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Discours de clôture de Monsieur Henri GUAINO, Conseiller spécial du Président de la République et Chef de la Mission interministérielle de l’Union pour la Méditerranée Forum de Paris – le 28 mars 2009 Mesdames et Messieurs, Mes chers amis, Je remercie les organisateurs du Forum de Paris de me donner l’occasion de m’adresser vous pour la conclusion de vos débats, et, à travers vous, à tous ceux qui aiment la Méditerranée., qui l’aiment d’un amour à la fois passionnel et raisonné, d’un amour fou comme tous les vrais amours et lucide parce que la passion amoureuse ne rend pas aveugle, bien au contraire, et c’est pour cela qu’elle est si souvent aussi une souffrance. A tous ceux qui aiment la Méditerranée et qui souffrent de la voir dans l’état où elle est, A tous ceux qui se sentent méditerranéens par l’esprit et par le cœur, non pas forcément parce qu’ils y sont nés mais parce qu’ils se sentent les héritiers d’un incomparable legs de civilisation, parce que pour eux la Méditerranée est la source de ce qu’ils tiennent pour les plus hautes valeurs spirituelles, intellectuelles et morales de l’Humanité, A tous ceux là, je veux tenir aujourd’hui un langage de sincérité, de vérité. Mes chers amis, je veux vous parler en homme libre. Mon engagement auprès du Président de la République est un engagement d’homme libre, dont la parole et dont la pensée sont libres. Responsable, certes, parce que je sais que je n’engage pas que moi-même, mais libre parce que sans cette liberté mon engagement ne vaudrait rien, ne servirait à rien. A force d’être trop précautionneux, à force d’avoir peur des mots, d’avoir peur des idées, à force d’avoir peur de la vérité, on finit par parler pour ne plus rien dire. A quoi servirait-il que je m’adresse à vous pour ne rien vous dire. Je m’adresse à vous en homme libre pour vous dire ce que je pense, ce que je pense vraiment. Je m’adresse en vous en homme de conviction parce que ce qui se joue en Méditerranée est crucial, crucial pour l’avenir d’une certaine idée de l’Homme et de la civilisation, crucial pour 1


la paix, crucial pour la France, crucial pour l’Europe, crucial pour tous les peuples de la Méditerranée, crucial pour l’Afrique, crucial pour l’humanité toute entière. Nous sommes dans un moment historique, avec un projet historique, face à des choix historiques. Beaucoup ne l’ont pas compris. Ils n’ont pas compris ce que nous voulons faire. Ils n’ont pas compris les enjeux de ce que nous voulons faire. Ce sont les mêmes qui sont absolument incapables de comprendre ce que sont des enjeux de civilisation, pas plus qu’ils ne sont capables de comprendre la profondeur et les enjeux de la crise actuelle. Ils ne sont absolument pas capables de comprendre qu’il puisse y avoir une dimension intellectuelle et morale à des problèmes politiques, diplomatiques, économiques, sociaux, environnementaux. Ils ne comprennent pas qu’à certains moments de l’Histoire toutes les volontés, toutes les énergies, toutes les intelligences doivent être tendues vers la transgression de l’ordre établi afin d’en établir renouveau intellectuellement et moralement plus acceptable. Ils sont enfermés dans leurs habitudes de pensée, dans leurs procédures, dans leur bureaucratie. Ils vivent dans leur monde à eux, avec les règles qu’ils se sont eux-mêmes données, ils vivent entre eux, ils vivent pour eux, pour leur petit confort, pour leur petit pouvoir. Ils ne se sentent en rien responsables de ce qui se passe autour d’eux. Ils ne se sentent aucune responsabilité, ni politique, ce qui est normal, ni morale, ce qui l’est beaucoup moins, vis-à-vis des conséquences sur le sort des autres, des décisions qu’ils prennent.

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Ils sont accrochés à leurs textes, à leurs traités, ils trahissent l’esprit au nom de la lettre. Ils ne bougent pas, ils ne bougeront pas quoiqu’il arrive. Le monde peut s’écrouler, ils sont comme le sage épicurien de Lucrèce qui regarde les bras croisés sans s’émouvoir le bateau qui fait naufrage, avec la bonne conscience de celui qui n’y est pour rien et qui par conséquent n’a pas à se sentir concerné. Rien n’est pire que la bonne conscience. La morale, cela commence avec le cas de conscience. Surtout qu’il leur arrive, pardon, assez souvent d’y être pour quelque chose. Nous vivons dans un moment où chacun devrait se sentir responsable non seulement pour luimême mais pour les autres. Parce que si chacun ne se sent pas moralement responsable de ce qu’il fait et de ce qu’il dit, alors je vous le dis nous allons tous ensemble fabriquer quelque chose qui risque de ressembler à ce que nous avons connu de pire dans notre Histoire. Alors tous ceux-là, tous ceux qui ne veulent rien entendre, rien comprendre, qui ne se sentent aucune responsabilité morale, qui ne veulent pas bouger, qui ne veulent pas penser autrement, c’est contre eux qu’il faut se battre pour remettre de la politique en Europe, c’est contre eux que s’est construit le succès de la Présidence française de l’Union européenne, c’est contre eux que l’on a fait l’Union pour la Méditerranée, que l’on a résolu la crise géorgienne, que l’on a pu faire face en Europe à la crise bancaire ; c’est contre eux qu’il faut se battre pour que l’Union pour la Méditerranée continue de se faire, parce que l’Union pour la Méditerranée, si nous réussissons, ça changera tout et qu’ils veulent eux que rien ne change. Alors, j’entends bien les rumeurs, les mensonges, je vois bien les petites manœuvres bureaucratiques, politiciennes, journalistiques pour essayer de discréditer ce projet qui dérange apparemment tant d’habitudes et de féodalités installées depuis longtemps, depuis trop longtemps ! Je le dis aux bureaucraties qui n’ont pas compris que la politique étrangère c’est d’abord de la politique. Je le dis aux journalistes qui font des articles sur l’Union pour la Méditerranée sans rien vérifier, sans téléphoner à ceux qui sont en charge du projet pour recouper leurs informations pour essayer de se construire le jugement le plus objectif possible. 3


Je le dis aux diplomates qui prétendent que « ce projet prend l’eau », je cite, parce que le cœur de ce projet ce n’est pas la diplomatie mais la logique des projets, la logique des coopérations concrètes, le contraire de la logique administrative. Et parce qu’ils n’ont pas compris que l’on était sorti de Barcelone, parce que Barcelone tel qu’ils l’avaient géré, avait échoué ! Je le dis à tous ceux qui ont cette délectation malsaine, oui malsaine, de l’échec soi-disant annoncé, de l’échec attendu, espéré. Je le leur dis : je ne lâcherai rien, le Président de la République ne lâchera rien, la France ne lâchera rien, et tous ceux qui en Europe, en Méditerranée, sur la rive Nord comme sur la rive Sud veulent que ce projet réussisse seront plus forts que leur résistance, plus forts que leur esprit étriqués, plus forts que leur bonne conscience. Ils n’y croient pas ? Et bien nous, nous y croyons ! Et nous nous battrons. L’Union pour la Méditerranée est un combat. Ce combat nous le mènerons, jusqu’au bout ! C’est un combat juste. C’est un combat nécessaire. Ceux qui sont responsables de l’échec de Barcelone sont les plus mal placés pour donner des leçons. Oui, l’Union pour la Méditerranée c’est difficile. C’est difficile parce qu’il y a des haines, parce qu’il y a des tragédies qu’il faut surmonter. Mais c’est justement parce qu’il y a ces haines, parce qu’il y a ces tragédies qu’il faut faire l’Union pour la Méditerranée. Oui, le drame de Gaza nous fait prendre du retard. Mais arrêtons-nous un instant sur ce retard. Les réunions diplomatiques sont suspendues. Quelques réunions ministérielles ont été reportées. L’installation du Secrétariat va demander un peu plus de temps. Mais rien ne s’est arrêté. J’observe d’abord qu’aucun Gouvernement n’a officiellement demandé cette suspension.

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J’observe qu’aucun pays n’a demandé la fin de l’Union pour la Méditerranée, à l’exception de la Lybie dont il a échappé à quelques journalistes qu’elle n’en fait pas partie et aucun Gouvernement des pays membres n’a fait échos à cette demande. J’observe qu’au contraire tout le monde souhaite la reprise au plus vite des réunions diplomatiques et des réunions ministérielles. Mais je voudrais surtout dire à quel point l’affirmation selon laquelle la suspension des travaux diplomatiques signifierait que l’Union est en panne est révélatrice d’une incompréhension totale de ce qu’est l’esprit de cette Union, de ce qu’est sa raison d’être, de ce qu’elle a de radicalement nouveau par rapport aux expériences du passé. Il y a deux choses qui n’ont pas été comprises, ou qui n’ont pas voulu être comprises par ceux qui annonçaient déjà l’échec. La première, c’est que l’Union pour la Méditerranée à la différence de Barcelone, n’est pas la propriété de l’Europe, elle n’est pas la propriété des pays du Nord mais une copropriété entre le Nord et le Sud. Ah, c’est difficile de partager la responsabilité, de partager la décision. On était si bien à décider entre soi pour les autres. Et bien, c’est fini ! Quand on me dit : « Avant de parler aux Egyptiens, il faut se mettre d’accord à 27 », je dis que c’est une trahison de l’esprit de l’Union pour la Méditerranée, un reniement de l’idée de coprésidence Nord-Sud. Et je dis que si l’on cède là-dessus, alors il n’y a plus d’Union pour la Méditerranée, il n’y a plus de coresponsabilité, il n’y a plus de copropriété, il y a le Nord qui impose ses vues au Sud et on revient à Barcelone ! Le véritable échec, il serait là, dans ce détournement de ce qui a été fait, de ce qui a été voulu, de ce qui a été proclamé le 13 juillet dernier par les Chefs d’Etat et de Gouvernement au Sommet de Paris. Non, la coprésidence du Nord n’est pas le porte-parole des intérêts du Nord. Non, la coprésidence du Sud n’est pas le porte-parole des intérêts du Sud.

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La coprésidence, c’est l’expression d’une destinée commune dans l’égalité des droits et des devoirs, dans la fraternité, c’est-à-dire dans le respect, la compréhension et la solidarité. C’est difficile à faire admettre, c’est difficile à inscrire dans les faits, dans les comportements, dans les mentalités ? Ce n’est pas grave. Ce combat en vaut la peine. On finira par y arriver. Si on renonce par avance à tout ce qui est difficile, on ne risque jamais de faire rien de grand. Ce n’est pas un combat contre l’Europe. C’est le meilleur service que l’on puisse rendre à l’Europe, à sa stabilité, à sa prospérité. Il y a une deuxième chose que l’esprit bureaucratique a, de toute évidence, bien du mal à comprendre : c’est l’importance de la logique de projets. C’est le renversement radical qu’elle opère. Passer d’une logique administrative à une logique de projet c’est une révolution qui a du mal à passer chez certains. Mais c’est le cœur du projet de l’Union pour la Méditerranée. La logique administrative c’est celle qui consiste à se doter d’un budget et à réfléchir ensuite à la manière de le dépenser. La logique des projets c’est celle qui part des projets et qui ensuite cherche à mobiliser les ressources nécessaires pour les réaliser. C’est la logique de la vie normale. La logique de l’entrepreneur. La logique qui nous a fait sortir de la rareté, la logique qui nous a fait sortir de la préhistoire pour nous amener aux temps modernes. Je comprends que cette logique de la vie normale soit difficile à admettre pour ceux qui ne vivent pas dans le monde normal, pour ceux qui sont enfermés dans leurs bureaux et qui ne regardent jamais ce qui se passe dehors. Mais c’est avec les entrepreneurs que l’on construit l’avenir, pas avec les bureaucrates. Et pendant que les diplomates et les ministres ne se réunissent plus, les projets continuent. Et c’est ça le plus important. C’est là que l’Union pour la Méditerranée vit. C’est dans ce foisonnement de projets, d’initiatives, d’idées que l’Union pour la Méditerranée est vivante ! Parce que le pari de l’Union pour la Méditerranée c’est qu’en travaillant ensemble les peuples peu à peu se comprennent mieux, se respectent davantage et peut-être finissent par s’aimer.

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Oui, il y a des centaines d’experts, de fonctionnaires, d’acteurs de la société civile qui travaillent tous les jours sur des projets ambitieux qui avancent. Il y a la charte de promotion et de protection des investissements. Il y a la cour d’arbitrage méditerranéen. Il y a la coopération judiciaire. Il y a le centre de coordination méditerranéen de la lutte anti-drogue. Il y a la coopération en matière de sécurité civile. Il y a la reconnaissance mutuelle des diplômes. Il y a le centre méditerranéen de la recherche scientifique. Il y a l’Erasmus méditerranéen. Il y a l’agence des PME. Il y a le plan solaire méditerranéen avec 130 projets. Il y a la dépollution de la Méditerranée. Il y a la politique de l’eau avec 37 projets identifiés. Il ya les autoroutes de la mer avec 17 projets. Il y a l’observatoire de la rénovation urbaine. Il y a l’alliance méditerranéenne pour l’E-commerce. Il y a le projet des chemins de la sagesse qui réunit Français, Espagnols, Marocains, Israéliens, Palestiniens dans l’analyse d’une politique de tourisme. Il y a la mobilisation des sociétés civiles, des banques – regardez ce qu’ont fait dans la foulée de l’initiative de l’Union pour la Méditerranée la Caisse d’Epargne avec les banques des deux rives. Regardez l’initiative INFRAMED de la Caisse des Dépôts. Il y a la mobilisation des collectivités locales avec leurs multitudes de projets. Il y a la mobilisation des organisations internationales, de la BEI, de la Banque mondiale, du Fonds mondial pour l’environnement. Il ya tous les moyens nouveaux qui sont prêts à s’investir en Méditerranée. Le 30 avril, à l’initiative du Ministre RACHID, je coprésiderai avec lui à Alexandrie une réunion avec les bailleurs de fonds. Leur intérêt pour l’Union pour la Méditerranée, voilà ce qui est réellement important ! Et on commence à travailler sur d’autres projets encore, sur l’agriculture, sur la santé, sur les technologies de la communication, sur le développement urbain, sur la protection du littoral… On va ouvrir le chantier de la création d’une banque de la Méditerranée… 7


Les bureaucrates ne comprennent pas. Ce n’est pas dans leur cadre, dans leur procédure, dans leurs habitudes. Tant pis ! Les journalistes ne s’y intéressent pas. Ce n’est pas assez spectaculaire. C’est beaucoup d’efforts à faire, beaucoup de temps à passer pour comprendre. Tant pis ! Ce qui compte c’est que les sociétés civiles se sentent tellement concernées par cette initiative. Qu’aucune initiative politique n’ait autant recueilli l’adhésion des sociétés civiles, voilà l’essentiel. Ce qui compte c’est que l’Union pour la Méditerranée vive ailleurs que dans les bureaux. Alors on continue. On continue les projets. On continue à prendre des initiatives. Et la coprésidence prendra dans les mois qui viennent une initiative politique forte pour relancer le processus diplomatique. La crise économique n’est pas un obstacle. Au contraire. C’est une opportunité parce qu’elle recèle un potentiel de projets, un potentiel de croissance immense dans un monde qui en cherche désespérément. Parce qu’elle rend de nouveau libre d’imaginer un autre avenir, un monde nouveau, un monde meilleur. Parce que grâce à la crise tout ira plus vite. Parce que la crise est l’occasion des remises en cause les plus radicales. Parce que c’est l’importance des défis qui fait la grandeur des aventures humaines. Les mêmes qui prédisent l’échec l’avaient déjà prédit pour le 13 juillet. Ils ont eu tort. Ils l’avaient prédit pour la réunion des Ministres des Affaires étrangères à Marseille le 4 novembre 2008. Ils ont eu tort. Une fois encore, ils auront tort. Nous construirons l’UPM sans eux. Nous la construirons contre eux s’il le faut. Mais nous la construirons.

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Nous la construirons avec les entrepreneurs, avec les artistes, avec les poètes, avec les créateurs, avec l’imagination, avec le courage de ceux qui voient loin, de ceux qui voient grand. Ils sont si nombreux autour de la Méditerranée que nous ne pouvons pas échouer. J’ai confiance dans la force qu’ils représentent. Au cœur de la pensée méditerranéenne depuis la plus haute antiquité, il y a l’image du labyrinthe. Permettez-moi de citer deux vers d’un grand poète Libanais, Salah Stétié : « L’homme cherche une lampe très antique à la main, la clé perdue dans l’herbe du labyrinthe ». La clé de l’avenir nous l’avons. A nous de nous en servir. Vive la Méditerranée ! Vive l’Union pour la Méditerranée !

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