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Photos : Commission européenne
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Quelle stratégie européenne pour les services ? Vingt ans après l’Acte unique, la réalisation du marché unique des services est loin d’être achevée. La relance de la Stratégie de Lisbonne et le projet de directive Services visent à l’accélérer. Les obstacles sont considérables. Un débat sur les conceptions et la cohérence de l’action communautaire est nécessaire pour aller plus loin. Dans ce but, Confrontations Europe organise un colloque – « Un dialogue sur la stratégie européenne pour les services » – les 8 et 9 juin à Bruxelles* pour approfondir les enjeux économiques. Quelle est la spécificité de l’économie des services ? Comment concilier les impératifs de compétitivité et de cohésion sociale et territoriale ? Quelle régulation et plus généralement quel plan d’action doivent accompagner la libéralisation ? La participation des citoyens et des acteurs de la société civile est nécessaire pour réaliser les objectifs de Lisbonne. Le colloque leur offrira l’opportunité d’échanger leurs réflexions avec celles des dirigeants européens. Le présent dossier est une introduction à ces travaux et fait intervenir quelques-uns des meilleurs spécialistes du sujet : Peter Klaus, Pascal Petit, Viviane Reding, Luis Rubalcaba Bermejo, Pierre Sauvé... Il dresse un panorama de l’économie des services dans la compétition mondiale, il explique la politique actuelle de l’Union et il aborde – à travers des cas spécifiques – des sujets stratégiques tels que la logistique, l’information-communication, la santé et les services sociaux, les services financiers et les partenariats public-privé.
Coordination du dossier : Catherine Véglio
* Avec le parrainage de la DG Emploi, Affaires sociales et Égalité des chances de la Commission européenne et du Centre d’Analyse et de Prévision du ministère français des Affaires étrangères et en partenariat avec la Fondation Robert Schuman et de nombreux autres organismes et institutions. Lire l’agenda en p. 42. LA LETTRE DE CONFRONTATIONS EUROPE - AVRIL-JUIN 2006
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Les services dans l’économie
L’Europe a besoin d’une économie des services compétitive Alors que l’offshoring de services se développe, quels sont les potentiels et les faiblesses de l’économie européenne des services ? Quels sont les principaux défis pour l’Europe ? Les réponses de Luis Rubalcaba Bermejo*, professeur à l’Université d’Alcalá à Madrid et président du RESER(1) (le réseau européen pour la recherche sur les services), qui appelle à l’élaboration d’une stratégie ambitieuse dans ce domaine.
Dans le contexte actuel de la mondialisation, l’économie des services est un défi. Depuis quelques
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LA LETTRE DE CONFRONTATIONS EUROPE - AVRIL-JUIN 2006
L’élargissement de l’Europe facilitera l’émergence de nouvelles opportunités pour la concentration du processus de l’offshoring sur le continent
* Cet article a été écrit dans le cadre d’une recherche financée par la Fondation Rafael del Pino, « Services in European Economy : Challenges and Policy Implications » et qui sera publié par Edward Elgar (Royaume-Uni). © Commission européenne
décennies, notamment depuis les années 70 et le choc pétrolier, les pays industrialisés ont vu leurs fabrications de produits manufacturés se délocaliser vers des pays aux coûts salariaux plus faibles. Ces processus, qui depuis se sont poursuivis sans interruption jusqu’à aujourd’hui, trouvaient dans une certaine mesure une compensation par l’emploi généré dans le domaine des services. Les services servaient de secteur « refuge » au chômage industriel. Mais actuellement, et en particulier depuis l’an 2000, les processus de délocalisation ont également atteint le secteur des services. L’offshoring de services est apparu en force, attirant ainsi l’attention sur des pertes massives d’emploi potentielles en Europe et dans d’autres pays développés. En août 2003, le Financial Times publia un article (de Robert et Shines) dans lequel les auteurs pointaient le doigt sur la migration de services vers des pays à bas coût en décrivant les services fournis actuellement par l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Malaisie, Singapour et la Chine, destinations dynamiques qui ont attiré des milliers de postes de travail : dans le seul secteur financier, 730 000 emplois ont été délocalisés depuis l’Europe, 850 000 depuis les États-Unis et 400 000 depuis le Japon. À la fin de l’année 2003, une prévision fut publiée pour l’an 2015 : 3,3 millions d’emplois non manuels seraient transférés vers des pays étrangers comme l’Inde. L’étude de Forrester (Parker, 2004) révèle que plus d’un million d’emplois seront transférés vers l’étranger, le Royaume-Uni étant le pays le plus activement impliqué dans ce processus. Mackinsey (Farrel et Al, 2005) calcule que le nombre d’emplois effectifs transférés à l’étranger depuis les pays développés atteindra en 2008 les 4,1 millions dans le monde entier et qu’il représentera 1,2 % de la demande totale de services d’emploi des pays développés. Malheureusement ces chiffres ne peuvent être ni confirmés, ni invalidés par les statistiques officielles, le système statistique européen souffrant d’un manque d’informations. D’après les mesures indirectes telles que celles qui sont réalisées
par l’OCDE (van Velsum et Vickery, 2005) et qui s’appuient sur des données d’emploi, 20 % de l’emploi total va être affecté par l’offshoring dans les pays développés. L’offshoring de services vers des pays comme l’Inde a également ses limites. L’article « A lift to India », publié dans The Economist en mars 2004, explique de façon détaillée que les pays non anglophones doivent faire face à davantage de difficultés pour fournir des services à une grande échelle. La langue est évidemment un facteur important, mais pas le seul ; l’environnement culturel et socio-économique joue aussi un rôle déterminant. Les liens historiques de l’Inde avec la tradition anglophone ont facilité l’échange de personnes et de connaissances, ce qui explique pourquoi l’Inde est devenue la plate-forme centrale pour l’outsourcing à grande échelle. Si en Europe continentale, certaines multinationales ont suivi des tendances similaires, force est de constater qu’il n’y existe pas encore de comportements communs. L’élargissement de l’Europe facilitera l’émergence de nouvelles opportunités pour la concentration du processus de l’offshoring sur le continent. Les nouveaux États membres exportent déjà des services grâce à des emplois moins chers, c’est-à-dire, grâce à des salaires plus bas, vers les pays membres actuels, dans un cadre culturel et social relativement comparable et proche. Actuellement, ils sont en passe de devenir une référence dans l’outsourcing international en Europe. Les nouveaux pays pourraient assumer un rôle similaire à celui que jouent déjà l’Inde, le Mexique, le Brésil ou la Malaisie ; la concurrence des pays comme la Hongrie, la République tchèque ou les Pays Baltes dans l’offshoring de services des technologies de l’information a déjà su attirer l’intérêt des entreprises et des chercheurs.
(1) Créé en 1988, le RESER est un réseau regroupant 20 centres de recherche sur les services dans 11 pays européens. Il organise chaque année une conférence internationale ; en 2005, elle avait lieu à Grenade (Espagne) sur le thème « Croissance, emploi et localisation des services : de nouvelles tendances dans un monde global ». Site Internet : www.reser.net
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Tableau 1. Pourcentages des services dans l’économie et le commerce internationaux, 2003
Pays
Valeur ajoutée
Emploi
Import.
Export.
Pays
Valeur ajoutée
Emploi
Import.
Export.
Luxembourg
99,5
76,7
50,2
66,0
Nouvelle-Zélande
71,3
76,6
25,4
26,3
États-Unis
77,1
78,7
15,8
28,4
Australie
71,2
74,1
19,9
22,2
Royaume-Uni
76,5
79
23,4
31,6
Mexique
71,1
55,7
9,5
7,3
Suisse
76,1
70,7
15,0
24,3
Espagne
70,9
64,7
19,3
33,5
Pays-Bas
75,6
77,2
23,6
21,3
Autriche
70,6
59,8
32,9
32,4
Belgique
75,2
76
18,3
18,2
Finlande
66,8
67,9
20,6
12,8
France
75,0
73,9
18,9
22,1
Canada
65,4
75,3
15,8
12,4 24,5
Danemark
74,8
74,2
37,6
35,5
Norvège
63,2
75,7
31,4
Grèce
73,9
60,1
26,6
71,6
Turquie
60,5
43
11,0
26,0
Italie
73,5
66,2
20,4
18,6
Corée
58,7
63,4
19,4
14,7
Japon
73,4
65,6
27,3
14,8
Irlande
54,6
64,1
44,1
24,7
Allemagne
72,2
69,7
23,9
14,8
UE-15
73,5
69,5
26,7
30,1
Portugal
72,0
58,9
14,6
26,6
Moyenne
70,6
68,6
22,7
24,7
Suède
71,8
74,3
26,3
22,4
Déviation
5,9
8,6
8,0
12,2
Source : d’après OCDE in Figures, 2004
Les formes d’internationalisation Dans ce contexte, il faut souligner le rôle que joue le commerce des services dans le processus de tertiarisation. Les économies les plus avancées du monde sont des économies de services : près de 70 % de la valeur ajoutée et de l’emploi sont générés par des entreprises de services. Les processus de « tertiarisation » ont progressé sans interruption au cours des dernières trente années. Récemment, les pays les plus avancés sont en train de voir passer la part des services dans l’économie au-delà de 70 % et certains approchent déjà 80 %. Le tableau 1 montre les résultats par pays. Les pays les plus « tertiarisés » sont les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, la France, le Danemark et la Suède, avec des taux qui dépassent les 70 % aussi bien en termes de valeur ajoutée que d’emploi. Quand on observe la présence de services dans le commerce sur le plan mondial, on constate que leur rôle est moins important que l’on aurait pu imaginer. En moyenne, 22 à 24 % face aux 68 à 70 % de contribution à la valeur ajoutée et à l’emploi. Cette différence s’explique fondamentalement par trois éléments : 1. La préférence des services pour d’autres formes d’internationalisation qui correspondent plus à leur nécessité de proximité physique avec les marchés. En particulier, c’est l’investissement étranger direct qui est préféré (dans cet indicateur, les services jouent un rôle très proche de leur poids dans les économies ; dans les investissements étrangers directs, les biens industriels ne représentent que 27 % de la valeur de l’IDE dans les services ; 28 % des capitaux dirigés vers l’extérieur et 25 % des investissements étrangers en Europe) ou les réseaux de coopération et d’autres formes de transfert des connaissances, d’image ou de réputation. 2. Les carences statistiques qui rendent problématique toute mesure du commerce international de services
C’est dans les services aux entreprises – notamment informatiques, redevances et communication – que la croissance annuelle du commerce montre le plus grand dynamisme
(divers types de commerce très importants dans les services n’entrent pas dans les définitions statistiques officielles, comme le commerce intra-industriel ou les mouvements de personnes). 3. L’existence de barrières naturelles ou artificielles au commerce des services : la forte segmentation des marchés constitue un frein à l’augmentation en volume du commerce, parfois pour des raisons liées à la nature du service (par exemple la consommation simultanée in situ) ou au contexte socio-économique (par exemple différentes langues), mais parfois à cause de barrières artificielles créées ou acceptées par les États. En tout cas, force est de constater que dans les dernières années, le commerce de services a augmenté de manière très dynamique et que de nombreux services sont devenus mieux commercialisables grâce à la technologie et à l’innovation. Sans quoi, le développement de l’offshoring et les défis qu’il suppose ne sauraient s’expliquer.
Points forts et points faibles Le tableau 2 (p. 14) livre les résultats de base sur les indicateurs-clés de la compétitivité dans l’Union Européenne des 15 dans le commerce de services. Dans le commerce international de l’UE des 15 les transports, le tourisme et les services aux entreprises représentent près de 80 % du total, toutefois c’est dans les services aux entreprises – notamment informatiques, redevances et communication – que la croissance annuelle du commerce montre le plus grand dynamisme. Les soldes relatifs montrent que le solde positif en services est supérieur au solde en biens – en inversant la tendance des années précédentes – grâce à un solde croissant et positif dans les services aux entreprises, financiers et de transport. Un autre indicateur de compétitivité important est le taux de couverture (ratio exportations/importations) présenté dans le graphique 1, en même temps que sa croissance entre 1992 et 2004. LA LETTRE DE CONFRONTATIONS EUROPE - AVRIL-JUIN 2006
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Tableau 2. Données principales sur le commerce international dans les services aux entreprises Commerce de l’UE avec les pays externes à l’UE, 2004
% de participation (exports + imports) dans le total des services
Secteur
Bilan net (exports-imports) millions d’euros
Taux de couverture exports/imports
100 Biens
297,96
16 808
200 Services
100,00
34 668
1,10
7,32
24,81
9 334
1,11
6,36
236 Tourisme
22,18
– 20 476
0,77
6,29
981 Autres services
51,81
46 257
1,29
8,37
205 Transports
1,02
Taux de croissance annuelle 04/94 (exports + imports) 7,59
245 Services de communication
1,93
– 487
0,93
8,83
249 Services de construction
2,42
3 498
1,52
1,27
253 Services d’assurances
3,11
4 429
1,51
7,57
260 Services financiers
5,14
14 866
2,41
7,45
262 Serv. Informatiques et d’information
3,72
10 241
2,30
15,51
6,78
– 8 232
0,70
10,37
25,17
19 492
1,25
9,84
266 Royalties et droits de licence 268 Autres services aux entreprises 287 Serv. Personnels, culturels et loisir
1,42
– 812
0,85
3,23
288 Services audiovisuels et assimilés
1,16
– 1 107
0,76
5,60
289 Autres serv. pers., culturels et loisir
0,26
294
1,38
– 3,30
291 Services du gouvernement, n.i.o.p.
2,13
3 259
1,56
0,71
1,19
– 4 468
0,90
5,07
28,88
29 733
1,34
10,42
982 Services non assignés Services aux entreprises (*)
(*) Services informatiques et d’information, en plus d’autres services aux entreprises (à l’exclusion des services entre entreprises filiales). Source : Eurostat, New Cronos, 2006.
Abstraction faite des communications, les secteurs ayant enregistré les taux de croissance les plus élevés sont ceux qui ont connu une évolution positive des soldes pour l’UE des 15, comme le montre le graphique 1. Une analyse détaillée met en évidence les secteurs qui sont plus ou moins dynamiques. La première observation qui s’impose est qu’il existe une corrélation positive et signiGraphique 1. Le taux de couverture de l’UE des 15 et son taux de croissance annuelle (2004)
0,12 0,10
2 = Transport services 11 = Miscellandous Business 12 = Personal, cultural and recreational services
Computer and information
Merchanting and trade-related Annual Growth rate 92-04
0,08 0,06 Financial
0,04 0,02 0,00
– 0,02 – 0,04 0,6
1,0
1,2
1,4 1,6 1,8 Cover rate 2004
Source : d’après les données d’Eurostat, New Cronos, 2005
14
Les défis à relever
Other business services Insurance Other services 2 11 12 Services Communications Construction
0,8
LA LETTRE DE CONFRONTATIONS EUROPE - AVRIL-JUIN 2006
ficative entre la croissance des exportations sur les importations dans certains secteurs particuliers et leur rôle actuel dans le commerce international. Cela veut dire que les secteurs qui actuellement exportent le plus ont su dans la plupart des cas tirer bénéfice d’une croissance réalisée au cours de ces 15 dernières années. Parmi les secteurs les plus efficaces, se distinguent particulièrement les services informatiques, ainsi que la distribution commerciale par leur forte expansion dans la période considérée ; par ailleurs, les chiffres relatifs aux services financiers et d’assurance sont très significatifs et présentent une balance des paiements très positive. D’autres secteurs dynamiques sur le plan international sont la construction (à la croissance faible mais toujours positive dans la balance des paiements) et les services aux entreprises, alors que les services personnels et culturels et l’important secteur des communications se trouvent dans une situation déficitaire ou faiblement positive.
2,0
2,2
2,4
2,6
Dans cette situation, on peut définir, peut-être d’une manière un peu schématique, les défis pour l’Europe dans le contexte de la mondialisation comme suit : • La relation entre mondialisation et services a tendance à se resserrer avec le temps. Les services continueront à renforcer la mondialisation tout en s’y adaptant de plus en plus. Les technologies et l’innovation ont permis l’épanouissement du commerce des services à l’instar du commerce de biens très dynamique. L’Europe a besoin
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d’une économie compétitive des services si elle veut tirer pleinement le bénéfice de ce nouveau contexte. • Les processus d’offshoring sont une réalité, même si, du point de vue statistique, on ne peut pas encore parler d’un phénomène très généralisé, mis à part quelques secteurs de services bien déterminés (des services très standardisés à des entreprises ou très orientés R&D), ainsi que des segments d’entreprise (principalement les grandes entreprises) et certains pays (Inde, Irlande, Pays Baltes). L’Europe doit tirer profit de la présence en son sein de pays exportateurs de services et leaders dans les mouvements d’offshoring. • L’Europe possède des avantages concurrentiels dans le commerce de services financiers et services aux entreprises, tels que les services informatiques. Quant aux autres services, tels que les communications, les services culturels et audiovisuels ou différents services aux entreprises, la situation est contraire. Dans les communications, le désavantage dans le commerce se trouve compensé par les avantages en investissements directs. Les secteurs les plus désavantagés sont généralement ceux où les ÉtatsUnis possèdent un grand avantage commercial : des services concentrés sur l’information, le tourisme, la construction, les redevances, les services culturels et de loisirs. • Le plus grand potentiel de croissance de l’Europe se trouve dans des secteurs fortement dynamiques du commerce international de ces dernières années, ayant connu récemment une forte poussée de croissance : des services concentrés sur les technologies de l’information et les communications, les services professionnels et aux entreprises.
L’une des limites à la compétitivité de l’Europe provient du manque d’intégration de ses marchés, de la forte segmentation et des multiples barrières qui empêchent le renforcement du commerce de services
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• L’une des limites à la compétitivité de l’Europe provient du manque d’intégration de ses marchés, de la forte segmentation et des multiples barrières qui empêchent le renforcement du commerce de services à l’instar du commerce de biens. Dans un contexte de concurrence mondiale sans cesse croissante, il devient nécessaire de renforcer, voire de créer, acquérir de nouveaux avantages concurrentiels, ce qui est plus aisé à obtenir dès lors qu’il existe un marché intérieur. Cela permettra également de maintenir une partie des processus d’offshoring à l’intérieur des frontières de l’Union. Pour favoriser l’intégration des marchés en Europe, il faut développer des politiques de régulation et de non-régulation des marchés des services, par exemple la révision des régulations et barrières excessivement hétérogènes et interventionnistes existantes à l’intérieur de l’Europe, favoriser les standards de qualité ou les mesures complémentaires pour améliorer les qualifications et l’innovation dans les activités de services (ainsi la plupart des programmes de R&D sont toujours destinés aux industries de biens, sauf pour quelques rares secteurs de services qui en bénéficient). Espérons que la directive sur les services, revue par le Parlement en février, ouvrira la voie vers une augmentation de la concurrence et de la compétitivité à l’intérieur de l’Europe. Cela étant, il ne faut pas s’arrêter là. De nouveaux efforts seront nécessaires pour élaborer une stratégie ambitieuse pour un secteur qui représente environ 70 % de l’économie européenne et qui a besoin de nouvelles impulsions politiques, économiques et sociales. ■ Luis Rubalcaba Bermejo
ÉCHANGES MONDIAUX DE SERVICES
La nécessité d’un cadre spécifique à l’OMC décryptée Le professeur canadien Pierre Sauvé, consultant à l’Institut de la Banque Mondiale(1), est un expert des négociations commerciales internationales. Dans cet interview, il brosse un panorama de la lente intégration du secteur des services dans celles-ci. Un sujet difficile au sein de l’OMC… Comment s’est opérée la prise en compte des services dans les négociations du commerce mondial ? Pierre Sauvé : Il faut remonter au début des années 80 pour voir l’émergence du commerce des services sur la scène publique internationale. Ce fut le résultat de la conjonction de deux voix essentielles : celle du secteur financier et celle du secteur des télécoms aux États-Unis et en GrandeBretagne. Les télécoms étant un intrant essentiel dans les coûts de production des services financiers, il y a eu une très forte pression des utilisateurs de téléphonie – déjà très internationalisés – pour libéraliser ces services. Deux groupes bancaires américains (American Express et Citycorp) ont fait
pression auprès des autorités américaines pour introduire les services dans les négociations commerciales internationales. Les entreprises de télécoms anglo-saxonnes, alors en voie de déréglementation thatchérienne, étaient elles aussi demandeuses. La Commission européenne n’est devenue un acteur offensif sur ce dossier qu’au terme du rapport Cecchini de 1988 sur « les coûts de la non-Europe ». Ainsi, un accord multilatéral sur les services a été mis en chantier dans le cadre du cycle d’Uruguay du GATT, lancé (1) Il est aussi chercheur invité à la London School of Economics, professeur invité au World Trade Institute (Berne), ancien économiste senior en charge des services à la direction des échanges (OCDE) et ancien négociateur canadien pour les services (ALENA).
LA LETTRE DE CONFRONTATIONS EUROPE - AVRIL-JUIN 2006
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à Punta del Este en 1986. Mais nous étions encore loin de la
En quoi consiste la spécificité des services ? Quel impact a-t-elle eu sur la conception des règles du commerce ? P. S. : Cinq spécificités ont une importance déterminante pour la définition des règles du commerce des services. La première est l’intangibilité, qui pose un sérieux problème de mesure. Nous nous sommes vite rendus compte que nos outils statistiques pour mesurer les flux d’échanges et d’investissements – et par conséquent, la capacité à élaborer des modèles qui permettraient d’appréhender les effets de la libéralisation – étaient très pauvres. De plus, ce problème de mesure continue de peser sur l’élaboration de disciplines en matière de clauses de sauvegarde d’urgence. Il n’est pas surprenant que ce relatif vide empirique ait poussé les membres de l’OMC à adopter une attitude extrêmement précautionneuse dans l’élaboration de l’AGCS. La deuxième spécificité tient au caractère non stockable des services. Un grand nombre de transactions de services requièrent simultanéité de production et de consommation. La non-stockabilité nous oblige à introduire dans la négociation tous les enjeux de la mobilité des facteurs de production. Celle des personnes : sujet complexe et sensible, car lié aux enjeux d’immigration et du marché de l’emploi ; et celle du capital, tout aussi sensible au Sud comme au Nord comme la résurgence du patriotisme économique l’a bien montré ces derniers
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LA LETTRE DE CONFRONTATIONS EUROPE - AVRIL-JUIN 2006
temps des deux côtés de l’Atlantique. Cette quête d’équilibre se fait pour l’instant tout à fait à l’avantage du capital. Troisième spécificité : les instruments de protection en matière de services sont des réglementations (et non des obstacles tarifaires). Les disciplines sont donc beaucoup plus intrusives qu’en matière de marchandises. De plus, la non-discrimination entre prestataires étrangers et nationaux (principe de base de l’OMC) ne peut pas être une obligation générale dans les services. Si elle l’était, nous serions presque tout de suite en logique de libéralisation totale. L’expérience montre que la libéralisation des marchés de services procède essentiellement de choix nationaux. Une réforme réglementaire se fait beaucoup plus souvent lorsqu’il y a consensus national sur l’opportunité de modifier sa réglementation intérieure, et non pas parce qu’il y a une demande extérieure. C’est un processus qui oblige à un certain courage politique, à confronter des coalitions d’intérêts. Quatrième spécificité : les défaillances de marché. Dans de nombreux secteurs de services, la position d’oligopole ou de monopole est de nature à exercer une influence néfaste sur l’accès au marché et la concurrence. La politique commerciale doit forcément s’accompagner d’un complément de politique de concurrence. Pour l’instant, il n’y a que dans les télécoms que cela a été fait. Les autres défaillances de marché sont l’asymétrie d’information entre consommateurs et prestataires, les externalités positives ou négatives (environnement, diversité culturelle…) et l’universalité de la prestation pour les services publics. Ces défaillances doivent donc être comblées par des mesures prudentielles, des régimes de licences, des réglementations sanitaires... Contrairement à ce qui se dit souvent, l’OMC n’a pas son mot à dire quant aux objectifs réglementaires poursuivis par ses membres. Par contre, elle peut s’intéresser aux moyens de satisfaire pareils objectifs et de veiller, dès lors que cela est possible, à minimiser leur incidence restrictive sur les échanges. Cinquième spécificité : l’extraordinaire diversité des services. Il a fallu inventer une architecture à la fois horizontale pour les grands principes, et verticale pour intégrer des dispositions sectorielles particulières. L’AGCS nous a donc permis de réfléchir à fond sur ce qui distingue l’échange de services de celui des marchandises et de commencer à appréhender en quoi cette distinction était importante dans la conduite des négociations. Mais n’oublions pas que les services sont aussi intimement liés aux marchandises : ce sont des intrants dans tous les produits industriels. Par conséquent, le regard que doit porter la politique commerciale sur les services, notamment sur les grands secteurs d’infrastructures (télécoms, finance, transports, distribution, énergie...), a vocation à s’apparenter à la politique tarifaire sur les biens d’équipements, qui dans la plupart des pays sont soumis à des tarifs douaniers proches de zéro.
L’AGCS nous a permis de réfléchir à fond sur ce qui distingue l’échange de services de celui des marchandises
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signature de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS, entré en vigueur en 1995). Les Pays en Développement (PED), qui n’estimaient pas avoir d’avantage comparatif dans ce secteur, ont opposé une ferme résistance à l’introduction des services à l’ordre du jour du cycle de l’Uruguay. In fine, l’arbitrage s’est fait entre les services et l’investissement. Il a fallu dix-huit mois pour voir émerger une définition du commerce des services qui donne la vision que nous avons aujourd’hui à travers les quatre modes de prestations : 1. commerce transfrontalier, 2. consommation à l’étranger, 3. établissement à l’étranger (investissement) et 4. mouvement des personnes. Ce sont les PED eux-mêmes qui, au terme d’un travail de réflexion sur la portée et la définition du commerce des services, ont accepté que l’investissement rentre par la « porte arrière » (i.e. par le mode 3 de l’AGCS). En contrepartie, ils ont réclamé l’introduction du quatrième mode de fourniture, sur lequel ils ont un avantage comparatif : la mobilité des personnes. Bien que le fruit d’une réflexion économique, la division en quatre modes de fourniture a donc été aussi politique. Sur le plan de la théorie économique, l’activité tertiaire a longtemps été traitée comme une activité non productive, « invisible »... Par conséquent, l’idée même d’appliquer les concepts de concurrence et de commerce aux services ou encore de se placer dans des modèles avec des facteurs de production mobiles, a mis du temps à faire son chemin dans la littérature théorique et les travaux appliqués.
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Quel bilan peut-on faire de l’impact de l’AGCS sur la libéralisation des services, dix ans après sa création ? P. S. : On ne peut pas prétendre que l’OMC ait jusqu’ici joué un rôle prépondérant dans la libéralisation des marchés de services. Le secteur des télécommunications est le seul où l’on ait observé,
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grâce aux négociations OMC, un véritable recul du protectionnisme en matière de services et une élimination progressive des obstacles à la concurrence. Ce fut aussi le cas, mais dans une bien moindre mesure, dans les services financiers. Cela étant, beaucoup de secteurs ont été libéralisés en dehors des accords commerciaux multilatéraux, notamment le secteur aérien. L’AGCS a donc pour vocation première de permettre la consolidation périodique du statu quo réglementaire. Sa structure flexible a permis aux membres de mettre de côté de manière sélective et différenciée, les sujets plus sensibles comme l’énergie, les transports, l’audiovisuel, la santé, l’éducation... À la conférence ministérielle de l’OMC à Hong Kong(2), en décembre 2005, les services ont failli bloquer le cycle de Doha, sous la pression des PED. Comment relancer la négociation sur les services ? P. S. : A Hong Kong, les services sont apparus pour la première fois au menu des « sujets qui fâchent en ministérielle ». L’instrumentalisation des PED par le Brésil (pour qui tout passe d’abord par l’agriculture) et par certaines ONG a été perverse. De leur côté, les États-Unis ont continué à brandir le spectre du bilatéralisme pur et dur. Pour l’instant, il y a une très grande asymétrie entre les requêtes de libéralisation des pays de l’OCDE, qui présentent des listes très précises et complètes, et celles des PED, qui n’ont pas la capacité de déterminer quelles sont les demandes à formuler de façon stratégique et qui ont l’impression de devoir se mettre à nu dans l’exercice de requête-offre sur laquelle l’ouverture des marchés de services sous l’AGCS prend appui. Pour relancer la négociation, il faut permettre aux pays en développement, et notamment les plus démunis d’entre eux, de pouvoir participer à ces négociations de manière plus bénéfique. Par conséquent, il faut centrer les efforts sur des secteurs et des problématiques qui revêtent un intérêt prioritaire pour les PED et répondent aux besoins du monde actuel et en cibler deux ou trois. Le commerce électronique, qui permet de prodiguer des biens et services à distance, est fondamental. Un très grand nombre de PED sont aujourd’hui en mesure d’y prendre part pleinement. Dans ce secteur, ainsi que dans tous les services liés à l’informatique, il faut que les pays développés s’engagent à faire usage de l’article 18 de l’AGCS sur les engagements additionnels et cessent d’introduire de nouvelles réglementations qui empêchent l’externalisation des services. Certes, celle-ci entraîne des pressions sur le marché de l’emploi au Nord, mais elle permet également de développer le secteur des marchandises liées au commerce électronique. Il faudrait en fait reproduire dans ce domaine, l’accord conclu à l’OMC en 1998 et portant sur les technologies de l’information : prendre un engagement collectif pour dresser un inventaire de tous les services qui entrent dans cette mouvance de l’externalisation et donner le choix aux pays de souscrire des engagements dans tel ou tel secteur, avec la volonté affichée de s’engager à renoncer à tout protectionnisme. Le deuxième domaine de négociation qui représente un intérêt pour les PED, c’est celui des services liés à la facilitation des échanges. Là aussi, on peut déterminer un périmètre de négo-
Beaucoup de secteurs ont été libéralisés en dehors des accords commerciaux multilatéraux, notamment le secteur aérien
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ciation dans le cadre de l’AGCS non pas sectoriel, mais multisectoriel, totalement complémentaire du volet marchandises : distribution, logistique, surveillance en douane, entreposage, services de livraison express, gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires... Enfin, les PED sont demandeurs sur le mouvement des personnes (mode 4). Je suis personnellement assez pessimiste sur la faisabilité d’une négociation plus poussée sur le mode 4 à l’OMC, mais résolument optimiste pour une négociation en dehors de l’OMC. Il y a un besoin de main-d’œuvre dans les pays développés : leur natalité décline et les besoins sont grandissants à tous les niveaux de qualification. Les PED sont désormais capables de fournir cette main-d’œuvre en nombre croissant. Ceci peut être traité de façon beaucoup plus efficace en bilatéral par des programmes dédiés à la mobilité des personnes (et d’ailleurs ils se développent).
Quelle stratégie l’UE doit-elle défendre dans le commerce mondial des services ? P. S. : Le paradoxe de l’UE, c’est qu’a priori, elle n’a pas de problème fondamental de compétitivité dans le domaine des services. Ses entreprises comptent parmi les leaders mondiaux dans la plupart des secteurs de services, notamment la poste, l’énergie, les services environnementaux, la banque, l’assurance, les transports… Tous sont potentiellement « offensifs ». Mais, en Europe, l’idée que l’AGCS fait peser une menace sur les « services publics » est très répandue. Or, l’expérience, y compris européenne, montre que l’évolution de ces services vers la sphère marchande est parfaitement compatible avec le maintien d’obligations de service public. Cela dit, la stratégie pour la compétitivité internationale de l’UE en matière de services est à chercher en dehors de la problématique même de promotion de tel ou tel secteur. Le drame de l’Europe c’est l’absence de volonté politique de Pour développer créer un véritable marché unique des services, la sa compétitivité dans dépendance à l’égard des champions nationaux, la nouvelle division la réticence face aux opérateurs étrangers, même internationale du travail, européens : notamment dans le secteur banl’UE doit mieux valoriser caire, des assurances, de l’énergie, de la distrile facteur « travail » bution. L’Europe se tire dans le pied et grève sa propre compétitivité, ce qui est un réel gâchis. Par ailleurs, l’espace européen apparaît encore trop sclérosé en interne. Les marchés du travail sont trop rigides. Pour développer sa compétitivité dans la nouvelle division internationale du travail, l’UE doit mieux valoriser le facteur « travail ». Les pays qui s’insèrent le mieux dans la mondialisation des services aujourd’hui sont ceux qui ont mis l’accent sur le développement du capital humain : l’Inde, mais aussi l’Afrique du Sud, les pays des Caraïbes et ceux d’Europe centrale et orientale (Pologne, Hongrie, Roumanie). ■ Propos recueillis par Nathalie Lhayani En charge des questions internationales à Confrontations Europe (2) Lire l’interview de Jacques Desponts, président des comités OMC de l’UNICE et du MEDEF dans le n° 73 de La Lettre de Confrontations Europe.
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Vers « l’induservices » « L’industrie des vieux pays doit changer de modèle, inventer de nouvelles valeurs de proximité. Être “branchée” sur ses marchés, sur ses clients. C’est-à-dire entrer dans l’économie de services » écrit le journaliste Jean-Pierre Gaudard dans son dernier livre. Il explique ici pourquoi la logique industrielle bascule vers le service.
Spécialisation dans le PC, produit de masse standardisé ; investissement dans des unités hyperproductives ; association avec les acteurs dominants du secteur Microsoft, IBM, Dell ou HP ; course à la surenchère technique : c’est en appliquant une pure recette industrielle que le fondateur du fabricant de microprocesseurs Intel, Andy Grove, a bâti son succès. Son successeur, Paul Otellini, annonce un virage à 180°. Le marché de l’ordinateur personnel est mûr, Intel doit devenir un fournisseur de platesformes, combinant solutions matérielles et logicielles pour répondre à des besoins de plus en plus divers et variés de ses clients, les aider à inventer de nouveaux produits et services. Au menu, processeurs à faible consommation, produits nomades, pour la chaîne de l’image ou développement de nouvelles solutions pour le secteur de la santé. L’évolution d’Intel résume, à vitesse accélérée, celle de toute l’industrie. L’ère manufacturière se termine. Dans la société industrielle, les entreprises contrôlaient le comportement des consommateurs. Dans la société de services, de l’Internet et du règne de l’individu, c’est le consommateur, le client, qui détermine le comportement des entreprises. Place à une industrie remodelée par l’économie des services, une « induservices » en quelque sorte, où l’usage prime sur l’objet. Conception, innovation, production, distribution, vente et après-vente, tous les moments du processus industriel sont désormais tournés vers des marchés plus diversifiés, plus segmentés, plus versatiles. Le développement des produits prend de plus en plus en compte les besoins des utilisateurs, les contraintes d’industrialisation dans un processus manufacturier d’autant plus éclaté qu’il doit concilier prix bas, intégration de techniques toujours plus nombreuses et respect de contraintes réglementaires liées à la sécurité, à l’environnement, au développement durable. Un déplacement de la chaîne de valeur Toute la logique industrielle bascule vers le service. L’industrie n’est plus construite autour de l’usine, mais d’une chaîne technologique, logistique et de valeur. De simple boîte noire qui délivre imperturbablement sa production standardisée, l’usine devient un outil au service d’une politique commerciale, un moyen pour proposer au consommateur un choix plus large et plus personnalisé, pour apporter au client industriel un produit adapté à son cahier des charges, le fournir en « juste-à-temps », assu-
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Dans la société de services, de l’Internet et du règne de l’individu, c’est le consommateur, le client, qui détermine le comportement des entreprises
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rer la flexibilité. L’industriel permet à son client de proposer une gamme large de produits, de la renouveler rapidement, de résoudre les problèmes posés par l’intégration de nouveaux matériaux ou de nouvelles techniques. Dans les relations fournisseurs/clients ou sous-traitants/donneurs d’ordre, les échanges d’information, de compétences, de maîtrise technologique, de spécialités, la capacité à gérer entre partenaires un processus complexe et en temps réel, prennent de plus en plus d’importance. Par exemple, les chimistes, les fabricants de matériaux ou les fournisseurs de matières premières pour l’agroalimentaire ne gagnent plus leur vie avec les produits de base vendus au kilo, mais avec les spécialités, où il leur faut un marketing efficace, une recherche très appliquée pour mettre au point de nouveaux produits et applications. Les fabricants de matériels de télécommunications et de réseau cherchent à proposer des solutions adaptées aux exigences de qualité et de fiabilité, de différentiation en termes de services et même de marketing des opérateurs de téléphonie ou d’Internet. Les constructeurs de moteurs d’avions ou de centrales électriques s’engagent sur la durée de vie de leur équipement, son coût d’exploitation, sa maintenance. Les produits de grande consommation à la marque du distributeur sont élaborés par les fournisseurs. Les sous-traitants de l’automobile ou de l’aéronautique deviennent des partenaires, engagés financièrement et techniquement dans le développement des sousensembles qu’ils fournissent. Dans les échanges interindustriels (le « business to business ») le rapport de valeur entre le coût du composant et celui de la solution pour le client est couramment de l’ordre de 1 à 4. Le vieil avantage basé sur l’effet de taille et de série, l’augmentation des capacités, l’accès à une main-d’œuvre nombreuse et présentant un rapport coût/productivité favorable n’a pas disparu. Mais il est plutôt l’apanage des nouveaux pays industriels. Parce qu’ils ont les marchés riches et sophistiqués, l’expérience technique et d’organisation, une meilleure capacité d’innovation, les vieux pays industriels vont devoir jouer « l’induservices », trouver une nouvelle logique de proximité, c’est-à-dire s’attacher à discerner et satisfaire des besoins complexes et diversifiés, créer de nouveaux marchés, renouveler leur offre en permanence. L’émergence des NPI – qui constituent une source de produits et composants standardisés peu chers – va faciliter ce mouvement et le précipiter. Entre fatalité de la désindustrialisation et tentation protectionniste, une voie de redéfinition de l’industrie européenne peut être tracée. ■ Jean-Pierre Gaudard
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Les économies fondées sur le savoir bouleversent les rapports de concurrence Économie de l’information, économie de la connaissance, nouvelle économie… quelle définition donner à la diffusion des TIC (technologies de l’information et de la communication(1)) dans les économies du savoir ? Quels sont les changements majeurs ? Pascal Petit(2), directeur de recherche au CNRS-CEPREMAP(3), nous livre son analyse.
Les définitions, nombreuses, sont souvent fondées sur des approches partielles touchant aussi bien à la montée de l’éducation et des connaissances, qu’au nouveau rôle du capital financier et à la mondialisation. Or, tous ces changements structurels sont interdépendants et nous conduisent à définir une économie fondée sur le savoir selon sa capacité à tirer l’essentiel de ses gains de productivité de l’utilisation d’information et de la mise en œuvre de nouveaux savoirs, en s’appuyant sur trois changements structurels majeurs : montée générale des niveaux d’éducation (plus de 40 % des générations ayant entre 20 et 25 ans sont scolarisées) ; large diffusion d’un nouveau système technique centré sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication (une bonne majorité de ménages et d’entreprises ont accès à un ordinateur individuel et à Internet(4)) ; internationalisation des économies qui se traduit moins par une hausse des échanges commerciaux que par une intensification des flux d’information et de connaissance et des capacités accrues pour des entreprises de toutes tailles d’agir à l’échelle internationale.
Des transformations structurelles Ces changements résultent de transformations de long terme (issues de l’après Seconde guerre mondiale). Ils s’imposent peu ou prou aux économies contemporaines. Savoir en tirer parti consiste pour les pouvoirs publics à réaliser les changements institutionnels favorisant la croissance et le bien-être des économies considérées. Pour les acteurs, il s’agit de développer les organisations productives et les modes de consommation qui concrétisent ces objectifs. Les recettes n’en sont pas pour autant simples car, en augmentant les capacités stratégiques des agents, le nouvel environnement a accru les inégalités. Certaines entreprises multinationales ont considérablement accru leur capacité d’action et de réaction aux évolutions des marchés. Devenues plus autonomes vis-à-vis de leur base nationale d’origine, elles se sont réellement mondialisées. Mais la taille n’est pas le seul critère de réussite. Des PME ont participé elles aussi au développement des TIC et des réseaux de services aux entreprises accompagnant le mouvement d’internationalisation. De plus, comme ces transformations concernent toutes les
économies développées, le niveau de la compétitivité s’accroît sur tous les marchés ouverts à la concurrence extérieure. Avec pour conséquence paradoxale une incertitude grandissante, même pour les entreprises en position dominante sur un marché. Parmi les capacités stratégiques de réaction aux changements de la demande ou face à des combinaisons productives plus compétitives, figurent celles de pouvoir localiser nombre d’activités productives dans les pays où les coûts unitaires de production sont très faibles du fait de coûts salariaux très bas. Ce phénomène ancien (la désindustrialisation des économies développées date du milieu des années 80, avec une baisse de l’emploi industriel) s’est accéléré dans les années 90 avec la montée en puissance de l’Asie du sud-est, puis surtout de la Chine et enfin de l’Inde.
Une grande part de l’activité économique va donc porter sur la conception, la valorisation et la distribution de ces productions matérielles, partiellement produites à l’étranger
Des économies tertiaires complexes Nombre des produits matériels que consomment les économies fondées sur le savoir du XXIe siècle sont d’abord produits à l’étranger : ils ne représentent in fine que quelques pourcentages de la valeur des marchandises concernées(5). Tous les produits ne se prêtent pas à cette délocalisation : soit leur technologie de production est trop complexe ou trop enracinée dans un tissu industriel dynamique (qui concourt à la sophistication du produit), soit elle dépend de la proximité avec un marché sélectif et fluctuant. Ces économies sont aussi des marchés complexes, avec des consommateurs exigeants et stratégiques. Une grande part de l’activité économique va donc porter sur (1) Selon l’OCDE (programme PIIC 1998), les TIC rassemblent l’ensemble des produits des activités économiques, industries comme services, qui contribuent à la visualisation, au traitement, au stockage et à la transmission de l’information par des moyens électroniques. (2) « Croissance et richesse des nations », Pascal Petit, Coll. Repères, La Découverte, décembre 2005. (3) CEPREMAP : Centre pour la recherche en économie et ses applications, www.cepremap.cnrs.fr (4) Cette diffusion est fortement poussée par le doublement de la capacité des microprocesseurs tous les 18 mois (loi de Moore) qui réduit les prix d’autant et facilite, avec la miniaturisation, toutes sortes d’informatisations dans les composants de nos produits. (5) Selon un exemple souvent cité, la part revenant aux pays en développement dans la production d’une paire de chaussures Nike est à peu près de 5 % de son prix de vente.
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firmes (en pratiquant sous-traitance et externalisation) et les consommateurs à valoriser des caractéristiques hors prix. Reste que les inégalités, en termes de capacités stratégiques, s’en trouvent accrues et jouent un rôle dans le fonctionnement des marchés. Les cadres institutionnels vont plus ou moins réussir à pallier ces nouveaux biais d’information et de connaissance mais les moyens en sont moins directs et efficaces que les transferts qui visent à corriger les effets dommageables d’inégalités de revenu.
Europe/États-Unis : comparaisons difficiles
la conception, la valorisation et la distribution de ces productions matérielles, partiellement produites à l’étranger. Les consommateurs ont à leur tour développé des comportements plus stratégiques, optant selon les cas pour des produits « discount » ou de marque, pour les dernières innovations technologiques ou des produits moins performants. Dans ces univers, plusieurs processus d’apprentissage déplacent les frontières : • de ce qui est délocalisé : les pays à faibles coûts salariaux acquièrent certaines maîtrises technologiques (et leurs coûts salariaux augmentent certes un peu) et les producteurs des pays développés apprennent à tirer parti des avantages de la délocalisation ; • entre achats à moindre prix, choix de marques, option pour des bouquets de produits ; • entre connaissances et maîtrise de nouvelles technologies du côté des producteurs comme des consommateurs. Ces divers processus macroéconomiques d’apprentissage sont interdépendants. Ils reposent pour partie sur des réseaux de distribution, de diffusion des nouvelles technologies, d’organisation de producteurs ou de consommateurs.
Transformation des formes de concurrence La forme paradigmatique d’une concurrence essentiellement fondée sur les prix est obsolète. Nombre de caractéristiques tenant aux qualités de la distribution, du marketing (effet marque), de l’après-vente, du suivi comme aux savoir-faire requis du consommateur ou de l’utilisateur jouent un rôle important dans les décisions d’achat. Ces préférences (au-delà de l’effet prix) manifestent l’existence de rentes de diverses sortes : d’organisation, d’innovation, de situation. Ces rentes dépendent souvent d’une bonne adaptation du produit aux conditions locales des marchés. Ce simple fait implique la diversité des trajectoires nationales de pays développés dont les sociétés conservent des préférences et des modes de vie assez différents. Qu’une telle diversité des capitalismes persiste peut sembler paradoxal si l’on pense que les économies fondées sur le savoir se sont rapprochées des conditions de marchés transparents et bien informés qui induisent des évolutions importantes : les compétences sont mieux définies, conduisant les firmes à accroître leur collaboration avec d’autres
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La plus grande cohésion sociale qu’on prête [à l’Europe] devrait permettre de développer des réseaux de services mieux adaptés et plus adaptables, en matière de santé, d’éducation mais aussi pour tous les services d’intérêt général
S’il n’y a pas de modèle, si toutes les trajectoires nationales possèdent un caractère spécifique, comment expliquer que le nouveau modèle d’économie semble mieux réussir aux États-Unis qu’en Europe ? D’un côté les États-Unis, puissance militaire et financière, restent un lieu de refuge des capitaux qui permet aux déficits commerciaux et budgétaires colossaux de perdurer. De l’autre, l’Europe paie cher en termes de contrainte auto infligée une unité monétaire qui ne la met que partiellement à l’abri des crises financières (et ne lui donne qu’un faible poids dans la globalisation des marchés financiers). Au-delà, les comparaisons en termes de productivité ne sont pas très significatives, car elles dépendent grandement de différences dans les conventions comptables(6). Aux États-Unis les industries au cœur du nouveau système technique (les TIC) ont acquis des positions dominantes et se développent avec une grande efficacité en s’appuyant largement sur un appareil de recherche universitaire (publique et privée) puissant comme sur une demande militaire forte. L’Europe s’emploie, quant à elle, à créer des conditions d’appui de sa recherche (plus publique) à l’industrie (moins militaire), en particulier dans les nouveaux champs de développement technologique (nanotechnologies et biotechnologies). Mais elle y a quelque retard, qui s’explique certainement par la diversité de ses membres et l’importance des duplications d’efforts que cela entraîne. Sur un autre registre, elle possède un avantage relatif qu’elle peine à mettre à l’œuvre. La plus grande cohésion sociale qu’on lui prête devrait en effet permettre de mieux tirer parti des apprentissages côté demande, de développer des réseaux de services mieux adaptés et plus adaptables, en matière de santé, d’éducation mais aussi pour tous les services d’intérêt général. La volonté européenne de suivre cette voie pour réaliser le pari de Lisbonne ne se fait pas fortement entendre. Le modèle américain, le plus souvent mal évalué, est trop prégnant. Encore faut-il, pour que l’Europe construise au préalable une vision claire de son modèle social, que celui-ci s’applique à la diversité des situations des États membres. Elle n’a guère d’autres choix pour être à la hauteur de ses ambitions. ■ Pascal Petit (6) Voir Vergara F. (2006) « Le sursaut de la productivité américaine : réalité ou illusion statistique ? » L’Économie politique n° 29.
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La politique européenne des services
Les grands axes de la politique de l’Union européenne De ses premiers pas en 1986 à aujourd’hui… la stratégie de l’UE pour un marché intérieur des services racontée par André Ferron, en charge des dossiers Services d’intérêt général et Énergie à Confrontations Europe. Les premiers pas significatifs de l’Union européenne dans les services s’inscrivent dans l’objectif « Europe 92 » fixé par l’Acte Unique de 1986. Ils concernent les services dits « de réseau » auparavant exclus par le Traité de Rome : télécommunications, postes, transports, électricité et gaz, mais aussi les assurances, les banques, les services financiers. Ces services constituent l’armature indispensable pour la relance de la construction européenne et de la compétitivité des 12 États membres. En fait, en 1992 l’objectif initial est loin d’être atteint, il faudra quelques années supplémentaires pour finir le travail. Mais en l’an 2000 tous les secteurs sont touchés par des premières directives. Cette période est marquée par l’approche de « libéralisation-harmonisation » : ouverture à la concurrence des marchés nationaux (souvent graduelle et quelquefois très faible comme dans le ferroviaire) combinée avec une harmonisation plus ou moins poussée des règles publiques. Ces secteurs faisant l’objet de services publics (industriels et commerciaux), les débats se focalisent sur la contradiction entre les règles nationales de service public et celles du marché européen. On recherche la façon de les rendre compatibles, voire de mettre en place des services publics européens, et le Traité d’Amsterdam reconnaît pour la première fois en 1997 leur valeur et leur importance pour l’Europe, mais sans donner de base juridique nouvelle pour les traiter autrement.
Les services liés aux entreprises comprennent quatre grandes catégories correspondant à quatre classifications statistiques : • les services professionnels qui comportent d’une part les services professionnels intensifs en connaissance comme les sociétés de conseil en informatique ou en management, la publicité, le marketing ou la formation continue, et d’autre part les services opérationnels comme le nettoyage et la sécurité ; • le commercedistribution de gros, de détail, la réparation ; • les services de réseau comme l’électricité, le gaz, l’eau, les transports et les communications ; • les services financiers comme les banques, les assurances.
Le tournant de Lisbonne Le 24 mars 2000, le Sommet de Lisbonne fixe un nouvel objectif stratégique pour 2010 : « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Le premier volet de la stratégie globale définie vise à préparer la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance – la société de l’information (e-Europe)(1) et la R&D occupent la première place – ce volet s’ajoute à ceux sur « l’accélération des réformes structurelles » et « l’achèvement du marché intérieur ». C’est ce dernier volet qui va donner une nouvelle impulsion à la politique des services : le Sommet demande à la Commission de définir d’ici à la fin de l’année 2000 « une stratégie pour l’élimination des entraves aux services » et « d’accélérer la libéralisation » dans les services de réseau. Pour faire bonne mesure, il ajoute une référence aux services publics : « tenir pleinement compte des dispositions du
La deuxième action, confiée à la DG Entreprises est beaucoup moins connue. Elle concerne en fait uniquement les services liés aux entreprises
Traité relatives aux services d’intérêt économique général (SIEG) » et invite la Commission à mettre à jour sa première communication de 1996 sur ce sujet. L’accélération de la libéralisation des services de réseau va aboutir à une deuxième vague de directives sectorielles programmant la libéralisation-harmonisation totale avec ou sans étapes intermédiaires. Pour les services financiers, un plan d’action spécifique est mis en place qui fera l’objet d’une méthode originale dite « Lamfalussy ». Parallèlement, la Commission publie une nouvelle communication sur les SIG (services d’intérêt général) en 2001 puis un Livre Vert en 2003 sur lequel Philippe Herzog a fait un rapport pour le Parlement européen dans lequel il ouvre des brèches significatives en faveur d’un droit européen positif des services publics(2). Le 29 décembre 2000, la Commission répond à la demande « d’élimination des entraves » en définissant « une stratégie pour le marché intérieur des services »(3). Il s’agit d’une part de finir le vote sur un paquet de sept directives concernant les services (dont les marchés publics), d’en réviser quatre autres, d’en lancer quatre nouvelles (dont la reconnaissance des qualifications), et d’autre part, de mettre en place deux nouvelles actions plus structurantes. La première action, confiée à la DG Marché, qui débouchera en 2004 sur la proposition de directive Services(4), vise à identifier de manière systématique les obstacles aux services dans le marché intérieur. Cet inventaire est publié en juillet 2002. Après son examen, le Conseil demande à la Commission d’entamer les travaux sur les moyens de résorber ces obstacles, et en février 2003 le Parlement européen se félicite de la proposition d’une législation horizontale faite par la Commission. (1) Lire l’article de Viviane Reding, commissaire européen en charge de la Société de l’information et des médias, en p. 27 de ce numéro. (2) Cf. L’Option de Confrontation Europe : « Objectif SIG » coordonné par A. Ferron, n° 18, juin 2003 et « Quand l’Europe s’ouvre aux services publics », par Ph. Herzog, n° 20, septembre 2004 (traduit en anglais). Sur les services financiers : L’Option de Confrontations Europe « Quelle politique de financement en Europe » coordonné par B. Marx, n° 15, décembre 2001 ; La Lettre de Confrontations Europe : le dossier « Après le krach boursier, que fait l’Europe ? », n° 59, décembre 2002-janvier 2003, le dossier « L’Europe financière au milieu du gué », n° 71, juillet-septembre 2005. (3) Com 2000/888. (4) Lire l’article de N. Lhayani en p. 24 de ce numéro.
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d o s s i e r La deuxième action, confiée à la DG Entreprises, est beaucoup moins connue. Elle vise à élaborer des mesures d’accompagnement pour soutenir la compétitivité du secteur des services : amélioration des statistiques, mesure des actifs incorporels, formation, innovation et R&D. Elle concerne en fait uniquement les services liés aux entreprises (cf. l’encadré) et débouche en avril 2004, après une communication de la Commission(5), sur la mise en place du Forum européen des services liés aux entreprises (EFBRS)(6), lequel doit définir un Plan d’Action au premier semestre 2005. Ce Forum se réunit trois fois et donne ses recommandations en juin 2005, mais aucune proposition de Plan d’action n’a encore été faite. Entre temps, avec le changement de Commission en 2004, la responsabilité du Forum est passée de la DG Entreprises et Industrie à la DG Marché intérieur et Services.
La question de la libre circulation Pour lever les obstacles à la libre circulation des services, la stratégie définie en l’an 2000 combine plusieurs actions. Des mesures non législatives comme des codes de conduite, des chartes de qualité, de nouveaux mécanismes de règlements des litiges, des actions de sensibilisation doivent permettre de surmonter les obstacles non législatifs. Pour les autres obstacles, la législation horizontale doit comprendre : « une harmonisation ciblée d’exigences communes », « une application efficace du principe de reconnaissance mutuelle » et « des procédures de suivi de l’évolution des marchés et de la législation afin de prévenir la création de nouveaux obstacles ». Des mesures d’harmonisation supplémentaires sont envisagées pour les obstacles réglementaires qui ne peuvent pas être supprimés par cette législation.
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LA « NOUVELLE APPROCHE » Elle repose sur quatre principes : • l’harmonisation législative se limite à des exigences essentielles de sécurité (ou d’autres exigences d’intérêt collectif) auxquelles doivent correspondre les produits mis sur le marché et qui, de ce fait, bénéficient de la libre circulation dans la Communauté ; • l’élaboration des spécifications techniques de fabrication est confiée aux organes compétents en matière de normalisation industrielle qui le font en tenant compte de l’état de la technologie ; • aucun caractère obligatoire n’est attribué à ces spécifications techniques. Elles conservent leur statut de normes volontaires ; • les administrations sont obligées de reconnaître aux produits fabriqués conformément aux normes harmonisées une présomption de conformité aux exigences essentielles établies par la directive. Dans les cas où le producteur ne fabrique pas selon ces normes, la charge de la conformité de ses produits avec les exigences essentielles lui incombe. Principe du pays d’origine et harmonisation La « nouvelle approche » a été appliquée aux biens sauf lorsque l’harmonisation ancienne manière était déjà bien avancée ou « lorsque les dispositions pour les produits finis ou les risques afférents ne peuvent être fixés », par exemple pour les denrées alimentaires, les produits chimiques et pharmaceutiques, les véhicules à moteurs, les tracteurs. Un produit peut circuler en ne suivant que sa norme nationale mais : celle-ci a été établie dans chaque pays en conformité à des exigences essentielles harmonisées ; les normes nationales sont vérifiées par une procédure au niveau communautaire, gérée par la Commission, assistée d’un comité permanent des États membres ; elles ne sont que provisoirement nationales en attendant qu’une norme communautaire soit élaborée. (Source : Guide relatif à la mise en application des directives élaborées sur la base des dispositions de la nouvelle approche et de l’approche globale. Téléchargeable sur le site de la DG Entreprise : www.europa.eu.int/comm/enterprise) Cette démarche s’inspire de la « nouvelle approche » (cf. l’encadré) mise en œuvre pour l’objectif Europe 92. Celle-ci, qui ne concernait que les biens, cherchait à sortir des blocages et des lenteurs du marché commun qui obligeaient à définir la norme commune à l’unanimité. Elle ne supprimait pas l’harmonisation mais substituait à l’harmonisation « totale » une harmonisation « ciblée » sur l’essentiel combinée à une reconnaissance mutuelle des règles du pays d’origine concernant l’accessoire. Tout le problème est de savoir si cette nouvelle approche appliquée aux biens dans les années 90 peut l’être aux services. Où est l’essentiel, où est l’accessoire dans les services ? En février 2003, la résolution du Parlement européen(7) demandait le recours à l’harmonisation « lorsque cela est strictement nécessaire » et en mai 2003 la Commission(8) parlait d’harmonisation « en cas d’absolue nécessité ». On sait que finalement un nou(5) Du 4/12/2003 « La Compétitivité des services liés aux entreprises et leur contribution à la performance des entreprises européennes ». Com 2003 747 final. (6) Le Forum Européen des Services liés aux Entreprises (EFBRS) présidé par la Commission européenne comprend 29 membres dont 16 émanant d’entreprises, trois de syndicats de salariés (UNI) et cinq des organismes de R&D ou de statistiques. (7) 2002/2143 (COS) du 13/2/2003 adoptée par 304 voix contre 17 et 24 abstentions. (8) COM (2003) 238 du 7/05/2003.
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2006, « Année de la mobilité »...
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Deux ans après l’entrée des dix nouveaux États membres, 2006 est proclamée « Année de la mobilité » par l’Union européenne. Selon Vladimir Spidla, commissaire européen à l’Emploi, aux Affaires sociales et à l’Égalité des chances, elle « aura pour principal objectif de mieux sensibiliser les travailleurs aux opportunités qui leur sont offertes ». Et ce n’est pas seulement aux travailleurs que cette année doit s’adresser mais aussi aux États membres. En effet, le commissaire Spidla, en réponse aux mesures transitoires dont l’UE 15 – le Royaume-Uni, l’Irlande et la Suède exceptés – a usé de droit, demande l’ouverture complète des frontières. L’UE 15 applique ces mesures – pendant sept ans découpés en trois périodes (2+3+2) – en réponse à la peur d’un flux important de travailleurs venant des pays est européens. Or, selon un rapport de la Commission européenne publié en février dernier, ces migrants représentent moins de 1 % des ressortissants en âge de travailler des PECOS et ils ont eu des effets « essentiellement positifs » sur l’économie des pays d’accueil. Le 1er mai prochain, les États membres ayant imposé des mesures transitoires doivent se prononcer quand à la reconduite des restrictions. La Finlande, le Portugal et l’Espagne ont fait savoir qu’ils ouvriront totalement leurs frontières. La France émet des réserves mais pourrait ouvrir son marché du travail seulement à certains secteurs peinant à recruter comme le bâtiment, la restauration, les services à la personne. L’Allemagne, l’Autriche et la Belgique reconduisent la fermeture. Les Pays-Bas, l’Italie et la Grèce ne se sont pas encore prononcés. Chrystèle Vitoux Stagiaire à Confrontations Europe
veau principe, le Principe du pays d’origine (PPO), a prévalu dans le projet de la Commission. Il allait bien au-delà de l’équilibre délicat que suppose toute démarche de nouvelle approche. Le Parlement Européen a restauré cet équilibre sans encore régler tous les problèmes.
Les services liés aux entreprises
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Ce secteur employait 55 millions de personnes en 2001 (UE à 15) soit 55 % de l’emploi total de l’économie marchande de l’Union. C’est aussi le secteur le plus dynamique en termes de créations d’entreprises puisqu’il représente deux tiers des créations d’entreprises. Le rapport 2002 sur la compétitivité européenne compare la croissance sectorielle de la pro-
ductivité entre les États-Unis et l’Union. L’Union est plus performante que les États-Unis dans les services de réseau mais l’est moins pour le commerce de gros et de détail et l’intermédiation financière. Ce même rapport note l’impact positif d’une libéralisation comme le montrent les exemples de la Finlande et du RoyaumeUni qui ont de meilleurs résultats que les autres pays européens dans l’ensemble des services aux entreprises. Il suggère en conséquence « d’assouplir le cadre déterminant les performances de la distribution et du commerce de détail ». Il pointe également les risques de délocalisation vers les États-Unis et l’Asie, en particulier pour les centres d’appel et les services informatiques. La Commission avance des domaines d’action pour relever la compétitivité de ce secteur. Outre l’élimination des obstacles à la circulation, renvoyée à la directive Services, il identifie : la qualification de la main-d’œuvre ; l’intégration informatique et le développement de la R&D et de l’innovation ; le développement des services liés aux entreprises dans les régions moins développées et la question de la « transparence ». Celle-ci commence par les statistiques, très développées pour l’industrie mais très peu dans les services. Elle concerne aussi la mesure des actifs incorporels des sociétés de services. Combien vaut une entreprise de services où les bâtiments, les machines et les stocks de produits comptent peu en comparaison des compétences, des logiciels, du modèle d’organisation ? Enfin la transparence concerne la qualité des prestations, essentielle pour établir la confiance que réclament les clients. Le Forum demande plan d’action à durée indéterminée, centré sur cette question de transparence. C’est là sa principale recommandation... ■ André Ferron LA LETTRE DE CONFRONTATIONS EUROPE - AVRIL-JUIN 2006
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