Révéler l’informel

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Révéler l’informel Mémoire Master 1 ETIENNE MENGUY sous la direction de Aysegul Cankat Aedification, Grands Territoires, Villes – 2020 / 2021

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École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Image de couverture : Jeune fille dans un bidonville de Nanterre en octobre 1961, en France - REPORTERS ASSOCIES/Gamma-Rapho

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RE M ER C I E M E N TS Pour leur aide et leur contribution je tiens particulièrement à remercier Aysegül CANKAT mon référent de mémoire, pour nos échanges et son investissement tout au long de cette rédaction. Je remercie également l’ensemble des personnes ayant partagé leurs connaissances avec moi afin d’enrichir le contenu de ce mémoire et qui m’ont mené à de nouvelles réflexions. Je tiens à remercier Alain Bocquet, animateur de la Société d’histoire de Nanterre pour ses échanges précieux. À mes proches, famille et amis, qui m’ont permis d’aller au-delà de mes capacités et qui m’ont apporté leur soutien.

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PrÉambule J’ai choisi de travailler la question de la représentation informelle en raison des qualités intrinsèques qu’elle présente à mes yeux. C’est à la rencontre de l’homme, de son inventivité, de ses rêves, de son esprit de collaboration que je vois la ville de demain, celle qui répond à mes préoccupations de futur praticien et aux préoccupations communes d’un avenir à l’aube de bouleversements climatiques. L’architecture informelle possède des qualités, des manières de faire qui sont autant de solutions et d’informations utiles à l’architecte. Afin de rendre visible et de valoriser cette production il est important de comprendre les mécanismes de représentations qui en faciliteront la lecture et la compréhension. Afin d’ouvrir les possibles, je sors des carcans de l’architecture informelle pour m’ouvrir aux autres domaines touchés par cette question. En m’ouvrant à eux, je cherche à découvrir les savoirs de ses métiers et domaines, à en tisser les liens. Pour construire et justifier mon propos, je fais appel à des références graphiques et théoriques. Ainsi, ce mémoire me permet, à travers des analyses graphiques réalisées par des architectes à différentes temporalités, de découvrir les moyens de représentations utilisés pour transmettre le savoir. C’est avec un regard étudiant et actuel que celles-ci sont analysées dans une quête d’apprentissage et d’un développement de mes capacités de transmission de l’information.

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SO M M A I RE

Remerciements

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Préambule

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Introduction

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1. Les multiples domaines informels

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1.1.

S’ouvrir à d’autres domaines

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1.2.

La musique

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1.3.

Les arts visuels

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1.4.

La littérature

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2. Représenter l’informel

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2.1.

La représentation

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2.2.

Le bidonville de Mahiéddine

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2.2.1

Une analyse codifié : La grille

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2.2.2

La représentation au service du projet

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2.2.3

Développer les pensées et le projet

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2.2.4

Se détacher des stéréotypes du modernismes

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2.3.

Le bidonville de la rue des Prés

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3. Conclusion

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4. Bibliographie

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Comment les outils de représentations, notamment le dessin et le redessin peuvent révéler les qualités intrinsèques de l’habitat informel et comment ces qualités peuvent-elles être incluses dans le processus de projet ?

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I N TRO D U C T I O N

INTRODUCTION

Les constructions informelles et vernaculaires continuent de faire l’objet de nombreux débats, car depuis longtemps existe le clivage entre une volonté de modernisation/industrialisation et une conservation des traditions, du savoir-faire, de la localité, d’un maintien d’une culture plus proche de l’homme dans la fabrication de l’espace. Cette culture de la vie de l’homme je l’ai ressenti à travers les voyages que j’ai pu faire. En me rendant à Arequipa, au Pérou ou à Mexico City, au Mexique, j’ai pu voir la solidarité et l’intelligence collective pour construire leur territoire mais aussi pour y vivre, y survivre. Le tumulte extérieur et permanent donne à la ville une effervescence que je n’avais que rarement ressenti jusqu’alors. J’ai tout autant été frappé par l’intelligence et l’habileté avec laquelle le disponible fait le construit, souvent résidu du marché de la ressource. La question architecturale s’est alors posée, comment ces espaces informels fonctionnent et quelles qualités spatiales permettent de créer une agitation qui n’a plus ou que très peu lieu en Europe ? Comment rendre lisible l’intelligence constructive des dispositifs qui construisent les espaces informels ?

Une architecture qui fait sens

Aujourd’hui, face aux questions environnementales telles que le réchauffement climatique, la pollution de l’air, la gestion des ressources et sociétales telles que l’éducation, la croissance démographique, la santé, réinterroger la production informelle permet d’entrouvrir les portes de nouveaux horizons. Il s’agit d’analyser les idées, les solutions, les dispositifs misent en place dans des productions informelles pour en révéler les processus, pour constituer de nouveaux outils, de nouvelles références, de nouveaux savoirs faire mobilisables par l‘architecte. L’informel, à l’image du vernaculaire, contient en lui des réponses et des essais sur la fabrication de l’espace et vient en complément de la fabrication d’architecture savante, de villes planifiées qui font références. L’art informel a pu engager la réflexion sur le processus de création de la forme sans fixer à l’avance celle-ci comme résultat. Cela engage une première réflexion, le processus devenant ainsi plus important que la forme achevée. Comment représenter les processus de création de l’informel qui par essence se produit d’une succession d’actions créatives continues/discontinues, réversibles, inattendues? « Souvent la perfection dans les œuvres d’art empêche l’âme de les agrandir. N’est-ce pas le procès gagné de l’esquisse contre le tableau fini, au tribunal de ceux qui achèvent l’œuvre par la pensée plutôt que de l’accepter toute faite » (Balzac, 1837)1 De l’objectif de développer un corpus d’éléments architecturaux, de spatialités, de liens informels représenté par et pour des architectes, découle une analyse théorique de celui-ci. Cette analyse engage une deuxième réflexion sur les concepts même de représentations, où habituellement l’architecte utilise des codes de représentations pour représenter le formel. Peut-on alors utiliser les 1

BALZAC, Honoré de, Gambara, 1837, Revue et gazette musicale de Paris (Folio), p. 116

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INTRODUCTION

codes d’une représentation formelle pour étudier l’informel ? L’informel qui interroge aussi l’identification et la transmission des savoir-faire dans les processus créatifs, a intéressé plusieurs architectes et a fait l’objet d’analyse de leur part. Là où le marteau et l’enclume sont les outils de prédilection du forgeron, le dessin en est l’alter ego de l’architecte, il convient donc d’en décrypter les usages. L’analyse des processus informels, des usages, des techniques souvent relégués au rang de la simple illégalité, de l’insalubre et du désordre, permet avant tout d’enrichir la culture architecturale en y incluant les connaissances produites à partir de l’informel.

des recherches savantes

Au début des années 50 les CIAM reçoivent une nouvelle génération d’architectes donnant lieu à une synthèse des expériences architecturales passées, les transformant en un lieu de confrontation et de nouveaux groupes s’organisent en réaction. Le CIAM 9 (1953), accueil l’équipe CIAM Alger, ils vont alors ouvrir les horizons en proposant une étude du bidonville de Mahiéddine qui engagera un tournant dans la réflexion de l’habitat. À l’époque on ne dénombre pas moins de 109 bidonvilles à Alger regroupant 40 000 à 50 000 personnes. Dar Mahiéddine en était le plus peuplé avec 10 000 habitants. Roland Simounet dira à propos de cette étude qu’elle lui fut déterminante dans sa carrière : « Après quelques semaines de travail apparaissent dans toute leur clarté les éléments d’une synthèse : économie de moyens, ingéniosité, utilisation et maîtrise des espaces, intégration de la végétation, poésie. Naturellement la trame sanitaire est inexistante. Des améliorations sont nécessairement évidentes, mais la leçon reçue est très forte, l’épreuve déterminante. Je formule alors une règle que je garde encore présente : ne rien détruire avant d’être en mesure de proposer mieux. » (Bonillo, Massu, Pinson, 2006)2 La richesse graphique des documents établis par Roland Simounet et leur précision établis sous forme de grille est à notre connaissance la première tentative de structuration de la connaissance informelle. Elle est aujourd’hui une démarche naturelle et assez commune chez les architectes. Son efficacité est tangible. L’étude en grille réalisée par le groupe propose une analyse, un relevé du bidonville pour structurer, stimuler, façonner, présenter un projet architectural. Ce relevé permet de distancer le bidonville de l’image pathologique qu’on le lui a réservé depuis des années. Les dessins, croquis et relevés de R. Simounet saisissent à un instant donné des dispositifs spatiaux, des systèmes, des relations. Au travers du dessin il analyse. Le dessin devient en même temps qu’un outil, la condition qui détermine la compréhension de l’investigation. Ainsi, il cerne les modes de vie qui construisent les espaces décrits, il en comprend les règles constitutives qui serviront de base aux projets futurs. De nombreux architectes, dans toute leur carrière et non pas seulement Roland Simounet, s’intéresseront à l’architecture informelle, notamment Georges Candilis qui lui aussi avait démarré une analyse au Maroc lors du CIAM IX sous l’impulsion de Michel Ecochard. L’influence de ses deux jeunes architectes, aujourd’hui reconnus, continue. C’est à la fin des années 60, que Serge Santelli et Isabelle Herpin alors étudiants au sein de la collégiale fondée par Bernard Huet, réaliseront un relevé des deux bidonvilles de la rue des Prés 2 BONILLO, Jean-Lucien, MASSU, Claude, PINSON, Daniel, L’expérience du bidonville, Roland Simounet et le groupe CIAM-Alger, La modernité critiqué, autour du CIAM d’Aix-en-Provence-1953, Imbernon, Marseille, 2006, p.207

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INTRODUCTION

à Nanterre. Ils ont pu, peu avant sa destruction, en dévoiler une analyse approfondie. De cette analyse ont découlé de nombreux documents mêlant les codes de la représentation architecturale et des codes de représentations plus personnelles. L’analyse s’entre coupe de photos comme Georges Candilis et Roland Simounet ont pu le faire dans leur analyse du neuvième CIAM. Sous la forme d’un ouvrage, les dessins s’accompagnent de longues descriptions. Ces documents déjà établis par des architectes apportent les fondations d’une base de données de la production informelle. De nombreux autres bidonvilles, favelas, quartiers informels ont été étudiés par les architectes. Lors de mes recherches l’un m’a particulièrement interrogé pour son unicité et son manque considérable d’analyses par les architectes. La citadelle de Kowloon est un quartier Chinois proche de Hong Kong (1,9 million hab./km2 en 1987) devenue célèbre pour sa densité exceptionnelle. Elle est un des rares cas de production informelle verticale avec la Torre David de Caracas au Venezuela. De cette citadelle, très peu de documents subsistes. Alors passionnés, photographes, internautes, architectes commencent petit à petit à créer un corpus de dessins, de photographies, de textes pour en étudier la spatialité, les relations qui s’y sont créés. Comment rendre mobilisable cette production pour l’architecte dans sa pratique ? d’autres domaines pour Élargir les possibles

Au-delà de toutes ces interrogations sur les productions architecturales de l’informel, s’invitent d’autres domaines. En effet, la première fois que le mot informel est évoqué c’est dans les arts visuels, la peinture. Michel Tapié l’utilise en novembre 1952 dans Un art autre pour définir une tendance artistique qui s’affirme alors en Europe, en Amérique et au Japon. Parmi ces premiers créateurs on retrouve Jean Fautrié. Dans les arts, l’informel trouve ses représentant dans l’abstrait, dans l’instant, dans l’improvisation à l’image de Pierre Soulage, Jackson Pollock ou Jean Fautrier. Ce dernier évalue comme indissoluble le lien entre art et réel et en précurseur de cette forme d’art, en fera même la condition sine qua non de la création : « Il faut bien admettre que le désir de s’exprimer, à l’origine, nous vient de la chose vue » et la matière, de même que la forme et la couleur, ne valent que pour « restituer en nuances d’émotion la réalité qui s’[y] est incorporée. Le réel est [pour lui] la poussée initiale ; il donne le branle à tout ce qui va s’ensuivre. Il n’y a plus qu’à se laisser aller » (Fautrier, 1995)3. Dans le langage, l’informel est celui que l’on emploie avec ses proches. En français, l’usage du vouvoiement est sûrement l’un des indicateurs les plus notables du langage formel. Les marques de politesse et de respect sont également plus appuyées et on garde une certaine distance avec son interlocuteur. Charles Bukowski est un auteur, poète Californien, plutôt très informel. Son œuvre (1920-1994) est très mince de description et pourtant elle traduit un espace familier, une spatialité que chacun peut s’imaginer car par-delà la description c’est le langage informel « qui participe, en informant sa langue et son style, de la «stratégie» esthétique de Bukowski » et aide « à caractériser les positions successives qu’il y a occupées au cours de sa trajectoire d’écrivain ». (Brosseau, 2002)4

3 FAUTRIER, Jean À chacun sa réalité, Écrits publics, Paris, L’Échoppe, 1957 4 BROSSEAU, Marc, It isn’t the place that does the writing: lieux et écriture chez Bukowski, Géographie et cultures , Paris, 2002, p.16

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INTRODUCTION

« - Est-ce que la géographie a une influence sur votre façon d’écrire ? - Je ne suis pas un gars de descriptions. J’en mets un minimum pour donner aux gens une petite idée, puis j’espère qu’ils se font leur propre décor. » (Doucet, 2007)5. Il me semble très important que le processus de représentation et la représentation elle-même rendent visibles les constructions informelles ou vernaculaires produites à travers le monde. Ces connaissances qui ne sont transmises que de manière fragmentées nécessitent d’être mises à disposition de la manière la plus claire possible à l’architecte. Pour ce faire, je me pencherais sur les outils mis en œuvre par des professionnels ou étudiants. C’est-à-dire sur les outils ayant permis des représentations réalisées dans le cadre d’analyses qui permettent à la fois de saisir le quotidien, les espaces, la spontanéité, le déjà-là, le banal et de quelles manières ils les rendent visibles pour les utiliser dans le cadre de projet. L’objectif de ce mémoire est de comprendre comment rendre au mieux lisible cette production pour en utiliser le potentiel et comment l’architecture en s’ouvrant à la production spatiale sans architecte peut augmenter ses capacités à répondre aux questions environnementales et sociétales par lesquelles il est concerné. C’est parce que la sensation de vie et de bouillonnement que j’ai vécu dans les espaces informels que j’ai visité me reste, que je ressens le besoin de les décrypter, de les comprendre pour pouvoir à mon tour les utiliser et en transmettre plus tard mes connaissances. « Tout cela est conservé dans des mémoires d’hommes, d’hommes sujets à la mort et mourant chaque jour. Pour moi, je considère la mort de chacun de ces traditionalistes comme l’incendie d’un fond culturel non exploité. » (Amadou Hampâté Bâ, 1960)6

5 DOUCET, Sophie, « 10 questions à Stéphane Bourguignon », L’actualité, 1er mars, p. 72 6 HAMPÂTÉ BÂ, Amadou, discours de à la commission Afrique de l’UNESCO, disponible en audio à 16 minutes 25 secondes, [https://www.ina.fr/audio/PHD86073514]

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INTRODUCTION

Citadelle de Kowloon, extrait du livre, Daizukai Kyuryujo, Iwanami Shoten, 1997, Japon

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

Chapitre 1 Les multiples domaines informels Jean fautrier, têtes d’otages sur fond noir, 1945 Engelberts 1944/7 - Mason 234

Extrait de la Partition du « Klavierstück XI » de StockhausenGerald 1956

Charles bukowsky en 1978

Photo par Ulf Andersen / Solo

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

1.1.

S’ouvrir à d’autres domaines

Je recherche à travers ce mot à découvrir les processus, qu’ils soient architecturaux ou non, qui permettent d’aboutir aux qualités inhérentes aux productions informelles. Afin d’appréhender au mieux celui-ci et me positionner sur ce domaine, il me faut en découvrir les racines mais aussi le détacher de son rapport à l’habitat et à l’architecture. « Le travail sur l’habitat informel produit des connaissances sur les processus de fabrication spatiale, et, par la séparation du qualificatif « informel » de l’« habitat », participe de la construction des idées pour une pensée renouvelée du projet. » (Cankat, 2021) 1 Sa première apparition nous est contemporaine, les différentes sources croisées ont amené à la même première apparition dans La Voix de Paris, en 1950, par le critique conservateur Jerzy Waldemar Jarociński dit Waldemar-George à propos de Fautrier2. Il est dès lors utilisé pour exprimer une contestation, il intervient en réponse à un creux. Il exprime une nouvelle forme d’art qui se veut ou qui se crée loin des dictâtes, des méthodologies et des critères de représentation de la peinture. Il me semble important de développer ce qui peut séparer, comme rapprocher, l’informel du vernaculaire pour éviter toute forme de confusion. Il est d’autant plus difficile d’étudier les différences entre ces deux mots qu’il n’existe pas de définition unique pour le vernaculaire non plus. Je m’appuierai donc sur la définition qu’en fait Ivan Illich, dans In the miror of the past3 : « Créer des habitations n’est pas le propre de l’architecte. [...] Chacun devient un maître bâtisseur vernaculaire en grandissant d’une initiation à l’autre, en devenant une habitante, un habitant. Par conséquent, l’espace cartésien, tridimensionnel, homogène que les architectes conçoivent et l’espace vernaculaire que l’usage fait exister, sont des catégories distinctes. » L’architecture informelle s’exprime comme une extension, un complément du vernaculaire. Il est une réponse personnelle qui se dégage de tout caractère officiel ou de norme. C’est une forme de réponse primaire, mais extrêmement complète car elle intervient de manière spontanée dans une situation donnée, il transforme constamment, expérimente. Le vernaculaire est une économie parallèle, un secteur informel et pourtant présent tout autour de nous. Le meilleur exemple étant l’explosion du marché du bricolage en constante augmentation depuis les années 90. Car le vernaculaire comme l’informel « implique l’amateur comme le spécialiste, l’habitant comme l’artisan. Il prône l’économie de la ressource, la parcimonie des gestes, l’autonomie du collectif, la frugalité, la modestie. » (Chopin, Delon, 2014)4 L’informel ne se fait pas le reflet d’un peuple, d’une tradition, il ne revendique rien mais s’exprime comme un processus ouvert et continu, réversible, non fini. L’informel ne se classe pas et ne s’identifie pas par des traits de caractères particuliers, car justement il est un processus continu. 1 CANKAT, Aysegul, L’informel comme machine à penser l’espace et le temps, Volume III, HDR, 2021 2 VILLEMUR, Frédérique, PIETRZAK, Brigitte, FACCHETTI, Paul, le Studio, art informel et abstraction lyrique, 2004, Éd. Actes Sud, p. 14 ; Serge Guilbaut, Disdain for the Stain: Abstract Expressionism and Tachisme, p. 41, in Abstract Expressionism, The International Context, Rutgers University Press, 2007) 3 ILLICH, Ivan, In the miror of the past, 1978-1990, Éd. Marion Boyars, New York. 4 CHOPPIN, Julien, DELON, Nicolas, Matière grise, Éd. Pavillon de l’arsenal, 2014

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

On peut apprendre un art vernaculaire ou une partie, tenter de le décoder, le classifier, d’en comprendre les aspects. À l’inverse, l’informel se construit dans le quotidien et de manière individuelle. Il n’est donc pas lié à une norme, une entité ou quelconque identité, il peut ainsi jouir d’une créativité sans limite qui ne pourrait être atteinte dans d’autres domaines. Des domaines qui ne sauraient d’échapper du cadre dans laquelle ils évoluent. Néanmoins, le vernaculaire est un art qui peut se développer dans une certaine mesure mais qui pourrait nécessiter un consensus par ses représentants. Aussi peut-on se demander si le vernaculaire serait être informel ? Où s’arrête le vernaculaire et commence l’informel ? L’informel est-il le point de départ du vernaculaire ? La limite est floue. L’architecture informelle n’est pas le premier domaine où des études ont été effectuées pour en comprendre les processus. Comme évoqué en amont, les arts plastiques en ont fait l’objet à de nombreuses reprises, il en va de même pour la littérature, la musique, la sculpture ou encore l’éducation et certainement beaucoup d’autres. C’est ce qui m’intéresse dans cette étude. Comment les domaines autres que l’architecture peuvent-ils me renseigner et m’accompagner dans ma découverte de l’informel. Peut-on trouver ailleurs des réponses qu’on ne saurait décoder dans une étude architecturale de l’informel ? En ouvrant les portes et en élargissant les horizons de l’informel à d’autres domaines, de nouvelles possibilités de représentations ou de compréhensions peuvent faire évoluer la profession de l’architecte. 1.2.

La musique informelle

La musique, au sens large, est un art aussi âgé que l’histoire de l’homme. Bien plus ancien que l’architecture, sûrement presque autant que la peinture il est impensable de l’imaginer à ses début comme un ensemble de normes, à proprement parler la musique est issu d’un processus d’organisation plutôt que le résultat d’une addition de règles. Avant même d’être un art, la musique est une histoire de reproduction personnelle, l’homme à bricolé pour reproduire ce qu’il avait entendu, il en est de même pour de nombreux habitat informels. On date à au moins 35 000 ans l’utilisation d’instruments de musique consistant en des trous percés dans des instruments faits d’os ou d’argile (Deliège, Ladinig, 2013)1. Ce fut d’abord par une intention de reproduction de la nature que l’homme à créer ces instruments, cherchant à recréer ce qu’il l’entourait de manière spontanée. Pour se faire il s’est inspiré de la pluie, des vagues, des tremblements de terre, des éboulis du vent, du tonnerre, des incendies, des craquements de branches ou des cris des animaux. Puis la musique s’est alors lentement organisée, codifiée pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui, un immense domaine aux possibilités de création presque infini. Et parmi toutes ces possibilités, l’informelle est apparue. La musique informelle est très souvent identifiée à la musique sérielle ou sérialisme qui est une technique de composition fondée sur l’utilisation de séries d’éléments musicaux. C’est une certaine évolution du langage musical qui pousse les schémas de la tonalité jusqu’à créer une absence de repères tellement les modulations sont nombreuses. Ce mouvement apparait en réponse au diktats de la tonalité, le langage musical utilisé en occident jusqu’au XIXème. 1

DELIÈGE, Irène, LADINIG, Olivia, VITOUCH, Oliver, Musique et évolution, Primento, 2013, p. 127

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

L’idée ou proposition d’une musique informelle est attribuée à Theodor W. Adorno qu’il développa en 1961 dans son ouvrage Vers une musique informelle2 (Adorno, 1982). Dans son ouvrage, il définit la musique informelle comme indéfinissable par essence car elle est constamment en mouvement : «Il ne s’agit pas ici de définir, à la manière positiviste, ce qu’est une musique « informelle ». Si ce terme désigne réellement une tendance, quelque chose qui évolue, il se moque de toute définition » (Adorno, 1982)3. Au même titre qu’en architecture, la musique informelle se réclame d’un processus en constante évolution. Elle ne se réclame pas d’une esthétique particulière, elle se libère de toute fonctions. Afin d’éviter de tomber dans les travers de la définition, François Nicolas dans son essaie « Musique informelle & dialectique négative ou le mythe esthétique des deux sœurs » 4 développe l’idée qu’Adorno utilise des philosophèmes pour la caractériser : « Une musique informelle serait celle qui, au lieu de tomber sous la coupe de la peur de la liberté, se délivrerait de cette peur en la réfléchissant et en l’irradiant. (p.313) Une musique informelle aurait à imaginer quelque chose qui échappe à l’imagination. (p.323) La musique informelle est, non pas un particularisme culturel, mais une critique du passé. (p.324) La musique informelle a pour objet l’expression d’un contenu de vérité. (p.338) » (Nicolas, 2021) Il n’est pas secret que musique et architecture sont liés. Les nuances, l’harmonie, le rythme, les variations sont souvent des thématiques évoquées pour lier ces deux disciplines. Ici, c’est le processus et l’évolutivité qui nous intéressent. Unity Capsule

Brian Ferneyhough est un compositeur anglais né en 1943 et notamment reconnus pour ses œuvres qui reçoivent trois années de suite des distinctions au concours Gaudeamus (1968-70), notamment pour les Sonatas, puis pour Time and Motion Study III, désignée meilleure œuvre toutes catégories confondues. Le compositeur à prit l’habitude de publier des textes de réflexions sur ses propres compositions après publication, afin d’exprimer la démarche de son travail en fonction des remarques, discours, commentaires faits à leur sujet. Dans Unity Capsule : un journal de bord (Ferneyhough, 1980)5 il retrace alors le travail de composition autour de son morceau. Un passage très intéressant sur le choix de l’instrument (la flûte) et création d’un « système d’organisation qui serait basé sur les irrégularités naturelles des caractéristiques sonores de la flûte » nous apprend beaucoup sur le processus créatif de l’artiste. Il utilise ses irrégularités comme une force pour le projet. « C’est à mon avis la suppression d’un bon nombre de ces éléments potentiels de production sonore (condamnés comme étant impurs ou parasites de part le fait qu’ils ne peuvent s’inclure dans des systèmes arbitraires d’organisation réglementaire) qui a engendré assez souvent une image émasculée de l’instrument. Ceci mène naturellement et immédiatement à une musique fade et impuissante. » (Ferneyhough, 1980)6 2 3 4 5 6

ADORNO, Theodor W., Vers une musique informelle, in Quasi una fantasia, Gallimard, Paris, 1982 Ibid, p340 NICOLAS, François, http://www.entretemps.asso.fr/Adorno/Informel/, consulté le 29/03/2021 FERNEYHOUGH, Brian, Unity Capsule: An Instant Diary, Editions Contrechamps, 1980 Ibid. p139

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

On retrouve dans cette explication la claire intention de sortir du carcans, imposé par les règles musicales, pour découvrir dans les irrégularités visibles un potentiel laissé jusqu’ici de côté. L’architecture informelle faite souvent de bric et de broc, se retrouve, dans cette manière presque naturelle de construire, par additions d’éléments, identifiés comme impurs ou parasitaires. « Ce morceau cherche en fait, pour le moins, à suggérer qu’aucun style de composition ne peut atteindre sa pleine force si auparavant, il ne prend pas comme point de départ cette symbiose qui existe entre l’exécutant et son instrument, avec toutes ses imperfections ; symbole d’où émane finalement la musique. » (Ferneyhough, 1980) 7 La symbiose entre l’exécutant et son instrument fait un large écho à la discipline architecturale. À titre d’exemple, Roland Simounet se servira de l’irrégularité du trait de dessin comme un outil pour représenter les habitations de Mahieddine. La réflexion du compositeur continue au delà du processus de composition. Il se pose ensuite la question de l’exécution du morceau, ou l’exécutant doit apprendre une nouvelle notation pour pouvoir reproduire le morceau. « Le simple fait d’apprendre une telle notation exige beaucoup de l’exécutant sérieux au niveau de l’analyse de sa propre conscience et de la conscience de son corps. On ne lui demande pas seulement de fonctionner en tant que reproducteur efficace des sons possibles ; il est aussi luimême le «résonateur» à travers lequel les impulsions initiales que contient la partition peuvent être amplifiées et modulées de la façon la plus variée que l’on puisse imaginer. Puisqu’on exige de l’exécutant tant de choses à tout moment, ces types d’action simultanées ne peuvent s’apprendre que successivement. L’ordre dans lequel chaque individu aborde cette tâche influe énormément, d’après mon expérience, sur le résultat final, malgré le fait que tous les exécutants réalisent « le même morceau » ». (Ferneyhough, 1980) 8 Dans la vision de l’artiste, l’exécutant fait partie de l’œuvre, il l’a modifie par la manière dont il l’aborde et se la construit mentalement. Il n’est plus seulement un reproducteur du morceau mais un acteur. Lorsque des familles nouvellement arrivées dans le bidonville de Nanterre, doivent construire dans un environnement qu’il leur est méconnu, une habitation faite d’éléments nouveaux pour eux, sur le modèle de ce qui les entoure, les résultats sont tous différents. Et pourtant un modèle initial leur est présenté, mais la manière dont les choses sont exécutées (issus de leur propres expériences et connaissances) influe sur le résultat final alors même qu’elles réalisent la « même habitation ».

Extrait de partition de Brian Ferneyhough - Unity Capsule for solo flute

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Ibid. p139 Ibid. p140

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

1.3.

Les arts visuels informels

Comme évoqué précédemment, les arts plastiques informels sont les premiers arts à avoir été qualifiés par ce mot, notamment pour qualifier les oeuvres de Jean Fautrier. L’oeuvre de Balazac, Gambara, dont Hubert Damish s’appui dans « Fenêtre jaune cadmium ou les dessous de la peinture»1 a été le point de départ de ma reflexion sur le processus informel. « Souvent la perfection dans les œuvres d’art empêche l’âme de les agrandir. N’est-ce pas le procès gagné de l’esquisse contre le tableau fini, au tribunal de ceux qui achèvent l’œuvre par la pensée plutôt que de l’accepter toute faite » (Balzac, 1837)2 J’ai compris à travers ces courtes phrases à quel point le processus pouvait se révéler être aussi, voire plus important, que la forme achevée, me poussant alors à chercher des éléments de réponses. Jean Fautrier est un peintre ayant passé sa jeunesse à Londres et qui fut mobilisé en 1917 pour la Première Guerre mondiale. Traumatisé par cette guerre, il revient en France et s’installe à Paris. Il commence dès lors à peindre et réalise de petites expositions. Au début de la 2e guerre mondiale, il est arrêté par la Gestapo puis trouve finalement refuge à 100 mètres de son atelier. En pleine guerre, témoin des horreurs perpétrées au cœur de Paris, il démarre une série de peintures qui fera sa renommée, la série des Otages. À cette époque, l’artiste ne parvient pas à retranscrire l’entièreté de ses sentiments, de ses émotions. Il ne retrouve pas dans le cubisme ou le classicisme, qui sont enfermés dans des règles assez strictes, une totale liberté qui lui permettrait de s’exprimer. Il cherche à développer ses émotions primitives, pour donner plus de corps et plus d’énergie à ses peintures tout en s’échappant de la figuration. Les otages

Cette série de peintures démarre en 1943 et dure jusqu’en 1945. Totalement détachés de la peinture figurative à travers laquelle il s’exprimait depuis des années, ces tableaux font apparaître la matière, la texture comme les éléments les plus importants, plus importants que la figuration d’objets, de personnes, de paysages. Ces effets, produits par la matière, deviennent le sujet principal des œuvres. Derrière eux, se trouvent l’angoisse, la terreur, des visages meurtris, défigurés, accidentés. Afin de mieux comprendre les concepts d’art informel, je me concentrerai sur la peinture Tête d’otage peinte en 1945. La peinture consiste en un cercle noir empli de pâte blanche et de touche rosé, séparé par un trait noir au milieu de celui-ci. Des yeux, au nombre surnaturel, sont disposés de part et d’autre du visage. Un fond de couleur ocre vient contraster avec le visage. Les effets de matières viennent appuyer et transmettre le malaise de l’artiste. Le processus qui amène à cette peinture est particulièrement intéressant. C’est d’ailleurs le processus de création de cette série qui retiendra l’attention. Pour créer ses otages, Jean Fautrier appose une masse d’enduit sur sa toile puis la modèle sans direction précise. En modelant, il propose une autre réalité et non pas une représentation formelle de celle-ci. Il représente ainsi toute une série de visages peints de la même manière. 1 2

DAMISH, Hubert, Fenêtre jaune cadmium ou les dessous de la peinture, Paris, Éditions du Seuil, 1984 BALZAC, Honoré de, Gambara, 1837, Revue et gazette musicale de Paris (Folio), p. 116

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

Jean Fautrier - Tête d’otage 1945

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« Chaque tableau était peint de la même manière. Sur un fond vert d’eau, une flaque de blanc épais s’étalait. Un coup de pinceau indiquait la forme du visage. Et c’était tout » Michel Ragon3 On retrouve dans la peinture de Jean Fautrier l’importance du mouvement. Le mouvement est ce qui accompagne le processus de création, un mouvement stoppé ou en train de s’accomplir, saisi dans l’instant. Il apparaît aussi au travers des peintures une mixité des outils de représentation. J. Fautrier multiplie les aller-retour entre peinture, sculpture, moulage et alterne les supports, toiles, cartons, plâtre. Cette démarche lui permet d’explorer de nombreuses possibilités et d’observer de nouvelles façons de représentation de la matérialité, il explore les notions de rugosité, de lisse, de creux, de mobile, tordu, lourd, translucide, claire, sombre, grand, petit, etc. L’alternative constante des outils de représentations et l’utilisation de la matière comme support de représentation permettent à l’architecte d’offrir plusieurs visions d’une même entité étudiée. Par exemple, un grand nombre des planches de l’équipe CIAM Alger multiplient les outils de représentation (photo, dessin, peinture, texte, etc.) pour donner à voir sous différents angles les multiplicités d’ambiances, de formes, de dispositions d’éléments architecturaux étudiés. La peinture informelle a permis d’ouvrir l’esprit à une autre dimension que la représentation traditionnelle classique pour transmettre des émotions. Le geste de l’acteur fait partie intégrante de la représentation et la main retranscrit le réel sous sa forme la plus personnelle. Le laisser aller sur l’artiste libère la main. « Le geste de peindre n’est pas simplement le besoin d’étendre de la peinture sur une toile et il faut bien admettre que le désir de s’exprimer, à l’origine, nous vient de la chose vue. […] La réalité doit subsister dans l’œuvre, elle est la matière première, et « l’œuvre vive » qui est sous la forme, qui la soutient et la fait aller » (Fautrier,1995)4 La forme finale devient secondaire, ici c’est le geste qui retranscrit les informations, les émotions. « Il résulte que le tableau est conçu comme le produit d’une chaîne d’opérations simples : le réel pousse, la main transmet, la toile recueille. Semblable au sismographe, la main enregistre l’intensité de la réalité qu’elle transforme en diagramme » (Bourrit, 2005)5 André Malraux quant à lui dira du trait de Fautrier qu’il était capable de parler. L’intention même n’est donc pas de retranscrire la chose vue telle qu’elle est, mais d’en transmettre les émotions. La notion de transmission m’apparaît comme fondamentale pour l’architecte. Et non pas la seule transmission de la chose vue, mais de toutes les émotions qui l’accompagnent. Il est dès lors important pour l’architecte d’ouvrir l’éventail des outils de représentations qui s’offrent à lui. En utilisant la matière comme un outil et non seulement comme un support de représentation. Il peut ainsi offrir une épaisseur et une sensibilité qui ne saurait pas être observée et ressentie par l’observateur par des représentations traditionnelles.

3 Du dossier de presse dans le cadre de l’exposition Jean Fautier au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, disponible ici : https://www.mam.paris.fr/sites/default/files/documents/dp_jean_fautrier_francais_22.01.2018.pdf 4 FAUTRIER, Jean, « Écrits publics », édition L’échoppe, Avril 1995, Paris, p.21 5 BOURRIT, Bernard, « Fautrier. Peindre (pour) les Otages. », carnets de bord n°9, Septembre 2005, p.34

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

Jean Fautrier - Tête d’otage n°20, 1944

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CHAPITRE I - Les multiples domaines informels

1.4.

La littérature informelle

« [...] architecture can be «read,» […] you can discover how a culture organizes itself socially, materially, and metaphysically. Architecture is like a book that a culture « writes » for other members of that culture; it is a culture talking to itself about the meaning and organization of the life of that culture. So looking at architecture isn’t about pretty buildings, it’s about understanding world view.» (Hooker, 1999)1 Si l’architecture peut-être lu, elle peut l’être de différente manière. L’observateur fait converger les informations puis s’en crée une image, comme le lecteur accumule les mots et construit son imaginaire. L’architecte comme l’écrivain, propose alors une vision, sa vision et utilise son propre langage pour exprimer sa pensée, laissant ensuite au lecteur la tâche d’interprétation. « Le texte est un tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir. Un texte veut laisser au lecteur l’initiative interprétative » (Grasset, 1985)2 En pensant à l’idée d’une littérature informelle m’est venu l’idée des registres de langues. Si l’on ne construit pas de la même manière qu’un autre, il en est de même pour la manière dont l’on s’exprime. Les registres existent donc aussi bien en architecture qu’en littérature. Ainsi le registre avec lequel on s’exprime modifie plusieurs composants du domaine, que ce soit le vocabulaire, la grammaire ou la phonétique. Au delà de la simple lecture et de la complexe littérature, l’architecture et la transmission de l’information passe par la description. Cette description est parfois banalisée et n’utilise pas assez les mots pour donner à voir autre chose qu’une spatialitée, laissant de côté la transcription de l’expérience et du sens des lieux. Débanaliser la description

Le langage familier ou informel ne dispose pas de codes, il est la manière la plus spontanée de s’exprimer, c’est celui qui est utilisé au quotidien, dans toute situation et qui ne nécessite pas l’emploi de tournures ou locutions soutenues. J’ai rapidement pensé à Charles Bukowski, auteur et poète aux expressions particulières, qui malgré une collection d’œuvres aux passages descriptifs pauvres, dépeint dans ses nouvelles et romans une spatialité et un imaginaire singulier. Mes recherches m’ont amené à découvrir le travail de Marc Brosseau qui a mis en avant « les rapports que les géographes entretiennent avec la littérature » (Marc Brosseau, 2008)3 Dans son ouvrage, il s’intéresse particulièrement aux écrits de Charles Bukowski (1920-1994) et l’examen d’un thème qui lui est cher, l’être piégé. La première partie de celui-ci, il s’intéresse particulièrement à la débanalisation de la description au profit d’une « grande capacitée d’intégrer différents genres de discours et de formes de savoir, [qui] mobilise « tous les moyens intellectuels et toutes les formes poétiques pour éclairer “ce que seul le roman peut découvrir” » (Kundera, 1986)4. L’idée réside en l’utilisation particulière du langage et des formes au profit 1 Extrait de l’essai de Marie-Pier Dubreui, L’architecture et la littérature : une relation créatrice appliquée au processus de concepetion d’une bibliothèque du 21ème siècle, Hooker, Richard, Architecture, 14 juillet 1999. http://public.wsu.edu/~dee/GLOSSARY/ARCHI.HTM (accès le 25 juillet, 2011) 2 UMBERTO, Eco, Lector in fabula ou La Coopération interprétative dans les textes narratifs, Grasset, 1985, p.66 3 BROSSEAU, Marc, L’espace littéraire en l’absence de description, un défi pour l’interprétation géographique de la littérature, Cahiers de géographie du Québec, vol. 52, n° 147, 2008, p. 419 4 KUNDERA, Milan, L’art du roman, 1986, Paris Gallimard, p.86

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d’une transmission plus complexe de la spatialitée et du ressentis des lieux. Les recherches réalisées ont souvent caractérisé les passages descriptifs comme lieux de prédilection pour la transmission de l’espace dans les textes. C’est à la suite de la constatation du peu de passages descriptifs, dans dans l’œuvre de Bukowski, que l’auteur s’est posé la question de l’économie narrative des lieux. Le Topos et la Chôra

C’est à la lecture de ses nouvelles que Marc Brosseau met en exergue Chôra (lieu existentiel) et Topos (« le lieu observable, décrit, représenté, senti et perçu qui renvoie à un point précis d’un territoire donné » (Brosseau, 2008)5. Le topos étant peu présent dans ses oeuvres, le géographe s’intéressera particulièrement à la chôra ou il s’agit : « [d’] accepter, [...], de s’intéresser au lieu non plus en tant que référence (un lieu identifiable sur la carte, un lieu plein, souverain, avec son sense of place particulier, sa contingence, son historicité, etc.), mais bien en tant que matrice qui informe, anime, canalise, voire modèle les divers processus qui agissent à travers eux sur les individus, bref le lieu dans sa conception relationnelle. Le lieu tel qu’on l’habite et tel qu’il nous habite. » (Brosseau, 2008)6 C’est dans cette manière informelle d’aborder le lieu que Bukowski donne à voir « les propriétés actives, même en l’absence de topos » (Brosseau, 2008) 7. Dès lors, en s’appuyant sur la relation qu’entretiennent les personnages des romans aux lieux qui les entourent, les choses se mettent en place et l’on découvre les caractéristiques complexes des espaces. « Ainsi, les nouvelles de Bukowski ne représentent-elles pas tant des ruelles, des rues et des bars paumés qui documenteraient de façon aussi indirecte que glissante le skid row ou les espaces des laissés-pour-compte de Los Angeles à une époque donnée, mais bien la rue en tant qu’espace où toutes sortes de facteurs se concertent pour maintenir les individus en situation précaire. [...] Pas tant le centre de tri postal du Terminal Annex building du centre-ville de Los Angeles par exemple, un abattoir, une usine de biscuit ou l’entrepôt d’un magasin précis, mais bien des lieux de travail, souvent abrutissants, où les stratifications sociale et raciale de même que l’inégale distribution des privilèges qu’elles génèrent s’expriment de façon concrète au quotidien.» (Brosseau, 2008) 8 Le travail de Marc Brosseau nous amène à une réflexion sur les qualités descriptives que propose le topos en participant à la mise en place d’une représentation des lieux au détriment des formes de spatialités qui créent, animent et changent les caractères singuliers des personnages. Il utilise pour exemple le logis où dans une même nouvelle (A man) le personnage de « Constance est prise entre deux espaces domestiques (une roulotte et une maison de banlieue) qui l’assujettisse à des rapports humains insupportables, sur le plan physique ou symbolique. » (Brosseau, 2008) 9 Il développe l’idée que ces deux hommes ne sont pas simplement placés dans des décors commodes (le trailer ou la maison) mais que le lieu est organisateur de la manière de vivre et 5 6 7 8 9

Ibid, p.424 Ibid, p.428 Ibid, p.428 Ibid, p.429 Ibid, p.430

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participe activement au processus d’assujettissement « elle est physiquement violentée dans un et socialement aliénée dans l’autre. » (Brosseau, 2008) 10 Cette étude nous apprend qu’il existe d’autres moyens que la simple description pour découvrir et imaginer les espaces. Marc Brosseau ouvre des pistes et propose l’idée de lieu en d’autres termes, à savoir le topos et la chôra. La sobriété descriptive de Bukowski n’est alors plus un frein mais permet une autre lecture de l’espace. Les lieux ne sont plus que l’espace où se déroule l’action, ils participent et font l’action. NARRER

L’architecte est un constructeur qui cherche à concrétiser une vision personnelle, en accord avec ses valeurs, du monde et de l’espace qui l’entoure. Mais c’est aussi un observateur, un médiateur, un investigateur consciencieux qui doit trouver les meilleurs supports et techniques pour pouvoir comprendre, analyser et transmettre les informations du monde qui l’entoure. Mais pour ce faire, il doit engager un dialogue et trouver les mots justes pour pouvoir développer et partager ses connaissances, ses expériences. C’est dans la recherche d’autres moyens que la description que je me suis intéressé à la relation entre Architecture et Littérature. Comment faire le lien entre le monde et le texte, l’individu et son monde. Pour ce faire, l’utilisation de la chôra semble être un outil intéressant, pour transmettre une vision de l’espace, en complément du topos, qui lui est souvent tributaire de la description : « [Mais] on ne peut nier que la description établit souvent la référence dont est tributaire le topos et que la narration approfondit souvent la relation qu’anime la chôra » (Brosseau, 2008) 11

10 Ibid, p.431 11 BROSSEAU, Marc, L’espace littéraire en l’absence de description, un défi pour l’interprétation géographique de la littérature, Cahiers de géographie du Québec, vol. 52, n° 147, 2008, p. 432

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« Places make us – let’s not imagine that once we’re here anything else does. First genes, then places – after that it’s every man for himself, and God help us, good luck to one and all. [...] Yes all well and good perhaps you are saying, but doesn’t that mean that people make us? Of course, but people are places. » Saroyan, Places Where I’ve Done Time « Les lieux nous font - n’imaginons pas qu’une fois que nous sommes ici, autre chose le fasse. D’abord les gènes, puis les lieux - après c’est chacun pour soi, et Dieu nous aide, bonne chance à tous et à toutes. [...] Oui tout va bien peut-être ditesvous, mais cela ne veut-il pas dire que les gens nous font ? Bien sûr, mais les gens sont des lieux.

Saroyan, Lieux où j’ai passé du temps. 1 1

SORAYAN, William, Places Where I’ve Done Time, 1975, Praeger Publishers, Westport

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« Le bidonville dans son ensemble, représente un phénomène de résistance globale contre un autoritarisme qui ne tolère plus aucune singularité dans le mode d’habiter. C’est pourquoi, derrière des prétextes humanitaires, on s’acharne tant à détruire. Et la destruction exécutée rapidement, a quelque chose d’un règlement de comptes » Colette PÉTONNET On est tous dans le brouillard. p.133

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Chapitre 2 Représenter l’informel

Coiffeur maghrebin dans bidonville de Nanterre en 1965 Gerald Bloncourt/Rue des Archives

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

2.1.

La représentation

Représenter la dynamique des constructions informelles relève du défi pour l’architecte. Habitué à dessiner le projet, l’architecte fixe les éléments, il les positionne sur papier, il les fige. L’architecture informelle, elle, ne se cristallise pas, elle est en constant mouvement. Il est alors nécessaire de développer de nouveaux outils et de nouveaux moyens d’expression pour l’étudier. Lors de mes recherches, j’ai découvert les planches réalisées par l’équipe CIAM Alger, pionnière dans l’analyse des architectures sans architectes. Ces planches sont une tentative de qualifications de l’architecture informelle à destination du projet et des architectes. Dans cette partie, je chercherais à comprendre de quelles manières cette production des années 50 a pu offrir de nouvelles perspectives aux architectes, mais aussi à mettre en vis-à-vis cette étude par rapport aux enjeux qui nous sont contemporains. Je poursuivrai en analysant un travail plus contemporain réalisé par deux étudiants en 1968, Isabelle Herpin et Serge Santelli, à propos du bidonville de la rue des prés à Nanterre. Il s’agit ici de mettre en évidence plusieurs techniques qui peuvent aujourd’hui s’introduire dans les pratiques contemporaines d’analyse de l’environnement et d’élaboration d’outils. 2.2.

Le bidonville de Mahieddine

À la moitié du 19e siècle, Alger, infecté par l’Europe, se transforme en une agglomération immense qui s’étale frénétiquement et chaotiquement. « Le grand Alger ne s’arrête plus. Aux limites de l’agglomération, les zones industrielles, les grands équipements, les infrastructures routières s’ajoutent d’année en année aux quartiers de villas, aux grands ensembles collectifs de plus en plus nombreux, et aux bourdonnements d’habitats précaires. » (Frémont, 1982)1 Les termes d’attentats topographiques et de menace sociale sont alors évoqués par certains observateurs. En 1954, au bidonville de Mahiéddine, il y a présence de 7 398 habitants. C’est alors le plus grand et le plus étendu des bidonvilles d’Alger. Quelques études et un certain nombre d’écrits sur celui-ci sont publiés, notamment l’étude par le couple Descloitres et Reverdy et leur livre « L’Algérie des bidonvilles. Le tiers-monde dans la cité, Paris : Mouton et Compagnie, 1961 ». Mais celle-ci se contente d’une vue distante, d’un repérage des associations, des commerces dans un début de démarche savante. Ces premières observations révèlent l’existence d’une organisation social militante ou encore d’un comité de quartier, mais ne laissent pas transparaître la complexité du bidonville. Un autre élément qui peut sembler étonnant aux détracteurs et préjugés des bidonvilles, consiste en l’absence de meurtres ou de prostitutions pendant toute l’existence du bidonville. Au même moment, le CIAM 9, qui se déroule à Aix en Provence en 1953, représente un tournant pour l’architecture et les architectes et leurs pensées. Centré autour du thème de « l’habiter », il vient s’adosser aux 4 fonctions de la planification urbaine, habiter, travailler, se récréer et communiquer. André Wogenscky le présente ainsi « il est demandé aux équipes de préparer la présentation 1 FRÉMONT, Armand, Algérie - El Djazaïr: Les carnets de guerre et de terrain d’un géographe, La Découverte, 1982, Paris.

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

[...] de projets actuels liés à la fonction d’habiter » (Wogenscky, 1953)2 pour en tirer une charte à l’image de celle d’Athènes. Le document de présentation insistant sur les notions de flexibilité et de réversibilité, toujours d’actualités. Il est intéressant de noter que l’apparition de nouveaux paramètres bouscule la profession en abordant l’homme de manière plus personnelle et moins uniforme. « Les constructions humaines pour habiter ne sont jamais passives. L’ensemble organisé inclut l’enveloppe physique et la vie qui se développe à l’intérieur. » (Wogenscky, 1953) 3 À cette même période le, groupe CIAM Maroc composé de Vladimir Bodiansky, Georges Candilis et Shadrach Woods ne décèleras pas, dans le cadre de son étude « Concentration verticale », les éléments remarquables des bidonvilles, les considérants plutôt comme « les centres de la misère, de la tuberculose, des morts infantile »4 proposant alors de simplement les faire disparaître et de reconstruire par-dessus. Le groupe CIAM Alger fondé en 1951 y présentera un travail remarquable sur le bidonville de Mahiéddine, en proposant une approche inédite pour l’époque. Il se compose alors de PierreAndré Emery, Jean De Maisonseul, Louis Miquel, Jean-Pierre Faure, de plus jeune dont Roland Simounet et d’une femme architecte J. Lambert. Ces membres sont ceux de la France Algérienne, ils revendiquent une identité, une culture nouvelle qui n’est pas celle de la France métropolitaine. Roland Simounet est invité par Pierre-André Emery à la suite de sa collaboration avec celui-ci. Il est chargé d’établir un relevé du bidonville de Mahiéddine dans la perspective d’un projet de relogement. La créativité exceptionnelle du groupe CIAM Alger réside dans sa démarche inédite pour l’époque. La plupart des architectes reconnaissent le problème de l’habiter précaire, mais n’y trouvent aucune piste intéressante en matière d’architecture. Le groupe décide de voir au-delà de la pauvreté d’intéressantes leçons d’architecture permettant d’afficher les fines relations entre l’homme et son habitat. Le groupe se révèle particulièrement éclairé en amenant une étude totalement différente de ses confrères cherchant une leçon d’architecture derrière un masque populaire de pauvreté culturel et économique. L’introduction au travail du groupe permet de bien comprendre leurs intentions : « [Le but est] de reconnaître chez les habitants du bidonville l’homme lui-même et d’apprendre à le connaître profondément, considérer la problématique de l’habitation humaine dans sa réalité totale: sa forme, son expression multiple et sa vie. » (Çelik, 2003)5 Leur étude se concentre sur 5 thèmes, l’urbanisme, la législation, la construction, les arts plastiques, les questions sociales. Pour la première fois, afin d’étudier le bidonville dans son entièreté, des architectes vont conduire une étude interdisciplinaire avec une prise en compte de facteurs économiques, démographiques, des questions sociales, des productions culturelles. L’ensemble est régi par un paramètre, une démarche qui nous intéresse sensiblement ici.

2 WOGENSCKY, André, Programme of CIAM 9 at Aix en Provence - July 19-26-1953, Paris, 11 Janvier 1953, Harvard University, Graduate School of Design, Frances Loab Library, Special Collections, B8. 3 ibid 4 Groupe CIAM Maroc, « Concentration verticale », Aix en Provence, FLC, 1953, F1-06 5 ÇELIK, Zeynep, Learning from Bidonville, 2003, Harvard Design Magazine, p.70

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

«Une démarche analytique appliquée aux expressions architecturales et plastiques qui révèle l’importance des aspirations instinctives et profondes des populations musulmanes». Se faisant, les architectes font liens entre Arts plastiques, domaines sociaux et éthiques. «L’équipe y soutient qu’une synthèse entre les pensées «islamiques» et «européennes» peut donner naissance à un art nouveau». (Groupe CIAM Alger, 1953)6 En associant ces nouveaux constituants aux principes architecturaux ou urbanistiques et techniques de construction, un nouveau modèle d’analyse émerge. Tout ce travail est marqué d’un regard d’architecte, mais les techniques employées sont totalement modifiées. À titre d’exemple, l’humain n’est plus représenté comme une simple statistique, on le représente comme un individu en le plaçant dans des croquis ethnographiques7 représentant les habitants. Cette signature particulière portée par les architectes à profondément modifié les méthodologies et méthodes de présentations qui prévalaient à l’époque. Wogenscky précisait alors que le thème du CIAM cherche une prise en compte de la culture, des habitants et des objets du quotidien qui doit se révéler dans une grille à double entrée préétablis par Le Corbusier et ses pairs développant en un nombre non limité de colonnes, quatre entités qui sont, Habiter, Travailler, Cultiver et Circuler. La première distinction du CIAM Alger est de déroger à cette règle en proposant quatre autres intitulés qui sont, Éléments de bases - manières de vivres, Manifestations matérielles, Problèmes et discussions, Implications techniques et propositions. Ils développeront sur ce modèle 34 colonnes portant à 136 entrées leur analyse. Une fois de plus, la diversité des outils permet à la simple grille de se transformer en un patchwork de techniques de représentations architecturales (plan masse, coupes, élévations, perspectives) et représentations plus personnelles (croquis, photographies, collages) renseignant sur les coutumes et les traditions. De cette nouvelle manière d’étudier, se dégage une dimension spirituelle propre au lieu d’investigation. Zeynep Çelik, professeur à la New Jersey School of Architecture, dira de la grille du groupe CIAM Alger qu’elle est « un ensemble artistique agencé de façon précise afin d’évoquer l’esprit du bidonville Mahieddine. La variété des illustrations fait allusion à la multiplicité des formes et des matériaux de construction glanés dans les lieux inhabituels, ainsi qu’à la vibrante créativité qui se cache derrière l’apparence chaotique. » (Çelik, 2003)8 Le bidonville s’exprime comme les collages, par l’addition d’éléments hétérogènes qui tendent à se compléter en un tout cohérent. Au-delà des techniques de représentations, c’est une description très élaborée qui est faite des relations (répartitions, langues, sujets clivant), R. Simounet insiste énormément par le biais des annotations, « pas de meurtre recensé, certains disent qu’il n’y en a jamais eu, pas de prostitution, seulement 25 agressions entre 1951 et 1953 » et des croquis sur le bon fonctionnement de la communauté. Ces matériaux divers valorisent les informations disposées dans les marges de 6 Groupe CIAM Alger, Bidonville Mahieddine. Résumé de la grille, Aix en Provence, 22 Juillet 1953, ETHZ, 42-5031-60 et AFLC, D301. 7 « Le croquis ethnographique est d’une part un regard spécifique sur le monde, une habilité visuelle exercée par le chercheur. D’autre part, il est un outil de communication, servant à transcrire une expérience vécue et portant en lui les hypothèses d’analyse qu’en fait le chercheur » - Chloé Le Mouël et Lucille Maugez, Le croquis ethnographique, du regard au trait sur le papier, Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 50-2 | 2018, 255-266. 8 ÇELIK, Zeynep, Alger : paysage urbain et architectures, 1800-2000, L’imprimeur, 2003, p. 186-226

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Fondation Le Corbusier - Planche R210 - I22-I - Croquis de familles

Fondation Le Corbusier - Planche R212 - I62-2 - Photographie d’enfants

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

chaque planche, mettant aux jours les activités du bidonville comme des enfants qui jouent ou qui travaillent. À titre d’exemple, l’analyse démographique du bidonville ne s’arrête pas simplement à des chiffres, de ratios hommes, femmes, de groupuscules ou de catégorisations par âges. L’équipe d’Alger va audelà et propose des croquis, des dessins montrant les structures sociales et familiales. La dimension spirituelle du bidonville s’exprimera aussi dans le dessin par le biais de la représentation d’éléments comme les arbres, le soleil ou encore des chats. Ils constituent les essentiels de son vocabulaire graphique et l’accompagnent tout le long de l’analyse. Ceux-ci émanent directement des productions artistiques des habitants. On remarque paradoxalement au travers de l’analyse que la standardisation offre une certaine spontanéité. En effet, l’opulence de l’Europe apporte sur le territoire Algérien des éléments de constructions en grandes quantités amenant, dans un monde où l’économie (matérielle) et l’écologie ne sont pas encore conviés, des ressources aux bidonvilles. Ainsi plaques de plâtre, caisses en bois, bidons, briques se retrouvent librement (ou à défaut de pouvoir se procurer mieux) dans les mains de ses habitants. À une certaine période, un magasin de récupération spécialement dédié fera son apparition. L’analyse de l’humain et de l’interaction à son environnement est tellement complète qu’on vient à manquer d’informations sur les techniques constructives. Les analyses bâties offrent énormément à comprendre des intentions architecturales des constructeurs, mais nous informent peu de la technicité de celle-ci. 2.2.1 Une analyse codifié : La grille La grille est proposée par Le Corbusier et Wogenscky est pensé de manière à faciliter la lecture de l’analyse proposée par les différents groupes du CIAM. Elle est uniforme et possède des dimensions fixes, 21 cm par 33 cm. Plusieurs couleurs sont imposées pour représenter les espaces à différentes échelles. Ce système de couleurs apporte une vraie cohérence à l’ensemble et contribue grandement à la compréhension des planches. Dans les grandes échelles, le jaune est utilisé pour représenter tout ce qui est de l’ordre de l’habitation et des chemins, le vert pour les espaces ouverts, le bleu pour les espaces de prestations sociales et en rouge les centres commerciaux et routes principales. À la plus petite échelle, les couleurs changent. Le bleu correspond aux espaces de travail, le jaune représente les espaces de circulations, le orange les espaces de préparations culinaires, le rouge aux aires de rencontres, le verts aux lieux d’hygiène et le violet les espaces de conservations, d’entretiens. Le format de la grille CIAM Alger possède un pouvoir esthétique qui découle de la variété des matériaux et techniques de représentations représentants des scènes de vie. À sa présentation se crée une rupture franche avec les publications scolaires et scientifiques qui lui étaient contemporaines. Les couleurs, les ombres, les annotations ou encore les styles de traits offrent un dynamisme visuel rare pour cette époque. La planche représentant une tentative de Modulor Algérien possède des lignes bleu et rouge en référence à Le Corbusier, de l’autre côté une planche représentant une peinture d’enfants sera un mélange de couleurs. La grande variété et flexibilité de représentation des planches, rentre directement en écho avec les ambiances de Mahieddine.

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Fondation Le Corbusier - Planche R2098 - I02-2 - Assemblages de photographies

Fondation Le Corbusier - Planche R107- I42-1 - Densité dans les habitations

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

SE PROTÉGER

SE REPOSER

ORIGINES DE LA POPULATION

ÉLÉMENTS DE BASE MANIÈRES DE VIVRE PHOTO

PLAN

CROQUIS

CROQUIS

PHOTO

PHOTO

COLLAGE

PHOTO

PERSPECTIVE

DÉTAIL

PERSPECTIVE COUPE

VIDE

MANIFESTATIONS MATÉRIELLES

PROBLÈMES DISCUSSION

IMPLICATIONS TECHNIQUES PROPOSITIONS

Extrait de la grille du CIAM Alger - Fondation Le Corbusier

La grille developpé par le CIAM ALger sort du carcans établis pour les analyses et proposepar une nouvelle plus adapté à sonétabli étude. La grille développée le CIAM Algerforme sort légèrement du carcan par Le Corbusier et Wogenscky pour les analyses La grille se developpe sur 4 niveaux et propose 32 du CIAM9 et propose une nouvelle forme plus adaptée à son étude. colonnes permettant de construire une et analyse structuré et informative. lisibilitéune est analyse très effistructurée cace et al-et informative. Sa Elle s’étend sur 4 niveaux propose 34 colonnes permettant deSaconstruire terne représnetations qui font appel àqui la connaissance lisibilité est trèsdes efficace et alterne desarchitecturales représentations formel architecturales formelles font appel à la connaissance de l’architecte des représentations plus intuitives, quiplus elles intuitives tentent de faire un ressenti. deetl’architecte et des représentations ellespasser tentent de faire passer un ressentis. La gradation dearchitectes la grille permet aux architectes porposer de ànouLa gradation de la grille permet aux de proposer de nouvelles de formes d’habiter partir de constatations velles formes d’habiter à partir constations et donnent de redessins. et de redessins. Les collages, les photos, lesde croquis, les plans un enrichissement puissant aux architectes. Cette analyse, au delà d’amener à une proposition, référence et donne à apprendre. Lapuissant pluralité des modes de Les collages, les photos, les croquis, les fait plans donnent un enrichissement représentations agit comme un levier de connaissance supplémentaire en proposant une première aux architectes. Cette analyse, au delà d’amener à une porposition, fait référencedécouverte par la méthode employé. et donne à apprendre. Au centre d’une des planches Simounet écrira : « Les bases essentielles du logis

36 musulman : la chambre, la cour, le patio couvert, la pièce d’eau et le WC. »


CHAPITRE II - Représenter l’informel

RELIGION

L’ÉCHELLE

ÉTHIQUE

ESTHÉTIQUE

CÉLIBATAIRE ISOLÉS

PHOTO CROQUIS

CROQUIS

PLAN COUPE

PHOTOS COLLAGE

PHOTO COLLA

PHOTO CROQUIS

PHOTO PLAN

PHOTO CROQUIS

PHOTOS COLLAGE

PHOTO

COLLAGE

PLAN PHOTO

PHOTO COUPE PLAN

PHOTO COUPE PLAN

PHOTO COUP

PLAN PERSPECTIVE

COUPE PERSPECTIVE

COUPE PLAN

PERSPEC

PEINTURE

Les 34 colonnes: Climat, Topographie, Origine de la population, Religion, L’échelle, Ethique esthétique, Célibataires et isolés, La famille, L’enfance, Etat sanitaire, Activités et ressources, Criminologie et Prostitution, Se protéger, Se reposer, Se nourrir, Hygiène, Ranger, Se réunir, Travailler, Matériaux et procédés de construction, Ravitaillement, Ecoles, Vie collective, Evolution, Financement, Législation, Gestion, Divers, Historique, Habiter, Travailler, Cultiver le corps et l’esprit, Circuler, Volume bâti. L’établissement de colonnes et de lignes ou tout simplement l’utilisation d’une grille montre la volonté des architectes de réalisé un travail scientifique exhaustif et large permettant d’aborder toutes les facettes du site mais aussi de la population qui l’habite.

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

L’assemblage de photographies permet d’expliciter des situations, par exemple sur l’utilisation de la topographie, l’adaptation par les habitants à leur environnement, accompagné de simples annotations. On comprend dès lors l’ingéniosité de ses habitants dans l’harmonisation de la construction de la ville, dans l’importance donnée aux espaces publics ou encore dans la place laissée à la nature (on retrouve très régulièrement des croquis d’oliviers ou de figuiers sur les planches). Les collages sont orchestrés de manière à ne pas focaliser l’observateur sur un élément mais de le comprendre dans son entièreté, dans son contexte. De cette manière, l’observateur prend sens de la complexité du bidonville et lui permet de relier chacune des planches entre elles. Les architectes se sont rapidement rendu compte que les principes urbanistiques développés intuitivement par les habitants étaient très similaires à la charte urbaine établie par les modernistes lors du congrès d’Athènes. Le principe de la maison vers le quartier, puis vers la ville était au cœur de l’analyse. Comme dans beaucoup de villes Arabe l’unité de développement est la maison permettant de créer un ensemble à l’échelle plus humaine. De ce développement informel se forme de nombreuses irrégularités qui laissent une liberté beaucoup plus importante que ne le permet le système cartésien occidental. Les échelles inhumaines, la rigidité ou l’uniformité que l’on peut retrouver en Europe fait place à un système dynamique, toujours en mouvement. L’étude fait dès lors émerger l’idée de replacer le piéton au cœur du développement spatial de la ville. Les architectes ne s’arrêtent pas à une posture critique positive de la ville mais font aussi ressortir les points noirs de ses habitats informels. C’est particulièrement le cas d’une planche représentant deux habitations accolées de jour puis de nuit. La représentation de la densité de la ville par la réalisation de croquis à des temporalités différentes exprime bien ici la volonté des architectes de comprendre les mécanismes de ces habitants. C’est un total de 4 familles ou 16 habitants qui dorment sous ces deux maisons chaque jour. Les lits représentés par la couleur bleu, contrairement aux indications de Wogenscky, permettent d’avoir un rapide aperçu de leur dé-doublement à la nuit tombée. 2.2.2 La représentation au service du projet DÉcouvrir

Les planches d’analyses permettent aux architectes de mieux comprendre leur environnement et pour y proposer un projet aussi pertinent que possible. L’étude est réalisée selon trois étapes, constatation/relevé, étude/analyse, projet/intention. Ils découvrent au fur et à mesure de l’analyse puis décrypte. Les planches évoquent ainsi l’existence d’un autre espace, ne limitant pas l’architecture aux seuls espaces intérieurs et extérieurs, l’espace intermédiaire. La planche n°R2214-145-3 explicite mon propos, ici le seuil de la maison est surélevé de quelques centimètres, détachant le privé du public. Les marches agissent comme une reconnexion avec la rue à l’image du débord de toit. À cette même hauteur, un escalier longe la façade et donne à offrir une assise partiellement ombrée à l’espace intermédiaire. Ici, c’est l’habitat qui fait un geste vers la rue. Paradoxalement, ces habitats d’infortunes construit spontanément révèle beaucoup à l’architecture moderne car elle est en partie basée sur ces matériaux. En effet, la plupart de ces habitats utilisent

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Fondation Le Corbusier - Planche R2124 - I45-3 - Exemple d’habitations de bidonvilles évoluées en bandes mitoyennes

Fondation Le Corbusier - Planche R211014- I43-3 - Habitation du président du comité de défense de Mahiéddine

INT

RUE

Redessin personnel de la planche R2124 - 145 - 3

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des « restent » de construction, de citernes, de caisses, de plaques de métal substituées à chantier préfabriqué. Ces techniques de mise en œuvre leur apporteront de nombreuses idées pour une production économique de logements. De plus, les architectes notent au cours de leur étude des similitudes dans les constructions et le mouvement moderne. De par la simplicité des lignes, du mobilier encastré, pour sa légèreté et sa flexibilité répondant aux critères fonctionnalistes, des façades blanches et lisses. Il faut aussi dire que même si l’architecture moderne doit beaucoup au progrès scientifique, technique du bâtiment elle est avant tout une architecture de fonctionnalisme. « Modern architecture may owe much to changing aesthic ideals, and more to advances in building technology, but essentially it derives its nature from the acceptance by architects of the principle that the process of designing a building begins with a close analysis of the needs it is to serve. It has its object the fulfillment of such needs as logically and economically as possible, by taking full advantage of the means and materials available. » (Richards, 1958) 1 N’est-il pas l’un des caractères intrinsèques de l’architecture informel que d’être une réponse fonctionnelle avant d’entrer dans quelconque expression esthétique ? D’utiliser les matériaux l’entourant pour se construire ?

Redessin des arbres déssinés par les habitants

Re-dessin d’un arbre dessiné par R.Simounet

représenter

L’analyse fera rapidement ressortir sur l’une des planches de R. Simounet cette courte phrase : « Les bases essentielles du logis musulmans : la chambre, la cour, le patio couvert, la pièce d’eau et le W.C. » (Simounet, 1953)2 Ces éléments feront la base du projet qui découle de l’analyse. La cour est présentée comme un élément indispensable et indissociable du quotidien musulman, permettant d’accueillir les activités de cuisine, de lavage, de stockage ou des bienfaits climatiques dû à la fréquente présence d’arbre en leur centre. Les arbres amenant aussi une dimension poétique et spirituelle au bidonville, ils sont extrêmement importants dans le paysage construit. La planche tentative de création d’un « modulor Algérien » rentre dans l’idée d’une analyse anthropologique et non seulement architecturale. Le groupe tente alors de rechercher les 1 RICHARDS, J.M, « The Functional Tradition in Early Industrial Buildings », The Architectural Press, London, 1958, p.14 2 Voir planche R211014 - 143 - 3

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Fondation Le Corbusier - Planche R20929 - Photographie de dessins réalisé par les habitants

Fondation Le Corbusier - Planche R20929 - Photographie d’une scène quotidienne dans une rue du bidonville

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dimensions et normes parfaites pour développer le projet. À comparaison du modulor de Le Corbusier ce ne sont pas seulement les dimensions qui changent mais aussi les postures, proposant des lors un homme allongé, accroupi et debout. Les architectes mettent constamment en relation les dispositifs spatiaux et les catégories de population, ils étudient par exemple les baraquements pour les saisonniers et hommes célibataires. Découvrant une baraque dortoir à deux étages divisés entre une gargote et une chambre à coucher pouvant accueillir 8 à 10 personnes. D’habiles dispositifs créent une gradation des usages de la maison vers la ville. La chambre à coucher dispose de rangement privatif à destination des locataires, puis des nattes servent de couchages (semi-privé), enfin un escalier mène au rezde-chaussée (semi-public) ou s’étendent les tables et la cuisine. L’on accède ensuite à l’espace intermédiaire du porche, abritant d’autres tables et un comptoir (public). D’autres planches viennent alimenter le projet de la même manière. Les analyses poussées et corrélées entre la population et leur besoin permettent au groupe de décrire avec précision de nombreux besoins et éléments. L’importance de l’humain dans l’étude est aussi mise en avant autrement que dans les origines, les âges ou la méthode de construction. La part artistique et personnelle des habitants est exprimée à travers le dessin. C’est notamment le cas de la planche R2-0929 qui fait apparaître des photos de dessins réalisés par les habitants dans leurs habitations. Ces dessins sont volontairement repris par R. Simounet pour illustrer ces documents. LA PHOTOGRAPHIE et le mouvement

La photographie tient une part importante dans l’élaboration de la grille. Elle saisit l’instant et le quotidien, elle a été l’outil de prédilection pour capturer les attitudes spontanées. Les architectes capturent l’instant puis l’analysent consciencieusement pour pouvoir établir des descriptions précises des pratiques ordinaires, leurs significations. C’est d’autre part dans une volonté de représentation du mouvement que la photographie se révèle être un allié particulièrement efficace. En effet, la prise en compte du paysage, de l’environnement et de l’humain en relation avec le mouvement devient un enjeu de taille ou plusieurs observateurs développent l’idée « que l’espace urbain ne peut être pensé indépendamment d’un sujet qui le perçoit et qui est mobile » (Pousin, 2008)3. Considérant que l’espace urbain est un espace mobile, il devient crucial de lui proposer un visuel faisant transparaître ce dynamisme. Cette tendance est un prémisse à la pensée du townscape développé au début des années 50. « Pour eux, l’appréhension de la ville, du cadre urbain, est fondamentalement liée au déplacement et fonctionne suivant des séquences. La perception en mouvement renvoie alors à une pratique ordinaire de la ville. Cette pratique ordinaire, qui se traduit par des usages différents d’un même espace à différents moments de la journée ou en fonction des jours, s’exprime dans la catégorie de multiple use (usage multiple), catégorie antonyme de ségrégation. » (Pousin, 2008)4 Les partisans du townscape font ressortir l’idée de l’importance des détails dans le paysage quotidien. Notamment des objets fonctionnels, banals, créés comme des solutions à des problèmes 3 Frédéric Pousin, « Les concepteurs de la ville en quête de l’espace familier (1945-1975) », Strates [En ligne], 14 | 2008, mis en ligne le 13 mars 2013, consulté le 08 septembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/strates/6722 ; DOI : https://doi.org/10.4000/strates.6722, p.3 4 ibid. p4

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Fondation Le Corbusier - Planche R211016- I43-4 - Projet d’immeuble en hauteur

Fondation Le Corbusier - Planche R211019- I44-3 - Habitation du président du comité de défense de Mahiéddine

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sans prétentions poétiques, mais qui sont porteurs de qualités pour leur environnement. Ces objets, garde corps, bancs, paniers, seaux, marches, ou encore éléments de cuisines, que l’on retrouve notamment dans les espaces intermédiaires, dévoilés dans les représentations de R. Simounet, sont porteurs de qualités spatiales, plastiques, esthétiques qui échappe au regard quotidien, mais qui participe à construire un espace public sans mise scène. Cet intérêt aux objets du quotidien se retrouve tout au long des planches, certaines leur étant même totalement dédiés, c’est le cas de la planche sur les éléments de cuisine ou encore celle sur le mobilier. L’équipe CIAM Alger y fait ressortir le fonctionnalisme des équipements de rangement, malgré un espace rythmé par les vas et vient des formes de rangements improvisés devenant rapidement «crasseuses» et «pourries». On retrouve l’idée de représentation du mouvement et de la flexibilité du lieu par la disposition d’une photo en collage et le re-dessin en continuité de celle-ci. Sur la planche dédiée aux espaces de préparation des repas, on retrouve une photographie des éléments de cuisine largement mis en avant par rapport au plan. Une autre planche est entièrement consacrée à l’étude des aliments et des commerces. R.Simounet prend le temps de dessiner une grande partie des constituants de l’alimentation des habitants. L’analyse de l’humain prend donc une part importante dans le travail du groupe. À travers une analyse ethnographique et culturelle, extrêmement, complète, ils décortiquent les nombreuses facettes de la vie du bidonville, se faisant, ils brisent complètement l’image d’un lieu chaotique, désordonné et en proie à un charivari incessant. varier pour mieux comprendre

Sur la planche R211019- I44-3, l’équipe CIAM Alger diversifie ces représentations pour pousser l’observateur à comprendre toute la complexité des dispositifs. Cette planche parvient explicitement à démontrer que Mahiéddine se génère par l’homme, par ses proportions, ses besoins, ses habitudes, son quotidien, ses objets, on retrouve le concept de la maison vers la ville. Le croquis de coupe apposé sur la photographie (rouge) permet de positionner l’observateur dans l’espace de l’habitat et d’entrevoir la vue que l’ouverture propose. Les deux silhouettes nous apprennent de la relation recherchée lors de la construction. L’habitant se laisse une vue dégagée par l’ouverture, mais ce masque de la rue en mettant à distance les passant par un autre mur. Les passants ont ainsi le regard bloqué sur l’espace privatif. L’autre coupe (vert) apporte un degré de compréhension supérieur à l’agencement des pièces. Cette fois, c’est une photo in-situ qui se place sur la coupe. La planche nous propose ainsi plusieurs niveaux de lecture d’une même scène. La photographie (jaune) permet d’amener de la profondeur et du mouvement à l’ensemble. La photographie de paysage se plaçant en arrière plan de la première coupe nous plonge dans la scène. Cette planche concerne l’habitation du président du comité de défense de Mahiéddine, personnage influent et respecté du bidonville. Son habitation est plus solide, « mieux » construite et plus grande que celles des autres habitants. Cette différence se ressent aussi au niveau du dessin. Les planches la concernant sont plus détaillées, les traits sont plus sûrs. Les éléments de structures sont représentés, le plan du logement est côté et annoté d’une multitude d’informations, concernant les matériaux, les emplacements réservés aux animaux, les réseaux enterrés, etc.

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Fondation Le Corbusier - Planche R211019- I44-3 - Habitation du président du comité de défense de Mahiéddine

Fondation Le Corbusier - Planche R211016- I43-4 - Projet d’immeuble en hauteur

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2.2.3 Développer les pensées et le projet La conséquente analyse de Mahiéddine amènera les architectes à repenser le projet en fonction du lieu et de ses habitants et non comme un habitat standardisé, techniquement et matériellement, loin de la culture occidentale d’époque. Les efforts sont conséquents dans une pensée européenne encore très colonialiste. La fascination coloniale pour ces lieux « exotiques » s’efface et devient un terrain d’étude scientifique, un travail rigoureux de décryptage et d’analyse qui offre un regard nouveau sur l’architecture sans architecte. La grande échelle

L’étude est très complète sur le quotidien, les coutumes, les traditions comme nous avons pu l’observer. À celle-ci s’ajoutent des planches plus scientifiques, qui se révèlent être beaucoup plus en correspondances avec les codes de représentations traditionnels de l’architecture. Elles sont toutes de l’ordre de la grande échelle et permettent de comprendre le site, sa topographie, son climat. Elles sont très impersonnelles et s’accompagnent seulement d’informations quantitatives ou géographiques, telles que le nombre d’ouvriers dans les lieux industriels de proximités ou les lieux d’origines des habitants des bidonvilles. Les qualités déterminées par les architectes doivent alors les mener à établir un plan directeur dans le cadre d’un relogement des habitants de Mahieddine. Paradoxalement, l’une des planches s’attache à nous montrer un projet de cité (l’harrach) à Alger proposé par les architectes, Bourlier, Darbeda, Miquel, Cazalet et Ferrer proposant d’immenses barres d’immeubles apposés sans prises en compte du contexte topographique, paysager et humain. La planche proposition de projet explore deux possibilités d’aménagements qui semblent ignorer l’analyse. Des immeubles en barre mono-orientés, détachés du contexte habité et topographique, se développant sur une totale destruction de Mahiéddine. Les analyses de la grande échelle permettent de relever de nombreuses informations indispensables pour le projet, les limites, les dynamiques, les relations et tendent à souligner les qualités urbaines spontanées du bidonville. Malgré cela, c’est le principe de tabula rasa qui est proposé. La planche R212301 constitue une autre vision possible d’aménagement d’une cité sur un étage traduisant de manière littérale les concepts du logis musulman évoqués plus tôt par R. Simounet, à savoir la chambre, la cour, le patio couvert, la pièce d’eau et le W.C. Toutefois, cette planche se contente de soumettre un plan sans insertion paysagère, sans contexte topographique, sans développer les qualités des espaces intermédiaires pourtant abordés par R. Simounet. Habiter

Au-delà de plans directeurs et d’intentions, plusieurs planches sont consacrées à l’habitat proprement dit. Les données recueillies font ressortir l’idée d’une pauvreté des conditions d’hygiène, d’aération, d’humidité, les « baraques » ne possèdent pas de fenêtres et de densité2.

1 2

Voir annexe 1 Voir planche R107- I42-1 - Densité dans les habitations, p.25

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Fondation Le Corbusier - Planche R21105 - I41-4 - Coupe technique de projet

Fondation Le Corbusier - Planche R211015- I45-4 - Plan et perspective de projet

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De l’analyse, apparaît comme un schéma de distribution, une scénographie du logis musulman : une entrée couverte partagée, une cours privative, un espace de préparation des repas comme centralité et enfin une chambre. Ce schéma sera repris pour développer le projet d’immeuble en hauteur. La planche R211016- I43-4 (p.35), l’équipe CIAM Alger nous propose une coupe et une perspective de la cellule qui vient apporter les solutions techniques a pour une amélioration des conditions physiologiques de l’habitant. L’électricité, l’eau, la ventilation, les évacuations sont pensées pour apporter du confort. L’idée de la cour est reprise en offrant un grand espace séparé par une marche. La cuisine est surélevée pour se séparer de l’espace de rencontre. La coupe, adjacente à la perspective, permet de mieux se représenter les espaces. Le passage au projet requiert plus de méthode et de rigueur, nécessitant l’appel aux outils classiques de représentation de l’architecte. Les planches R21105 - I41- 4 et R211015- I45- 4 reprennent les mêmes codes de représentations et détails à nouveau la mise en place de réseaux, d’eau, de lumière, de ventilation d’évacuation apportant le confort moderne occidental. Les architectes proposent de mettre à disposition des matériaux à proximité des logements pour que les habitants puissent se les approprier le mieux possible. La solution architecturale de R. Simounet n’est pas sans rappeler les unités d’habitations de la cité radieuse. Plusieurs jeux de niveaux, marches, ressauts sont imaginés au sein du logement pour permettre de s’accorder aux principes de l’homme de Mahiéddine ou du modulor algérien. La partie supérieure du logement est dédiée aux pièces intimes, les chambres, les pièces d’hygiène, mais à l’inverse l’espace de cuisine est lui positionné à l’étage, laissant la partie inférieure du logement libre d’appropriation par les habitants. L’escalier vient séparer la pièce en deux pour proposer différents espaces. Un passe-plat fait la liaison avec la loggia depuis la pièce de séjour. La loggia est en partie abritée par le débord de la chambre, l’effet rappelle la cour des baraques du bidonville. Les désertes communes sont imaginées sous la forme d’une coursive permettant une appropriation encore plus forte des logements par les habitants. densifier

Les propositions de projets, qu’elle soit celle de la cité en rez-de-chaussé ou de l’immeuble en hauteur, proposent une densification de l’habitat à l’image du bidonville. Cette densification horizontale et verticale sera la croix et la bannière de Simounet pour la plupart de ses projets, car elle stimule les dynamiques et interactions sociales entre habitants. « Je crois à la densité. Pour que la vie existe, il faut que ce soit dense. [...] J’ai toujours été étonné qu’on ne densifie pas plus. On préserve plus l’intimité en se regroupant qu’en se dispersant : il suffit d’organiser la hiérarchie des espaces. On peut très bien se retrouver dans son patio en ayant traversé des espaces très denses. J’ai eu l’occasion de travailler dans des pays à démographie très forte comme l’Afrique du Nord. J’ai fait des cités où il y avait mille habitants à l’hectare. On ne voyait pas autant de monde qu’on aurait pu le croire. Tout se passait bien. » 3 3

Conversation entre Roland Simounet, architecte, et Jean-Paul Dollé, « La Méditerranée a compté et compte

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Fondation Le Corbusier - 17322 - Perspective d’un appartement supérieur par Le Corbusier

Fondation Le Corbusier - Redessin perspective de la planche R211016- I43-4 - Projet d’immeuble en hauteur

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La densification apparaît aujourd’hui comme une solution évidente pour contrer les effets de l’étalement urbain et par conséquent d’un réchauffement climatique engendré par des déplacements qui sont plus facilement mutualisables dans des espaces densifiés. Cela apparaît aussi comme une solution pour un développement des ressources de proximité. En densifiant l’habitat, on évite une artificialisation des sols et par conséquent une réduction des terres arables. L’expérience du bidonville de Mahiéddine arrive en précurseur dans le changement de pensée et un renouvellement de la génération d’architectes. En effet, on trouve dans le discours des planches une envie de comprendre l’habitat et l’habitant pour lui proposer une réponse qui lui correspond. L’habitat est déconnecté de sa vocation seulement fonctionnaliste et développe l’idée de l’homme connecté à son logis, à son environnement. Les architectes intègrent à leurs analyses de nombreux éléments qui se seraient précédemment révélé être de l’insignifiant, du non-nécessaire. « J’ai eu la grande chance de connaître l’habitat primordial, le village authentique et même le bidonville, qui est le contraire du taudis. Le bidonville est une structure vivante, une promesse de logement, alors que le taudis arrive à détruire l’idée même du logis. J’ai commencé mon métier en faisant des enquêtes de sociologie urbaine et, avant cela, en creusant des canalisations dans les quartiers démunis. J’en ai toujours gardé quelque chose. » (Simounet, 1989)4 toujours ». Lumières de la Ville n°1, 1989, p. 94-95. 4 Conversation entre Roland Simounet, architecte, et Jean-Paul Dollé, « La Méditerranée a compté et compte toujours », Lumières de la Ville n°1, 1989, p. 95.

2.2.4 Se détacher des stéréotypes du modernismes « L’habitation est un abri d’hommes. Elle existe parce que les hommes ont besoin de s’abriter, surtout pour protéger leur santé contre la pluie, le froid, le vent, mais aussi pour assurer leur sécurité. [...]Abritant l’homme, le logis dresse des parois autour de l’homme. Ces parois forment un contenant. [...] L’homme s’abrite dans son logis pour y agir. Il s’abrite pour dormir, pour prendre ses repas et pour les préparer, pour se laver, pour se réunir aussi. [...] Toute une série d’activités à l’intérieur du logis que ce contenant peut faciliter ou compliquer, qu’il faut par conséquent qu’il facilite. » (ASCORAL, 1953)1 Le texte de présentation du CIAM évoque l’habitation tel un arbi. Un lieu de défense, un abri primitif pour lequel l’homme donne de son énergie et de son temps dans l’ultime but de se protéger. Il est dépeint en première condition que de se mettre en sécurité. Cette vision archaïque avancée par le modernisme est rejetée par l’analyse du groupe CIAM Alger qui contrairement à ses paires ne fait pas abstraction de la réalité. Néanmoins, le discours utilisé est parfois vieillissant au regard d’aujourd’hui. La ségrégation entre les hommes (qui vont au café) et les femmes (qui vont au hammam, voir annexe) se retrouve tout au long du projet. La religion est aussi représentée de manière archaïque. La planche consacrée à la religion s’étire sur deux niveaux. Le premier représente La Kaaba dans un dessin très coloré, puis il est suivi d’une photographie de femme voilée ainsi que le plan d’un logement sur le deuxième niveau. La planche est alors accompagnée d’un court texte : « L’habitation sur cours fermée, la femme dissimulée aux regards étrangers sont une conséquence des coutumes propagées en même temps que la religion musulmane. »2 1 2

AS.CO.R.AL, Projet de programme pour le IX° congres CIAM 1953, FLC D2-19/189-192. Voir Planche R112-1 -20

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Fondation Le Corbusier - Recollement des planches R112-1 -20 Planches sur la religion et la place de la femme dans le bidonville

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Dans cette annotation, la femme est intrinsèquement liée à la religion et à son habitat. L’analyse se contente simplement d’effleurer le sujet et de le cantonner à des stéréotypes. 2.3.

Le bidonville de la rue des Prés

Serge Santelli et Isabelle Herpin sont aujourd’hui tous les deux architectes, mais en 1968, ce sont deux étudiants de la collégiale de Bernard Huet. Cette collégiale propose « une nouvelle approche méthodologique, résolument historique et urbaine, fondée sur une compréhension de la dimension sociale des phénomènes architecturaux et urbains » (Santelli, 2018)1. Ils s’intéressent particulièrement au bidonville de Nanterre. C’est dans un contexte français complexe (mai 68, vaste révolte spontanée antiautoritaire et une remise en cause des institutions traditionnelles) que les deux étudiants architectes vont s’atteler à une analyse approfondie du bidonville. Une analyse qui leur révélera les nombreuses complexités et qualités des espaces informels. Serge Santelli en dira dans l’ouvrage consacré à l’étude : « Cette nouvelle approche anthropologique se différencie fondamentalement de la vision scientiste, fonctionnaliste et universaliste de la Charte d’Athènes fondée sur une méconnaissance complète des particularismes culturels en matière d’espace ».(Santelli, 2018)2 L’analyse proposée par les deux étudiants n’est pas du même ordre que celle de l’équipe CIAM Alger que cela soit de l’ordre économique ou temporel. Elle se révèle être très intéressante dans le cadre de ce mémoire, car elle apporte deux éléments. Tout d’abord, elle est réalisée par deux étudiants en fin de cycle (dernière année d’étude). Elle propose donc une vision de deux futurs architectes à une période où l’enseignement de l’architecture est profondément bouleversé. Le second élément d’importance est le recul nécessaire pour pouvoir constater l’évolution des mentalités et les répercussions, non pas seulement de l’étude du CIAM Alger, mais d’une nouvelle vision de l’architecture portées par une génération post CIAM ambitieuse. Ces deux éléments ne sont pas sans oublier l’intérêt premier de l’étude. « Au delà de cette rupture idéologique, l’interêt de l’étude est son interrogation sur les sens de l’organisation spatiale spontanée de cet habitat du bidonville. Elle montre la persistance d’un modèle, celui de la ville formée de l’agglomération de maisons à cours intérieures accolées. » (Santelli, 2018) 3 Relever pour rÉveler

La structure même de leur mémoire est intéressante et permet de révéler l’approche des étudiants. En première partie, ils abordent la question de la morphologie et de la forme urbaine des deux bidonvilles. La première étape consiste en une étude historique du bidonville. Pour ce faire, ils s’appuient sur les différents relevés photographiques satellites disponibles. Ils étudient donc tout d’abord la question de la grande échelle. 1 SANTELLI, Serge, HERPIN, Isabelle « La rue des prés : habiter un bidonville à Nanterre », Société d’histoire de Nanterre, Nanterre, 2018, p.10 2 Ibid, p.10 3 Ibid, p.10

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Extrait du plan minute réalisé par Serge Santelli et Isabelle Herpin

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Néanmoins, ils ne s’attardent que très peu sur les relations des bidonvilles avec l’environnement bâti proche, ils se contentent de l’aborder brièvement sans en proposer une représentation spatiale. La structure du bidonville en elle-même est, au contraire, très largement abordée et profite d’une étude claire, poussée et comparative de sa morphologie. Le plan minute réalisé par les deux étudiants permet d’entrevoir comment ils ont abordé leur sujet. En spatialisant l’espace bâti et surtout l’espace non bâti, ils ont rapidement pu se rendre compte des différentes typologies d’accès. Ils dédient par ailleurs plusieurs sous parties à celles-ci : les rues principales, la rue en baïonnette, les impasses, les passages et cours. Le plan minute est très révélateur des outils de représentations utilisés pour l’analyse. La variation, le croisement, la multiplicité des échelles et des modes de représentation apportent une compréhension plus grande du bidonville. En arpentant les lieux, les étudiants dessinent et représentent ce qu’ils voient. On retrouve ainsi sur la planche de nombreux croquis en lien direct avec le plan. Une coupe permet de mettre en avant les éléments architecturaux des espaces intermédiaires, ici un banc en saillie de la maison et une table en face de celui-ci, la maison vers la ville. Des annotations sur les ruines du bidonville permettent d’en comprendre les origines et les temporalités, les moyens de construction utilisés : « Maison construite dans la nuit et abattue par les flics ». Un trait rouge représente les canalisations enterrées ou en plein air. Ailleurs des numéros sont annotés et mis en correspondances avec des croquis annexes. On voit ainsi les dispositifs se révéler au fur et à mesure. Les multiples accès aux terrasses par des escaliers mutualisés ou des échelles, les balcons qui s’avancent au-dessus de la rue et agissent en protecteur des intempéries ou créer des zones ombragées. Le dessin révèle aussi la hiérarchisation des éléments. Les murs sont représentés ainsi que les portes. On observe donc un plan de rez-de-chaussée du bidonville qui nous permet de comprendre comment les logements sont accessibles et comment ceux-ci sont mutualisés, utilisés. Les cours privés sont comblés par des points afin de les rendre plus lisibles. Certains escaliers sont dessinés, des croquis de plans renseignent sur le nombre de marches permettant d’évaluer la hauteur du bâti. Le plan des habitations situé au niveau supérieur sont dessinés en marge et renseigne de la relation entre le rez-de-chaussée et l’étage. Le relevé main apporte une dimension personnelle importante et permet une réécriture, une modification de celui-ci, une liberté de la main dans la représentation. Il aurait été intéressant de joindre directement sur cette planche des photos, qui nous auraient permis une compréhension encore plus grande de l’organisation du bidonville, néanmoins, le mémoire des étudiants n’en manque pas. À l’inverse de ce que les planches du CIAM Alger nous apprennent, les photos sont disposées en annexes et ne permettent pas à l’observateur de les mettre directement en lien avec les relevés.

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Zomme sur le plan minute réalisé par Serge Santelli et Isabelle Herpin

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Le plan minute est le seul document laissé et utilisé tel quel dans le mémoire des étudiants. Il est aussi le plus intéressant en termes de représentation. Le reste des analyses ayant été réalisées à l’ordinateur, la dimension personnelle est abandonnée à la faveur d’une représentation plus (voir trop) classique qui perd en qualités et libertés. C’est d’ailleurs la seule planche qui superpose plusieurs modes de représentation. Ils en profitent pour étudier plus en détail, à l’image des planches d’analyses du groupe CIAM Alger, les répartitions de population ainsi que les emplacements des commerces et lieux de rencontres. Ainsi, deux cartes sont établies nous renseignant sur ces éléments et permettent aux étudiants de faire l’analogie entre le système de répartition des célibataires et des familles qui est semblable à celui des ksour Sud Marocain : « Les commerces groupés à l’entrée ; la rue principale faisant un coude pour empêcher les vues directes ; le groupe compact des maisons organisées autour d’une cour intérieure. [...] Un tiers des maisons étaient occupées par des célibataires regroupés à proximité des espaces publics. Cette proximité des célibataires et des espaces publics n’est pas due au hasard, car elle permet de rejeter les maisons occupées par les familles au fond du bidonville. Ce qui a pour avantage d’éloigner les femmes et les enfants de l’espace public essentiellement fréquentés par les hommes. » (Santelli, 2018) 4 Ces analogies se retrouvent à plusieurs niveaux et de nombreux aller-retour sont effectués entre les relevés du bidonville et les connaissances des typologies architecturales d’Afrique du nord. La deuxième partie du mémoire se concentre sur « les espaces de la maison ». Les étudiants se sont concentré sur 6 maisons, identifiés sur le plan minute par un hachurage bleu et un renforcement de leurs limites au crayon noir. On retrouve dès le début l’influence des réflexions des architectes modernes sur l’habitat et le logement. Les étudiants tiennent à préciser en introduction : « La maison et leurs espaces intérieurs des bidonvilles de Nanterre n’ont jamais été décrits dans leurs dimensions spatiales et architecturales. [...] D’ailleurs, le terme de maison n’est jamais utilisé pour décrire l’habitation bidonvilloise : cabane, baraque, hutte, tanière et bicoque sont les mots, peu flatteurs, utilisés par les journalistes et sociologues pour désigner les maisons du bidonville ». (Santelli, 2018)5 Ils utiliseront alors le mot dar qui était utilisé par les habitants eux-mêmes, signifiant maison en arabe. L’utilisation d’un mot particulier et représentatif des habitants dans l’analyse du bidonville se montre comme un héritage des analyses architecturales passées. L’habitant et son habitat sont étudiés avec des mots particuliers et non banalisés ou issus des stéréotypes occidentaux. Les dar sont alors relevés avec précision et donnent à voir des plans en RDC où sont représentés le mobilier classique, mais aussi les éléments verticaux comme les tentures ou les rideaux. Les tapis de sol sont représentés et s’affichent comme des éléments constitutifs de l’habitat du bidonville. Les relevés s’accompagnent alors de longs textes s’organisant toujours ainsi : 4 SANTELLI, Serge, HERPIN, Isabelle, « La rue des prés : habiter un bidonville à Nanterre », Société d’histoire de Nanterre, Nanterre, 2018, p.34 5 Ibid, p.48

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Collage, du plan de repérage des lieux de vie et des commerces et du plan de répartition de la population , réalisé par Serge Santelli et Isabelle Herpin

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Présentation et historique de la famille habitant le logis, une courte étude des relations au sein de la famille, une vue globale de l’organisation spatiale de la maison et enfin une description détaillée de chacun des espaces, du plus public au plus privé. Cette méthodologie permet aux étudiants de proposer un « essai de normalisation et de typologie des maisons étudiées » (Santelli, 2018)6. Cet essai s’appuie donc sur une étude comparative des six maisons relevés pour faire apparaître « des constantes formelles » (Santelli, 2018)7 Comme réalisés précédemment pour la morphologie du bidonville, ils développent plusieurs paragraphes sur les éléments constitutifs de l’habitat bidonvillois, la cour, la cuisine, le séjour, la chambre de la mère. Mais ils ne se limitent pas aux espaces. Les relevés représentant aussi les éléments de la maison, les étudiants proposent de réfléchir à la valeur sémantique de chacun de ces éléments tels que la porte, la fenêtre, le mur, la tenture et le rideau, le tapis, les marches, etc. La troisième partie du mémoire est une étude des espaces de la cité de transit André Doucet. L’étude suit les mêmes principes d’analyses que précédemment. Un relevé d’un logement de la cité est effectué puis les étudiants procèdent à une mise en évidence de la complète ignorance des mécanismes de la vie des habitants du bidonville qui ont mené à ses constructions. On y retrouve ni cour, ni espace extérieur, ni espace de renvoi des activités. Les séquences classiques d’enfilement des pièces sont abandonnées au profit d’une conception occidentale du logement situant la pièce de séjour au centre du logement et qui vient distribuer les chambres et la cuisine. La configuration des logements proposés est faite au déni des manières de vivre des habitants et impose un modèle contraignant et refermé sur lui-même. Enfin, de nombreuses annexes sont portées à l’attention de l’observateur lui permettant de restituer l’origine de cette population, d’en comprendre les mécanismes, mais aussi d’en découvrir les traditions, la religion et les coutumes. L’une des parties des annexes est une réécriture des tracts publiés dans plusieurs bidonvilles, par les habitants, pendant le temps de l’étude. Ces éléments nous permettent de mieux évaluer les besoins des habitants et de mieux comprendre les revendications de ceux-ci. Les leçons de l’Étude

L’analyse réalisée en 1968 nous permet d’apprendre plusieurs choses. Le bidonville est toujours acculé de connotations négatives, mais suscite un intérêt grandissant des architectes, portant leur étude jusqu’aux institutions d’enseignement de l’architecture. Certainement dû aux travail des équipes CIAM Alger et CIAM Maroc. En effet, les méthodes de représentations et d’étude de l’habitat informel sont proches de celles entreprises par l’équipe CIAM Alger. La multiplicité des représentations sur le plan minute permet une lisibilité des espaces beaucoup plus clairs et intuitive pour l’observateur. Mais c’est à la lecture des représentations « finale » des étudiants que l’on perd la dimension personnelle des planches qui ne reflète pas les qualités informelles pourtant largement évoqués par ceux-ci dans des paragraphes descriptifs.

6 7

Ibid, p.83 Ibid, p.83

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

Plan de la maison BETTA - Serge Santelli et Isabelle Herpin

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CHAPITRE II - Représenter l’informel

« MOBILISONS LA POPULATION DE MASSY POUR EMPÊCHER LES FORCES DE RÉPRESSION D’ACCOMPLIR DANS L’OMBRE LEUR SALE BESOGNE » « Mercredi, les flics devaient venir raser une autre baraque. Ils n’ont pas osé venir. Le maire est venu s’expliquer devant les travailleurs. C’est une victoire pour les ouvriers. Ils savent que leur unité fait leur force. Si une partie d’entre eux part, les autres, affaiblis, seront à la merci des bulldozer et des flics. » Tract des travailleurs des bidonvilles - Publié entre mai et juin 1968 Serge Santelli, Isabelle Herpin, « La rue des prés : habiter un bidonville à Nanterre », Société d’histoire de Nanterre, Nanterre, 2018, p.167

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CONCLUSION

C O N C LUS I O N Latifa LATRECHE, enfant du bidonville 1968 - Serge Santelli et Isabelle Herpin Photo d’une affiche tract 1968 - Serge Santelli et Isabelle Herpin

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CONCLUSION

Revenir À l’ESSENTIEL

L’informel est une architecture spontanée, elle regorge de qualités et de réponses qui ont longtemps été occultées. La vie contemporaine et machiniste à laquelle l’homme s’est assujetti l’a mené à une perte de compréhension des espaces dans lesquels il évolue et à une perpétuelle recherche d’optimisation et standardisation des processus de construction. Ainsi, l’homme a perdu la main sur son habitat et la conscience réelle de ses besoins. Les études se penchant sur les architectures informelles ont permis de faire émerger de nouvelles pensées, d’ouvrir une résonance entre l’architecte et les habitants, les paysages qui vivent et animent les lieux de vie. Comprendre le lieu et ses constituants est donc la première étape vers une architecture nouvelle. L’approche doit être différente. L’architecte se trouve dans la nécessité de développer de nouveaux outils d’identifications, d’approcher tous les générateurs du lieu, de sa vie, jusqu’à lors ignorés, tout cela en l’abordant de manière sensible. Mais comprendre n’est pas chose facile lorsque les outils que l’on connaît n’ont jamais eu pour autre objectif que d’établir des analyses de l’ordre de l’architecture ou de la technicité. C’est dans cette volonté de renouveau que le groupe CIAM Alger propose une étonnante et particulièrement conséquente analyse du bidonville de Mahiéddine. Se développe alors de nouveaux thèmes et axes d’analyses tels que les relations sociales, la religion, l’éthique, la spiritualité, etc. rendre lisible

Ils inventent, dans leur volonté de transmission et de compréhension du lieu et de ses mécaniques, de nouveaux outils de représentation qui permettent de rendre lisibles les qualités intrinsèques de l’architecture informelle. L’utilisation du dessin et du redessin en sont deux des composants essentiels. L’architecte dessine, redessine pour comprendre. Il révèle alors des espaces non-visibles à première vue (espaces intermédiaires, la maison vers la ville), il découvre des morphologies typiques du Maghreb en territoire lointain (bidonville de Mahiéddine, héritage culturel), il rend lisible l’implication des interactions sociales dans la spatialité du logis (séquence de traversée des pièces dans les baraques du bidonville de Nanterre). Ces outils sont couplés à d’autres pour apporter encore plus de richesses aux représentations. Ils amènent le mouvement, au cœur de représentations figées, à l’aide de la photographie. Les planches de présentations aux multiples méthodes de représentations permettent au regard de se balader, de faire un va-et-vient entre les informations. L’utilisation de la grille supplémente cette lisibilité en permettant un regard croisé d’une planche à l’autre. Les informations ne sont plus isolées mais participent à construire une compréhension globale. On retrouvera cette manière de faire dans les plans minutes réalisés par deux étudiants, 15 ans plus tard. Une leçon d’architecture

L’étude agit comme une véritable leçon d’architecture à une époque encore assaillie de préjugés et fait face à de nombreux détracteurs qui, justement, ne voient pas les qualités qui se cachent dans l’habitat informel. L’équipe CIAM Alger identifie, révèle les qualités apportées par la densité, génératrice de vie et vecteur des interactions sociales quotidiennes des habitants.

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conclusion

Ils mettent en avant le sens de communauté qui y réside, la spiritualité, le rapport très fort entre les habitants et la nature. Ils ouvrent la voie à la possibilité d’expression nouvelle croisant technicités contemporaines et cultures traditionnelles. une seule méthode ?

Comprendre la culture devient indispensable pour le projet. Il s’agit maintenant d’inventer les formes matérielles capables d’accueillir sans dysfonctionnement toutes actions humaines. Dans le reste de sa carrière, R. Simounet, gardera pour ambitions de réaliser des investigations très complètes pour ses projets, conservation des arbres (repère spirituel et naturel), adaptation au site (discrétion et économie des sols), densité (favoriser les rencontres, multiplier les circulations, développer le logement vers la ville (plus de souplesse), ne pas changer le fonctionnement des séquences de vie, mais apporter des solutions techniques pour une amélioration conséquente du bien-être physiologique et psychologique, simplifier la mise en œuvre pour construire plus facilement et localement, réutilisation des matériaux (écologie et ingéniosité), etc. Mais c’est aussi et surtout une implication personnelle et un échange avec les habitants, principaux récepteurs et impactés, qui doit se faire point de départ du projet. L’investigation se fait à l’aide d’une multitude d’outils pour développer tous les aspects du quotidien. Trouver et révéler ce qui construit et participe à la richesse du lieu pour les conserver et les magnifier. Il n’y a pas à mon sens de méthode ultime pour faire ou représenter, chaque projet ou investigation nécessite une réflexion sur les moyens de représentations qui lui permettront d’exprimer toutes les richesses qui lui sont inhérentes. s’ouvrir

En ouvrant les portes de l’informel à d’autres domaines, j’ai pu m’enrichir culturellement d’informations qui m’étaient méconnues. J’ai cherché à mettre en lien ces différents domaines pour développer ma boîte à outils de représentations et de transmissions de connaissances. Il n’est pas toujours évident de déceler dans d’autres domaines les éléments qui pourraient consolider et apporter aux notions de l’architecte. Mais il m’apparaît maintenant évident que tous les domaines peuvent apporter leur pierre à la construction des connaissances de l’architecte. La musique m’a appris la relation d’importance qu’il existe entre la main qui exécute et l’élément qui en résulte. Les arts plastiques m’ont fait découvrir la prédominance du processus et l’utilisation de la matière comme outil et non seulement comme support. La littérature m’a amené à découvrir la chôra et à engendrer une nouvelle réflexion sur l’utilisation de la description comme unique moyen de transcription de l’espace. Autant de portes qui restent toujours ouvertes. et la suite ?

La question de la représentation reste et restera toujours une question ouverte. Tout comme le processus doit rester ouvert et ne pas se fermer dans une méthodologie, mais plutôt s’ouvrir à tous les mécanismes et outils extérieurs susceptibles de l’aider. C’est ce que j’ai pu constater dans les quelques recherches que j’ai pu effectuer sur la citadelle de Kowloon. Les outils numériques et la vitesse de propagation de l’information ont pu ouvrir les portes à de nouvelles méthodes de représentations et d’investigations. Des communautés de passionnés qui œuvrent ensemble à déceler et révéler les leçons d’un patrimoine qui pourrait sombrer dans l’oubli.

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B I BL I O G RA P H I E

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