les sections suivantes, nous mettons de côté l’intuition globale de l’expérience et des voies de connaissance humaines pour développer les exercices géométriques spécifiques qui deviennent, avec le temps, les savoir faire des mathématiciens en activité.

Perception et action Quand le Moi réside dans un absolu particulier, le besoin de savoir se manifeste avec passion. Il y a un enthousiasme à apprendre, qu’on trouve dans toutes les expériences que le Moi se donne spontanément, souvent pendant des heures d’affilée.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Parfois, on peut choisir certaines activités qui, pendant qu’elles nourrissent cette passion, peuvent aussi donner la connaissance et le savoir faire qui sont également valorisés par la société. De telles activités ont été proposées, par exemple, par Maria Montessori au début du siècle. Son matériel d’enseignement structuré a fasciné plus d’un jeune enfant et continue à le faire aujourd’hui. La façon dont les pouvoirs de perception et d’action peuvent se rencontrer peut aussi se voir dans l’utilisation des réglettes Cuisenaire. Elles ont été inventées par Georges Cuisenaire pour aider

ses

élèves

dits

« lents »,

ce

qu’elles

firent

remarquablement bien. Leur véritable valeur se révéla lorsqu’on les trouva capables d’offrir un aperçu des relations spatiales à la base de l’arithmétique. Cet ensemble de réglettes Cuisenaire était « un modèle spatial pour l’algèbre et l’arithmétique ». Une plus grande partie du cerveau était engagée dans cette approche qui jusque là, avait été purement verbale et fondée, par erreur, sur le comptage au moyen des cardinaux. Les réglettes pouvaient visiblement être agrandies en longueur en les plaçant bout à bout. L’addition devenait visible sans compter, de même que la soustraction en couvrant une partie d’une réglette par une autre plus petite, en « retirant » ce qui était couvert et en même temps en faisant comprendre quelle était la partie restante. Les classes de partition devenaient immédiatement compréhensibles par l’exploration de longueurs

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12 L’éducation de tout le cerveau

équivalentes réalisées avec différentes réglettes. Des images plutôt que des mots étaient capables d’accompagner des notions comme la commutativité de l’addition, la loi de la distribution, la multiplication, les puissances et ainsi de suite. Les détails de la manière dont ceci est accompli sont disponibles dans un grand nombre de publications qui ont rendu accessible aux jeunes enfants un nouveau programme dans lequel « l’algèbre précède l’arithmétique ». L’évidence de cet ordre de structuration mentale avait échappé à tous ceux qui s’étaient pliés à la tradition, tout le monde en fait. Mais les réglettes n’ont pas réalisé la transformation spectaculaire attendue de l’enseignement et de l’étude des mathématiques dans les écoles élémentaires partout dans le monde. C’est parce qu’elles ont été vues comme rien de plus que « du matériel de manipulation » capable de donner tout ce que la « société » exige qui soit passé à la génération suivante. La notion à la base qu’il y avait là une éducation de tout le cerveau n’a pas attiré l’attention qu’elle méritait. *** Le cerveau entier est engagé de façon plus évidente dans l’étude de la géométrie. Aussi, ici, dans cette section, nous allons décrire le travail avec les géoplans, afin d’illustrer comment nous pouvons éduquer la perception et l’action pour forcer la conscience de la mathématisation chez les jeunes enfants.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Les géoplans sont des matériels qui sont discrètement structurés par des lignes légèrement incisées dans une base de contreplaqué et par un certain arrangement régulier de pointes. Les pointes sont utilisées pour tendre de fins bracelets élastiques colorés. Les lignes des géoplans fournissent un arrière plan aux formes créées par les bracelets. Les pointes de laiton à grosses têtes sont les mieux adaptées. On se réfère souvent aux différents géoplans selon leur nombre de pointes. Les bracelets élastiques peuvent être de n’importe quelle taille appropriée, ceux en couleur étant plus utiles puisqu’ils sont plus faciles à distinguer et décrire.

Deux types de géoplans furent proposés à leur première introduction en : • Les géoplans carrés à , et clous ont des lignes incisées qui forment une « grille » de carrés isométriques avec des pointes en leur centre, de telle

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12 L’éducation de tout le cerveau

sorte

qu’ils

forment

un

« treillis »

carré

de

respectivement , , pointes. • Tous les géoplans circulaires à , , et pointes ont comme base un cercle, et de la même taille sur tous, incisé dans la base de bois carrée. Les clous, selon

les

nombres

indiqués,

sont

espacés

régulièrement sur la circonférence du cercle. Les géoplans permettent deux activités : l’une est physique, celle de tendre les bandes élastiques autour des pointes, l’autre est mentale, celle de se mettre au contact du résultat d’une telle action et parfois de la nommer si par chance elle a déjà un nom. On ne peut savoir a priori combien peut être accompli avec si peu. Mais des années de jeux avec les géoplans ont conduit à la découverte qu’en effet beaucoup de choses peuvent être rendues visibles et évidentes. Certaines activités donnent les propositions directes qu’on trouve dans les manuels de géométrie de sorte que les géoplans sont devenus populaires chez les professeurs de mathématiques. Certains écrits concernant ce qui peut être fait avec les géoplans ont fait l’objet de publications. Ce que nous voulons faire ici est de considérer plus étroitement ce qui se passe quand les jeunes enfants jouent avec les géoplans, à la maison ou à l’école. *** 147


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

L’élément de base est le segment de droite ; diverses possibilités se présentent alors. La présence d’un certain nombre de clous, placés à certains endroits du tableau en est une. Le besoin de savoir, parfois appelé curiosité, en est une autre. Celles-ci en engendrent d’autres : • structurer l’espace du plan en utilisant une ou plusieurs bandes élastiques qui peuvent être placées autour de certains clous pour produire l’inconnu ou l’inattendu, • tourner le tableau, tenu dans les mains, ou placé sur une table, • ajouter ou retirer une bande ou ôter toutes les bandes du tableau pour recommencer, • arranger les bandes de façons esthétiquement satisfaisantes, • trouver et parler des relations topologiques aussi bien que métriques, avec des affirmations sur des faits particuliers, soit évidents soit autres, et de leur connexion avec d’autres faits : ceux vus dans la situation présente et ceux retenus par la mémoire,

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12 L’éducation de tout le cerveau

• rencontrer des défis difficiles qu’il est possible que personne n’ait encore résolus : certains peuvent apparaître insolubles dans ce contexte, amenant la conscience que d’autres treillis ou un autre matériel peuvent être nécessaires, • travailler sur les affirmations verbales offertes par les élèves aux voisins ou à la classe, pour châtier le langage utilisé et créer des habitudes d’expression soigneuses et non ambiguës, • créer une provision d’images : statiques quand le travail est fait et devenant dynamiques, les deux à la fois quand le travail est reconsidéré mentalement, • développer un sens de la croissance constante dans la connaissance de ce qui est fait, de ce qui peut être fait, de ce qui reste à faire et re-classifier de telles connaissances, • produire des définitions qui soient clairement saisies et verbalisées, • étendre les propositions fondamentales, récurrentes, pour créer

des théorèmes susceptibles d’être

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

prouvés valables pour de plus grands treillis, avec des degrés variables de certitude. Il y a d’autres observations à faire sur le jeu avec les géoplans mais celles-ci vont suffire ici. Ce qui importe, c’est que nous puissions maintenir les apprenants très proches de tout ce qui est fait en les engageant sur les plans affectif, perceptif, actif, verbal, en fait totalement, dans leur contemplation d’un défi. Plutôt que d’essayer de dériver des propriétés bien connues afin de les mémoriser, nous maintenons les élèves au bord de l’inconnu, au contact de leurs propres « dé-couvertes » de propositions qui émanent d’eux-mêmes. De telles affirmations seront fonctionnellement reliées et enracinées dans des structures plus simples. Les élèves sauront exactement quand ces affirmations appartiennent à la topologie et quand l’algèbre est présente. Ils sauront quand ils peuvent donner à une suggestion locale sur le géoplan une signification universelle, de sorte que les mots utilisés pour en parler seront ressentis comme globaux. Tous les élèves seront capables de parler spontanément de ces matières comme si elles étaient aussi réelles que d’autres objets et d’une manière qui ait un sens pour eux. En d’autres termes, nous pouvons éduquer le géomètre en chaque élève. Cela demande l’utilisation des yeux et des mains, de la volonté, des sensations et des mots et d’une expérience facilement évoquée. Ainsi, quand nous entendons les élèves faire des affirmations

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12 L’éducation de tout le cerveau

qu’on peut reconnaître comme géométriques, nous pouvons savoir aussi que nous éduquons le cerveau entier. Diverses prises de conscience géométriques spécifiques seront accessibles à chaque élève : • des segments sur la même ligne peuvent être additionnés et soustraits, • les lignes peuvent être sécantes ou parallèles ; les lignes sécantes font des angles appelés angles droits quand les lignes sont perpendiculaires, • les lignes peuvent être bissectrices des angles et couper des segments en leur milieu, • les segments peuvent former les côtés de polygones convexes ou concaves ou croisés – les côtés adjacents des polygones se croisent aux sommets, les lignes qui joignent des sommets qui ne sont pas sur le même côté s’appellent des diagonales, • les poly-gones ont autant de sommets, ou d’angles, que de côtés, et sont désignés par ce nombre, en utilisant des préfixes latins dans les cas du tri-angle

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

et du quadri-latère, puis des préfixes grecs pour le penta-gone, l’hexa-gone, etc., • certains segments ne sont pas si facilement mesurés par le côté du carré unité, par exemple la diagonale du carré unité lui-même. L’expérience de l’élève n’est pas développée ici comme elle l’est dans une présentation formelle logique de la géométrie. Elle est empirique, venant de diverses racines, plutôt que d’un seul système de définitions et d’axiomes. C’est pourquoi on l’appelle la « géométrie des géoplans ». Les élèves commencent par quelque chose de perceptible et le désignent avec l’aide de l’enseignant ; les développements ultérieurs continuent de se baser sur ce qui peut être perçu. Par exemple, la classification des quadrilatères pourrait commencer par le plus général – dont on ne peut rien dire sinon qu’il a côtés – et puis être progressivement structurée par le parallélisme des côtés opposés, l’égalité des paires de côtés et l’égalité des diagonales, en donnant leur nom traditionnel aux catégories résultantes. Une telle classification relie des formes qui autrement pourraient être présentes arbitrairement, et elle le fait maintenant de façon perceptiblement claire. ***

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12 L’éducation de tout le cerveau

La géométrie ne doit pas être un système strictement déductif mais plutôt un vaste réseau d’expériences qui un jour puisse devenir organisé de cette façon-là. Un tel produit final a moins de valeur que la structuration de la vision mentale de l’étudiant afin qu’il s’engage dans des dialogues, établissant des « faits géométriques » comme des propositions connues pour être vraies pour un nombre de raisons qui ne sont pas nécessairement des déductions d’une seule source. La géométrie des géoplans cultive la créativité, l’autonomie, la facilité d’expression, l’accumulation de l’expérience et divers savoir faire appréciés par les mathématiciens. En un mot, elle enseigne la mathématisation. La mathématisation n’est pas seulement accompagnée par la joie de la découverte mais aussi par la rétention fonctionnelle. En effet, la rétention, plutôt que la mémorisation, est la base de cette expérience. Il n’y aura aucun besoin de mémoriser, sauf dans la mesure où des ogdens devront être payés pour se souvenir des étiquettes-mots requises afin d’uniformiser les descriptions ; les figures seront produites par les élèves, et elles seront facilement retenues grâce à l’expérience de les avoir construites pas à pas. Les élèves vont faire et défaire, montrer et parler en avançant ; la géométrie sera action – réelle au début mais bientôt virtuelle – comme c’est le cas pour les mathématiciens.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Mises

au

point,

les

propositions

des

élèves

résument

l’expérience. Elles ne peuvent apparaître au début que lorsqu’un sujet est reformulé afin de donner de nouveaux résultats. Les propositions sont comme les affirmations de la vie de tous les jours ; elles mènent aux conversations entre les gens. Elles sont concrètes, familières à ceux qui parlent et accessibles à ceux qui écoutent. Elles se relient à notre expérience mentale, à nos images, comme tout le reste qui est maîtrisé en étant vécu. Elles semblent être retenues de la même façon, on s’en souvient spontanément et facilement à la façon des images. C’est pourquoi nous disons que nous éduquons le cerveau entier. La complexité existe : elle a sa place. Elle peut être distinguée de la complication que nous expérimentons lorsque le hasard fait intrusion dans nos pensées. La complexité est bien plus naturelle dans la vie que la simplicité ; elle gagne sa place propre dans le présent contexte. Car jouer avec les géoplans n’est pas seulement une occasion de rendre évidentes les propositions géométriques que l’on trouve dans les manuels. Ce jeu peut être une de ces rares situations où « un petit peu produit beaucoup » et où des « riens » sont si clairement importants et puissants. Les mathématiciens font ces deux choses, et maintenant nous pouvons faire en sorte que la plupart des enfants en possèdent une partie, intimement et naturellement : un véritable cadeau pour ceux qui veulent se sentir mentalement plus puissants.

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12 L’éducation de tout le cerveau

Animer l’espace Les élèves agissant sur les bandes élastiques ou sur les réglettes colorées

voient

leurs

actions

comme

discontinues.

Ils

structurent leur espace par leurs propres actions et le perçoivent comme ayant des attributs en rapport avec leur façon de l’approcher. Le contenu précis de leur esprit est difficile à connaître. Une autre approche pourrait être de construire des images toutes faites pour les offrir directement, de façon que les élèves utilisent encore leur perception mais que leur action soit maintenant entièrement virtuelle. Une façon de produire de telles images fut proposée par Jean-Louis Nicolet en , quand il fit des films de figures géométriques animées qui pouvaient être projetées et examinées sur écran. Travaillant seul en Suisse, avec de maigres ressources, Nicolet produisit des films courts, en noir et blanc, muets, qui durent de une à trois minutes et dont la beauté saisissante explique beaucoup de leur attrait. Voir les films a toujours été apprécié comme une expérience esthétique par tous les spectateurs, quel que soit l’arrière plan mathématique qu’ils y apportent. En tant que professeur de secondaire à Lausanne, Nicolet était consterné par le fait que tant de ses élèves manquaient de préparation pour être capables d’aimer la géométrie autant que 155


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

lui. Il travailla dur à animer certaines des figures du cours de géométrie qu’il était censé enseigner et trouva le résultat efficace. Non seulement ses élèves comprirent les théorèmes et purent apprendre des choses qui auraient été trop difficiles dans le passé, mais ils en demandèrent davantage, affirmant que cette façon d’aborder la géométrie avait un sens pour eux. Nicolet mourut en , après avoir fait un grand nombre de films à ses frais, et avoir été presque totalement ignoré des professeurs de mathématiques dans son propre pays et ailleurs. L’exception fut une poignée d’ardents réformateurs qui appréciaient son travail mais ne parvinrent pas à le faire mieux connaître, trouvant, comme il l’avait fait lui-même, que bien peu étaient sensibles à ses contributions. Un professeur de collège de Londres, Trevor Fletcher, avait produit indépendamment des films mathématiques plus longs et plus sophistiqués, en animant des figures pour produire un grand nombre de théorèmes et leurs preuves en n’utilisant que des moyens visuels. En dépit d’une audience plus large que celle de Nicolet, lui aussi demeura un producteur de films isolé pour quelque temps. L’auteur de ce livre rejoignit cette poignée de cinéastes en produisant trois films courts en . Ceux-ci furent suivis d’autres dans les années soixante sous le titre Folklore des mathématiques, pour contrer les réformes qui prévalaient alors,

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12 L’éducation de tout le cerveau

au nom des « mathématiques modernes » ou « nouvelles », à l’instigation de certains mathématiciens. Ces réformes étaient dépourvues de toute sensibilité à la mathématisation. Dans la plupart des pays, les gens adoptèrent un nouveau contenu mais continuèrent à enseigner avec les moyens qui avaient déjà échoué, des moyens qui étaient exclusivement verbaux et symboliques. Une conclusion tirée de l’échec inévitable de ces « réformes » fut une acceptation résignée, même si c’était triste, que les mathématiques ne sont pas pour tous, mais seulement pour les « doués ». En particulier, tel fut le sort de la géométrie dans la forme Euclidienne où elle est habituellement présentée dans les écoles. Les lecteurs sauront que cela n’est pas la conclusion de la Science de l’Education. Certainement, la présentation directe formelle de chapitres de géométrie, ou de toute autre branche des mathématiques d’ailleurs, ne donne pas de résultat pour la majorité de la population scolaire. Mais le développement d’un sens de la mathématisation en donne. Quand les pouvoirs de l’esprit reliés à l’imagerie et à l’imagination sont mieux connus et utilisés, les élèves non seulement s’engagent dans des défis géométriques, mais ils y prennent plaisir : la géométrie a un sens. ***

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

De nombreuses leçons expérimentales utilisant des films ont été conduites avec des classes d’adolescents, souvent une centaine ou à peu près dans une grande salle. En ces occasions, il fut clair que presque tous les élèves étaient engagés et pouvaient discuter entre eux de ce qui occupait leur esprit après une vision du film. Quand il était impossible d’obtenir l’unanimité sur ce qui avait été projeté sur l’écran, une deuxième vision ou une troisième permettait de dissiper les doutes. Au cours de la discussion, les élèves étaient invités à refondre leurs affirmations de manière à éliminer toutes les ambiguïtés trompeuses ; parfois des termes techniques étaient suggérés qui étaient acceptés de bon gré et utilisés. De telles expériences établissent diverses découvertes : • L’animation

revient

à

un

emploi

délibéré

du « continuum », facilement suivi par les yeux qui eux aussi bougent continuellement, action qui laisse derrière elle un nombre infini d’images intercalées qui conduisent à une « affirmation visuelle ». • Le mouvement uni et plaisant de figures sur l’écran engendre une « charge affective » qui peut durer quelque temps et qui tient les images ensemble de sorte que les locuteurs peuvent en parler comme ils le feraient d’un paysage.

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12 L’éducation de tout le cerveau

• Ces images imposent leur propre « réalité », de sorte que les spectateurs croient qu’une quelconque affirmation particulière à leur sujet sera « vraie » ou « non vraie », parfois immédiatement et avec une totale conviction. Ceci est la base de la certitude dont on a besoin pour affirmer que les choses sont « prouvées » sans l’ombre d’un doute. Plus tard, ce sentiment sera transféré aux preuves verbales et symboliques capables de déclencher la « réalité » qu’elles recouvrent. • Ce qui est contemplé peut engendrer davantage que ce qui a été vu ; en d’autres termes, cela a un avenir et peut peut-être mener à davantage de créativité géométrique. En créant un nouveau format pour les leçons dans lequel les « dialogues » sont la règle plutôt qu’une acceptation passive de ce que quelqu’un dit être important, nous restons proches des réalités de l’esprit aussi bien que de la mathématisation. Il est clair qu’une telle éducation va forcer l’assentiment des élèves, mobiliser leurs énergies et peut-être produire l’enthousiasme. Pour nous assurer de cela, nous pouvons tirer avantage des qualités esthétiques de films animés bien faits, qui sont de nos jours bien plus faciles à faire en utilisant les techniques d’animation sur ordinateur.

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

De tels films ont été créés primitivement pour forcer un certain nombre de prises de conscience, pas moins que « moi aussi, je peux penser à l’espace avec créativité ». Il y a une dualité dans le langage du film animé. D’une part il raconte des histoires, raconte des événements dont on peut témoigner, se souvenir et parler. D’autre part, il permet à nos esprits qui ont le temps comme un de leurs attributs, d’être avec le film et d’identifier la dynamique du genre d’images qu’on trouve dans les dialogues que les géomètres ont avec euxmêmes. En faisant cela, nos esprits mathématisent la réalité.

Les cercles dans le plan Certains des thèmes de Nicolet ont été traités dans une nouvelle série de films de géométrie. Ce sont des films en couleurs animés par ordinateur, d’une durée d’à peu près six minutes chacun13. Nous donnerons une analyse détaillée de l’un de ces films, Families of Circles in the Plane, comme un exemple particulier de la manière dont notre approche peut refondre des sujets traditionnels en un tout plus accessible et mieux intégré. Quiconque peut tracer un cercle sur un bout de papier avec un compas sait qu’il peut en dessiner un grand nombre. Il nous 13

N.D.T. Les films de Nicolet et de Gattegno sont en format 16 mm. Plus personne n’utilise aujourd’hui de projecteur 16 mm. Il est toutefois possible de voir une partie de ces films, transférés sur CD Rom, chez U.E.P.D. à Besançon.

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12 L’éducation de tout le cerveau

suffit de choisir un point du plan où placer la pointe du compas, puis de choisir une ouverture des bras, pour tracer une circonférence. Les deux variables, appelées « le centre » et « le rayon » ainsi choisies, sont ressenties par le Moi actif et percevant comme directement « connaissables », aussi réelles que nos mains et nos yeux. La première transformation de la conscience peut consister à réaliser que tous les cercles du plan peuvent être produits individuellement et comme un ensemble en agissant sur ces variables. Ainsi le film commence par montrer un cercle en rouge, une couleur choisie arbitrairement, qui bouge dans le plan, c’est-à-dire en changeant constamment de centre et de rayon. Si nous interrompons la projection du film à ce moment, nous pouvons demander aux élèves de prendre conscience qu’aucun cercle du plan ne peut échapper à ce mode de production et qu’il nous faut penser simultanément aux centres et aux rayons comme à des variables pour comprendre toute la famille. Après un tel début dans la structuration d’un dialogue, nous pouvons nous sentir libres de considérer les cercles individuels qui sont alors isolés comme membres de possibles sous-familles bien que celles-ci n’aient pas encore été définies. ***

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Une seconde prise de conscience peut être forcée lorsque le film fait maintenant apparaître un point blanc, de sorte qu’il puisse y avoir la suggestion d’une relation entre ce point fixe du plan et la famille de cercles que nous retenons au fond de nos esprits. On peut se demander ce qui arrive à la famille lorsque la relation choisie est que le point se trouve sur la circonférence des cercles de la famille. Il y aura alors une partition de la famille entière entre les cercles dont la circonférence passe par le point et ceux qui ne le font pas. Le film s’intéresse à la première sous famille en colorant en vert, une couleur elle aussi choisie arbitrairement, tous les cercles dont la circonférence passe par le point blanc. De tels cercles peuvent encore avoir leur centre n’importe où dans le plan ; mais alors, pour passer par le point blanc, leurs rayons ne peuvent être arbitraires, ils sont « liés ». C’est pourquoi on a abandonné la couleur rouge et introduit la verte. Un examen de cette situation montre que la nouvelle famille est définie par ce qui

la

contraint.

Nous

pouvons

mettre

en

circulation

l’expression « degrés de liberté », en disant que les cercles ont perdu un de ces degrés… *** Il n’y avait pas besoin d’en dire trop au sujet de la famille rouge, son intérêt principal résidant dans son existence. Il n’y a pas grand chose non plus à dire au sujet de la famille verte. Pour

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12 L’éducation de tout le cerveau

articuler un dialogue plus clair et plus riche nous coupons dans la famille verte en imposant de nouvelles restrictions aux cercles, par exemple, en donnant la même taille à tous les rayons. Cela est fait brièvement dans le film et alors que ces cercles deviennent bleus. Nous pouvons évidemment interrompre la projection à ce moment-là et dialoguer avec la situation maintenant produite. Par exemple, nous pouvons faire les observations suivantes : • En choisissant le rayon commun aux cercles bleus de n’importe quelle taille entre zéro et l’infini nous engendrons une famille de sous-familles qui va recouvrir

chacun

des

cercles

qui

étaient

précédemment colorés en vert, ceux dont la circonférence passe par le point blanc. Par ce moyen, la famille verte est structurée en une famille de cercles. • La

sous-famille

de

cercles

bleus

couvre

un

« disque » centré sur le point blanc et dont le rayon est le double de celui choisi pour définir la sousfamille. En faisant varier le rayon, de tels disques, qui ne sont vus que dans nos esprits, peuvent être amenés à couvrir le plan pour engendrer une

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nouvelle sous-famille : une famille de cercles « concentriques » centrés sur le point blanc. Le film montre une autre sous-famille bleue qui est constituée de tous les cercles qui demeurent « tangents » à une droite fixe – qui n’est pas montrée – et qui passe par le point blanc. Il y a deux prises de conscience associées à cette section du film :

• Les centres de tous ces cercles sont sur une droite « perpendiculaire » à la droite « tangente » invisible au point blanc. • N’importe quelle droite qui passe par le point blanc peut être choisie comme la droite invisible tangente, déterminant ainsi d’autres sous-familles. Quand un second point blanc apparaît ailleurs sur l’écran, nous avons une occasion d’examiner – visuellement d’abord avec le

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12 L’éducation de tout le cerveau

film, verbalement ensuite – la sous-famille des cercles du plan qui sont amenés à avoir deux points en commun. La dynamique de l’animation permet les observations suivantes.

• La sous-famille a un cercle particulier, celui pour lequel le segment joignant les deux points blancs est un diamètre. • Deux cercles égaux, de part et d’autre de la droite qui passe par les deux points blancs, structurent cette famille dont les centres sont tous sur la « médiatrice » du segment qui joint les deux points blancs. • Un autre cas particulier de cette famille est alors la droite qui passe par les deux points blancs. Elle a deux « lèvres » selon qu’on la voit comme l’un ou l’autre des deux cercles « symétriques » des paires égales considérées plus haut. 165


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Par cette étape nous avons été capable de forcer la conscience de paires de cercles symétriques égaux, de lignes droites considérées comme des « cercles de rayon infini » ; de « points à l’infini », un ou deux selon les besoins ; d’un cercle vu comme deux cercles coïncidents ; d’axes de symétrie ; et de « cas particuliers » parmi les cercles d’une sous-famille. De plus, le film produit maintenant des visions multiples de la famille par la « danse de ballet » de deux cercles de chaque côté de la droite qui passe par les points blancs. De tels moments sont spécialement puissants, parce que c’est notre vision qui est éduquée ; une vision que nous pouvons utiliser à d’autres occasions, pas seulement appliquée aux faits auxquels elle peut nous conduire sous la forme du contenu géométrique particulier des images vues. *** Un thème filmé par Nicolet, « trois points déterminent un cercle », est maintenant abordé, comme un moment incident, réalisé en ajoutant un troisième point blanc et en coloriant maintenant en blanc ces cercles précédemment bleus qui passent aussi par ce point. L’écran se réduit à un cercle, en blanc, qui passe par les trois points blancs. L’article indéfini « un » est devenu le numéral « un ». Désormais, « blanc » désigne quelque chose de fixe, de statique, un donné que nous voulons garder tel qu’il est.

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12 L’éducation de tout le cerveau

Le progrès significatif réside dans la certitude qu’isoler un cercle de la famille bleue exige un autre point, un troisième. Il y a un nombre infini de tels points possibles sur chaque cercle. N’importe lequel d’entre eux va déterminer le « même » cercle. Un lien est fait entre l’entité « un cercle du plan » et « tous ces points », dont trois suffisent pour le définir. Pas grand-chose n’est fait de cette conscience dans le reste du film, mais cela peut encourager les enseignants à lancer leurs élèves dans ce mouvement en retenant un objet singulier et un nombre infini d’autres objets dans la même pensée et en fournissant ainsi, s’il en est besoin, un passage à quelques autres prises de conscience. La section suivante du film fournit un nouveau point de vue. Bien que les cercles demeurent les principaux éléments mobiles sur l’écran, on montre maintenant aussi leurs centres, de sorte que deux langages deviennent accessibles aux spectateurs. Le cercle blanc et l’un de ses diamètres, blanc également, seront «le cadre » du dialogue qui suit. Deux cercles bleus touchent le cercle blanc à l’une des extrémités du diamètre blanc. Leurs centres se trouvent sur la droite contenant le diamètre. Ces deux cercles engendrent une sous-famille de cercles bleus. Nous pouvons dire des choses nouvelles sur ces cercles en les décrivant par rapport à leurs centres. Par exemple, nous pouvons choisir des paires de centres telles que lorsqu’un cercle bleu devient plus grand, l’autre devient plus petit. Nous pouvons aussi choisir que lorsque le

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

dernier se réduit au point à l’extrémité du diamètre, un cercle de rayon zéro, le cercle plus grand correspond alors à une ligne droite, en fait la tangente au cercle blanc en ce point. Dans ce cas, toutes les autres paires de cercles bleus se trouvent entre ces deux extrêmes. Mais l’appariement peut être plus spécifique : nous pouvons, par exemple, voir la situation en fonction de la distance des centres au point de contact des cercles, et « sentir » une relation entre ces distances. En appelant les distances x et y une telle relation pourrait s’écrire : ou

ou

.

Le film montre aussi la relation xy~-1. Ces prises de conscience peuvent ouvrir un dialogue très différent, au sujet des fonctions, ou des graphiques. Il est facile de faire « imaginer » aux élèves des relations liant les distances entre les centres et le point blanc du contact. Même si l’on n’en fait rien à ce stade, on a assuré une ouverture. Le flou de la relation dans le film est équivalent pour elle à être aussi riche qu’elle le peut. ***

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12 L’éducation de tout le cerveau

L’idée de prendre un cercle bleu tangent à un cercle blanc donné nous permet de choisir de nouvelles sous-familles. Un cercle rouge devient vert quand il touche le cercle blanc. Son centre va continuer de bouger et son rayon de changer bien que ces variables ne soient plus maintenant indépendantes. Pour rester vert, le point de contact doit aussi continuer de se déplacer sur le cercle blanc. Les cercles verts peuvent toucher « extérieurement » ou « intérieurement ». Une sous-famille de cercles verts devient bleue dès que le rayon reste constant. Cela fait allusion à un autre thème traité par Nicolet : des cercles « égaux » qui touchent un cercle donné engendrent un « anneau ». Chaque sous-famille engendrée en faisant varier le rayon de ces cercles bleus va « se comporter » comme celle montrée dans le film. Il y a alors deux cas extrêmes importants, non montrés dans le film, mais facilement développés dans l’esprit. L’un d’eux sera la famille des points qui se trouvent sur la circonférence du cercle blanc ; et l’autre sera la famille des droites qui touchent cette circonférence. Cette « dualité » est une conscience profonde pour les mathématiciens, maintenant accessible à tous les spectateurs.

169


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Les deux sections finales du film sont consacrées à forcer certaines prises de conscience spécifiques qui proviennent de la considération simultanée de trois familles de cercles tous tangents au cercle blanc. L’animation sur ordinateur permet des choses qui autrement ne pourraient jamais être faites en classe. Chaque famille d’une triplette verte peut être traitée séparément comme des sous sous-familles de cercles du plan, forçant la conscience de la richesse de la famille originale et une conscience que notre esprit peut être présent simultanément à divers endroits, traitant de questions très différentes. Dans cette section, le cercle blanc n’est pas une barrière et les cercles verts et bleus peuvent traverser sa frontière pour unifier les sous-familles à « l’intérieur » avec celles à « l’extérieur » du cercle blanc. Nous pouvons centrer notre intérêt sur les rayons des cercles verts et noter que les triplettes comprennent alors des cercles

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12 L’éducation de tout le cerveau

qui sont tangents entre eux en même temps qu’au cercle blanc. Ils comprennent aussi des cercles de rayon zéro, auquel cas seuls deux cercles verts sont effectivement visibles sur l’écran, le troisième étant conservé présent à l’esprit comme un cercle de rayon zéro. La triplette se réduit même à un cercle vert quand les cercles se rejoignent entre eux et sont alors animés à la même vitesse. Lorsqu’on donne à chaque cercle vert un rayon fixe, il devient bleu. La finale de cette « symphonie » utilise maintenant le pouvoir de l’animation sur ordinateur pour combiner un certain nombre de paires de cercles bleus qui touchent le cercle blanc en trois points donnés. Ces cercles n’ont qu’un « degré de liberté » mais c’est assez pour fournir une « exhibition de feux d’artifices » de circonférences se déplaçant sur l’écran. Lorsque l’animation accélère la génération des familles bleues aux trois points fixes, nous gagnons une impression de la richesse disponible dans cette situation et de sa complexité. Mais cela ne nous submerge pas, nous sommes plutôt enchantés et prêts pour davantage. *** En minutes environ, le film offre une expérience de ce que peut être la géométrie. L’accent est mis sur l’expérience géométrique, le rendement est remarquable. Les élèves peuvent ne pas soupçonner que leurs aînés pouvaient avoir manqué

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

toute cette richesse et cette beauté quand ils ont étudié la géométrie. Ayant vu le film, leurs esprits sont pleins d’images, des images dynamiques toujours ouvertes à un avenir prometteur. La géométrie gagne sa liberté de la camisole des systèmes déductifs, qui réduisent la vérité aux prémisses, dont les origines semblent arbitraires et insondables. Le plus important dans de tels systèmes semble être l’appauvrissement de leur contenu. Ici, cependant, nous augmentons le nombre de propositions possibles qui peuvent être affirmées en augmentant le nombre de structures vues comme compatibles entre elles et appartenant à un univers très vaste, la famille des cercles du plan.

Le continuum Le thème du film décrit dans la section précédente est repris dans une série de films supplémentaires, qui peuvent chacun être considérés comme une étude de certaines familles de cercles dans le plan. Les films ne sont pas liés en séquence et peuvent être vus dans n’importe quel ordre pour donner différentes choses. Nous ne les analyserons pas avec de plus amples détails ici. Nous souhaitons plutôt attirer l’attention sur la façon dont les nombreuses prises de conscience forcées par ces films proviennent de situations qui présentent des entités comme les cercles, plutôt que les points, les lignes et les plans qui sont les « notions définies » prises traditionnellement comme les éléments de base de la géométrie élémentaire. 172


12 L’éducation de tout le cerveau

Les films peuvent conduire à divers théorèmes traditionnels concernant les cercles : ceux-ci ne sont presque que des sous produits accidentels. Mais en même temps, les films permettent aussi d’entrer dans une certaine géométrie relativement plus sophistiquée. Une grande partie de ce domaine a été créée longtemps après les théorèmes élémentaires sur le cercle qui ont toujours dominé les cours de géométrie pour jeunes adolescents. Refondre le programme en termes de conscience signifie qu’il se peut que nous devions reconsidérer l’importance donnée à certains sujets traditionnels et changer l’ordre de présentation que suggère l’histoire des mathématiques. Les historiens des mathématiques savent qui a proposé quoi, où et quand ; ils savent aussi que de nouveaux développements dépendent de certaines personnes remarquables qui ont certains points de vue et qui suggèrent à leurs collègues que les choses pourraient être différentes si on adoptait de nouvelles attitudes. De tels « moments critiques » sont souvent, avec raison, présentés comme les moments les plus précieux dans l’histoire des mathématiques. La notion implicite dans cette approche est que l’histoire des mathématiques est une histoire de prises de conscience spéciales faites par des mathématiciens individuels en train de réfléchir à leur propre pensée. Mais, comme nous l’avons vu, on peut encourager comme allant de soi cette sorte de réflexion chez tous les élèves. La Science de l’Education nous permet de

173


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

redessiner le programme en termes d’éducation de la prochaine génération plutôt que de préserver les produits des générations précédentes comme un corps invariable d’informations, qui doit être transmis intact et inviolé. L’histoire peut être transcendée une fois que nous voyons qu’une matière élaborée, non nécessaire, peut être remplacée par une vision beaucoup plus condensée dans laquelle toute cette matière réapparaît sous la forme de cas particuliers vus sous certains éclairages. Nous avons montré comment, au moyen de la technique de l’animation, on peut réaliser de telles condensations. Cette distillation de la connaissance héritée est économique, elle signifie que nous n’avons plus besoin de répéter un point de vue chronologique. Parce que seule la conscience peut être éduquée, il semble raisonnable de donner aux élèves le plein usage de leur conscience, et de là de leur cerveau, aussi longtemps qu’il peut être prouvé que cela peut être aussi fructueux que n’importe quelle autre façon d’intégrer une expérience collective appréciée par la collectivité. *** Les films déroulent des images dans le temps. Bien que le temps ne soit pas une notion mathématique, il est un axe de toute pensée mathématique et nous lui donnons droit à une place

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12 L’éducation de tout le cerveau

quand nous visons à faire de nos élèves des mathématiciens créatifs. C’est pourquoi on préfère le moyen du film à tout autre. Il est certainement préférable au mot parlé ou écrit. Nous avons indiqué comment nous éduquons le cerveau entier en faisant des images et de leur dynamique les avant-coureurs des mots. La verbalisation au sujet de notre expérience après avoir vu un film a de la valeur. Mais elle ne peut que traduire de façon limitée l’expérience ineffable de classes infinies d’impressions simultanées recueillie des entités animées sur l’écran. L’infini est maintenant réel, il n’est que latent quand on utilise le langage. Il est difficile de révéler la richesse de l’expérience géométrique sans cette présence explicite d’infinités. Et il n’est pas nécessaire de les traiter seulement de la manière sophistiquée des cours avancés. Par exemple, bien que le « continuum » soit une notion transcendante pour le mathématicien classique, c’est une expérience primitive pour tous ceux qui se déplacent et qui remarquent une variation dans le paysage. Ainsi, nous nous sentons libres de l’offrir directement aux élèves, à tout âge, en reportant à des occasions spéciales l’effort d’imposer à cette expérience le manteau artificiel d’un système axiomatique. Ce

n’est

qu’un

accident

de

l’histoire

que

l’expérience

géométrique n’ait été considérée comme valable que lorsqu’elle était présentée avec une preuve syllogistique. Des milliards de personnes ont été exposées à cela, pendant des millénaires. Mais

175


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

seule une très petite fraction a été capable de revendiquer la qualité de géomètre. Nous avons vu quelle vaste expérience peut être gagnée en commençant par le continuum et en offrant des moyens de faire des affirmations à son sujet. Ainsi maintenant, nous pouvons laisser chacun choisir, en connaissance de cause, si cela est assez passionnant pour se dévouer à continuer. Il est maintenant possible que le but essentiel de l’éducation en géométrie soit de conduire les élèves à découvrir et à s’approprier la richesse. Puisque nous pouvons associer d’autres fonctions mentales à l’étude intuitive proposée, ce ne sera pas un handicap que soit aussi offerte, à un stade ultérieur, une nouvelle technique menant à l’axiomatisation. Il est bien plus facile de superposer à la richesse la formalisation, (souvent valorisée à tort par ceux qui détiennent l’autorité), que d’éduquer la créativité chez ceux qui ont commencé avec des systèmes formels. En fait, il ne semble pas qu’aujourd’hui on ait un choix dans ces matières : le triste échec de la formalisation dans les premiers stades de l’éducation mathématique est un avertissement salutaire. La proposition de la Science de l’Education est que nous « jouions» avec les esprits créatifs des jeunes et que nous mobilisions leur esprit tout entier, et leur cerveau entier, pour qu’ils rencontrent la géométrie face à face et fassent d’elle une partie intégrante de leur comportement mathématique.

176


12 L’éducation de tout le cerveau

L’étoile Le scénario d’un film appelé The Star vaut la peine que nous le considérions brièvement ici en raison de sa simplicité et de sa fécondité. « L’étoile » est définie comme un point du plan, avec toutes les demi-droites du plan qui ont ce point pour origine. L’une quelconque de ces demi-droites peut représenter l’ensemble entier si nous permettons la rotation autour du point donné comme un procédé qui « balaie » l’ensemble. Il y a deux sens de rotation, le sens des aiguilles d’une montre et le sens contraire. Si nous ne nous arrêtons pas après un tour complet, nous « couvrons » l’ensemble en partie ou en entier, et ceci autant de fois que nous le voulons, dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans le sens contraire. On peut voir un exemple d’un tel « recouvrement » sur une montre ou une horloge avec des aiguilles, car on peut imaginer une aiguille comme amincie et étirée pour devenir une demi-droite. Une montre peut avoir trois aiguilles, couvrant « la même surface » à des vitesses différentes. En mathématiques avancées, cette surface s’appelle une « surface de Riemann » d’après le mathématicien allemand qui fut le premier à être conscient 177


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

qu’une telle surface pouvait se concevoir et être utilisée pour rendre certains défis difficiles plus intuitifs. La surface elle-même est si facilement imaginée qu’elle ne demande rien que des enfants d’âge scolaire n’aient à leur disposition. Nous ne considèrerons pas les problèmes complexes résolus par Riemann. Mais nous ferons quelques applications élémentaires, par exemple, en trigonométrie, et c’est pourquoi nous relevons cet aspect de l’étoile. La valeur d’une telle étude est d’ouvrir les esprits des élèves aux possibilités en illustrant cette phrase : « Il y a davantage là que n’en rencontre l’œil ». Evidement, il y a bien davantage de prises de conscience élémentaires familières qui proviennent de cette ligne d’attaque. Nous ne ferons qu’énumérer quelques-unes des possibilités très brièvement ici. • Un point sur une demi-droite qui fait un tour complet engendre la circonférence d’un cercle. Ainsi, en faisant varier la position du point, nous pouvons engendrer la famille complète des « cercles concentriques » qui ont le point donné comme centre.

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12 L’éducation de tout le cerveau

• Deux points de la demi-droite engendrent par le même procédé un « anneau ». En faisant varier la distance entre ces points, la largeur de l’anneau peut être aussi grande ou aussi petite qu’on veut ; le plan entier et la circonférence de rayon zéro sont les « cas limites » de tels anneaux. • La figure formée par deux demi-droites différentes de l’étoile est « un angle », le point étant son « sommet » et les demi-droites ses « côtés ». Pour chaque paire de demi-droites il y a deux angles qui, additionnés, donnent le plan entier. • Un angle qui couvre le plan entier en une fois sera formé d’une seule demi-droite. Il est commode d’appeler chaque côté de cette demi-droite « une lèvre » de sorte que chaque demi-droite en ait deux. Dans ce cas, le plan, la demi-droite et ses deux lèvres est la « feuille » de surface de Riemann mentionnée plus haut qui, ici, se réduit à un angle, un tour complet. • Deux angles peuvent être « additionnés » ou « soustraits » en les remplaçant par une autre paire qui a un côté commun ; ceci est une addition

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

lorsque les angles sont sur des lèvres opposées du côté commun et une soustraction quand ils sont sur la même lèvre. • Tout ce qu’on a dit d’une étoile peut être répété à propos d’une autre étoile ayant un centre différent. Les demi-droites des deux étoiles peuvent être appariées de différentes façons pour engendrer divers lieux. Par exemple, quand nous concevons chaque étoile comme engendrée par des rotations en sens contraires, alors l’intersection des demidroites correspondantes trace la médiatrice du segment qui joint les centres des deux étoiles , avec une rupture apparente dramatique quand les deux demi-droites passent par des positions où elles sont parallèles.

*** On peut utiliser une étoile comme une introduction aux notions principales de la trigonométrie. Ceci est fait dans le film Folklore of Mathematics: Trigonometry. Ce film commence avec un cercle blanc qui subsiste sur l’écran. Une étoile a son centre au centre du cercle. Chaque demi-droite coupe la circonférence en un point et nous pouvons penser ce 180


12 L’éducation de tout le cerveau

point comme « décrivant » la circonférence pendant que la demi-droite tourne pour engendrer l’étoile. Ceci signifie que nous pouvons reporter diverses propriétés de l’étoile sur le mouvement du point se déplaçant autour du cercle. En particulier, la surface de Riemann dans ce cas est réduite à l’intérieur du cercle. Un angle sur une « feuille » de la surface de Riemann est augmenté par une révolution complète quand le point passe à la feuille suivante. Une révolution complète s’écrit traditionnellement . Ainsi un angle A sur une feuille est plus généralement défini A ± sur la énième feuille. En trigonométrie, les angles sont toujours de cette espèce : on les mesure sur une feuille, puis les autres sont déterminés selon le nombre de feuilles traversées. Quand on en arrive à faire des affirmations sur le film, il est utile d’avoir un certain cadre de référence accepté. Pour les spectateurs cela peut se faire par gestes avec des couleurs, ou à l’aide de noms temporaires acceptés. Dans le présent contexte sans le film, nous ne pouvons compter que sur quelques diagrammes

auxquels

nous

nous

référerons

de

façon

traditionnelle. Ainsi le rayon horizontal à droite et le rayon vertical vers le haut peuvent être choisis comme lignes de référence d’un système de coordonnées avec pour origine O, au centre du cercle. La perpendiculaire au diamètre horizontal, issue du point P qui décrit le cercle, rencontre ce diamètre en S. Le point P est associé à l’angle fait par sa demi-droite

181


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

correspondante et la ligne horizontale de référence. En appelant , nous pouvons dire que sur la première feuille,

cet angle .

Le film montre le point P décrivant la circonférence. Le segment [OP] est un rayon et comme tel garde une longueur constante tout le temps. On peut le prendre comme unité de mesure. On peut observer que les segments [PS] et [OS] varient en longueur, de la longueur zéro à l’unité. Leurs changements de longueur semblent être reliés entre eux : lorsque l’une augmente, l’autre diminue. Ces variations deviennent plus claires lorsqu’elles sont reliées aux variations de l’angle s’écrit « [OS] s’écrit «

. La longueur du segment [PS]

» et se lit « sinus théta ». La longueur du segment » et se lit « cosinus théta ». Les longueurs de

ces segments sont évidentes lorsque

182

vaut zéro ou une


12 L’éducation de tout le cerveau

révolution complète de positions intermédiaires où

; elles sont également évidentes aux vaut

,

ou

.

On peut noter qu’une forme particulière du triangle OPS peut apparaître dans positions distinctes, chacune ayant le même sinus et le même cosinus. Pour les distinguer, il est habituel d’invoquer les directions positive et négative du système de coordonnées. Ainsi, par exemple dans le « troisième quadrant » le sinus PS et le cosinus OS sont tous deux négatifs. Certaines relations deviennent immédiatement évidentes à partir de l’image dynamique et ne nécessitent pas d’être mémorisées sous forme symbolique. Par exemple, le cosinus d’un angle du second quadrant est le négatif du cosinus de son « supplément » : COS = COS ( - ).

183


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

On pourra encore noter à partir de la forme des triangles considérés que le cosinus d’un angle est le sinus du « complément » de cet angle. Il sera également clair que les fonctions sinus et cosinus sont « périodiques », répétant leurs valeurs pour des angles plus grands qu’une révolution complète, quand le point se déplace autour du cercle de nouvelles fois, ou, d’un autre point de vue, quand le point se déplace sur d’autres feuilles de la surface de Rieman.

*** Un autre ensemble important de relations est indiqué dans le film quand on dessine des carrés sur les segments [OP], [PS] et [OS]. Le premier carré reste constant, c’est un carré unité. Les autres varient en aire de zéro à l’unité. Les changements dans leurs surfaces semblent reliés : quand l’une augmente, l’autre diminue. La surface du carré de la longueur de[PS] est , qu’on abrège habituellement en

et

de même pour l’autre carré. Les images des carrés sont plus 184


12 L’éducation de tout le cerveau

suggestives et il semble possible que les deux carrés changeants soient des compléments dans le carré unité. Il en est certainement ainsi dans les quatre positions spéciales où un carré est nul, et c’est également vrai pour des positions intermédiaires où les deux carrés sont la moitié de l’unité. Ceci confirme la forme trigonométrique du théorème de Pythagore : sin + cos = .

Le film offre aussi l’image d’une autre fonction trigonométrique. On trace une droite qui touche le cercle à l’extrémité T du diamètre horizontal de référence. La demi-droite tournante qui coupe le cercle au point P, coupe maintenant aussi cette tangente en un point Q. Lorsque P tourne autour du cercle, Q monte le long de la droite tangente, puis réapparaît dramatiquement d’en bas, revenant à T en même temps que P. Le segment [QT] varie en longueur de zéro à l’infini puis de l’infini à zéro. La longueur de ce segment s’écrit « » et se lit « tangente théta» : ici, le nom se rapporte à la tangente au cercle sur laquelle la fonction est représentée.

185


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Le film indique alors par l’emploi d’une échelle que la fonction tangente est reliée aux deux précédentes. En fait, elle est leur quotient :

.

De nouvelles sections du film produisent les courbes des fonctions sinus et cosinus. Le temps est à nouveau introduit comme une coordonnée quand on permet aux images des segments sinus et cosinus de persister alors que le point se

186


12 L’éducation de tout le cerveau

déplace autour du cercle. La vitesse de l’animation à laquelle le point P est pris autour de la circonférence subit des variations. Cela modifie la forme des courbes trigonométriques pour donner des ondes avec différentes « longueurs d’ondes » et différentes « fréquences ». *** Il sera évident aux professeurs du secondaire que ce qui peut être tiré de minutes de film couvre une très grande partie de la trigonométrie classique demandée à l’école, jusque et y compris les classes terminales, juste avant l’université. Le film permet cela d’une façon cohérente qui remplace la mémorisation de formules interminables par une seule image dynamique qui coûte très peu, un rien, à retenir. De plus, le travail présenté ici ne demande rien qui ne soit accessible aux jeunes enfants et ne demande pas à être étalé sur de nombreuses années. La trigonométrie est un des sujets dans le « folklore » des mathématiques qui peut être refondu et offert aux jeunes enfants dans son intégralité.

Récapitulation Les jeunes enfants font continuellement l’investigation de leurs pouvoirs de perception et d’action ; ils utilisent leurs pouvoirs spontanément, sans qu’on doive le leur enseigner, afin 187


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

d’élaborer leur expérience d’eux-mêmes et du monde. Dans la première partie de ce chapitre, nous avons essayé de montrer comment cela peut devenir une partie intégrante de l’éducation mathématique. Les géoplans font la synthèse de la perception et de l’action. Ils le font minutieusement, en exigeant des actes séparés, qui donnent quelque chose qui existe par lui-même, d’une façon aussi simple ou aussi compliquée que le choisit l’enfant individuel. Cela peut se traduire en langage mathématique, qui dorénavant déclenche des images bien logées dans l’esprit. Une autre section a offert une façon très différente d’élargir l’expérience mathématique des élèves. Dans le cas du film, l’action est déléguée à l’animation. Cela prive les spectateurs de l’initiative avec laquelle ils peuvent habituellement modifier le champ de perception en utilisant leur volonté. Mais cela donne une nouvelle sorte de dialogue fondé sur le pouvoir du continuum et la dynamique de l’esprit. Ce sont deux façons très différentes de relier la conscience de la mathématisation aux manières spontanées de savoir qui nous appartiennent à tous ; les deux changent puissamment la façon dont les élèves commencent la géométrie, restent avec elle pendant leurs leçons et après, et l’intègrent comme un comportement mental « naturel » à tous les autres comportements, y compris la verbalisation, la discipline, le

188


12 L’éducation de tout le cerveau

contact avec les défis, et la rétention. Les structures mentales résultantes sont disponibles pour la construction de structures mentales mathématiques. Certains des films discutés dans ce chapitre étaient animés par ordinateur. Mais les ordinateurs peuvent être rendus interactifs d’une façon différente et bien plus efficace. Ils ont un immense avenir dans l’éducation à condition qu’on ne les utilise plus pour dispenser l’information. Notre description de l’approche offerte dans certains films peut déjà suggérer qu’il y a des moyens d’engager les élèves à étendre les scènes dans de nombreuses directions. Le grand avantage est qu’ils peuvent amener les élèves à se tourner vers eux-mêmes et à les rendre pleinement responsables des pas qu’ils font. Nous pouvons maintenant dire que nous savons comment éduquer le mathématicien en chacun de nous, même si seul un petit

nombre

d’entre

nous

va

devenir

mathématicien

professionnel. Evidemment, bien plus doit être fait. La nouvelle Science de l’Education a besoin de ses savants. Il faut de nombreux travailleurs pour remplir les failles et étendre le filet. Il se peut que nous devions attendre de nombreuses années avant de voir, par exemple, des équipes d’auteurs de scénario et de programmeurs se mettre ensemble pour résoudre les problèmes de la réalisation de programmes d’ordinateur interactifs

189


La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

adéquats. Mais qu’on ait tant fait en un demi-siècle augure bien du futur. Ce qu’il faut maintenant, c’est que des éducateurs de toutes sortes se rendent eux-mêmes vulnérables à la conscience de la conscience et à la mathématisation, plutôt qu’au contenu historique des mathématiques. Ils doivent se donner à euxmêmes une occasion d’expérimenter leur propre créativité et, quand ils sont en contact avec elle, ils doivent se tourner vers leurs élèves pour leur en donner l’occasion à eux aussi. Les trois chapitres de ce volume y contribueront peut-être.

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Quelques références bibliographiques

Livres diffusés par U.E.P.D. • Guide introductif aux nombres en couleurs ( ) • Leçons avec les nombres en couleurs • Enfin Freddy comprend l’arithmétique ( ) • The Common Sense of Teaching Mathematics ( ) • Géométrie des Géoplans, livret traduit par M. Laurent ( , , ) • Lot de manuels : A, B, C, , , , , ,

Transcription de séminaire, U.E.P.D. • Des Mathématiques ( )

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La science de l’éducation Partie La conscience de la mathématisation

Matériels, U.E.P.D. • Réglettes Cuisenaire.

Le site de l’Association Une Education Pour Demain (UEPD) www.uneeducationpourdemain.org Les lecteurs intéressés trouveront entre autres sur ce site : • une bibliographie complète de l’œuvre de Caleb Gattegno, qui comprend de nombreuses contributions à l’enseignement des Mathématiques : livres, articles, films, matériels divers. • la liste complète des livres et matériels de Mathématiques disponibles chez UEPD, • différents articles Mathématiques,

concernant

l’enseignement

des

• le calendrier des séminaires portant sur l’enseignement des Mathématiques et organisés par UEPD.

192




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