La solution intangible au déclin québécois?
Etienne Lacroix Montréal, juin 2011 Cet essai fait référence à l’étude de cas « Quebec 2030 : How Confident Should Quebecers Be? »
Depuis environ dix ans, nous nous entendons rappeler responsable leurs finances publiques, ont perdu la constamment que le vieillissement plus rapide de capacité à demeurer l’unique maître de leur destinée: notre population et que notre faible productivité la Grèce, l’Irlande, le Portugal, etc. Si notre modèle économique entraîneront des temps difficiles à social‐démocrate n’est pas rapidement ajusté, le moyen terme. Le consensus sur ces défis à venir est Québec pourrait être également du nombre d’ici les tel que des groupes de gauche comme de droite ont vingt prochaines années. revendiqué pour que leurs propres solutions soient mises en place. Conséquemment, le Québec a À ce jour, tout indique que la confiance des marchés maintenant un environnent d’affaires parmi les plus des capitaux envers nos finances publiques compétitifs en Amérique du Nord en plus d’offrir les continuera de s’effriter pendant que nous services aux familles et les programmes sociaux parmi demeurerons des observateurs passifs du déclin de les plus généreux qui soient. Cependant, ces mesures nos services et de notre autonomie provinciale. Et ce, n’ont pas engendré de résultats jusqu’à l’atteinte d’un point particulièrement significatifs, car les Peut‐être avons‐nous d’inflexion où cette confiance sera prévisions socioéconomiques pour tout simplement mal complètement épuisée tout comme notre société ne sont pas plus l’illusion de refinancement à compris ce que encourageantes qu’elles ne l’étaient il perpétuité. Dans pareille situation, y a dix ans. Cette apparente précisément nous le gouvernement fédéral agira selon contraction nous amène à nous devions résoudre? toute vraisemblance comme demander si les mesures utilisées ont créancier de dernier recours, mais échoué précisément parce qu’elles négligeaient une cette aide s’effectuera à un prix dépassant largement cause fondamentale : peut‐être avons‐nous tout le taux d’intérêt négocié. Les différences culturelles simplement mal compris ce que précisément nous entre le Québec et les autres provinces ne seront devions résoudre? qu’un catalyseur d’incompréhension à mesure que l’imposition probable de mesures d’austérité sera Les deux défis du Québec : le maintien de notre perçue par certains d’entre nous comme une attaque directe aux fondements de l’identité québécoise. Ces autonomie provinciale et de notre niveau de vie Les défis auxquels le Québec sera confronté au cours mesures nécessiteront‐elles que nous abandonnions des deux prochaines décennies sont bien connus, certaines rigidités que nous acceptons dans notre mais prévoir leurs conséquences collatérales demeure économie comme la nécessité de la langue française excessivement complexe. D’un côté, notre dette dans le monde des affaires ou nos lois du travail plus provinciale, bien qu’elle ne soit pas encore critique, robustes? Nécessiteront‐elles que nous sacrifiions est importante et sa vraisemblable croissance au certains biens publics absents dans le reste du Canada cours des vingt prochaines années menace ce qu’une tels des congés parentaux décents et une industrie majorité de souverainistes et fédéralistes apprécient : culturelle subventionnée? notre niveau d’autonomie et par conséquent notre spécificité au sein de la fédération canadienne. Le Dans tous les cas, les projections démontrent que les monde abonde maintenant d’exemples de sociétés changements qui seront nécessaires dans les vingt qui, à cause de leur incapacité à gérer de manière prochaines années, si rien n’est fait, seront plus
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dramatiques et moins démocratiques que ceux qui que l’érosion de notre standard de vie n’est pas pourraient être effectués aujourd’hui. Il va donc de causée par les revenus que notre gouvernement soi de se demander si les actions plus modérées que collecte, mais plutôt par la faible richesse que nous nous pouvons poser librement maintenant, par créons collectivement. L’augmentation des taxes, des opposition aux actions drastiques qui nous seront impôts et des redevances n’est bénéfique qu’à très imposées plus tard, nous permettront, dans une plus court terme et ne fera que changer qui subira les grande mesure, de maintenir le modèle québécois et effets du déclin de notre niveau de vie. les valeurs sous‐jacentes. Les actions modérées Mais encore plus préoccupant, ces D’un autre côté, même si le Québec que nous poserions mesures pourraient accélérer réussit à gérer de manière plus librement maintenant, notre déclin sociétal. Notre capacité à collecter davantage responsable ses finances publiques, sans étouffer notre faible notre plus faible croissance par opposition à des croissance économique dépend de économique ne fera qu’accentuer actions drastiques notre certitude qu’il existe au l’érosion de notre niveau de vie par imposées plus tard, Québec autant, sinon plus, de rapport au reste de Canada. À mesure que nos médecins, procureurs, permettraient‐elles de possibilités que dans les sociétés policiers, professeurs, etc. demandent maintenir davantage auxquelles on le compare. À titre des salaires comparables à ceux d’exemple, les gens ne vont pas offerts dans les autres provinces, nous le modèle québécois? vivre en Californie pour l’efficacité devons nous demander si l’intérêt individuel de ces du système de santé, la qualité du système groupes nous plongera dans une crise de d’éducation ou les impôts concurrentiels; ces gouvernance, dont la sortie serait pratiquement éléments sont tous parmi les derniers de liste aux États‐Unis. Les gens veulent vivent en Californie impossible à coordonner. parce qu’ils croient que c’est là, et non ailleurs, que Une solution qui ne viendra ni de la droite ni de la les grandes idées et les grands projets surviennent. gauche Or, il semble que trop peu d’entre nous sont Certains ont proposé ce qui à première vue peut convaincus que le Québec offre d’aussi reluisantes sembler des solutions tout à fait logiques. Les groupes perspectives d’avenir, car chaque année, plus de d’intérêt de droite ont recommandé la réduction du Québécois quittent pour ces sociétés qui ont l’air plus rôle de l’État, la désyndicalisation et la prometteuses qu’il y a d’individus de ces sociétés qui déréglementation au nom d’une plus grande se joignent au Québec. productivité économique. Mais serait‐il possible qu’en essayant de mettre en place des solutions La cause fondamentale : la dépression tranquille constructives, ces mesures accentuent les problèmes Les solutions proposées par les groupes de gauche et auxquels nous faisons réellement face? Comment de droite n’engendreront pas de résultats significatifs, l’imposition d’une idéologie productiviste qui a été car elles sont basées sur une compréhension erronée constamment rejetée par la majorité pourrait‐elle de la cause fondamentale du problème québécois. engendrer des résultats productifs? Est‐il probable Celle‐ci, qui n’en est pas une d’idéologie économique, que ces mesures créent plutôt davantage de division s’avère plutôt profondément ancrée dans une grande sociale et nous éloignent de la coordination majorité d’entre nous et depuis si longtemps qu’elle nécessaire au maintien de notre autonomie et de est maintenant silencieuse bien que ses symptômes, notre niveau de vie? Certes, améliorer l’efficacité de eux, soient bien criants. Pour en comprendre les nos institutions doit être une priorité, mais éliminer fondements, il est nécessaire de remonter à la simplement celles‐ci n’engendrera pas les résultats première fois où nous avons vécu un doute collectif à économiques que ces groupes espèrent. propos des perspectives futures qu’offre le Québec. Est‐ce sur les plaines d’Abraham en 1759, dans le Ceci dit, les groupes de gauche ne semblent pas non Parlement britannique en 1841, dans les mines plus avoir trouvé de solutions viables. En ne d’amiante des années 40 ou dans les manufactures promouvant que de nouvelles mesures de collection montréalaises des années 50? Est‐ce quand nous de revenus, par opposition à la création de nouvelle avons été décrits comme une nation sans culture et sources de richesse, les partis politiques de gauche, sans histoire, quand nous avons nous‐mêmes associations étudiantes et syndicats semblent oublier commencé à nous définir comme un peuple né pour 2
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un petit pain ou quand nous nous sommes collé Notre perspective dépressive de la réalité et le l’étiquette de « minorité »? Est‐ce quand nous avons paradoxe économique québécois essayé de créer un projet collectif en 1980 et en 1995, Notre dépression tranquille nous a empêchés de voir ou quand à trois occasions différentes notre tentative à quel point, à un certain niveau, nous avions déjà de joindre la confédération réussi. Nous ne somme pas Nous avons légitimé parfaits, mais nous avons réussi canadienne a échoué? Cette cause est née il y a déjà des centaines d’années dans notre esprit et dans un équilibre quasi parfait entre et nous l’avons gardée en vie en celui des autres que les nos valeurs socioculturelles, nos institutionnalisant ce complexe ambitions environnementales tenace : nous ne pouvons nous grandes choses et notre besoin de permettre d’être aussi confiants dans n’arrivent, en effet, pas développement économique. les perspectives offertes par notre aussi souvent au Québec Nous ne semblons pas apprécier société que les autres le sont dans les le défi que pareil équilibre qu’elles arrivent ailleurs. perspectives de leur propre société. représente. Or, le simple fait que si peu de sociétés aient elles‐mêmes réussi, Mais plus récemment, les effets cumulatifs de ces devrait nous rendre profondément fiers et confiants, référendums et accords constitutionnels échoués beaucoup plus que nous le sommes aujourd’hui. nous ont poussés dans une spirale descendante qui n’a qu’accentué la détérioration de notre confiance et Nous avons créé la société la plus égalitaire et la plus a engendré davantage d’échecs collectifs. Depuis le culturellement vibrante en Amérique du Nord. Nous second référendum, nous avons assisté au déclin de offrons plus de services aux familles et de service nos valeurs communes à travers de multiples vagues sociaux que nos contreparties, notre système de d’allégation de corruption, nous avons observé santé, bien qu’imparfait, est universel, coûte moins l’augmentation de notre division sociale avec la cher et figure parmi les meilleurs des provinces formation de groupes d’intérêt ayant un poids canadiennes, notre système d’éducation compte politique disproportionné engendrant une perception parmi les moins chers pour ses utilisateurs tout en omniprésente d’immobilisme, et nous avons fournissant des diplômes de qualité comparables, et contemplé nos politiciens s’opposer à des fins nos artistes jouissent, sans aucun doute, de la plus partisanes et mené des attaques personnelles dans le grande reconnaissance à l’intérieur comme à manque de respect le plus total. Petit à petit, nous l’extérieur du pays. avons réagi à la lapidation de notre contrat social par l’instauration d’un vaste cynisme qui ne rend que plus Nous somme aussi, avec la Californie, une des difficile d’attirer les leaders qui auraient la capacité de sociétés les plus vertes de ce côté‐ci du globe. Nous briser ce cycle d’échecs continus. À mesure que notre produisons la moitié de la moyenne canadienne en perte de confiance s’est accélérée, et que nos médias émission de gaz à effet de serre, la quasi‐totalité de ont passé plus de temps à couvrir ces tristes notre électricité provient de sources renouvelables, évènements que n’importe quels autres sujets nous sommes le chef de fil canadien en électrification d’actualité, nous avons légitimé dans notre esprit et des transports et une des seules régions de dans celui des autres que les grandes choses l’Amérique du Nord qui atteindra les objectifs de n’arrivent, en effet, pas aussi souvent au Québec Kyoto en 2012. qu’elles arrivent ailleurs. Et ces succès ont été accomplis alors nous avons Et davantage de déceptions ont suivi, favorisant le développé un des environnements d’affaires les plus développement de ce qui ressemble à une dépression compétitifs en Amérique du Nord. Notre économie silencieuse, indolore et collective. Nous avons échoué est plus diversifiée et nous avons plus d’entreprises avec le Bassin Peel à créer une solution acceptable qui de haute technologie que n’importe où dans le pays, aurait contribué à la renommé internationale de le coût d’opération des entreprises figure parmi les notre société. Nous avons échoué avec le CHUM à plus bas en Amérique du Nord, et nous investissons créer un projet duquel nous serions tous fiers. Mais davantage en R&D et recevons plus de capital de surtout, nous avons échoué et nous échouons encore risque que n’importe quelle autre province. à mettre en place les solutions qui assureront la pérennité de notre société. Par contre, c’est également sur ce dernier point que le paradoxe québécois est davantage apparent. D’un 3
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côté, il n’y a rien de sensiblement mauvais avec notre chacun d’entre nous sera confiant que des environnement d’affaires. En fait, il est probablement perspectives d’avenir existent pour tous. un des meilleurs qui soient. Cependant, notre performance économique continue d’être parmi les Un nouveau rôle et une nouvelle institution pour les plus faibles de toutes les provinces. Pour une raison leaders québécois obscure, et malgré la logique économique, nous Si nous souhaitons préserver notre autonomie restons réticents à investir nos ressources, notre provinciale ainsi que notre standard de vie, gérer de temps et nous‐mêmes, comme si nous doutions que manière responsable nos finances publiques ne sera les bénéfices se matérialisent. Résultat de ce faible pas suffisant. Nous devrons dynamiser l’économie investissement en nous‐mêmes, le Québec a québécoise à un niveau que nous n’avons pas encore développé une des productivités économiques parmi atteint dans notre histoire récente; et peu importe les les plus faibles, contribuant ainsi à faire reculer notre incitatifs mis de l’avant, cela ne se réalisera pas sans standard de vie par rapport à la moyenne canadienne. la croyance que nous y parviendrons. Ce ne sera pas Si tous les éléments de la croissance économique sont la première fois que nous aurons à nous mobiliser déjà en place, tout ce qu’il nous manque, c’est la pour prévenir le déclin de notre société, cependant, cette fois, la menace semble venir de l’intérieur. La confiance des Québécois en sa réalisation. situation n’est pas aussi engageante que certains La solution à nos problèmes économiques n’est pas évènements historiques que nous avons traversés, l’urgence d’agir semble lointaine, les mécanismes par économique Chacun de nous doit non seulement retrouver une lesquels notre déclin s’effectue sont complexes et confiance dans les possibilités qu’offre le Québec, nous avons peu de motivation à faire des efforts tant mais également la certitude que les autres Québécois et aussi longtemps que nous doutons de la partagent également cet espoir. Sans cette nécessaire transparence de certains. coordination, notre croissance restera négligeable. Cette confiance individuelle et collective se doit d’être Les leaders québécois auront donc un rôle au moins équivalente et même plus grande que la extrêmement important à jouer dans la mise en place confiance que les autres sociétés ont en elles‐mêmes. de finances publiques saines, mais également dans la Seule cette croyance partagée à l’intérieur et à reconstruction de la confiance nécessaire à l’extérieur de la société québécoise l’accélération de notre entraînera les autres et nous‐ Si tous les éléments de la développement économique. Ils mêmes à investir ici. Ceci générera croissance économique se doivent de comprendre que bien qu’il faille maintenir un non seulement des investissements sont déjà en place, tout ce certain contrepoids dans nos en nouveaux équipements et technologies, le démarrage de qu’il nous manque, c’est la institutions, ils ne peuvent se permettent d’être divisés sur ces nouvelles entreprises et la décision confiance des Québécois objectifs premiers. Le des étudiants de s’engager gouvernement, les partis davantage dans leur éducation, en sa réalisation. mais également l’atteinte de la productivité d’opposition, les syndicats, les associations économique nécessaire au maintien de notre professionnelles, les associations étudiantes et les standard de vie, de notre autonomie et de notre groupes environnementaux doivent, dans un effort spécificité. sans précédent, démontrer qu’ils acceptent de poser un premier pas. Et tandis que leur démonstration crée À mesure que les réussites se matérialiseront, les une lancée, ils se doivent de la maintenir en acceptant mêmes mécanismes, qui présentement renforcent que certains devront perdre un peu maintenant afin notre dépression tranquille, œuvreront à consolider d’empêcher que nous tous perdions beaucoup plus notre confiance collective et élimineront en cours de tard. route l’apparente contradiction entre notre environnent d’affaires compétitif et notre faible Malheureusement, pareil acte de bonne foi de la part croissance économique. Il ne s’agit donc pas de d’un de ces groupes est peu probable tant et aussi politiques de droite ou de gauche : ces dernières, si longtemps qu’ils percevront que les autres groupes ne elles ne tiennent pas compte de la confiance dans les font pas également leur juste part. Ce problème de possibilités qu’elles créeront, ont peu d’importance. Il coordination ne peut être résolu que par un s’agit de trouver les politiques qui feront en sorte que leadership politique largement appuyé par la 4
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population ou par la négociation multipartite. Notre société étant confrontée à une crise du premier, nous pouvons nous demander si le déblocage du potentiel québécois passe par la mise en place d’une institution où chacun de ces groupes peut formuler ses demandes et accepter des compromis en présence et conditionnellement aux autres groupes. Cette nouvelle arène de coordination, qui serait complémentaire aux institutions actuelles, permettrait‐elle de jeter les bases d’une nouvelle confiance et de rompre avec notre dépression tranquille? Une fois unis autour d’une même table de discussion, ces différents groupes pourront‐ils faire prévaloir le maintien de notre autonomie provinciale et de notre niveau de vie avant leurs propres objectifs individuels?
Ce qui est certain, c’est que si nous ne réussissons pas à résoudre la crise des finances publiques qui guette le Québec tout en rétablissant les bases d’une confiance collective partagée, nous nous retrouverons sur le chemin des sociétés en voie d’extinction. Et cette fois, nous ne pourrons malheureusement blâmer que nous‐mêmes pour notre propre déclin. Par contre, si nous réussisons, le Québec émergera comme une des sociétés les plus accomplies de la planète. Nous avons déjà des perspectives sociale, culturelle et environnementale des plus convoitées, et il nous manque si peu pour faire de même avec notre perspective économique
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