Thérapie
Cette technique déverrouille les zones les plus secrètes
de notre esprit
L’hypnose sur le devant de la scène... médicale Sur scène, l’hypnose fascine. Dans les cabinets médicaux, on la redécouvre : quand la psychologie et les médicaments échouent, elle soigne.
S
ur la scène du théâtre Bobino, à Paris, un trentenaire a les yeux mi-clos et l’expression absente d’un somnambule. Il semble ne rien percevoir de ce qui l’entoure, ni la lumière crue du spot braqué sur lui, ni la musique d’ambiance angoissante, ni les centaines de spectateurs qui retiennent leur souffle. A ses côtés, un hypnotiseur parle d’une voix grave, envoûtante : — Vous êtes une femme enceinte, votre bébé arrive à terme. Vous ressentez les contractions. La métamorphose est instantanée. L’homme se met à souffler en cadence, la mâchoire crispée de douleur, comme s’il était au plus fort du travail. — Ça y est, votre bébé est né. C’est un garçon ! Et la « maman » pose son bébé imaginaire sur sa poitrine, comme pour lui donner le sein ! Dans son spectacle, « Messmer le Fascinateur », hypnotiseur québécois de passage en France, enchaîne des numéros plus bluffants les uns que les autres. Parmi les volontaires, une dame
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Il s’est mis à parler normalement. Et là j’ai vu dans la salle les gens me regarder avec de grands yeux. Ce jeune homme était vraiment bègue, ce que je ne savais pas, et je venais de le libérer de son bégaiement. Il n’a plus jamais bégayé de sa vie !
très digne se roule en boule quand Messmer lui lance « vous êtes un fœtus dans le ventre de votre mère » et se trémousse à quatre pattes quand il embraye : « vous avez 1 an maintenant ! » Une autre rit ou pleure sur commande, une dernière danse un french cancan endiablé sans pouvoir s’arrêter.
Initié par son grand-père Mais il y a plus intéressant... Vers la fin du spectacle, une jeune femme, qui a une peur bleue des souris, oublie si bien sa phobie qu’elle prend dans ses bras le gros rat qu’on lui tend. Elle le couvre de caresses et, pour un peu, elle l’embrasserait sur le museau. Messmer en profite pour glisser ce message : — Mesdames, messieurs, en quelques séances d’hypnose, on peut changer définitivement des comportements, les reprogrammer pour soigner par exemple la dépendance au tabac. Il sait de quoi il parle : avant d’être un homme de spectacle, il était hypnothérapeute. C’est justement ce qui m’amène
Des opérations sous hypnose
Messmer, hypnotiseur canadien, endormant instantanément des volontaires. L’artiste a pris ce nom de scène en hommage à FranzAnton Mesmer, un médecin qui supposait l’existence d’un « fluide » entre l’homme et les planètes.
ici : Messmer doit me raconter sa vie antérieure, celle où il pratiquait l’hypnose qui guérit. A la fin du spectacle, je me glisse dans les coulisses et rejoint le Fascinateur dans sa loge. Le show est peut-être terminé, mais l’homme au regard translucide garde quelque chose de magnétique. Notre entretien démarre. — J’avais 7 ans quand mon grand-père m’a initié à l’hypnose, commence-t-il. Il m’a donné un livre sur la force de la suggestion et l’hypnothérapie. Lui-même se
servait de l’hypnose sur ses chevaux, pour les calmer avant les courses et améliorer leurs performances.
Le jour où il a endormi son chien Le garçon a beau être tout jeune et l’ouvrage très technique, il le dévore en quelques semaines et passe ensuite à la pratique. Pour s’entraîner, il a sous la main le cobaye idéal : son chien. — Je devais avoir 8 ans. Je lui ai fait quelques points de pression, des passes magnétiques sur
le corps, et il s’est endormi ! J’ai eu la peur de ma vie, j’ai cru qu’il était mort ! Mais il a fini par se réveiller, au bout de dix minutes... A peine adolescent, Messmer se lance dans le spectacle. L’un d’eux agira sur lui comme une révélation : — C’était un show organisé pendant un camp d’été pour jeunes de 1415 ans. Dans l’un de mes numéros, je faisais bégayer une personne. J’ai pris quelqu’un au hasard dans le public qui s’est mis à bégayer dès sa première phrase. Bizarre-
ment, les gens ne riaient pas beaucoup. J’ai dit au garçon : « Cessez de bégayer, parlez avec moi. »
Sa décision est prise : il utilisera l’hypnose pour soigner. Après le lycée, il se perfectionne en sophrologie et ouvre un cabinet privé d’hypnothérapie, sans pour autant renoncer aux spectacles. De cabaret en émission de télé, il se fait connaître, et sa renommée naissante popularise l’hypnothérapie au Canada. Et de ce côté-ci de l’Atlantique ? Le phénomène, là encore, est en
plein boom. Depuis une vingtaine d’années, l’hypnose a quitté l’univers du music-hall pour pénétrer hôpitaux et cliniques. Ses applications sont innombrables. L’anesthésie est contre-indiquée pour un patient ? On va l’opérer sous hypnose : da ns c et état de conscience modifiée, on ne ressent plus la douleur. La technique a fait son entrée au CHU de Liège, en Belgique, en 1992. Depuis, cet hôpital a réalisé plus de 7 000 interventions sous hypnose. Pour le traitement de la souffrance, l’outil est révolutionnaire. Les violentes migraines ou les douleurs cancéreuses ne peuvent pas toujours être atténuées par les moyens traditionnels. Aujourd’hui, on peut les soulager par l’hyp-
GUÉRI DU VERTIGE !
C’est la guérison dont Messmer est le plus fier. L’un de ses patients rêvait de devenir pompier. Le hic, c’est que ce jeune homme souffrait d’un vertige maladif et pouvait à peine monter sur une chaise ! — Sous hypnose, je l’ai fait reculer dans le temps et on a réussi à trouver la cause de son vertige. Il s’est vu, vers 3 ans, chez une de ses tantes dans un appartement en étage élevé. Il était sur le balcon et regardait entre les barreaux quand sa mère a crié : « Reviens, tu pourrais te tuer ! » Ça a créé chez lui un ancrage mental associant l’altitude à la mort. En une séance seulement, j’ai réussi à le libérer de cette peur des hauteurs. Il a fait le test aussitôt rentré chez lui. Il est monté sur le toit de sa maison avec une échelle. Il ne ressentait plus aucune peur ! 19
COMBIEN ÇA COÛTE ?
Thérapie nose. Le Dr Chantal Wood, responsable du traitement de la douleur à l’hôpital Robert-Debré, apprend aux enfants malades à s’autohypnotiser : — Avec eux, j’utilise le gant magique, un gant imaginaire. L’enfant apprend à l’enfiler, et pose sa main « gantée » sur sa tête, par exemple, pour juguler sa douleur. Mais l’application qui s’adresse au plus grand nombre concerne les bobos de l’âme : anxiété, dépression, problèmes de dépendance ou d’insomnie. Pour les guérir, de nombreux cabinets d’hypnothérapie s’ouvrent dans les grandes villes, tel celui du Dr JeanMarc Benhaiem. — Depuis quelques années, explique ce médecin, les gens se demandent s’il n’y aurait pas « un truc qui marche un peu plus vite et qui soit moins envahissant que des années de psychanalyse ». Eh bien si, il y a les thérapies brèves qui reposent sur l’hypnose. Pour ma part, je suis à
donne au corps de se mettre à produire de la morphine, qui va automatiquement calmer la douleur du manque.
Des résultats spectaculaires Au revoir déprime et insomnie Jean-Marc Benhaiem encadre une formation à l’hypnose médicale, puisque celle-ci peut traiter rapidement anxiété, dépression, insomnie, addictions à la nourriture, au tabac, à l’alcool. l’origine médecin généraliste, mais je me sentais impuissant face aux dépressions, jusqu’au jour où j’ai réalisé à quel point l’hypnose était efficace. Mais comment ça marche ? — Prenons l’exemple d’une personne qui veut arrêter de fumer, m’explique le Dr Benhaïem. J’ai d’abord un entretien préalable avec elle pour comprendre ce que le tabac représente, dans son esprit. La cigarette est-elle un soutien, un refuge, un moment de plaisir ? Une fois que j’ai fait le tour de la question, on passe à l’hypnose. Je
CELUI QUI A DÉPOUSSIÉRÉ L’HYPNOSE
fais entrer la personne en transe [voir encadré] et je peux alors changer la représentation qu’elle a du tabac. C’est la clé de l’hypnose : pendant la transe, qui est un état hyperréceptif, le cerveau peut assimiler de nouveaux messages. — Une idée fortement enracinée, « le tabac me fait du bien », peut être délogée et remplacée par une autre, « le tabac est nocif », poursuit-il. A partir de ce moment, le besoin de tabac s’évanouit. Quand la perception change, l’arrêt du tabac ne se fait plus à contrecœur mais avec soulagement. « Reprogrammé », le cerveau or-
L’hypnothérapie moderne moderne est est née née avec avec Milton Milton Erickson. Surnommé « le « le Magicien » Magicien » ou ou encore encore« le « leSage Sage de Phœnix », de Phœnix », ce chercheur ce chercheur américain américain revientrevient de loin. deEn loin. 1919,En à l’âge 1919,de à l’âge 17 ans, deil17 est ans, touché il estpar touché une poliomyélite par une si poliomyélite aiguë qu’un médecin si aiguë qu’un le croitmédecin condamné. le croit Erreur. condamné. Le garçon Erreur. survit, mais Le garçon seuls ses survit, yeux mais peuvent seuls encore ses yeux bouger ! peuvent encore Heureusement, bouger !ilHeureusement, est mû par une ilvolonté est mûde par fer une et croit volonté au de fer pouvoir et croit de au l’esprit. pouvoir En de observant l’esprit. sa Enpetite observant sœursa apprendre petite sœur apprendre à marcher, à il analyse marcher,ses il analyse mouvements, ses mouvements, les visualiseles visualise intérieurement intérieurement et se « voit » et se les« voit » effectuer les à effectuer son tour.àAson force, tour. A son force cerveau d’y penser, assimile son l’idée cerveau de pouvoir assimile remarcher. l’idée de Et pouvoir un beau remarcher. jour, Erickson Et peut un beau bouger jour,àErickson nouveau.peut Il vient bouger de mettre à nouveau. au Il point vientl’autohypnose ! de mettre au point Aprèsl’autohypnose des études de! Après médecine, des études il se de spécialise médecine, dans il se cette spécialise discipline. dans Il popularise cette discipline. tout auIl long popularise de sa carrière toutune au idée long nouvelle de sa carrière : en changeant une idée nouvelle son point: en changeant de vue sur les sonévénements point de vuede sur sales vie,événements on peut guérir. de sa vie,
Qu’il s’attaque à des problèmes d’insomnie, de phobies ou autres, l’hypnothérapeute s’y prend toujours de la même manière : il modifie le regard que le patient porte sur sa vie. — J’ai un jour reçu un patient dépressif, explique le Dr Benhaiem. Il ne pouvait pas s’arrêter de penser à un événement malheureux. J’ai cherché à le faire dé-focaliser, c’est-à-dire à élargir sa perception. Je n’ai pas raconté à ce patient qu’il n’avait aucun problème, je l’ai amené à prêter attention à d’autres aspects de sa vie. Bref, à cesser de ruminer ! Les résultats sont parfois spectaculaires, comme le raconte Catherine Derivery, journaliste, sur son site internet : — Dépressive, j’avais fait de nombreuses tentatives pour aller mieux, des psychanalyses de toutes sortes, avalé des tonnes de médicaments... J'ai été hospitalisée, rien n’y avait fait. En désespoir de cause, elle pousse alors la porte d’un hypnothérapeute. Et c’est une révélation : — Il me semblait incroyable de pouvoir changer, réparer les blessures du passé et se relancer dans la vie si facilement. Comblée, elle a fini… par devenir elle-même
Une heure d’hypnose thérapeutique coûte de 100 à 120 euros à Paris, 50 euros en province. Si l’on veut arrêter de fumer, une seule séance peut suffire, mais les autres indications nécessitent le plus souvent trois séances. hypnothérapeute. Ils sont de plus en plus nombreux à suivre son exemple. Pour apprendre le métier, il existe un petit nombre d’écoles privées, mais aussi une formation universitaire, à la Pitié-Salpêtrière, qui délivre un diplôme d’Etat. Dirigé par le Dr Benhaiem, ce cursus a déjà formé plus de 1 000 thérapeutes en douze ans d’existence. Les cabinets ne désemplissent pas. Attention, cependant, à l’excès d’enthousiasme : nul ne remplacera un rhumato-
logue, un ostéopathe ou un psychiatre. Messmer, revenons à lui, tient à le rappeler : — Je ne suis pas un guérisseur miracle ! Je ne veux pas que des gens viennent me voir pour me dire : « Touche-moi le front et guéris-moi du cancer. »
Une nouvelle technique Cela dit, on n’a pas encore fait le tour des potentialités de l’hypnose. Le Fascinateur travaille actuellement une nouvelle technique, encore plus spectaculaire : — J’ai déjà réussi plusieurs fois à hypnotiser des personnes à distance. Un jour, dans un avion, j’ai fait s’endormir puis se réveiller un passager assis à côté de moi. Sans lui dire un mot. Quand j’aurai suffisamment répété le numéro, c’est le prochain tour que je montrerai au grand public ! Etienne Pellot
La transe hypnotique Pour plonger le patient dans l’état hypnotique, le thérapeute lui demande de fermer les yeux, ou bien de fixer un point au mur. Il lui parle d’une voix douce, monocorde. La vue, l’ouïe, et même le toucher sont comme anesthésiés et le patient se défait du contrôle de la raison, ce qui le rend plus sensible à la suggestion. En douceur, le praticien peut alors l’aider à éliminer les croyances nocives ancrées au plus profond de son esprit. Le tabac, l’alcool, est-ce que j’en ai vraiment besoin ? A son « réveil », il n’est plus tout à fait le même. A lire L’Hypnose ou les Portes de la Guérison, que Jean-Marc Benhaiem a écrit avec François Roustang (éditions Odile Jacob), détaille ce processus étonnant. 21