SORTIR L’EUROPE DE L’ORNIERE
Florence Deloche-Gaudez Secrétaire générale du Centre d’études européennes de Sciences Po
Pragmatique. Telle est l’approche que Nicolas Sarkozy revendique pour relancer une Union européenne déstabilisée par les « non » français et néerlandais. Il a, le premier, proposé que le Conseil européen des 21-22 juin ouvre la négociation d’un « traité simplifié » - traité qui permettrait de sauver certains articles de la Constitution européenne considérés comme consensuels en France et susceptibles de restaurer la capacité de décision de l’Union, par exemple celui instaurant un président stable au Conseil européen. Mais si Nicolas Sarkozy veut vraiment « débloquer la situation », comme il l’affirme régulièrement, il faut s’attaquer à la première source de blocage : la clause de révision des traités.
Contrairement à une idée reçue, pour l’instant, l’Europe n’est pas bloquée au quotidien. Chiffres à l’appui, une étude de l’Observatoire des institutions européennes montre que l’Union continue à décider, et même plus rapidement qu’avant l’élargissement de mai 2004 à dix nouveaux pays1 ! Il s’agit toutefois d’un équilibre fragile car il repose davantage sur la bonne volonté des acteurs concernés que sur de nouvelles règles. Il est donc justifié de vouloir sauver certaines réformes institutionnelles de la Constitution, telles que l’extension du champ de la majorité qualifiée ou la réforme des règles de vote au Conseil. Encore faut-il que le traité simplifié puisse voir le jour.
Cela nous amène au véritable blocage de l’Europe. Comme tous les textes fondateurs de l’Union, qu’ils aient été nommés « traité » ou « Constitution », le traité simplifié devra être approuvé à la double unanimité des Etats membres : tous les gouvernements nationaux devront le conclure et le ratifier. Cette règle - qui diffère des procédures régissant le quotidien de l’Union apparaît de plus en plus difficile à satisfaire au fur et à mesure que l’Union s’élargit. La négociation du traité de Nice a déjà montré la difficulté de s’accorder à l’unanimité sur quelques dispositions institutionnelles sensibles. L’impasse dans laquelle se trouve le traité constitutionnel illustre celle d’obtenir l’approbation de tous les pays lors de la phase ultérieure des ratifications. Non seulement
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R. Dehousse, F. Deloche-Gaudez, O. Duhamel, Elargissement - Comment l’Europe s’adapte, Presses de Sciences Po, 2006.
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deux Etats, la France et les Pays-Bas, l’ont rejeté mais sept autres, dont le Royaume-Uni, ont repoussé sine die le référendum qu’ils avaient envisagé.
Pour éviter ces écueils, le traité « simplifié » pourrait être court, composé de quelques amendements aux traités actuels. Cependant, dans le futur, pourra-t-on toujours se contenter de « mini-traités » ? Seront-ils ratifiés par l’ensemble des Etats membres, sans cesse plus nombreux ? La nature évolutive de la construction européenne exige plutôt de regarder la situation en face et de revoir les conditions requises pour réviser les traités.
Nicolas Sarkozy a déclaré avec justesse que « la seule façon de sauver l’Europe politique » était de « faire sauter » le verrou de l’unanimité. « Je n’accepte pas que celui qui ne veut pas avancer empêche les autres de le faire », a-t-il précisé, tout en ajoutant qu’« on ne peut pas imposer à un pays ce qu’il ne veut pas ». Prévoir dans le traité simplifié, d’une part, que les prochaines révisions pourront être approuvées à une majorité très élevée (par exemple les 5/6è des Etats) et, d’autre part, que les Etats récalcitrants auront la possibilité de sortir de l’Union ou des politiques concernées par lesdites révisions, aurait exactement cet effet.
Assouplir la clause de révision répondrait à un autre objectif louable du président de la République : réconcilier la France du « oui » et du « non ». Une des principales critiques du camp du « non » était en effet que la Constitution était « gravée dans le marbre » à cause de la clause de révision. Si le traité simplifié rouvrait l’avenir en modifiant cette clause, les partisans du « non » pourraient mieux accepter qu’il soit ratifié en France par le Parlement, et non par le peuple, comme l’a annoncé le président.
En proposant d’amender les procédures diplomatiques qui encadrent l’élaboration et la ratification des textes fondateurs de l’Union, la France pourrait enfin se montrer réceptive aux exigences de pays qui, tels l’Allemagne, ont déjà ratifié la Constitution européenne et se déclarent hostiles à un traité simplifié trop modeste. Reste le problème des Etats soucieux d’en limiter la portée. Il peut paraître irréaliste qu’ils renoncent à leurs droits de veto concernant le premier des pouvoirs : celui de décider là où l’Union peut intervenir et comment elle peut le faire. Mais l’actuelle intransigeance de la Pologne, ou d’autres, montre qu’il n’est pas plus réaliste de conditionner l’exercice du pouvoir constituant à une double unanimité de vingt-sept Etats, bientôt plus. Tous ont intérêt à ce que l’Europe puisse adapter ses règles à de nouveaux besoins sans être bloquée par le veto d’un seul. Peut-être faudra-t-il d’autres échecs pour en prendre conscience. Espérons que non. Espérons que les Vingt-sept sauront vraiment faire preuve de pragmatisme. 2